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Paris, le 11 octobre 1998

 

Fugit irreparabile tempus

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Des faussaires et des dupes

par Serge Thion

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La presse française est muette. La presse américaine n'en parle pas. La presse anglaise un petit peu. Seule la presse allemande et suisse-allemande en parle. L'affaire est assez simple. En 1995 paraît chez le prestigieux éditeur Suhrkamp un livre intitulé "Fragments". Il est dû à un certain Benjamin Wilkomirski, juif, natif de Riga, déporté petit enfant à Majdanek et Auschwitz, survivant, sans famille, évacué en Suisse, affublé d'un nouveau nom, Bruno Dössekker, dépouillé de sa mémoire, grandissant dans la région de Zürich. Et puis par une opération psychologique tardive, il retrouve la mémoire et nous confie, par écrit, des visions absolument affrreuses de la vie dans les camps telle que la percevait un enfant -- qui devait avoir dans les trois-quatre ans.

Le livre est un succès, il est traduit en une douzaine de langues; on le range parmi les "grands témoignages" sur l'Holocauste, à côté de gloires aussi lumineuses qu'Elie Wisel et Primo Levi. Benissimo. On le met sur la liste des textes obligatoires dans ces universités bénies où on force les gamins à prendre des "cours d'Holocauste" (grand bien leur fasse, à moins que cela ne leur donne des idées, à la fin des fins...), on lui donne le National Jewish Book Award, le Jewish Quarterly Literary Prize, d'autres tout aussi mirobolants et fourrés de billets verts. En France, les éditions Calmann-Lévy le publient en janvier 1997: flop! La presse ne s'enthousiasme pas pour ces Fragments d'une enfance. Mais il reçoit, sous la houlette de Mme Mitterrand et de M. Philippe Lazare, ancien directeur de l'INSERM, le Prix de la Mémoire de la Shoah. Mazette!

Les critiques de langue anglaise n'en peuvent plus de dithyrambes: "vision poétique", "sombre mémoire proustienne" (NY Times), "le poids de tout un siècle" (Neuer Zürcher Zeitung). Dans The Nation, un hebdo de la gauche libérale et passablement juive en Amérique, le critique ajoute que ce livre est si émouvant et si dépourvu d'artifice littéraire qu'il se demande s'il a vraiment le droit de lui adresser des louanges!!! On n'est donc pas loin du délire et ça commence à sentir le Nobel. Inutile d'ajouter que les histoires que racontent ce livre sont tout à fait extraordinaires dans l'horreur et qu'il bat de nouveau records dans la description des Allemands en bêtes animées de l'esprit du mal. Ouf!

M. Wilkomirski, dont le nom semble bizarrement signifier "la paix des fourchettes", est invité partout. Il parle à l'US Holocaust Memorial Museum de Washington, dans moulte université, et devant les caméras de Steven Spielberg qui veut enregistrer tous les "survivants".

Et puis s'amène un journaliste helvète, Daniel Ganzfried (M. Tout-paix), qui découvre le pot-aux roses. Bruno Dössekker est un enfant suisse illégitime, d'abord nommé Grosjean, adopté ensuite par une famille Dössekker. Il n'est pas plus juif que la dernière des vaches romandes. Il a totalement fabriqué cette histoire que les gogos juifs ont avalé sans douleur. C'est maintenant que certains historiens et certains critiques, comme l'ineffable Raul Hilberg, s'avisent que les "Fragments" sont bourrés d'invraisemblances, d'inexactitudes et de claires impossibilités. Mais la résistance est forte. Dans les communautés en Amérique, beaucoup refusent encore de voir l'évidence: ils se sont fait gruger et ça leur fait trop mal de le reconnaître. Et les affabulations de Dössekker-Wilkomirski leur plaisaient bien, elles en rajoutaient un peu sur les fantasmes qui hantent leurs esprits malades.

Fort de la réussite de sa fraude, l'auteur maintient que les autotrités suisses ont essayé d'araser sa mémoire. Et il ajoute dans ce qui apparaît comme un inconstestable aveu: "Il a toujours été possible aux lecteurs de lire mon livre comme de la littérature". On pense immédiatement aux affabulations d'un autre grand témoin, Rudolf Rosenberg dit "Vrba", auteur d'un rapport sur Auschwitz qui allait trouver son chemin jusqu'aux cercles officiels de Washington en 1945, et qui dut reconnaître, sous la pression de Faurissson, que son témoignage était à comprendre dans le cadre de la "licencia poetarum", la licence que les poètes se donnent de ré-écrire l'histoire du monde à leur convenance.

"Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute". Bruno Dössekker est un faussaire doublé d'un escroc. Le faussaire écrit le livre, ce qui peut être après tout une bonne farce -- pensons à Romain Gary écrivant sous le nom d'Emile Ajar -- mais l'escroc profite matériellement et socialement de la réussite du faussaire. Mais si le cas individuel est de peu d'intérêt, la réception sociale, elle, nous dit quelque chose sur notre monde. L'auteur d'un article sur cette affaire dans The Independent dit que "Such an aestheticisation of history may appeal to post-modernists, to whom the author Wilkomirski may become a hero and emblem of the indefinite play of signifiers, a dance of fact and fiction placing truth in the eye of the beholder." (Une telle esthétisation de l'histoire peut plaire aux post-modernistes aux yeux de qui l'auteur Wilkomirski peut devenir un héros et un emblème du jeu infini des signifiants, une danse des faits et de la fiction qui place la vérité dans le regard de celui qui regarde.) Pour nous qui ne sommes point post-modernes ni même vraiment modernes, nous persistons à croire que la question de la vérité se pose. Quand un journaliste crédule et avide a acheté les "Carnets d'Hitler", la question qui s'est posée d'abord n'était pas celle du contenu de ces "carnets" mais bien de savoir s'il était vrai que Hitler en fût l'auteur. Peu importe ici la façon dont on pouvait démontrer que l'ouvrage était dû à la plume d'un faussaire: on le sut assez vite.

Dans The Independent, l'auteur de l'article pointe l'oreille: "While there are genuine concerns that questioning the book may play into the hands of those who deny the Holocaust, it has also been pointed out that it would be far more damaging to leave it up to readers to determine whether this text should be treated as a document or as a work of fiction, the very ambiguity on which such a denial of genocide thrives." (Alors que certains se demandent sincèrement si le fait de mettre ce livre en question n'allait pas foiurnir un atout à ceux qui nient l'Holocauste, d'autre ont fait remarquer qu'il serait encore plus dangereux de laisser auxw lecteurs le soin de déterminer si ce texte doit être traité comme un document ou comme une oeuvre de fiction, une telle ambiguïté étant précisémment ce qui nourrit la négation du génocide.) Un certain W. Samuelson, "professeur d'études holocaustiques et génocidales" (cela existe!) au Texas (cela existe aussi!), écrit dans H-Holocaust que "these people, by telling their lies, feed the fertile imagination of the wicked deniers... (ces gens (les faussaires) en racontant leurs mensonges, nourrissent l'imagination fertile des méchants négateurs...-- ce qui, avouons-le, serait un comble: les faussaires nourrissant les ennemis des faussaires!) Mais bien qu'ils soient habitués à être toujours désignés comme les boucs émissaires de ce qui ne va pas dans le monde de la représentation fantasmatique du sort des juifs, les révisionnistes n'ont marqué aucun intérêt pour cette mince affaire. Des faux en la matière, ils en ont été submergés: la déclaration de Höss à Nuremberg est un faux qu'on l'a obligé de signer; nombre de documents de Nuremberg sont d'ailleurs des copies de copies de copies vaguement contresignées par des anonymes difficiles à identifier; en outre, aucun de ces documents n'est plus accessible, les archives de Nuremberg étant bouclées à La Haye. Le "protocole de Wannsee" est un document dont l'authenticité n'a pas été prouvée, mais si elle l'était, il n'en demeurererait pas moins que la littérature et la muséographie holocaustique détournent complètement le sens du document et qu'il y a là l'activité même du faussaire, dans son principe. Le "Journal" d'Anne Frank a été palpablement démontré comme étant un faux, au moins partiel. Faut-il parler des Rudolf Vrba, des Filip Müller, des Elie Wiesel, des Martin Gray dont la production a depuis longtemp été analysée et montrée comme non seulement fausse mais inventée à des fins de spectacle et d'horreur? Et de tous ceux qui ont été critiqués et analysés par Rassinier et, à sa suite, par les autres révisionnistes? Nous ne voulons certainement pas dire que tout témoignage est un faux. Mais nous croyons nécessaire de le dire quand c'est le cas.

Les révisionnistes, depuis qu'on leur fait des procès, ont été accablés par ces faux. Ils en connaissent tout un rayon. C'est pourquoi, contrairement aux angoisses de certains timorés, ils n'ont prêté qu'une attention distraite à cette affaire. Des âneries, il en ont trop vu. Mais comme il ne faut pas perdre une occasion de rire, ils ont été saisis d'une franche rigolade à la vue de tous ces pontes de l'holocaustomanie, tous ces génies du génocide réduit en tranches de cours universitaires, tous ces critiques et journalistes de la surenchère médiatique qui ont choisi de paraphraser la devise olympique: toujours plus atroce, toujours plus violent, toujours plus bête. Comme cet idiot de nous bien connu de Wolfgang Benz, chef du Centre pour la recherche sur l'Antisemitismus de Berlin, qui attestait encore début septembre dans Die Zeit "nicht nur Authentizität, sondern auch literarischen Rang" (Non seulement l'authenticité mais le rang littéraire éminent) du livre en question. Tous ces éminents spécialistes, bardés de diplômes, entourés de "conseils scientifiques" genre USHMM, se sont fait attraper par un paysan des quatre cantons, rusé et observateur, qui les a joués par un tour pourtant archiconnu: il a fait plus juif que les juifs. Et ça a marché: à lui le succès, les honneurs, les invitations, les prix littéraires avec les espèces sonnantes et trébuchantes et la considération. Oui, il le faut avouer: cette histoire est ridicule et, comme il ne tue plus, le ridicule amuse.

 

Le hasard fait tromber entre mes mains la première édition française (1957) de Le troisième oeil de T. Lobsang Rampa. On se souvient que ce livre se présente comme le récit autobiographique, pour la première fois, en Occident, de la vie et de l'initiation d'un lama tibétain. Ce livre contient des éléments difficiles à croire, pour le moins. L'éditeur anglais l'a fait précéder d'un avertissement qui donne ceci (dans la version française): ce récit, "il est difficile d'en établir l'authenticité. Nous avons essayé d'obtenir la confirmation des dires de l'auteur, en soumettant son manuscrit à une vingtaine de lecteurs, choisis pour leur intelligence et leur culture et dont certains possédaient une connaissance approfondie du sujet. Leurs opinions ont été tellement contradictoires qu'aucun résultat positif n'a pu être obtenu." L'éditeur souhaite donc que l'auteur prenne l'entière responsabilité de ses déclarations, "ce qu'il fait du reste de bonne grâce". L'éditeur s'avoue persuadé qu'il s'agit d'un témoignage authentique et dit que ceux qui en jugent autrement "seront tout au moins d'accord pour reconnaître à l'auteur un rare talent de conteur"... Encore le coup de la littérature.

Le livre a connu un succès immense. D'autres livres sont venus poursuivre et amplifier ce succès éditorial.

Tout cela, longtemps avant que l'on s'apercoive que le fameux lama tibétain au troisième oeil n'était rien d'autre qu'un major britannique de l'armée des Indes, à la retraite, qui avait, en effet, un talent de conteur. Les Tibétains ont survécu à ce charlatan. Les horreurs réelles de la vie dans les camps de concentration demeureront connaissables, surtout si les faux-témoins, les charlatans et les profiteurs sont chassés du temple. Et qui d'autres que les révisionnistes sachant manier le balai pourraient faire place nette? Il est vrai qu'ils commencent à avoir beaucoup d'émules et que ces émules se doivent, pour publier, de dénoncer les révisionnistes. N'est-ce pas sous la plume d'un de ces dénonciateurs-qui-nous envient-secrètement que l'on trouve ces phrases récentes? "Ah qu'il est doux d'être juif en cette fin de XXe siècle!... L'esprit du monde nous aime, nous honore, nous défend, prend en charge nos intérêts; il a même besoin de notre imprimatur" (Alain Finkelkraut) Mais il trouve que la soupe est trop bonne et qu'il faut s'en plaindre: "Je souhaiterais, ajoute-t-il, que ces nouveaux amis [des juifs] si démontratifs soient tous également des amis scrupuleux de la vérité." Cet homme est vraiment très méchant avec ses petits copains. Il conclut par cette phrase: "Notre époque est trop appliquée à prendre la pose pour se soucier de répondre aux vrais défis de la mémoire et du présent." Il trouve donc que le nouveau Baal n'est pas convenablement nourri. Il s'est depuis longtemps proposé comme grand-prêtre. Mais les candidats ne manquent pas; ils ne cessent pas de se chicorer pour la place. Nous, notre genre, ce serait plutôt de renverser les idoles, Baal compris. Mais nous n'avons rien à mettre à la place. C'est notre faiblesse et nous l'aimons.


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Sources:

-- Binjamin Wilkomirski (Swiss musician and instrument builder), Bruchstücke. Aus einer Kindheit 1939-1948 Suhrkamp, 1995. Fragments: Memories of a Wartime Childhood, Schocken, 1996 (Translation by Carol Brown Janeway). Fragments d'une enfance, Paris, Calmann-Lévy, 1997, 138 p.

-- Binjamin Wilkomirski, enregistrement de septembre 1997 à l'US Holocaust Memorial Museum, numéro d'archives: RG-50.030*0385.

-- Binjamin Wilkomirski et Elitsur Bernstein (psychologue israélien), conférence sur "Die Identitätsproblematik bei überlebenden Kindern des Holocaust. Ein Konzept zur interdisziplinären Kooperation zwischen Therapeuten und Historikern", congrès de Traumatologie de l'Holocauste (sic et resic!!!), Vienne (Autriche), novembre 1997. Quand l'holoscience se penche sur un cas miraculeux, tout devient possible.

-- Daniel Ganzfried, article dans Weltwoche, en septembre 1998.

-- "Dichtung und Wahrheit", Tages-Anzeiger, 13 sept. 1998

<http://www.tages-anzeiger.ch> Voir "archiv".

-- Wolfgang Benz, Die Zeit , Nr. 37, 1998.

-- Jörg Lau, "Darf man Erinnerungen an den Holocaust erfinden?"Die Zeit, Nr. 39, 17 Sept. 1998:

<http://www.ZEIT.de/archiv/1998/39/199839.wilkomirski_.html>

Il rappelle le mot d'Adorno déclarant qu'après Auschwitz on ne pourrait plus écrire de poèsie ("Das perennierende Leiden hat soviel Recht auf Ausdruck wie der Gemarterte zu brüllen; darum mag falsch gewesen sein, nach Auschwitz ließe kein Gedicht mehr sich schreiben.") Mais, pendant Auschwitz, Adorno était au chaud à New York. La douleur des autres est une denrée qui ne vaut plus tripette.

-- The Independent, Londres, 30 September 1998. Cet article est en gros un plagiat du précédent.

-- <[email protected]>, Professor, Holocaust and Genocidal Studies Trinity University, San Antonio, Texas, sur [email protected], 15 sept. 1998.

-- Leon de Winter, Fiktionalisierung des Holokaust, Spiegel, 1 Okt. 1998.

-- Rudolf Vrba, son témoignage, procès Zundel, Toronto, 1985.

-- Martin GRAY, Au nom de tous les miens.

-- Elie Wiesel, La Nuit.

-- Filip Müller, Trois ans dans une chambre à gaz, 1980.

-- T. Lobsang Rampa, Le troisième oeil, Albin Michel/Club des éditeurs, Paris, 1957.

-- Alain Finkelkraut, Mrg Stepinac et les deux douleurs de l'Europe, Le Monde, 7 octobre 1998).

 

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