AAARGH
Lundi 3 avril 2000
"On a un bien joli canton" chantait Jean Villard Gilles
dans La Venoge. Le Pays de Vaud ne fait pas mentir le poète.
Il regorge de beauté. Les gens y sont pétris d'une
bonhomie malicieuse qui enrobe de moelleux tout ce qui est anguleux.
Le plus acharné des négationnistes y porte un nom
du cru et l'on serait enclin à dire de lui qu'il n'est
pas un mauvais bougre bien qu'il ait des idées "un
peu spéciales" sur lesquelles on n'aime pas se prononcer.
"Et puis, il
ne faut pas exagérer, sa feuille, personne ne la lit!"
Le procès qui s'ouvre aujourd'hui devant le Tribunal de
district de Lausanne n'a pourtant rien d'une bagatelle. S'il est
un cas où une norme controversée du Code pénal
suisse justifie son existence et son application, c'est celui
de ce Gaston-Armand Amaudruz. Octogénaire maintenant, celui
dont Jacques Chessex a dressé le
portrait sous le nom de Mollendruz dans L'Ogre voue à
Adolf Hitler un culte fanatique, professe l'antisémitisme
le plus crasse et nie le plus catégoriquement du monde
l'existence des chambres à gaz. Il trempe, depuis la Deuxième
Guerre mondiale, dans tous les cloaques du néonazisme.
Il hante les coulisses de mouvements et de partis où il
cherche des connivences et développe des réseaux.
Il doit se réjouir que des crânes rasés se
réclamant ouvertement de la croix gammée perturbent
régulièrement des fêtes et des manifestations
en Suisse alémanique.
Que l'on ne se méprenne pas! Gaston Armand Amaudruz, sous
ses airs patelins de pasteur en rupture de foi, est un maillon
d'une chaîne européenne infatigablement engagée
contre "l'enjuivement" des Etats, des médias,
des arts et des affaires et niant qu'il y ait pu y avoir une "solution
finale". Son cheminement est constant. Aucune peine infligée
par la justice ne l'en fera dévier. Les juges ni le procureur
n'attendent sans doute de lui une conversion tardive.
Il importe cependant que ce procès se déroule et
qu'il connaisse un certain retentissement. Le danger d'une résurgence
d'un avatar de l'idéologie nazie existe. Celles et ceux
qui le disent et l'écrivent sont taxés d'alarmistes
attardés à combattre de vieilles lunes. Ils clament
dans le désert, les élites dirigeantes n'ayant d'autre
horizon que le Nasdaq. Or, précisément, les effets
de la dictature de l'actionnariat sont de nature à fournir
des troupes aux croisés de l'Ordre nouveau. Une classe
moyenne aigrie, des jeunes sans autre perspective qu'un suave
asservissement aux caprices du capital sont autant de recrues
possibles pour les franges les plus radicales du national-populisme.
Si l'on ne veut pas que vienne un jour où Christoph Blocher
et son âme damnée de Mürgerli passeront pour
des tièdes, il faut avoir maintenant conscience que la
bête immonde guette dans les bas-fonds l'occasion de remonter
à la surface. Le vieil homme qui comparaît devant
les juges vaudois incarne non pas une nostalgie mais une menace.
Son âge inspire la mansuétude. Ses obsessions n'ont
pas une ride. Leur banalisation serait leur consécration.
Le Temps, 4 avril 2000
Mardi 4 avril 2000
Ni fasciste ni nazi mais «raciste selon la définition
du Larousse de 1947».
C'est ainsi que Gaston-Armand Amaudruz, 80 ans dont une cinquantaine
passés à promouvoir un «Nouvel ordre européen»
dans lequel nous serions nombreux à ne pas avoir de place,
définit ses convictions pour le bénéfice
du président du Tribunal correctionnel lausannois, devant
lequel il comparaît pour incitation à la haine raciale
et négationnisme en raison de deux articles intitulés
respectivement «La question juive» et «Je ne
crois pas aux chambres à gaz». Ces deux textes ont
paru sous sa signature dans Le Courrier du continent, une
feuille entièrement réalisée sur ronéo
qu'il diffuse à quelque 300 exemplaires depuis son appartement
lausannois.
Une doctrine revendiquée
Le célèbre dictionnaire, au lendemain de la guerre,
définissait prudemment le racisme comme «la théorie
de ceux qui veulent défendre l'unité de la race
dans la nation». Un pays, un peuple, en somme: cet aspect-là
au moins de la doctrine hitlérienne, Gaston-Armand Amaudruz
le revendique. Et un Führer? On saura seulement que la démocratie
parlementaire est à ses yeux «le système le
plus déplorable» parce qu'il promeut l'égoïsme
et le parasitisme.
Quant aux aspects du racisme qui, au cours de ce siècle,
ont davantage marqué les esprits que sa définition
dans le Larousse de 1947, l'accusé louvoie obstinément.
Il ne revendique pas la suprématie de la race blanche.
Toutes ont leurs qualités pourvu qu'elles restent chez
elles. Il a certes diffusé -- c'est un des points de l'acte
d'accusation -- un ouvrage intitulé Théorie du
racisme d'un certain René Binet, ancien membre français
des Waffen SS. Il y est question, entre autres aménités,
de «juifs et de mulâtres» qui veulent imposer
leur force de décomposition à la race blanche et
qu'il faudrait «renvoyer au nomadisme». Interrogé
sur ces fortes pensées, il précise benoîtement
qu'il «n'est pas d'accord sur tout» avec l'auteur.
Personnellement, il se contente de réclamer des lois contre
les mariages mixtes et des mesures «médicalement
et biologiquement fondées» pour l'amélioration
de la race.
Est-il antisémite? Pas le moins du monde, même s'il
reste pour le moins vague sur la place qu'aurait au sein de son
Europe racialement pure une «race» qui s'en est selon
lui éloignée par ses accointances asiatiques et
qui est tombée sous la domination de son «déchet
biologique». Pourquoi alors s'est-il associé avec
une telle fougue au combat négationniste, proposant aux
lecteurs de sa feuille une bonne quarantaine d'articles et d'ouvrages
niant la Shoah? Sur ce point, il est d'une désarmante candeur.
Lorsqu'il défendait ses vigoureuses conceptions, on finissait
toujours par lui objecter les millions de victimes de Hitler.
Alors, il contourne l'obstacle et réclame une «preuve»
de l'existence des chambres à gaz, tout en annonçant
d'avance qu'il n'est pas près de croire les témoins
directs qu'on pourrait lui présenter...
Mais Gaston-Armand Amaudruz ne fait pas qu'alterner fantasmes
faisandés et dérobades plus ou moins adroites. Il
sent son public et manie habilement l'allusion populiste -- sur
les carences du Conseil fédéral, l'omniprésence
de l'argent, la drogue, etc. Dans la salle, un solide groupe d'admirateurs
savoure.
Fallait-il vraiment lui offrir cette tribune? Pour la Fédération
suisse des communautés israélites, la Ligue internationale
contre le racisme et l'antisémitisme et la Fédération
des fils et filles de déportés juifs de France qui
se sont portés partie civile aux côtés d'un
survivant des camps, le négationnisme est un ennemi qu'il
vaut la peine d'affronter judiciairement. Pour défendre
la mémoire et la dignité humaine des victimes du
nazisme. La participation au procès de ces associations
a été remise en cause par la défense mais
confirmée au début de l'audience.
Accusation élargie
Le Tribunal a également accepté, à la demande
du procureur Jean-Marc Schwenter, d'élargir l'accusation
aux toutes dernières divagations de l'accusé: un
article paru dans le numéro d'avril du Courrier du continent
et intitulé «Vive le révisionnisme!»
On y lit notamment que l'article 261 bis du Code pénal,
qui réprime la discrimination raciale, «pousse au
génocide par métissage de la race blanche»
et que le révisionnisme «joue un rôle décisif:
il protège la race blanche du métissage et s'oppose
au chantage des organisations extrémistes juives».
Au président qui lui demande s'il n'entre pas un peu de
provocation dans cette publication, l'accusé répond:
«Je l'ai écrite à votre intention.»
Ce qui a dû faire plaisir aux juges: il y est également
question de l'«ânerie du tribunal suprême (le
Tribunal fédéral) qui va obliger les juges suisses
à braire à l'unisson».
ooooooooooooooooooooooooooo
Gaston-Armand Amaudruz a été exclu de l'Association
pour une Suisse indépendante et neutre. Les raisons diffèrent.
Gaston-Armand Amaudruz a été membre de l'Association
pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) que préside
Christoph Blocher jusqu'en mai 1995, date à laquelle il
en fut exclu. Pour quels motifs? Dans L'Hebdo du 26 août
1999, Christoph Blocher dit ceci: «L'ASIN a attiré
quelques individus peu recommandables, comme cet Amaudruz dont
je sais qu'il a des opinions nazies. Nous l'avons exclu.»
Le rapport de cause à effet que suggère le conseiller
national zurichois n'est pas du tout aussi clair dans les faits.
Le Journal de Genève, relatant une assemblée
générale de l'ASIN à Lausanne, notait le
29 mai 1995 que «le néonazi vaudois Gaston-Armand
Amaudruz, ne payant plus ses cotisations depuis trois mois, n'en
fait ipso facto plus partie», et signalait au passage
les regrets d'un membre romand pour qui le mouvement «est
ouvert à tous ceux qui partagent nos idées sur la
place de la Suisse en Europe, qu'ils soient communistes ou fascistes,
du moment qu'ils ne tirent pas profit de notre nom pour promouvoir
leurs propres idéologies». Jean-Dominique Cipolla,
un des trois vice-présidents en exercice de l'ASIN, va
plus loin. Le procès Amaudruz? Il ne voit pas très
bien de quoi il s'agit. Mais quand on lui précise les chefs
d'accusation --
racisme et négationnisme -- le notaire valaisan réagit
aussitôt: «Ah, c'est une question de liberté
d'opinion.»
La réalité des camps nazis et de l'Holocauste relève-t-elle
donc de la «liberté d'opinion»? Jean-Dominique
Cipolla avance d'un pas: «Que savez-vous des camps, vous
les médias: ce que les Américains en ont montré
à la fin de la guerre. On sait depuis Hérodote que
l'Histoire a été écrite par les vainqueurs.
Quant aux camps, il y en a eu avant et après les nazis...»
Le vice-président de l'ASIN, qui se dit favorable à
une «liberté d'expression totale», aurait-il
lui-même des doutes sur la réalité de l'extermination
nazie? A cette dernière question, il ne répond pas,
se souvenant soudain qu'il a pas mal de travail à faire,
et ajoute que l'ASIN ne peut répondre de ce que dit et
pense chacun de ses 40 000 membres.
Quant à Gaston-Armand Amaudruz, interrogé lundi
en marge de son procès, il confirme avoir été
exclu de l'ASIN, qu'il juge trop timorée, comme son président
Christoph Blocher.
Mercredi 5 avril 2000
A l'extérieur de la salle d'audience du Tribunal correctionnel
de Lausanne, Jürgen Graf s'agite au milieu de ses sympathisants.
Le pape du négationnisme suisse -- condamné en 1998
à quinze mois d'emprisonnement ferme pour avoir nié
l'existence des chambres à gaz -- savoure le décompte
des troupes: lundi ils étaient vingt-cinq, mardi à
peine moins, à venir apporter leur soutien à Gaston-Armand
Amaudruz accusé d'incitation à la haine raciale
et de révisionnisme.
Le plus vieux fasciste de Suisse a son fan-club: des amis et des
lecteurs du Courrier du Continent -- sa revue ronéotypée
qu'il diffuse depuis 1946 --, trois, quatre vieilles dames aux
cheveux blancs tirés en arrière, un Iranien résidant
à Lausanne et un Français qui refuse de décliner
son identité. Il peut surtout compter sur sa garde rapprochée,
les membres de l'association Vérité et
justice, principal club négationniste de Suisse romande.
A côté de Jürgen Graf, le président,
on retrouve René-Louis Berclaz, son secrétaire au
flegme aristocratique, dont la condamnation à quatre mois
de prison avec sursis pour propagation raciste a été
confirmée le 9 mars par le Tribunal fédéral,
et Philippe Brennenstuhl, le trésorier aux allures de garde
du corps.
Ressortissant d'Orbe, Philippe Brennenstuhl a également
créé en février 1998 la Fondation Aequitas
qui a son siège à Genève et dont les statuts
affirment défendre la liberté d'expression. Selon
le journaliste et spécialiste de l'extrême droite
Hans Stutz, son but est d'apporter un soutien aux négationnistes.
Son cofondateur, le Genevois Patrick Richard, n'est autre... que
l'avocat de Gaston-Armand Amaudruz. L'avocat explique qu'il a
quitté l'association courant 1998 et dément avoir
des sympathies pour les thèses négationnistes.
Dans un pamphlet distribué hier à Lausanne, Vérité
et justice dénonce une procédure «stalinienne»
et «totalitaire». «C'est un procès politique,
affirme, péremptoire, Jürgen Graf. Le président
du tribunal ne connaît rien du tout au révisionnisme.
Il ne sait même pas qui est Zündel (ancien SS et célèbre
auteur négationniste retiré au Canada, n.d.l.r.)!»
L'«ami français» éclate de rire. Ce
dernier raconte que «pas mal» de Français s'intéressent
à Amaudruz, même si les médias de l'Hexagone
ont fait le «black-out» sur le procès.
Procès diffusé dans le milieu
Jürgen Graf explique qu'il vient à Lausanne pour se
documenter. Ses comptes rendus seront diffusés par les
principales revues révisionnistes du monde, en Allemagne
et aux Etats-Unis, et bien sûr par Vérité
et justice. Dans son dernier bulletin, l'association a publié
une conférence donnée le 10 mars à Sion par
le révisionniste bâlois. Son thème? Le rapport
Bergier, qualifié, dans une postface de Philippe Brennenstuhl,
d'entreprise issue des milieux «sionistes et
maçonniques». Lors de cette soirée valaisanne,
qui a réuni une cinquantaine de personnes, le service d'ordre
était assuré par des skinheads neuchâtelois.
Avant de regagner la salle d'audience, Jürgen Graf rappelle
le credo révisionniste: il n'y a pas eu de plan d'extermination
nazi, il n'y a pas eu de chambres à gaz et il n'y a pas
eu six millions de morts juifs. Une jeune fille venue assister
au procès intervient: «Et que faites-vous des témoignages
des survivants?
-- Ils ne valent rien.»
Un jeune homme renchérit: «Et les confirmations apportées
par les nazis eux-mêmes?
-- Extorquées sous la torture des vainqueurs.»
L'échange tourne rapidement au dialogue de sourds. Obsédé
par des détails techniques relatifs à l'Holocauste,
le négationniste bâlois s'emporte: «C'est toujours
comme cela avec les juifs. Ils ne répondent jamais à
nos questions!»
Note de l'aaargh: on voit, à la note de la rédaction
du journal suisse sur Zündel l'étendue océanique
de son ignorance.
oooooooooooooooooooooooooooooo
Au «Canada» d'Auschwitz, on entrait en masse et personne
ne sortait.
Le procès de Gaston-Armand Amaudruz ne devait pas être
celui de l'histoire, tout le monde l'a répété.
Mais il n'a pas pu être celui de l'extrême droite,
le Tribunal ayant dû renoncer à entendre deux spécialistes
du sujet. Et, face aux sophismes par lesquels l'accusé
tente de faire passer son refus de reconnaître les crimes
nazis pour l'exercice d'un légitime scepticisme scientifique,
un peu d'histoire était bienvenue. La leçon a été
donnée par trois survivants des camps.
Les singeries de l'accusé avaient parfois suscité
l'hilarité d'un public en partie acquis à sa cause,
ces témoins ont déposé dans un silence de
plomb. Deux d'entre eux, Sigmund Toman et Otto Klein, ont été
détenus à Auschwitz. Le premier, qui est partie
civile au procès, a raconté les convois de juifs
de Hongrie et de Roumanie qui arrivaient en masse durant le printemps
de 1944, des déportés qui n'apparaissaient jamais
dans le camp tandis que la lueur des fours crématoires
montait plus haut dans le ciel. «On ne voulait pas y croire
et, pendant dix ans, je n'ai pas pu en parler, commente-t-il.
Aujourd'hui, j'estime que c'est mon devoir de veiller sur cette
mémoire.» Otto Klein a été détenu
avec son frère jumeau dans les quartiers du docteur Mengele,
en face du «Canada» -- le surnom donné au bloc
qui abritait chambres à gaz et four crématoire.
[Note de l'aaargh: cette affirmation fantaisiste dénonce
son auteur: il a lu des livres et il mélange tout. C'est
un faux témoin typique. Le Canada servait de magasin de
vêtement et n'était nullement à proximité
des crématoires. ] Il avait 12 ans. «J'ai vu
des milliers de gens y entrer, personne n'en ressortait jamais.»
Et, juste avant l'évacuation du camp, il a été
chargé de vider une pièce, dans le «Canada».
«Il y avait des lunettes, des montres, des vêtements,
d'enfants surtout», se rappelle-t-il. Comme Sigmund Toman,
Léon Reich n'a d'abord pas pu parler de ce qu'il avait
vu dans les camps qu'il a traversés. Aujourd'hui, il fait
des conférences dans les écoles «pour que
ça ne recommence pas». «A la fin de la guerre,
les survivants étaient surtout des jeunes gens. On avait
aussi déporté des enfants et des vieillards. Où
sont-ils passés?» demande-t-il. L'accusé n'a
qu'une réponse: qu'on lui remette une version écrite
des témoignages, il les soumettra à son «historien»
de référence, le célèbre négationniste
Faurisson...
oooooooooooooooooooooooooo
Le Tribunal fédéral a partiellement accepté
le recours du révisionniste bâlois Ernst Indlekofer.
La justice bâloise devra revoir la peine infligée
à Ernst Indlekofer.
Responsable de la revue Recht +Freiheit, ce sexagénaire
avait été condamné en septembre 1997 à
trois mois de prison avec sursis par la Cour pénale de
Bâle-Ville.
Dans un arrêt diffusé mardi, le Tribunal fédéral
(TF) a accepté partiellement le recours du condamné.
Ingénieur en informatique, ce dernier a écrit et
publié des textes qui minimisent, voire qui remettent en
question la réalité du génocide du peuple
juif.
Sur plusieurs points, le TF juge qu'une correction du jugement
rendu par la justice bâloise s'impose. Ainsi, les propos
d'Ernst Indlekofer, qui dénonçaient l'«hystérie
de l'Holocauste», ne tombent pas sous la norme antiraciste.
Si l'on examine le contexte de ces propos, selon l'opinion du
lecteur moyen, l'accusé n'a pas voulu par là minimiser
la Shoah, souligne le TF. Il a voulu vitupérer la manière
à son goût hystérique de thématiser
aujourd'hui l'Holocauste.
Mon-Repos juge par ailleurs que la maxime dite d'accusation n'a
pas été respectée en première instance,
devant la Cour pénale de Bâle-Ville. Sur la plupart
des autres points, en revanche, le TF rejette le recours du condamné.
Il ne fait pas de doute que les propos tenus par Ernst Indlekofer,
notamment relatifs à la «prétendue élimination
du peuple juif», tombent sous le coup de la norme antiraciste.
ATS
Arrêts 6P.132/1999 et 6S.488 du 3 mars 2000.
Le Temps, 6 avril 2000
Jeudi 6 avril 2000
Il ne faut faire de Gaston-Armand Amaudruz ni un exemple ni un
martyr. Le procureur vaudois Jean-Marc Schwenter a requis mercredi
15 mois ferme contre le révisionniste pour discrimination
raciale -- soit la même peine que celle qui a été
infligée en 1999 au révisionniste bâlois Jürgen
Graf. Le sursis est impossible pour l'octogénaire, dont
«c'est le métier de discriminer», a déclaré
Jean-Marc Schwenter. La défense a en revanche plaidé
en faveur d'une amende ou d'une peine de courte durée.
Le jugement est attendu lundi prochain.
«Amaudruz incarne l'insulte. Il en est la logorrhée.
Il puise dans le terreau du négationnisme pour se répandre
dans les plates-bandes du racisme. Il sème insidieusement
la graine de la haine et c'est le ferment possible de malheurs
ultérieurs», a lancé le représentant
du Ministère public dans son réquisitoire. «Son
discours est insoutenable et ne peut être toléré
dans un Etat de droit.»
«Le procès du négationnisme»
De leur côté, les organisations parties civiles ont
stigmatisé ce «petit idéologue de la haine,
qui est au centre d'une internationale brune et s'y complaît»,
selon l'avocat de la LICRA Philippe Nordmann. «Ce procès
est celui du négationnisme, qui est la forme moderne de
l'antisémitisme. Nous avons la responsabilité de
le stopper», a clamé Me Philippe Grumbach, l'avocat
des fils et filles de déportés juifs de France.
Pour son avocat, Me Patrick Richard, Gaston-Armand Amaudruz ne
mérite pas d'être placé sur le même
pied que Jürgen Graf, qui a vendu plus de 1000 ouvrages et
diffusé de la publicité et des écrits par
Internet. La distribution du Courrier du continent était
limitée (entre 400 et 500 exemplaires), et se faisait sans
publicité. Il n'a par ailleurs pas été établi
que l'accusé a vendu des livres depuis l'entrée
en vigueur de la norme pénale sur le racisme en 1995. De
plus, le fait de les mettre à disposition n'est pas constitutif
de l'infraction, selon le défenseur. Enfin, Gaston-Armand
Amaudruz, pour son avocat, n'est plus reconnu comme un leader
de l'extrême droite et son influence sur ces milieux est
désormais plus que limitée.
LT/AP
Le négationnisme, sinistre écho
du nazisme, peut-il être éradiqué par voie
judiciaire? Tandis que s'annonce la fin du procès de Gaston-Armand
Amaudruz à Lausanne, la réponse à cette question
semble plus que jamais incertaine.
Samedi 8 avril 2000
Dans la terre près du crématoire II d'Auschwitz,
rapporte l'ancien déporté Hermann Langbein",
des détenus du «commando spécial» qui
avait la charge de vider les chambres à gaz après
usage ont enfoui des notes dont des fragments ont été
retrouvés dix-sept ans après la libération
du camp. L'un d'eux, Zelmun Lewenthal, avait laissé ces
mots: «La façon dont les choses se sont passées,
aucun être humain ne pourra se l'imaginer parce qu'il est
inimaginable que nous puissions en rendre un compte exact.»
Zelmun Lewenthal savait qu'il ne survivrait pas, les membres du
commando étant régulièrement assassinés
avec le secret qu'on leur avait imposé. Il avait peu de
raisons d'espérer que son message serait jamais retrouvé.
Il a quand même témoigné.
Survivre pour témoigner, c'était l'objectif par
lequel de nombreux déportés tentaient de conserver
quelques lambeaux de sens dans une souffrance insensée.
Mais seraient-ils crus? Dès le début, certains survivants
racontent avoir connu cette angoisse. Et c'est elle que réveillent
chez eux les écrits, même marginaux, de ceux qui
prétendent «réviser» l'histoire alors
que leur but est plus précisément de la nier. A
cet égard comme à beaucoup d'autres, le négationnisme
se construit en écho de l'entreprise d'extermination nazie.
Le crime était inimaginable, ils soutiennent qu'il était
impossible: le temps pour ventiler les chambres à gaz aurait
manqué, les fours crématoires n'auraient jamais
pu brûler tous les corps, etc. Les SS exécutaient
la Shoah au moyen de circulaires codées et d'un langage
à double sens, les négationnistes prétendent
prendre ces mots de passe sinistres au pied de la lettre: la «solution
finale du problème juif» aurait résidé,
contre toute vraisemblance, dans l'émigration, on n'aurait
gazé à Auschwitz et ailleurs que des poux -- l'un
des termes utilisés par la propagande nazie pour évoquer
le «péril juif». Le régime hitlérien,
enfin, attribuait aux juifs qu'il exterminait le pouvoir terrifiant
d'anéantir, par contamination, la «race» allemande,
les négationnistes expliquent la reconnaissance universelle
de la Shoah par un mensonge juif, organisé pour bénéficier
d'avantages financiers -- les réparations -- moraux --
la condamnation de l'antisémitisme -- et politiques --
la reconnaissance de l'Etat d'Israël. Le «mensonge
d'Auschwitz» est la version actualisée du «complot
juif international», l'un des clichés antisémites
qui ont créé le terrain où la Shoah a vu
le jour.
Le négationnisme n'est pas simplement une vision ultra
minoritaire de l'histoire ou une théorie aberrante de plus
dans un monde où elles ne manquent pas. C'est la forme
contemporaine de l'antisémitisme politique. Il y avait
donc une certaine logique à ce qu'il fasse partie des comportements
interdits par l'article 261 bis du Code pénal, qui réprime
la discrimination raciale et l'incitation à la haine raciale.
Les tentatives entreprises dans les années septante d'argumenter
contre le négationnisme, d'étaler les preuves des
crimes nazis, avaient pu donner l'impression qu'il existait réellement
un débat historique sur la réalité et l'étendue
de ces crimes. Sa mise hors la loi a rendu ses défenseurs
infréquentables, ce qui est certainement une bonne chose.
Mais elle entraîne également de solides effets pervers.
On a pu le constater mieux que jamais durant le procès
de Gaston-Armand Amaudruz, qui verra sa conclusion lundi devant
le Tribunal correctionnel de Lausanne.
Le plus perceptible de ces effets est la visibilité que
la poursuite pénale confère au peu ragoûtant
microcosme qui gravite autour des Amaudruz, des Jürgen Graf
et autres René-Louis Berclaz. Pour ces gourous au petit
pied, qui peuvent se prévaloir à tout casser de
quelques dizaines de zélotes, l'aubaine de faire la «une»
des médias vaut bien quelques mois de prison, pas toujours
ferme.
Surtout que juger un discours, même tenu de parfaite mauvaise
foi, implique, en démocratie, de l'écouter. Les
personnes accusées en Suisse de négationnisme n'ont
certes pas la possibilité de transformer leur procès
en procès de l'histoire. Dès avant l'entrée
en vigueur de l'article 261 bis, le Tribunal fédéral
a précisé, à propos d'une plainte en diffamation
déposée par Mariette Paschoud, que l'existence des
chambres à gaz et d'un plan nazi d'extermination de juifs
d'Europe pouvait être considérée, sur le plan
juridique, comme des faits de notoriété publique
qu'il n'est pas nécessaire de prouver dans le cadre d'une
procédure pénale. [Note de l'aaargh: c'est
beaucoup plus facile comme ça!!!] Mais il n'en faut
pas moins établir que le discours taxé d'infraction
a été tenu, qu'il tombe bien sous le coup de la
loi et donner à l'accusé l'occasion d'expliquer
ses motivations. Les négationnistes utilisent doublement
le créneau que leur laisse ainsi la loi. Ils se retranchent
derrière la «muselière» et l'impossibilité
dans laquelle on les met de tenter d'établir la véracité
de leurs thèses pour se dispenser de toute argumentation
logique et assumer la pose du prophète injustement bâillonné.
Mais ils n'en propagent pas moins leur discours puisque, pour
les comprendre avant de les juger, il faut bien s'intéresser
à leurs convictions. Ils parlent donc du «lobby»
qui travaille à affaiblir les valeurs nationales et met
les pouvoirs d'Occident à sa botte. Des «parasites»
qui s'enrichissent grâce à la spéculation,
des délinquants étrangers qui viennent en Suisse
vendre de la drogue et que les intellectuels au service du «lobby»
veulent protéger. Ils font leurs choux gras de l'affaire
des fonds en déshérence: il leur suffit de la mentionner,
à titre d'exemple de ce qu'ils comprennent par «lobby»,
pour être entendus bien au-delà de leur cercle d'affiliés.
Bref, ils distillent avec délectation les clichés
racistes qui forment le noyau dur de leur univers mental. En apparence,
on est resté à la périphérie du débat
puisque le centre en est, en théorie, la négation
des chambres à gaz. Mais en réalité, on est
en plein coeur: dans la haine sournoise, la diffamation et l'incitation
à l'exclusion.
Tous ces effets pervers, nous fera-t-on remarquer, ne le sont
que par l'écho que leur donnent les médias. Certes.
Mais il serait illogique -- et dangereux -- d'appliquer dans le
secret une norme dont le but est de discipliner le discours.
Et grand ou petit, cet écho sera toujours plus important
que celui obtenu par une feuille comme le Courrier du continent,
par laquelle le plus célèbre des révisionnistes
romands atteint au maximum 300 à 500 personnes. La question
se pose donc de savoir si l'arme ne tire pas parfois plus large
que la cible et la réponse dépend en bonne partie
de l'appréciation qu'on fait de la capacité de nuisance
des néo-nazis laissés à leurs propres moyens.
Présent avec constance sur la scène d'extrême
droite en Suisse, Amaudruz ne fréquente pas des cercles
très nombreux. Mais il n'est pas rassurant de voir ses
vieilles lunes se faire une nouvelle jeunesse dans les milieux
skin. Et qui peut évaluer l'écho que sont susceptibles
d'avoir les nombreux sites négationnistes d'Internet auprès
des esprits non initiés? [Nous soulignons, avec
une certaine gratitude...] Difficile, donc, de trancher. Une
chose est sûre: la mise hors la loi du négationnisme
n'est pas la panacée qu'elle a semblé être
au début et l'arme judiciaire gagne, dans ce domaine comme
dans d'autres, à être utilisée avec parcimonie
et en tout dernier ressort.
Hermann Langbein: Hommes et femmes à Auschwitz,
Fayard 1975, paru en poche dans la collection 10/18. [Livre d'un
militant très politique]
===========================
GENÈVE. Le député vert Patrice
Mugny dénonce l'association «Vérité
et Justice»
Mardi 11 avril 2000
C'est une brochure qui suinte de partout la haine, l'antisémitisme
et le négationnisme. Intitulée Le contre rapport
Bergier, la poignée de pseudo-historiens connus pour
leurs idées révisionnistes qui a fabriqué
cet opuscule l'a envoyé à tous les parlementaires.
Profondément choqué par la haine qui s'en dégage
à sa lecture, le député vert Patrice Mugny
a décidé de porter plainte. Il vient d'adresser
une plainte pénale au procureur genevois Bernard Bertossa
à l'encontre de l'association Vérité et
Justice (sic!) et des auteurs, Bernhard Schaub, René-Louis
Berclaz, Jürgen Graf et Philippe Brennenstuhl pour négationnisme
du génocide des Juifs et des Tziganes (article 261 bis).
Tous se situent dans la mouvance du révisionniste Gaston-Armand
Amaudruz condamné lundi. Jürgen Graf est considéré
comme la tête de file des négationnistes en Suisse
et a déjà été condamné en première
instance à 15 mois de prison ferme pour s'être livré
à la propagande raciste et antisémite.
La brochure traîne dans la boue la conseillère fédérale
Ruth Dreifuss, la tenant en substance «pour une traître
à la patrie». Réactualisant le thème
éculé d'un complot juif mondial à la lumière
de l'affaire des fonds en déshérence, les auteurs
affirment que «le gouvernement suisse se considère
dorénavant comme le «vassal d'un lobby judéo-américain».
Ils s'en prennent aussi à Simone Veil, se gaussant de cette
survivante des camps, l'appelant «la gazée»
et considérant que la légalisation de l'avortement
à laquelle elle a participé est «une forme
de génocide». Derrière un scientifisme de
pacotille, les auteurs réaffirment la négation du
génocide auquel se sont livrés les nazis, écrivant:
«Quant aux gazages homicides ayant eu lieu à Auschwitz
(et dans d'autres camps), il n'existe pas l'ombre d'une preuve
matérielle et documentaire».
Fait inquiétant, jusqu'ici ces négationnistes hésitaient
à répandre leur propagande de haine et de mensonge.
Comme le note Brigitte Sion du Centre intercommunautaire contre
l'antisémitisme et la diffamation (CICAD), «ils ont
jugé le moment favorable pour avancer leurs pions devant
la montée de l'UDC et l'incompréhension d'une partie
de la génération de la Mob à l'égard
du rapport Bergier».
Le Temps, Mardi 11 avril 2000
Lausanne, de notre correspondant
Reconnu coupable de discrimination raciale, le négationniste vaudois Gaston-Armand Amaudruz, vétéran obstiné de l'extrême droite en Suisse romande, a été condamné, lundi 10 avril, à un an de prison ferme par le tribunal correctionnel de Lausanne. La cour l'a également condamné aux frais de justice et à une indemnité de 1000 francs suisses (4.000 francs français) à verser à chacun des quatre plaignants: un ancien déporté, la Fédération suisse des communautés israélites, la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) et l'Association des fils et filles des déportés juifs de France.
Il aura fallu l'introduction en 1995, dans le code pénal helvétique, d'un article réprimant la discrimination raciale pour que Gaston-Armand Amaudruz rende enfin des comptes à la justice de son pays. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, ce nostalgique du IIIe Reich, ancien professeur d'allemand et aujourd'hui octogénaire, n'a cessé de propager impunément des théories racistes et de déverser son fiel contre les juifs, niant la Shoah et l'existence des chambres à gaz dans les camps d'extermination. A la veille même de son procès, il a poussé la provocation jusqu'à réaffirmer ses thèses négationnistes dans le Courrier du continent, un bulletin qu'il édite depuis 1946 et distribue à quelque cinq-cents exemplaires dans plusieurs pays, notamment en France.
L'interrogatoire du prévenu avait permis de rappeler son itinéraire dans la mouvance d'une nébuleuse négationniste antisémite et raciste. Comme son acolyte également lausannois, le défunt banquier François Genoud, Gaston-Armand Amaudruz ne s'est jamais départi de ses sympathies de jeunesse. Au lendemain de la guerre, il se rapproche de l'internationale néonazie de Malmö, puis s'en détache en 1951 pour fonder avec René Binet, ancien membre français des Waffen-SS, un mouvement encore plus radical, le Nouvel Ordre européen. Le NOE ne sera jamais plus qu'un groupuscule, mais le Vaudois Amaudruz ne manquera pas une occasion de signaler sa présence chaque fois que l'extrême droite cherche à se manifester quelque part
Dans son réquisitoire, le procureur, qui avait réclamé quinze mois de prison, avait pris soin d'éviter d'en «faire un martyr», tout en soulignant que «son discours est insoutenable et ne peut être toléré dans un Etat de droit». De son côté, Me Philippe Grumbach, avocat des Fils et filles des déportés juifs de France, a présenté ce procès comme «celui du négationnisme, forme moderne de l'antisémitisme»: «Il est de notre responsabilité de le stopper, on assassine une deuxième fois les juifs en portant atteinte à leur mémoire.» Evoquant les liens étroits entretenus par Gaston-Armand Amaudruz avec les principaux ténors du négationnisme et se référant aux thèses développées par lui-même dans certains de ses libelles, la cour a considéré qu'il a démontré «une constance sans faille dans son activité raciste et son antisémitisme». Les juges ont également relevé qu'après avoir entendu les témoignages de trois survivants des camps « il n'a, à aucun moment, manifesté des regrets ni modifié son discours sur la Shoah ».[Note de l'aaargh: c'est-y un tribunal ou un guignol?]
La décision des juges de Lausanne ne deviendra exécutoire qu'après avoir été confirmée par le tribunal cantonal, au terme d'un très probable recours.
Le Monde, 12 avril 2000, première page.
Ce texte a été
affiché sur Internet à des fins purement éducatives,
pour encourager la recherche, sur une base non-commerciale et
pour une utilisation mesurée par le Secrétariat
international de l'Association des Anciens Amateurs de Récits
de Guerre et d'Holocauste (AAARGH). L'adresse électronique
du Secrétariat est <[email protected]>.
L'adresse postale est: PO Box 81475, Chicago, IL 60681-0475, USA.
Afficher un texte sur le Web équivaut à mettre un document sur le rayonnage d'une bibliothèque publique. Cela nous coûte un peu d'argent et de travail. Nous pensons que c'est le lecteur volontaire qui en profite et nous le supposons capable de penser par lui-même. Un lecteur qui va chercher un document sur le Web le fait toujours à ses risques et périls. Quant à l'auteur, il n'y a pas lieu de supposer qu'il partage la responsabilité des autres textes consultables sur ce site. En raison des lois qui instituent une censure spécifique dans certains pays (Allemagne, France, Israël, Suisse, Canada, et d'autres), nous ne demandons pas l'agrément des auteurs qui y vivent car ils ne sont pas libres de consentir.
Nous nous plaçons sous
la protection de l'article 19 de la Déclaration des Droits
de l'homme, qui stipule:
ARTICLE 19
<Tout individu a droit à la liberté d'opinion
et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être
inquiété pour ses opinions et celui de chercher,
de recevoir et de répandre, sans considération de
frontière, les informations et les idées par quelque
moyen d'expression que ce soit>
Déclaration internationale des droits de l'homme,
adoptée par l'Assemblée générale de
l'ONU à Paris, le 10 décembre 1948.