AAARGH
LE CINÉMA est évidemment un formidable lieu de propagande. Nous n'allons pas voir toutes les gigantesques fadaises qui sortent sur les écrans mais la simple lecture de deux stagiaires du Monde, probablement sous contrat avec la yeshiva voisine, est propre à donner à des gens normaux une idée de ce qui se fricote dans les salles obscures, pour la plus grande gloire de l'Holocauste et des pommes de terre frites.
Film américain de Peter Kassovitz. Avec Robin Willams, Alan Arkin, Armin Mueller-Stahl, Bob Balaban (1h 59).
Il y a Jakob le menteur, le film, il y a Jakob le menteur, l'affaiche. On y aperçoit un homme, juif du ghetto, avec une casquette et un manteau lacéré. Sur son manteau a été collée une étoile jaune. Rien d'anormal jusque-là, sauf que cette étoile ne comporte pas six branches mais cinq. L'homme ne peut donc être juif, futur déporté, mais un clochard qui porterait le logo d'une quelconque entreprise. Puis commence le film. Sans date, mais on comprend vite qu'on est en 1944 ou en 1945, sans indication de lieu non plus, mais plusieurs détails évoquent le ghetto de Varsovie. Il s'agit donc bien d'un film sur la Shoah.
Un homme apparaît sous nos yeux. C'est Robin Williams, enfin, plutôt Jakob. On le verra, plus tard, jouer avec une radio et se livrer à un numéro semblable à celui qu'il effectuait dans Good Morning Vietnam, puis dérider une jeune adolescente juive qu'il cache dans le grenier de son appartement comme dans Patch Adams, de Tom Shadyac, où il arrachait des sourires à un groupe d'enfants. Mais ce Robin Williams-là fait aussi la moue, serre les dents, regarde le ciel. Il est Jakob et prend la situation au sérieux. Son étoile jaune porte bien six branches et son anglais teinté d'un fort accent yiddish, rappelle bien, selon des conventions établies, qu'il appartient à un monde en train de disparaître.
SIMPLEMENT MÉDIOCRE
Jakob est donc un menteur. Un mythomane sympathique dont le mensonge -- l'écoute prétendue, lors d'une visite à la Komandantur, d'un message radio affirmant la venue imminente des troupes russes qui ne seraient plus qu'à 40 kilomètres du ghetto -- va raviver l'espoir parmi ses pairs, qui se mettent tout d'un coup à croire en leur sauvegarde imminente, puis le plonger dans un engrenage infernal, contraint d'alimenter ses camarades en fausses bonnes nouvelles supposément entendues à la radio.
Le traitement de la Shoah par le biais de la comédie n'est pas le débat le plus important suscité par ce film, par ailleurs simplement médiocre, très proche dans uréalisation d'un téléfilm. Le passage obligatoire par la caricature dans Jakob le menteur livre une image pénible de la culture juive d'Europe de l'Est réduite à des incantations, à des religieux à paillottes [Ce judéomaniaque confond avec "papillotte"] qui agitent les bras, à la carpe farcie et à la mère omnipotente. La vision de n'importe quel film yiddish réalisé avant-guerre en Pologne ou aux Etats-Unis serait aujourd'hui plus que salutaire pour prendre la mesure d'un monde qui n'a rien à voir avec la représentation qu'en donne Hollywood. [On pourrait dire ça de n'importe quel monde!]
Roberto Benigni affirmait avoir réalisé avec La vie est belle un "film de scence-fiction sur la Shoah". Jàkob le menteur contient un grand moment de science-ficton: la libération d'un train de déportés par l'armée russe qui l'empêche ainsi d'arriver à Auschwitz. Au cinéma, le juif est devenu aujourd'hui immortel. Il y a toujours un deus ex machina pour le détourner de son destin tragique. Faut-il s'en étonner, voire s'en indigner? Cette catharsis aberrante a déjà exclu depuis longtemps le monde juif. [Ce maniaque découvre donc que le cinéma, c'est du cinéma!]
Il reste de ce dernier une étoile jaune, à cinq ou six branches, qu'importe... un vieux manteau, des accents. Rien. Ceux que l'on prétend sauver sont morts depuis longtemps. [Comme Ben Hur, Ivanhoé, les cowboys et les Indiens...]
Samuel Blummfeld
JAKOB LE MENTEUR, de Peter Kassovitz, qui sort le 20 octobre, a pour principaux protagonistes des juifs sauvés in extremis de l'extermination nazie. Il apporte une nouvelle pierre au monument cinématographique érigé par La Liste de Schindler, de Steven Spielberg (1993) qui, au nom du devoir de mémoire, prend le parti d'une "hollywoodisation" de la Shoah, soit la mise en scène de la destruction des juifs d'Europe selon les principes du divertissement et du happy end.
II ne s'agit pas de relancer la polémique sur la légitimité qui permet de transformer en grand spectacle le précédent le plus obscène de l'histoire de l'humanité. [Cet autre maniaque veut nous vendre sa boutique en changeant le sens des mots]. Il s'agit plus simplement, de constater la distance accrue qui sépare, depuis quelques années, l'événement historique de sa représentation cinématographique. [Mais Nuit et brouillard n'était-il pas précisémment obscène par ses manipulations?] Les chiffres sont à ce titre plus parlants que la philosophie: alors que deux tiers des juifs d'Europe ont été assassinés, que le taux de mortalité était proche de 100% [où a-t-il vu ça, ce zozo inculte?] dans les camps, les films dédiés à ce thème aujourd'hui finissent sinon par des chansons, du moins par la représentation des survivants. A cette aune, six millions de victimes pourraient bientôt ressusciter par la grâce rétrospective au cinéma. Ce tour de force, qui fait passer l'exception pour la règle, ne va pas sans quelques rééquilibrages. Quand on ne privilégie pas explicitement le retour à la vie -- La Mémoire est-elle soluble dans l'eau, de Charles Najman (1995); la Trêve, de Francesco Rosi (1996) --, on recourt soit à l'action des Justes -- outre La Liste de Schindler, Tzedek, de Marek Halter (1994); Wallenberg, de Kjell Grede (1996) --, soit à la licence "poètique" -- Korczak, d'Andrej Wajda (1990); La vie est belle, de Roberto Benigni (1998). Jakob le menteur est un cas d'autant plus intéressant qu'il est un remake du film éponyme est-allemand réalisé en 1978 par Frank Beyer, lequel avait le (grand) mérite de ne pas faire stopper le convoi de déportation par l'armée rouge.
Que s'est-il passé durant les vingt années qui séparent ces deux films? Une remarque de Serge Daney [Le plus prétentiard des esbrouffeurs jargonneux, heureusement disparu] au sujet du feuilleton Holocauste (1978) permet de repérer une première étape. Constatant que Nuit et Brouillard, d'Alain Resnais (1956), avait cessé alors de représenter dans la conscience collective le seul film possible sur les camps, il affirmait que "l'écriture du désastre redevenait illisible". Deux ans plus tard, le choc de Shoah, de Claude Lanzmann, sembla lui donner tort avant que les années 90 n'aggravent finalement son diagnostic. Le mouvement massif auquel on assiste depuis lors rend de nouveau lisible les camps (c'est d'ailleurs de cette pédagogie que se prévalent ses défenseurs), sauf que cette lecture est strictement opposée à celle du cinéma moderne. Si des films tels que Drancy Avenir, d'Arnaud Des Pallières (1996) ou Voyages, d'Emmanuel Finkiel (1999), sauvent l'honneur, de quel poids pèsent-ils au regard de cette lame de fond qui, croyant oeuvrer à sa transmission, rend le génocide méconnaissable?
Jacques Mandelbaum
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