Extrait de Vérité historique ou vérité politique, de Serge Thion
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Devant le refus opposé par Libération à la publication de cette lettre qui montre que le journal a publié du Faurisson sans le savoir, situation qui n'est pas sans créer des remous, comme le départ discret de Pierre Goldmann qui ne supporte plus de collaborer, même épisodiquement, à un organe où il voit qu'écrivent des " antisémites ", Pierre Guillaume et Jean-Gabriel Cohn-Bendit proposent le texte suivant au service des " petites annonces " de Libération, qui le refuse aussitôt. Le Monde accepte de la passer en placard publicitaire (1500 F) puis se ravise, sur intervention de la direction :
Cette offre de mars 1979, pour autant que l'on sache, est toujours valable
C'est finalement ailleurs que se poursuit cette entreprise d'éclaircissement mené par quelques éléments de ce que l'on peut appeler peut-être l'ultra-gauche. On voit ainsi apparaître, en mars, en particulier à Lyon, un tract intitulé : " Les chambres à gaz sont-elles indispensables à notre bonheur ? " Après avoir résumé les débuts de l'affaire, il se continue ainsi :
Le professeur Faurisson est un homme seul.
Aucun groupe, aucune organisation ne l'a soutenu et ne le soutient. Parmi ceux qui se sont manifestés en sa faveur, à des titres divers par des [141] lettres à la presse ou des témoignages, on ne relève que des antifascistes et des antiracistes convaincus. (éntre autres Jacob Assous, José Benhamou, J.-P. Carasso, J.-P. Chambon, J.-G. Cohn-Bendit, H. Denés, P. Guillaume, C. Martineau, V. Monteil, J.-L Redlinski, etc.
Ne serait-il pas temps de réfléchir ?
Tous ceux qui ont pris la peine de s'informer ont découvert que le professeur Faurisson est viscéralement antitotalitaire. Ils savent aussi qu'il n'a fait que poursuivre le travail de déconstruction de la rumeur commencé par Paul Rassinier (résistant irréprochable) sur les camps de Buchenwald et de Dora, où il a été lui-même déporté 19 mois (arrêté en octobre 1943, torturé 11 jours par la Gestapo, revenu invalide à 95 %) et par J. Ginsburg, sur le camp de Maidanek, où il fut lui-même déporté racial avec toute sa famille.
Tous ceux qui ont pris la peine de s'informer savent que Faurisson est de bonne foi, et qu'il est convaincu, comme Rassinier et Ginsburg, qu'avec ou sans chambres à gaz, les camps de concentration hitlériens ont atteint le paroxysme de l'horreur, horreur différente, horreur peut-être plus fondamentale, plus radicale que la représentation à sensation qu'on en donne.
Alors, si " le ventre est encore fécond, qui donna naissance à la bête immonde ", croit-on réellement lutter contre le " retour au pire " en luttant sans risque contre un homme seul ou en s'acharnant contre le cadavre qu'on déterre d'un nazisme fantasmé, au lieu de s'attaquer au ventre lui-même, qui nulle part sur la planète n'a été détruit, et qui continue d'engendrer des horreurs et des atrocités, évidemment différentes du nazisme fantasmé et du nazisme réel, qui ne renaîtra jamais dans la forme.
Au fait... Une atrocité peut en cacher une autre.
La mise en spectacle de l'horreur absolue n'a-t-elle pas servi à masquer tous les autres ?
Il ne saurait y avoir de vérité officielle en histoire.
Le principe de l'interdiction professionnelle est pire que le mal qu'on prétend abattre.
Des personnes sans qualité.
Circulait également cette " Ultime suggestion venue de la maison des morts après un long débat entre Galilée, P. Rassinier, Jésus-Christ, K Marx et C. von Clausewitz " :
Moi, Robert Faurisson, fils de feu Robert Faurisson, âgé de cinquante ans, comparaissant en personne devant ce tribunal et debout devant vous, Très éminents et révérends Juges, assigné par la Sainte L.I.C.A. et les Très Saintes Associations de déportés et victimes, Grands Inquisiteurs dans toute l'Humanité contre la Perversité Nazie, les yeux sur le Rapport Gerstein que je touche de mes propres mains.
Je jure que j'ai toujours cru, que je crois à présent et que, avec la Grâce de l'Antifascisme, je continuerai a l'avenir de croire tout ce que la Sainte L.I.C.A., apostolique et résistante, tient pour vrai, prêche et enseigne.
[142] Mais parce que - après que la Sainte Télévision m'ait notifié l'ordre de ne plus croire à l'opinion fausse que l'existence des chambres à gaz pour exterminer les juifs est une simple conjecture basée sur des rumeurs et des aveux contradictoires, dont certains ont été reconnus mensongers par la Sainte L.I.C.A. elle-même ; et ne pas maintenir, défendre, ni enseigner, soit oralement, soit par écrit cette fausse doctrine ; après avoir été notifié que ladite doctrine était contraire à la Sainte Thèse Officielle ; parce que j'ai écrit et fait imprimer divers textes dans lesquels j'expose cette doctrine condamnée, en présentant en sa faveur une argumentation très convaincante, sans apporter aucune solution définitive ; j'ai été, de ce fait, soupconné véhémentement d'hérésie, c'est-à-dire d'avoir maintenu et cru que les chambres à gaz, concues expressément comme abattoirs humains industriels, n'avaient jamais existé.
Pour ce, voulant effacer dans l'esprit de ces Inquisiteurs et de tout Antifasciste fidèle, ce soupcon véhément, à juste titre concu contre moi, j'abjure et je mande d'un coeur sincère et avec une foi antifasciste non simulée, les erreurs et hérésies susdites, et en général toute autre erreur et hérésie et entreprise contraire à la Sainte Résistance ; je jure à l'avenir de ne plus rien dire, ni affirmer de voix et par écrit, qui permette d'avoir de moi de semblables soupcons, et s'il m'arrivait de rencontrer un hérétique ou présumé tel, je dénoncerai à ce Tribunal, à la Sainte L.I.C.A., ou à la Police de mon lieu de résistance.
Je jure aussi et promets d'accomplir et d'observer strictement les pénitences qui m'ont été ou me seraient imposées par ce Tribunal ; et si je contrevenais à l'une de mes promesses et serments, je me soumets à toutes les peines et châtiments qui sont imposés et promulgués par la Sacrée Résistance et les autres Constitutions générales et particulières contre de semblables délinquants.
Avec l'aide de la Sainte Télévision et du document Gerstein original que je touche de mes mains.
Moi, Robert Faurisson, soussigné, j'ai abjuré, juré, promis et engagé comme ci-dessus ; et en foi de quoi pour attester la vérité de ma propre main, j'ai signé la présente cédule de mon abjuration et je l'ai récitée mot à mot à Paris au Palais de Justice le...
Les bordiguistes de Programme communiste republient un article de 1960 : " Auschwitz ou le grand alibi ", avec cette note liminaire (21) :
L'article que nous reproduisons met à nu les racines réelles de l'extermination des Juifs, racines qu'il ne faut pas chercher dans le domaine des " idées ", mais dans le fonctionnement de l'économie capitaliste et les antagonismes sociaux qu'il engendre. ét il montre aussi que si l'état allemand a été le bourreau des Juifs, tous les états bourgeois sont coresponsables de leur mort, sur laquelle ils versent maintenant des larmes de crocodiles.
Chez les fantassins de la Guerre sociale, on imprime une affiche-tract qui reprend de larges extraits d'un arti[143]cle, (22) précédé d'une présentation (en gras dans le texte) pour les besoins d'une distribution à Lyon, en juin 1979. Faisant très bien le tour de la question, elle s'intitule :
Il y a quelques décennies. l'Europe était en proie à une vague d'antisémitisme. Avant que les nazis déportent une partie de la population juive, les Juifs étaient déjà menacés dans leurs biens et leurs emplois. Ainsi les professeurs juifs étaient empêchés d'enseigner. Si aujourd'hui tout le monde déplore ces persécutions, il faut remarquer qu'à l'époque il n'y avait pas tant de monde que ca pour s'y opposer.
Les temps semblent avoir bien changé. Toute résurgence d'antisémitisme en éurope se heurte bien vite à la gauche, au milieu universitaire, à l'état. Ainsi il suffit que l'on apprenne qu'un professeur de Lyon 2. Robert Faurisson, partagerait des idées semblables à celles de l'ancien commissaire de Vichy aux questions juives, Darquier de Pellepoix, pour que l'heure de son cours soit publiée dans la presse, que des bonnes volontés l'empêchent de poursuivre son enseignement de littérature francaise et que la direction de son U.E.R.. pour protéger le calme universitaire, suspende cet enseignement. Sans doute finira-t-on par le pousser cette année ou l'année prochaine hors de l'Université. Faurisson n'est pas seulement attaqué dans sa vie professionnelle, mais aussi dans sa vie privée, à travers sa famille, en tant que " sale nazi ". Certains trouveront ces méthodes déplorables, mais enfin quand même considéreront que l'on ne peut défendre en toute impunité n'importe quelle opinion. On sait trop où cela peut mener. Le fascisme, le racisme sont déjà passés une fois. Maintenant ils ne passeront plus.Les lignes Maginot vont tenir.
Et si les lignes Maginot, comme il est dans leur nature de l'être. étaient déjà tournées ? Et si c'était Faurisson qui était devenu le Juif ?
Darquier de Pellepoix, qui finit tranquillement ses jours en éspagne.a organisé la déportation des Juifs.. Robert Faurisson serait un émule de Darquier de Pellepoix. mais enfin Faurisson a-t-il préconisé la déportation de qui que ce soit ? Non, le crime de Faurisson est de soutenir que l'on ne peut parler au sens strict de génocide et qu'à propos des " chambres à gaz " on peut parler de légende. Cela se rapproche effectivement des déclarations de Darquier à un journaliste de l'Express. Mais que faut-il reprocher à Darquier : d'avoir participé à la déportation des Juifs. ou de tenir maintenant de tels propos ? Darquier de Pellepoix et Faurisson peuvent se retrouver sur un certain nombre de points sans que cela suffise à faire de Faurisson le complice de Darquier.
A la base de tout cela, il y a le postulat que l'existence des " chambres à gaz " est un fait absolument irréfutable. énsuite que toute remise en cause de ce fait absolument irréfutable ne peut avoir directement ou indirectement qu'une origine nazie ou antisémite. Ainsi Faurisson emboîterait-il le pas à Darquier, et s'il n'est pas un antisémite plus ou moins bien déguisé, c'est dans la mesure où il est un hurluberlu, et de toute facon un hurluberlu dangereux. On écarte au départ l'idée que la remise en cause de l'existence des " chambres à gaz " peut avoir comme origine, non le [144] fait de camoufler des atrocités et de se disculper comme c'est le cas pour Darquier mais le désir de la vérité.
Or il suffit d'avoir le goût de la vérité et de s'être penché sur cette question pour savoir que l'existence des " chambres à gaz " est un fait beaucoup moins évident que ce qu'on nous en dit. L'étude des conditions techniques d'une telle opération, les contradictions dans les aveux des S.S.rendent les " preuves " bien fragiles. Ceux qui se sont érigés en spécialistes de la question et sont soutenus par l'ensemble de la presse le savent, et c'est pourquoi ils cherchent à empêcher le débat.
Le doute sur l'existence des " chambres à gaz ", n'est pas d'origine d'extrême droite. Il fut d'abord le fait de Paul Rassinier dont il n'est pas inutile de rappeler que, résistant de la première heure, il a été arrêté et torturé par la Gestapo, puis déporté à Buchenvald. Le passage de l'affaire Darquier de Pellepoix à l'affaire Faurisson instruit sur le fonctionnement des mass media, mais non sur le processus de remise en question de l'existence de " chambres à gaz ". Darquier utilise Rassinier pour se disculper et la presse utilise Darquier pour mieux discréditer des vérités et ne pas affronter les positions de Rassinier.
La légende des " chambres à gaz "a été officialisée par le Tribunal de Nuremberg où les nazis étaient jugés par leurs vainqueurs. Sa première fonction est de permettre au camp stalino-démocratique de se distinguer absolument de celui des nazis et de leurs alliés. L'antifascisme et l'antinazisme leur ont permis de justifier leurs propres actes de guerre et ont continué à justifier aussi beaucoup d'ignominies depuis. Chez ceux qui auraient réussi à préserver le monde de la barbarie.
Les temps angoissés que nous vivons, et qui se rapprochent par certains côtés de la situation d'avant-guerre, à défaut de pouvoir affronter réellement les causes de leurs problèmes, ont besoin de se trouver des boucs émissaires et de se rassurer sur leur légitimité. Dans un premier temps, avec le prétexte de se prémunir contre un recommencement. on réutilise les vieux ennemis, on ravive la propagande de guerre contre le barbare vaincu hier. Mais le capital au fur et à mesure qu'il va s'enfoncer dans la crise et sentira le danger révolutionnaire va chercher à donner aux populations des ennemis plus concrets et concentrer les responsabilités sur tel groupe social interne ou tel ennemi extérieur.
Notre position est d'empêcher autant que possible l'expérimentation des états de tension et la mise en place de mécanismes de haine. Nous n'avons qu'un ennemi : les rapports de production capitalistes qui dominent toute la planète et non tel ou tel groupe social. Les bourgeois et les bureaucrates eux-mêmes ne doivent pas être attaqués en tant qu'hommes. mais seulement dans la mesure où ils s'identifient à leur fonction et à leur profit et défendent la société de classes.
On s'est interrogé pour savoir qui manipulait Faurisson. en soupconnant l'extrême-droite. Nous qui sommes révolutionnaires entendons en tout cas le soutenir. Et certainement pas en vertu d'un droit général à la liberté d'expression ou d'enseignement. Pas seulement non plus par réflexe de solidarité humaine, mais parce que Faurisson est attaqué pour avoir cherché et fait progresser la vérité.
Mais soutenir Faurisson et ses recherches n'est-ce pas permettre à l'anti[145]sémitisme de se rallumer ? Le premier impératif reste celui de savoir quelle est la vérité. Et cette vérité, faudrait-il risquer pour empêcher une remontée d'antisémitisme d'en laisser le monopole aux antisémites ? Jeux suspects et dangereux. La vérité ou sa recherche ne saurait être antisémite.
Ne serait-ce que par les remous provoqués par la presse, la question de l'existence des " chambres à gaz " ne pourra plus être longtemps refoulée, et le doute sur la vérité officielle fera inévitablement son chemin. Par rapport à cette situation de fait, nous pensons qu'il faut d'abord précipiter les choses. Que l'évolution ne se fasse pas en douceur, de réajustement en rectification de détails, comme cela a déjà commencé depuis quelques années, ménageant les mensonges des uns, la bonne conscience des autres, et permettant aux troisièmes d'alimenter quelque nouvelle philosophie. Ce qui est en cause, ce n'est pas tant tel mensonge particulier que le fonctionnement de ce qui produit, fait évoluer et remplace les contrevérités quand elles ont fait leur temps. énsuite il faut empêcher que cela puisse alimenter l'antisémitisme. La meilleure lecon est de ne pas laisser la vérité à l'extrême droite, de montrer que des Juifs aussi défendent ce qui leur paraît être la vérité, même si elle contrevient à la mythologie de l'holocauste. Il faut expliquer les mécanismes sociaux réels qui ont produit l'antisémitisme, la déportation et la décimation en camp de concentration des internés juifs ou non-juifs. Montrer que la lutte contre les racismes de toute nature s'épuise vite et reste superficielle si elle n'est pas directement lutte contre le capital.
Sur cinquante livres consacrés à l'Allemagne dans une bibliothèque municipale ordinaire, trente portent sur 1939-1945, dont vingt sur la déportation. La vision des camps projetée pour le grand public est celle du règne de l'horreur à l'état pur, guidée par une seule logique, celle de la terreur. élle repose sur une description apocalyptique de la vie en camp et sur des analyses historiques affirmant que les nazis ont planifié l'extermination de millions d'hommes, en particulier six millions de Juifs. Certains auteurs, comme David Rousset, vont plus loin : les nazis ne voulaient pas seulement tuer, mais dégrader, faire prendre conscience à des " sous-hommes " de leur condition par un avilissement mesuré et de leur sous-humanité par une déchéance organisée. [...]
La mise en avant des crimes nazis a pour première fonction de justifier la Seconde Guerre mondiale et plus généralement la défense de la démocratie contre le fascisme : la Seconde Guerre mondiale ne serait pas tant un conflit entre des nations ou des impérialismes qu'une lutte entre l'humanité d'une part et la barbarie de l'autre ; les dirigeants nazis étaient, nous dit-on, des monstres et des criminels qui s'étaient emparés du pouvoir. Ceux qui ont été pris après la défaite ont été jugés à Nuremberg par leurs vainqueurs. Il est essentiel à cette vision de montrer chez les nazis une volonté de massacre. Bien sûr, il y a des tueries dans toutes les guerres, mais les nazis, eux, voulaient tuer. C'est là le pire et c'est d'abord cela qu'on leur reproche. Le moralisme aidant, on ne les blâme pas tant pour avoir fait la guerre, car un état respectable peut s'y laisser aller, mais pour avoir été sadiques. Les bombardements intensifs et meurtriers de Hambourg, Tokyo, Dresde, les deux bombes A, tous ces morts sont justifiés comme un mal nécessaire pour éviter d'autres massacres dont l'horreur viendrait de ce qu'ils auraient été, eux, systéma[146]tiques.Entre les crimes de guerre nazis et les pratiques de leurs vainqueurs, il n'y aurait aucune comparaison possible. Laisser entendre le contraire serait déjà se faire le complice, conscient ou inconscient, de ces crimes et permettre qu'ils se reproduisent. La justification de 39-45 n'est pas une petite affaire. Il faut donner un sens à cette tuerie inégalée qui a fait des dizaines de millions de victimes : car peut-on admettre que c'était pour résorber la crise économique de 1929 et permettre au capitalisme de repartir d'un bon pied ? Cette justification soutient l'antifascisme d'aujourd'hui et de demain et donc la gauche qui s'en nourrit en excusant ainsi sa participation au système. [...]
Les morts en déportation sont mis en avant au détriment des millions d'hommes qui meurent de faim chaque année à travers le monde. Nannen, le rédacteur en chef du magazine allemand Stern. déclare, à propos des persécutions antisémites : " Oui, je le savais, et j'étais trop lâche pour m'y opposer. " Il nous confie que sa femme, à la suite des images d'Holocauste, s'est mise a pleurer, en se souvenant qu'ayant à peine vingt ans, elle dépassait les femmes juives qui faisaient la queue et qu'elle se faisait servir avant elles. Aujourd'hui, il y en a encore qui continuent à être servis avant les autres et nous ne pouvons ne pas le savoir. Récemment, Jean Ziegler, présentant le livre de René Dumont Paysans écrasés, Terres massacrées, nous apprenait que " la seule récolte mondiale de céréales de 1977 - un milliard quatre cent millions de tonnes - aurait suffi à nourrir correctement entre cinq et six milliards d'êtres humains. Or, nous ne sommes pour l'instant qu'un peu plus de quatre milliards sur terre, et tous les jours douze mille d'entre nous meurent de faim ".
On reprochera aux nazis d'avoir organisé la mort de facon scientifique et d'avoir tué au nom de la science avec des expériences médicales sur des cobayes humains, mais ces pratiques ne sont nullement leur monopole. Le journal le Monde titrait au lendemain d'Hiroshima : " Une révolution scientifique ".
Mais l'idéologie, ce n'est pas seulement la mise en avant de certains faits pour soutenir les vainqueurs contre les vaincus, les souffrances passées contre les souffrances présentes. Ces justifications sont sous-tendues par toute une conception qui est le produit des rapports sociaux capitalistes et tend à en mystifier la nature. Cette conception est largement commune aux démocrates et aux fascistes. élle ramène les divisions sociales à des questions de pouvoir et considère la misère et l'horreur comme le résultat de crimes. élle est systématisée par une pensée antifasciste, antitotalitaire, mais d'abord contre-révolutionnaire. C'est l'inexistence révolutionnaire du prolétariat bien plus que le danger nazi ou fasciste, actuellement assez faible qui donne à cette idéologie sa force et lui permet de reconstruire l'histoire à son profit. én effet, la mise en scène et la falsification historiques ne sont pas un monopole stalinien. élles s'épanouissent aussi dans une ambiance démocratique de liberté de pensée et d'expression.
Notre souci n'est pas de rééquilibrer, dans un esprit de justice, les torts et le nombre de cadavres et de renvoyer tout le monde à dos puisque les crimes nazis ne seraient dans le fond que des crimes du capital, dont on pourrait allonger indéfiniment la liste en espérant ainsi mieux condamner le système. Il n'est pas non plus d'excuser les crimes d'état au nom d'une fatalité socio-économique qui se servirait de la main des hommes en leur évitant de devoir rendre des comptes à qui que ce soit. On ne sort pas de la vision politico-judiciaire en répétant que le grand responsable c'est la société, c'est-à-dire tout le monde et personne. Si cette vision doit être critiquée, c'est que le mode d'accusation du capital est tout autant son mode de justification. Il s'agit de démonter cette mise en scène par laquelle le système, c'est-à-dire aussi des politiciens, des intellectuels, se sert de la misère et de l'horreur qu'il produit pour se défendre contre la critique réelle de cette misère et de cette horreur. [...]
Lire Rassinier
Les camps sont un produit du capitalisme non seulement dans leur origine mais aussi dans leur fonctionnement. L'intérêt des ouvrages de Paul Rassinier et notamment du Mensonge d'Ulysse est de permettre une conception matérialiste de la vie, et donc de la mort, à l'intérieur des camps.
Paul Rassinier (1906-1967) adhère au Parti communiste en 1922.11 ralliera l'opposition de gauche et sera exclu en 1932. Il milite à la gauche du P.C. puis passe à la S.F.I.O. pour participer à la Gauche révolutionnaire de Marceau Pivert. Devant la montée des périls, il défend les thèses pacifistes. La guerre ayant éclaté, il sera résistant de la première heure. Arrêté par la Gestapo en octobre 1943, torturé puis déporté à Buchenwald et Dora durant dix-neuf mois, il reviendra grand invalide.
Après la guerre, Rassinier écrivit dans des organes pacifistes et libertaires mais aussi dans des revues d'extrême droite. Ses ouvrages sur la question concentrationnaire furent édités à compte d'auteur ou par des éditeurs d'extrême droite. Ceux qui en tirent argument contre lui sont ceux qui auraient voulu qu'il ne soit jamais édité. La plupart des ouvrages de Rassinier sont épuisés. La Vieille Taupe (B.P. 9805, 75224 Paris Cedex 05) vient de rééditer le Mensonge d'Ulysse.
En 1962, dans l'introduction au Véritable Procès Eichmann, P. Rassinier s'explique ainsi : " Les hostilités terminées, s'il n'y eut sur le moment que peu de gens à penser qu'il était nécessaire de passer au crible les horreurs et les responsabilités de la Seconde Guerre mondiale, il est remarquable que ces gens aient été surtout de droite et qu'ils aient, en outre, fondé leur attitude sur les principes au nom desquels les intellectuels de gauche avaient refusé Versailles vingt-cinq ans plus tôt. Quant aux intellectuels de gauche, dans leur écrasante majorité, ils ont approuvé et exalté Nuremberg au nom de principes dont, au temps de Versailles, ils reprochaient le caractère réactionnaire à ceux de la droite qui les faisaient leurs, et le phénomène n'est pas moins remarquable. Il y a là, en tout cas, un assez curieux chassé-croisé dans le secteur des principes et c'est dans ce chassé-croisé que s'inscrit mon drame personnel. " ét il explique sa démarche : " Tout était à recommencer à partir de zéro : prendre les faits un à un, les étudier dans leur matérialité et enfin les replacer correctement dans leur contexte historique Je commencai donc par un fait historique sur lequel, pour l'avoir vécu, je me croyais le mieux renseigné : le phénomène concentrationnaire. Comme il était au premier plan de l'actualité et que tous les débats publics s'y ramenaient, on m'excusera si j'ai pensé que jamais l'occasion ne serait plus favorable. [148] Le Mensonge d'Ulysse fut donc mon premier acte de fidélité aux principes de la gauche de 1919. " [...]
Les " chambres à gaz "
Rassinier est d'abord connu ou plutôt attaqué pour avoir osé nier que des " chambres à gaz " aient été l'instrument d'un meurtre de masse. Il n'est pas question ici de reprendre l'ensemble de ses arguments et de vouloir régler définitivement la question. Comme tout un chacun, nous tenions pour un fait établi l'utilisation de " chambres à gaz " en vue d'un massacre aux proportions industrielles. Si contestataires et si méfiants que nous puissions être, l'idée que l'on ait pu organiser un bluff à pareille échelle et sur un sujet aussi macabre ne nous était pas venue spontanément. Pourtant, à la lecture de Rassinier, nous avons été fortement ébranlés. ét nous avons été encore plus ébranlés par le débat qui a eu lieu récemment dans la presse, ou plutôt par la facon dont on l'empêche d'avoir lieu. [...]
On joue sur le respect dû aux morts et aux souffrances des survivants. ét sur la peur de tous de se retrouver du côté des bourreaux. Pour ne pas couvrir des crimes, certains seraient même prêts à tuer. Le bon sens, qui nous dit par la bouche de Lénine que l'on ne peut tromper beaucoup de gens très longtemps, est-il prêt à reconnaître que, dans cette affaire des " chambres à gaz ", il s'est peut-être abusé ? Ce serait " trop gros ", se dit-il, et il se rendort dans les bras de la bonne ou de la mauvaise conscience
Mais n'y a-t-il pas les témoignages des déportés et les aveux des bourreaux ? Beaucoup de gens ont effectivement " vu " des " chambres à gaz ", même là où il est reconnu qu'il n'y en avait pas. én fait, ils en avaient surtout entendu parler. Les aveux ne sont pas suffisants en eux-mêmes. Les S.S. étaient vaincus, leurs illusions et leur cause étaient écroulées. Une menace d'exécution pesait sur eux et ils cherchaient à se disculper en invoquant des ordres introuvables et un projet qui les aurait complètement dépassés. La complaisance à l'égard de leurs interrogateurs s'est dans plusieurs cas révélée payante. Il n'est pas besoin d'évoquer la torture, même si son utilisation paraît établie dans certains cas. La torture d'ailleurs ne suffit peut-être pas à venir à bout d'hommes qui croient encore en leur cause. Quand celle-ci s'est effondrée, des pressions physiques et morales minimes suffisent à anéantir ceux pour lesquels il ne reste plus que l'identification aux vainqueurs et l'instinct de conservation. Ce que l'on admet pour Boukharine peut valoir aussi pour Hoess, commandant d'Auschwitz, détenu dans une prison en Pologne, et qui a été exécuté en 1947.
Rassinier s'est appliqué à montrer que les documents sur lesquels repose la foi en l'existence des " chambres à gaz " et en leur fonction exterminatrice étaient suspects à cause de leur origine et aussi de leurs contradictions. Les contradictions les plus graves apparaissent entre leurs descriptions du " gazage " et les contingences réelles d'une telle opération.
La rumeur des " chambres à gaz " se développe à l'intérieur des camps de concentration. élle s'explique, notamment par la mortalité extraordinairement élevée qui règne, par les transferts fréquents de camp à camp, par la pratique de Selektion qui avait pour objectif de séparer les inaptes au travail de la masse des détenus et par la confusion entre crématoires [149] et " chambres à gaz ". Des témoignages de détenus montrent que, croyant être gazés parce que l'on avait changé le lieu des douches ou parce qu'ils étaient contraints d'aller à l'infirmerie, il n'en était finalement rien. A quoi s'oppose évidemment l'argument choc que ceux qui auraient effectivement été gazés ne sont plus là pour le raconter. Cette rumeur a été systématisée après la guerre, notamment parce qu'elle permettait aux membres de la H.-Fuehrung de se disculper et d'occulter son rôle.
Mais la fonction idéologique des " chambres à gaz " dépasse de loin les intérêts particuliers de certains. ét c'est là qu'il n'est pas inutile de quitter le terrain mesquin de la recherche historique pour s'élever avec Jean Daniel au plan de la philosophie politique.
Selon le directeur du Nouvel Observateur dans son éditorial du 6 novembre 1978, " L'oubli interdit " : " La campagne a commencé dans les années 1950, avec le livre minutieux de Paul Rassinier, un parlementaire francais, de formation socialiste, et qui a fait lui-même - mais oui ! - un court séjour dans un camp. " La manière de J. Daniel ne s'embarrasse pas de minutie. élle est plutôt lyrique. ét J. Daniel ne se soucie pas de réfuter Rassinier. Il lui suffit de dénoncer les " croisés du racisme " qui utilisent les argumentations de Rassinier. D'ailleurs Rassinier est difficilement réfutable puisque les nazis, et c'est ce qui fait toute l'horreur de la chose, auraient réussi à commettre un crime parfait : " Rêve démoniaque s'il en fût, concu par un Lucifer technocrate dans la plus hautement scientiste des hystéries. Le regroupement des damnés, leur acheminement, l'organisation des camps, la sélection pour l'extermination : rien n'est laissé à l'improvisation. Rien ne laissera de trace : c'est l'infernal processus du crime parfait. Sa spécificité, c'est sa perfection ; son essence, sa radicalité ; son horreur magique, son aptitude à évoquer le néant et l'infini. Les racistes ont toutes les raisons de craindre d'en être accusés. C'est un acte sans précédent, né de rien et qui ne va nulle part ".
Mais, à en croire J. Daniel, nous avons eu de la chance, car la France s'est ressaisie pour son salut : " Il y a eu dans le mystérieux inconscient collectif, comme l'obscur sentiment qu'il suffisait que s'écroule la croyance au génocide pour qu'aussitôt reparût, libéré et torrentiel, non seulement l'antisémitisme mais ce racisme latent, dont peuvent être victimes toutes les minorités, ce racisme qui plonge l'esprit dans les ténèbres avec l'irrépressible mouvement de la marée noire sur l'océan. " Le poète, ou mieux l'albatros, les ailes encore pleines de goudron, par un audacieux renversement transforme une pollution à la surface des mass media en un sursaut venu des profondeurs l'être social.
Un journaliste en mal de copie et de célébrité a été interviewer, le micro et l'appareil-photo dissimulés, une vieille crasse qui avait plus ou moins réussi à se faire oublier. Toute la presse s'empare de l'affaire avec le prétexte de discuter sur l'utilité ou la nocivité pédagogique de la publicité au racisme de Darquier de Pellepoix, préférant évidemment s'alimenter des propos d'un Darquier que de devoir discuter sérieusement des positions d'un Rassinier. Mais, de toute facon, on ne voit pas très bien dans toute cette banalité où peut se trouver le mystérieux inconscient collectif.
L'inversion de Jean Daniel en soutient une autre qu'il reprend à un vola[150]tile de son espèce, Louis Martin-Chauffier, cité par l'archevêque de Marseille dans son homélie de la Toussaint - peut-être pour faire oublier les silences du Vatican à l'égard du nazisme. Martin-Chauffier, nous dit l'archevêque, est 1'" auteur de l'une des plus belles méditations sur la déportation : "On ne doit pas répondre à la violence par la haine. Mais l'oubli serait démission. L'oubli est interdit. On ne saurait oublier tout ce qui s'est commis, sous peine de voir se recommencer tout ce qui aura été ou oublié ".".
A la compréhension des conditions économiques et sociales qui engendrent la destruction d'êtres humains avec une telle ampleur, on oppose le mythe d'un plan conscient et démoniaque. A la lutte contre ces conditions économiques et sociales, on oppose la nécessité de se souvenir. Il suffirait qu'on oublie pour que tout recommence. L'inconscient collectif, alias les mass media, se feront donc les gardiens de ce cauchemar. Voilà légitimé un spectacle de l'horreur qui, loin de prémunir contre quoi que ce soit, ne fait que banaliser l'atrocité et donner au public le sentiment de l'impossibilité d'intervenir. C'est du passé ou c'est trop loin, de toute facon cela se passe derrière l'écran de télévision. Mais cela n'est pas simplement passivité et distance, il y a aussi une complaisance et une fascination pour l'horreur qui ne manquent pas de se trouver de bonnes raisons.
C'est que l'horreur n'existe pas seulement à la périphérie de notre monde et derrière les barbelés où on la concentre, elle suinte de notre mode de vie sous les images de la tranquillité heureuse pour parfois surgir sous la forme du crime, de l'accident bête ou de comportements pathologiques. ét cette horreur confusément ressentie, il faut la cerner, lui donner un sens, en faire un spectacle pour tenter de la maîtriser. Renvoyer à une pulsion de mort, expression fondamentale de l'inconscient collectif ou individuel, ne fait que cacher comment ce mode de production précis fait effectivement peser sur les hommes une permanente menace de destruction. ét nous ne parlons même pas de l'armement nucléaire ou de toute autre menace plus limitée et réelle de mort mais du sentiment diffus qui habite les hommes coupés de la communauté humaine et réduits à une insertion sociale précaire (le couple, l'entreprise) de risquer d'être et en fait d'être toujours plus ou moins en trop. La crise accentue l'insécurité économique et affective. On cherche à se débarrasser de ceux supposés prendre les places et à concentrer le rejet de la destruction sur des boucs émissaires.
Si malheureusement une situation semblable à celle de l'Allemagne, qui s'est retrouvée au paroxysme de la crise avec sept millions de chômeurs se reproduisait sans qu'il y ait de possibilité d'abattre les rapports de production capitalistes, il y a toutes les chances qu'un fort racisme et même un racisme d'état renaîtrait. Il y a aussi toutes les chances que pour la plupart, les intellectuels antinazis d'aujourd'hui seraient prêts à lui chercher et à lui trouver des justifications.
L'antisémitisme hitlérien est et doit être présenté comme un fait unique dans l'histoire, puis servir à faire oublier et surtout mystifier la nature de toutes les horreurs que notre monde produit. On évoque les conditions particulières qui ont présidé à l'avènement du nazisme, mais c'est pour mieux s'en dégager et atteindre à l'universel. Raymond Aron dit [151] (France-Soir, journal de l'ex-antisémite Hersant, du 15 février 1979) : " Si on veut éviter la barbarisation, il faut insister sur le fait que le nazisme a représente d'unique. Il a été le seul à concevoir, sur la décision de quelques personnes, l'extermination d'une population entière. Peut-être Staline a-t-il sacrifié encore plus de gens. Mais c'est depuis les exterminations hitlériennes que nous avons peur des hommes. Que cette chose ait été possible, nous en sommes tous encore terrifiés. C'est pourquoi, plutôt que de partir de banalisation, il faut dire que, dans une certaine mesure, nous avons tous participé à cela. "
Avec Jean Daniel, nous avons appris que cette extermination avait quelque chose de satanique. Raymond Aron nous dit que, depuis que cela s'est passé, nous avons peur des hommes et que chacun de nous y a participé. Satan est à l'intérieur de chacun d'entre nous : c'est le retour du péché originel.[...]
L'histoire est elle-même historiquement produite. L'image que l'on se fait du passé est le résultat de la sélection et de l'interprétation des faits, suivant la nature des forces qui se sont affrontées et suivant les rapports de forces qui se sont successivement établis. Ainsi, en France, l'histoire scolaire met en scène, de Vercingétorix à De Gaulle, l'affirmation du fait national en effacant la lutte de classe. Le conformisme général considère qu'aujourd'hui la science historique a décisivement rompu avec toute légende des origines pour constituer une enchaînement chronologique de faits établis. Mais si la reconstitution du passé prend une allure scientifique, elle s'opère aussi plus que jamais sous l'égide de l'état.
La vision projetée de la Seconde Guerre mondiale et de l'univers concentrationnaire, avec toute la force que lui assure les mass media, est là pour légitimer le présent, comme ce présent du capital tend aussi à se légitimer immédiatement par la représentation qu'il impose sans cesse de lui-même à travers les mécanismes de production de l'actualité. Cette vision est d'ailleurs susceptible d'évoluer. Le capital cède à la vérité quand il n'a plus besoin de tel mensonge particulier. Une révélation qui vaut de graves ennuis aujourd'hui à ses " auteurs " sera approuvée chez d'autres, ou à titre posthume quand les temps seront mûrs. Mais le problème pour la théorie révolutionnaire n'est pas seulement de dénoncer tel ou tel mensonge particulier, mais de démonter les mécanismes qui assurent la production et la reproduction de l'idéologie et de ses délires.
" La Ligue contre l'antisémitisme déclare antisémites tous ceux qui prononcent le mot "juif" (à moins que ce ne soit dans les conditions rituelles d'un discours aux morts). La Ligue refuse-t-elle tout débat public, et se réserve-t-elle le droit de décider sans aucune explication de ce qui est antisémite ou non ? "
Gilles Deleuze, " Le Juif riche ", le Monde, 18 février 1977, p. 26.
[152]
La L.I.C.A. poursuit Faurisson pour falsification de l'histoire. Il faut disposer d'une très haute autorité morale pour s'ériger ainsi en gardien jaloux de la vérité. Je suis tout à fait disposé à faire crédit à cette vénérable institution, que je ne connais guère. Ayant participé en 1963 à la création d'un comité anti-apartheid, je me suis trouvé ensuite pendant plusieurs années en relation " de travail " avec des organisations antiracistes. Je n'ai pas souvenir d'avoir rencontré dans ces occasions des gens de la L.I.C.A. Mais nous étions parfois en relation avec le M.R.A.P. et je crois comprendre que les rapports qu'entretiennent le M.R.A.P., et la L.I.C.A. ne sont pas précisément ceux de la plus franche camaraderie. Cela explique peut-être la curieuse défaillance de la L.I.C.A. à certains moments de l'action publique contre l'apartheid. J'ignore le pourquoi de ces antagonismes, et peu m'importe. Pour en savoir plus, je n'ai pas trouvé mieux que d'examiner quelques numéros de son mensuel, le Droit de vivre.
J'ai tiqué au compte rendu du film Voyage au bout de l'enfer de M. Cimino, non certes parce que le critique y prend des Ukrainiens pour des Polonais, mais parce qu'il le dit " plus qu'un excellent film. Un monument ". (23) Pour moi, c'est un monument de bêtise et de racisme. Il n'est sûrement pas besoin d'avoir traîné ses bottes dans les rizières viêtnamiennes pour s'en rendre compte. L'insupportable caricature de ces Asiatiques hurlants, ces " jaunes robotisés et inhumains ", comme le dit le critique, ne lui a pas tout à fait échappé : " Michaël Cimino ne se donne pas la peine d'entrer dans la vie, dans la peau des Viêtnamiens. Manque d'intérêt ? Pas le sujet ? Racisme ? " On ne tranche pas. Ce point d'interrogation est vertigineux. Que la grande presse bêtifie devant ce tissu de falsifications, qu'elle flatte la bonne vieille idée de " péril jaune " ravivée par le fait que ces jaunes sont des rouges, rien là que de très normal. Mais qu'un journal dont la raison d'être est l'antiracisme ne soit pas fichu d'identifier et de dénoncer le racisme très explicite de cette superproduction, voilà qui me rend songeur. Le critique souhaite même que l'on fasse un film du même genre sur la guerre d'Algérie. On voit d'ici les ratonnades à la sortie des cinémas
Deuxième surprise, de taille celle-ci, la présence dans la rédaction du Droit de vivre de Paul Giniewski, chargé de la critique littéraire. C'est un sioniste fervent dont les idées semblent [153] s'accorder assez bien avec les vues exprimées dans ce journal. Qu'il trouve sa pâture dans des livres qui veulent démontrer que " l'antisémitisme est consubstantiel à l'idéologie de gauche ", en faisant des anarchistes des précurseurs d'Hitler et en affirmant, contre l'évidence quotidienne, que " la gauche est antisioniste par nature " (24), tout cela ne fait que refléter des positions politiques pour le moins conservatrices. Mais il y a autre chose. J'ai déjà rencontré les écrits de ce pourfendeur de la gauche à propos de l'Afrique du Sud et j'ai eu l'occasion, à propos d'un de ses livres de l'épingler pour quelques perles. (25) Il faut dire que les défenseurs de l'apartheid en France sont assez rares. A l'époque, à part quelques militants d'extrême droite, Giniewski était le seul propagandiste de Prétoria, bien avant Jacques Soustelle. " Il faut aider l'Afrique du Sud, non l'attaquer " (p. 131 de l'ouvrage cité en note) car pour lui l'apartheid (comme tout se retrouve !) est une sorte de " sionisme obligatoire " par le retour des " Bantous " vers les " foyers nationaux ", ces bantoustans dont il se déclare un chaud partisan. Les dirigeants sud-africains, comme MM. Soustelle et Giniewski refuseront certainement l'étiquette de " racistes ". Mais qui niera que la politique qu'ils soutiennent est l'expression la plus achevée du racisme contemporain et que l'une de ces racines plonge précisément dans la politique hitlérienne ? Qu'un journal dont l'antiracisme serait la raison d'être accepte dans sa rédaction un écrivain qui met sa plume au service de l'apartheid est un paradoxe qui dépasse mon entendement.
[154] Mais si leur antiracisme est à éclipser, peut-être les gens de la L.I.C.A. sont-ils des historiens pointilleux, des gardiens sévères de l'objectivité. Certes, ce n'est pas bien grave, quand on évoque la chute d'Idi Amin, (26) qualifié de " digne émule du nazisme raciste ", d'oublier de mentionner qu'il était parvenu au pouvoir avec l'appui actif des services israéliens qui l'ont fait longtemps bénéficier de leur aide et de leur soutien. Bokassa aussi. Simple oubli sans doute.
Mais quand je tombe sur une photo montrant quelques Arabes, assis, en train de deviser, avec la légende suivante : " Quelques-uns des 500 000 non-Juifs qui vivent en Israël dans des conditions de parfaite égalité civique ", je me dis que l'enthousiasme pour la vérité le cède à des préoccupations où sa place est réduite. Si, dans l'article qui accompagne cette photo, (27) je lis les lignes suivantes : " Pour opposer au sionisme un message politique d'une nature semblable on inventa le mythe du panarabisme fondé sur une prétendue unité où furent rassemblés pêle-mêle les pays les plus divers " et, plus loin, que la notion illusoire de " monde arabe est un racisme, sournois ou déclaré ", je comprends que nous sommes dans une officine de propagande sioniste, où l'on se soucie de la vérité historique comme d'une guigne. On peut pourtant concevoir un sionisme qui n'aurait nul besoin de ce genre de propagande grossière. Mais comme tous les doctrinaires, ces gens de la L.I.C.A. se servent de l'histoire quand elle les arrange, sinon ils la déforment brutalement. On commence à trouver curieux que ce journal puisse en même temps s'appeler le Droit de vivre et brûler d'une haine si violente à l'égard des Palestiniens qui, après tout, ne demandent que ce " droit de vivre " chez eux.
Cette haine à l'égard de ses ennemis, la L.I.C.A. la pousse au delà des limites que les lois imposent. Par exemple, ceci : " Francois Brigneau est nuisible à une société civilisée. Par souci d'écologie, il serait utile de le priver du droit d'écrire des insanités " (28) ; ce qui justifierait évidemment ledit Brigneau, qui écrit dans Minute, à formuler les mêmes souhaits à l'égard de la L.I.C.A. On va même plus loin : " Ceux qui marcheront sur ses traces [celles de Darquier de Pellepoix] ne feront pas [155] d'aussi vieux os" (29) Et c'est la L.I.C.A. qui s'arroge le droit de désigner ceux qu'elle croit voir marcher sur les traces de Darquier. Je crois que cela s'appelle des menaces de mort. Il me semble que les tribunaux répriment ce genre de délit.
Quant à moi, je ne vois pas très bien ce qui qualifie la L.I.C.A. pour s'ériger en gardien de la vérité historique. Elle la confond un peu trop avec la propagande politique et ce mélange des genres est assurément très fâcheux.
NOTES
20 L.l.C.A.
21 " De l'exploitation dans les camps à l'exploitation des camps ", la Guerre sociale, n°3, juin 1979, p. 9-31 (B. P 88, 75623 Paris Cedex 13)
22 Mai 1979, p. 35
23 Avril 1979, " L'antisémitisme socialiste ", p. 32.
24 En 1967, j'écrivais ceci : " Il convient peut-être de signaler pour ce qu'elle vaut la récente production du chantre attitré de l'apartheid en France, Paul Giniewski, Livre noir-Livre blanc (Paris, 1966) qui se présente comme le "dossier du Sud-ouest africain". Certains livres sont réjouissants parce qu'on y trouve tout ce qu'on pouvait en attendre : ainsi l'étalage de l'ignorance et de la stupidité devant les résultats de l'histoire et de l'anthropologie (les vrais peuples sont les "peuples élus", p. 26, "le nazisme est aussi oublié à Windhoek qu'il l'est à Bonn" p. 46. L'auteur prend soin de souligner qu'il n'est pas raciste ; la preuve ? Il proteste contre les stéréotypes raciaux et s'en explique : "le nez large et aplati du Bantou n'est pas plus "laid" que le nez droit de l'Européen : c'est le moyen dont l'a doté la nature pour respirer correctement dans les marécages et les sous-bois humides de ses ancêtres" (p. 185). " M. Giniewski persiste et signe : dans un article récent, " Esquisse d'une réponse juive à la nouvelle droite " (le Monde, 3 novembre 1979, p. 2) il reprend textuellement la même phrase. En treize ans, le Bantou est devenu un Noir et la " nature " est devenue l'" évolution ". Cf. Aletheia, 6, avril 1967, p. 144-5. Voir aussi, du même Giniewski, " L'économie sud-africaine ", le Mois en Afrique, juillet 1967, et Bantustans, Le Cap, Human et Rousseau, 1961 ; Une Autre Afrique du Sud, Berger-Levrault, 1962 ; The Two Faces of Apartheid, Chicago, Regnery, 1965 ; Livre noir-livre blanc, Berger-Levrault, 1966 ; L'An prochain à Umtata, Berger-Levrault, 1975.
25 Mai 1979.
26 Albert Stara, " Le racisme contre la paix ", mars 1979, p. 15.
27 Mai 1979, p. 4.
28 Chronique de Raphaël Jerusalmy, décembre 1978, p. 23
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Ceci est un chapitre de Vérité historique ou vérité politique, de Serge Thion, publié en avril 1980 dix ans avant la loi Fabius-Gayssot par les éditions de la Vieille Taupe. Sa reproduction est libre à des fins de recherche et d'éducation. Le copyright commercial appartient à la Vieille Taupe, où le livre est encore disponible. (BP 98, 75224 Paris cedex 05).
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