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LA VIEILLE TAUPE

 

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[En-tête: RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

LE PROCUREUR général de la République et du canton de Genève

Ordonnance de condamnation]

 

[Transcription] Vu la plainte P 8882/1996 [de la LICRA] dirigée notamment contre

Nom: BEN HENDA. Prénom: Mohamed. Né le: 23 juillet 1962. Originaire de: Tunisie

Domicile élu: Rue Royaume, 14. 1201 Genève et d'où résultent les faits suivants:

 

1. Début 1996, Roger GARAUDY publie à Paris, à compte d'auteur, un pamphlet qu'il intitule "Les Mythes fondateurs de la politique israélienne".

Sous prétexte d'un combat intellectuel contre l'intégrisme sioniste, l'auteur consacre une partie essentielle de son ouvrage à un soutien systématique, bien que non avoué, des thèses révisionnistes et négationnistes relatives à la politique du troisième Reich à l'égard des juifs.

Dans deux chapitres en particulier ("Le Mythe de la justice de Nuremberg" p. 91ss et "Le Mythe des six millions [L'Holocauste]" P.151 ss) Roger GARAUDY s'emploie à réfuter l'importance du nombre de juifs victimes du nazisme, à contester qu'Hitler et les dirigeants nazis aient eu la volonté d'exterminer le peuple juif, à nier l'existence des chambres à gaz et à démontrer, en résumé, que l'Holocauste» ne serait en réalité qu'une création du "Shoah business", qu'une fiction imposée par l'intérêt des leaders sionistes, avec la complicité des pays qui, au cours de la deuxième guerre mondiale, se sont alliés contre l'Allemagne.

2. La publication de ce libelle déclenche immédiatement une vague d'indignation, dont la presse fait un très large écho.

En mars 1996, des poursuites judiciaires sont engagées en France contre Roger Garaudy, lequel est inculpé en avril, de "contestation de crimes contre l'humanité".

3. Mohamed BEN HENDA est le propriétaire de la librairie "Al Diwan" sise à Genève.

En avril ou mai 1996, il se procure une dizaine d'exemplaires de l'ouvrage de Roger GARAUDY, qu'il met en vente dans son magasin de la rue des Paquis.

Le 26 septembre 1996, l'huisier judiciaire PANTET se procure sans difficulté un ouvrage auprès de ladite librairie.

La Police fera de même quelques semaines plus tard.

Tous les exemplaires seraient aujourd'hui vendus.

4. Le 13 novembre 1996, la section suisse de la Ligue Internationale Contre le Racisme et l'Antisémitisme (LICRA) dénonce les faits et dépose plainte à l'encontre des libraires genevois qui ont assuré la distribution du livre de Roger Garaudy

 

Considérant en droit:

1. A teneur de l'article 261 bis CP, en vigueur dès le 1er janvier 1995, doit être puni de l'emprisonnement ou de l'amende celui qui, publiquement, par l'écriture, niera, minimisera grossièrement, ou cherchera à justifier un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité.

Cette incrimination a été précisée par les chambres fédérales, afin que toute ambiguïté soit levée quant à la punissabilité de la propagation des thèses révisionnistes et négationnistes. Dans le projet soumis au parlement, le conseil fédéral ne prévoyait en effet qu'une incrimination plus limitée, consistant dans le fait de "déshonorer la mémoire d'un défunt" (FF 1992. 3.p. 304). Et pourtant, le message du Conseil fédéral était déjà formel: il s'agissait de réprimer les "falsifications de l'histoire" consistant notamment à nier l'existence des chambres à gaz, à nier l'Holocauste ou à en minimiser l'importance ou à prétendre que les juifs "retireraient des avantages économiques" de la persécution dont ils ont été massivement les victimes au cours de la dernière guerre (FF 1992. 3.p. 308.309).

Les thèses véhiculées par le pamphlet de Roger GARAUDY sont donc très directement visées par la norme réprimant la discrimination raciale, au sens de l'article 261 bis CP précité.

2. La propagation des thèses révisionnistes ou négationnistes n'est punissable que si l'auteur agit "publiquement", c'est à dire s'il ne se contente pas de diffuser les écrits dans un cercle privé mais qu'il les met à disposition d'un nombre indéterminé de personnes (ATF 111 IV 151 = JDT 1985 IV 147) sans qu'il soit d'ailleurs nécessaire qu'il obtienne le résultat de convaincre des tiers, une mise en danger étant suffisante.

En l'espèce, Mohamed BEN HENDA a mis en vente les ouvrages litigieux et les a rendus accessibles à sa clientèle, dans un lieu ouvert au public.

Objectivement son comportement réalise donc la condition de publicité exigée par l'article 261 bis CP.

3. Toute personne qui, à l'instar de Mohamed BEN HENDA, participe à la propagation de thèses révisionnistes ou négationnistes, est punissable en qualité de coauteur (FF 1992. 3. p.307 en haut).

Sur le plan subjectif, il n'est pas nécessaire que le propagateur ajoute sa propre adhésion à ces thèses, pas plus qu'il n'est requis d'établir que ce coauteur serait animé par une motivation raciste (Rehberg, Strafrecht IV, 2ème éd. p. 188; Stratenwerth, B.T. II, 4éme éd. p.171). Il suffit que le propagateur ait conscience du caractère prohibé de la littérature qu'il diffuse et qu'il assure cette diffusion de manière intentionnelle.

En l'espèce, il faut rappeler que dès sa parution, l'ouvrage de Roger GARAUDY a provoqué une polémique débordant largement les frontières du pays d'édition. De très nombreux articles de presse, en France comme en Suisse romande, ont évoqué le contenu de cet ouvrage, insistant plus particulièrement sur les thèses résumées plus haut. De même, la mise en examen de l'auteur par la justice française a été largement annoncée, y compris dans la presse genevoise.

C'est donc dire que Mohamed BEN HENDA n'ignorait rien de la substance des "Mythes fondateurs de la politique Israélienne" et que c'est en toute connaissance de cause qu'il s'est prêté à la diffusion publique de ce livre.

Son comportement doit dès lors être sanctionné.

4. S'agissant de la quotité de la peine, il faut prendre en considération la volonté, clairement exprimée par le législateur fédéral, de réprimer sans concession les menées révisionnistes ou négationnistes et de ne plus tolérer que, sous prétexte de "liberté d'expression", l'histoire dramatique du milieu de ce siècle soit travestie, créant le risque que renaissent des idéologies génocidaires qui, dans ce passé récent, ont provoqué tant de millions de victimes.

A la charge de l'auteur il sera également retenu que, par sa profession, il assume une responsabilité spéciale en matière de diffusion de l'écriture et qu'il se devrait de donner l'exemple dans le respect des limites fixées par le législateur.

A la décharge de l'auteur, on retiendra en revanche que son activité est restée discrète et qu'il n'a pas délibérément profité de la notoriété acquise par l'ouvrage de Roger GARAUDY pour en retirer un profit commercial important.

L'absence de condamnation antérieure lui permet de bénéficier de la mesure prévue aux articles 41 et 49 ch. 4 CP.

PAR CES MOTIFS

 

Vu les dispositions légales citées et les articles 48,49,68 du Code pénal; 98A, 218 à 218F du Code de procédure pénale genevois,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL


1) Déclare Mohamed BEN HENDA coupable de discrimination raciale (art. 261 bis du CP).

2) Le condamne au paiement d'une amende de Fr. 3500,00

3) Fixe le délai de radiation à deux ans.

4).Réserve les droits civils de la plaignante.

5) Condamne Mohamed BEN HENDA au paiement de la moitié des frais de la cause, soit Fr. 295,00, dans lesquels est compris un émolument de condamnation de Fr. 250,00

6) Notifie la présente ordonnance à la personne précitée.

[Ci-dessus: transcription. Ci-dessous et en-tête au recto : fac-simile]


 


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