AAARGH
[Note pour le lecteur français:
l'auteur utilise souvent le mot "makhzen" qui désigne,
au Maroc, l'administration centrale de l'Etat. Ce mot, à
l'origine, signifie "lieu où l'on garde" et nous
a donné, via l'espagnol, le mot "magasin".
On gardera présent à l'esprit le fait que l'auteur
est en prison depuis dix ans, sans jugement, sans procès.
On se souviendra que le Maroc, sous Hassan II, a été
une abominable dictature, d'une férocité systématique.
Les opposants tombaient dans un monde obscur de cauchemar et de
torture que l'ignoble souverain appelait benoîtement son
"jardin secret" quand il parlait aux journlistes-carpettes
des médias français. On gardera aussi à l'esprit
le fait que Hassan II avait amassé l'une des plus grosses
fortunes du monde, comme son acolyte Mobutu, en prélevant
systématiquement une dîme sur toutes les activités
de ses sujets dont l'appauvrissement régulier est aussi
un fait incontestable. Tous les gouvernements français,
de gauche comme de droite, ont cautionné ces ignominies.
L'auteur de présent mémorandum s'excuse de l'avoir
écrit en français, il l'a fait pour que sa parole
soit entendue au loin, sachant que les textes écrits en
arabe "ne sont pas pris au sérieux" en Europe.
Ce fait est aussi regrettable que vrai. Qu'il nous permette néanmoins
de remarquer qu'il écrit dans un style remarquable.]
"Le roi des pauvres"
Le jeune monarque, Mohammad VI, jouit
d'un capital-sympathie évident auprès de la jeunesse
marocaine. Celle-ci semble découvrir en lui un copain,
un symbole de délivrance et une promesse fraîche
d'un avenir meilleur. Pendant les premières semaines de
son règne, et partout où sa campagne d'inauguration
le conduisit, le jeune roi est salué avec un enthousiasme
juvénile réel et débordant.
L'appareil makhzenien qui a organisé les funérailles
de feu Hassan II joue à plein pour présenter à
la foule, éperdue d'acclamations, un jeune homme de belle
prestance, tout sourire et qui n'économise pas les gestes
bienveillants en réponse à l'accueil chaleureux
de son public.
Féerie du carrosse antique et des chevaux aux sabots dorés.
Euphorie des réjouissances encadrées par les motards
modernes. Bel entrain que manifeste la liesse des foules alignées
tout au long des avenues badigeonnées à neuf pour
l'occasion. Cela est du moins d'un bel effet sur les écrans
de télévision.
C'est beau ! C'est émouvant ! Mise en scène réussie
; l'Etat spectacle à la marocaine n'est pas novice, lui,
dans l'art de jouer avec les attributs et les symboles dans l'apparat
et la munificence d'une vieille tradition.
Le symbole a pris un coup de jeune et l'élan est sincère.
Tout porte à penser qu'après une nuit de cauchemar,
le scintillement d'un rayon de soleil pointe enfin à l'horizon.
L'ombre pesante d'une époque de plomb semble se dégager
pour faire place au rayonnement d'une aube naissante. C'est l'aurore
magique annonçant un printemps longuement attendu.
La promesse généreusement distribuée est
enivrante. Mais gare au désabusement si, après le
dégrisement, la grisaille des perspectives bouchées
rappelle la jeunesse, enchantée un moment et bercée
par le grand espoir, à son sort peu enviable. Les parades
et les cavalcades passées, la poésie ailée
fera place à la terrienne prose du chômage et de
la misère. Les effluves de l'enivrement passés,
la béatitude fera place à la gueule de bois.
L'image soignée et la bonne volonté de la nouvelle
autorité emblématique risquent d'être trahies
par des résistances, des contraintes socio-économiques
et des rapaces qui guettent le moment propice pour défendre
leurs privilèges et perpétuer les circonstances
politiques favorables au blocage et à la stagnation. Tapis
dans l'ombre, les tireurs de ficelles, agents corrompus et corrupteurs
habiles dans l'art de camoufler la vérité et de
promouvoir le mensonge, chercheront à contrer les jeunes
volontés inexpérimentées.
L'on ne peut faire contrepoids aux vieux renards avec la bonne
intention épanouie. L'on ne peut prétendre ouvrir
une nouvelle page et fleurir un nouveau parterre en cultivant
avec candeur les public-relations avec une génération
accablée de désespoir. On ne peut continuer à
jeter la poudre aux yeux du monde quand le Maroc est sur le fil
du rasoir. On ne peut agir de la sorte quand le compte à
rebours est déclenché.
Premières manoeuvres
On ne peut se payer d'images et de mots pour oublier et faire
oublier par l'exposé avenant et optimiste du verso la désespérante
grisaille du recto.
Les jeunes conseillers du jeune roi semblent vouloir conjurer
le mal-être marocain avec les incantations médiatiques.
A défaut de pouvoir leur donner du pain et de l'emploi,
donnons-leur du spectacle et distribuons-leur des sourires! Même
Néron faisait mieux en assurant le pain quotidien. Le spectacle
venait après le pain. Les jeunes technocrates ne s'intéressent-ils
pas aux leçons de l'histoire?
Le jeune entourage semble vouloir gommer l'image sinistre d'une
époque où régnaient la main lourde des tortionnaires
de Tazmamart et l'hypocrisie d'une démocratie de façade
garantie par les attestations de foi publiques que les élections
n'ont jamais été falsifiées, que l'honneur
et la vérité ont toujours présidé
à la conduite des affaires et que l'"alternance consensuelle"
est un ajout appréciable et original à la démocratie.
La jeunesse qui acclame Mohammad VI se détourne définitivement
d'une classe politique complice, bon gré mal gré,
du vieux makhzen menteur et traître aux principes de l'Islam
affiché, comme elle se détourne de la démocratie
hassanienne vidée de toute substance et adultérée
au goût d'un despotisme sans foi ni loi.
Conscients du manque de repères et du déficit identitaire
dont souffre la génération boat-people qui fuit
le Maroc de la misère au risque que l'on sait, les jeunes
conseillers marient les fétiches surannés et modernes
pour faire accroître et pour faire adopter une foi de remplacement
à ceux ou à celles qui n'ont plus foi en personne.
L'hymne national et le drapeau rouge à l'école implanteraient
semble-t-il le sentiment de loyauté dans les coeurs tendres.
Les campagnes de solidarité et les badges à cinq
dirhams consacreront la nouvelle "culture de l'aumône
publique".
S'abîmer en salutations matinales devant le drapeau national,
la main sur le coeur, et s'égosiller en chantant au vent
l'hymne national finiront, la misère aidant, par discréditer
le nouveau fétichisme. Changer l'attirail idéologique
ne pourra jamais insuffler aux Marocains le nouvel esprit qui
les mettra en branle et qui les rassurera sur leur avenir. Les
sessions annuelles de la main tendue à l'aumône constituent
désormais une tradition qui trouve une page d'honneur dans
l'agenda makhzenien pour normaliser nos rapports avec la mendicité.
Qui leurre qui? Qui essaie-t-on de mener en bateau dans cette
vague publicitaire? Les jeunes desperados qui vendent les maigres
avoirs de leur famille pour acheter un billet à destination
de la mort en s'embarquant sur les felouques de fortune à
Tanger?
Qui manque de principes solides et d'une robuste volonté
va chercher ses certitudes sur le marché du prêt-à-porter
des slogans bon marché. Allez raconter des histoires d'abondance
aux affamés! Faites miroiter le mirage de l'oasis hospitalière
à la horde assoiffée dans le désert des promesses
non tenues. La désillusion n'en sera que plus grande et
les conséquences plus catastrophiques quand, les mirages
évanouis, les dures vérités démentiront
le grand mensonge.
Un héritage très lourd
Nous voilà bien partis en focalisant tous les espoirs
sur un nouveau visage apparu soudain sur la scène. Sur
les épaules frêles du prince héritier, innocent
des crimes d'antan, viennent tout d'un coup s'amonceler de lourdes
responsabilités: celles d'abord de balayer les écuries
d'Augias et d'assainir le paysage politique et administratif infesté
d'âmes vautrées dans le vice et vendues à
Satan. Victime parmi les victimes hier, le voilà aujourd'hui
appelé à endosser la responsabilité de sauver
le Maroc du naufrage au bord duquel il se trouve.
Personne parmi les observateurs, un tant soit peu avertis, n'ignore
que le système tout entier est en déliquescence.
Les " signaux forts " par lesquels le Palais essaie
d'affirmer sa volonté et d'entériner son autorité
en rendant justice à un opprimé par-ci et en prononçant
un discours bien ficelé par-là ne suffisent pas
à remédier à une situation désastreuse.
Passé le temps o la répression policière
et le bon plaisir du Prince tenaient lieu de politique. Passée
l'époque où les superlatifs dithyrambiques et les
discours grandiloquents envoûtaient un parterre de courtisans
domestiques et complaisants, complices de l'opération criminelle
du détournement de mineurs. Le peuple analphabète,
berné un temps par l'unanimisme consensuel d'une classe
de politicards, attend aujourd'hui des actes. La jeunesse désoeuvrée
et livrée à la drogue pour fuir une société
ingrate et éviter du regard la perspective d'un avenir
sans horizon réclame aujourd'hui du travail et une place
au soleil.
Que doit faire le jeune Mohammad VI qui jouit aujourd'hui auprès
de sa génération d'une grande et généreuse
vogue? Que peut faire le prince charmant pour répondre
en actes décisifs aux attentes fébriles et aux espoirs
du petit peuple et du peuple pauvre ?
Que doit-il faire, que peut-il faire pour asseoir son autorité
et affermir sa position ?
Pour effectuer, pour entamer le changement profond que le pays
appelle de ses voeux, il faut que le "roi des pauvres",
titre ô combien vénérable, se définisse
en rupture totale avec un passé qui n'a de majestueux que
le nom et la trique. Il a besoin d'acquérir par des actes
virils et loyaux la stature d'un chef qui soit à la mesure
du grand espoir que son accession au trône a suscité
parmi la jeunesse et dont l'exubérance des accueils, à
lui réservés partout, témoigne.
Doit-il agir pour mériter l'auréole morale et imposer
son autorité?
Peut-il agir?
Que faire?
Soit que le souverain prenne son courage à deux mains et
fonce, avec la volonté intrépide d'un chef, sur
les obstacles, soit il végétera dans les velléités
des pusillanimes.
Soit qu'il fasse preuve d'audace et de détermination, soit
la routine du makhzen et les solutions faciles constitueront un
handicap qui tiédira l'enthousiasme des inaugurations chaleureuses.
Le pur-sang franchira-t-il d'un trait tous les obstacles ou bronchera-t-il
devant ceux-ci? De reculade en reculade, l'exécrable destin
des rendez-vous manqués avec l'histoire serait alors celui
de notre poulain.
Un devoir sacré
Toi, lecteur, mon ami ! Toi, homme de foi, mon frère!
Toi, ma soeur! Vous qui partagez ma douleur de voir notre pays
au bord du précipice alors que la gent obséquieuse
des thuriféraires pavoise et brûle l'encens devant
l'autel des totems sacrés! Vous tous, peuple sincère
et honnête, vous intellectuels intègres et courageux
qui mâchez vos mots à l'unisson avec le discours
mielleux des flatteurs! Passez outre mon style escarpé
et prêtez votre oreille et votre conscience à mes
mots endoloris!
La prostration devant ce qui se passe, le silence retentissant
des statistiques calamiteuses qui placent le Maroc à la
traîne des nations sont trop parlants! Ces réalités
traduites en chiffres ne peuvent être dénoncées
et mises en évidence avec des mots émoussés,
des phrases banalisées, des expressions fades et froides
et un style anesthésié de conformisme. Mes mots
sont exacerbés, malhabiles peut-être, choquants sans
doute au goût de la pléiade des bien-pensants ! Qu'importe
! La cause noble pour laquelle milite tout citoyen libre et habité
par un haut idéal exige de nous tous un minimum de franchise
et de simple honnêteté intellectuelle pour révéler
les vérités occultées et éveiller
les consciences en léthargie.
Oui ou non, notre devoir comme citoyens soucieux de l'avenir de
notre pays est de dénoncer la fraude et les fraudeurs?
Oui ou non, ce jeune roi a droit à entendre des voix non
mercantiles avant que la propension à la suffisance et
à la superbe propre au Prince courtisé n'en fasse
un tyran abominable? Oui ou non, ce bateau ivre à la dérive,
cette nation arriérée qu'est devenu le Maroc a droit
à notre sollicitude?
Avalez vos langues, vous les lymphatiques de la volonté!
Applaudissez le manège, vous les badauds du cirque! Quant
à vous, hommes et femmes de foi, jeunes et moins jeunes
de bonne foi, vous avez votre mot à dire et votre message
à faire passer. Dites votre mot et proclamez votre message
en faisant fi de la médiocrité politicienne qui
crie à l'outrecuidance et à l'insolence chaque fois
qu'un musulman barbu ou une musulmane voilée profère
un mot en dehors de l'enceinte sacrée de la complaisance
consensuelle et à contre-poil des certitudes avachies.
Questions brûlantes
Pauvre du jeune roi, son héritage est trop lourd! Trop
de questions se posent à son sujet. Trop d'attentes écrasantes
l'attendent au tournant.
Que veut faire le jeune roi nouveau venu au pouvoir?
Que peut-il faire? Qu'osera-t-il entreprendre? Se laissera-t-il
obnubiler par les flatteries des arrivistes? Se laissera-t-il
envoûter par le chant des sirènes du pouvoir? Le
pouvoir corrompt, on le sait, et le pouvoir absolu, auquel tendent
naturellement les rois héritiers, corrompt absolument.
Les forces centrifuges et la ségrégation sociale
approfondiront-elles le fossé séparant les Marocains
en plusieurs catégories? La méfiance du peuple à
l'égard de l'élite politicienne gagnera-t-elle les
esprits concernant la jeune figure apparue aux yeux de la jeunesse
désemparée comme celle d'un sauveur inattendu?
Que peut faire un roi novice accablé de tant de soucis
et portant le fardeau d'un système bâti sur l'idée
que le roi peut tout faire et doit tout faire?
Rien s'il se laisse bercer par l'antienne rassurante de jeunes
courtisans qui ne manqueront pas d'accourir et qui voudront se
tailler un morceau de ce que leurs prédécesseurs
repus auront laissé! Rien s'il confie au hasard des alternances
calculatrices le soin de changer le cours des événements!
Beaucoup s'il fait preuve d'audace et de détermination
et s'il va toujours plus loin dans les faits et les actes. Beaucoup
s'il fait tout pour prouver que celui qui conduit le train n'est
pas un personnage fluide et moux, jouet docile entre les mains
des puissances astucieuses et intrigantes du Palais.
Il est temps d'oublier les mégalomanies aiguës, filles
scandaleuses du mariage malheureux entre une démagogie
moderne et la fameuse nakhoua (munificence) de Dar El Makhzen.
Parlons vrai. Parlons chiffres, parlons ménage, parlons
concret, parlons clair!
Le Maroc est réputé être une famille bienheureuse
que baigneraient les bienfaits d'un roi-soleil, père attentionné
des Marocains et sage entre les sages. Longtemps la propagande
makhzenienne bien orchestrée a présenté chaque
jour sur le théâtre de la fausseté les arguments
fallacieux et les images fardées, comme quoi tout est excellent
dans le meilleur des Maroc possibles. Aux membres crève-la-faim
de la famille marocaine, on a, pendant quatre décades,
promis le pays de cocagne. Devant le peuple paisible et tranquille
on a fait comparaître les trublions, diables maléfiques
et fauteurs de troubles, comme ennemis du peuple; jadis c'était
les gens de gauche, aujourd'hui les barbus et les voilées
de l'Islam.
Quel beau cocon familial pour le Marocain que celui qu'a produit
une époque où se sont succédés la
poigne infernale des Oufkir, les Tazmamart d'après Oufkir,
les disparitions dont personne ne sait rien et les procès
iniques dont l'issue et la sentence sont connues d'avance!
De mal en pis, le Maroc des "tontons macoutes" s'est
détérioré sur le plan des droits de l'homme
jusqu'à ce que la situation nationale et les pressions
internationales ne puissent plus supporter les passe-droits et
l'affreux destin réservé aux fils et aux filles
(à la tête chaude) de la famille marocaine unie sous
la bienveillance du père de la nation.
Sous la poigne policière, et profitant de l'absence de
tout contrôle, les pillards s'en sont donné à
coeur joie et ont amassé des fortunes colossales, tout
cela sous l'aile protectrice du Sceptre. L'ami du pouvoir est
à l'abri de toute poursuite comme il est à l'abri
de tout. Il a de plus tous les droits.
A l'intention des membres (bien-aimés) de la famille, les
sans-soutien et les laissés pour compte, les prestidigitateurs
de service avaient plusieurs tours dans leur sac et étaient
prompts à sortir de leur manche un lapin pour éblouir
la galerie et éconduire un problème .
La machine a excellé à produire la misère
pour tous et la richesse insolente pour les favoris, l'indemnité
pour les proches et la casse pour les récalcitrants.
Urgences
La toile de fond qu'hérite le sympathique souverain
(que l'engouement du moment ne doit pas leurrer) est la gabegie
générale, la misère pour beaucoup, le confort
criard pour quelques-uns, la corruption comme moyen d'administrer
et de gouverner, le tripatouillage des élections comme
institution et pratiques démocratiques. Bref, la ratatouille
makhzenienne.
Le système qu'il aura à gérer est englué
dans le magma de ses sécrétions. Le roi doit chercher
une issue pour sauver la situation. L'"alternance consensuelle"
et le "pacte d'honneur" ont été longuement
négociés, concoctés et enfin conclus. L'on
sait bien combien en vaut l'aune. N'insistons pas!
Le jeune roi, promesse souriante, n'est pas responsable des méfaits
et des crimes des autres. Il est pénétré
de compassion pour les déshérités, à
preuve sa simplicité et l'accueil qu'il réserve
à la foule des quémandeurs qui assaillaient sa demeure
du temps où il n'était que prince héritier
et qui continuent de l'assaillir chaque jour de misère
que l'injustice sociale et l'absence de justice tout court font.
Il s'agit maintenant pour le prince au bon coeur, devenu roi courtisé
et jalousé, d'impulser une nouvelle dynamique à
la machine et de réorganiser les rapports sociaux en vue
d'un nouveau départ.
Le roi doit se dépasser, se surpasser, autrement il sera
vain d'attendre des résultats profonds et durables d'actions
marginales improvisées coup par coup. Il faut un acte fondateur,
un acte qui légitimerait une nouvelle conduite de l'Etat,
une autre méthode de gouvernance, une justice autre, un
enseignement sensé, une justice sociale qui abolirait les
privilèges et qui rapprocherait les deux rives de la fracture
béante entre les va-nu-pieds et ceux qui roulent sur l'or.
Il faudra faire prospérer l'économie et favoriser
l'investissement productif créateur d'emplois.
Il faudra imprimer aux événements un nouveau tour.
Le nouveau style marqué par le courage certain du jeune
Mohammad VI constitue déjà une amorce dans ce sens,
mais il faudra au bras qui veut activer un Maroc traînard
une force toujours plus grande. Il faudra un grand bond en avant.
Il faudra à cette ambition naissante et innocente des crimes
du passé une visée haute et un levier spirituel.
Il faudra entreprendre une remise en cause de tout le système.
Il faudra mettre le train sur de nouveaux rails, et, pour ce faire,
il faudra disposer d'une locomotive et d'un levier vigoureux.
Il faudra tout remettre en cause car, derrière les palissades
décorées, la bâtisse est fissurée et
menace ruine. D'où l'ardente nécessité d'intervenir
et de marquer un grand coup.
Il y a une urgence cuisante de frapper un grand coup, car la construction
branlante en soi va bientôt entrer en choc frontal avec
deux grandes et effrayantes échéances: la question
du Sahara et le marché mondial ouvert dans dix ans.
L'hypothèque du Sahara est un legs envenimé du règne
révolu et de la politique de prestige dédaigneuse
des hommes. Nos frères Sahraouis sont partagés entre
deux choix :
-- Celui d'une royauté rigide sur son trône qui les
somme de se prosterner devant elle conformément à
la grand-messe rituelle de la bai'â makhzenienne,
cérémonie caricaturale qui n'a rien à voir
avec le pacte islamique solennel en vertu duquel un peuple libre
s'engage et engage la responsabilité d'une autorité
librement acceptée.
De contrat synallagmatique mutuellement engageant, la bai'â
s'est transformée au cours de l'histoire musulmane mouvementée
et tourmentée en une parodie ridicule.
Les Sahraouis, hommes fiers et indépendants, ont été
soumis brusquement au cérémonial makhzenien, et
l'on a vu sur les écrans les nobles figures des chefs tribaux
courber l'échine devant la majesté péremptoire
et hautaine. Quelle humiliation! Quelle blessure de l'amour propre
d'une population très attachée à l'Islam
et qui se voit avilie!
-- Celui qu'exprime la voix des bandes armées et idéologisantes
et qui leur parle le langage de la dignité. Vont-ils voter
un jour prochain pour un Maroc unifié et vraiment musulman,
Maroc à repenser et à reconstruire ou bien vont-ils
tirer la conclusion de l'humiliation passée et de la répression
sauvage dont ils ont été victimes tout récemment
et choisir la dignité et la liberté sous une autre
bannière?
Les milliards qui ont été dépensés
pour des cités modernes flambant neufs bâties sur
les sables du désert n'auront servi qu'à appauvrir
le Maroc et à aggraver son endettement. La politique du
prestige conquérant aura servie à consacrer la rupture
entre deux fractions d'un même peuple.
Urgence cuisante et nécessité ardente de revoir
et de remettre en cause notre islamité, hautement proclamée
mais sournoisement trahie.
Quant à nous, notre option est claire et sans équivoque:
l'unité des peuples musulmans au travers des frontières
scélérates héritées de notre histoire
ancienne et récente.
Quant à l'urgence de prévenir la descente du couperet
du marché ouvert, elle nous apparaîtra en parcourant
un peu les statistiques de la place du Maroc sur la scène
mondiale.
Parlant de principes, on reste dans le vague. On ne cerne la réalité
qu'en serrant de près les données. S'ils ne sont
pas attelés à une tâche bien déterminée
par une conscience honnête, les principes ont tendance à
être volatiles. C'est pourquoi nous évoquerons quelques
chiffres pour nous rendre compte de la gravité extrême
de la situation et de l'effort exceptionnel qu'il faudra déployer
pour résister aux difficultés qui ne manqueront
pas de barrer le chemin devant toute tentative de changement.
Je ne joue pas ici les Cassandre par crainte excessive devant
les menaces présentes et prévisibles. Ce qui m'anime
c'est le devoir d'exhortation au bien que l'Islam exige de tout
musulman et le devoir d'avertir contre le mal.
Depuis longtemps, nous avons dénoncé les méthodes
dictatoriales qui veulent que l'homme au sommet du pouvoir s'arroge
le droit de tout régir selon son bon vouloir, tout dicter,
tout savoir, tout avoir, tout posséder.
La constitution octroyée, et périodiquement remise
au goût du jour, est l'expression moderne du firman impérial:
le sang qui coule dans mes veines et la peine que je me suis donnée
de naître me garantissent le droit d'être le maître
absolu du destin de tous! De mes mains ils doivent tout attendre!
Statistiques alarmantes
Et voilà en chiffres le résultat de l'héritage
de cette gouvernance géniale:
Les statistiques des Nations unies sériant les Etats du
globe selon leur indice de développement humain classent
le Maroc à la 125ème place derrière, et de
loin, les pays voisins tels la Tunisie et l'Algérie. Belle
performance et brillants résultats!
12 millions de Marocains vivent en deçà du seuil
de pauvreté, c'est-à-dire avec moins de 10 dirhams
par jour.
Prés des trois quarts des Marocains gagnent moins que le
SMIC marocain, c'est-à-dire 1600 dirhams par mois.
Le bidonville tend à être l'habitat habituel et accepté
comme une banalité pour un nombre de Marocains en recrudescence.
Le rapport des salaires au Maroc varie de 1 à 1000, avec
trois zéros; de 1 à 10 et moins en Europe.
23% des Marocains à la force de l'âge sont inactifs
et en chômage. Sans parler du chômage déguisé
qui porterait le pourcentage à une barre effrayante.
Une jeunesse qui se drogue pour oublier ou qui "bulle"
pour fuir la misère insupportable. "Buller" est
le mot employé pour signifier qu'on s'en va et qu'on brûle
la seule carte qui reste: la vie. On joue avec cette ultime propriété
un jeu brûlant.
Plus de 100.000 diplômés du supérieur, médecins,
ingénieurs, professeurs, techniciens de qualité,
ruminent leur désarroi et leurs déceptions dans
les cafés du coin ou manifestent dans les rues de la capitale.
53% des Marocains (chiffre avoué) sont analphabètes
et bons pour être menés en bateau par la propagande
officielle ou la surenchère partisane. Il est édifiant
à ce sujet d'observer comment les élections se déroulent
chez nous, comment la misère des uns, la malhonnêteté
des autres et la complicité criminelle d'une administration
policière et corrompue participent à faire de nos
élections une mascarade dramatique.
De la corruption à la mondialisation
De la corruption, il n'est plus de conscience qui ne soit
scandalisée. La corruption est devenue un mode de vie.
Du plus humble (serviteur) de l'administration au personnage haut
perché de la haute sphère, tout le monde tend la
main. Tous les services ont un tarif allant du billet rouge à
l'enveloppe bien garnie. Le chèque viré au compte
en banque suisse est le moyen adéquat d'acheter l'autorité
de la "haute", clean et discret.
Cela étant, comment s'étonner si les investisseurs
étrangers hésitent à s'aventurer au Maroc.
Surtout que l'appareil judiciaire de chez nous est, de notoriété
publique, vénal. Devant les tribunaux, les courtiers négocient
impudemment l'issue d'un procès, comme s'il s'agissait
d'un banal achat de bétail au souk.
Si l'on ajoute à tant de maux qui gangrènent notre
administration la lenteur bureaucratique et l'atermoiement du
préposé ou du chef de service qui attend qu'on lui
graisse la patte pour bouger, l'on comprendra pourquoi l'investisseur
tant nécessaire boude le Maroc. En Europe occidentale,
trois ou quatre heures suffisent pour faire signer votre dossier.
Au Maroc, il faut attendre des mois, sinon des années.
Il s'agit d'encourager et d'épauler un essor économique,
de sorte que notre présence sur le marché mondial
soit compétitive. Question de vie ou de mort. Comment y
parvenir dans les conditions abominables de nos institutions,
de notre appareil judiciaire et de notre administration?
Comment convaincre les investisseurs de venir chez nous quand
la moindre petite paperasse demande des mois sinon des années
pour être obtenue! Il faudra se morfondre en attendant sagement
que l'intermédiaire proche du pouvoir soit satisfait de
sa part en actions de votre société ou que votre
niaiserie et votre bonne foi soient désabusées.
Pour investir au Maroc, il faut soit respecter le droit au "café"
du moindre petit fonctionnaire, soit avoir la vocation d'un Don
Quichotte qui aime courir après les moulins à vent.
Il faut toujours faire son choix administratif: le "café"
ou le marathon de bureau en bureau sans être sûr du
résultat.
De la drogue
Comment affronter une mondialisation qui frappe aux portes
(si elle n'est déjà-là) avec une jeunesse
droguée? Voilà un autre dossier brûlant qui
n'est pas à ignorer. Parler de la drogue au Maroc revient
à évoquer un dilemme auquel on n'est pas près
de trouver une solution tant que le système corrompu est
perpétué par l'âpreté au gain des caïds
de la drogue et la dépendance des provinces du nord de
la culture du cannabis. Les uns et les autres sont poussés
à produire et à écouler cette marchandise
qui trouve de plus en plus acquéreur chez nous comme ailleurs.
Naguère, les médias européens ont dénoncé
la participation éhontée au trafic de la drogue
de personnages proches, très proches du régime.
Je me vois ici contraint de me référer à
des données et à des statistiques glanées
dans les médias occidentaux. Etant donné la "transparence"
prétendue chez nous, nous en sommes réduits à
nous mettre à l'écoute de ce que disent de nous
les autres; ces nations libres et bien informées. Comment
vérifier? Comment contrôler? Comment savoir avec
l'expression libre muselée et la propagande officielle
mensongère et hypocrite de chez nous?
Les faits scandaleux et abjects rapportés par des organes
sérieux qui ne sont pas de simples feuilles de chou achetées
et mercenaires soulèvent le dégoût. En rapportant
ces données et ces statistiques, mon intention n'est pas
de jeter en pâture au public des actes pervers et des chiffres
ahurissants. Les morts sont morts et c'est à Dieu de les
juger, mais les vivants pâtissent, et pour des générations,
des méfaits des disparus.
Le peuple qui n'a pas accès aux sources d'information libres
et véridiques doit tout savoir pour guérir une fois
pour toutes de son attachement à la dictature. Un peuple
informé, mis au courant et conscientisé sur ce que
la tyrannie peut commettre de crimes doit rejeter les tyrans et
s'émanciper de leur joug conformément aux principes
sacrés de l'Islam.
Le Saint Prophète nous a prévenus et mis en garde
contre la tyrannie mordante. Le mot â'ad (mordant)
exprime parfaitement la rage qu'a le despotisme de vous croquer.
Répercuter les informations peu reluisantes sur nos gouvernants
en les appuyant de traits acérés ne relève
pas d'un règlement de compte quelconque dicté à
un esprit chagrin par une froide rancune. Lâche et irresponsable
qui vise à tirer vengeance posthume de cadavres refroidis.
Des morts, on tire leçon pour les vivants. Les petits sentiments
puent la médiocrité et l'insignifiance. Mais la
vérité doit être recherchée et proclamée.
Tristes vérités
Avis aux âmes sans crainte de Dieu, tremblant de peur
devant la créature: voilez-vous la face, bouchez-vous les
oreilles!
Aux âmes racées, dont Mohammad VI semble faire partie,
il faut servir la vérité crue au lieu de leur présenter
les mets apprêtés du mensonge. Les menteurs et les
hypocrites, les gens sans crainte de Dieu, sans foi en Dieu et
en la Vie Dernière sont autant d'insectes humains pris
dans la toile de leurs préoccupations mesquines. Ils sont
embobinés autour de leur néant existentiel par la
spirale des jours et des nuits qui égrènent des
vies sans objet et sans honneur.
Hassan II sera jugé! Mohammad VI aussi! Ils rendront compte,
comme nous tous, au Juge Suprême qui les questionnera sur
le mur de la honte qui s'élève plus haut chaque
jour entre un peuple miséreux et une poignée de
profiteurs. Qui l'a bâti ce mur? Qui l'a entretenu?
Tout finit par se savoir. Seul le peuple analphabète préoccupé
par le pain quotidien ignore ce qui se passe au Maroc. Les journaux
et les publications étrangères ne cessent d'étaler
la honte du pillage systématique des richesses marocaines
par les autorités marocaines.
Qui ignore encore parmi les intellectuels, grands lecteurs de
la presse étrangère, que l'ONA, cette pieuvre tentaculaire
que contrôlait le défunt roi que Dieu l'ait en Sa
grande Miséricorde (il en a bien besoin, le pauvre, là
où il est maintenant) était et reste une parcelle
importante de la fortune hassanienne? L'accaparement, le monopole
et les privilèges dont jouissait sous le règne révolu
et dont continue de bénéficier l'ONA ont fait de
cet empire colonial une hydre à têtes multiples,
une sangsue qui pompait et qui continue de pomper des profits
scandaleux aux comptes faramineux de la majesté disparue.
Tout au Maroc appartenait, peu ou prou, à l'ONA, ce monstre
intouchable, donc au roi. Cette parcelle importante des richesses
accumulées pendant quatre décennies est revenue
avec le reste de l'avoir colossal du défunt aux héritiers
royaux. L'énormité du magot (excusez la vulgarité
du mot) mettra dans l'embarras ceux-ci, à commencer par
Mohammad VI, le jour ou le peuple, dégrisé et ne
supportant plus la morsure de l'indigence, ne se contentera plus
de chuchoter et réclamera des vivants les comptes des morts.
Iceberg apparent des possessions royales évaluées
à plusieurs milliards de dollars selon certaines publications,
l'ONA dominait et continue de dominer l'économie du pays.
Le roi défunt, que Dieu lui pardonne, se targuait d'être
un fellah parmi les fellahs. Dérision des mots ou cynisme
dérisoire!
Rien n'échappait à la boulimie de l'ONA qui engloutissait
tout ce qui se présentait comme un domaine lucratif. Le
domaine agricole comme celui de l'agro-alimentaire était
annexé par l'organisation. Le tourisme et les hôtels
de luxe, de grand luxe où les invités de "notre
ami le roi" étaient reçus, comptaient pour
de maigres bagatelles devant la fortune colossale qui comprenait
les banques, l'assurance, les sucreries, le pétrole, l'ingénierie
financière, les entreprises publiques, les sociétés
minières, un conglomérat financier bénéficiant
de privilèges inouïs, la pêche, l'industrie
chimique, l'impression, le transport, le textile. Et la liste
est longue.
Les bénéfices fabuleux (à l'échelle
locale, car l'essentiel des revenus et des avoirs royaux choisissent
résidence et siègent ailleurs) du roi étaient
occultés et soustraits aux regards indiscrets des indigènes.
Quand la mégalomanie rêve de construire l'une des
mosquées les plus grandes et les plus opulentes du monde,
elle mobilisera les agents d'autorité pour dépouiller
les fellahs (les vrais) de leurs sous. L'arbitraire et l'archaïque
autorité makhzenienne opèrent en plein jour. Le
pouvoir d'Etat moderne jette la poudre aux yeux en parlant de
démocratie et de constitution pour mieux agir, en sous-main
ou à la lumière tamisée, selon des procédés
barbares.
Les jardins démoniaques
Le roi défunt (que Dieu le prenne au sein de Sa Miséricorde)
avait, selon sa propre expression, son "jardin secret"
qu'il se réservait le droit de cultiver en privé.
En fait, il disposait en guise de jardin, de cimetières
privés où sont enterrés les "mauvais
sujets" parmi ses serviteurs. Il disposait de sinistres mouroirs
où sont emmurés vifs les rescapés des assassinats
pas si mystérieux que ça et les épargnés
des pelotons d'exécution.
Macabres jardins qu'on cache soigneusement pour pouvoir présenter
visage humain au monde. D'autres cachotteries touchent aux comptes
royaux dans les banques étrangères ouverts sous
des numéros secrets ou des pseudonymes. Les investissements
royaux à l'Etranger sont innombrables et leur contrôle
échappait au propriétaire lui-même qui ne
savait plus combien d'entreprises ou de châteaux il possédait.
Sont-ce les allégations fausses d'une presse étrangère
calomnieuse, ou bien est-ce la vérité qu'on nous
cache? Il faut nous la dire, la vérité.
L'accumulation de tant de richesses échappe à l'entendement.
En 1994, l'Observatoire géopolitique des drogues avait
publié un rapport confidentiel dans lequel certains proches,
très proches, du souverain défunt étaient
nommément cités. Le roi lui-même n'était
point épargné.
Comment savoir? Comment contrôler? Pourquoi savoir? Pourquoi
parler de ces choses maintenant?
Les affaires ténébreuses demeurent occultées
dans ce pays qui subit le black-out total tout en protestant contre
les bribes de vérité publiées à l'Etranger,
assurant que la démocratie hassanienne est l'exemple même
de la transparence. La chape de plomb et la main lourde étouffèrent
le pays jusqu'au jour ou l'existence de Tazmamart, longtemps niée,
est enfin avouée. Les témoignages poignants des
anciens locataires de cette demeure cauchemardesque dévoilent
les secrets infernaux du "jardin secret du roi".
L'étendue du fossé qui sépare les prétentions
des faits, le mensonge de la vérité, est à
la mesure du fossé social qui sépare le Maroc pauvre
de l'élite scandaleusement riche, élite qui tient
ses privilèges de la main prodigue du roi défunt
et d'un entourage ignominieusement corrompu et corrupteur.
Le pillage de l'économie marocaine sinistrée est
un fait! Les palais royaux aussi; ces palais que le jeune roi
a fait courageusement évacuer, dit-on, d'une horde de serviteurs
toujours prêts à recevoir le monarque défunt,
toujours sur le pied de guerre pour ne pas se faire surprendre
par un patron si cruel avec les petites gens, si avenant et si
généreux avec ses hôtes de marque.
Ames bien nées, amis lecteurs, frères et soeurs
qui lisez mes propos! Que l'aspérité de mes mots
et la véhémence de mon langage ne vous laissent
pas soupçonner que c'est l'amertume longtemps rentrée
qui dicte ma critique! C'est le regret de voir l'Islam bafoué,
la vérité travestie et mon pays dupé qui
aiguisent ma plume.
Nulle hargne ne m'anime. Dieu m'est témoin que je souhaite
le Salut éternel au défunt autant que je souhaite
aux vivants longtemps brimés, longtemps trompés,
longtemps étouffés, de tirer les choses au clair.
Les survivants de l'ère passée doivent chercher
à voir clair dans une situation brumeuse et glissante pour
éviter au Maroc des dérapages catastrophiques et
pour tirer du passé des leçons pour le futur.
Parlons de leçon et de sagesse au prince héritier
devenu subitement roi après la disparition d'un pauvre
musulman pécheur. Parlons-lui d'hier et de demain et de
l'éternité pour voir s'il a l'étoffe d'un
fondateur capable d'initier une ère nouvelle ou s'il n'est
que le fils de son père, ombre passagère sur la
scène et personnage transitoire.
Mort d' "homme"
Hassan II aimait entretenir ses intimes de la première
grande leçon qu'il a reçue après le décès
de son père Mohammad V, (que Dieu les ait tous les deux
dans Sa Miséricorde). Lors de la prière des morts,
la dépouille du roi défunt Mohammad V étendue,
corps inerte devant l'assistance, on annonça la prière
pour "un homme". Un homme parmi des milliards d'autres
qui comparaîtront devant leur Créateur. Un homme!
Aucun titre honorifique. Un homme! Réduit à sa plus
simple expression. Au bout du parcours, la dépouille d'un
roi égale celle du dernier des roturiers au regard des
vivants émus de méditer devant "un homme"
leur propre devenir, le seul devenir certain de tous les mortels:
la mort.
Hassan II, touché un moment par le spectacle émouvant
de la mort d'un homme-héros adulé de son vivant,
a-t-il cessé d'y penser le jour d'après? A-t-il
oublié la leçon et l'avertissement des funérailles
éplorées de son père? Pourquoi se détourne-t-on
de l'inéluctable et se distrait-on de l'implacable et redoutable
fin qui nous attend tous, nous les voyageurs éphémères
sur cette terre, demain pour sûr simples "hommes"
enveloppés dans un linceul?
Les mécréants ont résolu l'angoisse de la
mort en s'acceptant animal sans signification et en se résignant
au néant. Pour ceux-là, la mort est la tragédie
suprême et ultime qu'il faut oublier pour pouvoir continuer
à subir la vie, à jouir des plaisirs que la vie
nous offre, à laper à pleine gueule les pâtées
de la vie, à s'abîmer éperdument dans les
distractions de la vie, à se droguer physiquement ou moralement
pour oublier l'absurdité de la vie, à se survivre
dans la mémoire des hommes en accomplissant des oeuvres
d'art, en réalisant des projets grandioses, en léguant
à ses héritiers un patrimoine consistant, à
l'humanité une découverte scientifique, à
sa ville un monument ou une fondation de charité.
Ils apaisent donc ce sentiment latent en chassant l'idée
de la mort et l'image insupportable de leur cadavre en putréfaction
après la mort.
Quant aux musulmans fidèles à Dieu et ayant foi
en le Message de Son Envoyé le Saint Prophète Mohammad,
(Salut et Bénédiction sur lui), ils cultivent le
souvenir et le ressouvenir de la mort, en font une réminiscence
de tous les instants. L'image de "l'homme" que nous
serons tous un jour ou l'autre devrait être présente
à notre esprit depuis le réveil jusqu'au coucher
et particulièrement lors de nos prières et de nos
oraisons. Ceci pour avoir toujours présentes à l'esprit
les réalités d'après la mort: la Résurrection,
les comptes à rendre devant Dieu de notre comportement
durant la vie éphémère ici-bas, la sentence
du Juge Suprême, la marche des bienheureux à leur
demeure éternelle dans le Paradis, où l'escorte
conduisant les mécréants et les hypocrites aux fosses
de l'Enfer.
Pauvre de l'homme moderne, de culture ou acculturé, pour
lequel parler de la mort est un signe de dérèglement,
une psychose, une obsession maladive justiciable de l'asile psychiatrique.
Pauvres des "hommes", qu'ils soient rois ou simples
mortels, qui ont oublié les grandes leçons qu'ils
se plaisaient à raconter aux autres!
Pauvres de nous tous, "musulmans" sans la foi, détournés
de la foi, escroqués de la foi, oublieux de la foi, infidèles
à la foi, traîtres de la foi, ennemis de nous-mêmes
quand nous nous comportons dans la vie comme si nous étions
éternels sur cette terre!
Le pauvre Hassan II, ému un moment lors de l'oraison funèbre
de "l'homme" qu'était devenu son père
(que Dieu embrasse dans Sa Miséricorde l'un et l'autre)
a vite fait d'oublier. Au lieu d'agir en mortel soucieux de son
Devenir après la mort, il céda à la tentation
que peut offrir la vie à un roi: jeunesse, richesse, santé,
prestige, culture. Il céda à toutes les tentations
qu'il courtisa avec le doigté d'un artiste. Son "métier
de roi", terme qu'il affectionnait parlant de lui-même,
lui offrait les moyens et les opportunités d'assouvir ses
désirs de grandeur et de savourer les délicates
et délicieuses tromperies de la vie.
Leçon d'histoire, leçon de piété
O âme candide! O roi héritier de roi! O "homme"
fils d'"homme" et donc promis à la mort tôt
ou tard!
Hassan II, s'il n'était qu'un particulier, un commun des
mortels, aurait eu droit à notre compassion et à
notre silence compréhensif, pécheurs mortels que
nous sommes tous, implorant la Clémence et la Grâce
de Dieu. Mais il était roi! La leçon que son fils
doit tirer du spectacle de Hassan "l'homme" qu'il a
porté jusqu'à sa demeure dernière sur ses
épaules abattues ne doit surtout pas dépérir
dans la mémoire de Mohammad VI, devenu aujourd'hui roi,
devenant un jour certain "homme" à son tour.
Hassan II, celui-là même qui institua la devise trinitaire:
"Dieu, la patrie, le roi" est désormais pauvre
chose ensevelie dans un cercueil doré; pauvre chose.
Le jeune monarque a marché dans le cortège du prétendu
prétendant demi-dieu infaillible et a assisté à
la scène annuelle de la sacrilège cérémonie
où ce n'est point Dieu qu'on adore. Puisse Dieu pardonner
à l'"homme" le rituel makhzenien de la bai'â
makhzenienne qui veut que les dignitaires du royaume se prosternent
bas, et à cinq reprises, devant l'idole humaine, au milieu
du tumulte des pauvres serviteurs à chéchias rouges
affairés à aligner les rangs des adorateurs.
Comment veut-on que les dignitaires annuellement dressés
à se prosterner bas devant les idoles aient quelque dignité
que ce soit? Marionnettes en djellabas blanches et en burnous
dûment retroussés, les pauvres gens, ministres et
hauts fonctionnaires, doivent se sentir une âme de tapis
aux pieds du maître.
Que vont répondre à Dieu les initiateurs et les
serviteurs d'un makhzen qui, en guise de contrat de loyauté,
fait subir aux hommes l'humiliant rituel, impie et païen?
Le jeune roi a aussi assisté aux conférences du
Ramadan et aux festivités du mausolée. Grandioses
assemblées pour l'organisation desquels un budget fou est
affecté. Bien de mainmorte, les habous sont des
legs de musulmans pieux passés de l'autre côté
qui ont fait confiance aux générations leur succédant
pour que leurs donations soient consacrées aux dépenses
pour le culte et pour les pauvres. Quelle trahison que celle d'un
pouvoir qui, non content de détourner l'argent des morts,
le dépense pour célébrer des fêtes
idolâtres!
Le jeune roi devra choisir entre deux destinées: soit que
le sens dynastique et l'éblouissement par les feux de la
rampe le portent à rester loyal à une tradition
décadente et à une pompe de mauvais aloi et de mauvaise
foi, soit qu'il se décide à faire le grand pas pour
dépasser et racheter les crimes et les impiétés
auxquels il a assisté, avec une gêne évidente.
Si le jeune roi choisit de rester sous la tutelle de la tradition
ancestrale, craintif de transgresser la caïda, l'on
saura que la situation critique dans laquelle se trouve le pays
est sans espoir, et que le respect de l'Islam que professait Hassan
et que professerait le Mohammad du choix craintif n'est qu'un
vain mot.
Si, par contre, la crainte de Dieu et un éveil spirituel
animent le deuxième Mohammad, repenti et revenu à
Dieu, humble mortel préparant son Devenir, il doit se mettre
à démanteler "l'empire du mal".
Le jeune et sympathique souverain, en ce début du mois
de novembre 1999, vient de remporter la première manche
dans un combat glorieux contre ledit empire. Il vient de renvoyer
le ministre de tous les crimes, le préposé aux basses
oeuvres de feu Hassan II.
Bon augure et grand défi
C'est, ma foi, un coup de pied formidable dans la termitière
makhzenienne qui suscite l'optimisme. Reste pour le monarque à
achever le travail de nettoiement. Après avoir déboulonné
un gros bloc, il lui faudra dégager les décombres
pour reconstruire à nouveaux frais l'édifice vermoulu
qu'on lui a légué. Il n'est certes pas aisé
d'effacer les atteintes à l'honneur du Maroc, aux droits
des Marocains, à la dignité humaine, sans déraciner
en profondeur l'arbre de la géhenne.
L'acte spectaculaire et fulgurant de démettre de ses fonctions
le pilier central du makhzen, le factotum de Hassan, son confident
et son homme de confiance, est un acte courageux et méritoire.
Un tournant décisif peut-être.
Mais, un tournant de quoi vers quoi?
L'homme de paille de Hassan II n'est qu'un pauvre hère,
un exécutant, un fusible destiné à isoler
des hautes tentions. A quoi sert de faire sauter le fusible si
l'installation défectueuse est vouée à se
perpétuer? Une fois le bouc émissaire sacrifié,
les démons sont-ils pour autant exorcisés?
Le nouveau roi parle dans ses discours d'un "nouveau concept
de l'autorité". Il vient d'administrer magistralement
la preuve qu'il entend agir en conséquence. Il vient de
passer avec succès le test de crédibilité.
Après les petits signaux, il vient d'en donner un grand.
Mais entend-il vraiment rompre avec le passé? Peut-il rompre
avec le passé?
C'est sans doute une petite révolution, mais à quand
la grande ?
Où va Mohammad VI? Où va le Maroc?
Nulle part sans se reconstruire et reconstruire sur des bases
solides, sur le roc inébranlable de la foi. C'est un acte
politique de grande envergure que de chasser dans l'opprobre une
figure abhorrée par le peuple entier. Comment vont être
gérés le vide politique d'une alternance fictive
et l'espace politique gagné par la disparition d'une grosse
tuile?
On peut toujours pencher pour une politique politicienne et trouver
des agents à visage humain pour combler les espaces vides.
Mais quid du vide moral dont le méchant ministre n'est
que le voyant? Quid du vide spirituel? Quid de l'économie
et de l'argent des morts et des vivants au pillage desquels le
ministre tombé participait?
Quid?
Mohammad fils de Hassan, et le Maroc avec, ne vont nulle part
en avançant dans le flou des improvisations et du coup-par-coup.
Quelle que soit l'audace du jeune roi, quelles que soient sa fougue
et ses actions d'éclat, quelles que soient les espérances
mises en lui par le peuple qui pousse des ouf de soulagement,
le manque d'un projet de société clairement défini,
profondément accepté par le peuple risque de compromettre
cruellement l'espoir d'échapper aux affres d'un déluge
qui s'annonce proche.
Rupture salvatrice
Les hommes forts du régime, tel Oufkir et Dlimi, laisseront
la place aux serviteurs sans états d'âme comme le
ministre déchu aimait à se définir. Sans
une remise en cause approfondie, le fond pourri des choses restera
le même. Après un sursaut spectaculaire, viendra
la déception et l'échec.
Quand le fond est pourri, les hommes de basses inclinations, s'ils
se voient chargés de présider au destin des nations,
ne vont pas s'inspirer d'une haute visée qui transcende
la bêtise humaine, l'injustice humaine, la turpitude humaine
et la férocité carnassière des tortionnaires.
Seule une échappée par le haut peut extraire les
souverains héritiers d'un pouvoir absolutiste, et les peuples
à eux assujettis et peuplant les bidonvilles matériels,
culturels, politiques et moraux de la "mare au diable".
Le cas d'espèce qui nous intéresse ici, notre marécage
marocain en l'occurrence, pue et sent. Les pincettes des "signaux",
petits et grands, ne peuvent aller au fond pour évacuer
la boue accumulée couche sur couche.
Tâhe ingrate que celle de retrousser ses manches pour "aller
au charbon". Noble entreprise que celle de vouer sa vie et
son énergie à assainir l'environnement et à
déblayer le terrain pour pouvoir construire. Le peuple
soutiendra l'effort d'assainissement et de reconstruction s'il
est associé loyalement à l'entreprise, dans la transparence.
Les énergies, les compétences et le potentiel économique
et moral ne manquent pas. Mais si l'on veut les mobiliser et les
faire fructifier, il faut mettre une génération
saine au travail, lui ouvrant les yeux sur ce qui s'est passé
et sur ce qui se passe. Il faut congédier avec les agents
de la ténèbre la tradition de l'opacité et
du camouflage des vérités.
Le règne "glorieux" de Hassan "le bâtisseur"
du Maroc moderne était une succession de capitulations
politiques et culturelles vis-à-vis de l'extérieur
concomitante et solidaire d'un absolutisme conquérant et
cruel vis-à-vis du peuple.
Mohammad VI est le premier à connaître, pour les
avoir subies, les manières brutales et le langage "châtié"
du défunt roi dans ses relations avec les Marocains, proches
ou serviteurs. Il était aussi premier témoin de
la différence quand il s'agissait d'étrangers.
Les accointances du roi défunt, que dis-je, ses connivences,
ses complicités avec ses amis et ses soutiens étrangers
sont des secrets de polichinelle. Qui ignore son affection et
son intérêt particulier pour le sionisme cosmopolite?
Le peuple marocain n'a-t-il pas assisté, surpris et ahuri,
au spectacle télévisé des rabbins bénissant
et priant pour le "prince des croyants"?
La presse américaine a révélé comment
la CIA américaine en collaboration avec le Mossad sioniste
organisaient la sécurité du défunt roi, comment
ses amis de confession juive et d'idéologie sioniste bénéficient
de ses faveurs. Est-il de plus grande preuve à cela que
celle de l'Etat sioniste usurpateur qui baptise 70 avenues et
rues en Israël du nom de Hassan après sa disparition!
Le gouvernement et les organisations sionistes, animés
par des juifs d'origine marocaine et qui savent être reconnaissants
envers leur bienfaiteur, ont participé aux cérémonies
israéliennes en souvenir de "l'inoubliable ami".
Ami avoué des juifs sionistes, notre Hassan a tant fait
pour plaire et complaire à la gent cosmopolite. Ce qui
fait dire aux mauvaises langues que le système hassanien
est une judéocratie.
De cette lointaine perdition, de ce profond égarement,
il faudra au jeune et courageux Mohammad VI revenir. Ce serait
un repentir et un retour à Dieu exemplaires si en plus
de se désolidariser clairement et sincèrement des
aberrations du père et de ses graves atteintes à
l'Islam et à la morale, il joignait une rupture avec ses
propres erreurs de jeunesse et ses péchés véniels.
Se désolidariser de cette politique exécrable qui
consiste à trahir le peuple palestinien frère et
musulman ne sera pas une vaine t,che. Les complices du père
jouent ouvertement pour protéger le roi "regretté"
et sécuriser le roi novice. Par exemple quand l'Observatoire
des fortunes internationales publie que Hassan est l'un des hommes
les plus riches de la planète, la nouvelle et les titres
des journaux sont vite escamotés. L'on sait qui détient
les grands média et qui contrôle la grande presse
en Amérique et ailleurs.
Un changement de fond
La fortune fabuleuse du défunt roi (que Dieu l'ait
dans Sa Miséricorde) est échue en héritage
empoisonné à Mohammad VI et à ses cohéritiers.
La convoitise humaine va-t-elle inciter les héritiers,
musulmans et descendants du Saint Prophète, à conserver
chacun sa part des biens que leur père a amassés
par les moyens que l'on sait?
Le roi jeune et les princes et princesses vont-ils, peuvent-ils,
interroger leur conscience sur la disparité monstrueuse
entre un peuple végétant dans la misère noire
et des héritiers subitement ensevelis sous le poids d'une
richesse à peine croyable ?
La psychologie des princes élevés dans les palais
d'une opulence inouïe est-elle apte à se laisser effleurer
seulement par la simple pensée de comparer leur situation
à celle des autres?
La conscience des princes éduqués et élevés
à l'européenne est-elle susceptible d'être
touchée par le sort de la multitude qui végète
dans le manque, le besoin, l'analphabétisme, le désespoir,
la misère noire?
Le jeune monarque semble appartenir à la catégorie
des coeurs sensibles à la misère des humbles. Tout
incite à le penser et à le croire: ses gestes attendris
pour embrasser le petit garçon handicapé, sa sollicitude
envers les démunis qui font la queue devant sa demeure
et auxquels il accorde son attention.
Signes de magnanimité et de générosité.
A la bonne heure!
Mais le jeune roi, le roi généreux et au bon coeur
peut-il aller plus loin sur cette voie louable? Peut-il se convaincre,
peut-on le convaincre que la situation est tellement sérieuse,
le besoin d'une grande partie du peuple est tellement grand, que
seul un grand changement de fond peut mettre fin à l'exclusion
sociale, à l'indigence sans nom et à la stagnation
économique?
La condition de la femme, l'exploitation éhontée
de l'enfance, la jeunesse droguée et en chômage semant
la panique dans les ruelles des quartiers sont autant de plaies
sociales qui crient la détresse du Maroc pauvre. La criminalité
juvénile est l'autre face, hideuse celle-là, de
la jeunesse souriante et optimiste qui acclame le cortège
royal.
Pour mettre en équation le Maroc afin de pronostiquer sérieusement
son avenir, il faut tenir compte de deux données. La première
est que le poids énorme de la dette extérieure pèse
sur le budget du pays et handicape toute tentative de redressement.
Ceci en plus de l'immoralité de l'administration, de sa
lourdeur et de sa corruption qui constituent la tare du Maroc
agissant et la malédiction du Maroc qui subit.
La deuxième donnée est que le jeune roi et les princes
et princesses sont les cohéritiers de la colossale richesse
laissée par l'homme disparu.
Mettez les deux données côte à côte
et l'évidence d'une solution radicale au problème
de la pauvreté des Marocains saute aux yeux: affecter cette
grande fortune au payement et à l'effacement de cette lourde
dette. Et voilà que le roi nouveau se hisse au rang des
héros. Voilà que le jeune monarque accomplit l'acte
fondateur qui le lancera sur la trajectoire des destinées
humaines glorieuses.
Proposition simpliste! Naïveté enfantine! Insanité
et folie!
Le jeune roi au coeur tendre a-t-il l'étoffe d'un héros
pour tenter l'impossible? A-t-il l'imagination "naïve"
et supérieure de transcender toutes les logiques de l'abandon
et de la capitulation pour penser et imposer cette politique d'une
autre trempe?
Il y a maintenant plus d'un quart de siècle, j'avais proposé
au roi défunt l'exemple et le modèle d'un saint-homme,
luminaire brillant dans le firmament de l'histoire musulmane,
qui osa défier toutes les logiques de son temps et de son
clan pour bouleverser l'ordre reçu, les idées reçues
et les traditions reçues de sa lignée et imposer
aux événements un tour nouveau.
Lueur incomparable dans l'histoire post-califienne des musulmans,
Omar fils de Abdelaziz fut proclamé roi après le
décès de son oncle le roi Soulaiman. Il s'avéra
être un pur parmi les purs en commençant son règne
par la restitution de tous les biens de la nation à la
nation. Il exigea de la famille royale de faire de même.
Sa femme, voyant la rigueur et la droiture d'un époux hors
du commun, consentit et déposa aux pieds du roi jusqu'au
dernier de ses bijoux.
C'est l'exemple et le modèle que j'ai proposé au
roi défunt dans mon incurable naïveté et que
je propose aujourd'hui, sans trop d'optimisme, je l'avoue, au
fils mortel d'un roi déjà parti.
L'exemple de Omar Ibn Abdelaziz est le plus connu dans notre histoire,
mais il n'est pas unique. D'autres grands hommes ont laissé
dans l'histoire des musulmans des traces indélébiles.
Youssouf Ibn Tachfine en est un, et des plus illustres.
C'est un jeu d'enfant que d'écrire et de décrire
pareille proposition. Sur le terrain des réalités
vécues, c'est l'impensable.
C'est l'impensable, à moins que le dynamique Mohammad VI
n'élève son regard vers les cimes et n'entreprenne
la seule solution capable de libérer le pays de la lourde
hypothèque qui grève notre présent et compromet
tout espoir de développement durable et profond. Ce n'est
point là une mince affaire.
Ce grand coup, si jamais la conscience royale le conçoit
et que l'audace souveraine ose l'envisager et l'exécuter,
permettra au jeune roi inexpérimenté et entouré
d'une couvée de vipères éclose et entourée
de soins dans le nid du makhzen hassanien, de prendre la stature
d'un héros sauveur qui tatouera la mémoire de l'histoire
et rentrera par la grande porte dans la Grâce de Dieu.
Le makhzen hassanien n'est pas près de rendre l'âme.
Quand on a pris le pli et contracté le virus de la corruption
et de la fourberie propres à l'administration makhzen,
haute et basse, on ne renonce pas facilement aux prébendes,
aux intrigues et aux complots.
L'épuration d'une administration corrompue sera possible
une fois le "grand acte" accompli, la régénération
d'un système vieilli envisageable, l'organisation d'une
solidarité sociale basée sur le développement
et l'emploi et non sur la seule charité publique et privée.
Le geste décisif et la geste héroïque accomplis,
le roi pourra faire appel à l'abnégation de tous,
à la responsabilité et à la droiture de tous,
à l'implication et au dévouement de tous, pour reconstruire
un Maroc nouveau, un Maroc de rêve, un Maroc rêvé.
Résistances
Utopie chimérique?
Non, simplement une solution de bon sens. Solution difficile certes,
car le monde où nous vivons n'est pas une planète
sans pesanteur, et les résistances seront multiples.
Résistance extérieure quand les instances financières,
les banques et les sociétés de placement verront
leurs intérêts lésés par un déplacement
subit et important de fonds aussi importants.
Résistance tenant à l'atavique attachement aux possessions
de la terre, cet attachement propre aux hommes toutes conditions
confondues.
Le rapatriement de la fortune amassée injustement après
réalisation des biens immobiliers est une solution de haute
volée politique. Mais c'est avant tout un devoir religieux.
Rendre au peuple marocain ce que le défunt "père
de la grande famille marocaine" a amassé n'est que
rendre justice. Le jeune roi au coeur tendre et à la dynamique
entreprenante devra se décider à envisager une solution
radicale au sujet de ce legs pesant, sinon ce sera la stagnation
du Maroc et son enfoncement encore plus bas dans le sous-développement.
Cette proposition osée qui paraît à première
vue un indice de douce folie, le propos d'une imagination ailée
ou la divagation d'un détraqué persécuté
par une idée fixe, paraîtra un jour comme le bon
sens et la solution de sagesse.
N'est-il pas ridicule et mesquin de faire tant de tapage autour
de la fondation Hassan II, cet organisme dont l'idée a
germé dans quelque tête écervelée ou
dans celle d'un fieffé hypocrite. Quelle trivialité
lorsqu'on veut attacher au nom d'un homme réputé
être l'une des plus grandes fortunes de la planète
(fortune estimée par certains à 40 ou 50 milliards
de dollars, sans compter l'immobilier et les autres avoirs) l'administration
et la gestion du minable petit milliard du deuxième GSM!
Sont-ce des racontars de mauvaises langues pendues que ceux qui
attribuent à un homme absent parce que mort des richesses
inexistantes?
D'odieuses calomnies colportées par des média irresponsables?
Qu'on publie un démenti! Qu'on dise au peuple la vérité
et le chiffre exact ou approximatif des biens spoliés!
Les nouveaux concepts
Le jeune "père de la nation" sait maintenant
qui détient les secrets et les clefs du vrai changement.
Puisqu'il propose un nouveau concept de l'autorité, qu'il
agisse conformément à un nouveau concept de la justice
et du partage équitable entre les membres de la même
famille.
Une nouvelle conception de l'économie et du développement,
jusqu'ici hors de portée, s'impose à lui s'il veut
faire sortir le pays de l'ornière. L'équation qui
aligne la dette extérieure du Maroc avec les avoirs du
roi du Maroc crie au scandale. La dette extérieure absorbe,
maintenant après les gains de l'ajustement structurel,
quelque 36% du PNB du Maroc. Parallèlement, le taux raisonnable
de l'épargne nationale qu'il faut pour un départ
sérieux de l'économie est de l'ordre de 36%. Autre
équation dont l'intérêt, s'il échappe
à l'entendement des petits comptables réalistes
et près de leurs chiffres n'échappera pas aux imaginations
intrépides.
L'acte décisif, le geste historique proposé au jeune
roi émanciperait le Maroc du joug de la Banque mondiale.
Il mettrait le Maroc à l'abri des diktats de cette institution
carnassière qui a contraint le pays à se soumettre
aux restrictions impitoyables de l'ajustement structurel avec
le coût social qui a terrassé le Maroc.
Devant la dévastation sociale qu'a provoquée, et
que menace d'aggraver, la main-mise de ladite banque sur les économies
endettées, l'on parle de l'entreprise citoyenne. On fait
appel à la solidarité sociale pour adoucir la vie
des couches pauvres de la société.
Mohammad VI peut-il pousser ses sollicitudes envers les pauvres
au-delà de la bienfaisance organisée?
Peut-on voir un jour le roi se métamorphoser en roi-citoyen?
Il conduit lui-même sa voiture et s'arrête au feu
rouge. Mais ce n'est pas cela qui fera régner dans le pays
la paix sociale tant valorisée.
La liquidation du dossier dette/fortune royale dans le sens que
nous souhaitons aurait pour le Maroc d'immenses avantages. L'investissement
repartirait, l'argent affecté aujourd'hui à l'amortissement
de la dette serait destiné à l'investissement public.
L'enseignement et l'éducation, dont l'ineptie et les hésitations
ont ravalé le pays au 125ème rang dans le monde,
seraient sauvés du désastre. L'infrastructure, déficiente
ou inexistante dans les zones rurales serait nettement améliorée.
Le désenclavement social et géographique des zones
défavorisées permettrait un recul sensible de la
pauvreté. Le chômage pourrait être résorbé
par des procédés plus efficients que le recrutement
d'un millier de travailleurs par-ci ou l'engagement d'une centaine
de docteurs et d'ingénieurs par-là.
Le grand acte accompli, le souverain pourrait s'attaquer, avec
une autorité indiscutable et une stature morale hors-pair,
à la corruption et à l'immoralité que diffusent
les médias marocains. Il ne peut y avoir de départ
sérieux sans moraliser la politique, l'administration et
la société. On ne peut moraliser les autres sans
commencer par soi-même. Le grand acte est avant tout une
action morale.
Equipés alors de moyens économiques et financiers,
l'on pourrait envisager le salut public et rentrer de plain-pied
dans une aire nouvelle de transparence et de vraie démocratie.
Je viens d'écrire le mot magique, le mot fétiche,
le mot passe-partout.
Je n'ai pas l'espace de discuter ici des principes et du progrès
que constituerait l'avènement d'une démocratie propre
dans un pays comme le nôtre. La règle démocratique,
c'est-à-dire en résumé la liberté
et le droit du peuple de choisir son gouvernement est pour nous
la seule issue de la ténèbre absolutiste. Ce n'est
ni le moment ni le lieu de faire le procès de la démocratie
qui souffre même chez elle de maux incurables.
Je parle de la règle démocratique pour faire le
distinguo entre l'organisation procédurière et le
corollaire inhérent à la démocratie moderne
: la laïcité, la sécularisation et l'indifférence
aux valeurs spirituelles et morales.
Si nous sommes preneurs de la règle et de la procédure
démocratiques, nous rejetons tout ce qui risque de nous
éloigner de notre raison d'être: l'Islam.
Longtemps exclus de la scène politique, qu'on nous permette
de rester sceptiques quant aux possibilités d'un rachat
global par le jeune monarque. Cependant, en accord avec la logique
d'ensemble de l'Islam qui n'exclut pas la démarche progressive
d'un repentir et d'un rétablissement, nous ne sommes pas
pressés.
Et toujours en accord avec cette logique, nous maintenons cette
"tranquille" proposition. Qu'on montre aux yeux du monde
de quel bois l'on se chauffe, qu'il y a quelqu'un derrière
la barre qui dirige le navire avec sagesse et droiture après
le limogeage des ministres pirates. Qu'on administre au peuple
endolori, par des actes virils et décisifs, la preuve que
la tradition tyrannique et impie ne va pas se répéter
à l'identique, que la bouffée d'espoir que la jeunesse
respire au contact du roi jeune n'est pas l'annonce d'une bourrasque,
que les héritiers de la fortune colossale vont lâcher
prise.
La fortune héritée pourrait couvrir plusieurs fois
la dette du Maroc et financer les besoins urgents du Maroc. En
proposant au roi et aux princes et princesses le repentir et la
restitution au peuple des biens du peuple, je ne leur demande
pas d'évacuer leurs villas et de partager avec les Marocains
démunis l'habitat sinistre des bidonvilles. Le roi, représentant
de l'Etat, doit avoir à sa disposition les moyens matériels
de son rang. Les princes et princesses ont droit, une fois qu'ils
se seraient montrés solidaires avec l'entreprise exemplaire
et historique que nous proposons, auraient droit à la reconnaissance
du peuple et à ses égards. Ils auraient droit avant
tout et surtout à l'agrément de Dieu.
Que le roi, descendant du Prophète et musulman convaincu,
lise et fasse lire aux siens le Coran et le Hadith de son ancêtre.
Les versets du Coran et l'enseignement du Hadith détaillent
le châtiment réservé aux potentats iniques
et maudissent l'injustice et les injustes. Le Kitab al madhalim
dans le recueil de Boukhari serait une lecture édifiante
pour tous.
Je souhaite beaucoup de cran et de courage au jeune roi tout en
lui répétant en guise d'adieu:
Rachetez votre pauvre père de la tourmente en restituant
au peuple les biens qui reviennent de droit au peuple. Rachetez-vous!
Repentez-vous! Craignez le Roi des rois!
Salé, le 05 châabane
1420,
correspondant au dimanche 14 novembre 1999.
Abd Assalam Yassine
P.S.: J'ai rédigé ces pages en français pour
des raisons faciles à deviner; outre que seul ce qui est
écrit dans une langue européenne est lisible dans
les instances diplomatiques et politico-médiatiques, ces
messieurs-dames "francophonisés" tiennent pour
bavardage insipide ce qui se publie en arabe, langue devenue pour
eux un simple moyen vernaculaire pour communiquer avec le peuple
analphabète.
Quel que soit votre effort de communiquer avec l'élite
occidentalisée, votre discours est un charabia confus si
vous vous exprimer en arabe, surtout si vous portez barbe et que
vous ne pratiquez pas l'idiome journalistique courant et les formules
toutes-faites faciles à déchiffrer.
+++++++++++++++++
Extrait de <www.yassine.net>.
Mars 2000.
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ARTICLE 19
<Tout individu a droit à la liberté d'opinion
et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être
inquiété pour ses opinions et celui de chercher,
de recevoir et de répandre, sans considération de
frontière, les informations et les idées par quelque
moyen d'expression que ce soit>
Déclaration internationale des droits de l'homme,
adoptée par l'Assemblée générale de
l'ONU à Paris, le 10 décembre 1948.