AAARGH

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Article paru le 18 juin 1987 dans

Le Monde

[Numérisé et mis sur le Net-- avec de nombreuses
fautes et omissions-- par "Communauté on Line"]

 

 

Comment s'en débarrasser ?

 

Les révisionnistes nient la réalité qui les excède parce qu'elle excède leur théorie "Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose", écrivait Pierre Viansson-Ponté, paraphrasant l'air de la calomnie du barbier de Séville (Le Monde daté 17-18 juillet 1977), dans un article intitulé "Le mensonge" qui traitait de ce qu'on n'appelait pas encore le révisionnisme. C'était il y a dix ans. Et c'était prophétique. "Il est communément admis, toute la littérature à ce sujet est formelle, que quatre millions d'êtres humains ont été assassinés par gazage puis incinérés à Auschwistz." C'est par cette phrase que commence une des deux lettres publiées par Libération dans le courrier des lecteurs et qui ont provoqué les remous que l'on sait.

Dans cette phrase, trois affirmations, trois mensonges. La littérature à ce sujet ne parle pas de quatre, mais de un million de gens gazés à Auschwitz (cf. par exemple R. Hilberg dans The Destruction of the European Jews, New-York, Franklin Watts, 1973, p. 572). Il est donc faux et mensonger de dire qu'il s'agit de quatre millions, faux et mensonger d'affirmer que la littérature est formelle à ce sujet, faux et mensonger de prétendre que ce chiffre est communément admis. Ce qui est vrai, en revanche, c'est que cette phrase résume parfaitement une des méthodes de la prétendue école révisionniste. Elle consiste à fabriquer de toutes pièces un mensonge et à proclamer que ce mensonge est une vérité officielle et communément admise. Il ne reste plus alors qu'à dénoncer comme mensongère la pseudo-vérité qu'on avait soi-même préalablement fabriquée.

NOTe de l'AAARGH: non seulement c'est le chiffre le plus répandu dans la littérature, mais encore c'est le chiffre officiel donné par le tribunal de Nuremberg en 1946. En tout état de cause, référez-vous à Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire, Paris, La Découverte, 1987, 233 pages, cf. les passages suivants: "Le chiffre [de quatre millions juifs gazés à Auschwitz] est faux, bien sûr, mais il est communément admis" (p. 181); "Il est vrai que le chiffre de quatre millions est partout affiché à Auschwitz" (p. 184).Est-ce la faute des révisionnistes si l'on entend plus souvent les imbécillités proclamées par ce tribunal que les thèses raisonnables? Sur les reculades dans ce domaine, voyez le point fait par R. Faurisson en 1995

Pierre Viansson-Ponté avait raison de prévoir que, "au mieux en résulterait un grand scepticisme à l'égard des atrocités hitlériennes [...] Au pis, la conviction que le mensonge est universel et permanent qu'il ne faut croire personne et surtout pas l'histoire". Les révisionnistes n'ont pas inventé le révisionnisme. D'une part, l'histoire est révisionniste par nature, elle procède par révision permanente des connaissances. D'autre part, le terme de "révisionnisme" désigne tradi [un passage du texte manque, Note de l'AAARGH] niste, des interprétations qui ne sont pas non plus innocentes. Sauf, exception, tel ce J.B Pérès qui, en 1827, prouva que Napoléon n'avait pas existé, le révisionnisme historique, c'est à dire l'histoire en train de se faire, ne nie pas l'évidence, n'invalide pas systématiquement tout ce qui atteste la réalité d'un fait, ne confond pas l'exercice du doute avec la pratique du soupçon. Pour nos révisionnistes en revanche, il s'agit "non pas de connaître le déroulement exact des évènements survenus à Auschwitz, mais de vérifier si les pièces à conviction présentées à l'appui de la thèse exterminationniste sont probantes" (W. Staeglich, Le Mythe d'Auschwitz, Paris, La Vieille Taupe, 1986, p.28). Curieux historiens en vérité que ces gens qui, au lieu de s'attacher à "connaître le déroulement exacte des évènements", s'instituent juges des "pièces à conviction" d'un procès qui n'a lieu que parce qu'ils nient l'existence de l'objet du litige, et qui, à l'heure du verdict, seront donc nécessairement amenés à déclaration fausses toutes les preuves contraires à l'a priori dont ils ne démordent pas.

Un objet historique

A défaut d'être des historiens, appartiennent-ils au moins au genre illustré par Kaustky, Jabotinsky et d'autres ? En général, les révisionnismes idéologiques cherchent, par pragmatisme, à mieux connaître la réalité pour mieux affirmer son primat, pour mieux adapter leur théorie au monde tel qu'il est. Nos révisionnistes font l'inverse : ils nient la réalité qui les excède parce qu'elle excède leur théorie.

Au lieu d'adapter leurs idées à la réalité, ils adaptent la réalité à leurs idées. Ils sont, à proprement parler, des intégristes qui, refusant d'intégrer le réel passé, doivent désintégrer celui-ci dans le présent. Leur objectif disent-ils, usant d'un vocabulaire religieux est de "désacraliser ce qui, de toute façon fonctionne comme extermination déclarée indicible par les témoins, intransmissible par les survivants, impensable par tous les autres et qui a fini, avec le temps, par devenir inimaginable et presque incroyable". Le révisionnisme a perdu de vue la frontière entre réalité et fiction, décrété la réalité fiction, et réalité la fiction qu'il produit.

Jugeant la réalité incohérente et incroyable, les révisionnistes ont glissé du "tout ce qui est réel est rationnel" hégélien à "tout ce qui est rationnel est réel" et produit une fiction formidable. Il serait temps, pour comprendre la production d'une telle fiction, de constituer enfin le révisionnisme en objet de l'histoire. Et de se rendre compte que cette fiction a rencontré un marché, largement tributaire de l'ignorance.

Depuis dix ans que le révisionnisme se manifeste en France, ceux qui s'en préoccupent sont confrontés au même dilemme. Les uns estiment que moins on parlera des révisionnistes et mieux cela vaudra, qu'il est inutile de leur donner une publicité dont ils sont tellement friants et qu'ils s'évertuent chaque fois à travestir en reconnaissance de leur respectabilité scientifique. Les autres pensent que la confrontation est inévitable et s'attachent à refuser point par point les réfutations révisionnistes et à faire, une fois de plus, la preuve de la réalité, de la nature et de l'étendu de l'extermination. Le glissement, le tout-terrain, le contre-pied, le trompe-l'il et le dernier mot : il est temps de comprendre que la tactique révisionniste fait que, de toute façon, les réactions des uns et des autres ont été et continuerons d'être chaque fois, manipulées et trafiquées par les révisionnistes à leur propre avantage. Le silence est raillé par eux comme lâcheté et refus du débat, les réponses comme autant de vaines tentatives d'obstruction de la vérité. Pour sortir enfin du dilemme, et de la gêne qu'il provoque, il faut traiter le révisionnisme, comme n'importe quel autre fait, en objet de l'histoire.

Les révisionnistes actifs, ceux qui écrivent et ceux qui diffusent somme toute plutôt bien dans la société française ? Ce à quoi ils oeuvrent avec tant d'acharnement, c'est à la solution finale de la solution finale. Ce programme n'est peut-être pas fait pour déplaire à tout le monde. Par quel miracle, en effet, cette société se serait-elle débarrassée de son antisémitisme, de la haine contre Dreyfus et Léon Blum à la dénonciation des voisins de palier, en même temps qu'elle sortait de ce que l'on continue encore si souvent de qualifier, dans un immuable cliché, "d'heures les plus douloureuses de notre histoire ?" Peut-on sérieusement penser que l'antisémitisme, bâillonné à la Libération et contraint de vivre depuis lors entre censure et refoulement, se serait miraculeusement dissous derrière les hauts murs oecuméniquement dressés contre l'infâmie de la collaboration et unanimement élevés à la gloire de la Résistance ?

Les redresseurs de morts

Quand les juifs morts se comportent par millions, ils deviennent parfois plus encombrants encore lorsqu'ils étaient vivants. Et le poids de leur mort est tel qu'il faut attendre avant de pouvoir apprendre au monde comment s'en débarrasser. Mais près d'un demi-siècle a passé, et les morts ont une durée de vie limitée. Quand le nombre de ceux qui les ont connus s'amenuise de plus en plus, quand le refoulement de l'antisémitisme se fissure en même temps que la crise fissure la société, le temps est venu pour les redresseurs de morts. Mais que peut augurer pour les vivants qu'on s'attaque ainsi à des juifs qu'on avait déjà tués? Pessimisme outrancier ? Après tout, est-ce tellement grave que le néologisme sidaïque présente, aussi, l'avantage de rappeler en creux que de même que sidaïque = sida, judaïque = judas? Est-ce tellement grave qu'un candidat à la présidence de la République, disant sa vérité en attendant son heure, voie sa cote de popularité doubler après l'exposé d'un programme fondé sur la peur et l'exclusion ?

Est-ce tellement grave que, parlant de la fête de fin du ramadan, une télévision énonce machinalement que la Grande Mosquée de Paris a été "envahie" par des musulmans ?

Est-ce tellement grave ?

 

Jacques Baynac et Nadine Fresco


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