AAARGH

| Accueil général | Accueil Rassinier |

| T. des m. et note de l'éditeur | Ch.1.1 | ch.1.2 | ch.2.1 | Ch.2.2 | Ch.3 | Annexes |

***************

 

L'opération «  Vicaire  »

Le rôle de Pie XII devant l'Histoire

Paul Rassinier

***************

Chapitre 1.2

**

IV. LES TÉMOINS DE CHOC

 

Il y a, par contre, un terrain sur lequel les supporters de M. Rolf Hochhuth ont été très prolixes et même jusqu'à l'indécence : celui des témoins de choc. Là, nous avons été vraiment gâtés : Albert Camus, François Mauriac, Albert Schweitzer, Thomas Mann, etc.

Dans une conférence faite chez les Dominicains le 28 novembre 1945, Albert Camus, visant Pie XII, avait dit :

« Il y a une voix que j'aurais aimé entendre durant ces années terribles. On me dit qu'elle a parlé. je constate que les paroles qu'elle a dites ne sont pas venues jusqu'à moi 1. »

[49]

Albert Camus, Prix Nobel : de quoi rentrer sous terre. On fera pourtant très humblement remarquer que, s'il fallait rayer de l'histoire tout ce qu'Albert Camus n'a ni vu ni entendu, il n'en resterait pas grand-chose. A ce compte, il serait lui-même rayé de l'histoire par un nombre très appréciable de gens. Il était, sans doute, un très grand philosophe mais ce n'est, à coup sûr, pas en s'exprimant ainsi qu'il en a donné la meilleure preuve.

On ne sera pas moins humble devant le très grand écrivain qu'est François Mauriac, lui aussi Prix Nobel qui, préfaçant un livre de M. Léon Poliakov 2, a écrit :

« [Nous] n'avons pas eu la consolation d'entendre le successeur du Galiléen, Simon-Pierre, condamner clairement, nettement et non par des allusions diplomatiques, la mise en croix de ces innombrables « frères du Seigneur ». Au vénérable cardinal Suhard, qui a d'ailleurs tant fait dans l'ombre pour eux, je demandai un jour, pendant l'occupation : « Éminence, ordonnez-vous de prier pour les juifs... », il leva les bras au ciel : nul doute que l'occupant n'ait eu des moyens de pression irrésistibles et que le silence du pape et de la hiérarchie n'ait été un affreux devoir ; il s'agissait d'éviter de pires malheurs. Il reste qu'un crime de cette envergure retombe pour une part non médiocre sur tous les témoins qui n'ont pas crié et quelles qu'aient été les raisons de leur silence. »

M. Alexis Curvers a très spirituellement raconté 3 [50] les avatars de ce texte dont, à l'origine, M. Rolf Hochhuth n'avait retenu que la première phrase. La falsification, quant au sens, était évidente. Pris en flagrant délit par le R. P. Marlé 4 qui la remarqua le premier, les éditeurs finirent, en plusieurs éditions, par donner le texte complet. Mais je suis en possession d'un exemplaire d'une édition allemande dans laquelle l'éditeur, ne pouvant effectuer la correction qu'au prix d'un remaniement de la mise en pages, a tout simplement fait sauter toutes les exergues, soit deux formes et il s'ensuit que l'Avant-propos de M. Irwin Piscator commence au beau milieu d'un paragraphe. Pour compenser, l'édition américaine qui a rétabli le texte intégral de François Mauriac comporte, en plus, une lettre du Dr Albert Schweitzer : à la gloire de M. Rolf Hochhuth, il ne manquait que celui-là !

Pour en terminer avec François Mauriac, voici comment Alexis Curvers juge son témoignage :

« Le Cardinal, fort heureusement pour M. Mauriac, n'a pas ordonné les prières publiques que celui-ci réclamait ; il a cependant publié une protestation, ce que n'a pas fait M. Mauriac ; il a agi dans « l'ombre », ce qui n'empêche pas M. Mauriac de le déclarer à la fois vénérable et responsable du crime.
« Malgré les moyens de pression irrésistibles de l'occupant, malgré l'affreux devoir de silence, et malgré les pires malheurs qu'il s'agissait d'éviter, M. Mauriac exigeait du pape, de la hiérarchie et de tous les témoins un cri qu'il est fort loin d'avoir poussé lui-même, mais qui, vingt ans plus tard, allait [51] servir de thème obsessionnel à la campagne contre Pie XII, déjà contenue tout entière dans ces quatre phrases de M. Mauriac. »

On ne saurait mieux dire. Il faut pourtant ajouter qu'à l'époque des faits, François Mauriac était beaucoup plus préoccupé par ce qui se disait à Vichy et les dispositions à son égard du lieutenant Heller de la Propaganda-Staffel, que par ce qui se disait au Vatican. Vertu du « son presque intemporel 5 » d'une voix : elle couvre toutes les autres.

De la lettre que, de Lambaréné, le Dr Albert Schweitzer écrivit le 30 juin 1963 à l'éditeur allemand de M. Rolf Hochhuth on ne retiendra que les trois propositions essentielles :

1. « Comme témoin actif de la faillite de cette époque (celle de la persécution des juifs), je pense que nous devons nous préoccuper du problème posé par cet événement historique. »

Ainsi apprenons-nous que le Dr Albert Schweitzer a été un témoin actif. Contre qui ? Contre Hitler, cela va de soi. Vingt ans après, c'est toujours bon à savoir.

2. « Après tout, l'Église catholique n'est pas seule responsable, l'Église protestante l'est aussi. Mais l'Église catholique porte la plus grande responsabilité parce qu'elle représentait une puissance organisée, supranationale, très bien placée pour faire quelque chose, tandis que l'Église. protestante était inorganisée, nationale et impuissante. »

Le Dr Albert Schweitzer est protestant et qu'il [52] prêche pour son Église n'étonnera personne. On lui signalera cependant qu'en Allemagne, l'Église protestante représentait une force bien plus puissante (40 à 45 millions d'adeptes) que l'Église catholique (20 à 25 millions) et que ses pasteurs ne se sont pas particulièrement distingués en 1933 pour empêcher Hitler d'arriver au pouvoir, au contraire, tandis que l'épiscopat catholique faisait voter contre lui 6.

3. « Il est significatif que Le Vicaire ait paru. C'est non seulement la condamnation du silence d'une personnalité historique, non seulement un verdict historique, mais un avertissement à notre époque qui s'abandonne à une vie totalement dénuée d'humanité. »

Un verdict historique ? L'idée que l'histoire prononce des verdicts est assurément assez répandue par les tristes temps qui courent. Non moins assurément, celui qui est rendu en ces termes par le Dr Albert Schweitzer et qui ne craint pas d'identifier un Rolf Hochhuth a l'histoire, ne passera même pas la rampe de cette médiocrité. A personne déja, le caractère commun à ces trois propositions ne peut échapper : la première est une publicité pour sa personne de « témoin actif », la seconde en est une pour son Église « coupable aussi » sans doute mais beaucoup moins que l'Église catholique et très excusable ; et, quant à la troisième, c'est un rappel discret de l'entreprise qu'il dirige à Lambaréné, qu'au moyen d'une publicité très adroite il a su à merveille utiliser pour se faire désigner aux yeux d'un monde intellectuellement détraqué comme étant le parangon des vertus [53] humanitaires, mais qui, aux yeux d'un nombre notable de bons esprits 7, apparaît de plus en plus comme étant a peu près uniquement commerciale.

Et il suffit de lire Les Mots 8, ce chef-d'oeuvre de Jean-Paul Sartre qui descend des Schweitzer par les femmes et donc les connaît bien, pour ne plus douter que ce sens de la publicité, confirmé par M. Morvan Lebesque dans un reportage 9 qu'il fit à Lambaréné, se transmet héréditairement.

Le cas de Thomas Mann est un peu différent : cet écrivain allemand qui s'était rendu célèbre en 1901 (à l'âge de 26 ans) par un remarquable roman d'analyse sociale, Les Buddenbrook, s'était, en 1914, signalé à l'attention des milieux intellectuels français par l'influence qu'il avait exercée en faveur de la première guerre mondiale dans les milieux intellectuels allemands 10. Il faut croire que la guerre était, chez lui, un besoin : dès 1933, il se mit au service de la seconde. En un quart de siècle, toutefois, ses raisons philosophiques avaient fait un tour complet : du pangermanisme, il était passé à l'antinazisme. Mais, le nazisme, il avait pris la précaution de nous laisser le soin de l'abattre, n'ayant eu, quant à lui, rien de plus pressé, aux premiers signes avant-coureurs du danger qu'il représentait pour lui, que de courir mettre sa précieuse personne à l'abri aux États-Unis. Un très grand écrivain, en somme (Prix Nobel lui aussi) mais un vulgaire péteux. En vertu de quoi, contrairement à ses co-dignitaires de la libre [54] académie suédoise qui se bornèrent, après coup, à des généralités sur l'horreur de faits dont ils n'avaient pas la moindre connaissance, il se prononça, lui, pendant qu'ils se déroulaient, au niveau de leur matérialité qu'il garantissait  : là-bas, il n'était que plus proche de ce qui se passait en Europe et le témoin le plus direct. C'est ainsi que, disposant mensuellement de huit minutes sur les antennes de la B. B. C., il fut à même de nous renseigner de façon très précise sur les moindres événements de Pologne et le premier, en novembre 1941, à y signaler des massacres de juifs et de Polonais, puis, en janvier 1942, des exterminations de juifs hollandais par les gaz 11.

On ne sait pas quelles étaient les sources de feu Thomas Mann. Il se peut qu'elles soient les mêmes que celles d'un certain Ralf Feigelson qui résume ainsi, en les datant, toutes les informations venues de Pologne :

« Dès les premiers massacres de masse à l'Est de l'Europe, les résistants juifs et polonais avaient alerté l'opinion mondiale. Fin 1941, la Résistance de Lodz [55] informait Londres sur les événements de Chelmno. Le 16 mars, le 3, août et le 15 novembre 1942, trois rapports sont expédiés de Varsovie. En avril 1943, le ghetto de Bialystock lance un S.0.S. Ces cris d'alarme qui arrivèrent à destination 12... »

A ma connaissance, aucune trace d'une information destinée à Londres sur ce qui se passait à Chmelno à la date de « fin 1941 » n'a jamais été retrouvée qui soit de nature à permettre d'affirmer que Londres en ait fait état. Mais il se peut qu'une lettre de M. Riegner, représentant du Congrès juif mondial à Genève, à l'ambassade des États-Unis à Berne, le 8 août 1942 13, se fonde sur le rapport parti de Varsovie le 16 mars. La question qui se pose est seulement de savoir à quelle date le Vatican a été informé et quelle réaction il a eue. Ce qu'on peut affirmer avec certitude, c'est que, pour la première fois, des faits précis ont été portés à sa connaissance le 26 septembre 1942, par une lettre de M. Myron Taylor, représentant personnel de M. Roosevelt auprès du pape, au secrétaire d'État Mgr Maglione 14. Il y est question de la liquidation du ghetto de Varsovie, « d'exécutions massives » à Belzec, de massacres, de déportations à quarante par wagon vers la Lithuanie et Lublin ou Theresienstadt, etc. On y dit bien que « les cadavres sont utilisés à la fabrication de graisses * et les os d'engrais », mais on n'y parle pas de chambres a gaz. Ces informations sont données par la lettre comme venant de l'Agence juive de [56] Genève à la date du 30 août 1942, laquelle dit les tenir « de deux témoins oculaires de toute confiance (aryens) dont l'un est arrivé de Pologne le 14 août », mais ni l'un ni l'autre nommés.

Mgr Maglione a répondu le 10 octobre 1942 et, nous dit M. Tittmann, principal collaborateur de M. Myron Taylor, sa réponse tient en ceci :

« Après avoir remercié l'ambassadeur Taylor d'avoir porté la question à l'attention du Saint-Siège, la note [de Mgr Maglione] déclare que des rapports provenant d'autres sources concernant des mesures sévères prises contre des non-aryens sont également parvenues au Saint-Siège, mais que, jusqu'au moment présent, il n'a pas été possible de vérifier leur exactitude... 15 »

Comme on comprend que le Saint-Siège ait éprouvé le besoin de vérifier l'exactitude de ces informations !

Comme on comprend aussi que, le 5 janvier 1943, dans une entrevue qu'il eut avec le même M. Tittmann, Pie XII ait pu lui déclarer que « s'il craignait que les rapports d'atrocités signalées par les Alliés fussent fondés... son sentiment était qu'ils avaient pu être, dans une certaine mesure, exagérés dans un dessein de propagande ».

A cette date, avait été publiée la déclaration interalliée du 18 décembre 1942 sur le sort des populations juives d'Europe transportées à l'Est. Il y est question de la mise « en application de l'intention, souvent répétée par Hitler, d'exterminer la population juive d'Europe »**, de « leur transport dans des conditions de brutalité et d'horreur épouvantables », [57] des « personnes physiquement saines lentement exterminées par le travail dans les camps », des « infirmes condamnés à la mort par inanition », des « victimes dont le total s'élève à des centaines de milliers 16 », mais il n'y est pas, non plus, question de chambres à gaz. Connaissant par M. Myron Taylor les sources douteuses des informations reprises par cette déclaration 17, Pie XII ne pouvait pas ne pas éprouver le besoin d'en vérifier l'exactitude.

Sur les exterminations par les gaz, ce qu'en avait dit feu Thomas Mann, dès janvier 1942, était passé totalement inaperçu. Il semble que la première fois qu'il en fut question, de telle sorte que l'authenticité s'en accréditât dans les milieux gouvernementaux et diplomatiques alliés, puisse être datée de novembre 1943, date à laquelle est sorti, à Londres, un livre d'un professeur israélite de Droit de l'Université de Varsovie qui s'y était réfugié en 1939 : Axis Rule in occupied Europe par Rafael Lemkin. Encore, ce livre ne fut-il accueilli qu'avec beaucoup de réserves : il faut convenir que ces millions de juifs systématiquement exterminés dans des chambres à gaz, c'était tout de même difficilement croyable et d'autant plus que l'accusation était portée par un homme dont la qualité de témoin n'était pas plus acceptable que dans le cas de Thomas Mann. Londres, de toute façon, ne paraît en avoir fait la référence d'aucune intervention diplomatique.

Il y a aussi le Rapport du Dr Reszö Kasztner, président du Comité de Salut desjuifs de Budapest qui [58] fait état de massacres de juifs dans l'Est européen, connus de son auteur vers la fin 1942, et de chambres à gaz dont l'existence parvint à sa connaissance en été 1943. Celui-ci est un témoin direct pour la Hongrie et, par le truchement d'un service d'information, qu'il avait créé, pour la Slovaquie, la Bohême-Moravie, la Pologne, la Roumanie et l'Autriche, un témoin de seconde main. La Hongrie ne fut envahie par les troupes allemandes que le 19 mars 1944. Jusque-là, le Dr Reszö Kasztner fut en très libre communication avec une organisation juive parallèle à la sienne dont le siège était à Constantinople, capitale de la Turquie, pays neutre où les juifs ne furent jamais inquiétés. Il ne semble pas qu'après l'invasion de la Hongrie, les Allemands aient coupé les communications des juifs de Budapest avec ceux de Constantinople, au contraire 18. De fin 1942 à l'invasion de la Hongrie par les troupes russes, donc, le Dr Kasztner informa l'organisation juive de Constantinople de tout ce qu'il savait ou croyait savoir. A partir de là, que devenaient les informations transmises ? On n'en sait rien. Quand, le 18 mai 1944, Joël Brand envoyé aux Alliés par Eichmann pour traiter de l'échange d'un million de juifs contre dix mille camions arriva à Constantinople, la première question que lui posèrent ses correspondants juifs turcs est la suivante : « ... Est-il vrai que les déportations aient commencé ? 19 » Il éprouve ensuite qu'ils n'ont que des rapports très lâches avec les ambassades anglaise et américaine. Et quand il leur parle d'envoyer un télégramme, la [59] réponse fuse : « Ce n'est pas aussi simple que cela... Nous ne sommes même pas sûrs que nos télégrammes arriveront ou qu'ils n'auront pas été tronqués 20. » Il leur raconte alors ce qui se passe et on ne le croit pas. Ayant réussi à entrer en contact avec Lord Moyne, responsable anglais pour la Palestine, celui-ci le fait mettre en prison comme imposteur 21. Enfin, le Rapport Kasztner ne fut rédigé par son auteur alors réfugié en Suisse que dans le courant de l'été 1945, officiellement pris en considération pour la première fois le 13 décembre 1945 seulement par le Tribunal de Nuremberg 22 et rendu public, en langue allemande, dans une version très loin de l'original, qu'au cours de l'année 1961, par l'éditeur Kindler, de Munich, pendant le procès Eichmann 23.

Qu'on puisse exiger de Pie XII qu'il fût mieux informé que les Alliés, il est difficile de le soutenir.

Du moins, rétorquera-t-on, pouvait-il au moins faire confiance aux Alliés et accepter leurs informations dans l'état où ils les lui faisaient parvenir, notamment la lettre de M. Myron Taylor du 26 septembre 1942 et la résolution alliée du 18 décembre 1942 24 : et pourquoi n'eût-il pas fait preuve à l'endroit de ces informations, de la même réserve que les Alliés eux-mêmes à l'endroit de leurs informateurs ?

Vérifier, il le devait. Mais de quels moyens disposait-il ? Ses nonces et c'était tout. Or, il n'en avait [60] pas en Pologne, ayant refusé de reconnaître cet État dans les limites auxquelles Hitler l'avait réduit. Il en avait en Slovaquie, en Hongrie, à Ankara, etc., c'est vrai. Mais chaque fois que ceux-ci lui ont signalé des exactions, il s'est informé et leur a donné des instructions dans le sens d'une démarche de protestation. Le lecteur connaît déjà le sort fait à toutes les protestations du Vatican qui s'entassaient « à pleins tiroirs » dans le bureau de M. Ribbentrop. Joël Brand fait état d'interventions répétées du pape, soit directement, soit par ses nonces, en Slovaquie en 1941, 42 et 43, en Hongrie, de mai à juin 1944 25. Voici, maintenant, le sort fait à une intervention de Mgr Orsenigo, nonce à Berlin, auprès de Hitler lui-même.

« Il y a quelques jours, dit le nonce, j'ai eu la mission d'aller à Berchtesgaden où j'ai été reçu par Hitler. Dès que j'ai abordé la question des juifs et du judaïsme, l'aménité de l'entretien a soudainement cesse. Hitler m'a tourné le dos et est parti vers la fenêtre où il s'est mis à tapoter sur la vitre avec ses doigts. Vous pouvez vous imaginer combien pénible était ma situation, ayant dû exposer ma requête alors que mon interlocuteur me tournait le dos. je m'en acquittai néanmoins. Hitler se retourna alors tout d'un coup, alla vers une table sur laquelle se trouvait un verre d'eau. Il s'empara du verre et avec rage, le jeta par terre. Devant ce geste hautement diplomatique, j'ai dû considérer ma mission comme terminée 26. »

[61]

Ce qui est sûr et c'est ce qu'on reproche à Pie XII, c'est que ses interventions n'étaient fondées que sur des faits vérifiés par ses propres services d'information, qu'elles étaient toujours formulées par la voie et dans le style diplomatiques (mais M. Jacques Nobécourt observe lui-même à propos de Pie X qu'un pape n'a pas d'autres moyens à sa disposition 27 : alors pourquoi ce qui vaut pour Pie X ne vaut-il pas pour Pie XII ?) et qu'elles avaient toujours gardé le caractère de « protestations contre toutes les atrocités, d'où qu'elles viennent », - dans la même forme que celles, par exemple, qu'il faisait aux Anglais et aux Américains à propos des bombardements aériens contre les populations civiles. C'était la seule forme de protestation compatible avec sa mission apostolique de « paternité totale », que seul et aussi imparfaitement soit-il, peut rendre sensible le problème de la Sabine déchirée entre son frère et son époux jetés l'un contre l'autre par les vieux des deux camps.

Le pape réagissait contre la guerre, il n'avait pas à réagir contre ses conséquences particulières pour un seul des deux camps aux prises, au détriment de l'autre camp.

Et c'est son honneur, on le répète.

Mais cette mise au point sur ce que Pie XII a su et à quelles dates, ne poursuivait d'autre but que de permettre d'apprécier à leur juste valeur les « témoins de choc » de MM. Rolf Hochhuth et consorts. Et de mettre en évidence que l'on peut être à la fois un [62] talent consacré et, moralement, un tout petit bonhomme. Exception faite, naturellement, pour le Dr Schweitzer, dont la « consécration » ne doit rien à son talent littéraire mais seulement à un exhibitionnisme adroitement mis au service d'un sens commercial des plus aigus.


V. SAÜL FRIEDLÄNDER ET LES ARCHIVES ALLEMANDES

 

L'un des nombreux procureurs de la cause qui se relaient au banc de l'accusation, chacun après que le précédent a épuisé tout son arsenal d'arguments et comme pour pallier ses déficiences, mérite une mention spéciale : le tout dernier qui soit entré en lice, M. Saül Friedländer, déjà plusieurs fois cité ici. Citoyen israélien né à Prague, M. Saül Friedländer bénéficia, bien avant que son livre, Pie XII et le IIIe Reich parût 28, d'une campagne publicitaire sans précédent pour un auteur et qui donna l'impression qu'il se lançait dans l'étude des documents allemands relatifs a l'affaire du Vicaire à la façon d'un jeune loup lâché dans une bergerie. Il allait pulvériser tous ceux qui doutaient du bien-fondé de la thèse de M. Rolf Hochhuth, on allait voir ce qu'on allait voir.

[63]

On a vu et voici ce qu'on a vu :

1. Un livre de 238 pages in-16 dont les deux tiers environ sont occupés par des commentaires de l'auteur, des documents d'autres sources qu'allemande (agence juive, archives israéliennes, anglaises, américaines), des emprunts à d'autres auteurs (Poliakov, Nobécourt, etc.) et une postface d'Alfred Grosser. De quoi il faut conclure que ce dossier du Vatican dans les archives allemandes, qui tient dans une petite centaine de petites pages, est vraiment très mince. Et les relations entre le Vatican et le IIIe Reich très lâches. M. Saül Friedländer, il est vrai, nous dit qu'il n'a retrouvé que cinq dossiers, le cinquième faisant mention d'un sixième qui a disparu. Et si ce sixième en annonçait un septième, le septième un huitième, etc. ? Cette disparition de documents dont on ne peut évaluer le nombre, oblige l'auteur à limiter son investigation au 16 octobre 1943 et il ne l'a délibérément commencée qu'à partir du 3 mars 1939 ; or, les rapports entre Pie XII et le IIIe Reich ont commencé, alors qu'il n'était encore que le cardinal secrétaire d'État Pacelli, le 30 janvier 1933 et se sont poursuivis jusqu'en avril 1945, ce qui fait que cette investigation ne court que sur quatre années et demie d'une période qui en a duré douze. Limitée dans le temps, elle l'est aussi dans son champ : M. Saül Friedländer nous présente Pie XII non pas à travers le dossier du Vatican au ministère des Affaires étrangères du Ille Reich, mais seulement à travers la correspondance de son ambassadeur au Vatican avec le secrétaire d'État de ce ministère. Encore ne nous donne-t-il que les rapports de l'ambassadeur lui-même ou de ses collaborateurs, [64] jamais les textes des instructions qui les ont motivés. Alors que la tendance des historiens modernes est, de plus en plus, de replacer les faits dans leur cadre historique au plan du temps et de l'espace, pour atteindre au maximum d'objectivité, celle de M. Saül Friedländer est de les isoler le plus possible de ce cadre.

2. La limitation de son investigation dans le temps permet, en ne la faisant débuter que le 3 mars 1939, de passer sous silence les rapports de Pie XII et du IIIe Reich pour toute la période qui court du 30 janvier 1933 au 3 mars 1939. Et voici ce que cela donne :

Le 3 mars 1939, le conseiller Du Moulin, chef des Affaires vaticanes au ministère des Affaires étrangères du IIIe Reich, dresse la fiche signalétique du pape élu de la veille et on y lit : « ... On ne peut lui reprocher d'avoir coopéré à la politique de force de Pie XI... Avec toute son énergie, il s'est opposé à la politique des intransigeants et a pris le parti de la compréhension et de la réconciliation 29. » Or, le même jour, en France, Le Populaire (journal socialiste) et L'Humanité (journal communiste) se félicitaient de l'élection d'un pape antifasciste et antinazi 30. Le conseiller Du Moulin avait totalement oublié la campagne de la presse allemande contre le Cardinal Pacelli, lors de son voyage en France en 1937 et notamment la célèbre apostrophe de l'Angriff, journal de Goebbels : « Pie XI est a moitié juif, Pacelli l'est complètement 31. » On sait d'autre part, que le [65] véritable auteur de l'encyclique Mit brennender Sorge du 14 mars 1937 qui est une condamnation impitoyable du nazisme est, bien qu'elle soit signée par Pie XI, le cardinal Pacelli, futur Pie XII. Cela que le conseiller Du Moulin avait aussi oublié, on le sait par Mgr Paganuzzi, très proche collaborateur de Pie XI et de Pie XII, qui l'a déclaré à l'hebdomadaire italien Vita en ces termes :

« Lorsque la publication de sa célèbre condamnation du nazisme fut imminente, Pie XI reçut en audience privée, avec le cardinal Pacelli, deux cardinaux allemands : Faulhaber et je ne sais plus si c'était Schultz, de Cologne, ou Bertram de Breslau.
« Le pape leur donna à lire le texte définitif de l'encyclique, leur demandant leurs avis et commentaires. Les deux cardinaux félicitèrent le pape pour la juste dénonciation des erreurs nazies et le rejet circonstancié de positions contraires à tous les principes moraux et à la loi naturelle et existante, soulignant que ces positions nazies étaient responsables de l'état précaire des relations entre l'Église et non seulement le Reich mais l'ensemble du catholicisme allemand.
« Le vieux pape fut manifestement heureux des compliments et de l'approbation des deux cardinaux allemands. A un moment donné, désignant du doigt le cardinal Pacelli et après un temps d'arrêt pour souligner ce qu'il allait dire, il déclara lentement : « Remerciez-le... Il a tout fait... A présent, c'est lui qui fait tout 32. »

Et la preuve irrécusable en a été administrée par [66] La France catholique, qui a publié 33 la photocopie d'un fragment d'épreuve de cette encyclique sur lequel figurent, non des corrections typographiques mais des corrections d'auteur de la main du cardinal Pacelli.

[Légende d'une image non reproduite ici : Cliché tiré de La France catholique, 4 décembre 1964. Fac-similé d'un fragment d'épreuve de l'encyclique Mit brennender Sorge, corrigée de la main du Cardinal Pacelli, futur Pie XII, alors Secrétaire d'État de Pie XI : par quoi l'on voit qu'il s'agit, non de corrections typographiques mais de corrections d'auteur, ce qui confirme le propos de Pie XI rapporté par le Cardinal Paganuzzi.]


Enfin, on sait par le R. P. Leiber que, le IIIe Reich ayant signé un concordat avec le Vatican, concordat [67] qui fut violé dès le lendemain de sa signature et d'innombrables fois dans la suite, toutes les protestations du Vatican contre ces violations répétées 34 sont de la main même du secrétaire d'État Pacelli, le seul d'ailleurs qui, en sa qualité de père du droit concordataire qu'il avait mis sur pied, fût a même de les formuler. Et par La Documentation catholique qui les reprend des Acta Apostolicae Sedis, que c'est à son initiative on doit la condamnation par la Suprême Congrégation du Saint-Office de livres comme Le Mythe du Vingtième Siècle d'Alfred Rosenberg 35, L'Église nationale allemande sur le même thème qui est le mythe de la race et du sang, de E. Bergmann 36, L'Émigration des juifs en Chanaan, de l'abbé Schmidtke, professeur à la Faculté de théologie de Breslau 37, etc. et de décisions du gouvernement du Reich comme la stérilisation des personnes atteintes de maladies hérédi[68]taires 38 et la mise à mort (euthanasie) des infirmes irrécupérables qui sont une lourde charge pour la Société 39. La méthode permet à M. Saül Friedländer de passer tout cela sous silence et de nous présenter un Pie XII qui n'a de commun avec sa véritable figure historique rien de plus que celui de M. Rolf Hochhuth. Elle lui permet même d'écrire : « Les archives du Vatican pourront seules révéler si les sermons de Mgr Galen, évêque de Munster, qui, en août 1941, s'éleva publiquement contre la mise à mort des malades mentaux et obligea Hitler à mettre fin a cette action, furent prononcés sur instructions du pape ou ne furent dus qu'à l'initiative personnelle de l'évêque 40. »

Ce qui prouve qu'il n'a même pas lu ces sermons, lesquels se réfèrent en toutes lettres a la décision de la Suprême Congrégation du Saint-Office du 2 décembre 1940, qui a valeur « d'instruction du pape » et qui, en l'occurrence, en est une puisqu'elle a été prise sous son pontificat.

La même méthode lui permet enfin de prétendre que : « On se souvient sans doute que l'ancien nonce à Munich et à Berlin fut l'initiateur du concordat entre le Saint-Siège et le IIIe Reich... 41 », sans même s'apercevoir qu'il cite lui-même un document où il est dit que « le concordat avec le Reich avait été [69] le résultat d'un désir exprimé par l'Allemagne 42 ».

3. La limitation de l'investigation aux rapports d'un ambassadeur permet des remarques comme celle-ci : dans le même temps que M. Tittmann, de la mission Roosevelt au Vatican, se déclare d'accord avec le pape sur les réponses qu'il lui fait au sujet et de ses représentations relatives à son Message de Noël 1942, et notamment lorsqu'il lui dit que ce Message « devait être bien accueilli par le peuple américain 43 », l'ambassadeur allemand Bergen - qui resta en poste au Vatican jusqu'au 4 juillet 1943 - se félicite auprès de son gouvernement que ce même pape ne cède pas aux sollicitations des Anglo-Saxons dans le sens d'une condamnation des seuls crimes nazis. En somme, si on se fie aux rapports juxtaposés des deux ambassadeurs, tout le monde devrait être content de ce Message de Noël 1942 ! Or, on sait bien qu'il était loin d'en être ainsi : dans la réalité, tout le monde était mécontent, les Allemands parce qu'il était trop précis, mais leur ambassadeur leur démontrait que ce n'était pas grave en mettant l'accent sur la cordialité avec laquelle il était reçu par le pape ou sur « des informations de sources autorisées qui permettaient d'affirmer qu'il était de coeur aux côtés des puissances de l'Axe 43 », les Américains parce que ce Message n'était pas assez précis, mais leur ambassadeur leur déclarait que pourtant c'était clair, ce qui [70] laissait entendre qu'il n'était pas douteux qu'on était sur la bonne voie et qu'on parviendrait au but.

Il faut se méfier des rapports d'ambassadeurs. Tous les historiens savent qu'un ambassadeur est surtout préoccupé de mettre en valeur son action sur le gouvernement auprès duquel il est accrédité et que la version qu'il donne d'un fait relatif à la politique extérieure de son propre gouvernement, comme des réactions qu'elle provoque sur celui du siège où il est en poste, n'a de valeur que par comparaison avec les rapports des autres ambassades du siège sur le même fait et les mêmes réactions, ou les échanges d'instruments diplomatiques qui sont la conséquence de l'action de l'ambassadeur si elle est couronnée de succès. Dans le cas de Bergen et de son successeur Weizsäcker, leur mission a été un échec total et ils n'en ont été, l'un et l'autre, que plus enclins à mettre l'accent sur l'échec des ambassadeurs alliés en l'expliquant par les sympathies du pape pour les puissances de l'Axe a travers leurs personnes et dues à leur action.

Mais quelle était la mission d'un ambassadeur de Hitler auprès du Saint-Siège ? Sur ce point, nous sommes très exactement renseignés par le compte rendu de l'entretien qu'eut, avec Pie XII puis avec son Secrétaire d'État Mgr Maglione, M. Ribbentrop lui-même, au Vatican le 11 mars 1940 :

« Le Führer, dit Ribbentrop, était d'avis qu'un arrangement fondamental entre le national-socialisme et l'Église catholique était tout à fait possible. Par contre, il n'y avait pas de sens à essayer d'arranger les relations entre l'un et l'autre en abordant des problèmes séparés de tel ou tel ordre ou en établis[71]sant des accords temporaires. Ils [l'État national-socialiste et l'Église] devaient plutôt aboutir à un moment donné, à un arrangement général et fondamental de leurs relations, qui formerait alors véritablement une base permanente de coopération harmonieuse entre eux [...]. Il fallait, de plus, toujours garder à l'esprit qu'un arrangement entre le national-socialisme et l'Église catholique dépendrait d'une condition préliminaire principale, à savoir que le clergé catholique en Allemagne abandonnât tout genre d'activité politique et se limitât seulement au soin des âmes, la seule activité gui entrât dans la compétence du clergé. La reconnaissance de la nécessité de cette séparation radicale ne semblait pas encore être l'avis unanime du clergé catholique allemand. [...] Le clergé catholique doit être convaincu de l'idée qu'avec le national-socialisme, une forme entièrement nouvelle de vie politique et sociale est apparue dans le monde 45. »

C'est clair : il s'agit d'une révision du Concordat qui laisse au clergé allemand une certaine latitude politique (notamment par son article 31 sur les organisations de jeunesses) intolérable pour Hitler. S'il se montre d'accord sur « les faits concrets tels que le ministre les a mentionnés » Pie XII ne donne pas suite et « essaye de tourner la conversation vers certains problèmes spécifiques et certaines plaintes de la Curie » mais le ministre coupe court en « soulignant une fois de plus la nécessité d'un arrangement fondamental et général de l'ensemble des relations entre l'Église et l'État ».

[72]

La mission de l'ambassadeur Bergen et de son successeur était donc d'amener Pie XII, sinon à un échange d'instruments diplomatiques dont l'objet serait une modification du Concordat, du moins à une déclaration susceptible d'amener le clergé catholique allemand à l'idée d'une renonciation à l'exercice de son influence politique et à l'idée qu'avec le national-socialisme, une forme entièrement nouvelle de vie politique et sociale est apparue dans le monde. En pleine guerre, c'était l'équivalent d'une prise de position en faveur des puissances de l'Axe. Bergen n'y ayant pas réussi, il fut remplacé par Weizsäcker au moment où le Führer et Ribbentrop furent convaincus qu'il n'avait plus aucune chance de succès.

Cela ne l'empêcha pas de mettre en valeur jusqu'à l'extrême limite le rôle qu'il avait joué dans ses fonctions : le jour où il fut chargé de demander l'agrément pour son successeur, il écrivit à son ministre une lettre dans laquelle il disait le désarroi du Vatican où il était le seul, en raison des relations « intimes qu'il s'y était créées - il était en poste au Vatican depuis 1920 ! - à pouvoir réussir et qu'un tel changement en un tel moment était impossible 46 ».

Weizsäcker, son successeur, n'eut pas le temps de rendre son échec sensible aux yeux de Hitler.

Il faut d'ailleurs se méfier, non seulement des rapports d'ambassadeur, mais du style diplomatique dans son ensemble qui est le propre, non seulement des ambassadeurs mais des chefs d'État eux-mêmes. Exemple : Pie XI qu'on oppose à Pie XII pour son [73] antinazisme de bon aloi accueillit Papen, lors de son arrivée au Vatican pour l'affaire du Concordat, en ces termes :

« Permettez-moi de vous dire combien je suis satisfait de voir en la personne de Hitler le gouvernement allemand présidé par un homme qui a pris pour devise la lutte acharnée contre le communisme et le nihilisme 47. »

Et M. Max Gallo 48 cite de lui un nombre assez appréciable de propos de même nature adressés à Mussolini. Ce sont là propos qui n'ont d'autre valeur que celle de formules de politesse, - regrettables sans doute, mais inscrits dans les bons usages comme ceux des maîtresses de maison recevant leurs invités 49. Il n'empêche que toute l'équipe du Vicaire encense la [74] mémoire de Pie XI et voue aux gémonies celle de Pie XII qui n'en dit jamais plus et, peut-être même, jamais autant, ni à Hitler ni à Mussolini et pas davantage à leurs représentants.

4. Enfin, il y a le style dont use M. Saül Friedländer pour présenter son dossier. Il le reconnaît très incomplet, il admet que les rapports d'ambassadeurs sont suspects, qu'il lui manque des éléments d'appréciation, etc. Mais il n'en pense pas moins que les documents qu'il cite sont cependant « très significatifs » pris un à un et, quant à l'ensemble, qu'il représente néanmoins « un apport important » à l'étude de la question, ou est « d'une valeur historique indéniable pour la compréhension des événements 50 ».

La mise en valeur de la « profonde sympathie [de Pie XII] pour l'Allemagne... » « que le régime nazi n'a pas altérée », ajoute son compère Alfred Grosser dans sa postface. Comme si la France n'était pas restée pour Pie X « la fille aînée de l'Église » malgré le « petit père Combes » au début de ce siècle. L'expression « profonde sympathie pour l'Allemagne » et tant d'autres de même sens, sont chaque fois amenées de telle sorte que le lecteur traduise « pour le nazisme ». Petite forfaiture.

L'attention spécialement attirée sur la lettre de [75] Pie XII à Hitler pour l'informer de son élection. Ici, l'auteur cite Mgr Giovanetti 51 : « Par sa longueur, dit ce prélat, comme par les sentiments qu'elle exprimait [cette lettre] différait totalement des autres lettres officielles expédiées du Vatican à la même date. » Le commentaire « suggère » une sympathie particulière pour Hitler. Mais comment cette lettre eût-elle pu ne pas être « différente des autres lettres officielles » ? Avec quel autre État le Vatican avait-il à régler des problèmes aussi aigus qu'avec l'Allemagne ? On se reporte à Mgr Giovanetti et on s'aperçoit que c'est le sens qu'il faut donner à sa remarque.

Une façon de citer les textes : « Il n'y a que deux mille catholiques en Norvège ; dès lors, bien qu'il juge sévèrement l'aspect moral [de l'invasion de la Norvège par les troupes allemandes] du point de vue pratique, le Saint-Siège doit penser aux trente millions de catholiques allemands 52. » On se reporte à l'abbé Paul Duclos d'après qui ce texte est cite comme tiré de l'Osservatore Romano et on s'aperçoit qu'il n'en est pas tiré mais qu'il provient d'un autre auteur, M. G.L. Jaray 53 qui le cite sans référence. On s'aperçoit [76] aussi qu'après avoir qualifié le texte de « cynique », l'abbé Paul Duclos ajoute que s'il est tiré de l'Osservatore Romano, ce texte ne peut être que « le fait d'un sous-rédacteur et qu'il a échappé à la censure du journal ». Mais M. Saül Friedländer s'est bien gardé de citer intégralement.

Autre petite forfaiture. On sait que l'évêque Galen, de Münster, ayant condamné l'euthanasie, M. Saül Friedländer ne sait pas « si c'est une initiative personnelle [de lui] ou sur instructions du pape 54 » et on sait aussi que s'il ne sait pas que c'est conformément aux instructions du pape, c'est parce qu'il ne s'est pas reporte aux textes, ou que, dans l'intention d'insinuer, il a fait comme s'il ne s'y était pas reporté. Mais, lorsque l'archevêque Constantini prononce à la basilique de Concordia (province de Venise) un discours dans lequel il dit : « Nous espérons de tout notre coeur que ce combat [celui des soldats allemands et italiens sur le front russe] nous apportera la victoire finale et la destruction du bolchevisme » en appelant « la bénédiction de Dieu sur ceux qui, en cette heure décisive, défendent l'idéal de notre liberté contre la barbarie rouge 55 », l'ambassade de Berlin au Vatican informe Berlin « qu'il est impossible que [cette allocution] n'ait pas été prononcée avec l'accord du Saint-Siège 56 » sans fournir la moindre référence d'ailleurs, et M. Saül Friedländer lui emboîte le pas en concluant que « Le Rapport de [77] Menshausen semble [sic] décrire de manière assez plausible [resic] l'attitude adoptée par Pie XII 57 ».

Le même procédé est utilisé lorsqu'il s'agit de l'Osservatore Romano : si, de hasard, ce journal publie, relativement à la conduite de la guerre, une information qui lui semble attaquable, M. Saül Friedländer ne manque jamais de remarquer qu'il reflète l'opinion du pape ; mais s'il publie un communiqué sur un fait à propos duquel le pape a jugé que ce communiqué suffisait, M. Saül Friedländer ne manque non plus jamais de faire remarquer que l'Osservatore Romano a parlé mais que le pape s'est tu, ce qui « suggère » qu'alors, il ne reflète pas l'opinion du pape.

Il faut partir des faits : le 14 mars 1937, le Vatican a condamné le nazisme (encyclique Mit Brennender Sorge) et, le 19 du même mois, le bolchevisme (encyclique Divini Redemptoris). Dans la suite, aucune modification n'ayant été apportée à ces deux condamnations, du moins les Acta Apostilicae Sedis n'ayant fait état d'aucune, on est fondé à penser qu'elles sont toujours valables dans le sens même où elles ont été formulées. On est même fondé a le penser plus encore en ce qui concerne celle du nazisme qui, sous Pie XII comme sous Pie XI, a été plusieurs fois renouvelée 58, ce qui n'est pas le cas de celle du bolchevisme. Or, M. Saül Friedländer présente ses documents de telle sorte que les commentaires dont il les fait suivre disent expressément le contraire, à savoir que, si Pie XII a maintenu intégralement la condamnation du bolchevisme par Pie XI, précisément par peur du [78] bolchevisme, il n'a cessé de revenir sur celle du nazisme, non pas en principe mais en fait, le considérant comme le seul rempart de quelque efficacité contre l'extension du bolchevisme.

Sous sa plume, on trouve des observations comme celle-ci : « Pie XII ne prendra jamais publiquement position contre l'Union soviétique 59. » Mais, dès l'entrée en guerre de l'Allemagne contre la Russie, dit-il, « ce qui inquiète désormais Pie XII est une extension possible du bolchevisme grâce à la guerre 60 », « où dès le printemps 1943, la crainte d'une bolchevisation de l'Europe semble (sic) dominer les considérations politiques du Saint-Siège 61 », ou encore, « Pie XII craignait une bolchevisation de l'Europe plus que toute autre chose (plus que le nazisme donc, P. R.) et espérait, semble-t-il [resic] que l'Allemagne hitlérienne réconciliée avec les Anglo-Saxons serait le rempart fondamental contre toute avance de I'Union soviétique vers l'ouest 62 ».

Malheureusement, si cette thèse tire sa vraisemblance des rapports des ambassadeurs allemands au Vatican, Bergen et Weizsäcker, aucun texte de Pie XII ne vient corroborer les rapports de ces deux ambassadeurs et aucun de ses actes non plus.

M. Saül Friedländer en trouve pourtant. Telle cette allocution prononcée par le pape le 18 octobre 1939 alors qu'il recevait le nouveau ministre de Lithuanie auprès du Saint-Siège :

Conclusion de M. Saül Friedländer : « Mgr Giovanetti qui cite ces propos écrit que le pape faisait allusion à la terrible menace du communisme athée et jugeait de son devoir de signaler le péril 64. »

Or, si l'on se reporte a Mgr Giovanetti, on y trouve qu'il situe ce propos au moment où la Pologne venant d'être partagée entre l'Allemagne et la Russie, les Pays Baltes se trouvaient maintenant directement menacés et « cette ombre sinistre de la pensée et de l'oeuvre des ennemis de Dieu [qui] s'allonge chaque jour plus menaçante et plus proche » est celle du nazisme et du bolchevisme. Comme, jusque-là, il n'avait pas été question du bolchevisme pour les Pays baltes dont fait partie la Lithuanie à qui il s'adresse en la personne de son ambassadeur, Pie XII ne fait pas allusion à, comme le prétend M. Saül Friedländer, mais, dit Mgr Giovanetti, « élargit son discours à [...] la terrible menace du communisme athée etc 65. ».

Il y a tout de même une nuance.

Car pour être « élargie » au communisme, la condamnation n'en vise pas moins le nazisme tout aussi « ennemi de Dieu ».

Par quoi l'on voit, une fois de plus, que le souci de [80] citer les textes en les respectant dans leurs termes et dans leur sens n'étouffe pas M. Saül Friedländer.

En fait, tous les discours que Pie XII a tenus pendant toute la guerre se situent sans exception dans le prolongement des deux encycliques Mit brennender Sorge et Divini Redemptoris signées Pie XI, et de celle par laquelle il a inauguré son règne le 20 octobre 1939, Summi Pontificatus qui en reprend les thèmes. Tous ils condamnent à la fois le nazisme et le communisme « ennemis de Dieu ». Tous ils s'interdisent d'entrer dans les litiges qui opposent les belligérants. Tous ils condamnent « les atrocités de la guerre d'où qu'elles viennent ». Tous ils proclament au nom du « salut de la civilisation chrétienne » la nécessité du « retour aux principes de la justice et de la paix véritable ».

Satisfaits que jamais Pie XII n'ait consenti à condamner l'Allemagne seule - il n'a pas davantage et à aucun moment, porté condamnation contre les Anglo-Saxons seuls - les ambassadeurs allemands au Vatican ont chaque fois interprété cette manière de parler comme une preuve de sympathie pour l'Allemagne en l'attribuant à leur action personnelle. Et M. Saül Friedländer leur a, chaque fois, emboîté le pas en précisant que cette sympathie allait, non seulement à l'Allemagne, mais à l'Allemagne devenue un rempart contre le bolchevisme parce qu'elle était nazie. En réalité, le style même de tous les discours pontificaux prouve, comme l'allocution de réception au nouvel ambassadeur de Lithuanie ci-dessus citée, que si Pie XII, qui condamnait à la fois nazisme et bolchevisme comme « ennemis de Dieu » et « péril pour la civilisation chrétienne », craignait quelque [81] chose, c'est que, ainsi que le dit Weizsäcker dans le seul de tous les documents de M. Saül Friedländer qui valait la peine d'être cité, « sous le poids des événements de l'Est, l'Allemagne ne se décide, en définitive, à se jeter dans les bras des Russes », en ajoutant que « la thèse selon laquelle les gouvernements allemand et russe sont déjà en contact est indéracinable au Vatican 66 ».

Alors, c'était la subversion de la civilisation chrétienne c'est-à-dire de l'Europe et du monde entier par le nazisme et le bolchevisme associés. Et c'était bien là une préoccupation de « Vicaire du Christ » au même titre et au même niveau que la guerre et la paix.

6. On reviendra, notamment dans l'analyse de l'attitude de Pie XII devant la guerre, sur quelques arguments de M. Saül Friedländer relatifs à l'interprétation qu'il donne de cette attitude. Il suffisait, pour l'instant, que le lecteur fût fixé sur la fragilité de sa thèse fondamentale selon laquelle, considérant l'Allemagne nazie comme un rempart de la civilisation contre le bolchevisme, il ne fit rien pour l'affaiblir et tout pour provoquer un renversement des alliances. Il est évident, ainsi qu'on le soutiendra, qu'après n'avoir pas réussi à empêcher la guerre de s'abattre sur le monde, il fit tout pour l'écourter et tout, seulement dans ce sens. On ajoutera encore un mot ici, pourtant : si M. Saül Friedländer croit vraiment qu'il a apporté des éléments neufs et inédits susceptibles « d'aider a la compréhension des événements », il se fait beaucoup d'illusions. Car il [82] suffisait d'avoir lu Mgr Giovanetti (L'Action du Vatican pour la Paix), l'abbé Paul Duclos (Le Vatican et la Seconde Guerre mondiale), François-Charles Roux (Huit ans au Vatican), Camille Cianfara (La Guerre et le Vatican), Michele Maccarrone (Il Nationalsocialismo e la santa Sede), pour connaître, sinon dans le texte intégral du moins dans le contenu, et de façon à la fois beaucoup plus objective et plus précise, non seulement tout ce qui est dit dans les documents qui nous sont présentés par M. Saül Friedländer, mais beaucoup plus.

VI. LA DÉFENSE

A l'exception près, dans cette polémique, la défense ne fut, ni plus substantielle ni plus brillante que l'accusation. La raison en est que n'ayant, dans son ensemble et en dépit qu'on en ait, à peu près rien compris au comportement de Pie XII, elle n'avait ni terrain de combat ni munitions, et ne pouvait que se laisser entraîner sur le terrain minutieusement prépare que l'accusation avait choisi pour l'écraser. En rase campagne et désarmée contre un ennemi solidement retranche et armé jusqu'aux dents, - qui de surcroît, avait très bien compris, lui, le comportement de Pie XII si moralement meurtrier pour lui. Pour tout dire, la bonne foi sans compétence, contre la mauvaise foi exercée.

En mourant, pourtant, Pie XII avait légué à ses héritiers spirituels une sorte de forteresse de la pensée que, poursuivant dans la foulée de Léon XIII, Pie X, Benoît V et Pie XI, il n'avait lui-même pas [83] peu contribué à rendre quasiment inexpugnable : qu'on le regrette ou qu'on s'en réjouisse, jamais encore l'Église romaine n'avait atteint à une telle puissance de rayonnement. Autant qu'à l'extrême sensibilité dont elle n'avait cessé de faire preuve à l'endroit de la condition humaine depuis Léon XIII, elle le devait en matière de relations internationales, a une politique de conciliation qui, depuis Pie X, l'avait fait apparaître comme inébranlablement attachée à la paix. En 1958, à l'avènement de Jean XXIII, il restait dans la mémoire des peuples que Pie X n'avait, au prix d'efforts surhumains, pas réussi à empêcher la première guerre mondiale d'éclater ; que Benoît XV n'avait pas réussi à rétablir les relations internationales en 1916-1917 et qu'ayant été écarté du Traité de Versailles, il n'avait pris aucune part à la rédaction d'un texte qui était à l'origine de la seconde guerre mondiale ; que Pie XI et Pie XII n'avaient jamais cessé d'en suggérer, si discrètement soit-il, la révision dans les perspectives de la justice entre les nations ; que Pie XII lui-même n'avait réussi ni à empêcher la seconde guerre mondiale d'éclater, puis de s'étendre au monde entier, ni réussi à l'écourter. Pour tout dire, très ouverte à la compréhension des problèmes sociaux, à la mort de Pie XII, l'Église romaine était au surplus, des puissances qui gouvernent le monde, la seule à laquelle on ne pouvait imputer aucune responsabilité, ni dans l'une ni dans l'autre des deux guerres mondiales. Et, en ce qui concerne la seconde, tout le mérite de cette non-responsabilité, de l'éclat qui en rejaillissait sur l'Église et du bénéfice qu'elle en tirait, revenait à Pie XII. Pourtant aux yeux de [84] tous ceux qui, après avoir porté Hitler au pouvoir en Allemagne (et Pie XII n'en fut pas, loin de là !) ne virent plus ensuite que la guerre comme seul moyen de l'en chasser (on est même fondé à se demander si ceux-là n'ont pas porté Hitler au pouvoir pour avoir l'occasion de faire la guerre à l'Allemagne et de l'écraser plus complètement encore qu'à Versailles) comme aux yeux des Églises concurrentes, protestante et juive notamment, il devint un pape pro-nazi, de même qu'aux yeux de Clemenceau, Benoît XV était devenu un « pape boche » et pour des raisons identiques.

Tout le problème du Vicaire était là.

De ces hauteurs d'où Pie XII, qui s'y était hissé apparemment sans effort, tint si souvent, relativement à la guerre et à la paix, des propos d'authentique « Vicaire du Christ » 67 qui ne peuvent manquer [85] d'apparaître un jour comme autant de « Sermons sur la Montagne », ses défenseurs se sont laissé entraîner dans une discussion, non pas des atrocités de la guerre, ce qui n'eût pas été tellement descendre, mais des seules atrocités nazies et seulement dans la mesure où les juifs en étaient victimes. Comme si une guerre n'était qu'une affaire d'atrocités et ne posait pas, avant tout, des problèmes de justice. Comme s'il pouvait y avoir des guerres sans atrocités de part et d'autre de la ligne de feu. Comme si les conventions de Genève et de La Haye n'étaient pas qu'un stratagème des meneurs du jeu pour persuader la masse des naïfs qu'il y a des possibilités d'humaniser la guerre et que, donc, la mettre hors la loi n'est plus qu'un faux problème. Comme si, enfin, dans les cinquante millions de victimes de la seconde guerre mondiale, les victimes non juives, de dix à vingt fois plus nombreuses et mortes dans des conditions tout aussi atroces - même sous le feu des Alliés ! -, ne présentaient pas le moindre intérêt.

Comment diable une telle chute a-t-elle bien pu se produire ? Au fond la réponse est assez simple, et, parce qu'on doit la vérité même à ses amis, les défen[86]seurs de Pie XII m'excuseront de la leur donner dans les termes crus qui sont dans mes manières : aux heures sombres de 1939, d'avril à septembre, tandis que ce pape fraîchement élu s'évertuait à démontrer aux futurs alliés dans la guerre contre l'Allemagne que tous les problèmes européens pouvaient encore être réglés conformément aux principes de la justice par des négociations du type de celles qui avaient si heureusement réussi à Munich en septembre précédent, la plupart d'entre eux, quoique vénérant a la fois l'homme et la charge, étaient déjà persuadés qu'il n'y avait plus d'autre moyen d'en « finir » avec Hitler que d'en découdre avec lui. Et, en 1963, porter le problème sur ce terrain où Pie XII s'était placé, signifiait pour ceux-là reconnaître qu'ils n'avaient pas suivi le berger et qu'ils s'étaient trompés. Or, c'est humain, on ne reconnaît pas facilement qu'on s'est trompé : les saints eux-mêmes... Il y a tout un passé de l'humanité dont les consciences sont toujours imprégnées, qui ne permet pas facilement de rendre sensible aux hommes que la guerre est toujours évitable : beaucoup de ceux que Le Vicaire a heurtés et jetés dans la lice pour y défendre la mémoire de Pie XII, de très bonne foi et sans même s'apercevoir qu'ils n'ont rien de commun avec sa pensée, sont encore, malgré les cinquante millions de victimes, malgré les milliards de milliards de dégâts, malgré une paix plus fragile après qu'avant la dernière guerre, persuadés que cette guerre a eu de très heureux résultats et que sans doute elle... Bref, je suis prêt à faire un pari : il ne semble pas douteux que, si les rapports entre l'Est et l'Ouest s'aggravaient au point où ils se sont aggravés entre [87] les Anglo-Saxons et l'Allemagne en 1939, Paul VI tiendrait aux uns et aux autres le même langage que son prédécesseur et ne serait pas davantage entendu ni donc suivi. Il s'ensuit qu'après cette prochaine guerre, les défenseurs d'un Paul VI pareillement mis en accusation, seraient non moins pareillement gênés.

Dans le cas de ceux de Pie XII, où il n'est pas besoin de raisonner sur des hypothèses puisque nous sommes abondamment pourvus en faits, il y a peut-être une excuse : sa première encyclique, Summi Pontificatus, ne fut publiée que le 20 octobre 1939 alors que le mal était déjà fait. Mais il y a aussi quelque chose de plus grave et c'est que ce mal n'était pas irréparable. Or, lorsqu'il vint leur dire qu'il n'y avait « ni Grecs ni juifs » en les prévenant que : « (c'était) à bien des égards, à l'heure des ténèbres (Luc 22, 53) que vous parviendra, vénérables frères, Notre première encyclique... » et que « les peuples tragiquement emportés dans le tourbillon de la guerre, ne sont peut-être qu'au commencement des douleurs (Mat. 28, 8) [et que] déjà, en des milliers de familles, règnent la désolation, la misère et la mort, [que] le sang d'innombrables êtres humains, même non combattants, a été versé et crie vers le ciel... » etc., ils ne l'entendirent pas davantage et pas davantage non plus, l'année suivante, alors que de juillet à octobre, il essayait de rétablir les ponts entre les belligérants.

A cette époque, leur pape n'était plus Pie XII mais le pitoyable Churchill et son coadjuteur le non moins pitoyable Roosevelt.

En somme, les défenseurs de Pie XII étaient aussi [88] gênés par leurs prises de position passées sur la guerre que ses accusateurs étaient, pour des raisons inverses, acharnés à justifier les leurs et c'est pourquoi, de part et d'autre, on évita d'examiner le problème au fond.

Les défenseurs de Pie XII n'avaient pas compris, ou pas saisi sa pensée, qui était de défendre la paix. Dès lors, il ne leur restait comme argument que de démontrer que le pape n'avait presque rien su des atrocités nazies, et que dans la mesure où il avait su, il avait protesté autant qu'il avait pu, en n'ayant comme limite que le souci de ne pas aggraver le sort des victimes.

Sur ce terrain, ils ne pouvaient qu'être les plus faibles devant des adversaires sans scrupule, dont l'argument le plus honnête était la sollicitation des textes. Dès lors, ces derniers eurent beau jeu d'affirmer que Pie XII n'avait jamais cessé de témoigner sa sympathie à l'Allemagne nazie et que, s'il s'était prononcé contre la guerre en 1939, c'était en raison de cette sympathie, non pas par pacifisme, ce qui déshonorait ses efforts en faveur de la paix.

Les bellicistes n'ont pas d'imagination : en 1914, les ancêtres de ceux de 1939 avaient déjà utilisé le procédé contre Pie X dont les efforts en faveur de la paix furent interprétés par eux comme n'étant qu'une preuve de sa sympathie pour François-Joseph (parce que, en 1903, celui-ci avait favorisé son élection à la papauté en s'opposant à celle du cardinal Rampolla) et, en 1917, contre Benoît XV (le « pape boche » de Clemenceau). Mais, en se laissant acculer au mur des seules atrocités nazies, les défenseurs [89] de Pie XII s'étaient interdit d'utiliser l'argument. Et, avec leur pape qui n'avait pas su ou qui, dans la mesure où il avait su, n'avait pas pu, sauf au prix de provoquer le pire, ils ne ripostaient plus que par des flèches à des bombes atomiques.

C'était vrai, répétons-le, que Pie XII n'avait pas su. Mais c'était très pauvre puisque ce n'était pas le problème. C'était vrai aussi qu'il avait toujours eu le souci d'éviter le pire et que c'était la raison de sa « réserve » - le mot est de lui - mais c'était justement ce qu'on lui reprochait. « Il faut parfois avoir le courage de préférer le nécessaire à l'utile », est même allé jusqu'à dire M. Alfred Grosser 68, mentor de M. Saül Friedländer *. Aux yeux des ennemis de Pie XII, ce mot, qu'ils se gardent bien de replacer dans son contexte, a le caractère d'un aveu. La « réserve » du pape s'explique par le souci de ne pas aggraver les maux déchaînés sur l'humanité et le souci de rester le Père de tous. Or, ici, la marge entre l'« utile » et le « nécessaire », c'était bien livrer ou ne pas livrer aux représailles de Hitler, sans rien changer au sort des juifs sinon en pire, les quelque quarante à cinquante millions de catholiques qui vivaient dans l'espace européen occupe par les troupes allemandes. Se condamner au silence absolu : il suffisait que Mussolini interdît l'Osservatore Romano et coupât l'électricité à Radio-Vatican pour éteindre sa voix 69. Par quoi l'on voit qu'il n'était même pas nécessaire de le déporter, hypothèse qui fut envisagée, [90] on le sait par Weizäcker, et, on le sait aussi 70, éventualité que Pie XII ne redoutait nullement, tout le monde en convient, y compris ses accusateurs bien qu'ils aient tenté de lui prêter cette crainte. S'interdire tout effort ultérieur, à la fois en faveur des juifs eux-mêmes - il en sauva quelques-uns ! 71 - et du rétablissement des relations internationales qu'il ne cessa d'espérer. Enfin, soit en se faisant déporter, soit en se laissant enfermer dans le Vatican sans aucune possibilité de communication avec l'extérieur, abandonner le gouvernail de « la barque de Pierre » et la laisser partir à la dérive sur l'océan tumultueux d'un monde en folie, avec ses quelque cinq cent millions de passagers...

Que M. Alfred Grosser, tout professeur qu'il soit a I'École des hautes études de Paris, ne se rende pas compte qu'avec sa formule du choix à faire en faveur du « nécessaire » de préférence à « l'utile » il est a la fois ridicule et odieux - ridicule parce qu'il demande à un pape de démissionner, et odieux parce que, même sans espoir de sauver les juifs, il fallait quand même sacrifier quarante à cinquante millions de catholiques -, passe encore : de cette sorte de [91] gens, il faut s'attendre à tout. Mais voici qui passe l'entendement : les défenseurs de Pie XII ne se sont même pas aperçus qu'en comprenant très bien que Gerstein se taise publiquement pour n'exposer pas sa famille aux représailles de la Gestapo 72, le singulier jésuite Riccardo de M. Rolf Hochhuth jetait l'interdit sur l'utilisation de cet argument, à peine de prétendre que la vie du quarteron de protestants vivant en Allemagne sous la raison familiale des Gerstein était plus précieuse pour l'avenir du monde que celle de quarante à cinquante millions de catholiques.

Je sais bien ce qui a le plus retenu les défenseurs de Pie XII d'élever le débat : en le portant à ses dimensions réelles, ils ne pouvaient manquer de le faire déboucher sur le problème des responsabilités de la seconde guerre mondiale. Le thème central en serait alors devenu ce point de vue attribué à Pie XII par l'ambassadeur allemand au Vatican, Bergen, [92] et qui explique son attitude avant et pendant toute la durée de la guerre : « Le pape adoptait une attitude très claire dans le conflit... il condamnait les agressions de l'Allemagne et sa politique anticatholique, mais voyait en même temps d'un mauvais oeil l'attitude des peuples riches, l'Angleterre et la France, qui n'étaient pas disposées à laisser aux peuples jeunes, l'Allemagne et l'Italie, une partie de l'empire colonial qui leur était dévolu par hasard... 73 » En d'autres termes, la condamnation du Traité de Versailles, ce qui impliquait, si l'on voulait défendre la mémoire de Pie XII, l'exaltation de ses prises de position successives sur la nécessité de conformer ce traité aux impératifs de la justice entre les nations, donc sa révision seule susceptible d'éviter la guerre et, par voie de conséquence, une prise de position contre la déclaration de guerre de l'Angleterre et de la France à l'Allemagne, puis, la guerre étant survenue, contre l'extension du conflit qu'en soient cause Mussolini, Churchill ou Roosevelt, uniquement soucieux qu'il était de voir revenir l'« heure » (qu'il guettait) de la résurrection par le retour « aux principes de la justice et de la paix véritables 74 ». Comprendre le rôle du pape, cela impliquait aussi, et c'était surtout là que chez les défenseurs de Pie XII blessait le bât, en même temps que la condamnation « des agressions allemandes », le texte ci-dessus cité le dit clairement, celle de « l'attitude des peuples [93] riches, l'Angleterre et la France », c'est-à-dire la répudiation de la thèse si en faveur actuellement et à laquelle le procès des grands criminels de guerre de Nuremberg a donné force de loi, de la responsabilité unilatérale de l'Allemagne, même de celle de Hitler, dans le déclenchement de la seconde guerre mondiale, en faveur de celle des responsabilités partagées. Ici, les défenseurs de Pie XII - et je ne parle pas des sots du type du R. P. Riquet qui, pour des raisons d'ailleurs assez peu nobles, furent d'inconditionnels « pousse-au-crime » en 1939 et continuent à se regarder dans la glace en s'admirant pour ce qu'ils ont été et se font gloire d'être restés - craignirent d'être accusés à leur tour de sympathies nazies ou de néonazisme, ce qui, dans l'état actuel des choses et bien que beaucoup de gens soient revenus de la plupart des « vérités de propagande » dont on les a abreuvés jusqu'à plus soif sur « l'Allemagne seule responsable de la guerre », avait, disaient-ils non sans raison, toutes les chances de trouver un très grand crédit dans l'opinion. Non qu'ils fussent des couards : par tactique. « Ainsi, m'a expliqué l'un d'eux et non des moindres, ne leur ayant fourni aucune occasion de nous traîner dans la boue, notre crédit est resté intact pour le vrai combat que, nous le sas, nous devrons livrer sur ce terrain quand l'heure aura sonné... » En ces termes ou à peu près. Je me bornai à répondre qu'il eût mieux valu que ce fût celui du pape qui restât intact. Non parce qu'il était pape, puisque je suis athée et que voilà bien qui ne m'intéresse pas le moins du monde, ajoutai-je, parce qu'il était pacifiste, qu'à ce titre, non seulement tous les catholiques mais tous les pacifistes étaient atteints à travers sa [94] personne et que cela valait bien que l'on se jetât à l'eau pour défendre sa mémoire. Sans aucun risque d'ailleurs, précisai-je encore, puisque, dans cette eau, il y avait, en l'occurrence, sous les espèces de la vérité historique, une bouée insubmersible. L'opinion des imbéciles qui crée le risque d'impopularité ? Au service de la vérité historique, l'impopularité n'est jamais que momentanée : « Le mensonge triomphant qui passe », a dit Jaurès, - qui passe... Et sous cet angle, combien d'avantages le témoignage donné sur le moment n'offre-t-il pas, en contrepartie ?

Toutes ces considérations, dont l'ambition était de fixer les dimensions du problème à son niveau réel, dispensent de descendre dans le détail des arguments de la défense. Il est, par exemple, sans intérêt de remarquer qu'en tentant d'empêcher les représentations du Vicaire par des manifestations à l'entrée du théâtre ou en jetant des boules puantes à l'intérieur, on ne pouvait pas aller au-delà de fournir à M. Rémy Roure l'occasion de se tailler un succès facile en rétorquant que « les boules puantes ne répondent pas a la question 75 ».

Et, si le R. P. Riquet nous dit que, Pie XII ayant, le 18 mars 1945, lancé un appel à la paix et supplié ceux qui se sont laissé entraîner de répudier « l'idolâtrie des nationalismes absolus, les orgueils de la race et du sang, les désirs d'hégémonie », Himmler a répondu en envoyant aux commandants des camps un message où il était dit : « Pas un détenu ne doit tomber vivant entre les mains de l'ennemi, les liqui[95]der tous 76 », on peut seulement lui faire observer que jamais Himmler n'a envoyé un tel message 77, qu'on ne répond pas à un mensonge par un autre mensonge, parce que les mensonges n'étant pas comme les clous, l'un ne chasse pas l'autre, et, à son sujet, seulement se poser la question suivante : Riquet ou Loriquet ? Le pavé de l'ours, en somme.

Si, enfin, le gouvernement fédéral allemand « déplorant profondément les attaques dirigées contre Pie XII » proclame qu'il « sait combien il doit être reconnaissant au pape pour l'aide qu'il a bien voulu apporter au peuple allemand, lorsque s'est effondré le régime nazi, en faveur de la réconciliation entre l'Allemagne et les autres pays 78 », ce n'est qu'un témoignage de reconnaissance sans valeur historique et un autre pavé de l'ours.

Même la lettre si souvent citée de Paul VI, alors cardinal Montini, à la revue catholique anglaise The Tablet 79 ne fait qu'effleurer la vraie question.

« Une attitude de protestation et de condamnation comme celle qu'il [Rolf Hochhuth] reproche au pape de n'avoir pas adoptée, eût été non seulement inutile mais encore nuisible... Si par hypothèse Pie XII avait fait ce que Hochhuth lui reproche de n'avoir pas fait, il en serait résulté de telles représailles et de telles ruines que, une fois la guerre finie, le même Hochhuth [96] aurait pu [...] écrire un autre drame beaucoup plus réaliste et beaucoup plus intéressant [...], c'est-à-dire le drame du Stellvertreter qui, par exhibitionnisme politique ou par myopie psychologique, aurait commis la faute de déchaîner sur le monde déjà si tourmenté, de plus grandes calamités, aux dépens non tant de lui-même que d'innombrables victimes innocentes. »

Il faut tout de même admettre que, ne faisant qu'effleurer la vraie question, ce texte la pose néanmoins, notamment dans sa dernière phrase : tout le monde comprend qu'il s'agit ici du caractère que, de représailles en représailles et de part et d'autres, eût alors pris la guerre et que, au lieu du facteur d'apaisement qu'il voulut toujours être, Pie XII serait devenu un facteur d'excitation.

Ce sont les évêques allemands qui, réunis en conférence plénière à Hofheim (Taunus) du 4 au 6 mars 1963, ont le mieux posé le problème et donc le mieux répondu à l'entreprise de diffamation montée contre Pie XII :

« Le pape Pie XII a accompli sa tâche de pasteur suprême de l'Église avec un remarquable sens de la justice et de la responsabilité, en un temps particulièrement difficile et tendu du fait de la deuxième guerre mondiale et du chaos qui s'en est suivi dans de nombreux peuples.
« Aussi serons-nous toujours reconnaissants à Pie XII d'avoir mis tous ses efforts à essayer d'éviter la guerre et d'avoir tout fait pendant la guerre pour mettre fin à l'effusion de sang entre les peuples.
« Ce pape mérite au plus haut point la reconnaissance de l'humanité pour avoir élevé sa voix contre [97] les atrocités inhumaines, particulièrement contre la suppression et la destruction d'individus et de peuples qui ont eu lieu pendant et après la guerre. Si la voix de Pie XII n'a pas été entendue par les responsables, la faute en revient à ces derniers 80. »

Malheureusement, personne ne leur a fait écho, personne ne s'est attaché à démontrer que Pie XII avait « mis tous ses efforts à essayer d'éviter la guerre » et « tout fait pendant la guerre pour mettre fin à l'effusion de sang entre les peuples ».

Et que c'était la véritable raison pour laquelle il avait été aussi odieusement attaqué.

C'est donc ce que nous allons faire.

On trouvera, en appendice 81, l'essentiel des principaux autres arguments de la défense, mais, étant donné leur peu de signification, pour mémoire seulement.


Ce texte a été affiché sur Internet à des fins purement éducatives, pour encourager la recherche, sur une base non-commerciale et pour une utilisation mesurée par le Secrétariat international de l'Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre et d'Holocauste (AAARGH). L'adresse électronique du Secrétariat est <[email protected]>. L'adresse postale est: PO Box 81475, Chicago, IL 60681-0475, USA.

Afficher un texte sur le Web équivaut à mettre un document sur le rayonnage d'une bibliothèque publique. Cela nous coûte un peu d'argent et de travail. Nous pensons que c'est le lecteur volontaire qui en profite et nous le supposons capable de penser par lui-même. Un lecteur qui va chercher un document sur le Web le fait toujours à ses risques et périls. Quant à l'auteur, il n'y a pas lieu de supposer qu'il partage la responsabilité des autres textes consultables sur ce site. En raison des lois qui instituent une censure spécifique dans certains pays (Allemagne, France, Israël, Suisse, Canada, et d'autres), nous ne demandons pas l'agrément des auteurs qui y vivent car ils ne sont pas libres de consentir.

Nous nous plaçons sous la protection de l'article 19 de la Déclaration des Droits de l'homme, qui stipule:
ARTICLE 19 <Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontière, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit>
Déclaration internationale des droits de l'homme, adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU à Paris, le 10 décembre 1948.


[email protected]

| T. des m. et introduction | Ch.1.2 | ch.2.2 | ch.2.1 | Ch.2.2 | Ch.3 | Annexes |

| Accueil général | Accueil Rassinier |

L'adresse électronique de ce document est :

http://aaargh-international.org/fran/archRassi/ov/ov2.html