AAARGH
PIERRE GUiLLAUME
Libraire - Editeur
12, rue d'UIm
75005 PARIS
Monsieur le Président
de la République
Direction des affaires criminelles et des grâces
Ministère de la Justice
13, place Vendôme.
75042 PARIS Cedex 01
17 janvier 1992
Monsieur le Président de la République
Par un arrêt du 8 octobre 1991, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre un arrêt de la cour d'appel de Paris (11e chambre, en date du 22 février 1990) me condamnant à cinquante mille francs d'amende pour diffamation publique envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Cette accusation avait été préalablement rejetée par un jugement très motivé de relaxe par la 17e chambre du tribunal de Paris.
La défense avait développé son argumentation de façon exhaustive dans ses conclusions en prernière instance et en appel, et dans son mémoire ampliatif devant la Cour de cassation. Pour votre complète information, je joins à ces écritures judiciaires un texte publié dans le n· 6 des Annales d'hittoire révisionniste, qui aborde certains des enjeux philosophiques et anthropologiques du débat, et le mémoire que j'avais adressé à mon avocat auprès de la Cour de cassation.
Contrairement au jugement initial de relaxe et à nos propres écritures judiciaires, l'arrêt condamnatoire de la cour d'appel et l'arrêt confirmatoire de la Cour de cassation sont, et jusque dans la forme, dilatoires et confus.
Ni la cour d'appel, ni la Cour de cassation ne répondent réellement à aucun des motifs du tribunal de première instance, ni à aucun des moyens avancés dans nos conclusions.
Lorsqu'elles affectent de répondre à un argument, un motif ou un moyen, la cour d'appel et la Cour suprême le font de manière absconse, ou après avoir dénaturé l'argument, le motif ou le moyen auquel elles prétendent répondre, ou en négligeant telle information, ou tel motif ou moyen, cependant contenus dans nos écritures et dont la prise en compte interdirait sa construction sophistique ou captieuse.
C'en est au point qu'après avoir rejeté l'exception de nullité de la Citation introductive au motif que le prévenu qui s'est vu notifier la prévention de diffamation raciale "était suffisamment renseigné sur l'infraction qui lui était reprochée" (Cass. p. 4), la Cour de Cassation n'hésite pas à écrire (p.8)
"l'imputation
d'exploiter ["Le
mot (ni même l'idée) ne figure pas dans le texte
de Mark Weber; il est induit par la Cour] la légende
de l'holocauste, faite aux juifs américains, vise un groupe
de personnes à raison de leur appartenance à une
religion déterminée".
Et cette inconséquence fautive ne résulte pas d'une quelconque ambiguïté qui aurait son origine dans le texte de Mark Weber, objet de la prévention. Cette inconséquence révélatrice est le fait de la Cour de cassation qui essaye ainsi de se sortir de l'embarras où la place l'évidence qu'aucune des allégations contenues dans le texte que j'ai publié, n'est faite à raison de la race ou de la religion, pas plus d'ailleurs que de l'ethnie ou de la nation, donc ne tombe pas sous le coup de la loi dite anti-raciste (article 32 alinéa 2 ([1972] de la loi du 29 juillet 1981) d'autant plus que le contexte d'une part, nos écritures de justice d'autre part, apportaient une surabondance de preuves que toutes les imputat tions contenues dans le texte visaient également des personnes non juives, dont le destinataire de la lettre, homme d'Eglise nommément désigné, et ne visaient pas de nombreuses personnes, pourtant juives et américaines, et notamment, en tout cas, les nombreuses personnalités juives, citées à l'appui de sa thèse par l'auteur, ce qui devrait suffire à démontrer qu'aucun énoncé ne résultait d'un quelconque préjugé raciste, religieux, ethnique ou national.
Mais je voudrais, Monsieur le Président, attirer votre attention tout particulièrement sur le point suivant : les présentes remarques ne procèdent pas de la tendance commune et vulgaire de la partie qui succombe lors d'un procès à maudire ses juges. La vie sociale suppose l'acceptation de procédures d'arbitrage, et je suis tout disposé à admettre une condamnation qui articulerait une argumentation légale et judiciaire cohérente, fût-elle opposée à celle que je propose. Ce sont, au contraire les juges, en édictant ou en confirmant une sanction sans parvenir à la justifier légalement de façon cohérente, qui dénaturent la fonction judiciaire. L'ampleur des incohérences qu'ils tolèrent mesure exactement la déchéance de leur fonction à laquelle ils consentent. Or, l'arrêt qui me condamne et l'arrêt de la Cour de cassation qui le confirme, ne développent pas une argumentation judiciaire cohérente, opposée à celle que je soutiens. Ils constituent un tissu d'absurdités qui sont surabondamment relevées dans nos écritures. Je vais donc ici souligner l'absurdité la plus grave, en ce qu'elle dénature le texte même de la loi.
La Cour de cassation prétendant vérifier. le bien-fondé de l'appréciation de la cour d'appel, écrit (p. 8) : "L'imputation d'exploiter la légende de l'holocauste, faite aux juifs américains, vise un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une religion déterminée."
Mais, précisément, la cour d'appel n'avait pas écrit cela.
La cour d'appel avait écrit (point 2, p. 11) sous le titre EN L'ESPECE : "Cette allégation est imputée aux "juifs américains" ainsi désignés en raison de leur ethnie ou de leur religion (juive) et de leur origine (américaine) ."
Indépendamment de l'appréciation des faits (dans le texte original l'allégation visait aussi bien des non juifs, et ne visait nullement tous les juifs américains) la cour d'appel n'a pas écrit que l'imputation prétendument diffamatoire était faite en raison de l'ethnie, la nation, la race ou la religion. Elle a dit: d'une part, il y a diffamation, d'autre part, les diffamés sont désignés comme juifs et américains. Mais la loi de 1972 interdit de diffamer en raison de l'ethnie, la nation, la race, ou la religion, elle n'interdit pas, à peine d'absurdité, de désigner en raison de..., c'est-à-dire de dire de qui on parle.
La loi sur la presse interdit de diffamer quiconque sous réserve da l'excuse de vérité et de l'excuse de bonne foi. C'est le droit commun de la diffamation. Elle interdit en outre la diffamation en raison de l'ethnie, la race, la nation, la religion. C'est l'article 32, alinéa 2, qui exclut par définition l'excuse de vérité ou de bonne foi. Toute autre solution serait parfaitement absurde.
Toute diffamation qui s'appuie sur une doctrine, une théorie, un préjugé ethnique, national, racial ou religieux, doit être sanctionnée sans que les tribunaux aient à considérer la valeut éventuelle de ces doctrines, théories ou préjugés. Mais Mark Weber a si peu utilisé ce type d'argumentation que la cour d'appel, confrontée au texte et à la surabondance de preuves contenues dans nos écritures de justice, n'a pas même osé le prétendre, mais son hostilité extra-judiciaire et sa passion répressive l'ont conduite à dénaturer subrepticement la loi, et la Cour de cassation a entériné.
Mark Weber, qui est américain, docteur en histoire, critique le comportement de politiciens, d'hommes d'affaires, d'hommes d'Eglises américains. Il critique aussi le comportement, non pas des juifs américains, mais de certains juifs américains. Il écrit : "Chez les juifs américains, l'holocauste est devenu à la fois une affaire florissante et une sorte de nouvelle religion." Il cite à l'appui de son opinion de nombreux auteurs juifs, américains ou non.
Qui ne voit que la solution adoptée par la cour aboutirait, prise au pied de la lettre, à interdire toute appréciation du comportement d'un tiers autre que laudative, dès lors que ce tiers est désigné par son appartenance ethnique, nationale, raciale ou religieuse, et qui ne voit qu'en pratique, jusque dans l'arrêt condamnatoire, seule l'appartenance juive se trouve ainsi protégée de façon exorbitante et discriminatoire.
Qui ne voit qu'ainsi, outre la liberté d'expression, le droit le plus élémentaire à la critique se trouve bafoué et que ce sont les fondements mêmes du droit républicain qui sont subvertis: l'égalité des citoyens devant la loi.
Par analogie, M. Robert Maxwell était juif, sujet britannique, originaire d'Europe centrale. Je le désigne ainsi parce que c'est ainsi qu'il est le plus communément désigné et c'est ainsi qu'il se désignait lui-même. Il est par ailleurs accusé dans la presse de divers et multiples comportements délictueux dont l'évocation constitue autant de diffamations qu'il appartiendrait éventuellement à ses ayant-droits de relever judiciairement. Il appartiendrait alors à ses accusateurs par voie de presse de faire la preuve de la vérité de ces accusations et de leur bonne foi, selon le droit commun de la presse.
Par contre, si les agissements de M. Robert Maxwell donnaient lieu à une campagne anti-juive ou anti-britannique, et si la mémoire de M. Robert Maxwell était victime de diffamations faites en raison de sa judéité ou de sa citoyenneté britannique, les diffamateurs devraient être poursuivis, et par le ministère public motu proprio, sans pouvoir exciper de l'excuse de vérité et de bonne foi, dès lors que la diffamation est faite en raison de l'ethnie, de la race ou de la religion, selon la nature du préjugé, de la théorie ou de la doctrine invoquée par le diffamateur.
Or, selon la solution adoptée en l'espèce par la cour d'appel, il serait interdit d'évoquer les comportements délictueux de M. Robert Maxwell dès lors qu'il serait désigné comme il se désignait lui-même!
Et la Cour de cassation a entériné cette monumentale absurdité judiciaire qui dénature la loi dans son esprit et dans son texte.
Cette dénaturation est la plus grave au plan des principes, puisque la Cour de cassation est, de par sa fonction de recours exceptionnel suprême dans l'ordre judiciaire, plus juge et gardienne de la loi, que juge de l'espèce.
Mais les irrégularités commises en l'espèce par la cour d'appel en son dispositif et que la Cour de cassation n'a pas voulu relever sont également extrêmement graves.
Sous le titre EN L'ESPECE (Arrêt, p. 11) la cour d'appel écrit:
CRITIQUE: La cour dénature outrageusement et falsifie le texte original. L'idée d'exploitation à des fins pécuniaires ne figurait pas dans le texte soumis à la prévention, qui contenait non pas l'allégation d'un fait déterminé, mais l'allégation de très nombreux faits, tous vérifiables. Mais c'est seulement dans l'arrêt condamnatoire que le justiciable découvre finalement ce qui lui est réellement reproché, puisque l'assignation introductive ne précisait rien de tel.
Mais l'allégation d'un fait n'est éventuellement répréhensible que si la révélation de ce fait est diffamatoire, c'est-à-dire susceptible de nuire à l'honneur et à la considération d'une personne ou d'un groupe de personne. La citation exacte et référencée d'écrits déjà rendus publics, l'évocation d'activités et de comportements déjà parfaitement et ostensiblement publics, dont les auteurs tirent gloire et considération, ne saurait être répréhensible, ni constituer une diffamation. Par un audacieux retournement, la cour utilise le fait que des auteurs juifs ou des Israéliens se disent "choqués" par certains excès de la commémoration holocaustique pour tenter de prouver que la simple évocation de ces comportements parfaitement publics constituerait effectivement une révélation faite pour choquer.
CRITIQUE: Ce point a fait l'objet de notre critique ci-dessus.
CRITIQUE: Le texte original de Mark Weber ne comporte aucun terme de mépris. Il n'incite nullement au mépris. Il n'incite qu'à la réflexion. De plus, en écrivant: Dès lors qu'elle induit l'idée qu'ils sont des profiteurs et des imposteurs» la cour reconnaît ipso facto que ladite idée n'est pas présente dans le texte lui-même, puisqu'elle devrait (?) être induite. De plus, pour être des imposteurs, il faudrait que les les juifs américains» fussent, dans le fond de leur coeur, des révisionniste qui exploiteraient cyniquement et en connaissance de cause un mythe en ayant conscience de son caractère mythique. Cette induction délirante est le fait de la cour et ne trouve aucune trace de justification dans le texte soumis à la prévention. Et, une fois de plus, la cour l'avoue elle-même, puisque cette induction résulterait d'une parenthèse : (la réalité de l'holocauste étant par ailleurs niée). Mais si cette réalité est niée par ailleurs, cet ailleurs n'était pas, par définition, soumis à la prévention et donc n'a pas pu être soumis à un débat contradictoire, et la défense n'a jamais été mise en situation de discuter de cet ailleurs qui apparaît soudain comme la clef de voute du dispositif de l'arrêt condamnatoire, alors même que dans sa lettre au Révérend Herbener, Mark Weber invoque pour solliciter la réflexion de son correspondant, non pas un postulat révisionniste, mais les variations de l'historiographie officielle, et des documents historiques primaires.
Tout le dispositif condamnatoire repose donc sur un postulat abusif de la cour, alors même qu'elle avait attribué de façon absolument injustifiée la postulation symétrique à Mark Weber (arrêt, p.9).
En outre, le groupe de personnes prétendument diffamées par l'évocation de leur croyance et de leurs activités publiques, d'où elles tirent gloire et considération, n'est finatement designé par l'accusation que dans l'arrêt condamnatoire ! Les juges suppléent donc à la carence et au laxisme accusatoire du procureur, alors que la défense n'est plus susceptible d'avoir la parole et qu'elle a été réduite jusqu'ici à imaginer ce qui pouvait bien lui être reproché !
Au surplus, la communauté des juifs américains constitue un ensemble désigné de façon générale à l'intérieur duquel aucune personne ou groupe de personnes identifiable n'est spécifiquement désigné, et des considérations d'ordre général ne visant personne en particulier, sont parfaitement licites.
Les points 4 et 5 du dipositif n'appellent pas de critique particulière, si ce n'est au point 4, l'apparition de la notion pour le moins surprenante de public particulier» et la phrase in fine : "Il n'excipe d'ailleurs pas de sa bonne foi", qui laisse supposer que, selon la cour, il serait possible d'exciper de l'excuse de bonne foi pour une diffamation faite en raison de la race, de la religion, etc. et donc qu'on pourrait éventuellement être raciste de bonne foi !
Mais s'il fallait suivre la construction à laquelle s'est abandonnée la cour, aucune critique à l'égard d'aucune croyance constituée ne serait possible !
En effet, le simple refus de croire et de participer aux rites induits par cette croyance est assimilé par un audacieux retournement, à une diffamation des croyants!
Chez les catholiques français du XIXe siècle, le culte marial est devenu une affaire florissante et une sorte de nouvelle religion. C'est, en substance, la thèse soutenue par Jean-Pierre Rioux dans les colonnes du Monde.
En l'espèce:
Le fait que dans la pratique, une seule croyance se trouve susceptible de bénéficier de cette protection vraiment particulière doit certes conduire à s'interroger sur les motifs et les moyens liés à cette croyance particulière, mais ne doit pas conduire à négliger la structure sophistique et la perfection totalitaire de la construction à laquelle s'est livrée ta cour, qui débouche sur une aporie.
Mais il ne vous appartient pas, M. le président de la République, de réformer une décision de justice devenue définitive dans laquelle l'institution judiciaire s'est abîmée, pas plus qu'il ne m'importe que soit restaurée la dignité de cette institution, ce qui exigerait qu'elle le soit par des voies elles-mêmes judiciaires, c'est-à-dire par une procédure de révision de ces arrêts, à la requête du garde des Sceaux, dans l'intérêt de la loi.
Je m'adresse à vous, M. le Président, parce qu'au-delà de ses implications judiciaires, la condamnation qui me frappe comporte un aspect personnel et un aspect politique. Je ressens comme une injure personnelle, une atteinte insupportable à mon honneur, d'être condamné pour diffamation raciale alors que j'ai toujours récusé et récuse toute forme de racisme et d'antisémitisme, et toute forme de discrimination à l'égard de qui que ce soit. L'élément politique tient au fait que l'exécution de cette condamnation entérinerait la fin de la liberté d'expression, la fin de la liberté de critique et la réalité de fait d'un statut privilégié pour les juifs. Ceux-ci verraient les croyances auxquelles sont attachées les institutions juives dominantes exclues de l'universalité de la critique. Ce statut de fait est discriminatoire à l'encontre des citoyens, non-juifs et juifs, qui refusent ces croyances.
Deux cents ans après l'émancipation des juifs de France et peu de temps après le transfert des cendres de l'abbé Grégoire au Panthéon, les idées généreuses et les espoirs de cet apôtre de l'émancipation se trouveraient bafouées et démenties.
Votre décision est souveraine et n'a pas à être motivée. C'est pourquoi je me borne à solliciter de votre haute bienveillance, au nom des idées et principes universalistes de l'abbé Grégoire, que je partage, une mesure de grâce.
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, L'expression de ma respectueuse déférence.
P. Guillaume
Copie à: M. le Premier président de la Cour de cassation
M. le rapporteur et MM. les conseillers concernés.
Pièces jointes:
1·)
n·3 des Annales, objet de la prévention;
2·) assignation introductive d'instance; 3·)
jugement de la 17e chambre du TGI de Paris; 4·)
arrêt de la cour d'appel (11e chambre); 5·)
arrêt de la Cour de cassation; 6·) nos conclusions
première instance, contenues dans AHR n·
6; 7·) nos conclusions complémentaires en
appel; 8·) mémoire ampliatif devant la Cour de cassation;
9·) mon propre mémoire à mon avocat
devant la Cour de cassation; 10·) article de M.
Thencrey, inclus dans AHR n 6 ci-dessus.