AAARGH
| Accueil général | Aller à l'archive Faurisson |
Les satires, et non les pamphlets, de Céline
*****
par Robert Faurisson
*****
On a pris pour habitude de nommer "pamphlets" les quatre
oeuvres de Céline qui portent pour titres Mea Culpa,
Bagatelles pour un massacre [des Aryens], L'Ecole des cadavres
[aryens] et Les Beaux Draps. Je suggère de remplacer
le mot de "pamphlets" par celui de "satires".
Cette proposition, je l'avais avancée au colloque célinien
de juillet 1978, organisé par Jean-Pierre Dauphin, et je
l'ai renouvelée à la journée Céline
d'octobre 2000, organisée par Marc Laudelout. Dans les
deux cas, je ne l'ai fait que fortuitement et sans développer
mes raisons. A la lecture du dernier Bulletin célinien,
je découvre avec plaisir que j'ai peut-être convaincu
M. Laudelout, lequel vient de glisser dans une incise: "les
pamphlets... qu'on serait sans doute mieux inspiré d'appeler
satires" ( B.C., décembre 2000, p.11).
Le pamphlet et la satire diffèrent d'abord par la dimension,
puis par leur nature et, enfin, par la réputation que s'est
acquise chacun de ces deux types d'expression littéraire.
On va voir qu'une simple comparaison sous ces trois angles tend
à prouver, dans le cas qui nous intéresse, que c'est
le mot de "satires" qui s'impose pour ces écrits
de Céline.
Par sa dimension, le pamphlet est plutôt bref tandis que
la satire peut être longue. Dans Le Pamphlet des pamphlets,
Paul-Louis Courier va jusqu'à dire que le pamphlet ne saurait
dépasser la dimension d'une feuille ou deux; de toute façon,
le mot fait songer à de brefs écrits tels que les
mazarinades, factums, brochures ou opuscules du folliculaire.
La satire, elle, peut atteindre l'ample dimension de véritables
recueils comme c'est le cas pour les Satires de Juvénal,
la Satire (ou Satyre) Ménippée
ou bien Les Châtiments de Victor Hugo (1). Par leur
dimension, les quatre oeuvres de Céline (sauf Mea Culpa,
dont il sera traité plus loin) sont donc plus proches de
la satire que du pamphlet.
Par nature, le pamphlet ne se fixe qu'une cible limitée;
il est d'un trait, d'un jet; il est incisif et mordant. L'auteur
d'un pamphlet peut n'avoir ni grand souffle ni fort appétit.
La satire, elle, est volontiers riche, composite et elle exige
plus de souffle et une plus forte nature; le mot lui-même
s'est toujours ressenti de son origine latine où satira
s'est d'abord dit d'une macédoine de légumes ou
de fruits ou encore d'un ragoût de viandes qui vous rassasie;
en un seul et même recueil, le satiriste pratiquera quelquefois
le mélange des genres, allant du propos familier à
la poésie lyrique ou épique en passant par la poésie
descriptive ou l'épigramme. Dans la satire, "la Muse
Indignation" paraît insatiable; il arrive qu'elle se
ménage des temps de repos, des récréations
en quelque sorte, mais, soudain, on la voit repartir à
l'attaque pour, à l'occasion, se faire visionnaire ou apocalyptique.
Par leur nature, les quatre oeuvres de Céline, y compris
Mea Culpa avec ses changements de ton, s'apparentent donc,
une nouvelle fois, à la satire plutôt qu'au pamphlet.
Le pamphlet jouit souvent d'une fâcheuse réputation.
Il peut être vil ou bas. Il n'a pas meilleure presse que
la polémique et l'on peut dire que le pamphlétaire
et le polémiste sont, par beaucoup, logés tous deux
à la même enseigne. Littré précise
que le mot "se prend souvent en mauvaise part" (2).
Dans son Dictionnaire des synonymes de la langue française
(Larousse, 1971), René Bailly, à l'article "satire",
écrit, lui aussi, que le mot de "pamphlet" "s'emploie
d'ordinaire dans un sens défavorable". Dire des quatre
oeuvres de Céline qu'elles sont des pamphlets revient donc
à leur choisir une dénomination péjorative.
Ceux qui préfèrent ne prononcer aucun jugement de
valeur et laisser à chaque lecteur le soin d'en décider
par lui-mÍme, seront, par conséquent, amenés
à porter leur choix sur le mot de "satires".
Reste, me dira-t-on, le cas, par exemple, de la lettre "A
l'agité du bocal". Par sa dimension et par sa nature,
il s'agit, pour le coup, d'un pamphlet mais, encore une fois à
cause de la valeur dépréciative du mot, je lui préférerais
celui de "libelle", qui est plus neutre et convient,
comme c'est ici le cas, à un écrit de petite dimension.
Les prétendus pamphlets de Céline font l'objet de
tant de contresens, jusque dans le titre de certains d'entre eux,
qu'il faudrait en tout cas, pour commencer par le commencement,
leur donner une plus juste dénomination et les appeler
par leur nom, celui, comme on le voit, de "satires".
Notes
(1) L'auteur des Châtiments, revendiquant son appartenance
à la lignée du satiriste latin, écrivait
hardiment: "Juvénal, Juvénal, mon vieux lion
classique".
(2) "Littré le dit, qui ne se trompe jamais",
écrit Céline en préambule de Voyage au
bout de la nuit. Un célinien pourrait-il nous recenser
les quelques expressions choisies par Céline en personne
pour désigner ses satires ou, si l'on veut, ses poèmes
satiriques ("mes pamphlets" [dans une lettre à
Jean Paulhan du 15 avril 1948], "mes poèmes",
"mes poèmes historiques")? Prenons garde cependant
que ces expressions ne seraient pas nécessairement les
plus adéquates puisque un auteur peut, pour diverses raisons
(d'humeur, de circonstances, d'esthétique littéraire,
de modestie vraie ou fausse), user de mots qui ne répondent
pas toujours à sa pensée intime. Ainsi, quand tant
de critiques nous vantent ce que Céline appelait sa "petite
musique", on est en droit de se demander s'ils ne commettent
pas une erreur car, en la circonstance, Céline pouvait
penser, sans vouloir le dire, à sa "petite musique"
certes mais aussi à sa "grande musique", celle
qu'on entend, par exemple, à la fin des Beaux Draps
ou dans Guignol's Band, Nord et Rigodon. Céline
devait bien avoir conscience de ses talents en matière
de "grande musique" mais il ne lui appartenait pas de
le dire lui-même. Dans le même ordre d'idées,
rappelons-nous la magistrale ouverture de Bagatelles où,
se moquant de lui-même, il empruntait le ton de la gouaille
pour se dire "un raffiné". Il voulait dire par
là, en particulier aux balourds le prenant pour un grossier
personnage, qu'il était "raffiné". Il
faut toujours se méfier du "biseauté spécial"
célinien.
26 décembre 2000
Le Bulletin célinien, de janvier 2001, numéro
216, p 18 et 19, signé Jessie Aitken.
[Première mise au net: 28 mars 2001]
Ce texte a été affiché
sur Internet à des fins purement éducatives, pour
encourager la recherche, sur une base non-commerciale et pour
une utilisation mesurée par le Secrétariat international
de l'Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre
et d'Holocauste (AAARGH). L'adresse électronique du Secrétariat
est <[email protected]>.
L'adresse postale est: PO Box 81475, Chicago, IL 60681-0475, USA.
Afficher un texte sur le Web équivaut
à mettre un document sur le rayonnage d'une bibliothèque
publique. Cela nous coûte un peu d'argent et de travail.
Nous pensons que c'est le lecteur volontaire qui en profite et
nous le supposons capable de penser par lui-même. Un lecteur
qui va chercher un document sur le Web le fait toujours à
ses risques et périls. Quant à l'auteur, il n'y
a pas lieu de supposer qu'il partage la responsabilité
des autres textes consultables sur ce site. En raison des lois
qui instituent une censure spécifique dans certains pays
(Allemagne, France, Israël, Suisse, Canada, et d'autres),
nous ne demandons pas l'agrément des auteurs qui y vivent
car ils ne sont pas libres de consentir.
Nous nous plaçons sous
la protection de l'article 19 de la Déclaration des Droits
de l'homme, qui stipule:
ARTICLE 19
<Tout individu a droit à la liberté d'opinion
et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être
inquiété pour ses opinions et celui de chercher,
de recevoir et de répandre, sans considération de
frontière, les informations et les idées par quelque
moyen d'expression que ce soit>
Déclaration internationale des droits de l'homme,
adoptée par l'Assemblée générale de
l'ONU à Paris, le 10 décembre 1948.
| Accueil général | Aller à l'archive Faurisson |
L'adresse électronique
de ce document est:
http://aaargh-international.org/fran/archFaur/RF001226.html