Virtuellement gagnée par les Alliés, cette guerre au finish se poursuivit cependant près de deux années encore : justement parce qu'après la déclaration de Moscou, elle ne pouvait plus se terminer qu'au finish.
Le 8 août 1945 donc, chargés de tous les ressentiments nés de ce combat sans dimensions, sans mesure et sans merci, les États-Unis, l'Angleterre et la Russie auxquels la France avait été admise à se joindre, se retrouvaient en vainqueurs à Londres pour mettre au point « la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe », autrement dit, pour tirer les conclusions pratiques de la Déclaration de Moscou.
On remarquera le glissement de la formule : il ne s'agissait plus seulement des Allemands mais des ressortissants « des Puissances de l'Axe » et plus des « officiers, soldats et membres du parti nazi qui sont responsables de crimes ou qui ont volontairement pris part à leur accomplissement », mais des « grands criminels de guerre n sans autre précision, ce qui permettait l'élargissement du champ des poursuites de l'individu à la collectivité et l'introduction de la notion de châtiment collectif dans l'accord en préparation.
Cet accord, qui porte la signature des juristes Robert Falco (représentant le gouvernement provisoire de la République Française), Robert H. Jackson (États-Unis d'Amérique), Jowitt (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande), I. Nikitchenko et A. Trainin (URSS) se présente en sept points et prévoit :
Un article 2 précise que « la constitution, la juridiction et les fonctions du Tribunal militaire international sont prévues dans le statut annexé au présent Accord » et qui en fait « partie intégrante ». L'article 3 institue la chasse à l'homme dans le monde entier en stipulant que « les signataires devront employer tous leurs efforts pour assurer la présence aux enquêtes et aux procès de tous ceux des grands criminels qui ne se trouvent pas sur le territoire de l'un d'eux ». Et l'article 5 donne à « tous les gouvernements des Nations-Unies, la possibilité d'adhérer à l'accord par avis donné par voie diplomatique au gouvernement du Royaume-Uni lequel notifiera chaque adhésion aux autres gouvernements signataires ». Dix-neuf pays seulement ont profité de cette possibilité : Grèce, Danemark, Yougoslavie, Pays-Bas, Tchécoslovaquie, Pologne, Belgique, Éthiopie, Australie, Honduras, Norvège, Panama, Luxembourg, Haïti, Nouvelle-Zélande, Inde, Venezuela, Uruguay et Paraguay. Au total, vingt-trois signataires sur les quelque cinquante nations que comptait alors le monde : à Washington, vingt-cinq nations étaient représentées le 1er janvier 1942... En août 1945, les protagonistes de cette affaire ne remarquèrent pas que ces comparaisons chiffrées résonnaient déjà comme un blâme aux yeux de beaucoup de bons esprits.
Mais les applications pratiques prévues par l'article 2 de cet accord et contenues dans le statut annexe n'étaient pas moins étranges : l'étrange ne peut engendrer que l'étrange et ne l'engendre qu'en le multipliant. Que cette idée de créer tout à la fois un tribunal, une juridiction et une procédure sans références, ni historiques, ni juridiques, ni jurisprudentielles n'ait pas effrayé des nations dites civilisées par son ampleur et sa délicatesse, ne s'explique au surplus que par le désarroi des temps qui les avait ravalées au niveau des peuples sans expérience et sans culture. C'est là un phénomène qui relève de la psychologie des foules dont on sait que l'age mental baisse à proportion de leurs dimensions et on aura tout dit quand on aura remarqué que la foule qui s'exprimait ici par quelques-uns des siens comprenait plusieurs centaines de millions de personnes.
[33]
Ce que contenait ce statut annexe qui méritât un jugement aussi sévère ? Voici d'abord la définition du crime prévu au titre II, article :
à) LES CRIMES CONTRE LA PAIX : c'est-à-dire la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre d'agression ou d'une guerre de violation des traités, assurances ou accords internationaux ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui précèdent ;
b) LES CRIMES DE GUERRE : c'est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées, I'assassinat, les mauvais traitements ou la déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, I'assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l'exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ;
c) LES CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ : c'est-à-dire l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne des pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime entrant dans la compétence du Tribunal ou en liaison avec ce crime.
Ces trois chefs d'accusation en faisaient, en réalité, quatre : dans le réquisitoire, en effet, le premier se dédouble en crimes contre la paix et en complot dans l'intention de les commettre, quelque chose comme ce que la loi française réprime sous la rubrique « association de malfaiteurs ». Sans doute les rédacteurs de ce statut voulaient-ils permettre aux procureurs-requérants d'établir la préméditation et de la faire intervenir au titre de circonstance aggravante : la circonstance aggravante devint elle-même un crime en soi.
Les deux autres chefs d'accusation faisaient déjà l'objet d'une sorte de législation qui, pour être assez sommaire, n'en existait pas moins sous les espèces des conventions de La Haye, puis de Genève : en cas de guerre, les belligérants s'obligeaient à ne pas employer l'un contre l'autre des procédés réputés déloyaux qui lui feraient perdre son caractère chevaleresque ou qui constitueraient une violation considérée comme criminelle des lois de l'humanité. Exemples : les populations civiles étaient protégées contre les bombardements, le viol des femmes, le pillage, les prisonniers de guerre ne pouvaient être utilisés, ni comme soldats ni comme ouvriers dans les industries d'armement par l'adversaire ; on n'avait pas le droit d'achever un blessé ou de torturer, mais les francs-tireurs et les espions n'étaient protégés par aucun texte...
Tout cela figurait à la rubrique du « crime de guerre » : le statut de Nüremberg en dissocia le « crime contre l'humanité » mais ce n'était la qu'une innovation de pure forme, les deux choses ainsi distinguées par les mots ne se distinguant pas dans les faits.
Au plan de l'interprétation des textes et de leur respect, chacun des belligérants était tenu, à peine d'être accusé de forfaiture, de faire la police dans ses rangs et de réprimer les infractions. Dans la pratique, cette théorie héritée des combats singuliers de la Chevalerie et des batailles rangées du type Fontenoy, dont personne ne vit jamais qu'elle n'était susceptible d'aucune adaptation aux affrontements sur terre, sur mer et dans les airs de masses pourvues des armements assassins. modernes, se concrétisa en un scénario standard valable pour toutes les guerres et offrant des possibilités infinies à la propagande destinée à l'entretien du moral des combattants de part et d'autre de la ligne de feu : la guerre justifiée par des accusations mutuelles de violation des traités dans leur esprit ou dans leur lettre, se poursuivait, en se justifiant par des accusations mutuelles de forfaiture : I'enfant belge aux mains coupées, les camps d'extermination, le tapis de bombes contre les populations civiles, Dresde, Leipzig, Hiroshima, Nagasaki, etc. La guerre terminée, la conscience universelle ne retenait plus que les exactions des vaincus : le jugement de Dieu rendu dans la forme moderne du duel judiciaire hérité des ordalies.
Génératrice de ces crimes en somme mineurs, la guerre qui les impliquait inévitablement n'était cependant pas considérée comme un crime comportant des suites judiciaires : le sort des vaincus était réputé de la compétence du pouvoir politique des vainqueurs. Au niveau de l'opinion publique, ils faisaient bien l'objet de sarcasmes injurieux de la part des vainqueurs, voire de demandes de sanctions de caractère tribal visant leurs chefs, mais ces manifestations relevaient plus de la gouaille ou du besoin de défoulement que du souci de se venger. Le pouvoir politique, lui, tenait à honneur de ne pas revenir aux moeurs universellement condamnées d'un Jules César faisant étrangler Vercingétorix dans sa prison ou de ces féodaux du Moyen Âge qui s'envoyaient pourrir dans des oubliettes au hasard du sort des armes : depuis longtemps il n'allait plus au-delà de l'exil quand, de hasard, les chefs vaincus ne s'exilaient pas d'eux-mêmes. En prévoyant que le Kaiser Guillaume II fût livré aux Alliés pour être jugé comme responsable d'une guerre à laquelle sa durée, I'ampleur et le caractère meurtrier jusqu'alors jamais atteint de ses combats avaient attaché la notion de crime, la Convention d'armistice et le Traité de Versailles qui mirent fin à la première guerre mondiale avaient fait, en direction de la création d'une instance judiciaire d'exception, un pas que n'avaient osé ni les Traités de Vienne de 1815 contre Napoléon Ier, ni celui de Francfort en 1871 contre Napoléon III. Mais, en 1919, le niveau intellectuel des dirigeants des peuples n'était point encore tombé si bas que cette disposition pût être mise en application et on y avait renoncé. Il faut d'ailleurs noter qu'en 1919, un fort courant de l'opinion mondiale tendait à englober dans la même réprobation les dirigeants vainqueurs ou vaincus de tous les peuples belligérants et qu'il fut à deux doigts de triompher.
Si donc le statut de Nüremberg a innové en matière de définition, c'est seulement en ce qui concerne le crime contre la paix assorti du crime de complot en vue de sa préparation et de son accomplissement (§ à de l'art. 6). Mais, son caractère scandaleux, aussi bien du point de vue moral que du point de vue juridique, cette innovation ne le tient pourtant pas de ce qu'elle se présente sous la forme d'une loi pour la première fois écrite mais de ce que cette loi était conçue pour entrer en vigueur en commençant par réprimer des infractions non qualifiées à divers titres dont le plus apparent, sinon le principal, était qu'elles avaient été commises antérieurement à sa promulgation. La non-rétroactivité des lois est, en effet, un des principes sacrés de notre culture. Et, si notre morale prétend que « nul n'est censé ignorer la loi », du moins prétend-elle aussi que la où il n'y a pas de loi, il ne peut y avoir ni délit, ni crime et, par voie de conséquence, ni sanction : nulla pena sine lege, la conscience universelle se félicite encore d'avoir trouvé dans l'héritage que nous ont laissé les Romains, cette formule dont ils avaient fait le fondement du Droit et qui, à plus de deux mille ans de distance, reste toujours la seule et bien mince ! garantie de I'individu contre l'arbitraire des pouvoirs.
Pur formalisme, tout cela importe peu puisqu'aussi bien et de toutes les façons, ces gens sont des criminels, ils ne peuvent prétendre à tant d'égards, a-t-on répondu sur le moment à ceux qui mettaient ces réserves. en avant. Mais, quinze ans après, le procès Eichmann qui fut une réédition en pire ! de Nüremberg et qui s'est déroulé dans une atmosphère dont il serait vain de nier qu'elle impliquait la réprobation universelle a mieux encore mis en évidence que le problème du criminel était Ioin d'avoir été réglé par la définition qu'en donnait le Statut à la suite de celle du crime : tout s'enchaîne. Il sautait aux yeux que l'objection était sans valeur : on y pouvait en effet répondre que, de toutes façons, la violation d'un principe d'usage courant au préjudice de qui que ce soit créait, une fois admise, un précèdent qui légitimerait celle de tous les autres et que, la loi ne pouvant être la loi qu'à la condition d'être la même pour tous, le criminel aussi avait droit à la Justice, même purement formelle. Ici, d'ailleurs, la forme était un des impératifs de la Morale reconnus par le Droit et, par la même constituait le fond du problème juridique.
On peut, certes, soutenir que cinq années de massacres aux dimensions. de l'Apocalypse avaient jeté un désarroi assez profond dans tous les esprits pour que les mieux structurés n'échappent pas à la règle commune et que les impératifs de la morale ne leur fussent plus si [36] sensibles au plan des principes. Sans aucun doute, on le soutiendra et on n'aura pas tort. Mais fallait-il qu'il fût profond, ce désarroi, pour que ces impératifs échappent à presque tout le monde, y compris chez les élites au plan de l'expérience aussi ! Car, tout de même, sur ce point au moins, I'histoire est pleine à craquer de criminels que leur postérité a refusée de reconnaître et de juridictions de circonstances désavouées le lendemain.
Dans un livre qui eut un certain retentissement et qui valut à son auteur son heure de célébrité en son temps, un grand universitaire français, le philosophe Jean-Marie Guyau, trop tôt disparu (1854-1884) jetait les bases d'une morale sans obligations ni sanctions, qui, transposée au plan du Droit, rendait totalement inutiles et même nuisibles « les juges, les genes, les potences et les bourreaux » de Molière.
Si J.-M. Guyau est aujourd'hui à peu près oublié, à la fin du siècle dernier et au début de celui-ci, on a beaucoup dit et écrit de sa morale et parfois des sottises. Les anarchistes, dont l'étoile montait au ciel de la renommée, I'ont adopté d'emblée et non seulement les anarchistes, mais une importante fraction de l'opinion libérale aussi quoique seulement en principe. Lorsque, par le biais du droit de grâce dont il fit un usage systématique durant tout son septennat, le Président de la République Fallières supprima pratiquement la peine de mort tandis qu'Anatole France, dont les aphorismes ne furent pas toujours heureux, se prononçait bruyamment pour cette suppression en matière de Droit commun mais non en matière de Droit politique, beaucoup de bons esprits les justifièrent l'un et l'autre au nom de Guyau, mais à tort, car c'était une toute autre histoire.
Quoiqu'il en soit, I'idée maîtresse qui me semble se dégager de ce livre remarquable est la suivante : ne s'adressant pas à la conscience individuelle qui est la seule valeur permanente en ce que seule elle se peut prononcer en termes de justice, mais à la conscience collective dont elle est l'expression et dont on peut dire qu'elle est affaire de circonstances et ne se prononce qu'en termes d'intérêts, la loi n'est qu'un précepte sans références fondamentales et son respect, purement mécanique, ne peut être obtenu que sous menace de contrainte. Or, qui dit contrainte dit révolte et qui dit révolte, dit rapport des forces entre la société et les individus. On voit ce qui est grave : ce rapport de forces qui ne cesse de se définir et de se redéfinir au gré des circonstances étant, en fin de compte, sa seule référence et sa seule justification, la loi écarte peu à peu tous les impératifs de la conscience et laisse aux circonstances le soin de définir le vice et la vertu, le délinquant et l'honnête homme entre lesquels la marge devient alors moralement inexistante.
Et nous voici ramenés au procès de Nüremberg : le rôle de l'individu y était tenu par l'Allemagne prise en la personne de ses représentants de facto la règle étant toujours et de plus en plus que Brutus assassine César ou l'élimine, se peut-il concevoir qu'un peuple ait des représentants de jure ? et celui de la société par le groupe des nations associées qui l'accusaient après l'avoir réduite à merci. Tout y était donc affaire de circonstances et de rapport des forces. Qui niera, par exemple, que si le sort des armes en avait décidé autrement, le procès eût tout aussi bien pu se concevoir et se dérouler dans les mêmes termes à ceci près que les Alliés se fussent retrouvés au banc des accusés et I'Allemagne à celui des juges ? Si l'on en croit Hans Franck (Sous le signe de la potence, édité par sa veuve à Neuhaus près de Chiemsee en 1955), Hitler aurait décidé, la guerre gagnée, de traduire en justice Roosevelt, Churchill, etc. pour « crimes de guerre ». Sans aucun doute sa définition du crime n'eût-elle pas davantage respecté les formes et pas moins hypothéqué celle qu'il eût donné du criminel.
Ce criminel, voici comment l'article 6 du Statut de Nüremberg le présente : « les dirigeants, organisations, provocateurs ou complices, qui ont pris part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot, pour commettre l'un quelconque des crimes ci-dessus définis... ».
Et la première observation qui s'impose ici d'elle-même, c'est que si dans l'esprit de ses auteurs, ce texte ne vise que des Allemands, ce qui représente, pour un peuple, une proportion si élevée de criminels que la raison se refuse à l'admettre, dans sa lettre, il ne vise pas que des Allemands, ce qui étend cette proportion à l'échelle du monde et la raison l'admet encore moins.
Lorsque, le 18 octobre 1945, l'acte d'accusation étant rédigé, le Tribunal se réunit à Berlin en première audience publique, pour mettre la dernière main aux préparatifs du Procès et qu'il fallut mettre des noms sur ces criminels dont les crimes étaient « sans localisation géographique », voici ce qu'on trouva :
« Hermann Wilhelm Göring, Rudolf Hess, Joachim von Ribbentrop, Robert Ley, Wilhelm Keitel, Ernst Kaltenbrunner, Alfred Rosenberg, Hans Frank, Wilhelm Frick, Julius Streicher, Walter Funck, Hjalmar Schacht, Gustav Krupp von Bohlen und Halbach, Karl Dönitz, Erich Raeder, Baldur von Schirach, Fritz Sauckel, Alfred Jodl, Martin Bormann, Franz von Papen, Arthur SeyssInquart, Albert Speer, Constantin von Neurath et Hans Fritzsche, individuellement et comme membres des groupements et organisations suivants auxquels ils appartenaient respectivement, à savoir :
Si l'on tient compte que les complices sont aussi visés par le texte et que, pour être présumé complice il suffisait d'avoir appartenu à la SS, qui compta jusqu'à 3.000.000 de personnes (complices de HimmIer) ou à la jeunesse hitlérienne qui en compta jusqu'à 13.000.000 (complice de Baldur von Schirach) ou à l'organisation La Force par la joie qui correspondait à nos Amis de la Nature et qui en compta jusqu'à 30.000.000 (complices de Ley), etc. autant dire que cela signifie toute l'Allemagne ou peu s'en faut. Et c'est ainsi que, le crime devenant collectif dans les apparences, la punition collective devant laquelle, hormis les tribales, toutes les morales du monde reculent horrifiées, s'est introduite dans la jurisprudence internationale d'où Me Raymond de Geouffre de la Pradelle, juriste français de réputation mondiale ne réussit à la faire disparaître en 1953 qu'au prix de huit années d'efforts incessants.
Toute l'Allemagne ou peu s'en faut, ai-je dit. De fait, après quinze ans la pyramide des âges ayant été notablement renouvelée par la base, I'Allemagne ne compte toujours qu'une infime minorité d'Allemands dont le père ou le grand-père, la mère ou la grand-mère, l'oncle ou la tante, le cousin ou la cousine, le frère ou la soeur, c'est-à-dire au moins un très proche parent si ce n'est eux-mêmes, n'ait été condamné par les tribunaux de dénazification, le plus souvent à des peines très lourdes. Et, d'autre part, il suffit de lire les comptes-rendus des treize procès de Nüremberg pour s'apercevoir qu'à travers les accusés, c'était toute l'Allemagne qui était visée aussi bien par l'Acte d'accusation que par les réquisitoires des procureurs et que c'est elle qui fut condamnée par les jugements rendus. Procureurs ou juges, il ne vint à l'idée de personne qu'un peuple de soixante-dix millions d'habitants dont on voudrait faire soixante-dix millions de coupables était forcément un peuple de soixante-dix millions d'innocents, qu'à en décider autrement, si on pouvait obtenir l'adhésion de l'opinion mondiale ce n'était que par surprise et qu'en tout état de cause, ni la morale, ni l'histoire ne pourraient entériner purement et simplement la décision.
Par quelles lézardes dans le mur de l'inconscience, la morale et l'histoire ont-elles déjà réussi à se frayer une voie triomphale, il sera toujours temps d'en discuter et il ne fait aucun doute qu'un jour viendra où l'on ne s'en privera pas. De deux d'entre elles on ne contestera cependant jamais plus, ni la matérialité, ni qu'elles se sont produites sous la pression des nécessit&s politiques : la Russie et Israël.
C'est en effet la Russie qui donna le premier coup de pioche dans l'édifice juridique laborieusement construit à Nüremberg : le jour où [39] pour mieux justifier sa politique d'isolement de l'Allemagne occidentale, elle décida d'en faire un repaire de nostalgiques du nazisme, de militaristes impénitents par tradition, de revanchards à la dévotion des Américains et, pour profiter d'un effet de contraste, levant l'hypothèque de culpabilité qui pesait sur les dix-huit à vingt millions d'Allemands de l'Est, elle en fit dix-huit à vingt millions de personnes ayant agi sans discernement, c'est-à-dire d'innocents. On voit bien qu'il suffit de faire le même raisonnement à propos des Allemands de l'Ouest pour qu'ils deviennent à leur tour cinquante à cinquante-deux millions d'innocents, fit d'admettre que l'aptitude à la prise de conscience n'est pas sensiblement plus développée chez les chefs des peuples que chez les peuples eux-mêmes ce qui, par parenthèse, ne semble guère discutable pour que même les pendus de Nüremberg ne fassent plus exception à cette règle générale d'innocence.
Ne nous faisons pas d'illusions : c'est dans ce sens que notre postérité tranchera. Déjà, plus personne ne croit que si l'on refaisait le Procès de Nüremberg les accusés seraient pendus et, dans son Carnet de Nüremberg, le Dr Gilbert qui fut le « psychologue » du procès, qui passa une année à étudier les accusés dans leur prison et qui, à ce titre, témoigna au procès d'Eichmann à Jérusalem, les présente comme ne différant en rien de la foule des honnêtes gens qu'on rencontre dans toutes les rues du monde, à tous les étages de la hiérarchie sociale et affirme que ce qui s'est passé en Allemagne peut arriver n'importe où, la nature humaine pouvant, dans certaines circonstances, fournir d'autres exemples de ce qui leur fut reproché. On ne saurait mieux dire : un crime qui peut être commis par n'importe qui, n'importe où, qui ne relève que de la nature humaine et des circonstances n'est pas un crime. Ou alors nous sommes tous des assassins et notre Juge n'est pas parmi nous.
Le cas d'Israël est à peine différent de celui de la Russie. Massés au pied d'une sorte de Mur des Lamentations agrandi à l'échelle de la Terre, jour et nuit depuis quinze ans, les sionistes du monde entier tous les Israélites ne sont, fort heureusement, pas des Sionistes 1 [40] ne cessent de pousser, sur un mode chaque jour plus macabre, des cris d'une douleur chaque jour plus déchirante, dans le but de porter publiquement à ses justes proportions qu'ils estiment pour le moins apocalyptiques, l'horreur des sévices dont le monde juif a été victime de la part du nazisme et d'augmenter d'autant le montant des réparations que l'état d'Israël reçoit de l'Allemagne.
Il s'agit ici d'une assez sordide affaire d'argent. En 1956, lorsqu'il fut acquis que la conscience universelle se refusait à emboîter le pas au mouvement sioniste international dans cette entreprise et à faire de l'Allemagne, en quelque sorte ad vitam aeternam, la vache à lait de l'état d'Israël, sous le titre L'histoire de Joël Brand et le sous-titre Un troc monstrueux, un million de juifs pour dix mille camions, un certain Alex Weissberg publia un livre qui, au regard du paragraphe c) de la définition du crime par le statut de Nuremberg, était un véritable acte d'accusation contre l'Angleterre et les États-Unis à juste titre considérés par le mouvement sioniste comme responsables de son échec. Le chantage était évident. Il n'en reposait pas moins sur des bases sérieuses. L'Angleterre et les États-Unis ne s'en émurent pas.
En gros, la thèse se présentait ainsi : parce qu'elle s'était opposée, même après 1933, à l'émigration des juifs européens vers Israël par application de la Déclaration Balfour, notamment parce qu'elle avait, en décembre 1938, éconduit le Dr Schacht envoyé par Hitler à Londres pour lui proposer la négociation de leur transfert massif en Palestine, l'Angleterre devait être déclarée co-responsable de leur massacre. Elle le devait être d'autant plus qu'en 1944, une initiative de Himmler ayant ouvert la voie du Salut à un million de juifs, elle la fit encore échouer. Les États-Unis, eux, étaient responsables parce qu'ils avaient, en toutes circonstances, soutenu cette politique de l'Angleterre. Il n'était pas jusqu'à la France qui ne fût visée quoique plus discrètement : en 1940-1941, elle avait fait échouer un projet de transfert de tous les juifs européens à Madagascar.
L'opération ayant fait long feu en 1956 fut relancée en mai 1961 au cours du procès Eichmann et dans des termes tels que beaucoup de bons esprits ont été amenés à se demander si cette relance n'était pas un des buts principaux de ce procès. Toujours est-il que furent annoncées en même temps pour la fin du mois de mai 1961, la comparution à la barre des témoins de Joël Brand, le principal acteur survivant de l'échange de dix mille camions contre un million de juifs, la production des documents jusqu'alors inédits des conversations engagées dans ce sens qui étaient, en fait, un violent réquisitoire contre l'Angleterre et les États-Unis, et... un voyage qu'à titre privé M. Ben Gourion devait faire en France et au Canada, dont il avait l'intention de profiter pour effectuer une visite officielle à Londres de Paris et à Washington d'Ottawa » (les journaux, 24 mai [1961]).
En son temps, on ne manqua pas de relever la coïncidence en la [41] prétendant calculée : plutôt que Paris et Ottawa, les véritables buts du voyage de M. Ben Gourion n'étaient-ils pas Londres et Washington où il désirait se rendre pour négocier un silence éventuel ?
L'Angleterre et les États-Unis ne s'émurent pas plus qu'en 1956. Ben Gourion ne fut invité ni à Londres ni à Washington et on ne manqua pas non plus de relever le camouflet.
A la barre du Tribunal de Jérusalem, Joël Brand déballa son paquet les 29 et 30 mai. Le procureur enchérit encore et, pour ne pas faire de jaloux, mit en cause la Russie aussi, à propos d'un bombardement des chambres à gaz d'Auschwitz demandé par les dirigeants juifs de Palestine en 1944 et que, s'alignant sur l'Angleterre et les États-Unis, elle avait, elle aussi, déclaré« impossible pour des raisons techniques » : comment, en effet, détruire les chambres à gaz par bombardement aérien, sans anéantir en même temps une grande, sinon la plus grande partie des cinq cent mille détenus 2 pour la plupart juifs du camp ? Ce genre d'argument s'articule d'ailleurs sur un de ces faits qui ne laissent aucune échappatoire quoi qu'on fasse : les Alliés eussent-ils déféré à la demande des dirigeants juifs de Palestine qu'ils seraient aujourd'hui accusés d'avoir aidé l'Allemagne à exterminer le peuple juif sous le fallacieux prétexte de détruire des chambres à gaz qu'ils auraient au surplus intentionnellement, diraient leurs accusateurs, ratées comme ils ont raté tant d'autres de leurs objectifs tout au long de la guerre.
Voici donc où nous en sommes : tandis que l'Allemagne se trouve indirectement innocentée par une fausse manoeuvre russe, une fausse manoeuvre du mouvement sioniste international et de l'état d'Israël envoie les Alliés, qui l'ont jugée, rejoindre l'Allemagne sur le banc des accusés. On ne reviendra pas sur la première de ces fausses manoeuvres. De la seconde, on pourra déplorer qu'elle se soit articulée sur un chantage et qu'elle comporte des arguments sans valeur mais, en gros au regard du Statut de Nuremberg, elle aboutit à des conclusions amplement justifiées. Des deux enfin, on dira seulement qu'elles sont complémentaires en ce qu'elles ont, de concert et fût-ce à leur insu, rouvert la voie à la thèse de la responsabilité collective de tous les belligérants dans toutes les guerres qui eut la faveur de l'opinion mondiale au lendemain de celle de 1914-18.
Pour réconfortant que soit ce résultat, il ne doit cependant pas nous faire oublier que cette thèse de la responsabilité des Alliés n'est mise en circulation par Israël et le mouvement sioniste qu'en ce qui concerne les crimes mes contre l'Humanité (paragraphe c de l'art. 6 du [42] Statut) l'Allemagne restant seule responsable au regard des paragraphes b (crimes de guerre) et à (crimes contre la Paix).
S'il est aussi possible d'appliquer ces deux autres paragraphes au comportement des Alliés pendant et avant la guerre, c'est de la réponse à cette question que la démarche de l'historien est maintenant tributaire.
La notion de crime de guerre a considérablement évolué depuis 1945 quant aux applications qu'on en peut faire par référence aux Conventions de Genève et de La Haye. Au vrai, les corps des onze pendus de Nuremberg étaient à peine refroidis que, sur le bon droit des Alliés à s'ériger en juges et à condamner, la conscience universelle se posait les questions les plus graves et, comme elle avait choisi de s'exprimer par la voix des gens les plus estimables, il fut, dès 1e départ, totalement impossible de les éluder. Parmi eux figuraient, en effet, des hommes aussi universellement réputés que le professeur Gilbert Murray, le plus connu des hellénistes britanniques, le doyen de Rhodes House, tous deux de l'université d'Oxford, le critique militaire Lidell Hart, I'éditeur israélite anarchisant Victor Gollancz, le député aux Communes R.R. Stokes, Lord Hankey, secrétaire du célèbre Comité de défense de l'Empire de 1912 à 1938, du cabinet anglais de 1920 à 1921, le juge américain Tennerstrum, de la Cour suprême de l'état d'Iowa qui, nommé au siège du Tribunal de Nüremberg, quitta son poste en claquant la porte au bout de quelques mois, le sénateur Taft, le lord-évêque Chichester qui intervint en termes sévères à la Chambre des Lords le 23 juin 1948, l'évêque de Berlin Dibelius, etc. La plupart d'entre eux avaient d'ailleurs protesté bien avant que les corps des pendus ne fussent refroidis : avant même que le verdict ne fût rendu et, pour les mieux informés, dès le début de l'année 1944, date à laquelle fut rendue publique l'intention des Alliés de faire un procès dans les formes mais, la conspiration du silence ayant joué contre eux, on ne le sut que longtemps après.
Il y eut peu d'Allemands : I'abominable campagne de presse déclenchée contre l'Allemagne ayant réussi à faire de chacun d'eux un accusé, les Allemands donnèrent l'impression qu'ils courbaient l'échine sous les coups. Pour tout honnête homme qui se reporte à la presse et à la littérature de l'époque, il n'y a pas de doute possible : les avocats qui défendirent les accusés du Procès des grands criminels de guerre accomplirent un véritable acte d'héroïsme. Limitées dans leur objet par le Statut et les règles de la procédure, odieusement dénaturées par la presse, leurs interventions et plaidoiries parurent souvent timides et parfois inconsistantes : beaucoup d'entre elles n'en seront pas moins, un jour, jugées dignes de l'anthologie. Je pense notamment à la requête collective concluant à l'incompétence du tribunal présentée en leur nom par le Dr Stahmer, défenseur de Göring, dès l'ouverture du procès le 19 novembre 1945 et rejetée le 21 « motif pris de ce que, dans la mesure où elle mettait en question la compétence du Tribunal, elle se trouvait en contradiction avec l'article 3 du Statut. » L'article 3 déclarait en effet péremptoirement que « ni le Tribunal, ni ses membres, ni leurs suppléants ne (pourraient) être récusés par le ministère Public, par les accusés ou par leurs défenseurs. »
Je pense aussi aux interventions du Dr Sauter, défenseur de Ribbentrop sur le Traité de Versailles, des Prof. Exner et Jahreiss, défenseurs de Jodl sur les violations du Droit international, du Flottenrichter Kranzbücbler, défenseur du grand-amiral Dönitz sur le Droit maritime, du Dr Robert Servatius, défenseur de Sauckel sur la procédure et le travail forcé, et de quelques autres encore qui, pour s'être montrés plus modestes, n'en témoignèrent pas moins d'une hauteur de vue de cent coudées plus élevée que celle des juges et des procureurs.
En France et qui fussent dignes d'être cités, il n'y eut guère que les deux admirables livres de Maurice Bardèche : Nüremberg ou la Terre Promise et Nuremberg II ou les Faux-Monnayeurs *. Du contenu de ces deux livres, la gauche française au pouvoir ne retint que les opinions politiques de leur auteur qui se dit ouvertement et très crânement fasciste. Elle dressa contre eux un infranchissable barrage et le premier fut même assez scandaleusement interdit. A partir d'une rare objectivité, les thèses qui y sont soutenues n'en sont pas moins celles qu'au temps de ma jeunesse, prenant pour chef de file des Bertrand Russell, des Mathias Morhardt, des Romain Rolland, des Anatole France, des Jeanne et Michel Alexandre, les partis socialistes européens et la gauche mondiale ont unanimement soutenues et presque fait triompher au lendemain de la guerre de 1914-1918 et jusqu'en 1933. Il serait aisé de démontrer que, de tradition assez ancienne, ces thèses sont effectivement de gauche. Sur ce chassé-croisé qui se traduisit devant le phénomène guerre, par un retrait de la gauche sur les positions traditionnelles de la droite, tandis que la droite se portait sur celles de la gauche, il y a beaucoup à dire, mais l'historien doit ici céder la plume au sociologue. On se bornera donc à citer encore un fait qui, dans cet ordre d'idées, permettra des comparaisons utiles : en 1914 aussi, la gauche s'était ralliée aux conceptions de la droite en matière de guerre mais, en 1918, elle était redevenue la gauche et, quant à la droite, arrogante et imperméable, elle était avant comme après, restée bêtement figée sur des dogmes d'un autre âge. Sur ces dogmes d'un autre âge, c'est aujourd'hui la gau[44]che qui est bêtement figée. Et ce balancement historique est pour le moins curieux.
Bref. D'où qu'elles viennent et
qu'il s'agisse de n'importe lequel des crimes reprochés
à l'Allemagne et aux Allemands, ces protestations s'accordaient
unanimement sur le fait qu'ils pouvaient être aussi reprochés
aux Alliés et qu'en conséquence, toutes les parties
en cause devant être indistinctement envoyées au
banc des accusés, si l'on voulait à toute force
faire un procès, procureurs et juges ne pouvaient être
choisis que parmi les neutres dont il ne faisait pas de doute
à leurs yeux qu'ils eussent renvoyé tout le monde
dos à dos.
En matière de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, cette thèse articulait des arguments solides. Les premiers, les Russes y étaient mis en cause : à propos de la déportation et des camps de concentration allemands dont le gigantesque appareil allié de propagande avait fait le point par excellence de sensibilisation de l'opinion dans le monde entier.
Interrogé à Nuremberg le 21 mars 1946 par le général Rudenko, procureur russe, le Feldmarshall Göring avait répondu que « un million et demi de Polonais et d'Ukrainiens furent déportés des territoires occupés par l'Union soviétique et emmenés en Orient et en Extrême-Orient » (C.R. des débats T. IX, p. 673) et on ne lui avait permis ni de citer ses références, ni d'aller plus loin. Le premier gouvernement polonais de Londres avait cependant publié un document selon lequel les déportations de Polonais se situaient entre un million et 1.600.000 personnes dont 460.000 périrent durant leur voyage à l'intérieur de la Russie, parmi lesquelles 77.834 enfants sur 144.000. Cela se passa, paraît-il, en février, avril, juin 1940 et en juin 1941. Et M. Montgomery Belgion qui se réfère au premier gouvernement polonais de Londres ajoute que, d'après des renseignements fournis à Miss Keren par la Croix-Rouge américaine et le livre polonais The dark Side of the Moon) les Russes élargirent le procédé aux Baltes : 60.940 Esthoniens, 60.000 Lestons, 70.000 Lithuaniens
Ajouterai-je que, dans un petit livre, Le problème de la Silésie et le Droit paru en 1958, le grand juriste français Raymond de Geouffre de la Pradelle se référant à l'Annuaire statistique 1947 de l'Office central des statistiques de Varsovie publié par le gouvernement polonais sous contrôle russe fait état de 7.300.000 Allemands déportés de Silésie vers l'Allemagne par les Russes entre le 1er juillet 1945 et le ler janvier 1947 en application d'une convention anglo-américano-soviétique de transfert de populations ? Et que, d'après M. Jean de Pange qui a étudié ce problème dans la Revue des Deux Mondes du 15 mai 1952) le nombre des malheureux qui sont morts de cette opération faite dans des conditions matérielles d'inhumanité en tous points comparables à celles dans lesquelles nous avons été déportés [45] dans les camps par les Allemands pendant la guerre, dépasse quatre millions ?
Mais de cela, le Statut interdisait évidemment que le Tribunal de Nuremberg fût saisi.
A l'encontre des Russes, on citait encore : les charniers découverts à Katyn dont une notable partie de la presse mondiale continue à charger la conscience allemande bien que le Tribunal de Nüremberg s'y soit refusé et qu'il soit aujourd'hui établi qu'ils sont à porter au compte de la conscience russe ; les représailles exercées en 1944 contre les populations civiles ukrainiennes et polonaises qui avaient accueilli les Allemands en libérateurs en 1941 ; le traitement infligé aux prisonniers allemands ; I'entrée des troupes russes dans toutes les villes allemandes, les viols, les pillages et les massacres 3 auxquels elles s'y sont livrées contre les populations civiles, etc. Sur le front de l'Est, la guerre entre Allemands et Russes fut sauvage, atroce et, avec un égal mépris des conventions internationales, totalement déshumanisée par les deux parties. L'affrontement des armées s'y doublait d'un affrontement des idéologies et des doctrines : illégale aux yeux des conventions internationales, la guerre des partisans était, par exemple, un des dogmes sacrés de l'émancipation populaire ou nationale aux yeux des Russes. La formule « oeil pour oeil dent pur dent » est profondément immorale, nul n'a le droit de se rendre justice soi-même et chacun l'a d'autant moins qu'il reconnaît une instance habilitée à la rendre pour tous : les Einsatzgruppen, les « cinquante à cent otages exécutés pour un soldat allemand assassiné » (ordre de Keitel du 16 septembre 1941), la liquidation des commissaires politiques russes considérés comme des partisans, non des soldats, etc. n'en doivent pas moins être examinés et jugés comme une riposte des Allemands à une violation des conventions internationales par les Russes. Le fait qu'ayant assisté en spectateurs à l'occupation par les Russes de la partie de la Pologne qui leur était attribuée par le pacte germano-soviétique, les Allemands ont pu apprécier leurs méthodes de guerre, a été, d'autre part, un des éléments déterminants de l'attitude adoptée en la matière par l'Oberkommando der Wehrmacht (O.K.W.) .
[46]
Disqualifiés comme juges, les Anglo-Américains et les Français ne l'étaient pas moins que les Russes 4 et par des violations des lois et coutumes de la guerre non moins graves et non moins délibérées. Au compte des premiers figurait l'extermination des populations civiles. de presque toutes les villes allemandes par la pratique de ce que les Anglais appelaient l'obliteration bombing, que nous avons appelé le « tapis de bombes » et qui, comme son nom l'indique en anglais était d'autant plus susceptible « d'effacer » des villes entières, population comprise, qu'il s'agissait de bombes au phosphore. A Dresde, à Leipzig et à Hambourg, les malheureux qui moururent écrasés sous des amas de pierrailles et brûlés vifs dans des incendies monstres qu'on ne pouvait pas éteindre ou, véritables, hurlantes et tout aussi inextinguibles torches humaines, en se sauvant vers des points d'eau insuffisants et le plus souvent inexistants, se comptèrent par centaines de milliers en une seule nuit dans chacune de ces trois villes.
La thèse faisait encore état des bombes atomiques lâchées sur Nagasaki et Hiroshima qui dépassèrent à l'époque tout ce qu'on pouvait alors imaginer dans l'horreur et le cynisme en matière de crimes de guerre. Enfin, une mention spéciale visait les bombardements en mer de sous-marins et de navires de guerre allemands qui procédaient à des sauvetages de naufragés après avoir averti en clair par radio sur longueur d'onde internationale : le cas le plus typique fut celui de l'U. 156, de l'U. 506 et de l'U. 507 qui, le 13 septembre 1942, conformément aux coutumes de la mer s'étaient portés au secours de l'équipage et des passagers du Laconia (navire de commerce armé de quatorze canons dont deux de 150 mm, d'armes antiaériennes, de grenades, etc. ce qui le définissait « de prise ») que l'U. 156 venait de torpiller.
Contre les Français, le dossier produit était à peine plus léger : la Résistance et la guerre des partisans qu'aucune des conventions de La Haye ne protégeaient, d'innombrables assassinats de soldats allemands, poignardés dans le dos par des ennemis invisibles et jusqu'à des massacres de prisonniers protégés par les conventions de Genève, comme ce fut le cas le 19 août 1944 à Annecy (Savoie) et comme ce le fut encore à tel point dans beaucoup de camps de France après mai 1945, que la Croix-Rouge Internationale s'émut et réussit à émouvoir le président Eisenhower lui-même.
Toutes ces violations des conventions de Genève et de La Haye, c'est-à-dire du droit écrit, n'innocentent certes pas l'Allemagne qui [47] en a sa part et si j'en ai fait ici le recensement sommaire, c'est seulement pour montrer qu'elles ont été multilatérales et démontrer premièrement que si l'Allemagne pouvait être jugée ce n'était pas par ces juges-là, deuxièmement que, dans l'éventualité, un tribunal qualifié n'aurait pas pu ne pas user de son pouvoir discrétionnaire pour exiger la comparution de la Russie, de l'Angleterre, de l'Amérique et de la France à ses côtés au banc des accusés.
Déclaré irrecevable par l'article 3 du Statut parce qu'il mettait en cause la compétence du Tribunal érigée en postulat, cet argument que les juges de Nuremberg baptisèrent argument tu quoque 5 I'était aussi par l'article 18 parce qu'il fallait aller vite : « le tribunal devra, disait en effet cet article : a) Limiter strictement le procés à un examen rapide des questions soulevées par les charges ; b) Prendre des mesures strictes pour éviter toute action qui entraînerait un retard non justifié et écarter toutes questions et déclarations étrangères au procès de quelque nature qu'elles soient. »
Or, la justice qui a besoin de postulats ne peut pas ne pas être expéditive et, expéditive, elle n'est plus la justice.
Si j'ai cité l'incident du Laconia par préférence à tout autre et si je I'ai déclaré typique, c'est que, mieux que tout autre, il met en évidence un certain machiavélisme de l'accusation: typique de ce machiavélisme en somme.
Le Laconia était un bâtiment de commerce que l'Amirauté avait transformé en transport de troupes. Toutes autres considérations mises à part et notamment son armement de caractère offensif, son équipement qui lui permettait de détecter les sous-marins ennemis et l'ordre qu'il avait de les signaler dès qu'il les avait repérés, etc. rien que cela le plaçait, au regard des conventions internationales, dans le cas d'être légitimement torpillé par l'adversaire. Aussi bien la légitimité de son torpillage par l'U. 156 ne fut-elle, à ma connaissance, discutée par personne, au moins officiellement : tout au plus essayait-on de sensibiliser l'opinion au moyen des quatre-vingts femmes et enfants qu'il avait à son bord mais sans trop insister cependant, tant il était facile de rétorquer que ces quatre-vingts femmes et enfants ne se trouvaient là qu'en infraction aux conventions internationales et un peu comme si, sur terre, une troupe de soldats s'avançant au combat les avait placés devant elle pour empêcher l'ennemi de tirer.
Bref. Ce qui fut discuté à Nuremberg c'est l'ordre que, tirant les conclusions logiques de l'attitude des Américains bombardant les [47] sauveteurs qui avaient adopté une attitude conforme à la grande tradition de la mer et même les naufragés sans distinction d'âge ou de sexe ! qui étaient leurs alliés 6, le grand amiral Dönitz donna pour l'avenir:
Le procureur britannique, Sir David Maxwell-Fyfe, ne manqua pas de s'emparer de cet ordre pour prétendre qu'il prescrivait « de tuer les naufragés de propos délibéré ». Tout se passait en somme, comme si les Anglo-Américains qui avaient acculé les Allemands à ne plus procéder au sauvetage des naufragés en voulaient prendre texte pour les accuser des inéluctables conséquences de ce crime en le grossissant par des exercices d'une exégèse alignée sur les règles du pilpoul, et en taisant soigneusement le crime lui-même.
Fort heureusement, un témoin courageux, le grand-amiral américain Nimitz, chef des opérations de la flotte des États-Unis, déclara que:
Dans cette déposition, le grand-amiral Nimitz faisait, en outre, état de l'ordre, donné en date du 7 décembre 1941 par les autorités navales américaines, d'attaquer sans avertissement les navires marchands japonais sous prétexte qu'ils « étaient ordinairement armés ».
Ce grief ne fut donc pas retenu contre le grand-amiral Dönitz ni par conséquent contre l'Allemagne par le Tribunal de Nuremberg mais l'opinion publique mondiale n'en fut jamais informée par la presse qui, rendant compte des débats, répandit dans le monde entier, à des millions d'exemplaires, que le grand-amiral Doenitz avait ordonné de massacrer délibérément les équipages des navires torpillés.
[49]
Aujourd'hui encore, une notable partie de cette presse continue ses prouesses dans ce sens sur cette lancée.
Ce machiavélisme auquel l'accusation a donné libre cours dans sa présentation des documents et des faits à propos de l'affaire du Laconia, semble avoir été la règle générale à propos de presque tous les documents tout au long du procès. On le retrouve justement dans I'affaire de l'obliteration bombing dont il a été question par ailleurs.
Mais d'abord, comment cette idée a-t-elle pu venir aux Anglais et aux Américains ensuite ?
Sur ce problème, deux thèses sont en présence : celle qui est communément admise et que reprend William L. Shirer dans son livre Le Troisième Reich et celle de J.-M. Spaight, directeur du cabinet du ministre britannique de l'air dans son livre Bombing Vindicated. Toutes deux d'ailleurs ne portent que sur le point de savoir qui à commencé ce qui, pour être moralement sans importance, n'en a que plus au regard des conventions de La Haye, lesquelles prétendent qu'il n'est pas du tout indifférent de savoir s'il s'agit de représailles des Anglo-Américains ou de représailles des Allemands.
Voici donc ce que dit William L. Shirer et qu'il présente comme la thèse officielle:
Que cette erreur de navigation officiellement reconnue ait été sur le moment interprétée comme une action délibérée des Allemands et qu'elle ait provoqué, en réaction immédiate, un raid sur Berlin la nuit suivante, on le comprend et même on le pardonne aisément. Qu'ils soient revenus en force quelques jours plus tard sans que les Allemands leur en aient donné d'autre motif, on commence à le comprendre moins bien. Et que, bien que la thèse officielle et W. L. Shirer soient muets là-dessus, ils aient continué jusqu'à provoquer les bombardements de représailles des Allemands sur Coventry, Birmingham, Sheffield et Southampton au nom desquels ils ont justifié Dresde, Leipzig et Hambourg ! on ne le comprend plus du tout et on ne saurait l'excuser.
La thèse du directeur de cabinet du ministre britannique de l'air rend un son bien différent et jette une autre lumière sur cette affaire.
Selon lui, cette méthode de bombardement aurait commencé bien avant le 23 août 1940: le 11 mai exactement. Ce jour-là, I'état-major général de I'Amirauté l'aurait décidée et, le soir même, 18 bombardiers. Whitley seraient partis en vague lâcher des bombes en nappes sur des installations ferroviaires de la Ruhr et auraient, ce qui ne pouvait manquer, fait un nombre appréciable de victimes civiles. Puis, ils auraient continué dans la mesure des possibilités qui leur étaient laissées par la Flak.
Les Allemands, toutefois, ne s'émurent que lorsque les bombes tombèrent sur Berlin : le 31 août et le 1er septembre, après « une semaine de constants bombardements nocturnes anglais » dit W L Shirer, « la plupart des quotidiens de la capitale portaient la même manchette « Les Anglais attaquent lâchement », puis « Pirates de I'air anglais sur Berlin ».
Le 4 septembre enfin, au Sportpalast, dans son discours d'ouverture de la campagne du Winterhilfe ou Secours d'hiver, Hitler porta jusqu'au délire l'enthousiasme de la foule indignée qui l'écoutait en déclarant:
Jusque-là, en effet, à part l'erreur de navigation signalée par W. L. Shirer, I'aviation allemande n'avait pas riposté. A partir de là, ce furent Coventry, Birmingham, Sheffield, Southampton et... même Londres. De fil en aiguille, en 1944, le degré d'horreur avait atteint Dresde, Leipzig, Hambourg et autres lieux, mais, en 1944 I'Allemagne [50] ne pouvait plus riposter et les tapis de bombes tombaient sur un ennemi qui avait déjà les épaules au sol.
De ce crime dont, aussi bien d'après W. L. Shirer que d'après J.M. Spaight, le mécanisme a été mis en marche par l'état-major de l'Amirauté et dont les deux parties, le juge comme l'accusé sont de toutes façons coupables, le tribunal de Nuremberg ne retint que les réactions allemandes sous la forme de mesures décrétées contre les aviateurs anglo-américains, pour une raison ou pour une autre obliges d'atterrir en territoire allemand et, en quelque sorte pris en flagrant délit.
La plus connue de ces mesures, celle qui fit le plus de bruit en ce qu'elle fut considérée comme la plus inhumaine fut celle que révéla une note trouvée dans les dossiers de l'O.K.W. en date du 21 mai 1944 relative à une décision de Hitler de faire fusiller sans jugement les équipages des avions anglais et américains qui auraient commis certains actes déterminés nés (Doc. P.S. 731, Débats du Procès de Nuremberg, pp. 275-276 T. XXVI).
Voici ce que disait cette note d'après le livre de documents ci-dessus. cité:
Ainsi présentée, cette note devient un ordre dont rien ne dit qu'il n'a pas été exécuté. Et, en l'auréolant d'un concert d'imprécations contre « I'éternelle et inhumaine Allemagne », en la reliant à d autres notes du même genre ou à des extraits isolés de leur contexte d'autres ordres qualifiés crimes, c'est tout ce que la presse accréditée au procès en a dit lorsqu'elle fut produite devant le tribunal le 20 mars 1946 (op. cit. pp. 604-605, T. IX) et les jours suivants. Mais, si on se reporte à l'interrogatoire de Göring (même date) on apprend qu'elle porte des mentions marginales de Warlimont, chef d'état-major adjoint des opérations de la Wehrmacht, de Keitel, de Jodl, d'un général Korten, etc. et qu'il s'agit d'une enquête auprès des membres de l'état-major de l'O.K.W. sur un projet d'ordre décidé dans ce sens par le Führer. Et si on se rapporte à l'interrogea[52]toire de Keitel (op. cit. p. 572, TX et p. 21 T. SI, 4 et 8 avril 1946) on apprend qu'il s'agit « d'un échange continuel d'idées exprimées çà et là au sujet d'une mesure souhaitée par Hitler et qui, Dieu merci, ne s'est pas réalisée, parce que les instructions nécessaires n'ont pas été transmises et qu'aucun ordre de l'O.K.W.. ne fut jamais établi ou donné à ce propos ».
I! fallut bien que le Tribunal se rendît à l'évidence. Il s'y rendit mais non la presse. Aujourd'hui encore, beaucoup de propagandistes d'un anti-nazisme après-coup qui se prétendent historiens continuent à présenter dans la presse ou dans des livres cette note rédigée en cours d'étude comme un ordre effectivement exécuté et en série.
Ce qui est vrai, c'est qu'il y eut réellement des aviateurs anglo-américains Iynchés ou abattus sur place par la foule indignée qui se ruait sur eux lorsqu'ils touchaient terre. Mais c'est une autre histoire et une réaction grégaire blâmable, certes, mais bien compréhensible.
L'accusation voulut que cette réaction grégaire fût télécommandée par les dirigeants du IIIe Reich en guerre et, pour le démontrer, elle produisit d'autres documents encore. En tout premier lieu des notes relatives à l'affaire émanant du général Warlimont, adjoint de Keitel les documents P.S. 735 et P.S. 740 (op. cit. pp. 276 et 279 T. XXVI). Ces deux documents mettaient en cause Göring et Ribbentrop au sujet d'une conférence qui aurait eu lieu quelque temps avant le 6 juin 1944 au château de Klessheim et au cours de laquelle ils auraient, en compagnie de Himmler, arrêté une position commune conforme à ce qui est décrété dans la note du 21 mai qui leur était reprochée : malheureusement, cette réunion de Klessheim n'eut jamais lieu que dans l'imagination de Warlimont, lequel notait qu'il tenait le renseignement de Kaltenbrunner. On ne dit pas de qui le tenait Kaltenbrunner. Au surplus, Ribbentrop et Kaltenbrunner démontrèrent aisément qu'en matière de traitement des aviateurs anglo-américains même terroristes, ils ne partageaient pas plus que Keitel les vues qui paraissent avoir été celles de Hitler en la matière.
Comme ses arguments s'effritaient les uns après les autres, I'accusation voulant à toute force marquer un point, n'hésita pas à citer jusqu'à un ordre de Fless en date du 13 mars 1940 relatif aux instructions à donner à la population civile sur l'attitude à adopter en cas d'atterrissage d'avions ou de parachutistes ennemis sur le territoire du Reich (P.S. 062 p. 119 T. XXV). Au quatrième paragraphe, il y était dit que « les parachutistes ennemis devaient être immédiatement arrêtés ou mis hors d'état de nuire ». M. Justice Jackson traduisit : « hors d'état de nuire » par « liquidés » sans doute parce que c'était plus à la mode à l'époque et sa traduction fit et continue encore son petit tour du monde dans la presse.
Vint ensuite un ordre de HimmIer en date du 10 août 1943 (doc. R. 110 pp. 313-314 T. XXXVIII). A l'intention de tous les officiers supérieurs du service d'opérations des SS et de la Police, Himmler déclarait : « Ce n'est pas le rôle de la police d'intervenir dans les conflits entre la population civile allemande et les aviateurs terroristes anglais ou américains qui ont dû sauter en parachute ». Traduction de l'accusation : «. ..I'armée reçut des ordres pour ne plus les protéger contre le Iynchage de la populace. Le gouvernement nazi, par ses agences de propagande et de police, prit soin d'inviter la population civile à attaquer et à tuer les aviateurs qui s'écraseraient au sol » (Audience du 21 novembre 1945 T. II p. 147). Mais, dans sa plaidoirie, le Dr Gawlik (défenseur du S.D. à partir du 18 mars 1946) prétend, premièrement que cet ordre ne s'adressait qu'à la police, non à l'armée, ce qui est tout de même visible et, secondement qu'effectivement ce n'était pas le rôle de la police mais du S.D. sur qui ce soin devait entièrement continuer à reposer (T. XXII, p. 40 . Audience du 27 août 1946).
Vint ensuite l'ordre de Hitler en date du 18 octobre 1942 relatif à la destruction des commandos et des parachutistes (Doc. P.S. 498 T. XXVI, pp. 100 101). Du moins, est-ce sous ce titre que cet ordre est présenté par l'accusation, mais il suffit de le lire pour se rendre compte que ce n'est pas de parachutistes ni de simples commandos qu'il s'agit mais bien de « commandos parachutistes » envoyés derrière les lignes pour y faire une guerre rigoureusement interdite par les conventions de Genève. Qu'on en juge par les trois points essentiels ci-dessous reproduits dans une traduction aussi littérale que possible:
Trois autres paragraphes précisaient encore que si certains de ces expions ou saboteurs tombaient aux mains de l'armée, ils devaient être remis immédiatement au S.D. ; que cet ordre ne s'appliquait pas aux soldats ennemis faits prisonniers en combat ouvert ; et que les chefs d'unité et officiers coupables de négligence dans l'exécution seraient passibles du conseil de guerre.
Enfin, un ordre complémentaire du Führer en date du même jour (P.S. 503 T. XXVI, p. 115) explicitait encore les raisons données au paragraphe I de l'ordre principal.
On peut soutenir que, par bien des points, cet ordre est en contradiction avec les conventions de Genève et de La Haye, mais, si on l'admet juridiquement, il faut aussi admettre qu'il s'agit d'une violation qui répond à une autre et que les deux doivent être jugées. Or, par application de l'article 18, la violation initiale était « étrangère au procès » donc, on ne retint que la seconde. Et on la porta à la connaissance du public en mettant l'accent sur des expressions comme « soldats en uniforme ou non »... (ces commandos étaient dotés d'uniformes pour le cas où ils seraient pris en action et d'habits civils pour fuir, I'action accomplie) « avec ou sans armes » (une fois en civil ils jetaient leurs armes) et en taisant soigneusement que cet ordre ne visait pas les soldats des troupes régulières ainsi qu'il le dit expressément. Si j'ai dit qu'on pouvait soutenir que cet ordre était, lui aussi, en contravention avec les conventions de Genève et de La Haye, c'est qu'au moins dans le cas des civils pris sans armes, la culpabilité ne pouvait être établie que par une enquête suivie d'un jugement. Mais, de toutes façons, cette affaire de « commandos parachutistes » n'a rien de commun avec celle des aviateurs à laquelle elle fut associée et c'est là que réside le machiavélisme. Il faut, au surplus, ajouter que le document était lu en allemand aux accusés qui étaient allemands, que le titre réel « Geheime Kommandosache » leur était donné en soulignant qu'ils étaient « durch Flugzeuge angelandet oder mittels Fallschirmen » à quoi ils ne pouvaient qu'acquiescer et qu'on traduisit dans toutes les autres langues « affaire secrète des commandos et des parachutistes » pour permettre l'association et ceci non plus n'est pas dépourvu d'un certain machiavélisme.
[55]
Une affaire d'aviateurs anglo-américains, il y en eut cependant une et une vraie : celle des évadés du Luft Stalag lII de Sagan (Silésie). De ce camp affecté aux prisonniers de l'Armée alliée de l'air, 76 officiers de la R.A.F. s'étaient évadés dans la nuit du 24 au 25 mars 1944. A l'exception de trois d'entre eux, ils furent tous repris : vingt-trois ne dépassèrent pas les environs du camp et y furent ramenés dans la journée par les services de surveillance de la Wehrmacht et les cinquante autres qui tombèrent dans les mains de la police en différents points de l'Allemagne dans les quarante-huit heures, furent fusillés : Ia Croix-Rouge internationale, puis la puissance protectrice, en l'occurrence la Suisse, s'émurent et il y eut une protestation d'Eden aux Communes. Le 12 juin, le ministre de Suisse à Berlin reçut du ministère allemand des affaires étrangères, une note officielle aux termes de laquelle ces cinquante évadés avaient été abattus par la police « soit au cours de la résistance qu'ils lui avaient opposée au moment de leur reprise, soit au cours de tentative d'évasion après leur reprise ». Mais l'enquête de la Croix-Rouge internationale et de la puissance protectrice établit aisément que c'était faux et qu'ils avaient été fusillés sur ordre donné à Himmler par Hitler à I'insu de tous les accusés du procès de Nuremberg, sauf un : Kaltenbrunner, qui avait retransmis aux échelons d'exécution du R.H.S.A. dont il était le chef, I'ordre de Hitler qu'il avait recu via Himmler. La violation de la convention de Genève qui reconnaît le droit à l'évasion est ici patente. Sur le point de savoir si Hitler à réellement donné cet ordre, tous les témoignages sont concordants. Ceux de Keitel (T. XI, pp. 8 et suiv.) et de Göring (T. IX, pp. 380 et suiv.) sur lesquels l'accusation voulait faire peser les responsabilités de cette affaire sont même d'une rare honnêteté. L'un et l'autre démontrèrent indiscutablement que, non seulement ils n'y avaient pris aucune part, mais encore qu'ils avaient été placés dans des conditions telles qu'ils n'auraient pu l'empêcher : Hitler agissant par-dessus la tête de Keitel, Göring prévenu trop tard. Quant à Kaltenbrunner et à Ribbentrop, le premier déclara qu'il s'était borné à retransmettre un ordre qui lui venait de son supérieur et qu'il n'avait pas à discuter, le second fournit une explication qui lui avait été donnée comme résultant d'une enquête.
A ma connaissance, on n'a pas relevé d'infractions exactement similaires à l'encontre des Anglo-Américains en matière de traitement de prisonniers de guerre. J'ai montré qu'on en a relevé d'autres qui ne le cèdent en rien à celle-ci en horreur. Et quant aux Russes qui n'avaient signé ni les conventions de La Haye, ni celles de Genève et se permettaient en conséquence tout, on en a relevé de pires. Même les Français ne sont pas blancs comme neige : on a vu qu'en un cas au moins (Annecy) ils n'avaient pas attendu que des prisonniers de guerre s'évadent pour les fusiller en masse.
Pour conclure sur l'ensemble. Ia règle établie par les textes était qu'en Allemagne les aviateurs abattus fussent envoyés dans des camps de prisonniers, sauf ceux qui étaient qualifiés de terroristes qui étaient remis à la police puis jugés sommairement et condamnés à mort ou envoyés dans des camps de concentration selon le cas. Dans cette catégorie entraient ceux dont la note trouvée dans les dossiers de l'O.K.W. et datée du 21 mai 1944 établit que Hitler voulut, sans y réussir on l'a vu, faire fusiller sans procédure judiciaire. A Nuremberg, Göring prétendit de ceux-là (T. IX, p. 382) que des interrogatoires auxquels les autres avaient été soumis, il résultait que leurs gouvernements leur interdisaient de se livrer aux actes auxquels ils s'étaient livrés et qu'ils étaient des criminels de guerre dans toute l'acception du mot. Les Alliés n'agissaient d'ailleurs pas différemment : le lieutenant de vaisseau Eyck, commandant l'U. 582 de la Kriegsmarine, qui avait anéanti au canon les épaves et les naufragés d'un cargo qu'il venait de torpiller, fut, ayant à son tour été coulé et fait prisonnier, condamné à mort avec tous les officiers de son bord par un conseil de guerre britannique qui les fit exécuter le 30 novembre 1945.
Tels sont, au niveau de la matérialité des faits, quelques-uns des exemples qui montrent que l'accusation de crime de guerre s'appliquait autant aux juges qu'aux accusés et, par voie de conséquence, établissent irréfutablement l'incompétence du Tribunal au regard du Droit International alors en vigueur.
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