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...Il était décidé par l'université
de
Coïmbres que le spectacle de quelques
personnes brûlées à petit feu, en grande
cérémonie, est un secret infaillible
pour empêcher la terre de trembler.
VOLTAIRE. (Candide).
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La présomption la
plus manifeste que l'on possède maintenant que les Allemands
ne sont pas les uniques responsables du deuxième conflit
mondial et que Nuremberg est un monument d'hypocrisie et de fausseté
est celle-ci: quatre ans après la capitulation inconditionnelle
du III e Reich, la guerre continue, froide à Berlin, chaude
en Grèce, en Palestine, en Chine, en Indonésie et
ailleurs. D'aucuns y crurent distinguer la survivance de l'esprit,
malfaisant selon eux, d'Hitler. Selon la coutume, ils jugèrent
donc les lieutenants du Führer et les condamnèrent
à la pendaison. Mais, chose curieuse, la situation des
pays précités ne s'améliora pas pour autant...
Un autre événement vient confirmer notre propos
ci-dessus: la déclaration de Mao-Tse-Tung, annonçant
que le maréchal Tchang-Kaï-Chek est considéré
comme criminel de guerre. Ainsi, le protégé de Roosevelt
et de Churchill est un monstre de la même facture que Goering
ou Keitel. De quelle manière jus-
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tifiera-t-on, dès lors, le paradoxe suivant: un criminel
de guerre - Tchang-Kaï-Chek - juge un autre criminel de guerre:
le général nippon Tojo ?...
Les mémoires du général Anders sont également
significatifs. Parlant du charnier soviétique de Katyn,
l'ancien chef de l'armée polonaise libre écrit:
«Retrouver les assassins de Katyn et réclamer leur
châtiment est une obligation morale pour tous les Polonais...»
Et nous lisons plus loin ce témoignage sur l'U.R.S.S. qui
glacera d'effroi, nous osons l'espérer, tous les démocrates
qui, il y a peu de temps, baisèrent les pieds de Staline
pour sauver leur misérable peau: «Nous avons pu établir
approximativement, en nous basant sur les rapports faits par nos
coreligionnaires libérés des camps de travail obligatoire
que le chiffre global de la population détenue en prison
et dans les camps variait entre 17 et 20 millions d'hommes»
(on retrouve les mêmes chiffres dans «J'ai choisi
la liberté» de V. A. Kravchenko).
D'autre part, il est reconnu que des camps de concentration existent
aujourd'hui partout: non seulement en U.R.S.S. et dans les «démocraties
populaires», mais aussi en France, en Chine, dans les Indes
et en Grèce. Certes, on se garde au mieux d'en parler.
Néanmoins ils sont pires que ceux de l'Allemagne nationale-socialiste.
Ce n'est pas nous qui l'affirmons, mais M. Jacques Bardoux, de
l'Institut: «En Bulgarie, ceux de Kutzian et Rositza, Zagrad
et Bolov-Dol dépassent même en horreur les plus célèbres
établissements nazis de cet ordre, en traitements inhumains
et en bestialité» (cf. «L'Epoque» du
5-2-49). Et que penser de cette déclaration du
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«New-York Times» «L'Allemagne n'a plus le monopole
des atrocités. Aucune nation ne possède d'histoire
irréprochable».
Cela nous amène, inévitablement, à reconsidérer
le procès de Nuremberg, et cela non pas à travers
l'optique de la propagande israélite ou démocratique,
mais en se plaçant sur un terrain strictement juridique.
Or, dans cet ordre d'idées, l'ouvrage de G. A. Amaudruz
nous paraît particulièrement utile. L'auteur, en
effet, analyse le procès juridiquement - et historiquement
- par un examen scrupuleux et attentif de chaque chef d'accusation.
De telle sorte qu'aucune des preuves présentées
par lui, démontrant en l'occurrence que Nuremberg ne repose
sur aucun fondement valable, ne peut être catégoriquement
réfutée.
Le livre est intéressant aussi par un autre côté:
son étude en profondeur des conséquences internationales
du procès et sa critique remarquable, quoique brève,
de l'oeuvre philosophique d'Alfred Rosenberg, ne peuvent que retenir
notre attention.
Dire, donc, que ce livre est quasiment indispensable à
qui veut rechercher la vérité sur Nuremberg, serait
un pléonasme. En effet de nouveaux «Nuremberg»
sont chaque jour commis: de la condamnation de Nicolas Petkov
à celle du cardinal Mindszenty, la liste s'allonge interminablement.
Faut-il l'avouer ? La publication
de ce texte, terminé en décembre 1946, n'a pas été
sans mal. A plu-
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sieurs reprises, il fallut secouer une opinion intoxiquée
par le conformisme démocratique et le poison marxiste.
Bref, la liberté de penser fut pour nous l'interdiction
de penser. Toutefois, quelques généreux souscripteurs
permirent la réalisation de ce projet.
Ajoutons qu'un fragment de ce volume est paru précédemment
dans la revue suisse «Courrier du Continent».
Signalons encore que G. A. Amaudruz est l'auteur de plusieurs
articles sur les «Criminels de guerre», sur Nietzsche
et sur l'Autriche, ainsi que d'une étude politique, «La
force du symbole». Nous espérons l'éditer
prochainement.
P. HOFSTETTER.
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On a fait assez de cas, dans la presse, du premier procès
de Nuremberg. Condamnation d'un régime, voire d'un pays.
Désormais, le plaisantin doutant de la responsabilité
allemande dans le déclenchement de la guerre ou trouvant
que le national-socialisme avait ses bons côtés se
voit opposer le procès, comme un argument péremptoire,
comme une preuve irréfutable. C'est pourquoi je désire
essayer la solidité de cette épreuve, la force de
cet argument.
Mais l'entreprise se heurte à des obstacles. Il s'agit
en effet d'amasser d'abord de la documentation, et l'on s'aperçoit
que l'essentiel est fourni par la presse, sous forme de communiqués
d'agences ou de rapports de journalistes.
Je me garderai de médire des journalistes ni ne rappellerai
combien contradictoires sont parfois leurs narrations - par exemple
d'une même manifestation politique - pour peu que divergent
leurs tendances; je n'évoquerai pas davantage ces comptes
rendus judiciaires où le chroniqueur de droite, gardien
de l'ordre et de la tradition, nous brosse de l'accusé
un portrait des plus sombres, tandis que le
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socialiste nous le présente comme une malheureuse victime
de l'injustice capitaliste... Pourtant, constatons-le, chacun
ne pouvait pas aller à Nuremberg assister au procès;
le visa était délivré seulement à
quelques-uns et le soupçon subsiste selon lequel ces élus
devraient leur chance à leur vive sympathie pour les Alliés.
Sans pousser la hardiesse jusqu'à mettre en doute leur
conscience professionnelle, souvenons-nous néanmoins qu'en
matière de témoignage les sympathies ou les antipathies
déforment souvent les faits.
D'autre part, tout concorde pour donner à penser qu'une
muraille assez sérieuse séparait du monde les inculpés;
ceux-ci n'ont donc pas pu faire connaître à des neutres
leur opinion sur «Nuremberg»: il nous manque un des
«sons de cloche»... Cela étant, malgré
tout notre respect pour les journalistes, nous devrons rester
circonspects, très circonspects. Car il y va de la «faute
collective» du peuple allemand, de la responsabilité
des S.S., de la Gestapo, du chef d'Etat Doenitz, d'un maréchal
du Reich, d'un philosophe et de divers personnages importants.
Quant aux communiqués d'agences, je ne demanderais pas
mieux que de les accepter comme paroles d'Evangile. Malheureusement,
il y a eu la guerre, et durant la guerre des communiqués
quotidiennement contradictoires où l'erreur n'était
pas l'apanage d'un seul camp. Il faut le reconnaître, ces
informations sont ce que les gouvernements respectifs veulent
bien qu'elles soient. Je ne mets personne en cause !... Une petite
question toutefois: si l'Allemagne l'avait emporté et si,
dans un procès d'Oxford, de Philadelphie ou de Leningrad,
MM. Chur-
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chill, Truman et Staline, gens éminemment prisés
parmi nous, avaient à répondre de «crimes
de guerre», quelle serait, devant les communiqués
du D.N.B., l'attitude du citoyen suisse ? N'en doutons pas, fidèle
à son hostilité aux régimes «totalitaires»,
«antidémocratiques», il se montrerait d'un
scepticisme à toute épreuve. Les passages où
l'accusé Churchill se défendrait mal seraient tenus
pour des inventions du Dr Goebbels, les reportages radiophoniques,
pour de la mise en scène avec un comédien imitant
la voix de M. Churchill; les photographies ne prouveraient rien;
les documents accusateurs seraient des faux fabriqués par
des ateliers travaillant jour et nuit afin de fournir une base
à l'accusation; les témoins seraient achetés,
ou contraints par de terribles menaces à déposer
contre le premier anglais... Bref, le citoyen suisse demeurerait
prudent. Il n'accueillerait pas les yeux fermés les informations
d'agences «axistes».
Je ferais tort au lecteur en lui croyant deux poids et deux mesures.
Cela va sans dire: il gardera son sens critique, même si
la victoire appartient à l'autre camp.
A l'heure actuelle, les informations émanent de l'un des
groupes antagonistes. De ce fait, le débat se restreindra
à certains points.
Les indications les plus sûres sont celles qui rapportent
les thèses de l'accusation ou de la cour, car les Alliés
ont intérêt à diffuser tous les arguments
plaidant en leur faveur.
En deuxième lieu viennent les informations favorables aux
accusés ou au national-socialisme: peut-être doivent-elles
le jour à quelque imprudence des
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vainqueurs. Cependant, c'est là une présomption.
Possible serait aussi que les Alliés aient volontairement
truffé leurs communiqués d'indications favorables
à la cause adverse, à la seule fin de donner une
allure véridique aux passages défavorables - combien
plus nombreux ! Ce procédé témoignerait d'une
certaine finesse dans l'art de la propagande, chose normale de
la part de spécialistes ayant eu toute la guerre pour s'y
exercer... Précisément l'ignorance où l'on
est quant à cette alternative confère la deuxième
place à cette classe d'informations.
En ce qui concerne les renseignements défavorables aux
inculpés, la plus grande prudence est de rigueur. L'intérêt
des Alliés à noircir l'adversaire est trop évident
pour ne pas exiger de nous certaines précautions.
Le caractère sûr des exposés de la thèse
alliée permettra d'examiner, dans une première partie,
le fondement juridique du procès. Nous pourrons étudier
cette thèse à la lumière des dispositions
de droit international ou interne, et voir si elle est admissible.
Par contre, l'historien se penchant sur «Nuremberg»
ne ramassera pas grand'chose...
...L'histoire apporte des faits et des caractères; tout
compté, c'est à ces derniers que nous attachons
le plus d'importance; un fait qui ne nous apprendrait rien psychologiquement
parlant, ni par ses causes, ni par ses conséquences, ne
nous retiendrait guère. Dans la mesure où les faits
paraissent révé-
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ler des caractères, nous nous y arrêtons. Or la verve
poétique de l'historien joue ici le rôle principal.
En effet, un caractère historique ne se rencontre
jamais tout tracé; il est toujours reconstruit d'après
une «réalité», et celle-ci permet neuf
fois sur dix de très nombreuses interprétations
psychologiques... Au reste, plus les renseignements sur tel personnage
abondent, plus on peut dessiner de figures différentes.
Car les «faits», devant qui s'agenouille le positiviste,
permettent bien des combinaisons. D'abord, il serait puéril
d'imaginer les événements classés en deux
catégories: les historiques et les légendaires;
on trouve tout un dégradé: de la plus vague vraisemblance
à la quasi-certitude. Déjà dans l'appréciation
du degré de certitude, on jouit d'une certaine liberté;
on trie donc les matériaux un peu selon son bon plaisir.
Ensuite, second acte arbitraire, on choisit les éléments
«révélateurs». Et après cette
double préparation, on passe au portrait moral... Pourtant,
dira-t-on, le personnage n'ayant ou n'ayant eu qu'un caractère,
une seule description psychologique pourra être exacte.
- Assurément. Mais la machine à détecter
les caractères devant encore être inventée,
nous ne sommes pas à même de déceler le «vrai».
L'art falsificateur d'un camp victorieux consiste à accumuler,
voire à créer les faits permettant par la suite
de présenter le vaincu sous le jour le plus sinistre possible;
cet art consiste aussi à détruire le maximum de
faits favorables à ce vaincu.
Voilà une des raisons pour lesquelles la «vérité
historique», si elle n'a pas subi une critique impitoyable,
ne fait qu'exprimer la plus ou moins grande puissance d'un certain
groupe humain. Et parce que
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l'équilibre des forces change constamment, l'histoire est
récrite à chaque génération. La croyance,
chaque fois, à une interprétation valable et définitive
est aussi illusoire qu'humainement compréhensible.
...L'histoire, à Nuremberg, aussi bien celle de l'Europe
que celle du procès lui-même, est écrite par
les vainqueurs. Elle exprime leur puissance actuelle, elle glorifie
leurs tendances. Que veulent donc les Alliés par ce procès
? Ici, les intentions sont si claires qu'il suffit de les dire.
Les Alliés veulent en premier lieu, comme la plupart des
vainqueurs, discréditer l'adversaire, ils veulent un
alibi moral pour les «conditions de paix». Ils
veulent encore condamner un régime susceptible de
renaître toujours et partout, et ils espèrent qu'une
telle incantation magique aura de l'effet. Ils veulent en outre
punir les dirigeants nationaux-socialistes et pour cela
il faut bien quelque cérémonie solennelle où
l'on proclamera la «culpabilité» de ceux-ci;
ils veulent punir, non seulement par vengeance, mais aussi
pour «faire réfléchir» ceux qui seraient
tentés d'imiter ces dirigeants. Ils veulent enfin - et
ils le disent assez - «rééduquer» le
peuple allemand... Toutes ces tendances doivent, bien entendu,
nous mettre en garde contre d'éventuelles déformations...
Or, nous l'avons vu, il serait vain, à l'heure actuelle,
de chercher ce qu'il y a de vrai à Nuremberg. Le seul intérêt
historique du procès, pour l'instant, c'est de savoir si,
malgré l'incertitude planant sur presque tous les faits,
on entrevoit néanmoins le caractère des accusés.
Dans ce but, une mise en doute de chaque fait isolé, un
travail dans l'hypothétique s'impose.
Ce sera la seconde partie du présent ouvrage.
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Le procès se drape dans un certain bien-fondé juridique,
avec timidité d'abord, puis, voyant que personne ne proteste,
de plus en plus hardiment. J'ai l'intention d'examiner ici cette
attitude. La question n'est pas indifférente, en effet.
S'il se confirme que le procès possède une inébranlable
base juridique, les Alliés peuvent prétendre avoir
agi sans arbitraire, sans haine, sans désir de vengeance,
avoir fait une impartiale, une sereine application de la «justice».
Le prestige du procès s'en trouverait rehaussé...
Dans un premier chapitre, nous chercherons si la cour de Nuremberg
a qualité pour juger; dans un deuxième, si les faits
reprochés constituent juridiquement des crimes; dans un
troisième, si les peines se justifient; et dans un quatrième
enfin, sous le titre de «choses curieuses», si le
déroulement du procès a toujours été
normal.
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Je suis navré de rappeler ici
la définition classique du droit des gens: cet ensemble
de principes et de règles de droit gouvernant les relations
des Etats dans l'exercice de leur souveraineté. Mais cette
seule définition apporte deux arguments contre «Nuremberg»,
- si «Nuremberg» prétend à un fondement
de cet ordre.
Il en résulte d'abord que seuls les Etats ont la personnalité
juridique internationale (1). Eux seuls sont engagés par
les traités ou la coutume, eux seuls peuvent les violer,
et il serait normal qu'eux seuls eussent à subir les sanctions
éventuelles. Certes, ces
(1) On a également
accordé la personnalité juridique à des organisations
telles que la S.D.N. et les diverses commissions fluviales...
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sanctions furent souvent inexistantes - on n'a jamais puni un
Etat victorieux !... (1) Beaucoup ont soutenu - et il rentrait
de l'hypocrisie dans de semblables jugements - que le vaincu se
trouvait puni par les «conditions de paix». En réalité,
le droit international a toujours souffert de cette tare évidente:
l'absence de peines ou l'arbitraire de celles-ci. Ce droit n'a
valu qu'en temps de paix, vu les raisons commerciales en faveur
de bons rapports avec le voisin; mais en temps de guerre, il a
été régulièrement oublié sitôt
gênant, car chaque puissance sait que le droit de demain
sera celui du plus fort... Or, à Potsdam et à Nuremberg,
non seulement la tare a «disparu» comme par miracle:
l'Allemagne, grande coupable, expiera ses fautes; la punition
se dessine: réparations, déportations, famines,
pertes d'immenses territoires; non seulement cela, mais, pour
la première fois, on paraît appliquer le droit des
gens à des individus; des peines leur ont été
infligées; on leur reproche à titre personnel, privé,
d'avoir enfreint certaines conventions, par exemple, le pacte
Briand-Kellog... Pour fonder «Nuremberg» en droit
international, les alliés devront donc renverser toute
la conception classique de ce droit.
Le deuxième argument est fourni par le caractère
bilatéral (multilatéral) du droit des gens. Ce dernier,
contrairement aux systèmes juridiques nationaux, n'émane
pas d'une autorité législative, mais de traités
ou de coutumes. Un Etat n'est soumis à une norme que s'il
l'a acceptée préalablement, au
(1) La rupture de la
paix d'Amiens par l'Angleterre demeura impunie... Et cette paix
n'avait rien d'un Diktat.
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moins de façon tacite. Ainsi, tout revient à savoir
si les traités signés par l'Allemagne ou les coutumes
suivies par elle suffisent à donner à la Cour de
Nuremberg la qualité de juger. Inadmissibles, toutes les
règles auxquelles l'Allemagne n'a pas adhéré:
depuis les Conférences panaméricaines à la
Charte du Tribunal. Que le tribunal se considère lié
par cette charte n'y change rien. De telles dispositions unilatérales,
émanant de je ne sais quel pouvoir législatif, représentent
un essai camouflé de créer un Etat mondial (1).
Elles relèvent du «droit interne» de cet Etat
nouveau. A ce sujet, ceci simplement: ce droit mondial aura la
base de tout droit national, il vaudra tant qu'il sera soutenu
par la force. Dès l'instant où des insurgés
s'empareraient du pouvoir et en décideraient autrement,
un droit nouveau remplacerait l'ancien qui ne saurait se prévaloir
d'aucune légitimité... Pour ces raisons, à
défaut d'une solide assise en droit des gens, le prestige
du procès sombrera le jour où les Alliés
perdront l'hégémonie.
Nous pourrions, au fond, cesser ici déjà notre examen.
Cependant, pour ne pas encourir le reproche d'avoir jugé
trop vite, nous étudierons encore les différentes
thèses en faveur de «Nuremberg».
Il sera intéressant de voir comment les juristes alliés
répondront à cette double objection. Leurs
(1) Le camouflage consiste
en ceci qu'on essaie de faire passer pour du droit international
ce droit supranational qui signifie la mise sous tutelle
des nations trop faibles pour dominer le monde.
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thèses se limitent à des points de détail,
comme s'il était superflu de discuter des principes aussi
indiscutables !
Et ainsi, il n'a jamais été précisé,
au cours du procès, si les inculpés avaient à
répondre en tant que simples particuliers, ou en tant qu'organes
du Reich, ou encore à l'un et l'autre titre. Car les deux
arguments de tout à l'heure eussent amené les difficultés
suivantes.
Si l'on considère les inculpés comme des organes
du Reich, on dégage, pour les griefs en question, leur
responsabilité privée: ils ont fonctionné
en tant que rouages d'un mécanisme les dépassant.
Dès lors, à supposer par ailleurs une base juridique
suffisante, le tribunal pourrait relever des fautes commises par
les dirigeants, mais les sanctions ne concerneraient que l'Etat;
ces dirigeants ne seraient jugeables que dans la mesure où
ils ont été l'Etat; et seul l'Etat, soit
dans ses biens, soit dans ses ressources pourrait bien être
frappé. La sanction maximum concevable était la
suppression du Reich - qui a eu lieu ! et même avant l'ouverture
du procès ! Dans la présente perspective, «Nuremberg»
paraît inutile, puisqu'un mort n'est guère punissable.
A moins qu'on ne désire justifier après coup la
suppression du Reich !... Ce serait alors une admirable méthode
que de tuer un homme et d'instruire ensuite son procès
- o ù l'on prouverait qu'aucune erreur n'a été
faite dans le choix de la peine ! Mais - et il convient de souligner
ceci - cette première hypothèse ne laisse aucune
place à une punition personnelle des dirigeants.
En revanche, si l'on considère les inculpés comme
-25-
ayant agi en simples particuliers, on se met dans une toute autre
situation. Le simple particulier n'est soumis à aucune
disposition de droit international public. Il est toujours jugé
selon le droit interne d'un Etat. Un citoyen suisse, par exemple,
comparaîtra le plus souvent devant un tribunal suisse. Et
de toutes façons, si nos autorités l'appréhendent
pour un délit commis sur territoire helvétique.
Néanmoins, notre individu pourra se voir jugé par
des magistrats étrangers, surtout dans les deux cas ci-après:
s'il a commis un délit en Angleterre et qu'il soit arrêté
sur territoire britannique, ou encore si, une fois le crime perpétré,
il est rentré en Suisse, mais que la Grande-Bretagne demande
et obtienne son extradition (1).
Les Alliés peuvent essayer d'assimiler le procès
à l'un ou l'autre de ces deux derniers cas.
S'ils admettent que les accusés ont été pris
sur territoire du Reich, ils auraient dû subordonner leur
action à une demande d'extradition adressée à
un gouvernement allemand. Ce procédé n'a pas été
appliqué. Il eût rencontré certains obstacles
du fait des dispositions internationales en matière d'extradition
(2).
Resterait donc une seconde théorie selon laquelle les inculpés
n'auraient pas été pris sur territoire du Reich.
Elle implique que le pays, du fait de l'invasion, cesse d'être
terre allemande pour devenir terre alliée. Plus besoin
d'extrader. Fort bien, mais chacun aperçoit l'inconvénient
majeur. Toutes les infractions reprochées ont été
commises sur terri-
(1) En principe, la
Suisse n'extrade pas ses nationaux.
(2) Voir «L'extradition » , de M. le professeur A.
Mercier.
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toire allemand. Cela en vertu des prémisses mêmes
de la théorie: si le fait d'envahir un pays augmente le
territoire de l'envahisseur, les Allemands, où que se trouvassent
leurs armées, ne pouvaient perpétrer de crimes que
sur leur propre terre... Nous avons là un cas douloureux
de conflit de lois (1). De quelque façon qu'on retourne
le procès de Nuremberg, on ne parvient pas au «cas
favorable» du Suisse appréhendé en Angleterre
pour un délit commis sur sol britannique.
Enfin, si l'on considère les inculpés comme ayant
à répondre à la fois en tant qu'organes du
Reich et que simples particuliers, on se heurtera aux arguments
des deux premières perspectives, combinés dans la
mesure exacte où les griefs concerneront l'une ou l'autre
de ces perspectives.
Ces perturbations découlent de la nouveauté du phénomène.
Assurément, il n'est pas neuf de condamner pour motifs
politiques; non seulement des subalternes, mais des haut-placés,
des généraux, des chefs d'Etat (2) ont dû
comparaître. Cependant, cela se déroulait sur le
plan intérieur: dans la règle, les tribunaux étaient
du pays de résidence de l'accusé (à part
les cas d'extradition par la voie normale). L'aspect révolutionnaire
des méthodes «alliées »
(1) Voici la solution
du droit suisse (code pénal, art. 5): «Le
présent code est applicable à quiconque aura commis
à l'étranger un crime ou un délit contre
la Suisse, pourvu que l'acte soit réprimé aussi
dans l'Etat où il a été commis,
si l'auteur se trouve en Suisse et n'est pas extradé à
l'étranger, ou s'il est extradé à la Confédération
à raison de cette infraction. La loi étrangère
sera toutefois applicable si elle est plus favorable à
l'inculpé. »
(2) Chacun se souviendra des cas de Louis XVI, de Charles 1 er
, de Marie Stuart.
-27-
consiste en ce qu'on a poursuivi sur le plan international, sans
égard pour la souveraineté de l'Etat vaincu, un
certain nombre de dirigeants. Certes, au cours des siècles,
mainte armée a sévi contre des troupes adverses,
y compris les chefs, - les a même massacrées; pourtant
aucun appareil judiciaire n'accompagnait l'opération, effectuée
en vertu du droit du plus fort (1). Or on a résolu, aujourd'hui,
d'y mettre les formes ! Et, celles-ci n'existant pas, il a fallu
les inventer...
Cette innovation n'apporte-t-elle à ses protagonistes que
des avantages ? Je me permets d'en douter. Admettons un instant
que l'Allemagne l'ait emporté à la suite d'un revirement
de la dernière heure. Les criminels pouvaient être
MM. Churchill et Staline. La menace est claire: l'avenir, sous
forme d'une prochaine guerre, est une épée de Damoclès
sur la tête des juges et chefs d'Etats aujourd'hui victorieux,
car qui peut se montrer certain d'un triomphe perpétuel
?...
Outre que les châtiments serviraient de précédents,
ils porteraient un coup irréparable à la souveraineté
des nations. Le chef, incarnation de son
(1) Les tueries de ce
genre abondent; le massacre de la garnison de Grandson par les
hommes de Charles le Téméraire, le sac de Magdebourg
par Tilly en sont de célèbres exemples.
-28-
pays, est-il traîné en tribunal comme un vulgaire
assassin, c'est l'Etat lui-même assimilé à
un malfaiteur. C'est légaliser la dictature des blocs politiques
géants, les «juges» de ce monde.
Et ne claironnait-on pas que les «Alliés» secouraient
les petits Etats ?... La Pologne... Il serait cruel d'insister.
Mais les Etats Baltes pourtant; Messieurs, les Etats Baltes...
-29-
Tribunal militaire international - tel est le titre de la Cour
de Nuremberg. Mais ce titre est déjà équivoque.
Devant le mot «international», l'homme de la rue a
l'impression confuse que la compétence du nouvel organe
s'étend à tous les pays, un peu comme celle du Tribunal
Fédéral à la Suisse entière. Il n'en
est rien. «International» signifie simplement que
le tribunal représente plusieurs nations: celle qui ont
gagné la guerre. L'habileté consiste à introduire,
à la faveur de l'équivoque, dans l'esprit du lecteur
non averti, l'idée d'une compétence illimitée...
Si nous considérons uniquement le mode de formation de
la Cour, nous ne pouvons pas, à moins de renverser les
notions essentielles du droit des gens, lui conférer cette
compétence illimitée. Un tribunal constitué
par X Etats ne saurait juger que ces X Etats. Il suffit d'ailleurs
de se rappeler la Cour Permanente de Justice Internationale pour
reconnaître ce principe. Il faut donc des arguments sérieux,
si l'on désire y déroger. Nous apprécierons
tout à l'heure ce sérieux... Le terme «militaire»,
lui, suggère l'image de tribunaux qui peuvent non seulement
appliquer des peines plus rigoureuses, mais encore prendre des
mesures exceptionnelles. Cette représentation imprécise
semble autoriser des sanctions, même si leur fondement juridique
est branlant; elle pousse à ne pas regarder de trop près
la question de la compétence... - Encore une fois, il n'en
est rien. Les pouvoirs exceptionnels des tribu-
-30-
naux militaires, par exemple dans l'état de siège
n'ont jamais eu l'ampleur de ceux que s'attribue la Cour de Nuremberg:
on se contentait de seconder juridiquement l'armée. A présent,
la guerre est finie, et la Cour prétend condamner des Allemands,
pris en Allemagne, condamner un régime qui n'est pas celui
des Alliés, un peuple qui n'a pas reconnu l'autorité
de cette Cour. De plus, c'est élargir étrangement
la sphère d'un de ces tribunaux que lui faire juger des
«crimes contre l'humanité» ou «contre
la paix», que mettre en accusation des dirigeants ennemis...
Le qualificatif «militaire» indiquerait-il qu'on veut
prononcer sur des actes liés à la conduite des hostilités:
sur la question des otages, des représailles ?... A cet
égard, les griefs, comme je viens de le dire, dépassent
singulièrement ce domaine. L'antisémitisme, l'incendie
du Reichstag et tous les faits antérieurs à 1939
ne concernent pas la conduite de la guerre... D'où l'on
peut conclure que l'épithète de «militaire»
n'a aucun sens.
La défense, à en croire les journaux, a fait valoir
l'absence de base juridique. Les conclusions présentées
soulèvent bien des questions embarrassantes, notamment
quant à la rétroactivité.
A ce propos, il serait erroné de mettre à la charge
des vainqueurs une entorse au principe de la non-rétroactivité.
Cet argument serait faible et à double tranchant. Il faut
au contraire relever ceci.
En droit international public, la non-rétroactivité
n'est pas un principe. Pour en être un, elle ne devrait
-31-
pas pouvoir se déduire d'autres éléments
juridiques. Ici, elle est un fait découlant de la bilatéralité
du droit des gens: comme celui-ci repose en effet sur des engagements
réciproques, une rétroactivité est inconcevable,
car on ne saurait s'engager pour le passé; on convient
toujours de faire ou de ne pas faire quelque chose à
l'avenir. Et cette non-rétroactivité subsiste
même si les Etats, en droit interne, rejettent le principe
de non-rétroactivité. Il y a deux ordres de choses
totalement différents et l'on ne peut défendre le
procès de Nuremberg en déclarant que le droit allemand
connaissait des dérogations au dit principe. Un droit interne
rétroactif est parfaitement concevable, alors que cela
est exclu en droit des gens comme contraire à la base contractuelle,
et l'on est fondé à dire a priori qu'une procédure
juridique rétroactive ne saurait avoir une assise en droit
international public.
En droit interne, au contraire, la non-rétroactivité
n'est pas une nécessité structurelle. Elle ne se
déduit pas du caractère unilatéral des législations,
ni d'aucune autre considération juridique: elle est un
principe. L'examen critique d'un tel principe n'appartient plus
au juriste, mais au moraliste et au philosophe. Et si le philosophe
ou le moraliste concluent que dans certains cas (par exemple,
dans le cas où des mesures sévères sont indispensables
à la sécurité commune) le principe doit souffrir
des exceptions, eh bien l'on obtiendra un système, différant
quelque peu de ce qui se rencontre généralement,
mais aussi cohérent que les autres. Tout à fait
comme en géométrie Riemann et Lobatschewski ont
construit des systèmes corrects sur la négation
du postu-
-32-
lat d'Euclide. Ainsi, le droit allemand a été parfois
rétroactif. Il s'agit surtout des trois lois suivantes:
1) la «lex van der Lubbe» du 4.4.33; 2) l'ordonnance
contre le vol à main armée du 5.12.39; 3) la loi
contre le vol de grands-chemins au moyen de pièges à
automobiles du 22.6.38. Ces dispositions-là apportèrent
toutes la peine de mort avec effet rétroactif pour des
délits punis jusqu'alors de réclusion... La matière
même de ces lois montre qu'il a pu s'agir de cas où
la sécurité du pays exigeait une répression
exemplaire... Mais, après ce qui a été dit,
il est faux de justifier la rétroactivité du «procès»
par celle de certaines lois allemandes. Ou bien on veut une base
en droit des gens, et alors la rétroactivité est
une impossibilité de structure; on bien l'on a créé
le droit interne d'un Etat mondial, et alors ce droit n'a pas
besoin d'un précédent en Allemagne pour justifier
sa rétroactivité. Dans ce dernier cas, je le répète,
ce droit mondial ne vaut que pour autant qu'il a derrière
lui la force voulue. Mais je me permets de dire ceci. Je protesterai
toujours et avec la dernière énergie contre une
législation semblable: créée par des vainqueurs
extra-européens, dans le but de briser tout adversaire.
Que la défense, à Nuremberg, ait bonnement ignoré
une argumentation aussi simple, qu'elle ait condamné le
procès au nom du principe de non-rétroactivité,
que cette défense, selon la presse, ait déclaré:
«la procédure s'appuie sur un nouveau code pénal,
un code qui a été fait après le délit;
cela est en contradiction avec les principes juridiques vénérés
dans le monde entier; ces principes ont été violés
en partie par l'Allemagne hitlérienne; cette infrac-
-33-
tion est désapprouvée catégoriquement
à l'intérieur et à l'extérieur de
l'Allemagne»; que la défense, dis-je, ait eu
le front ou l'inconscience de tenir ce langage, cela donne vraiment
à réfléchir...
Une autre objection des défenseurs est néanmoins
beaucoup plus forte:
Les juges appartiennent à l'un des camps belligérants.
«Ce camp est à lui seul: créateur du code
pénal, accusateur et juge», circonstance qui inspire
des doutes au sujet de l'impartialité (1). Si l'on avait
voulu être impartial, on aurait confié le jugement
à une instance neutre (mais on aurait eu bien de la peine
à la faire vraiment «neutre » ). Toutefois,
même une telle instance ne jouirait pas d'une légitimité
suffisante en droit des gens. Il faudrait pour cela qu'avant 1939,
tous les pays en question, y compris l'Allemagne, eussent reconnu
cette instance, ce qui n'a pas été le cas... - Nul
ne s'étonnera que la Cour ait repoussé les conclusions
de la défense, refusé de les discuter ! Ainsi l'on
allait passer sans autre forme de procès - au procès
lui-m ê me, laissant à l'avenir le soin de trouver
le fondement juridique.
(1) «Du point
de vue juridique, comme aussi d'ailleurs du point de vue moral,
le procès de Nuremberg se trouve, en effet, entaché
des tares les plus évidentes. Dans ce procès, qui
est politique au premier chef, l'une des parties se fait juge
de l'autre et lui demande compte de crimes qu'elle ne fut peut-
ê tre pas seule à commettre et qui, jusqu'à
présent, avaient échappé à toute action
judiciaire. » René GERARD (Voix des Peuples,
20-2-46).
-34-
Mais où l'on sera surpris, c'est en voyant un accusateur
anglais, puis français, s'étendre longuement sur
la question, soutenant l'entière compétence du tribunal.
N'avait-on pas écarté vertement ce thème
indésirable ? Donc: interdiction aux accusés de
mettre en cause cette compétence, mais permission aux accusateurs
d'exposer librement l'opinion contraire...
-35-
Le procureur général Schawcross soutint avant tout
que les faits reprochés constituent des crimes. Nous verrons
donc sa thèse au chapitre suivant.
En revanche le chef de la délégation française,
M. François de Menthon, s'attache plus spécialement
à la question de la compétence.
L'institution du tribunal serait «solidement fondée»
sur les «principes» et sur l'«usage» du
droit international. Les Etats belligérants auraient toujours
eu le droit de punir les criminels de guerre tombant en leur pouvoir.
Ce serait une «règle immuable qu'aucun auteur n'a
jamais contestée», mais non une doctrine nouvelle...
Comme de nombreux pays auraient été lésés
par le Reich, ce ne serait pas à un seul d'entre eux qu'il
appartiendrait de juger les fauteurs, mais à l'ensemble
représenté par le tribunal militaire.
Si nous essayons de concrétiser cette thèse, nous
apercevons que le fondement «dans les principes et dans
l'usage» se ramène au fait suivant. Il est exact
que les tribunaux militaires condamnent les civils étrangers
coupables d'attentats contre des armées d'occupation, mais
voilà le seul domaine soumis jusqu'à présent
à cette «règle immuable qu'aucun auteur n'a
jamais contestée». Il faut étendre démesurément
les concepts pour assimiler les accusés de Nuremberg à
de pareils fauteurs. Mais autre chose. Cette justice militaire
contre les partisans, les saboteurs, représente une des
formes de
-36-
justice les plus primitives. Elle se confond presque avec le «droit
du plus fort». A tel point que les Français (sauf
M. de Menthon, sans doute) considèrent leurs francs-tireurs
comme des héros et non comme des criminels. La Cour, pour
peu qu'elle se réclame d'un semblable argument, représente
donc une forme inférieure de droit, se distinguant à
peine de celui «du plus fort». La chose est
évidente: si l'Allemagne avait gagné la guerre,
elle pourrait tout aussi valablement juger et condamner
les dirigeants ennemis lui tombant sous la main.
Ceci étonnera longtemps le monde: que la Cour, dans les
considérants du jugement, ait escamoté la question
de sa propre compétence. C'était le moment ou jamais
de la démontrer - à la supposer démontrable
!
En regardant bien, on discerne un seul argument, qui se morfond
dans sa solitude... Mais ce seul argument, vu son officialité,
étudions-le avec soin. Le voici.
La compétence du tribunal reposerait sur la Charte de celui-ci,
et «l'établissement de la Charte a été
assuré par les pays auxquels le Reich allemand s'est rendu
inconditionnellement et qui ont exercé légalement
le pouvoir législatif souverain».
Ainsi, selon la Cour, Doenitz, en donnant l'ordre de cesser le
combat, ou Jodl, en signant l'acte de reddition, aurait transmis
le pouvoir législatif allemand aux vainqueurs. C'est là
une interprétation
-37-
pour le moins extensive de la défaite, et c'est aussi de
quoi faire frémir tous les peuples, car qui connaît
les vaincus de demain ?
La Cour semble considérer la capitulation sans conditions,
non comme la dernière mesure militaire de l'armée
allemande, mais comme un engagement contractuel pris par le gouvernement
du Reich, engagement qui fournirait la base juridique internationale
du procès. A cette théorie s'oppose déjà
le fait qu'un contrat est toujours interprété de
façon restrictive. Les parties ne sont tenues qu'à
ce qui est expressément stipulé. Or, par la reddition
sans condition, le Reich s'est engagé à ne plus
faire usage de ses armes. La seule conséquence que les
Alliés en pouvaient tirer, c'était de considérer
toute résistance ultérieure comme des actions de
francs-tireurs. C'est tout. Mais il n'a pas été
question, que je sache, d'une délégation de pouvoirs
de Doenitz aux Alliés. Une pareille interprétation
s'oppose à l'esprit même de l'engagement contractuel,
seul fondement du droit des gens. En outre et surtout, même
si le Grand-Amiral avait signé ou fait signer une délégation
du législatif aux Etats vainqueurs, cette convention serait
nulle, parce qu'obtenue par contrainte. Nulle au même titre
que les traités spoliateurs imposés à un
vaincu. Toute autre conception confond deux ordres juridiques
totalement différents: le national, unilatéral,
qui repose sur la force, et l'international, bilatéral,
qui repose sur l'honneur.
C'est tout - et ce n'est pas beaucoup - en fait de thèses
officielles. Pour de plus amples arguments, il
-38-
faut s'adresser aux auteurs qui ont traité la question:
là, il n'en manque pas, mais ils peuvent d'un instant à
l'autre se voir désavoués par des personnages considérables...
Voyons, à titre d'exemple, l'exposé de M. le Professeur
V. Pella, dans le numéro de juillet-septembre 1945 de la
Revue de Droit International. Personne n'accusera cette revue
de n'être pas favorable aux Alliés. On peut donc
en attendre une justification à outrance du procès.
M. Pella est un partisan de la responsabilité pénale
des Etats, laquelle, bien entendu, ne se conçoit pas sans
un abandon au moins partiel de la souveraineté, c'est-à-dire,
sans la création, en fait, d'un Etat mondial - dont l'auteur
ne parle pas dans l'article en question, évitant ainsi
d'inquiéter le lecteur soucieux de l'indépendance
de son pays.
Ce point de départ admis - j'ai déjà dit
pourquoi je le rejette dans les circonstances actuelles - la dialectique
de M. Pella est tout à fait pertinente et la justification
du procès ne se heurte à aucune difficulté.
Un droit supranational suffit à fonder le Tribunal
et sa Charte. Nul besoin d'une assise en droit international.
Dans la mesure où M. Pella cherche un fondement superflu
et introuvable en droit des gens, sa thèse devient criti[qu]able...
L'auteur invoque les articles 227 et suivants du traité
de Versailles pour insinuer que l'Allemagne aurait reconnu pour
des crimes les principaux faits reprochés aux accusés
de Nuremberg ! Pourtant les contrats obtenus à la menace
d'un couteau ou d'un revolver sont sans valeur, et jusqu'ici les
Etats ne se considéraient guère comme
-39-
liés par des Diktats: la France ne renonça
jamais à l'Alsace-Lorraine, cédée à
l'Allemagne au lendemain d'une défaite. Pourquoi «Versailles»
vaudrait-il davantage que «Frankfort» ?
J'aperçois une autre thèse, ressemblant un peu à
celle de M. Pella, mais dont personne n'a fait usage, - vu son
cynisme probant. Elle est fort simple.
En supprimant l'Allemagne en tant qu'Etat, les Alliés s'engageaient
sur le meilleur des chemins. L'Allemagne n'est plus qu'une notion
géographique et ethnique. Or, au point de vue international,
les individus n'existent pas, et les Allemands se trouvent aujourd'hui
hors de toute espèce de loi; le droit des gens les ignore
au même titre que la plupart des nègres; ils sont
devenus des «choses». Dès lors, les
difficultés sont levées le plus facilement du monde:
en supprimant toute légalité. Aucune loi ne condamne
ni n'autorise les mesures répressives contre les Allemands
- et Nuremberg en serait une. C'est tout à fait comme si
nous nous mettions à molester des Martiens... Dans ces
conditions, le Tribunal échappe à tous reproches.
D'ailleurs, M. Pella n'est pas loin de cette idée lorsqu'il
déclare:
«A notre avis, étant donné que nous nous
trouvons en présence d'une action répressive entreprise
comme suite à la victoire des Nations Unies, celles-ci
ont la pleine et entière liberté d'organiser comme
bon leur semble les juridictions appelées à juger
les criminels de guerre.»
Mais, bien entendu, la Cour ne saurait prétendre
-40-
raisonnablement à un bien-fondé positif. Pas plus
que si j'intentais un procès aux vagues de la mer et si,
suivant un célèbre exemple, je les faisais battre
de verges. Une prétention de la Cour à incarner
un quelconque droit des gens serait en tout cas une erreur, et
vraisemblablement une hypocrisie.
Et c'est là peut-être le léger inconvénient
de cette solution radicale, car les Alliés entendent condamner
selon le «Droit», la «Justice»,
à défaut de quoi ils subiraient une notable perte
de prestige. La force triomphante cherche toujours et partout
à revêtir un caractère sacro-saint. Les vainqueurs
de 1945 ne font pas exception à cette règle. C'est
pourquoi ils dépenseront encore des trésors de fantaisie
pour légitimer la Cour de Nuremberg... Attendons leurs
nouveaux arguments - que nous voulons espérer plus sérieux
que les premiers.
-41-
«Complot nazi»... Par
ces mots péjoratifs, les Alliés accusent les dirigeants
nationaux-socialistes d'avoir élaboré, dès
la constitution du parti, un plan commun visant à des crimes
contre la paix, à des crimes de guerre et à des
crimes de lèse-humanité. Ainsi, les «violations»
du traité de Versailles, la diffusion de la doctrine raciste,
l'abolition de la démocratie allemande, le réarmement
constitueraient des infractions. On le voit, cette étiquette
nouvelle se laisse coller sur les actes les plus divers, extrêmement
pratique en ceci qu'elle
-43-
range parmi les crimes des actes n'offrant normalement par
eux-mêmes rien de répréhensible.
Exemples: la propagande, la révolution de 1933 (qui normalement
ne regardait en rien les puissances étrangères),
le réarmement (jugé licite de la part de tous les
pays aujourd'hui vainqueurs). Tout cela se mue soudain en d'abominables
crimes du seul fait de l'intention qu'on y a mise !!! On admirera
ici l'une des innovations les plus géniales des Nations
Unies, délivrant enfin le monde de ce principe pénal
désuet selon lequel les intentions ne sont pas punissables...
On accuse la «hiérarchie nazie» d'avoir cherché,
pendant vingt-cinq ans, à «dominer le monde»
! Outre que le chiffre de vingt-cinq ans est une exagération
manifeste, demandons-nous si les puissances accusatrices n'essaient
pas à leur tour de «dominer le monde»... L'Amérique...
la Russie... - Les pays les plus forts essaient toujours de «dominer
le monde». C'est une nécessité qui n'a rien
à voir avec la volonté personnelle des dirigeants.
Alors, pourquoi faire un grief d'avoir obéi à une
constante politique à laquelle on obéit soi-même
?...
Mais il est fort douteux que le national-socialisme ait réellement
voulu «dominer le monde»; à aucun moment, il
n'a eu ou cru avoir la puissance nécessaire, disons, à
une conquête des Etats-Unis...
Violations du traité de Versailles... Ici, deux mots suffiront,
étant donné ce que j'ai déjà écrit.
L'opi-
-44-
nion allemande soutenant que «Versailles» fut un diktat
- établi du reste en contradiction formelle avec la réponse
du 5 novembre 1918 du secrétaire d'Etat américain
Lansing - est rigoureusement exacte. La lecture de ce «traité»
démontre déjà son caractère nul: jamais
un gouvernement libre ne l'eût signé. Mais toute
l'histoire de l'après-guerre vient corroborer cette thèse,
jusqu'à ce blocus économique dont le but principal
fut d'extorquer la signature allemande.
Le traité de Versailles n'a jamais été un
véritable traité.
Dans cet esprit, des personnalités telles que Lloyd George,
Smuts, Lord Buckmaster ont condamné «Versailles»...
Cela étant, le caractère «criminel»
de la lutte «nazie» contre le Diktat ne peut être
retenu.
Comme la question du racisme soulève celle, plus générale,
du délit d'opinion, j'y reviendrai à la fin du présent
chapitre.
Quant à l'abolition de la démocratie allemande,
y compris l'affaire du Reichstag, en quoi la question concerne-t-elle
les Alliés ? Au nom de qui, on se le demande, accusent-ils
? Jusqu'ici le droit des gens ne justifiait pas l'ingérence
dans les affaires intérieures d'un Etat...
Voyons le délit de réarmement.
-45-
La thèse allemande a été présentée
par Hitler dans son discours du 2 mai 1945. Chacun peut l'y trouver;
je n'y reviendrai donc pas.
Une simple remarque. Après la première guerre mondiale,
le glaive germanique fut brisé, tandis que les autres puissances
conservaient le leur. Un redressement du Reich devait amener
le dilemme suivant: ou bien les vainqueurs de 1918 désarmaient
à l'instar de l'Allemagne, ou bien l'Allemagne réarmait
à l'instar des vainqueurs. Le monde a choisi le seconde
voie.
On sait où elle a mené.
Bref, il est étrange que seul le réarmement germanique
soit criminel... Tandis que le Reich, réduit à l'impuissance,
subissait la loi du plus fort, les autres ne cessaient de maintenir
ou de perfectionner leurs moyens de guerre. Jusqu'au jour
où le Reich - ce pelé, ce galeux... - se mit à
en faire autant...
Subsidiairement, on a invoqué les projets d'état-major,
projets d'opérations militaires contre les divers voisins
de l'Allemagne et où apparaissait toute la noirceur du
complot «nazi».
Ce grief s'adresse à un public ignorant du travail des
états-majors. Le premier devoir de ceux-ci est de se préparer
à toutes les guerres possibles et imaginables et, par suite,
d'élaborer des plans défensifs et offensifs dirigés
contre les adversaires éventuels. Ce procédé
se retrouve partout.
A ce propos, je rappelle le sixième livre blanc allemand
qui reproduit les documents de «La Charité-sur-Loire»...
-46-
On reproche ici aux accusés la préparation et l'exécution
de guerres agressives, et l'on range au nombre de celles-ci l'Anschluss
et l'affaire tchécoslovaque. On soutient en outre que ces
guerres furent entreprises en violation de divers accords internationaux.
La première question, naturellement, est de savoir si,
en droit des gens, la guerre est un crime. A cet effet, examinons
les arguments du procureur général Schawcross, accusateur
britannique.
Le procureur général s'efforce de montrer qu'en
1939 les dispositions juridiques requises existaient déjà
et que, par conséquent, la Cour ne s'appuie pas sur une
«législation post factum». Les deux
Conventions de La Haye contenaient déjà des dispositions
prévoyant que leurs signataires devaient se soumettre à
la procédure d'arbitrage». La sixième Conférence
panaméricaine considère la guerre comme un crime
contre l'humanité. La S.D.N., en 1927, a également
qualifié les guerres de crimes. La guerre, donc, était
considérée comme un crime avant 1939. Schawcross
en conclut que toute l'humanité, depuis plus d'un demi-siècle,
cherche à éliminer les guerres, ce qui prouve le
caractère répréhensible de celles-ci.
Je ne veux pas faire tort au procureur général,
trahi peut-être par les journalistes, mais son argumentation
ne me paraît pas aussi irrésistible qu'elle devrait
l'être. Les deux Conférences de La Haye ne
-47-
prévoient pas l'arbitrage obligatoire. Celle de 1907 stipule:
«...En conséquence, il serait désirable que,
dans les litiges sus-mentionnés, les puissances contractantes
eussent, le cas échéant, recours à l'arbitrage.
Autant que les circonstances le permettraient.» Est-ce là
le ton impératif qui conviendrait à une loi ? Non,
on est en présence d'un «conseil amical», d'une
«appréciation morale»... Fonder sur les Conventions
de La Haye l'arbitrage obligatoire est un tour de passe-passe
à faire devant ceux qui n'ont jamais lu les dites conventions.
Le principe (notez bien: le principe) de l'arbitrage
obligatoire y est proclamé, mais non réalisé
! On espère qu'avec le temps l'humanité y parviendra,
mais rien de plus... La sixième Conférence panaméricaine
? Ai-je bien lu ? Comment Schawcross a-t-il pu la mentionner à
l'appui de sa thèse ? Ne sait-il pas qu'elle vaut exclusivement
pour le nouveau monde, qu'elle ne concerne en rien l'Europe ?
Ou bien la volonté de ces Messieurs d'Outre-Atlantique
aurait-elle soudain force de loi pour le reste des hommes ? -
Ainsi, non seulement les dispositions internationales d'avant
1939 sont peu favorables au Tribunal Militaire, mais la guerre
elle-même n'est pas encore un crime, juridiquement parlant.
Elle ne pourra le devenir, pour les signataires de conventions,
que lorsque ces conventions prévoiront et la procédure
à appliquer et les peines à infliger. Il ne suffit
pas de se réunir, d'écrire: «la guerre est
un crime», puis de signer. Une semblable condamnation est
d'ordre purement moral, platonique: par exemple, le pacte Briand-Kellog...
Quant à la tendance de l'humanité, depuis «plus
d'un demi-siècle ª, à éliminer les guerres,
-48-
cette thèse est historiquement fort discutable, mais, même
acceptée, elle n'a guère de poids en droit international:
ce n'est qu'un semblant, une ombre de coutume...
Enfin, à supposer l'argumentation britannique défendable,
il eût encore fallu démontrer la «responsabilité»
de l'Allemagne dans le déclenchement de la guerre, avant
de s'attaquer aux différents dirigeants, ce qui n'eût
pas été une petite affaire: les débats sur
la responsabilité de la première guerre mondiale,
on le sait, n'ont jamais été clos.
Reste néanmoins que l'argument le plus solide en faveur
de la «guerre-crime» est le pacte Briand-Kellog. Même
si celui-ci a seulement une portée morale, une infraction
de la part de l'Allemagne pourrait justifier, moralement du moins,
le régime subi par ce pays depuis l'armistice ainsi que
le procès de Nuremberg.
Signé à Paris le 27 août 1928, ce pacte condamne
formellement les guerres comme instrument de politique nationale.
En revanche, il ne prévoit aucune sanction, déficience
qui interdit de fonder, en droit des gens, une sanction quelconque
sur ce traité. Donc, le crime contre la paix ne saurait
légitimer les pendaisons.
Examinons maintenant l'importance morale du problème.
-49-
Le pacte représente une renonciation à la «guerre».
Mais ce terme n'y est pas défini. De toute évidence,
les signataires ne se sont pas engagés à ne jamais
résister par les armes à une invasion ennemie. Il
faut déjà exclure les guerres défensives.
Quant aux guerres agressives, distinguons. On imagine difficilement
que les contractants aient renoncé à recourir aux
armes dans le cas de vexations incessantes de la part d'autres
pays et après avoir épuisé tous les moyens
pacifiques. Il ne peut donc s'agir que d'une renonciation à
l'agression non provoquée.
Maintenant, la question décisive: l'Allemagne a-t-elle
commis une ou plusieurs guerres d'agression non provoquées
?
D'emblée, on voit que ni l'Anschluss ni l'occupation de
la Tchécoslovaquie ne peuvent être considérés
pour tels, car il leur manque un élément constitutif
de toute guerre: la résistance adverse.
Quant aux opérations contre la Pologne, prétendra-t-on
à une agression non provoquée ? En effet, la situation
ne ressemble en rien à celle d'une attaque dirigée
contre la Suisse. On néglige trop le fait que la Pologne
détenait des territoires arrachés à l'Allemagne
après la première conflagration mondiale. Le Reich
ne pouvait-il pas estimer que ces territoires lui revenaient ?
Le 21 mars 1939, nul ne l'ignore, von Ribbentrop proposait à
l'ambassadeur polonais Lipski un règlement amiable de l'affaire
du corridor. Le Reich ne demandait que Dantzig, un chemin de fer
et une
-50-
autostrade. En guise de réponse, le gouvernement polonais,
le 23 mars, appela diverses classes d'âge sous les armes;
quant à la réponse, elle ne vint que le 26 - négative.
Et voici la thèse allemande: dès ce moment-là,
les brimades polonaises contre les minorités allemandes
allèrent en s'accentuant jusqu'au moment où le Reich,
après avoir en vain tenté la voie des négociations
diplomatiques, dut assurer par la force des armes la protection
des dites minorités.
Pour parler d'agression non provoquée, il faudra non seulement
réfuter cette thèse, mais encore justifier la possession
par la Pologne des anciens territoires du Reich. Or cette justification
s'effondre avec celle de «Versailles».
Ce fut la guerre. Les nécessités stratégiques
primèrent toute autre considération. De la part
des Alliés, ce fut le blocus, dont le principe - assez
inhumain - était de vaincre par la faim. Les Anglais inaugurèrent
les bombardements d'objectifs situés hors des zones de
combat et à proximité d'agglomérations, puis
étendirent constamment le concept d'«objectif militaire».
De semblables nécessités stratégiques, en
particulier celle d'occuper avant l'ennemi les positions-clefs,
ou de devancer une attaque, ont amené les campagnes de
Norvège, de Belgique et de Hollande, de Yougoslavie, de
Grèce, de Russie. Du point de vue qui nous occupe, la question
est la suivante: peut-on encore parler de guerre d'agression,
alors que les hostilités sont déjà déclenchées
et que les raisons militaires l'emportent ? On se demande si une
telle interprétation n'est pas contraire à l'esprit
du pacte Briand-Kellog qui semble
-51-
uniquement prévoir la campagne initiale, celle qui vient
rompre la paix. Rien ne prouve que le dit pacte concerne la simple
extension des hostilités à des pays demeurés
à l'écart... Sur ce point, comme sur bien d'autres,
le pacte n'est pas suffisamment explicite, si bien que les campagnes
militaires sus-mentionnées, vu l'interprétation
restrictive qui est de rigueur en matière contractuelle,
ne sont pas qualifiables de crimes au sens du Pacte Briand-Kellog.
Enfin, on reproche au Reich d'avoir commis ces crimes contre
la paix en violation de divers accords internationaux.
A) La militarisation de la Rhénanie aurait porté
atteinte au pacte de Locarno.
En réalité, cette convention ne pouvait plus être
violée, car elle l'était déjà. Le
pacte franco-soviétique, qui imposait à la France
des obligations dépassant celles de membre de la Société
des Nations, était incompatible avec «Locarno».
En effet, le pacte avec la Russie pouvait obliger la France à
entrer en guerre contre l'Allemagne dans le cas d'un conflit germano-soviétique
- d'autant plus que Paris déterminerait de sa propre autorité
l'agresseur. Or sont contraires à «Locarno»
- qui est un traité de non-agression - des engagements
d'assistance pouvant conduire à attaquer un co-contractant
de «Locarno».
B) L'Anschluss aurait contrevenu au traité entre l'Allemagne
et l'Autriche du 11 juillet 1936. - On pourrait soutenir que la
partie «lésée» était consentante...
C) La crise tchécoslovaque de mars 1939 fut des
-52-
plus complexes et il serait heureux de l'étudier dans tous
ses détails. L'occupation de la Tchéquie représente
en effet l'argument principal contre la politique allemande, puisque,
d'une part, l'accord de Munich, librement consenti par le Reich,
est censé avoir été violé - accusation
qui figure au nombre des griefs, à Nuremberg. Je me limiterai
à la seconde objection, quitte à revenir sur l'ensemble
du problème dans d'autres écrits.
Cet accord de Munich stipulait que les puissances signataires
donnaient leur garantie à l'Etat tchécoslovaque:
la France et l'Angleterre immédiatement, l'Italie et
l'Allemagne plus tard. Or, «donner sa garantie»
signifie qu'on s'engage à défendre, par les armes
s'il le faut, les frontières d'un pays. On se trouve donc
devant ce dilemme. Ou bien la France, l'Angleterre et l'Italie
n'ont pas violé l'accord et alors l'Allemagne n'a pas attaqué
la Tchécoslovaquie - sinon les co-signataires eussent dû
intervenir contre le Reich -; ou bien l'Allemagne a attaqué
la Tchécoslovaquie et alors les partenaires de Munich ont
violé l'accord en ne défendant pas l'Etat garanti.
Tout se ramène donc à savoir si l'action allemande
représente ou non une agression contre cet Etat.
Voici la thèse du Reich. La Slovaquie, en proclamant sa
séparation de la Tchéquie, avait mis juridiquement
fin, par démembrement, à l'existence de la Tchécoslovaquie.
De ce fait, la garantie de Munich était devenue sans objet
et l'occupation ultérieure de la Tchéquie n'a pas
porté atteinte à l'Accord de Munich.
D) Aux yeux de l'accusation, la campagne contre
-53-
la Pologne a enfreint l'Accord germano-polonais de 1934.
En date du 28 avril 1939, le gouvernement allemand dénonça
avec effet immédiat l'Accord de 1934 en faisant valoir
que la Pologne venait de conclure avec l'Angleterre une alliance
exclusivement dirigée contre le Reich, violant ainsi l'Accord
germano-polonais - qui est un pacte de non-agression. En effet,
en cas de guerre entre le Reich et la Grande-Bretagne, la Pologne
pouvait être tenue d'attaquer ce premier pour remplir ses
obligations d'assistance.
La réponse polonaise du 5 mai ne manqua pas d'habileté.
Elle défendait la thèse - en soi assez criti[qu]able
- selon laquelle un pacte de non-agression n'interdit pas les
traités d'assistance ultérieurs avec des puissances
susceptibles de se trouver en conflit avec le co-signataire du
pacte de non-agression. Disons à ce propos que, si ce conflit
a lieu, l'Etat imprudent sera contraint de violer l'un des
deux engagement[s]. La seule conclusion, dans des conditions
semblables, d'un pacte d'assistance portait donc atteinte à
l'accord de 1934, l'Allemagne pouvant redouter que, placée
devant le dilemme, la Pologne ne choisît la fidélité
envers l'Angleterre, dût-elle ouvrir les hostilités
contre le Reich. Par l'alliance avec Londres, Varsovie s'engageait
à violer, le cas échéant, ses engagements
envers Berlin... On appréciera maintenant l'habileté
de la note polonaise, qui déclare:
«Le Gouvernement allemand, en formulant une plainte contre
le Gouvernement polonais pour avoir assumé des obligations
en vue de garantir l'indépendance de la Grande-Bretagne,
et en considérant cela
-54-
comme une violation par la Pologne de la Déclaration
de 1934, ignore ses propres obligations contractées avec
l'Italie, dont le Chancelier a parlé le 30 janvier 1939,
et, en particulier, ses obligations vis-à-vis de la Slovaquie,
inscrites dans l'Accord des 18 et 23 mars 1939. Les garanties
allemandes de la Slovaquie n'excluaient pas la Pologne, et, en
vérité, ainsi qu'il appert des stipulations de l'accord
susmentionné en ce qui concerne la distribution des garnisons
et l'établissement de fortifications militaires en Slovaquie
occidentale, elles étaient dirigées en première
ligne contre la Pologne.»
Pour l'Italie, on peut écarter d'emblée l'idée
que les engagements du Reich auraient touché au pacte de
1934, vu l'impossibilité pratique d'une guerre italo-polonaise.
Reste le cas slovaque.
Rappelons ici le document 203 du deuxième Livre blanc,
soit l'entretien du 21 mars 1939 entre Lipski et von Ribbentrop.
En même temps qu'il fait une proposition en vue de régler
la question de Dantzig et du Corridor, von Ribbentrop conteste
que la Déclaration de protection de la Slovaquie soit dirigée
contre l'Etat polonais et se dit prêt à revoir toute
l'affaire d'entente avec Varsovie, suggérant l'idée
d'une participation à la garantie de l'Etat slovaque...
- Ce fut le gouvernement polonais qui ne rouvrit pas le débat
sur ce point. Mais par là, il s'enlevait le droit de le
présenter par la suite comme une entorse aux engagements
de 1934.
Cette brève analyse établit que la dénonciation
est-elle correcte, alors l'agression - provoquée - du 1
er septembre 1939 n'a pas pu porter atteinte à un traité
devenu caduc.
-55-
Un grand nombre de griefs représentent indubitablement
des infractions de droit commun, punissables suivant toutes les
législations européennes, ou des infractions aux
coutumes de la guerre.
Mais la Cour ignore de propos délibéré un
point décisif. Bien que la question soit assez controversée,
il est certain que l'usage est bien établi d'user de représailles
lorsqu'un adversaire se permet des actes illicites. Et ces représailles
consistent à répondre par des actes de même
nature, mais que, venant ensuite, perdent tout leur caractère
répréhensible - à condition d'être
proportionnés à la gravité de la faute adverse.
Cela rappelle la vendetta - légitime, nécessaire
même en l'absence de toute répression étatique.
Je le précise, je ne suis pas opposé, en principe,
à un droit pénal supranational, mais, comme déjà
dit, je n'admets pas un tel droit venant d'Amérique ou
de Russie, et dont l'application appartiendrait aux Russes ou
aux Américains.
Il ne suffit donc pas de constater que certains faits sont des
infractions de droit commun ou des infractions aux coutumes de
la guerre. Il faut en outre, pour justifier le mot «crime
» , qu'il ne se soit pas agi de représailles.
La recherche historique des décennies à venir devra
s'attaquer à ce problème.
-56-
On a reproché aux troupes occupantes l'exécution
d'otages.
Il convient de relever d'emblée que cette initiative a
suivi une longue série d'attentats. Sans doute, une
représaille est à regretter, car elle atteint souvent
peut-être des innocents, mais elle s'avère indispensable.
Je vous imagine général. Vous recevez rapport sur
rapport; vos sentinelles tombent régulièrement sous
les balles de francs-tireurs. Vous faites rechercher les coupables:
peine perdue ! La population conspire à cacher leur fuite,
à les nourrir, à les renseigner pour de nouveaux
attentats. Leurs auteurs, devant les investigations, s'évaporent.
Le pays ne contient que d'honnêtes agriculteurs affairés
à leurs charrues ! - Que déciderez-vous ? Allez-vous
laisser tuer vos hommes jusqu'au dernier ? Vous faites emprisonner
des otages; cela ne suffit pas. Vous menacez ouvertement de les
fusiller, si les francs-tireurs persistent; inutile, on croit
à un bluff. Vous en tuez quelques-uns; - enfin les meurtres
cessent, parce que chacun tremble pour les siens se trouvant parmi
les otages. - Eh bien, mon Général, n' ê tes-vous
pas obligé malgré vous de faire ce qu'on reproche
aux Allemands ?
...Le cheval de bataille des Alliés est ici l'article 50
de la Convention de La Haye de 1907 (1). Or précisément
cet article 50 autorise, a contrario, des peines collectives,
pécuniaires et autres, en raison de faits individuels,
lorsque le comportement des popula-
(1) ART. 50. - Aucune
peine collective, pécuniaire ou autre, ne pourra être
édictée contre les populations à raison de
faits individuels dont elles ne pourraient ê tre considérées
comme solidairement responsables.
-57-
tions permet de considérer celles-ci comme solidairement
responsables. Tout se ramène donc à savoir si les
populations ont eu ou non une telle attitude - question strictement
historique, question préjudicielle.
Pour les déportations - soit l'enrôlement obligatoire
de travailleurs civils - on veut en faire une infraction à
l'article 46 de la m ê me convention (1).
La simple lecture de cet article permet de se rendre compte de
l'interprétation extensive des Alliés. Il faut accorder
à l'honneur et aux droits de la famille une ampleur extraordinaire
pour les opposer à des mesures connues en Suisse, sur le
plan intérieur, avec le service du travail civil.
Non, cet article 46 interdit aux vainqueurs de massacrer la population,
de la persécuter dans ses croyances, de voler les particuliers,
de donner aux enfants une éducation que les parents n'approuvent
point, d'insulter les civils dans la rue, - mais il n'y est pas
question du travail obligatoire.
En revanche, depuis 1945, en Allemagne occupée, les
Alliés n'ont-ils pas violé à diverses reprises
cet article 46: 1) en persécutant les fidèles
au national-socialisme - qui est une croyance religieuse avant
tout ! 2) en donnant à la jeunesse allemande une éducation
que bien des parents n'approuvent pasps;) en laissant les nègres
accomplir leurs exploits
(1) ART. 46. - L'Honneur
et les droits de la famille, la vie des individus et la propriété
privée, ainsi que les convictions religieuses et l'exercice
des cultes doivent ê tre respectés.
-58-
érotiques aux dépens de la population blanche, ainsi
qu'il ressort de certain rapport militaire américain...
Songe-t-on pour autant à traduire en tribunal les généraux
alliés ?
Quant aux mauvais traitements que les Allemands auraient infligés
aux prisonniers de guerre, il s'agit sans aucun doute d'infractions
aux Conventions de La Haye et de Genève (celle de Genève
n'entrant toutefois pas en ligne de compte pour les prisonniers
russes). Voici donc le premier grief juridiquement sérieux.
Deux points seront à voir.
D'abord, évidemment, la réalité du grief.
Ensuite, si certains de ces actes ne sont pas des représailles.
Maintenant, une petite remarque.
J'ai personnellement parlé à deux prisonniers allemands,
évadés de France (1). Ils ne se sont pas déclarés
enchantés des traitements subis. Selon eux, les Fran ç
ais auraient commis les violations suivantes aux conventions qui
nous occupent: a) nourriture
(1) Depuis lors, de nombreuses informations sur de mauvais traitements
infligés aux prisonniers allemands me sont parvenues.
Un autre évadé de France m'a dit comment le camp
o ù il se trouvait vit passer ses effectifs de 200 à
une vingtaine d'hommes, sous l'effet de la brutalité des
gardiens. Ce fut l'arrivée des Américains qui sauva
le reste.
Lors d'un séjour en Autriche, j'eus l'occasion d'entendre
les récits de prisonniers libérés, revenus
de Russie.
J'ai eu sous les yeux, également, le journal d'un Allemand
revenu de Russie, journal qu'aucun éditeur n'a voulu publier
jusqu'à présent. Capturé le 17 mai 1948
- donc après l'armistice !! - par les Américains,
livré aux Russes avec 2.000 camarades, il vécut
deux années d'enfer. Cela commen ç a par deux jours
de marche sans nourriture. Ceux qui ne pouvaient pas suivre étaient
abattus. Puis cinq jours de marche avec un ravitaillement insuffisant.
Puis, séjour avec 30.000 hommes dans un camp construit
pour 5.000 hommes. Et ainsi de suite. Le typhus, la malaria, la
dystrophie (sous-alimentation) faisaient d'effroyables ravages.
-59-
insuffisante; b) travail trop pénible; c)
confiscation des effets personnels des prisonniers: montres, bagues,
etc... Aucun tribunal, que je sache, n'est saisi de ces accusations...
D'ailleurs, à propos de prisonniers de guerre, je voudrais
rappeler cet autre article de la Convention de La Haye de 1907:
ART. 20. - Après la conclusion de la paix, le rapatriement
des prisonniers de guerre s'effectuera dans le plus bref délai
possible.
Serait-ce une des raisons pour lesquelles on retarde pareillement
la conclusion de la paix ?...
Le reste des crimes de guerre, entre autre le pillage des biens
publics et privés, l'obligation de prêter serment
à une puissance étrangère, forment une foule
de griefs. Vu leur grand nombre et leur gravité relativement
moindre, je ne les examinerai pas ici.
Ceci néanmoins.
Ils représentent, pour la plupart, des cas-limite dont
la discussion passionnera les juristes. Leur étude impliquera
nécessairement une comparaison avec les mesures prises
par les Alliés depuis 1945.
Bien entendu, sans peser de mêmes actes avec des poids différents...
-60-
Nous voici aux griefs sans conteste les plus spectaculaires -
et les plus ingénieux. Voyons l'article 6 c) de
la Charte, qui définit ces crimes:
«Les crimes de lèse-humanité, c'est-à-dire
les meurtres, les exterminations, les asservissements, les déportations
et autres actes inhumains commis contre la population civile,
avant ou pendant la guerre; ou la persécution pour des
motifs raciaux, politiques ou religieux, commise à la suite
de crimes rentrant dans la compétence du Tribunal, voire
en connexion avec ces crimes, que ce soit ou non en violation
des lois en vigueur dans les pays où ils ont été
perpétrés.
«Les chefs, les organisations, les instigateurs et les complices
qui participèrent à l'élaboration ou à
l'exécution d'un plan commun ou complot destiné
à commettre l'un des susdits crimes sont responsables des
actes de toute personne ayant exécuté un tel plan
ou complot.»
Que le lecteur médite cette prose. Elle en vaut la peine
!
Sitôt accoutumé au clair-obscur de la terminologie
juridique, il apercevra des détails surprenants. Pourtant,
se dira-t-il d'abord, ces molestations de la population civile,
nous avons déjà vu cela, et sous le titre de crimes
de guerre... Y aurait-il double emploi, voudrait-on, dédoubler
les accusations afin de les rendre plus impressionnantes ? Ou
bien ?... Ou bien veut-on juger ici des actes impossibles à
mettre en
-61-
contradiction avec un quelconque article de convention internationale,
ou des actes échappant normalement à la compétence
du Tribunal - même à supposer celle-ci établie
pour tous les autres cas ?... Voilà de bien noirs soupçons.
Voyons la suite: «... avant ou pendant la guerre...»
Tiens, tiens ! Nous rencontrerons donc des actes d'avant 1939.
Mais alors, puisque les crimes contre la paix rentrent
dans une catégorie spéciale, les victimes étaient
avant tout des ressortissants allemands ? Tout s'éclaire.
Persécution pour motifs raciaux, lisez: les Juifs
allemands; politiques, lisez: l'opposition; religieux,
lisez: les Niemöllers. Curieux, ce tribunal des vainqueurs
qui va jusqu'à juger au nom et pour le compte de ressortissants
de l'Etat vaincu... C'est là une des moindres audaces juridiques
du procès. - «Persécution à la suite
de crimes rentrant dans la compétence du tribunal.»
Autrement dit, ces persécutions ne rentraient pas dans
la compétence du Tribunal, mais - coup de baguette magique
- elles y rentrent quand même, comme crimes contre
l'humanité. Voilà qui est d'une limpidité
et d'une solidité logique qui feraient le bonheur des théologiens...
«Que ce soit ou non en violation des lois en vigueur.»
C'est bien ce que je pensais: pour peu qu'on estime l'humanité
lésée, plus besoin de textes de traités ou
de lois. L'humanité avant tout, et: l'humanité,
c'est moi, devises secrètes du Tribunal. Les esprits
forts en déduction trouveront aisément la maxime
des maximes: MOI AVANT TOUT !
En tout cas, on ne saurait nier que cela soit humain !...
-62-
Et en effet.
Les Alliés accusent au nom des ressortissants allemands
enfermés dans les camps de concentration. Le pasteur Niemöller
revient sur le tapis.
On revoit surtout la question juive. Celle-ci explique probablement
pourquoi les Alliés parlent de crimes contre l'humanité:
sinon: les Juifs d'Allemagne et leur destinée n'auraient
pas dû regarder le Tribunal.
Mais on éprouvait, semble-t-il, un vif désir de
multiplier les chefs d'accusation...
-63-
Or le Tribunal militaire international
de Nuremberg applique la théorie - fort contestable d'ailleurs
en dépit de l'accueil qu'elle a trouvé dans quelques
législations - de la responsabilité pénale
des personnes morales à des services publics de l'Etat
allemand qui, comme la Gestapo ou le corps des dirigeants politiques
du Reich, ne possédaient pas la personnalité juridique.
Au surplus, auraient-ils constitué en droit allemand des
personnes morales, l'effondrement complet du III e
Reich les a anéantis en tant que corps. Il peut bien
y avoir encore en Allemagne ou ailleurs, d'anciens gauleiters
ou d'anciens fonctionnaires de la Gestapo. Mais il n'y a plus
existant un corps, des dirigeants politiques du Reich pas plus
qu'il n'y a actuellement une Gestapo allemande. En sorte que c'est
à des cadavres qu'un procès est intenté.
L'ancien droit aurait connu de semblables procédures: il
en fit même à des animaux. Mais jusqu'ici
le droit moderne avait ignoré de semblables excès.
J.-A. ROUX («Le Monde», du 28-8-46).
Qu'est-ce qu'un S.S. ? - Un soldat du parti, un homme qui a prêté
serment d'obéissance personnelle au Führer. Pour beaucoup,
qui comme d'autres soldats ont passé la guerre au front,
leur seul crime a été ce serment. Les voici, pour
ce forfait effroyable, exposés à des sanctions.
La seule appartenance aux S.S. est désormais punissable
- rétroactivement, cela va sans dire.
Cette considération toute simple devrait suffire à
juger ce «jugement».
-64-
Ici, une question: a-t-on encore voulu châtier ces hommes
pour des actions criminelles ou seulement pour la fidélité
au Führer, pour le serment au Führer ?...
On m'objectera les atrocités imputées aux S.S. Mais
il saute aux yeux que, si atroces que soient ces atrocités,
elles ne fonderont jamais une responsabilité collective,
dispensant d'examiner les cas un à un. Pour une faute collective,
il faudrait que le seul fait d'être S.S. eût
impliqué des crimes, par exemple qu'on eût imposé
comme condition d'admission d'«avoir tué son Juif»...
La sentence de Nuremberg est un défi à la logique
si criant qu'il est superflu de la commenter davantage.
Rétorquera-t-on que le S.S., en prêtant serment,
s'engageait éventuellement à commettre les pires
abominations. Outre le principe voulant que les seules intentions
ne soient pas punissables, il y a ceci: un grand nombre de S.S.
ont eu la conviction que le Führer ne leur demanderait que
des actes bons et nobles; une idée différente leur
eût été inconcevable.
-65-
Ce qui frappe dans le procès, c'est le retour, en fait,
du délit d'opinion. Voltaire a donc lutté en vain
toute sa vie... On reproche aux inculpés d'avoir «implanté
la théorie de la supériorité de la race».
On accuse Rosenberg et Streicher d'antisémitisme. Ces reproches
sont fondés, mais on s'étonne, on est stupéfait
de les trouver parmi les chefs d'accusation. Quoi donc, Rosenberg
aurait dû taire ses convictions les plus profondes, il n'aurait
pas dû écrire le Mythe du XX e siècle
! Et ces mêmes Alliés, naturellement, se donnent
pour des champions de la «Liberté», et imputent
comme crime au national-socialisme d'avoir sévi contre
les écrivains et orateurs attaquant le régime, contre
un Niemöller par exemple...
Le colonel Robert Storey propose au tribunal de déclarer
que le parti «nazi» est une organisation criminelle.
«Les chefs du parti nazi luttant contre le christianisme
ont cherché à remplacer la Bible par le livre de
Hitler Mein Kampf, la croix chrétienne par la croix
gammée et les appels à la foi chrétienne
par les appels du sang et au racisme.»
Que voilà un langage curieux !...
A Doenitz on commence par reproch[er] ses opinions nationales-socialistes...
-66-
...M. Mounier, parlant de Rosenberg, déclare que «l'Allemand
est un être étrange, qu'il peut faire consciemment
le plus grand mal en demeurant convaincu que moralement son acte
est irréprochable». Détail savoureux: l'accusateur
français se fonde ici sur une notion du «mal»
qui nous reporte à la douce époque de l'école
du dimanche, - comme s'il existait, «en soi», un «Mal»
(avec majuscule), comme si le bien ou le mal n'étaient
pas constitués par des jugements de valeur, mais conféraient
à certains de ceux-ci je ne sais quelle autorité
transcendante, comme si le bien et le mal n'étaient pas
chose subjective !... Puis M. Mounier déclare: «C'est
à ce tribunal qu'il incombe d'appliquer les sanctions finales
contre cette philosophie» !! Appliquer des sanctions contre
une philosophie ! Mesure-t-on enfin tout l'esprit moye[n]âgeux
du «procès» ? Rosenberg jugé comme hérétique
!...
Comme il se doit, M Jackson proclame que le Tribunal ne condamnera
pas les «opinions», mais exclusivement les «actions».
Cela ne l'empêche pas de reprocher l'instant d'après
à Rosenberg d'avoir distillé la doctrine de haine
et à Streicher d'avoir fabriqué d'obscènes
pamphlets. Il est vrai, distiller et fabriquer
sont des actions... Par là les opinions se trouvent transformées
en actions, donc punissables. En d'autres mots, les «nazis»
peuvent penser ce qu'ils veulent, mais ils deviennent criminels
en exprimant leurs pensées !! Bref, Jackson ne leur accorde,
en fait de liberté d'opinion, que celle qu'il
-67-
ne saurait leur ravir. En effet, aucune puissance au monde ne
m'empêchera de penser silencieusement ce qui me plait. Tout
au plus me coupera-t-on la langue... Il y a au seuil de l'âme
de chacun une limite infranchissable pour tout persécuteur.
Schawcross, lui, y va plus rondement. Il dit de Rosenberg: «Sa
culpabilité de philosophe et de théoricien qui labourait
le sol pour la graine infernale du nazisme ne fait pas l'ombre
d'un doute».
Significatif...
-68-
En l'absence de sanctions en droit des gens, il reste aux juges
de Nuremberg une seule possibilité de se justifier. C'est
de prétendre, pour les cas où il ne s'est pas agi
de représailles, avoir uniquement visé des délits
de droit commun, frappés par toutes les législations.
On peut en effet considérer que la concordance de diverses
législations établit une sorte de coutume... Quant
à se réclamer du nouveau code pénal rétroactif,
institué par les Nations Unies cela légitimerait
en effet toutes les peines, mais ruinerait passablement leur prestige...
A quelle peine la Cour eût-elle pu, à la rigueur,
condamner Goering ?
-69-
Le grief grave est celui de complicité dans l'exécution
d'aviateurs de la Royal Air Force, accusation que Goering a repoussée;
et la presse n'a pas prétendu que la culpabilité
ait été «démontrée». Ainsi,
le seul point pour lequel des dispositions pénales pouvaient
être invoquées n'est pas établi.
Dans ces circonstances, Goering devait être acquitté.
Il est vrai, l'eussent-ils voulu, les juges l'auraient-ils pu
?
Et von Ribbentrop ?
Abstraction faite de toutes les incriminations politiques, pour
lesquelles aucune peine n'était prévue, il ne reste
que l'affaire von Schuschnig[g]: accusation de complicité
dans une séquestration de personne. A supposer la preuve
faite, cela ne vaut qu'une ou deux années de prison ou
de réclusion.
Le cas Keitel est déjà plus complexe. Tout dépend
d'abord de la réalité du grief relatif à
l'exécution de prisonniers de guerre. Ensuite, il ne faudrait
pas qu'il y ait eu simplement représaille. En outre, la
culpabilité personnelle de Keitel devrait être établie,
et il serait nécessaire de démontrer que Keitel
n'avait pas agi à la suite d'informations fausses, mais
crues vraies, ce qui aurait constitué la circonstance atténuante
classique.
-70-
Moyennant toutes ces preuves, un tribunal compétent eût
pu prononcer la peine capitale.
...Une considération parallèle vaut pour Kaltenbrunner.
Rosenberg !
Ses oeuvres appartiennent à la culture allemande et relèvent
du même tribunal que Faust ou Zarathustra:
la postérité. L'accusation ne devait pas se donner
le ridicule de restaurer le délit d'opinion.
Seule l'activité de Rosenberg comme ministre des territoires
de l'Est entrait en ligne de compte. Et là, les accusations
se ramènent à peu de chose.
Il y a le «vol d'oeuvres d'art». Mais le délit
n'est pas établi, l'accusé pouvant affirmer avoir
voulu sauver les oeuvres en question: simple cas de gestion d'affaires,
n'appelant aucune procédure pénale.
Il y a la complicité dans les déportations. Mais
celles-ci ne sont pas des délits au sens restreint ici
envisagé. L'occupant qui exerce en fait les pouvoirs législatif
et exécutif peut imposer les mêmes mesures
qu'un gouvernement national (1). Le service du travail civil en
Suisse représente une mesure de ce genre, et personne ne
songe à traduire les «responsables» en justice.
La Cour devait acquitter Rosenberg.
Pour Streicher, le cas est encore plus net. On ne lui a trouvé
que des délits d'opinion, c'est-à-dire, en style
de Nuremberg, des « crimes contre l'huma-
(1) Bien entendu en
dehors de toute «légitimité», en vertu
du droit de la force. Mais ce ne sont pas là des crimes.
-71-
nité» chef d'accusation numéro quatre, le
seul dont il ait été déclaré coupable.
La Cour devait acquitter Streicher.
Je n'allongerai pas l'examen. On aura compris. En limitant l'accusation
aux seuls actes jusque-là punissables, le tribunal ne pouvait
pas aboutir aux peines qu'il a prononcées.
Par la pendaison, peine infamante, les Alliés ont voulu
de toute évidence jeter un dernier discrédit sur
les condamnés. Cela afin de rendre difficile, sinon impossible,
leur ascension au ciel de la gloire - où ils resplendiraient,
éternels exemples allemands de l'honneur et du devoir.
Il fallait briser une religion nouvelle en «dégradant»
ses prophètes.
Nous avons un précédent assez célèbre.
Le monde a connu une autre peine, également infamante,
réservée au rebut des criminels, et dont on se servit
un jour pour «dégrader» le prophète
d'une mystique nouvelle. C'était il y a bientôt
deux mille ans. Il s'agit de la crucifixion...
Les Alliés n'auraient-ils pas ennobli la potence ?... Est-ce
là vraiment, ce qu'ils désirent ?...
-72-
Les cas de Hess, Keitel, Doenitz et Jodl offrent en outre des
particularités remarquables.
Doenitz a été capturé alors qu'il remplissait
la fonction de chef d'Etat, depuis la mort de Hitler. Sa mise
en accusation est un attentat définitif contre le principe
de la souveraineté des nations, souveraineté incarnée
par le chef.
Hess s'est rendu volontairement en Angleterre, afin d'y négocier
la paix. De ce fait, il bénéficiait de l'inviolabilité
reconnue par la seconde conférence de La Haye.
«Nuremberg» foule aux pieds non seulement la souveraineté
des Etats, en jugeant Doenitz, mais encore, en jugeant Hess, le
drapeau blanc du parlementaire.
Pour Jodl, l'affaire est encore plus grave. C'est lui, on s'en
souvient, qui a signé la capitulation. Ainsi, après
le chef d'Etat, après le parlementaire, on frappe le négociateur...
Quand tuera-t-on de nouveau des ambassadeurs ? Il n'y a plus aucune
raison de s'abstenir désormais.
Quant à Keitel, c'est lui qui, à Berlin, a remis
l'acte de capitulation signé par Doenitz...
Toute la conception traditionnelle du droit des gens interdisait
de juger, donc de punir, ces quatre hommes.
-73-
ART. 19. - En ce qui concerne la preuve, le Tribunal n'est
lié par aucune règle absolue. Il adoptera et appliquera
autant que possible une procédure rapide et non formaliste,
en reconnaissant tout fait qu'il juge avoir une valeur probante.
Voilà au moins qui n'est pas entaché de pédanterie
! Pourrait-on d'ailleurs exiger raisonnablement que les champions
de la «Liberté» restreignassent davantage
celle de leur tribunal ?...
ART. 21. - Le Tribunal ne doit pas requérir la preuve
de faits de notoriété publique. Il se contentera
d'en prendre note. Il fera de même en ce qui
-75-
concerne les pièces et rapports officiels émanant
des gouvernements des Nations Unies et des Comités chargés
dans divers pays alliés d'enquêter sur les crimes
de guerre, que pour les procès-verbaux militaires ou autres,
institués par l'une des Nations Unies.
Il n'est toutefois pas précisé si les historiens
seront liés par cet article 21...
ART. 27. - Sa conviction faite, le Tribunal peut prononcer
la peine de mort ou toute autre peine qu'il estime juste.
Génial ! On se demande à quoi riment nos codes pénaux
!
Du correspondant spécial de l'A.T.S., Max Schnetzer:
«Les défenseurs des accusés ne pourraient
pas être présents devant ce tribunal s'ils
étaient vraiment nazis typiquement qualifiés. Plusieurs
d'entre eux se sont élevés avec courage contre les
potentats du troisième Reich. Cela est tout spécialement
le cas pour l'avocat berlinois, Dr Dix, qui est énergiquement
intervenu dans le procès de l'attentat contre Freisler.»
A relire et à méditer...
Notons-le, ce même Dr Dix a été «chef
de la défense» ! - Ces «défenseurs»
pouvaient-ils avoir la conviction voulue ?...
Je sais d'autre part que M. Thomas, avocat de Rosenberg,
a déclaré n'avoir pas compris grand'chose à
son client !!...
-76-
(Reuter). - Un volumineux courrier arrive à la poste
de Nuremberg de toutes les parties d'Allemagne. La plupart des
lettres sont adressées à Hermann Goering. Leur contenu
va des plus violentes accusations jusqu'à l'adoration aveugle.
Les prisonniers ne reçoivent aucune poste dont le
contenu pourrait continuer à renforcer leur esprit de résistance.
Décidément, ces champions de la Liberté !...
(Reuter). - Le Tribunal a repoussé mercredi la demande
de Ribbentrop que M. Churchill soit cité comme témoin
à décharge. Von Ribbentrop n'aura pas non plus l'autorisation
de soumettre à l'ex-premier britannique une liste de questions
concernant les pourparlers qu'il a eus à l'époque
où il était, lui Ribbentrop, ambassadeur d'Allemagne
à Londres.
Reuter ajoute que MM. Daladier et Georges Bonnet ne témoigneront
pas davantage.
Surtout pas de complications !...
(Reuter). - Ouvrant la séance de vendredi, le président
Lawrence a fait savoir aux accusés que les allusions à
l'«injustice» du traité de Versailles
ne seront pas acceptées par la Cour. On se rappelle que
Ribbentrop, pour excuser le nazisme, avait perdu jeudi beaucoup
de temps à tenter de démontrer cette injustice.
-77-
Très pratique. On empêche les «nazis»
d'invoquer la nullité de «Versailles», alors
que précisément cette nullité apporte la
justification dernière de la politique extérieure
allemande ! Avec «Versailles», comme je l'ai dit plus
haut, s'effondre la majeure partie des griefs.
Remarquons que l'accusation ne s'est pas vu interdire ce même
sujet. A de nombreuses reprises, elle a fait valoir les «violations»
du dit traité.
Dame ! il faut bien jeter les bases d'un ordre de «Justice»...
(United Press). - Streicher prétendit d'une voix forte
et sur un ton furieux avoir été battu et torturé
par les Américains après son arrestation. «Durant
mon internement, déclare-t-il, j'ai subi des traitements
du genre de ceux qu'on attribue à la Gestapo. Quatre jours,
j'ai été laissé sans habits dans ma cellule;
j'ai été jeté à terre; j'ai été
enchaîné; j'ai du baiser les pieds de nègres.
Des officiers blancs et de couleur me crachaient dans la bouche,
et quand je fermais la bouche, ils me la rouvraient avec un bâton.
Lorsque je demandais de l'eau, on me conduisait dans les latrines
en disant que là je pouvais boire.»
Ce récit offrait un certain caractère de gravité.
Afin d'éviter l'enquête nécessaire après
une telle atteinte à l'honneur de l'armée américaine,
enquête qui eût retardé le procès,
la Cour décida bonnement de ne pas faire figurer le récit
de Streicher au protocole !...
Bizarre...
-78-
(Reuter). - A l'audience d'hier, Georges Conrad Morgen, juge
allemand et volontaire S.S., a déclaré que Buchenwald
était un camp situé sur une colline couverte de
fleurs, où les occupants, brunis par le soleil,
se trouvaient dans le bien-être, jouissaient de communications
postales régulières, avaient à disposition
une bibliothèque d'auteurs étrangers, des concerts,
cinémas et manifestations sportives.
Des rires éclatent sur les bancs du tribunal à l'ouïe
de cette description.
De quoi doit-on s'étonner le plus, du récit ou des
rires ?
Une cour qui tient un grief pour si sûr que sa seule négation
paraît hautement comique - cela n'est-il pas étrange
?...
(United Press). - Le Conseil de contrôle allié
a décidé à l'unanimité de ne pas publier
les trois notes écrites au crayon par Goering avant son
suicide.
Les originaux seront conservés dans les archives secrètes
des autorités de contrôle alliées, et l'ordre
a été donné de détruire toutes les
copies qui en ont été faites.
Il est bien permis aux champions de la Liberté de faire
un peu de falsification historique !...
Dernière chose curieuse:
-79-
Il n'est pas ques[ti]on de déférer à des
tribunaux du Reich les ressortissants alliés que les Allemands
pourraient accuser de crimes contre la paix, de guerre ou contre
l'humanité... (1)
On pense probablement que des barbares sont indignes des privilèges
dont jouissent les défenseurs de la Civilisation. Et chacun
sait que le «Bien» a toujours fini par triompher;
d'o ù il résulte sans conteste qu'une victoire finale
démontre le bon droit du vainqueur ! Les ténèbres
auraient mauvais ton de se plaindre d' ê tre exterminées
par la lumière...
(1) «Quel que
soit le luxe de la procédure et des formes judiciaires
employées, quelle que soit aussi la conscience des juges
internationaux qui la rendront, la justice de Nuremberg ne sera
quand m ê me jamais autre chose et plus que la justice des
Nations Unies, c'est-à-dire une justice unilatérale.
» René GERARD (Voix des Peuples, No 2 du 20-2-46).
-80-
On ne voit pas sur quoi la Cour fonde sa compétence et
un grand nombre des griefs qu'elle a cru pouvoir retenir à
la charge des accusés. Pour être impartial, tout
le procès devrait être refait devant une instance
neutre et en limitant l'accusation aux délits de droit
international. Mais l'impossibilité d'une telle révision
saute aux yeux.
Pour ces raisons, l'attitude la plus conséquente est celle
de Rudolph Hess: on ne se défend pas devant un tribunal
incompétent...
Au point de vue juridique, le procès est aussi discutable
qu'il se peut. Que dis-je, il n'est même pas discutable,
tant qu'il n'y aura pas en sa faveur d'autres arguments que ceux
présentés jusqu'ici.
On nous permettra donc certaines réserves quant au caractère
admirable de la «création juridique»
alliée...
Au reste, ces criantes insuffisances ont déjà suscité
des critiques. A titre d'exemple, ce passage d'un
-81-
article de M. Lucien Corosi, Le fiasco de Nuremberg, paru
dans Servir:
«L'équivoque venait avant tout du lent mais croissant
changement de caractère du procès. Le 20 novembre
1945, le clou du discours d'ouverture de Jackson était
d'accuser Goering et ses vingt et un complices «d'avoir
comploté contre la paix». A première vue,
c'était une trouvaille. Elle permettait d'englober dans
la même bande et d'envoyer à la même potence
le politicard Goering, le banquier Schacht, l'ingénieur
Speer, le militaire Keitel, le marin Raeder, le journaliste Fritzsche,
etc. A la pratique, la trouvaille se révéla moins
heureuse. Elle faisait glisser le procès sur un terrain
essentiellement politique. Car, du moment que ces vingt et un
hommes étaient accusés «d'avoir comploté
contre la paix depuis 1933» et, selon certains procureurs
trop zélés, déjà depuis 1923, la plupart
d'entre eux avaient beau jeu pour riposter que si Schacht ou Papen
sont responsables d'avoir aidé Hitler sur le plan financier
ou diplomatique, afin de consolider son régime et de préparer
septembre 1939, le Gouvernement anglais qui a signé avec
Ribbentrop en 1935 le Traité naval germano-britannique
(premier succès diplomatique de Hitler), Daladier et Chamberlain,
qui ont paraphé Munich, l'Amérique, qui continuait
à entretenir des relations diplomatiques avec Berlin, après
toutes les agressions de 1939-41, et en principe tous les pays
du monde étaient moralement responsables des succès
et des crimes de Hitler.»
Ce texte est d'autant plus précieux que venant de milieux
«assez peu» favorables au national-socialisme...
-82-
...J'allais oublier une justification possible du procès
de «Nuremberg», que j'extrais d'une lettre
d'un ami:
«Et maintenant au point de vue métaphysique, je
prouve, par syllogismes, la culpabilité des accusés.
«a) Tous les coupables doivent être punis (Cela basé
sur tes déclarations de l'autre soir, quand je t'interrogeais
sur la responsabilité. Tu me répondis: en tout cas,
je les punirais.) Voir objection 2).
«b) Tous les hommes sont coupables. (Cela basé sur
le péché originel.) Si tu n'es pas d'accord, voir
objection 3).
«c) Tous les vingt-quatre accusés sont des hommes.
Voir objection 1.)
«d) Donc tous les vingt-quatre sont coupables.
«e) D'où il s'ensuit que tous doivent être
punis, exécutés.
«Et maintenant voyons les objections.
«1) Tu peux me dire que les vingt-quatre ne sont pas seuls
des hommes et qu'avec mon système, tout le monde est coupable,
donc tout le monde doit être exécuté. Parfaitement
d'accord, cher ami. Et c'est d'ailleurs le cas. Tout le monde
est exécuté, tôt ou tard, par la mort. Alors,
du moment que cette vaine agitation finira par le néant,
et que demain sera indifférent à ton cadavre, un
peu plus tôt, un peu plus tard..., c'est sans importance.
«2) Si tu veux revenir sur ton principe: il faut punir les
coupables, je demande: quels coupables faut-il punir et je repose
le problème de la respon-
-83-
sabilité. Tu me réponds: les utiles à
leur pays doivent être épargnés. Je demande:
qui sont les utiles ? et cet homme qui demain peut-être
récidivera (s'il n'est pas responsable, mais déterminé),
cet homme est-il utile ?
«3) Voilà le gros point: tu nies le péché
originel. Car si tu ne le faisais pas, tu devrais accepter la
condamnation des vingt-quatre, condamnés parce qu'hommes
pécheurs.
«Or tu ne peux nier que le mal règne sur la terre,
la souffrance. Je pourrais ajouter: la maladie, la mort elle-même,
etc. Donc, si l'homme n'est pas pécheur, coupable, alors
il est victime, victime d'une injustice que rien n'égalera.
Dès lors, les vingt-quatre sont encore un cas particulier
d'une règle sans exception.
«Devant cette injustice, l'homme peut ou s'incliner, l'accepter,
donc accepter la condamnation des vingt-quatre.
«Ou bien, il peut se révolter, dans une révolte
absolument stérile, aux prises avec des forces qui l'écrasent
et l'écraseront toujours. Car me dire que le sort de l'homme
peut s'améliorer ne saurait me satisfaire en aucun cas
et pour deux raisons: d'abord, cette amélioration ne parviendra
pas à surmonter la mort, désastre final, marquant
du sceau de la dérision toute ma vie, toute la vie de l'humanité,
de la terre. Si elle y parvenait par extraordinaire, il faudrait
procéder à l'exécution méthodique
des hommes par crainte de la surpopulation. Enfin, ce progrès
laissera froid mon cadavre et le tien et nous importera peu. Ce
n'est pas cette dérisoire survie dans la mémoire
d'imbéciles qui les empêchera de
-84-
se décomposer. Et ce progrès lui-même aboutira
à la catastrophe finale: la mort de la civilisation.
«Donc révolte sans espoir. Tu peux trouver la condamnation
des vingt-quatre injuste. Elle est insignifiante en face de l'injustice
totale faite à l'homme. Nous serons tous exécutés,
tôt ou tard, et ceci rend nos vies sans importance
et sans signification comme les leurs, même sans intérêt.
Tu peux donc te révolter contre Nuremberg, mais c'est une
révolte sans espoir et sans but et il faut dès lors
accepter de vivre complètement désespéré
une vie absurde. Libre à toi.»
Enfin une thèse irréfutable en faveur du procès
!
Tout se ramène à savoir si, «victimes»
ou non, nous avons un idéal capable de transformer notre
«vaine agitation» en un combat dans lequel la mort
elle-même peut faire figure de dernière action en
faveur de la cause choisie. Tout se ramène à savoir
si le premier procès de Nuremberg est compatible ou non
avec notre idéal: celui d'une Europe unie et réconciliée.
-85-
-87-
Importance historique: - ces mots peuvent se comprendre de diverses
manières; toutes nous intéressent, chacune offrant
un centre de perspective d'où contempler «Nuremberg».
Il peut s'agir de l'importance du procès en tant qu'événement
historique: par ses conséquences heureuses ou malheureuses.
Il peut s'agir de l'importance du procès en tant que document
historique, par exemple pour la question des responsabilités
de la guerre.
L'histoire est écrite par les vainqueurs. C'est là
un argument contre l'histoire. Toutes les périodes de prépondérance
écrasante d'un parti, d'un pays, d'une religion, ont produit
une falsification historique systématique au détriment
des vaincus. Certes, ce que nous connaissons de Carthage ne nous
en donne pas une opinion bien haute; mais devons-
-89-
nous admettre la monstrueuse caricature qu'en ont tracé
les Romains ? La mauvaise foi punique était proverbiale.
Et pourtant de nombreux faits révèlent qu'à
l'époque la fides Romana ne valait guère
mieux; la différence réside dans le succès...
Les prêtres juifs, tout-puissants après le retour
de Babylone, falsifièrent froidement de nombreux siècles
d'histoire nationale... L'Eglise, dans son triomphe, accumula
les calomnies sur les empereurs antichrétiens, cela de
façon tellement irréparable qu'il sera peut-être
à jamais impossible de faire de Néron un portrait
ayant quelques chances de ressembler à l'original... Sans
doute, la critique historique redresse bien des faits, rejette
comme douteux ceux trop visiblement inspirés par la haine;
mais que faire, si les vainqueurs détruisent les documents
favorables à l'adversaire ! Qui évaluera, par exemple,
les trésors culturels du paganisme anéantis par
le zèle ecclésiastique ?
On comprend sans effort que les historiens aiment à voir
un fait établi par le témoignage concordant de partisans
de camps opposés. Mais s'il n'y a plus de camp opposé,
ou s'il est réduit au silence ?... Alors on ne possède
aucun moyen de vérifier jusqu'où la haine a poussé
la calomnie. On doit se rabattre sur les déclarations concordantes
de nombreux personnages du même camp, dans l'idée
aléatoire que parmi eux se trouve un homme d'honneur qui
aurait protesté en cas de mensonge... La «probité»
des témoins ne prouve pas grand'chose non plus, car, notons-le
bien, un faux témoignage, pour être efficace, doit
toujours émaner de gens «parfaitement honorables»;
il serait grotesque de la part d'un
-90-
individu perdu de réputation de témoigner contre
la vérité: on ne le croirait pas... On essaiera
enfin le bon sens, on dira: non, la calomnie ne saurait aller
si loin; cela ne s'invente pas... Opinion naïve: le calomniateur
compte justement avec un pareil «bon sens».
Pour ce qui est du procès, tout paraît empêcher
une étude objective. Seuls les vainqueurs ont la parole;
et nous devons nous contenter de leurs déclarations. Des
doutes sembleraient même impertinents. Cependant, ces doutes
sont de rigueur, tant qu'une critique acérée des
faits évoqués au procès, ou constituant le
procès, n'aura pas eu lieu. Et cela sera seulement possible
quand la liberté d'opinion et de recherche existera de
nouveau, quand les Allemands ayant à témoigner contre
leurs vainqueurs oseront le faire impunément. Avant une
dizaine d'années, à vue humaine, on ne sera pas
en mesure d'apprécier sainement les différents points
soulevés à Nuremberg, ni les récits des débats.
Cette considération montre que pour l'instant il serait
vain de prendre le procès trop au sérieux. Jusqu'où
la propagande intervient-elle ? Nous l'ignorons. Lorsque celle-ci
devient trop visible et la plaisanterie trop énorme, on
ne nous en voudra pas de sourire un peu. Exemple: un envoyé
spécial de Reuter nous raconte qu'à la suite d'un
interrogatoire par les Russes, Jodl «perdit son sourire
cynique et regagna sa cellule avec des sentiments mitigés».
La machine à analyser le coeur humain n'étant, que
je sache, pas encore inventée, comment diable l'envoyé
spécial a-t-il pu savoir que Jodl avait des «sentiments
mitigés»? - Rejetons les phrases de ce
-91-
genre dans le domaine de la fantaisie journalistique: elles se
trouvent au delà de toute expérience possible.
Tant que l'Allemagne demeurera dans l'impuissance d'à présent,
les «preuves» à charge subsisteront et la «culpabilité»
des accusés ne rencontrera aucun doute. Mais si le Reich
se relève, peu à peu apparaîtront les témoignages
à décharge. L'authenticité de beaucoup de
documents accusateurs, la véracité de beaucoup de
témoins se verront ébranlées. Parallèlement,
des voix de plus en plus nombreuses s'élèveront
dénonçant les crimes de guerre alliés
contre l'Allemagne; les preuves à l'appui surgiront de
divers côtés. Et l'on vérifiera demain, comme
aujourd'hui, comme hier, que la «vérité historique»
exprime la puissance des divers complexes de forces, les conditions
idéales d'objectivité ne se trouvant réalisées
que dans le cas d'équilibre des groupes antagonistes...
- Imaginons un Allemand détenteur d'une preuve défavorable
aux Alliés. S'il a un minimum de bon sens, il la tiendra
secrète, afin de ne pas «disparaître»
en même temps que sa preuve. Il la révélera
seulement quand il ne risquera plus d'être aussitôt
réduit au silence, et sa révélation sera
seulement efficace lorsqu'une large et libre diffusion sera possible.
En un mot, il lui faut le redressement... - De même pour
les juristes voulant attaquer la compétence du Tribunal.
Le professeur d'université allemand qui le ferait à
l'heure actuelle ne resterait pas longtemps en place ni en liberté
!
-92-
...Mais s'il y a en présence deux puissances de grandeur semblable, alors chacune cherchera à écraser l'autre. C'est là pour chacune le seul moyen d'éviter l'anéantissement. (Der Wiederaufbau Europas, p. 8).Werner MEYER.
Comme l'expose Werner Meyer dans l'ouvrage cité tout à
l'heure, les guerres n'ont pas toujours divisé le monde
en deux camps. Bien souvent, de grandes puissances demeuraient
neutres, ce qui leur permettait d'arbitrer les conflits et
-93-
de préserver le vaincu de l'asservissement total. Le vainqueur
ne poussait pas ses avantages jusqu'au bout, de crainte de se
mettre à dos ces Etats-arbitres.
Mais ce régime du concert des nations a cessé.
Les deux dernières guerres ont entrechoqué des blocs
politiques colossaux.
Ce seul fait a rendu la lutte infiniment plus âpre, vu que,
en l'absence d'arbitres favorables au vaincu, chaque camp avait
tout à redouter de la défaite. Cela à un
moindre degré en 1914 où l'on débutait dans
le genre et où le revirement anglais au lendemain de l'armistice
conféra une fois encore à ce pays son rôle
séculaire d'arbitre. Aujourd'hui, on fait mieux les choses,
et la Grande-Bretagne - qui essaie son revirement classique -
s'aperçoit combien faible est son influence.
La guerre totale n'est pas une invention allemande, mais
une conséquence inéluctable du dualisme mondial.
La nécessité de combattre avec la dernière
énergie a produit entre autre cet aspect haineux et intolérant
de la propagande, qui demeurera l'un des plus tristes de notre
siècle civilisé.
Le procès de Nuremberg est en premier lieu la réalisation
d'une promesse de propagande. On a fait marcher les foules
en promettant de pendre Hitler, il faut bien tenir parole autant
que possible, sous peine de perdre la confiance des masses pour
la prochaine guerre. On avait déjà renoncé
à pendre le Kaiser et cela avait fait une impression
déplorable sur l'opinion publique des vainqueurs. Le dualisme
mondial a également produit le désir unanime de
réduire le perdant à une impuissance définitive,
même si, sur d'autres points, la coalition s'effrite
-94-
déjà. Personne, parmi les Alliés, ne songe
sans un frisson d'horreur à un redressement allemand: quelle
ne sera pas la vengeance d'un pays pareillement traité
! A cet égard, le procès de Nuremberg sert d'alibi
moral, d'arme contre les S.S. - condamnés, on le sait -
et de première charrette. Les procès de criminels
de guerre dureront autant qu'il le faudra pour écarter
les gêneurs. Chacun aura quelque crime de guerre, contre
la paix ou l'humanité sur la conscience !...
Que nul ne s'illusionne. Nous courons à l'unité
mondiale, à la domination du monde par une seule puissance.
L'unique problème est de savoir laquelle; le premier devoir,
de faire que ce soit l'Europe.
Sur notre globe, un nouveau dualisme remplace celui qui a conduit
à la guerre de 1939: l'opposition américano-russe
s'accentue jour après jour. A moins d'un redressement européen
assez rapide et tel qu'il nous accorde le rôle d'arbitre
suivant l'ancien système de politique internationale, la
conflagration est inévitable. Ce n'est qu'une question
de temps. Il faut d'abord que chaque camp organise sa victoire,
rivalise d'influence auprès des Etats susceptibles de se
rattacher à l'un ou l'autre bloc, arme à outrance
et répare les pertes du dernier conflit. Mais l'heure arrivera
où les jeux seront faits, où l'un des adversaires
se sentira prêt. Alors il n'attendra pas une seconde de
plus.
La lutte promet d'être impitoyable, vu les nécessités
du dualisme. Et chacun aura la ferme inten-
-95-
tion d'instituer quelque procès de Leningrad ou de Philadelphie,
à la suite duquel les dirigeants adverses tâteront
de la potence. Nuremberg fournira le précédent voulu.
Aussi bien le bloc russe que le bloc américain ont eu intérêt
à créer ce précédent. La prévision
d'une troisième guerre mondiale - dont il faudra sortir
vainqueur, ou asservi pour de longs siècles si l'on n'est
pas exterminé - le désir de préparer cette
indispensable victoire de façon totale, tel est encore
un des mobiles qui présidèrent à la formation
du Tribunal militaire international.
-96-
Les partisans du procès n'en attendent que des conséquences
heureuses. A les croire, les dirigeants de l'avenir, saisis d'une
sainte frayeur à l'idée du gibet, se garderont comme
du feu de déclencher une guerre, sachant le sort réservé
aux coupables.
Cette idée a quelque chose d'attendrissant dans sa naïveté.
Il rappelle ces passages de l'Ancien Testament où la culpabilité
des individus et des peuples se mesurait à la dureté
de la «peine» venant les frapper. Ces «nazis»
ont été pendus, donc ils étaient criminels
!!
En réalité, les pendaisons qui couronneront le prochain
conflit seront des pendaisons de vaincus. Le vainqueur coupable
ne va pas, sous l'effet de remords, prier son adversaire terrassé
de lui accorder la potence. Mais le perdant, fût-il l'agneau
le plus candide, sera déclaré coupable et aura son
chanvre.
A moins qu'on ne prétende - et après tout les girouettes
opportunistes en sont capables - que l'innocent triomphe toujours
et que Satan toujours se voit confondu !
Contrairement à ces stupidités optimistes, Nuremberg
aura l'influence suivante.
Les individus soigneux de leur peau, désireux de mourir
au lit, sous les regards émus des leurs, éviteront
davantage que par le passé les postes politiques susceptibles
de mener haut. Ou bien ils démis-
-97-
sionneront fiévreusement, sitôt le moindre danger
de guerre à l'horizon. Telle sera la seule conséquence
heureuse de Nuremberg.
On peut donc penser que la crainte du noeud coulant ne retiendra
guère les dirigeants (les craintifs éviteront de
diriger). Mais à les supposer nourris de semblables frayeurs,
ils seront incités à préparer la guerre avec
un zèle unique dans l'histoire et n'auront rien de plus
pressé que d'aggrédir l'adversaire dès qu'ils
s'estimeront mieux armés. Cela parce qu'ils savent ce
qui attend le vaincu. Et ils ne reculeront devant aucune brutalité
de la guerre totale, si la victoire peut être acquise de
la sorte.
Qu'on le veuille ou non, Nuremberg sera plutôt fauteur de
guerre.
Un autre inconvénient de Nuremberg est de ravaler le chef
au niveau du commun des mortels. Encore un lambeau de religion
- au sens mystique et irremplaçable du terme - qui risque
de se voir arraché.
A moins que toujours les chefs n'échappent aux Nurembergs
de l'avenir.
...Cela rappellerait la Marche funèbre du Crépuscule
des Dieux...
Mais l'inconvénient majeur serait d'habituer les peuples
à la haine et à la vengeance, eux qui sont déjà
trop sensibles à ces sentiments inférieurs.
De nombreux Allemands, surtout la jeunesse, sont restés
fidèles dans leur coeur aux chefs nationaux-socialistes.
Qui dira les serments de vengeance murmurés dans l'ombre
après les exécutions ?
-98-
Il serait ridicule, après ce qui a été dit
sur l'impossibilité actuelle d'une critique historique,
d'examiner coûte que coûte l'exactitude ou l'inexactitude
de ces griefs. Avant de nombreuses années les conditions
d'une telle étude ne seront pas réunies. On devra
pouvoir faire, librement, une critique d'authenticité pour
les documents cités à Nuremberg (photos, films,
lettres, ordres) et de véracité pour les témoins.
A part la question de la responsabilité de la guerre, nous
nous bornerons à quelques observations.
-99-
1) La «responsabilité» de la guerre.
Depuis la défaite allemande, la multitude victorieuse parle
plus fort que jamais de responsabilité, faute collective,
justice et châtiment. Ne descendons pas ici dans les abîmes
de mystère où le terme «responsabilité»
a plongé les penseurs de tous les temps et concédons
aux accusateurs, pour ne point terminer en deux mots l'examen
de leur thèse, ce libre arbitre dont ils ont besoin afin
de trouver des coupables. Nous ne chicanerons pas davantage sur
la validité du raisonnement causal, en vertu duquel on
entend déterminer les facteurs de cette guerre. Demandons-nous
seulement si d'autres circonstances que la volonté allemande
ont joué un rôle dans le déclenchement des
hostilités, ce qui réduirait la part du Reich.
On peut avec assez de raison dire que les clauses territoriales
du traité de Versailles ont créé un climat
particulièrement favorable à un nouveau conflit,
sitôt l'Allemagne remise de la défaite. - Le maintien
de ces clauses ne se concevait que par l'esclavage perpétuel
ou l'extermination progressive du vaincu. Ce résultat ne
s'étant pas produit, une conflagration mondiale devenait
inévitable, si les anciens vainqueurs persévéraient
dans leurs dispositions. Et il allait sans dire qu'ils ne renonceraient
pas volontairement aux avantages de la victoire.
Beaucoup reconnaissent qu'en effet «Versailles» contribua
puissamment à la situation de 1939, mais en rejettent la
faute sur le Reich, coupable à leur
-100-
sens du conflit de 1914-18. Même en leur donnant raison,
nous pourrions soutenir que ce traité est dû au moins
autant à l'humaine nature des maîtres d'alors qu'à
la faute allemande. Mais une telle faute est fort loin d'être
établie.
On a proclamé, assez et sur tous les tons, l'entière
responsabilité germanique dans la première guerre
mondiale. En fait, le problème s'avère autrement
complexe. - Certes, depuis l'abdication de Bismarck, la Wilhelmstrasse
a commis des erreurs. Un seul exemple. Pour les beaux yeux de
l'Angleterre, elle jeta la Russie dans les bras de la France,
en refusant, malgré l'insistance du Tsar, de renouveler
l'accord de 1881. Une fois la rupture consommée, Londres
cessa ses amabilités avec Berlin, se tourna vers Paris
et ce fut la fameuse visite d'Edouard VII. Le Japon ayant entre
temps négocié avec la Grande-Bretagne, la solitude
du Reich devint saisissante: il ne restait que l'Autriche-Hongrie
et l'Italie. Ce renversement de forces constitua un pas de géant
vers les hostilités... - Cependant, de semblables maladresses
ne sauraient compter pour des crimes et bien des faits troublants
déposent en faveur de fautes concomitantes graves. L'attitude
de l'Anglet[er]re, son lent travail diplomatique en vue d'isoler
une Allemagne qui développait sa puissance maritime, le
désir français de récupérer la litigieuse
Alsace-Lorraine, les convoitises russes sur les Balkans expliquent
en une mesure appréciable les événements
de 1914. Sans nous attaquer à l'ensemble de la question,
ce qui mènerait trop loin, citons ces détails: le
rôle du colonel Dimitrievitch dans l'attentat de Serajevo,
la mobilisation clandestine russe
-101-
le 26 juillet déjà, ouvertement décrétée
par le Tsar le 30 à 11 heures du matin, soit avant
la mobilisation austro-hongroise...
On ne se trouve aucunement devant 1'«évidence»
qui a cours auprès du public et l'on peut admirer la légèreté
avec laquelle l'opinion mondiale prononce ses verdicts.
Cette considération suffit à ébranler le
fondement éthique de «Versailles».
Une autre cause, intercurrente, fut l'action sémitique.
Il est incontestable que les Juifs, chassés d'Allemagne,
ont poussé à la revanche, - cela soit dit sans effleurer
la question juive.
Le problème des frontières, insoluble dans le cadre
des nationalités, représente un facteur de plus.
Des noms comme Alsace-Lorraine, Dantzig, Autriche-Hongrie, Transylvanie,
Balkans... évoquent suffisamment ce déterminisme
historique et géographique. Mentionnons à cet égard
que la division entre pays d'Europe a été entretenue,
provoquée, par la politique traditionnelle anglaise - et
nous touchons au premier point où une volonté consciente
intervienne de façon notable.
Il est encore un phénomène tragique, susceptible
d'avoir exercé une influence aggravante. C'est la tentative
nationale-socialiste de rétablir l'unité européenne,
en utilisant à cet effet une guerre inévitable,
- pour mettre fin à l'écrémage systématique
des générations par des luttes intérieures.
Si le Reich, après ses premières victoires, avait
limité ses buts au maintien de son intégrité,
un compromis n'était pas exclu. Et voici le tragique: les
tentatives d'arrêter le déclin de l'Europe, si elles
échouent, le
-102-
hâtent. Napoléon a affaibli la France, le continent
tout entier, en voulant le contraire... Je laisse à chacun
d'évaluer si un échec transforme en «crime»
une entreprise généreuse en cas de succès...
Un fait se dresse, indestructible: par «Versailles»,
on a acculé l'Allemagne à la guerre.
Et pourtant, même l'histoire de la crise de 1939 révèle
le rôle curieux de l'Angleterre et de son partenaire polonais.
Il suffit de remonter pas à pas les événements.
...Le 1 er septembre 1939, jour où les troupes du Reich
entrèrent en Pologne, Mussolini faisait une offre de médiation:
les armées cesseraient le combat et une conférence
internationale se réunirait aussitôt pour arbitrer
le litige. L'Allemagne accepta. La France accepta - et
cela décharge ce pays de façon considérable:
il n'y a pas eu chez lui une volonté de guerre à
tout prix, la France a péché seulement (comme l'Allemagne
avant 1914) en suivant trop à l'aveugle un allié.
Mais l'Angleterre refusa: elle exigea le retrait préalable
des troupes allemandes, ce qui était une impossibilité
stratégique et politique.
...Le 31 août à 21 heures, après avoir, durant
deux jours, vainement attendu l'arrivée d'un plénipotentiaire
polonais, le gouvernement du Reich publiait un communiqué
radiophonique en seize points, soit la proposition qui eût
été faite à ce plénipotentiaire s'il
s'était présenté. Il s'agit du document No
15 du premier livre blanc allemand (1), que je recom-
(1) No
98 du livre bleu anglais.
-103-
mande à l'étude de chacun. Car l'acceptation de
ces conditions eût probablement résolu la crise germano-polonaise,
éliminant par là une cause de guerre: retour de
Dantzig au Reich, plébiscite dans le corridor sous contrôle
international, Gdingen reste polonais, autostrades et chemins
de fer pour la partie défavorisée par le plébiscite,
démilitarisation de la presqu'île de Héla
et diverses mesures de protection des minorités. Le gouvernement
allemand déclarait en outre qu'il considérait son
offre comme pratiquement rejetée. Vu la tension effroyable
régnant entre les deux pays et les incessants incidents
de minorités, cette communication laissait une dernière
chance à la Pologne: y répondre sans retard. Il
est vrai que la Pologne répondit ! A 23 heures, l'émetteur
de Varsovie résumait les propositions allemandes et ajoutait:
«cette offre éhontée prouve clairement
combien nécessaires ont été les mesures militaires
du gouvernement polonais» (1). Contrairement au document
348 du livre jaune français, le message de Radio-Varsovie
concernait bien la proposition allemande en seize points et non
une note précédente, puisque la dite proposition
y était fort exactement résumée... A l'aube,
les troupes du Reich attaquaient sur tous les fronts.
...Durant les dernières journées d'août, la
tension entre Berlin et Varsovie croissait d'heure en heure. La
Wilhelmstrasse estimait ne plus pouvoir tolérer les provocations
et vexations polonaises. Le 25 août, le chancelier Hitler
suggéra à l'ambassadeur britannique une alliance
entre l'Angleterre et l'Allemagne,
(1) Document No
16 du premier livre blanc.
-104-
sous réserves des engagements antérieurs envers
l'Italie et la Russie. La réponse se fit attendre trois
jours - dans une situation où la catastrophe pouvait se
produire à chaque minute - elle vint le 28 à 22
heures 30. Elle faisait dépendre une alliance germano-britannique
du règlement préalable de la question polonaise
et proposait que des négociations directes eussent lieu
entre Varsovie et Berlin. Le 29 à 18 heures 45, le Führer
répondit que, bien que sceptique sur l'avenir de négociations
directes, il acceptait et comptait sur l'arrivée d'un plénipotentiaire
pour le 30 août. Ce délai d'environ trente heures,
dicté par la gravité d'une situation intenable,
n'était en aucune manière trop court. En quelques
minutes, la Grande-Bretagne pouvait en informer la Pologne et
un avion pouvait arriver à Berlin en peu de temps. Le 30
août n'assista pas à la venue du plénipotentiaire,
mais bien à la mobilisation générale polonaise.
A minuit, au moment où expirait le délai, Sir Neville
Henderson vint remettre à von Ribbentrop une note dans
laquelle le Gouvernement de Sa Majesté déclarait
«informer aussitôt le Gouvernement polonais
de la réponse du Gouvernement allemand». Ce n'était
donc pas encore fait !!! Le 31, seul l'ambassadeur Lipski se présenta
- pour dire que Varsovie «envisageait favorablement»
la prise de contact; mais Lipski n'était pas muni de pleins
pouvoirs... - Rien ne se produisit jusqu'à 21 heures, et
ce fut la communication radiophonique allemande.
...Le 26 mars 1939, la Pologne repoussait les propositions du
Reich, faites le 23 mars en vue de régler la question de
Dantzig et du Corridor. Selon la thè-
-105-
se britannique, c'est spontanément et non sur un encouragement
de Londres que Varsovie refusa, car la déclaration d'assistance
a été prononcée le 31 mars (1). Cela s'appelle
jouer sur la naïveté du public. On ne nous fera jamais
croire que des assurances officieuses n'avaient pas pu être
données antérieurement. Et même en
l'absence de telles assurances, il reste le discours de Lord Halifax,
secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères,
prononcé à la Chambre des Lords le 20 mars 1939,
dont voici le passage le plus significatif:
«Mais quand il devient évident qu'il n'existe
pas apparemment de garanties contre des attaques successives,
dirigées à tour de rôle contre tous ceux qui
paraissent gêner d'ambitieux projets de domination,
aussitôt les plateaux de la balance basculent, de tous côtés
se découvre, vraisemblablement et aussitôt,
une bien plus grande disposition à se demander si l'acceptation
de vastes obligations mutuelles, destinées à assurer
la défense commune, n'est pas imposée par les nécessités
de la légitime défense, à défaut d'autres
raisons.
«Le Gouvernement de Sa Majesté n'a pas manqué
de tirer la morale des événements en question et
n'a pas perdu de temps pour se mettre en consultation étroite
et directe, non seulement avec les Dominions, mais avec d'autres
Gouvernements intéressés aux problèmes qui
sont soudainement apparus avec tant de clarté.»
(1) Cf. déclaration
de M. Chamberlain à la Chambre des Communes du 10-7-39.
-106-
Même s'il ne s'agit point du gouvernement polonais, celui-ci,
lisant ce passage, devait y voir une promesse voilée.
Voilà de quoi faire rêver ceux qui parlent de responsabilité
allemande.
Le seul argument nouveau, à Nuremberg, pour une responsabilité
germanique dans l'affaire polonaise se fonde sur le journal du
général Schmundt, où figureraient des détails
relatifs à une réunion tenue le 28 mai 1939 dans
le bureau de Hitler, à laquelle Goering, Raeder et Keitel
auraient pris part. L'agression de la Pologne y aurait été
préparée.
Tout cela demande évidemment un contrôle aujourd'hui
impossible. Mais, même exact, le fait ne démontrerait
pas grand'chose.
Cette réunion, postérieure au refus polonais du
26 mars et à l'accord d'assistance entre Londres et Varsovie,
aurait eu lieu à un moment où, devant la tension
croissante, une guerre avec la Pologne paraissait possible. Dans
de telles circonstances, les dirigeants de n'importe quel pays
eussent établi des plans de guerre, offensifs et défensifs,
pour ne pas se trouver pris de court à l'instant psychologique.
Mais cela ne signifierait pas, comme on le laisse entendre, que
le Reich eût décidé l'agression. Si toutes
les guerres prévues par les états-majors mondiaux
devaient se réaliser, il faudrait des résurrections
périodiques de l'humanité, bref: un jeu de soldats
de plomb.
-107-
D'ailleurs, si l'on pouvait compulser les documents secrets britanniques,
on lirait sans doute des choses surprenantes.
- Mais au nom du ciel, pourquoi, me demandait un jour un ami un
peu naïf, l'Angleterre et la France auraient-elles voulu
la guerre ? quel intérêt ces pays y avaient-ils ?
- Celui-ci. L'occupation de la Tchécoslovaquie livrait
au Reich une précieuse position stratégique et surtout
les usines d'armement Skoda, de réputation mondiale. Ce
gain se serait traduit au bout d'un certain temps par un nouvel
et énorme accroissement de la puissance militaire germanique,
puissance qu'il importait donc d'abattre au plus tôt.
2) A propos des autres griefs.
D'une manière générale, la vérification
de ces griefs n'est pas à notre portée. Tout au
plus pouvons-nous relever certaines invraisemblances, ou souligner
les cas où les Alliés en ont fait ou en font autant.
Katyn... Il va sans dire qu'à Nuremberg les Allemands sont
accusés d'être les auteurs de Katyn. Cependant on
se souviendra de la hâte suspecte que
-108-
le gouvernement russe mit à refuser à la Croix-Rouge
une enquête demandée à la fois par les Polonais
de Londres et par le Reich. Si les Soviets avaient eu la conscience
tranquille, n'auraient-ils pas répondu: «Une enquête
? Mais nous l'exigeons !» Depuis lors, que sont devenus
les indices et les témoins ?
Pillage des pays occupés... Ce reproche prend une place
importante dans l'acte d'accusation.
Pourtant, au lendemain de Versailles, l'Allemagne, elle aussi,
s'est vue «pillée». Aujourd'hui, ce ne sont
que démontages et transports d'usines. Les Russes civilisateurs
ont fermé des maisons d'édition à Leipzig,
dont la célèbre maison Reclam, et confisqué
le matériel. Tous les Alliés se sont précipités
sur les brevets d'invention; les inventeurs sont pourchassés
et saisis. Bref, en regard de cela, les Allemands ont été
des débutants timides. Mais cela est «légal»,
cela s'appelle «les réparations».
Pour les Juifs, attendons ici encore les résultats d'une
critique historique impossible aujourd'hui. Les questions seront
les suivantes. Sur la base de quels renseignements ou selon quelles
méthodes a-t-on déterminé le nombre des Juifs
dans les différents pays avant la guerre ? Sur la base
de quels renseignements ou selon quelles méthodes a-t-on
déterminé leur nombre après la guerre ? Dans
quelle mesure les Juifs ont-ils pu, après la guerre, dissi-
-109-
muler leur nombre véritable, afin d'accréditer les
accusations d'exterminations massives ? De quelle façon
a-t-on tenu compte de l'émigration juive ainsi que du chiffre
de mortalité normal (plus élevé durant la
guerre) ? Autant de questions qu'il faut poser aux Alliés
et sur lesquelles ils se doivent de fixer l'opinion mondiale.
Remarquons pour l'instant que l'antisémitisme n'est point
une spécialité du national-socialisme. Tous les
pays d'Europe, depuis la dispersion d'Israël aux quatre vents
de l'histoire, ont connu cette hostilité. Toujours et partout,
il y a eu des pogromes. Ce fait témoigne assez de la présence
d'un problème juif, dont la solution importe à
la paix du monde (1).
La presse a monté en épingle - cela faisait vendre
les numéros - les accusations d'atrocités.
A ce sujet, on pourrait rappeler le cas de la première
guerre mondiale, où l'on a inventé systématiquement
les atrocités allemandes, avec photographies à l'appui.
Certaines, comme la fable de la Kadaververwertung ont eu
la vie dure, puisque cette fable a «tenu» jusqu'en
1925. Le livre de Lord Ponsonby, Les faussaires à l'oeuvre
en temps de guerre, est hautement instructif. Je mentionnerai
encore le remarquable article de M. Gentizon dans le numéro
(1) La vague d'antisémitisme
en Pologne et en Palestine doit donner à réfléchir,
puisque, Hitler disparu, les Juifs ne retrouvent pas le calme.
-110-
d'avril 1945 du Mois Suisse, où il a personnellement
démasqué un faux récit d'atrocité
allemande: une fillette aux mains coupées qui n'a pas existé,
mais que toute la Suisse romande affirmait avoir vue.
Il est étrange que ces actes atroces aient été
dénoncés seulement vers la fin de la guerre, et
notamment en France depuis l'invasion libératrice. Auparavant
nous n'en avions guère d'échos. Ainsi, durant plus
de trois ans d'occupation, à part l'affaire des otages,
il n'y aurait point eu de massacres de nourrissons, de femmes,
de vieillards ? point de pauvres victimes passées toutes
vives sous la scie à ruban ? - car je ne ferai pas aux
Français l'injure d'attribuer leur long silence à
la peur devant une Allemagne puissante... Pourquoi donc ces «horreurs»
ont-elles commencé de façon appréciable au
moment où les revers du Reich se multipliaient ? Ne s'est-il
point agi par hasard d'une campagne destinée à préparer
les mesures de paix, je veux dire d'oppression, auxquelles on
songeait avec sérieux et qu'on a appliquées depuis
lors ?
Il sera intéressant d'apprendre par la suite le fond de
vérité dans ces histoires horrifiques, colportées;
embellies, augmentées, enrichies de détails affreux
et propres à donner la chair de poule. On découvrira
vraisemblablement qu'en la plupart des cas où tout n'est
pas fictif on a à faire à l'oeuvre de quelques détraqués,
comme il y en a dans toutes les armées et dont on ne peut
rendre un peuple moralement responsable.
Au reste, le Reich n'a pas manqué, lui aussi, de dénoncer
des atrocités alliées. Il n'y avait qu'à
écou-
-111-
ter la radio allemande. Je rappelle en outre les deux livres blancs
sur les crimes bolchevistes contre les lois de la guerre et
de l'humanité, - livres qui ne furent pas acceptés
comme documents à Nuremberg. Leur contenu vaut tout ce
qu'on a imputé aux S.S. ou à la Gestapo. On y trouve
même des accusations de cannibalisme.
Je n'ai lu nulle part que ces livres blancs fussent réservés
pour le procès de Leningrad.
-112-
J'ai dit que pour l'instant le principal intérêt
historique du procès résidait dans les renseignements
que nous y pourrions trouver sur le caractère des accusés.
Mais cela, à condition de disposer d'autres sources permettant
de corriger les récits forcément tendancieux.
D'une façon générale, les nationaux-socialistes
convaincus, à part Fritzsche dont l'acquittement demeure
un mystère, ont été condamnés. On
savait d'avance que von Papen et Schacht, grâce à
leurs relations internationales, échapperaient. Ce qui
frappe, parmi les condamnés, c'est le petit nombre des
«lâcheurs» Frank, qui se serait converti au
catholicisme; Speer, qui aurait avoué avoir saboté
l'effort militaire allemand; von Schirach, qui se serait rétracté.
Mais nous ne savions pas grand'chose sur ces gens avant Nuremberg,
en sorte qu'il nous manque les éléments voulus pour
interpréter leur attitude. En revanche, les figures de
premier plan, les nationaux-socialistes invétérés,
sont restés fidèles à leur passé.
Les éloges de Hitler, répétés à
chaque déposition, eurent le don d'exaspérer le
Tribunal.
Et pourtant la presse, au début des témoignages
surtout (elle abandonna ensuite cette tentative ridicule), nous
a présenté les inculpés comme d'infâmes
poltrons tremblant pour leur peau. A cette fin, le journaliste
use du procédé suivant. Il admet par avance, de
façon implicite, que tous les griefs sont
-113-
exacts. Puis, chaque fois qu'un accusé les conteste, notre
journaliste, triomphant, s'écrie: «Voyez cet ignoble
individu qui n'a pas le courage de ses actes !» Pourtant
la pétition de principe est évidente: on admet d'avance
la culpabilité à démontrer. Si Goering n'a
pas incendié le Reichstag, il ne peut quand même
pas pousser la complaisance jusqu'à le reconnaître,
à la seule fin de recevoir un brevet de courage de notre
journaliste qui apparemment est expert en la matière !
Je m'attacherai à deux figures sur lesquelles, en dehors
du procès, nous avons assez de renseignements: Goering
et Rosenberg.
1) GOERING
Il est difficile de se représenter un homme plus populaire
que Goering. J'ai séjourné en 1936 sur l'île
de Sylt. Une fois, le bruit courut que Goering allait arriver
en avion, et naturellement tout le village était en effervescence,
chacun se réjouissait de voir «Hermann». On
parlait de lui avec familiarité et affection, on le plaisantait
un peu sur son goût pour les médailles, heureux qu'on
était de lui découvrir une faiblesse humaine. «C'est
un des nôtres», tel était le sentiment général,
et l'on était fier de «Hermann»... Cette attitude
différait totalement de celle envers le Führer. Là,
chacun se sentait en présence
-114-
d'une force supérieure, incommensurable. On parlait du
Führer avec sérieux; personne n'eût plaisanté
à son sujet. Si le bruit avait couru d'une venue de Hitler,
la population, j'en suis persuadé, se fût employée
fiévreusement à nettoyer rues, façades, chambres
et eût redoublé d'ardeur dans les travaux quotidiens,
afin de faire bonne impression.
Cet art de se gagner les sympathies de la foule se retrouve dans
les discours de «Hermann». Il savait se mettre à
la portée du plus humble, du plus simple. A titre d'exemple,
un discours du début de la guerre, relatif au rationnement
des produits textiles. Un autre à sa place eût fait
de grandes phrases sur le «sacrifice pour la patrie»
et la nécessité de «tenir à tout prix»;
Hermann, lui, déclara qu'on ne viendrait pas à bout
du peuple allemand, «même si nous devions tous nous
promener en caleçons de bain»... Ce trait populaire
reparaît dans l'aspect pragmatique de sa pensée.
Goering ne se perd pas dans la théorie, dans les abstractions
brumeuses. Nous lisons qu'à Nuremberg on lui a demandé
ce qu'il entendait par «race de maîtres», dans
l'espoir, sans doute, de le voir patauger. Goering a répondu
qu'il n'entendait rien du tout par ces mots, ne les ayant jamais
employés: ou bien on est le maître, ou bien on ne
l'est pas; si on l'est, il est inutile d'insister autrement sur
ce fait... - Goering nous apporte aussi cet humour à la
Hans Sachs. Ainsi, à propos de l'incendie du Reichstag
- dont on l'accuse - Hermann dit avoir été contrarié
par ce sinistre: il fallut en effet mettre l'Opéra à
la disposition des délégués, et l'Opéra,
de l'avis général, avait davantage d'importance...
-115-
Tout ce premier plan pourrait masquer le fond véritable
du caractère. Reconnaissons ici l'habileté de la
propagande alliée avant et pendant la guerre. Elle consista
à prétendre que derrière la façade
il n'y avait rien. Goering: un personnage borné, terre
à terre, obèse, avide de bons repas et de décorations
reluisantes, cynique (à remarquer en passant: le mot cynisme,
une injure aujourd'hui, un terme péjoratif qui, prononcé
avec l'indignation voulue, ne manque jamais de produire un effet
superbe, ce mot désignait autrefois une philosophie), Goering,
le type de la vanité, du matérialisme jouisseur.
Pour achever le portrait, on alla jusqu'à présenter
Goering comme un lâche. Au lendemain de sa capture, la presse
mondiale ne parlait que de ses reniements... De même au
début du procès. Mais voici surgir des contradictions
montrant que 1'«orchestration» n'est pas au point.
Goering ne cherche pas à cacher ses opinions ou à
minimiser son activité politique; il les proclame avec
fierté. Il n'essaie pas de «rejeter la faute»
sur des co-accusés; au contraire, il tente de rendre service
à Keitel et à Rosenberg en insistant sur leur rôle
politique insignifiant. L'Anschluss ? Il en revendique la pleine
responsabilité... Goering aurait également dit:
«Je ne suis pas ici pour faire l'éloge de Hitler
ou pour le discréditer, mais seulement pour déclarer
que je tiens aujourd'hui encore le serment que je lui ai prêté.
Je suis d'avis qu'un serment de fidélité doit être
respecté, non seulement dans les bons, mais aussi dans
les mauvais jours...» On se demande, en lisant cela,
-116-
ce que faisait la propagande alliée. A-t-elle été
vraiment à la hauteur de sa tâche ? Goering a peut-être
parlé de la sorte, mais il ne fallait pas le redire au
monde entier. On rehausse par cette maladresse le prestige du
national-socialisme, ce qui, à première vue, ne
doit pas être le but d'une propagande alliée bien
conçue...
Et puis, il y a sa mort.
Qu'il ait eu la chance, pensera-t-on, de trouver le cyanure voulu,
cela ne nous révélera pas grand'chose de sa nature.
Un autre condamné en eût fait le même usage.
Peut-être. Et cela eût apporté pour cet autre
un témoignage semblable.
Goering a eu la chance... - L'histoire dira-t-elle jamais si et
dans quelle mesure il a préparé son suicide ? Quoi
qu'il en soit, cette chance, il l'a saisie.
Il pouvait attendre, passif, un supplice que les Alliés
voulaient infamant. Sa fin, plus douloureuse à ses amis
et a ses admirateurs, lui eût accordé le martyre.
Mais il a senti qu'en lui une chose était menacée:
le chef. Un chef ne meurt pas à l'heure fixée par
l'adversaire, il reste chef jusqu'au bout: il choisit son heure.
Et on ne la choisit qu'en l'avançant.
Par là, Goering, une dernière fois, a fait acte
de souveraineté.
Il n'a pas voulu mourir en martyr alors qu'il pouvait mourir en
maître.
-117-
Le visible dépit qui, tel un frisson, a parcouru la presse
mondiale à la nouvelle du suicide venait moins d'un sadisme
déçu que d'une volonté de puissance bafouée.
Rage froide devant le fait inadmissible que ce vaincu avait trouvé
moyen de prendre et d'exécuter une décision contrecarrant
celle de ses juges.
Le vaincu venait de remporter une victoire.
Victoire d'autant plus grande qu'ultime. D'autant plus indestructible
que dans la mort, - par la mort.
Tout le tragique et toute la grandeur de l'âme allemande
se retrouvent dans ce simple geste de Goering.
...Une idée est là, une idée à défendre.
Un homme est là, un homme aux prises avec le destin. -
Cet homme est demeuré fidèle à l'idéal
et maître de la destinée.
En conclusion, même en croyant les relations de presse,
nous distinguons quelque chose derrière la façade
joviale et populaire, une âme de soldat: courage,
fidélité.
2) ROSENBERG
II fut un roi des Perses qui fit graver dans la muraille de Béhistun ces mots: «Moi, Darius, Grand-Roi, roi des rois, de souche aryenne...» Aujourd'hui, le chamelier persan passe devant ce mur, sans se douter de ce qui a disparu. Le Mythe du XXe siècle (Livre premier, I, 1).
-118-
S'agissant d'un philosophe, les premiers éléments
pour le comprendre sont ses oeuvres.
Au point de vue théorie de la connaissance, il continue
tout un mouvement de pensée, issu de Kant, repris par Schopenhauer,
Lange, Nietzsche, Vaihinger: le criticisme. Pour saisir la notion
rosenbergienne de vérité organique, il faut
connaître la guerre à mort que Nietzsche mena contre
les dogmatismes, c'est-à-dire les systèmes prétendant
détenir la moindre parcelle de cette Vérité,
au sens classique: la vérité unique, objective,
éternelle. Toutes les certitudes quant à la structure
du «monde extérieur» (de la transcendance),
quant à son existence même, sont des dogmes - impossibles
à démontrer, comme tous les dogmes.
Nous touchons ici à un problème inhérent
à la pensée humaine, celui qui appelle les résonances
les plus graves, les plus redoutables. Ces certitudes arbitraires,
nous ne pouvons nous en débarrasser; quoi que nous disions,
nous recourons à une mythologie du Temps ou de l'Espace.
Le fait de ne plus être dupes, ne nous en délivre
pas.
On connaît la réponse de Vaihinger. Notre esprit
n'est pas fait pour une quelconque recherche de la vérité
au sens classique, conception désormais périmée.
Par nature, notre intellect falsifie méthodiquement toutes
les données de l'expérience et les rend ainsi pensables.
Qu'il s'agisse d'une réalité immanente ou transcendante,
nos procédures logiques sont à chaque pas entachées
d'erreur. La pensée ressemble aux mathématiques
supérieures en ceci qu'elle
-119-
use d'erreurs simplificatrices, mais en sens contraire. Et seul
compte le résultat. Ainsi le jugement: l'herbe est verte,
qui à première vue identifie audacieusement deux
concepts en apparence différents, ne fait que réparer
en une certaine mesure la faute initiale, commise lors de l'élaboration
des concepts: une herbe sans couleur et un vert informe - deux
impossibilités, deux fictions, qui n'ont rien à
voir avec la réalité, mais qui ont permis d'obtenir
ce résultat: l'herbe est verte. Comment apprécier
ce résultat ? S'il est question, ainsi qu'à présent,
d'une réalité immanente, notre regard intérieur
est peut-être en mesure de vérifier la plus ou moins
grande exactitude du jugement prononcé. Et si le jugement
concerne une réalité transcendante ? Ici, tout le
criticisme nie la possibilité d'un contrôle. Est-ce
à dire qu'il faille admettre ou rejeter indifféremment
tontes les métaphysiques ? Nous ne parvenons pas à
ne pas prendre position, mais quel critère choisir ?
Voici la réponse de Rosenberg.
Tout se passe comme si nous portions en nous une finalité.
Forme et finalité voilà ce qu'est un organisme.
Le résultat des opérations intellectuelles, les
vérités, devra s'apprécier selon qu'il répond
plus ou moins à la finalité de l'organisme en question.
Dès lors on peut appeler vérité organique
l'ensemble des connaissances possibles quant à cette finalité,
et dire, de façon plus large, qu'une proposition est organiquement
vraie lorsqu'elle contribue à satisfaire notre finalité.
Il en résulte, sur le plan biologique et social, que la
vérité variera avec la nature de l'individu. Pour
-120-
des races par trop différentes, les oppositions entre les
«vérités» sont irréductibles.
Le Mythe du XX e siècle, ainsi que
les trois livres de Blut und Ehre, veulent dégager
la vérité organique de l'humanité aryenne.
Cela dit, on comprendra le sous-titre de son oeuvre principale:
Le Mythe du XX e siècle, une appréciation
de la lutte humaine actuelle, sur les plans de l'âme
et de l'esprit.
L'essentiel de l'oeuvre réside dans l'appréciation.
En effet, Rosenberg observe ses propres réactions affectives
devant l'histoire et la culture, car c'est pour lui le seul moyen
de connaître - dans la mesure où il y a ressemblance
de nature - l'affectivité de l'aryen, c'est-à-dire
ses tendances suprêmes dans leurs diverses incarnations.
Ce faisant, il découvre notre finalité et construit
notre vérité organique.
Pour cette raison, la pensée et la mystique rosenbergiennes
mettent chacun devant un cas de conscience, devant la nécessité
d'un examen intérieur, dont résultera l'acceptation
ou le rejet du message. Quel que soit l'interdit jeté contre
l'oeuvre, en dépit de la pendaison de l'auteur, un tel
examen psychique s'imposera inéluctablement - on peut tout
au plus le retarder - à tous les Européens préoccupés
par leur destinée commune.
L'oeuvre de Rosenberg étant avant tout une appréciation,
le décor historique, biologique et culturel
-121-
n'est que l'élément secondaire, permettant de révéler
l'élément mystique et primordial. D'où erreur
totale de ceux qui ont attaqué le Mythus sur le
plan scientifique. Ils se sont même couverts de ridicule
en ne pouvant réfuter que des points insignifiants: une
erreur de date par ci, une erreur de nom par là... Scientifiquement,
Rosenberg n'apporte pour ainsi dire rien de nouveau, hors une
synthèse nouvelle, et il ne veut rien apporter de nouveau
dans ce domaine. Tous les faits historiques, biologiques invoqués
étaient établis avant lui par des spécialistes
consciencieux - mais chez qui ils n'avaient pas encore la résonance
qu'ils prirent en traversant l'âme du philosophe. Cette
résonance, particulièrement puissante et pathétique,
est l'essentiel de son message.
Du même coup, la méthode d'exposition du Mythus
devient limpide. On a reproché à ce livre son caractère
touffu, son défaut de plan logiquement construit. Mais
un tel plan ne pouvait pas être suivi sans disloquer
ce qui fait l'unité de l'oeuvre: la continuité mystique.
L'important était l'appréciation; là se trouve
le fil conducteur. Les matériaux se groupent suivant la
tonalité de la réaction affective.
Ainsi contemplé, le Mythus se dresse sous un autre
ciel que la voûte glacée de la raison discursive,
et reçoit un jour tout autre.
Le livre premier: la lutte des valeurs, retrace le combat
millénaire de l'humanité aryenne contre les autres
races, d'abord sur le plan ethnique et histo-
-122-
rique, puis, découvrant davantage le sens même du
conflit, sur le plan culturel, et enfin, sur le plan mystique.
La première partie, la race et l'âme raciale,
fait ressurgir les émigrations nordiques successives, qui,
ère après ère, vague après vague,
ont déferlé sur l'Europe, l'Asie, pour venir se
briser sur les côtes de l'Afrique septentrionale. Et chaque
fois retentit l'épopée tragique de la race aryenne:
triomphe grandiose et grandioses empires, villes et cultures éblouissantes,
puis lente décadence et désagrégation sous
l'effet de l'abâtardissement progressif. Comme une fatalité,
le crépuscule monte et engloutit le conquérant naguère
lumineux.
...Rosenberg commence en remarquant que nous vivons une époque
où l'histoire doit être récrite. Des matériaux
plus riches que jamais s'étendent devant nous; le regard
y découvre des périodes jusque-là ignorées;
la géologie prolonge les perspectives... Que l'Atlantide
soit ou non une hypothèse tenable, on doit admettre, à
la lumière de tous les autres faits, un centre culturel
nordique préhistorique.
«II y a longtemps que nous avons renoncé à
croire à une genèse uniforme, chez tous les peuples,
des mythes, des arts et des religions. La preuve irréfutable
de nombreuses migrations de légendes d'un peuple à
l'autre, la fixation de ces légendes chez différents
groupes ethniques ont au contraire montré que la plupart
des mythes fondamentaux possèdent un centre de rayonnement
déterminé, un lieu de création, et ne semblant
accessibles dans leur forme qu'à certains milieux, si bien
que, même pour les temps les plus reculés, on doit
admettre de gran-
-123-
des migrations de races et de peuples. Ainsi, le mythe solaire,
comme les éléments s'y rattachant, n'a pas été
un «stade normal de l'évolution humaine», en
tous lieux et spontanément; mais il est né là
où la venue du soleil doit avoir été un événement
cosmique inoubliable: dans les régions polaires. Là
seulement, une séparation nette, des saisons se conçoit;
là seulement, le soleil apporte jusqu'au plus profond de
l'âme la certitude d'un renouvellement vital fécond
de notre terre. Pour cette raison, la vieil-le hypothèse,
autrefois ridiculisée, est redevenue vraisemblable: d'un
centre nordique de création - appelons-le l'Atlantide,
sans affirmer pour autant la submersion d'un continent - se détachèrent
en tous sens des tribus guerrières, premiers témoins
de cette nostalgie nordique des horizons lointains, qui pousse
à conquérir, à organiser. Et ces Atlantes,
sur leurs bateaux-cygnes ou leurs bateaux-dragons, pénétrèrent
dans la Méditerranée, et touchèrent aux rives
africaines; quant à la voie terrestre, ils traversèrent
l'Asie centrale pour aboutir à Kutscha, peut-être
même en Chine; enfin, par l'Amérique du Nord,
vers le sud de ce continent.»
D'autres preuves de migrations sont données par le souvenir
de la nuit polaire chez les Perses, les Hindous, par les bateaux
nordiques ainsi que les figures typiquement aryennes sur certains
bas-reliefs égyptiens. Tout parle en faveur d'émigrations
successives, de vagues de guerriers blonds aux yeux bleus. Ces
colonisateurs fondèrent les diverses cultures. Mais le
métissage progressif des Hindous se trahit par la lutte
entre l'individualisme aryen et le magisme négroïde,
par la montée du dernier élé-
-124-
ment. Aujourd'hui, l'Inde abâtardie, où les castes
n'ont plus la mission sacrée de séparer des races
différentes, a cessé pour nous son apport culturel.
Semblable processus pour la culture iranienne.
De même en Grèce: invasions nordiques. Combat des
valeurs aryennes contre celles d'Asie Mineure, finalement triomphantes.
Même drame que l'ascension et la chute de Rome. Drame constamment
recommencé au cours des deux derniers millénaires
et dont la même et crépusculaire conclusion
menace l'Europe entière.
«Les cultures ne sont pas de ces êtres mystérieux,
venus de profondeurs brumeuses comme des cercles tracés
au compas, et qui se posent - on ne sait pour quelle raison -
une fois à tel endroit du globe, une fois à tel
autre; elles sont au contraire dépendantes du sang; elles
sont là, chacune dans son genre, poussant leurs racines
métaphysiques, groupées autour d'un centre insaisissable,
dominées par une valeur; et toutes possèdent, en
dépit des falsifications, une substance vraie, dispensatrice
de vie. Chaque race a son âme et chaque âme, sa race,
son architecture intérieure et extérieure, sa forme
et son attitude caractéristiques, son équilibre
propre entre les forces de la volonté et de la raison.
En fin de compte, chaque race ne produit qu'un idéal suprême.
Celui-ci est-il transformé ou même renversé
par d'autres systèmes sélectifs, ou par l'irrésistible
infiltration de sang hétérogène et d'idées
étrangères, alors cette évolution intérieure
se trahit par le chaos et les catastrophes. Car une valeur suprême
appelle un groupement précis et déterminé
par elle des autres normes de vie, c'est-à-dire: elle fixe
le style d'exis-
-125-
tence d'une race, d'un peuple, d'un groupe ethnique parent
de ce peuple. C'est pourquoi son renversement équivaut
à la dissolution de la tension psychique organiquement
créatrice.
«Après de telles catastrophes, il peut arriver que
les forces intérieures se réunissent à nouveau
autour de l'ancien centre et engendrent sous des conditions nouvelles
une nouvelle forme de vie. Que ce soit après une victoire
définitive sur les valeurs hétérogènes,
un instant menaçantes, ou que ce soit après la formation
indépendante d'un second centre de cristallisation... Mais
la simultanéité et la contiguïté de
deux ou plusieurs conceptions du monde relevant de valeurs suprêmes
différentes, cela représente une demi-solution,
néfaste parce qu'elle contient le germe destructeur. Si
le système fraîchement introduit parvient à
ébranler la foi en les anciennes idées et à
ruiner physiquement comme à réduire en esclavage
les porteurs de ces idées: les races et les peuples, alors
nous assistons à la mort d'une âme culturelle, dont
l'incarnation disparaît aussi de la surface terrestre.»
La deuxième partie, amour et honneur, raconte le
combat de deux tendances dominantes. Rosenberg croit discerner
en lui-même et dans l'histoire ce trait essentiel du caractère
nordique: l'honneur - quelque chose évidemment d'indéfinissable,
qui se doit suggérer par voie mystique. A cela s'oppose
la tendance dominante de l'aryen déjà abâtardi:
l'amour, tel qu'il a imprégné de plus en
plus l'Inde en n[a]ufrage, tel qu'il se retrouve dans le christianisme
orientalisé de l'Eglise. En raison des plus ou moins importantes
infiltrations de sang noir en Europe,
-126-
on voit monter la valeur suprême de l'amour qui, à
l'époque moderne, s'incarne aussi bien dans le catholicisme
que dans l'humanitarisme démocratique, l'amour qui de plus
en plus pose comme idéal la fusion des races, qui veut
donc que l'ombre engloutisse les derniers Atlantes, soit le sang
européen le plus précieux. Cet antagonisme s'inscrit
dans les guerres religieuses, dans l'ascension de la franc-maçonnerie,
dans l'avènement des régimes démocratiques...
Mais ne tentons pas la vaine entreprise de rapporter en quelques
lignes l'histoire que Rosenberg récrit pour montrer l'antithèse
de l'amour et de l'honneur.
La troisième partie, Mystik und Tat, contient les
paroles pour moi les plus émouvantes. Je n'en dirai rien,
conscient que je suis de ne pouvoir exprimer par des considérations
critiques le contenu de ces pages. Il faut avoir vu, sous la plume
de Rosenberg, revivre Meister Eckehart, Goethe et Beethoven...
Je me borne à exprimer ici ma reconnaissance, à
rendre hommage.
Le contraire serait lâcheté.
Livre deuxième: L'essence de l'art germanique. Le
contenu en est trop riche pour être même esquissé.
Je compte y revenir dans un écrit consacré au philosophe.
Livre troisième: Le Reich de demain. La quasi-totalité
peut se transcrire sous le titre de l'Europe de demain.
Les circonstances ont imposé à Rosenberg un cadre
nationaliste trop étroit. Nul doute que s'il
-127-
vivait encore le penseur en viendrait à élargir
le cadre. Précisément l'idée raciale, un
des leitmotivs de son oeuvre, l'y eût amené.
Encore une citation, pour montrer la manière de Rosenberg
en tant qu'écrivain.
«Un jour viendra où les peuples découvriront
en leurs grands rêveurs les réalisateurs les plus
grands. Ces rêveurs perdus dans leur nostalgie..., nostalgie
qui est devenue pour eux image, songe et but suprême de
la vie. Idée sculptée dans le marbre, de l'esprit
s'ils ont passé sur cette terre comme prophètes
d'une religion, comme philosophes, comme inventeurs féconds
et hommes d'Etat; forme plastique s'ils étaient en même
temps des artistes-poètes ès mots, sons ou couleurs.
Le rêve d'un inventeur est la première manifestation
d'une forme psychique; il attire toutes les tendances dans une
seule direction; par la douloureuse certitude que l'image, si
vive pour le regard intérieur, ne peut pas être réalisé
entièrement, il exalte toutes les énergies de l'âme
et de l'esprit, et enfante pour finir l'action autour de laquelle
une ère nouvelle tourne comme autour d'un axe.
«Il fut un temps où l'esprit nordique, au bord de
la Méditerranée, en Hellade, rêva d'un voyage
au soleil, d'un vol humain par delà l'Olympe. Cette nostalgie
créa le drame d'Icare. Et mourut comme ce dernier, mais
pour traverser de nouveau, semblable à une pulsation, la
vie à un autre endroit. L'homme songeur peupla les espaces
aériens de vierges solaires ou porteuses de glaives, il
aperçut à tra-
-128-
vers la tempête les walkyries galopant au-dessus de lui,
et lui-même il se transporta là-haut, dans le Walhall
infini. La nostalgie ancienne devint image dans Wieland le forgeron,
mourut, encore une fois, pour revoir le jour dans la chambre de
Léonard de Vinci. L'image du poète se transforma
en une volonté révolutionnaire. Une humanité
vigoureuse avait déjà saisi la nature et épiait
ses lois avec le regard du maître encore obéissant.
Mais c'était trop tôt. Quatre siècles après,
les rêveurs du vol humain s'emparèrent à nouveau
du difficile problème. Cette fois, la matière fut
vaincue, l'énergie domptée; la force propulsive,
le moteur était trouvé. Qu'advint-il ? - Brillant,
rapide et souple, un navire aérien d'argent, rêve
de nombreux millénaires enfin réalisé, vola.
Les formes de la réalisation étaient autres que
ne l'avaient pensé les premiers rêveurs, la
technique était et demeura liée au moment, mais
la force psychique d'ascension et de domination, voilà
l'élément éternel: l'inexplicable volonté
dictant le but et triomphant de la pesanteur.» (Mythe
du XXe siècle, Livre troisième, I, 1.)
Je sais, cette traduction est impuissante à rendre la beauté
plastique du texte allemand; toutefois, s'il subsiste quelque
chose de sa clarté et de son ampleur, on sentira l'inspiration
du poète. D'autre part, chacun aura remarqué - et
il rencontrera ce fait dans l'oeuvre entière du penseur
- cette vision synthétique, ce regard saisissant l'ensemble
des problèmes et qui rappelle le second Faust. On apercevra
davantage encore. Rosenberg n'est pas de ceux à
-129-
qui les pensées sont des cadavres dont on fait l'autopsie,
de ceux qui les contemplent avec l'oeil glacé du chirurgien.
Pour Rosenberg, les idées ont mille racines plongeant jusqu'au
plus profond de lui-même; elles sont sa passion, sa vie.
Nous sommes en présence d'un idéaliste, d'un homme
animé d'une croyance, d'un amour. Ses ennemis le qualifieront
de fanatique, mais nous savons ce terme dépourvu de sens.
N'importe quel idéaliste, quel martyr, vu par son adversaire,
est un fanatique.
Que nous apporte le procès de Nuremberg, à part
les habituelles accusations de couardise de la part de la presse
chaque fois que Rosenberg conteste un grief ? Peu de chose: en
trois jours, on «liquide» un penseur... Moyen: l'interrompre
chaque fois qu'il touche à une question philosophique (craignait-on
par hasard de voir la lutte se dérouler sur un terrain
où l'infériorité de la Cour eût été
trop manifeste ?). Autre chose encore: une phrase de Rosenberg,
qui est la réfutation même de la propagande journalistique.
A la face des vainqueurs de 1945, Alfred Rosenberg a déclaré:
«Je crois au national-socialisme».
Ses derniers instants ne démentirent pas sa vie. Après
avoir refusé de recevoir l'aumônier (on lui a fait
la suprême insulte de lui proposer un aumônier, alors
qu'on savait son hostilité radicale envers les Eglises),
Rosenberg refusa de faire une dernière déclaration
sous la potence.
Alfred Rosenberg avait déjà condamné ses
juges.
-130-
Et maintenant, je pose une question: quelle que soit la «culpabilité»
de Rosenberg, les Alliés ne se sont-ils pas chargés
d'une écrasante responsabilité en privant le monde
d'un philosophe dans la force de l'âge, qui eût pu
produire encore de nombreuses oeuvres ? Un jour cette question
sera répétée devant le tribunal de la culture
européenne.
Supposons que Victor Hugo, en 1871, ait été pris
à la suite de la victoire de Napoléon III et condamné
à mort pour ses menées subversives. Malgré
l'âge du poète, la sentence que nous prononcerions
contre Napoléon III ne fait pas l'ombre d'un doute.
Les Alliés ne vont-ils pas au devant d'un tel avenir ?
D'ailleurs le problème est plus général.
On sait que l'Allemagne actuelle se débat dans des conditions
peu enviables. Dès lors, pourra-t-elle continuer à
produire des artistes, des philosophes et des savants ? Quel est
aujourd'hui l'avenir du compositeur, de l'écrivain ? Le
fait qu'ouvertement, sans la moindre pudeur, on les favorise ou
les boycotte en raison de leurs plus ou moins orthodoxes opinions
politiques ne va-t-il pas compromettre la qualité même
de la création ?
-131-
Cette brève esquisse de caractères montre pour deux
des accusés ce qu'elle eût montré pour d'autres:
l'inexactitude des grossières caricatures de propagande.
Le psychologue qui se pencherait sans passion sur ces figures
devrait en donner une image infiniment plus nuancée. Néanmoins,
les passions n'ont pas dit leur dernier mot. Une lutte va s'ouvrir
ayant comme enjeu l'âme des foules et comme objet les condamnés
de Nuremberg en tant que symboles. Lutte semblable à celle
qui se déroulera autour du symbole Hitler, et dont l'issue
- qu'on ne s'y trompe pas - a autant d'importance, sinon plus,
que le sort de la bataille de Stalingrad. La guerre physique a
cessé, mais celle des âmes se poursuit impitoyablement,
se poursuivra jusqu'à la prochaine conflagration mondiale
et par delà cette conflagration jusqu'à la fin de
l'humanité. Des forces d'amour et de haine s'affronteront
toujours autour de quelques symboles.
Nous avons vu, en outre, que sur bien des points les griefs demandent
à être vérifiés. La «responsa-
-133-
bilité» de la seconde guerre mondiale, notamment,
n'a pas été déterminée à Nuremberg,
parce que, de par la procédure adoptée, elle ne
pouvait l'être. Le problème reste intact pour l'historien
- qui le résoudra seulement s'il tient compte de toutes
les données, y compris «Versailles». Mais cette
«solution», elle aussi, dépendra davantage
des forces psychiques et physiques en présence que d'une
étude sereine. La lutte durera probablement jusqu'au jour
où, du fait d'un nouveau conflit, elle deviendra inactuelle.
Comme pour 1914, la «responsabilité» risque
fort de ne jamais être fixée.
Nous avons aussi envisagé les causes et les conséquences
du procès et vu comment celui-ci prend place dans la crise
de concentration politique de notre globe, crise parvenue à
son avant-dernier stade: le dualisme. Les conséquences
à venir demeurent bien entendu problématiques pour
tous ceux qui, comme moi, ne se croient pas prophètes.
Néanmoins, on peut prévoir qu'elles différeront
suivant les vainqueurs de la prochaine guerre. Si c'est l'Amérique
ou la Russie, il y a de fortes chances de voir un procès
de Leningrad ou de Philadelphie. Si c'est l'Europe, on est en
droit d'espérer que «Nuremberg» ne servira
pas de précédent à de nouvelles insanités,
puisqu'il a frappé une partie de cette Europe: l'Allemagne.
En d'autres termes, la portée du «procès»,
sa signification dernière, est liée à l'évolution
des décennies prochaines.
«Nuremberg», aussi bien comme document qu'événement,
aura le sort de tous les donnés historiques de quelque
importance. Etre champ de bataille pour la guerre psychique.
-134-
-135-
Guerre physique, guerre psychique, ai-je distingué: deux
phénomènes qu'en Européens nous devons apprécier
différemment.
La guerre physique est sans doute condamnable.
En effet.
Il est inquiétant de réfléchir à l'importance
croissante des guerres. Avec les 700.000 hommes de la levée
en masse de 1793, avec le million de soldats mis sur pied par
Napoléon en 1812, avec les 10 millions de combattants durant
la première guerre mondiale, chiffre dépassé
depuis lors, nous sommes bien loin des modestes batailles d'autrefois,
des 150.000 hommes à Cannes en 216 avant J.C. ou des 70.000
à Lutzen en 1632. Même en tenant compte des populations
augmentées, la progression demeure frappante... Il ne semble
pas injustifié de déplorer ce processus, si l'on
connaît la «sélection» opérée
par
-137-
la guerre. Apprenant la mort d'un ami sur le front, certains auront
murmuré: «les meilleurs nous quittent», et
auront touché, sans le savoir, à un point important.
En effet, on prélève d'abord pour l'armée
les individus les plus vigoureux. La mort fauchera de préférence
parmi eux, tandis que les êtres mal conformés, malades
ou malingres resteront pour la reproduction. Parmi les soldats,
la mort fauchera de préférence les plus courageux,
parce que, par définition, ils affrontent le plus grand
péril. Les lâches subsisteront. La mort choisira
aussi les plus généreux, car ils s'exposent volontiers
pour l'amour des leurs. - Face à cette sélection
à rebours, on se sent autorisé à condamner
les guerres, quels que puissent être leurs bienfaits «pédagogiques»,
et à rechercher comment supprimer celles-ci, malgré
les gens qui répètent: «Il y en a toujours
eu, il y en aura toujours». En se souvenant que l'Empire
romain a apporté plusieurs siècles - incroyable
n'est-ce pas ? - plusieurs siècles de paix, à part
quelques expéditions coloniales négligeables, on
se demandera si cet état de choses dépend de l'unité
politique alors réalisée. On sera amené à
l'admettre en constatant - et voici la contre-épreuve -
que les crises les plus sanglantes ont accompagné les périodes
de divisions intérieures: guerres de cent ans, de trente
ans, de religion... Cela étant, et si l'on considère
les conflits récents comme des guerres civiles entre provinces
européennes, on est fondé de souhaiter l'unité
continentale, d'autant plus que l'Amérique, la Russie sont
devenues des blocs politiques menaçants - forts surtout
de notre désunion. Il serait naïf d'imaginer ces puissances
reculant de respect
-138-
devant notre glorieux passé, notre culture ! Elles poursuivront
froidement leurs intérêts. Or il y a profit à
s'emparer de pays sans défense pour exploiter les ressources,
bref à coloniser.
Et cela n'équivaudrait point à une catastrophe ?
Le sort de certaines races devrait pourtant nous instruire. L'Australie
a assisté à la quasi-disparition de ses indigènes
devant les blancs; les Peaux-Rouges ont fondu à vue d'oeil
sous l'influence civilisatrice franco-anglaise, ce qui n'empêche
pas les colonisateurs de verser à présent des larmes
de crocodile sur les malheureux Peau[x]-Rouges. Quand l'Europe
aura perdu presque tous ses indigènes, ceux-ci, donc nos
descendants, auront cas échéant la satisfaction
de se sentir pleurer dessus.
Ainsi, double inconvénient de nos guerres: sélection
à rebours, asservissement de l'Europe.
La guerre psychique, elle, se présente d'une autre manière,
déjà du fait qu'elle n'entraîne pas la mort
des plus valeureux combattants. Toutefois, dans la mesure où
elle prépare, favorise et accentue les conflits armés,
elle est également condamnable, et en premier lieu lorsqu'elle
exacerbe les nationalismes européens. Pour cette raison,
la littérature germanophobe en France, francophobe en Allemagne,
doit être discréditée par tous les moyens.
En revanche, si cette hostilité entre Européens
demeure courtoise, si l'on ne pousse pas à la calomnie
de l'adversaire afin de pouvoir l'écraser par la suite
en toute tranquillité de conscience, si l'on veut seulement
l'éclipser en produisant mieux et davantage, alors cet
antagonisme - fondé sur la loyale reconnaissance des mérites
adverses - ne peut que s'avérer fécond.
-139-
L'Europe a le rare avantage de posséder dans l'antithèse
franco-allemande un élément de tension susceptible
d'amener, dans le cas d'une unification politique, un épanouissement
culturel auprès duquel pâlirait la Renaissance.
La domination du monde par une seule puissance - terme inéluctable
de notre évolution politique si la guerre y conduisant
ne fait pas disparaître atomiquement les hommes - cette
unité mondiale, dis-je, rendra la guerre physique pour
longtemps impossible. On devra se contenter de révolutions.
Ce règne de la paix, en soi souhaitable, ne l'est pour
nous qu'à une condition. La «Paix» sera-t-elle
américaine, russe ou européenne ? Seule cette dernière
éventualité nous préserverait d'une disparition
progressive: à l'indienne... L'hégémonie
échoit-elle à notre continent, alors le bon sens
même nous prescrit de la maintenir à tout prix. A
cet effet, il faut une union européenne durable, donc un
renoncement définitif à toute haine et vengeance.
Mais cela n'ira pas tout seul.
Cette réconciliation n'aura vraiment lieu que si les âmes
se sentent solidaires, si elles professent une éthique
commune. Non pas une éthique imposée du dehors,
artificielle et tyrannique, non pas la même morale pour
tous (ce lit de Procuste !), non pas un dogmatisme - chrétien
ou autre. Mais une attitude devant la vie et la société
qui corresponde à notre nature d'Européens, attitude
qui d'ailleurs fut la nôtre durant de longs siècles,
bien que de façon
-140-
imparfaite, à peine consciente, attitude sur laquelle il
importera de mettre désormais l'accent, comme étant
notre trait distinctif. Et c'est ce que relevait déjà
Keyserling: l'importance accordée en Europe à la
personnalité créatrice et combative. Cela, non seulement
pour que les individus de première grandeur aient l'indispensable
confiance en eux-mêmes, mais aussi pour que les autres,
tant dans le domaine des arts et des sciences que dans le domaine
social et politique, sachent aimer et servir les pionniers de
l'Europe, les porteurs de cette flamme prométhéenne
commune à Kant, Beethoven et Napoléon.
Corollaire: lutte contre les valeurs bâtardes, celles des
peuples où notre sang, trop mêlé, livre le
combat de l'agonie, soit qu'il flambe encore en un sursaut hystérique,
soit que, comme une bête malade, il attende silencieusement
son sort. L'attirance morbide de ces valeurs prouve que nous aussi
sommes atteints - mais à un degré moindre, j'en
ai la ferme conviction. Pour nous, la réaction est encore
possible, - et se fera, si nous parvenons à prendre conscience
de nous-mêmes.
Construction juridique arbitraire, phénomène historique
hautement suspect, voilà comment «Nuremberg»
nous est apparu.
On se sera demandé pourquoi je n'ai pas entonné
un hymne de louanges en l'honneur du «procès»,
pourquoi je l'ai soumis à un examen qui n'a pas
-141-
abouti à des conclusions favorables pour lui, pourquoi
j'ai même présenté de deux accusés
des images peu orthodoxes.
Il n'y a qu'une réponse et c'est celle-ci.
«Nuremberg» est anti-européen, parce
qu'une Amérique et une Russie y ont jugé un peuple
d'Europe, parce que des provinces d'Europe en ont jugé
une autre, parce qu'il est né de la haine et du désir
de vengeance et qu'il contribue à perpétuer le désir
de vengeance et la haine, parce qu'il entretient cette division
continentale qui dure depuis la chute de l'Empire romain et qui
nous mène à l'abîme, parce qu'il a mis sur
la sellette certains hommes, dont on appréciera les actes
comme on voudra mais à qui l'on doit reconnaître
du courage, de la générosité, de l'énergie,
bref ces qualités de chefs qu'il ne fallait pas - maintenant
moins que jamais ! - tenter de discréditer, enfin parce
que, sur ordre des nations triomphantes, le bourreau a porté
la main sur un représentant de la pensée européenne.
Voilà pourquoi nous devons nous détourner avec dégoût
de cette justice caricaturale et, après l'avoir reconnue
pour telle, l'oublier.
L'oublier afin de ne pas laisser son souvenir empester l'atmosphère
des décennies à venir.
Car le crépuscule se lève...
Lausanne, décembre 1946.
-142-
-143-
Il y eut d'abord les quatorze points de Wilson.
Il y eut ensuite - le 5 novembre 1918 - le télégramme
de Lansing à Solf. Le secrétaire d'Etat américain
y déclarait les Alliés prêts à conclure
la paix sur la base des quatorze points.
Puis vint l'armistice. L'Allemagne déposa les armes.
Alors vint le diktat.
«Les Gouvernements alliés et associés déclarent
et l'Allemagne reconnaît que l'Allemagne et ses alliés
sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les
pertes et de tous les dommages subis par les Gouvernements alliés
et associés et leurs nationaux en conséquence de
la guerre, qui leur a été imposée par l'agression
de l'Allemagne et de ses alliés.» (Traité
de Versailles, art. 231.)
-145-
«Les Allemands disent que nous avons pris envers eux
l'engagement solennel de conclure une paix wilsonienne, une paix
en accord avec vos quatorze points et les autres principes proclamés
en 1918. A mon avis, il ne fait aucun doute qu'il en est ainsi...
Toutes les dispositions du Traité de paix qui, dans leur
but et leur fin, sont opposées à ces principes ou
les dépassent, constitueraient une violation de l'accord...
Si nous agissons ainsi, il semblera que nous violons l'accord
formel que nous avons conclu en pleine conscience et nous nous
couvrirons d'ignominie; cette paix pourrait même devenir
la source d'un plus grand malheur pour le monde que ne le fut
encore la guerre.» (Lettre de Smuts à Wilson
du 30-5-19.)
«Malgré tous les sacrifices écrasants,
l'armistice n'était qu'un prélude à la paix
qui devait anéantir l'Allemagne et que ses adversaires
discutaient à huis clos. L'Allemagne, fait inconnu jusque-là
dans l'histoire, ne fut pas invitée aux négociations
de paix. Une seule fois, elle eut la possibilité de présenter
par écrit ses objections aux paragraphes mortels, déjà
convenus entre eux par ses ennemis, et encore ne lui laissa-t-on
que très peu de temps pour les formuler. Aussi bien ces
contre-propositions allemandes que les efforts désespérés
entrepris plus tard en vue de réduire l'étendue
de la catastrophe qui menaçait le peuple allemand, échouèrent
devant le refus
-146-
glacial de l'adversaire. On se borna à faire savoir
sèchement à l'Allemagne qu'elle avait à signer
le diktat le 28 juin 1919, sinon les Puissances alliées
et associées reprendraient les opérations de guerre
et le blocus d'affamement se poursuivait. L'Allemagne, qui avait
déposé les armes, se fiant à la parole du
Président Wilson et des Puissances qu'il représentait,
dut capituler devant la force, maintenant qu'elle était
dépouillée de ses moyens militaires. Le 28 juin,
les délégués allemands signèrent donc
le Traité, tout en déclarant qu'ils devaient s'incliner
devant la force inique.»
(ROLF KAPP, «Versailles», p. 18.)
«La proposition de la Commission polonaise de placer
2.100.000 Allemands sous la domination d'un peuple ayant une autre
religion et qui, tout au long de son histoire, n'a jamais pu démontrer
qu'il était capable de former un Gouvernement autonome
durable, doit à mes yeux amener tôt ou tard une nouvelle
guerre à l'est de l'Europe.» (Mémoire
de Lloyd George à la Conférence de la paix, du 25-3-19.)
«En politique étrangère, le programme du
mouvement national-socialiste représente un essai d'amener
à tout prix la révision du Traité de Versailles
- mais si possible de manière pacifique.
-147-
«Cette révision était une nécessité
naturelle. Intenables n'étaient pas seulement les humiliantes
discriminations infligées au peuple allemand et qui allaient
de pair avec son désarmement assuré, mais surtout
la destruction matérielle du présent et l'anéantissement
voulu de l'avenir d'un des plus grands peuples civilisés
du monde, mais surtout l'absurde accumulation de territoires immenses
sous la souveraineté de quelques Etats et la spoliation
du vaincu, privé de biens vitaux irremplaçables
et indispensables à son existence. Que lors de la rédaction
de ce diktat des hommes clairvoyants parmi nos adversaires aient
mis le monde en garde contre la réalisation définitive
de cette oeuvre de folie, cela montre la conviction régnant
même dans ces milieux: savoir qu'il serait impossible de
maintenir indéfiniment ce diktat.
«Il est vrai, on a mis fin à ces protestations et
à ces objections en assurant que la Société
des Nations, créée à ce moment-là,
garantissait de par ses statuts la possibilité d'une telle
révision - révision qui rentrait même dans
ses compétences. Mais alors, l'espoir d'une révision,
loin d'être illicite, était fort naturel. Malheureusement,
instrument docile entre les mains des responsables de «Versailles»,
l'institution genevoise ne s'est pas considérée
comme chargée d'aboutir à des révisions raisonnables;
au contraire et dès le début, elle a vu son rôle
dans une défense à outrance des dispositions de
«Versailles».
«Tous les efforts faits par l'Allemagne démocratique
pour obtenir légalité des droits échouèrent.
«Si le vainqueur a intérêt à
présenter comme
-148-
sacrées les stipulations jouant à son avantage,
l'instinct de conservation pousse tout naturellement le vaincu
à recouvrer ses droits les plus élémentaires.
Pour le vaincu, le diktat d'un adversaire arrogant est d'autant
moins valable que cet adversaire n'a pas été un
vainqueur loyal.» (HITLER, discours prononcé
devant le Reichstag le 19-7-40.)
-149-
II. - DEFENSE AUX ACCUSES DE NUREMBERG D'INVOQUER LES MESURES DE VIOLENCE PRISES PAR D'AUTRES PAYS.
Si loin que remonte l'histoire, elle nous montre les peuples recourant
à la force les uns contre les autres. A Nuremberg, brusquement,
on feint d'exiger des peuples un comportement d'enfants bien sages,
et l'on fait grief à l'Allemagne d'avoir tiré le
glaive pour défendre ses minorités et pour réparer
les coups subis à «Versailles».
Ce reproche, venant de grandes puissances, témoigne d'une
rare hypocrisie, chacun devant savoir en effet que ces mêmes
puissances se sont élevées par la violence.
L'histoire de l'Empire britannique, par exemple, est une longue
suite de conquêtes et d'exterminations. Extermination totale
ou quasi-totale des indigènes d'Australie, de Ceylan, de
Tasmanie, de Nouvelle-Zélande. Extermination de Zoulous.
Extermination de Mahdistes...
-151-
Durant la guerre des Boers, plus de 26.000 personnes moururent
dans des camps de concentration - cette invention de Lord Kitchener.
En 1926, le jugement de Denshawai révéla le despotisme
dont Lord Cromer accablait l'Egypte: quatre paysans condamnés
à mort pour voies de fait sur un braconnier anglais.
En 1918-19, sanglante campagne britannique en Egypte.
Bref, d'innombrables exemples historiques - ou cinq minutes de
réflexion lucide - doivent convaincre chacun de cette loi
élémentaire: n'importe quel complexe politique,
n'importe quel Etat ne subsiste que grâce à la violence.
C'est là le caractère immoral du devenir. Mais c'est
là une nécessité indépendante de la
bonne volonté humaine. Isoler les cas où
l'Allemagne a dû, sous peine de courir au suicide,
se conformer à cette loi, présenter de tels cas
comme les crimes du méchant loup au milieu du troupeau
moutonnier des nations pacifiques, cela dénote chez certains
propagandistes - qui n'ont pas, comme leur public, l'excuse d'être
mal renseignés - une fausseté d'âme si parfaite,
une hypocrisie si hideuse et si basse que nous nous demandons
s'il faut encore attribuer l'invention de cette thèse à
des Européens.
-152-
Un ami autrichien a recueilli et m'a transmis les dépositions
suivantes.
Johann Hirtner, ouvrier agricole à Neudorf 1.
«J'ai été capturé sur le front russe,
à Stalingrad. Avec 6.400 camarades, j'ai été
attribué au camp de Frolow.
«De ces camarades, 4.700 moururent au cours des trois premiers
mois. Les morts étaient jetés par centaines dans
des trous d'obus, puis recouverts. Ce travail incombait à
des commandos de prisonniers.
Hermann Gruber, aide agricole à Limbach 21.
«Le 8 mars 1945, en même temps que cinq camarades
de mon unité d'artillerie, j'ai été pris
par des blindés américains à Hannebach sur
l'Eifel. Lors de notre transport sur la route, un char américain
commença à nous mitrailler. Trois camarades furent
tués sur le coup. Je pus m'enfuir et échapper à
la boucherie.»
-153-
Gregor Minisini, inspecteur supérieur au département
des travaux publics de Kapfenberg, domicilié à Kapfenberg,
Schinitzhof 3.
«La garnison de l'île de Brac fut capturée
le 8 septembre 1944 par des partisans de Tito. Un jour, à
fin octobre 1944, à l'aube, tous les officiers furent tirés
de leurs abris et emmenés. On ne les revit jamais. Les
partisans qui montaient la garde déclarèrent que
tous les officiers étaient «kaputt».
«Après avoir employé la bombe atomique
sans avertissement, en avoir fait renouveler inutilement l'expérience,
nous ne sommes moralement pas justifiés de pendre qui que
ce soit, si logique que cela puisse être.» (Bernard
SHAW, dans le «Daily Express»).
Le 27 juillet 1943, bombardement de Hambourg au phosphore:
«Plus j'avançais vers le canal, plus le nombre
de fugitifs augmentait; il y avait des centaines de personnes.
Les unes couraient, d'autres avançaient lentement
d'un pas traînant. Et tout cela se passait sans autre bruit
que le ronflement gigantesque du cyclone hallucinant. La chaleur
avait tellement desséché les gorges que personne
ne pouvait plus crier. Muettes,
-154-
au prix de leurs dernières forces, les femmes luttaient
pour sauver leurs enfants. Elles les serraient contre elles. Mais,
à l'insu de leurs mères, beaucoup de ces petits
étaient déjà morts.
(...)
«Enfin, une aube grise, sale, apparut. La chaleur avait
diminué et nous essayâmes de sortir du canal. Le
sauvetage était difficile, car l'eau était fort
basse. Nous réussîmes, en nous aidant les uns les
autres, à remonter sur la berge du canal. Parmi les rescapés
se trouvait une femme sur le point d'accoucher.
«Un peu plus haut, des gabarres étaient amarrées
au quai. Nous les détachâmes et partîmes en
direction de Hoopte. Le temps avait passé, et notre stupeur
était encore telle que nous regardions d'un oeil presque
indifférent les ruines fumantes, les cadavres qui flottaient
sur l'eau et ceux qui gisaient le long des rives, carbonisés
pour la plupart.
«Aux environs d'onze heures, je pense, quelques avions américains
apparurent et descendirent fort bas sur la ville. Bientôt
retentit le crépitement des mitrailleuses: c'étaient
les aviateurs américains qui mitraillaient les rescapés.
Ils visèrent particuliè[re]ment les bateaux chargés
de blessés. Je vis trois gabarres sombrer en feu à
la suite de cette attaque. Notre bateau, heureusement, échappa
au massacre.» (Werner HANSEN, Tempête de feu sur
Hambourg, récit paru dans le Mois Suisse de décembre
1944.)
Quartier général, le 20 mars 1942.
Haut-Commandement des forces terrestres.
Groupe: affaires juridiques.
Objet: Le cannibalisme dans l'armée russe.
Les cas de cannibalisme se multiplient dans l'armée russe.
Un officier de santé de l'armée russe, fait prisonnier
dans le secteur de la ... division d'infanterie, au sud de Voronin-Ostroff,
a, le 22 février 1942, déclaré, à
ce sujet, que l'on avait trouvé des cadavres de soldats
russes auxquels on avait excisé et rôti des morceaux
de chair prélevés surtout dans la région
des cuisses.
Le 23 février 1942 une troupe de reconnaissance du ...
régiment d'infanterie, a surpris, au sud-ouest du lac Ilmen,
deux soldats russes qui scalpaient plusieurs cadavres russes.
L'un des corps n'avait plus que la tête et les côtes.
La même troupe de reconnaissance a découvert cinq
autres Russes assis autour d'un feu et qui rôtissaient de
la chair humaine. Interrogés, ils avouèrent qu'ils
mangeaient la chair de leurs camarades tués.
Le 29 janvier 1942, une troupe du ... régiment d'infanterie,
conduite par un lieutenant, découvrit, en perquisitionnant
dans un camp évacué par les Russes, au nord-ouest
de Dratchevo, un feu sur
-156-
lequel était posé un Russe mort au combat. L'abdomen
et les cuisses avaient été rôtis au-dessus
du feu. On avait détaché des cuisses, au moyen d'un
instrument tranchant, des parties que l'on avait rôties.
A un autre cadavre, on avait excisé avec un couteau les
parties charnues du séant.
Le 30 janvier 1942, sous le commandement d'un adjudant-chef du
... régiment d'infanterie, on a mis à l'abri, dans
le même camp des Russes, deux caporaux-chefs allemands tués,
dont les Russes avaient excisé au couteau ou à la
hache la chair des cuisses et de la poitrine.
Par ordre: Dr LATTMANN.
(Document No 142 du Livre Blanc allemand sur les Crimes bolchevistes
contre les lois de la guerre et l'humanité, 2e série.)
-157-
«La femme du commandant du camp (Koch) collectionnait les
articles en peau humaine. Les enquêteurs en ont vu. L'origine
de la peau a été déterminée par sir
Bernard Spilsbury. Une des pièces de la collection était
un abat-jour.» (Paul
HAUDUROY, «Gazette de Lausanne» du 18-8-45.)
..En revanche, il ne semble pas
prouvé que l'accusée ait choisi des victimes pour
se procurer leurs peaux tatouées, ni qu'elle ait réellement
possédé des objets faits avec de la peau humaine.
Voilà pourquoi l'instance judiciaire révisant le
jugement a proposé de réduire la peine à
quatre ans de réclusion, vu que les délits prouvés
ne paraissaient pas justifier une peine plus élevée.» («Neue Zürcher Zeitung»,
29-9-48.)
-159-
«...J'ai parlé cette semaine avec une amie revenue
d'un long voyage en Allemagne. Elle m'a raconté que, dans
une certaine ville - pourquoi ne pas la nommer, c'était
Cassel - on avait obligé tous les adultes à voir
le fameux film sur Buchenwald. Un médecin de Göttingen,
qui suivait le film avec attention, se vit, à son grand
étonnement, lui-même sur l'écran en train
d'examiner les victimes. - Il n'était jamais allé
à Buchenwald et ne pouvait se rappeler l'événement
où il figurait. Il prit alors un collègue avec lui,
afin d'élucider le mystère. Celui-ci reconnut soudain
les circonstances. C'était une partie d'un film tourné
après le raid sur Dresde du 13 février 1945, ville
où en effet le médecin avait travaillé. -
II eût été intéressant de poursuivre
et d'approfondir cette histoire extraordinaire.» («Catholic
Herald», 29-10-48.)
-160-
Les documents 18 et 21 du sixième Livre Blanc allemand
(télégrammes de M. Daladier à l'ambassadeur
de France à Londres) établissent que le gouvernement
français projetait une expédition alliée
en Norvège afin de couper le ravitaillement du Reich en
minerai de fer. Le document 23 révèle l'identité
de vues des Britanniques. Le document 37 confirme que l'Allemagne
a seulement devancé les Alliés en Norvège.
Ainsi, les pièces de «La Charité-sur-Loire»
corroborent en tous points le quatrième Livre Blanc.
Pour l'affaire de Belgique, signalons les pièces 6, 7 et
8 du cinquième Livre Blanc montrant la présence
de troupes françaises en Belgique avant le 10 mai
1940 - fait évidemment incompatible avec une neutralité
véritable.
Affaire yougoslave.
Adhésion de la Yougoslavie au Pacte tripartite le 25-3-41.
-161-
Quelques jours après, coup d'Etat du général
Simovitch et mobilisation générale.
Affaire grecque.
«... Ce matériel qu'aucun personnel ne doit accompagner
serait vendu fictivement au Gouvernement grec. Après débarquement
au Pirée, il serait réparti sur territoire grec
conformément aux indications de l'Etat-Major Armée
française.
Texte de la note manuscrite:
«Le Gouvernement grec est prêt à
accepter dès maintenant du matériel destiné
à d'éventuelles troupes alliées de débarquement.»
(Document du septième Livre Blanc allemand, Télégramme
de l'Amirauté française au Ministère des
Affaires Etrangères, à Paris, du 19-5-40.)
Affaire russe.
L'opposition américano-russe - si menaçante
parfois - offre un rare spectacle à l'historien: elle jette
une lumière crue sur une foule d'éléments
qui en temps normaux seraient demeurés dans l'ombre.
Ainsi, lorsque Washington, se querellant avec Moscou, publia des
documents diplomatiques allemands relatifs aux négociations
de 1941 entre le III e Reich et l'U.R.S.S., les révélations
faites par Hitler dans sa proclamation du 22 juin 1941, traitées
jusque-là de mensonges de propagande, se trouvèrent
confirmées point par point. Les visées russes
-162-
sur la Roumanie, sur la Finlande, sur la Bulgarie sur les détroits
étaient donc bel et bien réelles, et les exigences
de M. Molotov n'étaient pas inventées !... Hitler,
qui, dans la lutte contre l'Angleterre, avait pourtant besoin
de la neutralité soviétique, refusa d'acheter cette
neutralité à un tel prix.
Il refusa, contrairement à l'intérêt immédiat
de son pays; cela, parce qu'il savait le sort de son pays lié
à celui du continent. Une acceptation aurait peut-être
permis d'écraser la Grande-Bretagne, mais l'Allemagne serait
devenue un Etat satellite - comme aujourd'hui cette Pologne pour
la souveraineté de laquelle les «grandes démocraties»
seraient entrées en guerre ! Staline, obtenant sans coup
férir ce que réclamait à Berlin M. Molotov,
tenait l'Europe sous sa patte. Non seulement par la confiscation
du pétrole roumain, mais aussi par les avantages stratégiques
des territoires convoités. L'échec des entretiens
de Berlin, les énormes concentrations de troupes soviétiques
ne laissaient aucun doute: sitôt la bataille d'Angleterre
commencée, Staline attaquerait et profiterait de l'occasion
pour occuper l'Europe.
Hitler déclarait à la fin de sa proclamation:
...Aussi la mission de ce front ne consiste-t-elle plus à
protéger quelques pays, elle consiste à pourvoir
à la sécurité de l'Europe et, par là,
au salut de tous.»
-163-
«Le XIX e siècle
vit naître un nouvel équilibre de forces entre les
nations européennes. La France parvint à donner
une forme à peu près viable à la Révolution;
l'Italie, après des siècles de déchirement,
trouva le chemin de l'unité; l'Allemagne connut une nouvelle
fondation du Reich, et le rêve éternel de ses meilleurs
enfants sembla réalisé... La montée de ce
nationalisme s'alliait aux problèmes d'une nouvelle ère
industrielle, problèmes que la conception libéraliste
était impuissante à résoudre. Cette doctrine
prêchait la liberté de l'économie, du commerce
en particulier; elle vivait dans un optimisme borné, comme
si des facilités dans le transport, dans l'échange
de biens avec d'autres continents, comme si l'augmentation des
commodités techniques, et coetera, représentaient
un progrès de la culture et de la civilisation: un progrès
entravé parfois par des conflits militaires et politiques,
mais malgré tout inarrêtable. On appréciait
dans l'art un moyen de
-165-
se détendre ou de se distraire; on imita ou l'on s'efforça
d'imiter d'anciens styles, et seule une infime minorité
comprit que cet amas de savoir historico-artistique ne pouvait
remplacer la force créatrice... Les antithèses sociales
qui s'annonçaient passaient pour d'inévitables perturbations
du progrès économique. On fermait les yeux devant
ce fait que les industries ravalaient par millions les hommes
dans une classe acceptant elle-même le nom de prolétariat.
On ignorait délibérément qu'une telle classe,
opprimée et constamment croissante, pouvait devenir victime
de doctrines sapant les fondements sur lesquels repose la grandeur
des peuples, des Etats, des cultures. Un regard prophétique
discernait déjà la dissolution, l'effondrement,
les guerres et les révolutions montant à l'horizon.
Dans cette ambiance d'activité mercantile, prétentieuse
et à courtes vues, ce même regard devait rencontrer
d'autant plus de solitude que les mises en garde comme les programmes
nouveaux se perdaient dans le désert, à peine écoutés,
incompris et sans écho. Esquisser l'histoire de cette évolution
équivaut à décrire du dedans la vie de Nietzsche
et à rendre intelligible sa position à l'égard
de l'Allemagne, de l'histoire, de l'Europe, de la religion, de
la question sociale. Il savait fort bien qu'on ne l'entendrait
pas entièrement; il savait aussi qu'il n'appartenait plus
au XIX e siècle et il se disait un «Européen
de demain», un «précurseur du XX e
siècle». Mais cela ne guérissait ni ne
faisait oublier ses plaies - toujours renouvelées lorsque
ses analyses et ses prophéties heurtaient son époque
et demeuraient sans effet. Et cela durant toute sa vie. Plusieurs
ont eu le même sentiment. Plusieurs
-166-
ont espéré en l'Allemagne héroïque
de 1871, - et ont dû voir s'élever à l'ombre
de l'Empire les Bleichröders, les Ballins, et consorts. Plusieurs
ont élevé la voix, et nous les plaçons aujourd'hui
parmi nos prophètes; plusieurs sont passés près
de Nietzsche, les autres ont agi loin de lui: ils ne se sont pas
unis en une force spirituelle et politique. Sous le règne
d'une éthique commerçante et boursière, il
manquait une chose indispensable à la prise de conscience
des peuples: la souffrance commune. Cela, Nietzsche le savait:
«La sélection par la souffrance, par la grande souffrance
- ignorez-vous que jusqu'ici seule cette sélection a élevé
l'homme ?» Seule une souffrance commune augmente la tension
psychique; seul le spectacle du sort de tout un peuple stimule
l'esprit d'invention et le courage de lutter... Seule une semblable
souffrance peut mener les hommes, je veux dire une communauté
entière, à de grandes actions. Et cette circonstance
nécessaire à une action immédiate de la prophétie
sur le peuple, cette circonstance n'existait pas du temps de Nietzsche.
(...)
«Mais précisément de tels solitaires ont
besoin d'amour, de camarades envers lesquels ils puissent se montrer
simples et ouverts, comme ils le sont pour eux-mêmes, de
camarades en la présence desquels cesse la contrainte du
silence et de la dissimulation. Supprime-t-on ces camarades, alors
on crée un danger croissant pour l'avenir de l'esprit allemand.
La plus terrible mesure contre des hommes exceptionnels: les condamner
à rentrer en eux-mêmes de façon si totale
que leur retour à la surface soit chaque fois une éruption
volcanique. Et Nietzsche
-167-
ajoute cette parole émouvante: «Et pourtant, il
se trouve toujours et de nouveau un demi-dieu supportant de vivre
sous des conditions aussi terribles, - de vivre victorieusement;
et si vous voulez entendre ses chants solitaires, écoutez
la musique de Beethoven.»
(...)
«En un sens véritablement historique, on voit
aujourd'hui, dans son ensemble, le mouvement national-socialiste
devant le monde comme autrefois le Nietzsche solitaire devant
les puissances de son temps. Au cours d'une formidable expérience
de la nature et de la vie se renouvelle la guerre de deux principes.
Un monde de financiers méprisables faisant agir ses laquais,
des millions de bolchevistes envieux et leur haine, la conspiration
juive et son travail rageur de dissolution, toutes ces forces,
à deux pas de la victoire, semblèrent soudain sur
le point d'être balayées d'Europe. Depuis ce moment,
sous l'action des forces évincées, des flots d'hommes
et de matériel menacent le coeur du continent, menacent
une doctrine et une attitude devant la destinée; une doctrine
ramenant les formules de combat spirituel et politique à
leur vraie valeur; une doctrine ne considérant, par exemple,
une liberté comme digne d'être défendue que
si elle se fonde sur le sentiment de l'honneur; une doctrine accueillant
le libéralisme dans la stricte mesure où il va de
pair avec une attitude aristocratique, c'est-à-dire avec
la condamnation d'une sélection des faibles, des malvenus
et des insociables; une doctrine enfin saluant une justice sociale
et s'étendant à toutes les parties de la communauté
populaire ainsi qu'à la commu-
-168-
nauté des peuples d'Europe; une doctrine ne se bornant
pas à proclamer et à défendre les besoins
vitaux d'un peuple, mais élevant aussi la voix pour tout
un continent: afin que disparaissent les causes qui lancèrent
des millions d'hommes à l'assaut du Reich et de l'Europe.»
(Alfred ROSENBERG, «Frédéric Nietzsche»,
discours prononcé à Weimar le 15 octobre 1944 pour
le centième anniversaire de la naissance de Nietzsche.)
«...Le maréchal Keitel est apparu comme un technicien
borné, le Burrhus de la Blitzkrieg. Les autres, des sadiques
- même de l'intelligence comme Rosenberg - et des maniaques
de la mort scientifique.» (Otto TREYVAUD, «Crime
et châtiment», dans la Feuille d'Avis de Lausanne).
«En ce qui concerne mes sentiments nationaux, dit Schacht,
je suis fier d'appartenir à une nation qui a donné
naissance à des Luther, Goethe, Kant, Beethoven et d'autres.
«Le juge Jackson proteste contre les considérations
philosophiques de l'accusé, sans importance quelconque
pour le procès.» («La Suisse»
du 1er mai 1946.)
«Lorsque Raeder entreprend de faire l'éloge du
Führer, «personnalité énergique, intelligente
et douée d'une volonté puissante», le président
s'écrie:
-169-
«Le Tribunal a déjà appris tout cela auparavant
de presque chacun des accusés. Si Raeder veut dire qu'il
a été impressionné par Hitler, cela suffit,
le reste est superflu.» (Reuter.)
«Marthin Luther lui-même n'aimait pas les Juifs,
déclare Streicher; s'il vivait, je suis sûr que le
ministère public le ferait comparaître devant cette
Cour.
«Cette réflexion provoque l'irritation du procureur
général des Etats-Unis, qui demande au tribunal
de mettre fin aux commentaires déplacés de l'accusé.»
(Extrait de presse.)
«Je suis heureux de savoir que j'ai fait mon devoir en
tant qu'Allemand et en tant que national-socialiste et comme fidèle
partisan de mon Führer, vis-à-vis de mon pays et de
mes compatriotes. Un jour, je devrai rendre des comptes devant
le Tout-Puissant et je sais qu'il m'acquittera. Je ne regrette
rien. Je considère le fait d'être mis en accusation
par l'ennemi comme une marque d'honneur. Je suis heureux d'avoir
pu travailler pendant de nombreuses années pour mon pays,
pendant la plus glorieuse époque qu'ai[t] connue le peuple
allemand au cours
-170-
du dernier millénaire. Même si je le pouvais,
je ne voudrais pas extirper cette époque de ma vie.»
(Rudolf HESS, dernières déclarations.)
«L'histoire démontrera un jour que nous n'avons
pas voulu la guerre. Le peuple allemand ne porte aucune responsabilité.
Dans leurs réquisitoires, les accusateurs ont traité
la défense et les documents produits par elle comme quantité
négligeable. Les déclarations des accusés,
faites sous la foi du serment, ont été considérées
comme dignes de foi lorsqu'elles servaient l'accusation, ou au
contraire traitées de faux serment lorsqu'elles ne convenaient
pas à l'accusation. C'est une façon bien
primitive d'utiliser les procès-verbaux de la déclaration,
mais ils n'apportent pas une grande conviction.» (Hermann
GOERING, dernières déclarations.)
-171-
-173-
Je signale à l'attention du
lecteur les ouvrages suivants:
LETTRE A FRANÇOIS MAURIAC
de Maurice Bardèche.
Déjà dans ce livre, l'auteur énonce l'essentiel
de sa condamnation de «Nuremberg». Il veut, pour l'honneur
de son pays et vis-à-vis de l'Allemagne future, qu'une
voix française au moins se soit élevée, dénonçant
la mauvaise foi des accusations contre le vaincu.
UM NOVO DIREITO INTERNACIONAL
de Joâô das Regras.
Paru au Portugal en 1947, cet ouvrage attaque avec éloquence
et fougue la «lex nurembergensis». Il est aussi une
analyse fine et pertinente des monstruosités de procédure
caractérisant cette «justice nouvelle».
-175-
Nous souhaitons au plus tôt une traduction française.
[Une recherche dans la base de donnée de la bibliothèque
nationale portugaise ne donne rien. Joao das Regras est un juriste
très connu du 14e siècle. éd.]
LA BARBARIE COMMENCE SEULEMENT
de Manuel de Diéguez.
Bien que la position politique de cet auteur ne soit pas toujours
la nôtre, nous devons reconnaître les très
grandes qualités de son oeuvre: la lucidité avec
laquelle il montre «Nuremberg» comme le début
d'une ère de barbarie et l'enthousiasme qu'il met à
défendre une conception chevaleresque de la vie.
NUREMBERG OU LA TERRE PROMISE
de Maurice Bardèche.
On peut dire d'une oeuvre qu'elle est géniale, qu'elle
est puissante. On peut dire aussi qu'elle révèle
un historien et un moraliste d'une rare maîtrise. Qu'elle
fera époque dans l'histoire de l'unité européenne.
Pour l'oeuvre de Maurice Bardèche, tout cela serait vrai,
sans doute, mais secondaire. Voici l'essentiel: c'est le livre
d'un homme d'honneur.
-176-
|
|
Pages |
|
Préface |
9 |
Introduction |
13 |
|
|
Chapitre I: La Cour a-t-elle qualité de juger ? |
22 |
A)
Considérations de principe B) Critiques préalables C) Thèses en faveur du procès |
|
Chapitre
II: Les faits reprochés peuvent-ils recevoir la qualification pénale de crimes ? |
43 |
A)
Le «complot nazi» B) Les crimes contre la paix C) Les crimes de guerre D) Les crimes contre l'humanité E) L'appartenance aux S.S. |
|
Chapitre III: Les peines infligées se justifient-elles ? |
69 |
Chapitre IV: Choses curieuses à Nuremberg |
75 |
Pages |
|
|
|
Chapitre I: Le procès comme événement historique |
93 |
A)
Les causes B) Les conséquences |
|
Chapitre II: Le «procès» en tant que document historique |
99 |
A)
La réalité des griefs B) Les accusés |
|
Conclusion générale |
135 |
Rappel de quelques faits et documents |
143 |
Notice bibliographique |
173 |
-179-
ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 10 JUILLET 1949
SUR LES PRESSES
DES IMPRESSIONS BONNE-NOUVELLE
POUR LES ACTES DES APOTRES
CHARLES DE JONQUIÈRES, ÉDITEUR
6, RUE DES BEAUX-ARTS, PARIS - 6
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L'adresse électronique de ce document est:
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Ce texte a été affiché en février 2002 sur Internet à des fins purement éducatives, pour encourager la recherche, sur une base non-commerciale et pour une utilisation mesurée par le Secrétariat international de l'Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre et d'Holocaustes (AAARGH). L'adresse électronique du Secrétariat est <[email protected]>. L'adresse postale est: PO Box 81475, Chicago, IL 60681-0475, USA.
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de l'homme, qui stipule:
ARTICLE 19
<Tout individu a droit à la liberté d'opinion
et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être
inquiété pour ses opinions et celui de chercher,
de recevoir et de répandre, sans considération de
frontière, les informations et les idées par quelque
moyen d'expression que ce soit>
Déclaration internationale des droits de l'homme,
adoptée par l'Assemblée générale de
l'ONU à Paris, le 10 décembre 1948.
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