AAARGH

 

Paris, le 27 April 1999

Fugit irreparabile tempus

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OTAN SUSPENDS TES VOLS

 

par Serge Thion

 

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Pour ceux qui, comme nous, ont observé de près, souvent sur place, le remplacement, à partir du Biafra, des humanitaires traditionnels, bonnes soeurs et croix-rouges, par des personnalités merdiatiques, des médecins en quête de carrières politiques et autres plumitifs ignares, le mot humanitaire déclenche un mouvement antipéristaltique difficilement contrôlable. En mai 1991, nous intitulions l'éditorial du numéro 4 de la Gazette du Golfe et des banlieues: "La guerre humanitaire" (voir annexe).
L'idée qu'on allait pilonner la Serbie pour des raisons "humanitaires" était évidemment une fumisterie gigantesque. Depuis un mois la question se pose: est-ce que cette guerre otanique est faite par des imbéciles qui n'avaient pas imaginé que les bombes tombant sur la Yougoslavie auraient un effet quasi mécanique au Kossovo, ou, si les chefs militaires l'avaient prévu, cette guerre aurait-elle des buts cachés, inavoués parce qu'inavouables?
On peut répondre franchement: les deux, mon général. J'ai eu l'occasion d'observer de très près, sur le terrain, et parfois sous les bombes et le mitraillage des hélicoptères, le comportement des gradés des armées américaines, ce que leur jargon militaire appelle le "top brass", la clinquaille supérieure. Je puis confirmer que le degré de stupidité et d'étroitesse mentale est aussi élevé et peut-être même plus, dans l'armée américaine que dans les autres. Essayer de faire comprendre quoi que ce soit à un général US est un vrai travail de Sisyphe.
[Note de l'auteur : Vous en trouverez des chroniques dans Catch-22, de Joseph Heller ou, mieux mais mois drôle, dans Neil Sheehan, L'Innocence perdue, A Bright Shining Lie,Random, 1988, Le Seuil, 1990]
La discussion sur le choix des cibles doit être surréaliste, car les militaires ont des euphémismes bizarres pour parler des destructions et des meurtres de masse qu'ils pratiquent professionnellement. On ne parle pas d'une maison mais d'une "structure ennemie", et ainsi de suite...
Il faut déjà relever d'entrée un paradoxe: dans une zone petite comme la Yougoslavie actuelle, les Otaniques ont l'air de ne pas savoir exactement quoi frapper. D'ailleurs, ils restent très discrets sur les cibles réelles et les dégâts réels. Or, ils ont, au-dessus de la zone, vingt ou trente satellites qui prennent des photos ou des mesures radar qui doivent permettre de lire le titre du journal qu'un idiot de Serbe serait en train de lire le matin au bistrot. Ils ont des avions d'espionnage électronique qui survolent en permanence. Et en même temps, on nous dit qu'on ne sait pas où sont passées des colonnes de dizaines de milliers de réfugiés, qui se seraient soudainement évanouies. Les états-majors se fichent du monde.
Ce qu'ils cherchent à dissimuler c'est l'ampleur de leur impuissance. Les bombardements ne sont pas une arme très efficace.

LA POLITIQUE DE LA CANONNIERE

Ce procédé fonctionnait de la façon suivante: arrivant chez des gens qui n'avaient pas de biens industriels (bateaux à vapeur, canons modernes) les puissances coloniales amenaient un bateau ainsi équipé. Il s'embossait devant le palais royal et menaçait directement le souverain local. Les moyens matériels des indigènes ne permettaient pas de menacer la canonnière. Un bateau suffisait. C'est ainsi que furent conquises maintes possessions africaines et asiatiques par les heureux possesseurs d'une petite supériorité technique, disponible dans les débuts du XIXe siècle. Cette petite supériorité purement matérielle a permis également les plus énormes "nettoyages ethniques" -- pour employer le mot à la mode -- que l'histoire ait connus: la quasi disparition des Amérindiens de l'Amérique du Nord, et des aborigènes d'Australie. Ce que fait Milosevitch au Kossovo, à l'échelle artisanale, a été pratiqué en grand par les prédécesseurs de gens qui profitent aujourd'hui de ces vastes espaces, de ces énormes ressources naturelles, qu'ils ont volés à leurs légitimes possesseurs en les obligeant, fusils dans les reins, à quitter leurs villages en flammes. Personne n'est venu bombarder Washington ou Sydney pour empêcher de si colossaux crimes contre l'humanité -- toujours pour rester dans les expressions à la mode. Ce que fait l'Otan est donc dans le droit fil d'une politique de puissance, d'une Machtpolitik, qui ne s'est jamais embarrassée de scrupules quant au cortège de morts et des destructions qu'elle laisse après elle. Et il n'est pas besoin de remonter bien haut: il suffit d'évoquer l'action sur le Panama (décembre 1989), la capture de Noriega et les mille à deux mille morts qu'elle a coûtés, jamais montrés à la télévision. Rappelons que Noriega, trafiquant notoire, était un employé des services de renseignement américains, et donc pas même un "ennemi" véritable.

YOUGOSLAVIE OU POLDEVIE?

Au début de ce siècle, des amateurs de canular avaient inventé la Poldévie, un quelconque pays balkanique victime d'un destin funeste. Si ce canular a connu un certain succès dans les milieux du journalisme et de la politique, c'est que la perception de cette région balkanique a toujours été confuse. Depuis le début du XIXe siècle, elle a été le lieu principal de l'affrontement entre l'Europe occidentale qui s'industrialisait et le vieux géant qui somnolait, l'empire ottoman. Si la Grèce obtint l'indépendance, dans des frontières encore étroites, la Serbie s'est autonomisée. Mais tout le XIXe siècle a été un affrontement sanglant entre deux dysnaties de soudards, les Karageorgevitch et les Obrenovitch. Placés de part et d'autre de la ligne de fracture entre Est et Ouest, catholicisme et orthodoxie, Habsbourg et Ottomans, les Croates et les Serbes, qui ne sont sous tous les autres critères qu'un seul et même pleuple, héritent d'une identité fondée entièrement sur l'affrontement avec le voisin. Les Européens, alors nommés « les Puissances » fouaillèrent les embryons de nationalisme. A coups d'intrigues et d'argent, on se faisait des clientèles balkaniques que l'on lançait les unes contre les autres. C'est de là que vient la pseudo « amitié traditionnelle » entre les Serbes et les Français. Manipulations et guerres civiles. Car si les Européens étaient unis dans leur désir de démanteler l'empire ottoman, ils ne s'entendaient pas du tout sur la dévolution des morceaux qu'ils arrachaient peu à peu à la Sublime Porte. Alors la Poldévie pouvait bien exister dans l'imaginaire qui ne voyait dans les Balkans qu'une fourmillière de types basanés toujours fort occupés à s'entrégorger.
Déjà à cette époque-là (avant la guerre de 14) les Balkans et la Mer Noire fournissaient un lieu propice aux affrontements en vase clos: Anglais, Français, Austro-Hongrois, Turcs, Russes pouvaient y jouer leur partie, faire leur kriegspiel et s'adonner à de longues et furieuses conférences internationales. C'est un rôle utile, que le Liban a joué pendant quinze ans, et qui revient à nouveau dans les Balkans. On peut se demander pourquoi.
On peut se demander ce que vient faire là une Puissance qui n'y avait jamais joué aucun rôle auparavant, les états-Unis. Pour l'opinion américaine, la Yougoslavie, les Balkans, le Kossovo n'existent évidemment pas plus que la Poldèvie ou les pingouins du pôle sud. Tous les pétochards mondains vous le disent avec insistance, comme pour mieux justifier l'intervention : les Américains n'ont pas d'intérêts au Kossovo
[Note de l'AAARGH : l'auteur se trompe ; les États-Unis ont toujours intérêt à bombarder et à détruire ; leur économie ne survit que par l'anéantissement et l'assujettissement des autres économies du monde. C'est ce que les professeurs de géographie et d'économie appellent pieusement « la mondialisation » ; c'est ce qu'à l'AAARGH nous appelons la loi du plus fort, ou encore le grand capital ; voyez les Espagnols obligés de jeter leur maïs à la mer pour acheter du maïs américain, voyez les bananes antillaises et surtout, voyez le « plan Marshall » ! Mais Serge Thion croit fermement à la puissance américaine, comme d'autres croient à l'extermination des juifs par les nazis.]. C'est vrai. Et c'est d'autant plus inquiétant. En Irak, ils avaient, si l'on peut dire, l'excuse du pétrole. On sait que la décision d'attaquer l'Irak a été prise au cours d'une réunion du conseil de sécurité américain où les participants se virent infliger un laïus du président Bush sur le pétrole auxquels, de l'aveu des témoins, ils n'ont rien compris, n'ayant pas eu l'avantage comme ledit Bush d'avoir fait fortune dans le pétrole avant d'entrer dans le renseignement et la politique. Là, au Kossovo, il y a bien un complexe minier intéressant, mais son importance semble minime.
En réalité, les Américains se fichent éperdument de ce qui se passe au Kossovo dont les habitants étaient certes opprimés par le régime Milosevitch, surtout depuis dix ans, mais il faut bien admettre qu'ils l'étaient beaucoup moins que les Kurdes en Turquie, les Tibétains en Chine, les Indiens au Guatemala et beaucoup d'autres minorités maltraitées par des gouvernements alliés des Américains. L'idée qu'il y aurait d'ailleurs le moindre sentiment humanitaire, le moindre respect d'un quelconque des droits de l'homme dans la politique extérieure (et intérieure) des Etats-Unis d'Amérique serait immédiatement démentie par un examen sommaire de son passé, de ses pratiques actuelles et de sa structure de pouvoir. Demandez aux Noirs américains ou aux Amérindiens ce qu'ils en pensent, aujourd'hui.
On peut donc écarter toutes les motivations avouables que le pouvoir US met en avant, tant auprès de son opinion publique que de celle des Européens. En fait, la raison profonde de l'intervention américaine, otanique par surcroît, reste profondément enfouie.

RAMBO

Pourtant, il est clair que l'origine est américaine. De bons esprits voudraient nous faire croire que c'est l'Europe qui aurait désiré intervenir. Depuis les débuts de la crise yougoslave, on voit bien que l'Europe n'intervient qu'avec les armes et les concepts du XIXe siècle, par clientèles locales interposées. Les Allemands ont armé les Croates et mis le feu aux poudres. Vieille technique. Dans le cas du Kossovo, soumis à la botte de fer de Belgrade depuis une dizaine d'années, la situation était relativement stable. Le Kossovo avait profité, au cours des vingt ou trente dernières années, d'une relative amélioration des niveaux de vie dans la Yougoslavie. La faiblesse de la participation des Albanais dans la vie politique locale était un fait, malheureux mais établis depuis des décennies. Le détonateur aura été le surgissement d'une sorte de milice, l'UCK. La politique non-violente de Rugova, qui n'avait pratiquement aucun écho du côté européen, était depuis le début menacée par une telle irruption. Or les origines de l'UCK sont entourées d'un épais mystère. On nous dit que les uniformes flambants et les armes ont été payés par de mystérieux "trafiquants de drogue". C'est une aimable plaisanterie destinée à être avalée par les gogos du journalisme. Il n'y a pas de drogue au Kossovo et les trafiquants ne feraient pas de choses de ce genre d'eux-mêmes. Ils ont donc servi de couverture à une opération qui doit être purement américaine. On sait que les militaires américains ont un passé solidement établi de collaboration avec des réseaux de trafics de drogue, à commencer par la mafia en Sicile en 1944-45, pour continuer par le Laos et la "guerre secrète", l'Afghanistan et d'autres.
La création d'une milice armée, dans une région où les Serbes sont très minoritaires, depuis très longtemps, a forcément été perçue par Belgrade comme le début d'une entreprise de destruction de la Yougoslavie réduite aux acquêts, comme la création des milices croates l'avaient été de la destruction de l'ancienne Yougoslavie, de Pierre Ier et de Tito.
Le reste est un enchaînement logique: soumis à la pression, les forces militaires serbes commencent à se créer des zones de sécurité en chassant les habitants albanais et en brûlant les villages qui pourraient abriter et nourrir l'UCK. Les Américains imposent l'ouverture de négociations à Rambouillet et mettent au point des conditions totalement inacceptables pour n'importe quel gouvernement siégeant à Belgrade. Une des clauses de l'« accord » de Rambouillet prévoit, par exemple, que les forces américaines auront libre accès par terre, par mer et par le ciel à tous les points du territoire yougoslave, en cas de besoin, et que lesdites troupes américaines ne pourraient pas faire l'objet de poursuites judiciaires locales. (voir annexe 2) En somme, la bonne vieille extra-territorialité coloniale. (Les Italiens viennent d'en jouir amèrement avec l'avion qui a fait tomber un téléphérique dans les Alpes). Celui qui a vu qu'il y avait le nom de Rambo dans Rambouillet a bien vu.
A Rambouillet, la menace était simple et claire, avec l'hypocrite complaisance des Européens qui jouaient sur le devant de la scène (le numéro des clowns Fox et Védrine était particulièrement affligeant) : ou vous acceptez ou on vous bombarde. On fait ça à l'irakienne.
Ce genre de procédé ne relève pas de la diplomatie mais bien plutôt des méthodes de la Mafia, que les politiciens américains connaissent si bien. Du pur chantage. L'exemple irakien montre que les hyènes du Potomac inventent de nouvelles conditions à remplir à chaque fois que l'ennemi, battu et humilié, cherche à remplir celles qu'on lui a proposées pour sortir de la guerre.
Les bombardements sont tombés sur des gens qui étaient prévenus et qui ont donc pris des dispositions de nature militaire : ils ont dispersé les hommes et le matériel lourd et, dans la perspective d'une tentative de conquête du Kossovo, ils ont dégarni les zones frontalières de leurs populations prêtes à collaborer avec l'envahisseur, qu'ils ont chassées par la force et la terreur. Tout cela était parfaitement prévisible. Dire que les militaires ne l'avaient pas prévu sous-entend qu'ils sont payés pour penser, ce dont on ne risque pas de les accuser.
Les Américains étaient donc d'autant mieux préparés à entrer dans le conflit qu'ils l'ont déclenché eux-mêmes et qu'ils le pilotent pour l'instant avec persévérance, et non sans succès. Nous sommes donc dans cette situation extraordinairement bizarre d'avoir une guerre menée en Europe par les États-unis d'Amérique, une guerre qui fait penser à celles qu'ils ont faites en Asie, Corée, Viêt-Nam, et en Amérique latine. Au Moyen-Orient et en Afrique, ils n'ont fait que de brèves et grotesques interventions.
Sur le plan du droit, cette guerre est totalement dépourvue du moindre fondement. L'Otan, qui est un pacte de défense, passe à l'attaque d'un pays qui ne le menace nullement. On apprend donc que l'Otan n'est pas ce que l'on croyait que c'était. L'ONU n'est qu'une fiote inutile. Nous avions déjà observé que la Charte avait été totalement et définitivement abrogée de facto lors de l'intervention en Somalie: là, la charge de l'intervention avait été confiée, non pas aux Nations Unies ni à un groupe de pays agissant au nom de la communauté, mais aux seuls États-Unis, avec un mandat qui recommandait la "reconstitution" d'un pouvoir politique. On sait que nulle autorité somalienne n'avait demandé cette intervention. Les Nations unies sont légalement mortes lors d'un débarquement ridicule des Marines sur la plage de Mogadiscio. Alain Joxe avait alors attiré l'attention sur la manière qu'avaient les Américains de jouer entre « casques bleus » et « casques kaki ».
Débarrassé de l'ONU et de l'Otan organisation de défense, on peut donc attaquer un pays souverain et le bombarder : il n'y a donc plus de droit international, fondé sur la souveraineté des États. On peut s'en plaindre ou s'en réjouir car ce droit était hypocrite, mais enfin, il a fondé l'ordre mondial depuis la deuxième guerre mondiale. On a donc affaire à un pouvoir qui agit arbitrairement et qui se fabrique des ennemis comme il se crée des alliés. Lorsque Hitler pratiquait cette même politique aux dépens de ces voisins, avec sans doute un peu plus de justifications, on le condamnait. Son régime est aujourd'hui voué à une juste exécration. Est-il probable que l'avenir réserve le même traitement aux expansionnistes américains?
Il semble bien que le premier but de cette guerre soit là : en dehors de toutes considérations juridiques (plus de droit) et politique (la Poldévie), le Pouvoir (mondial) demande à ceux qui voudraient être ses alliés de se mettre en rang, le petit doigt sur la couture du pantalon et d'obéir sans moufter. Washington veut éprouver notre nature d'esclaves, à nous autres Européens. L'Europe, et avec tout le mal que l'on peut -- et que l'on doit -- en penser, vient de faire un geste qui pourrait avoir des conséquences : l'unification monétaire. Mais elle n'a pas abordé le problème de l'unification politique. C'était donc le bon moment pour les Américains de convaincre chacun des gouvernements de l'Europe qu'ils ne sont que de petites crottes de pigeon qu'il est facile de piétiner. Ils doivent défiler enchaînés au char de la politique américaine. Le cinquantenaire de l'Otan, c'est le triomphe de César, et la montée vers le Capitole. Toute l'imagerie est là. Mais nous ne savons plus où est la Roche tarpéïenne.
Avec la Poldévie comme terrain, les Poldèves comme chair à canon et les idiots albanais comme lamentables téléréfugiés, l'Otan comme instrument militaire à 90 % made in USA, la cohorte des larbins chirac, des pauvres blairs, des lamentables schröder, Israël dans la poche revolver, l'Amérique rassemble les éléments de son hégémonie.
Certains, qui seraient animés par un anti-américanisme primaire qui a très mauvaise cote dans la presse servile qui nous bat les oreilles tous les jours, pourraient croire que l'Amérique veut l'hégémonie pour l'hégémonie, pour le plaisir narcissique de se dire la plus grande, la plus forte, etc. Certes, il doit y avoir de ça dans la culture des vachers (dits aussi cow-boys) qui occupent les fauteuils à Washington.
Mais la vérité se cache sans doute derrière une illusion que nous pourrions formuler ainsi : la guerre froide est finie. Or, justement, elle n'est pas du tout finie.
Certes, le communisme, ou ce qui en portait le nom, est tombé il y a dix ans. Certes, l'empire soviétique s'est effrité. Certes l'armée rouge n'est plus que l'ombre d'elle-même. Certes, le pitre alcoolique que l'Occident a imposé au Kremlin s'y vautre toujours. Certes, toute la substance financière russe se transmute dans les banques suisses. Tout cela est vrai, et même plus vrai encore. Mais il reste une extraordinaire menace. Il reste dix ou vingt mille armes nucléaires, dotées de vecteurs en état de marche, contrôlés par des groupes militaro-business éclatés, agités de querelles intestines que nous ne connaissons pas bien. Les seigneurs du moyen âge avaient recours à des routiers, des bandes de mercenaires qui finissaient par guerroyer à leur propre compte. La décomposition de l'Union soviétique pourrait créer des situations semblables. L'État russe s'affaiblit toujours plus. Il n'est pas une menace politique mais il recèle un potentiel de danger militaire nucléaire. La guerre froide ne sera pas finie, tant que ce danger ne sera pas physiquement éliminé. Le politique ne suffit pas. Pour les candidats à l'hégémonie mondiale, il reste le souvenir de la trouille qu'ils ont eue pendant quarante ans des fusées soviétiques. L'avenir de ces milliers d'armes nucléaires, plus ou moins abandonnées, est incertain. L'hégémon veut les détruire, pour ne plus avoir de cauchemars. C'est logique.
On pourrait négocier, racheter, une par une, ces armes monstrueuses. Ça coûterait cher, mais ça injecterait de grosses quantités d'argent dans l'armée russe et c'est une solution qui pourrait se révéler à double tranchant. Il faut donc, du point de vue des hégémonistes US, procéder d'une autre manière: continuer à détruire tout ce qui se trouve autour du coeur soviétique, les ressources financières, les matières premières, les bases industrielles, la centralisation politique, le glacis centre-européen, les franges d'Asie centrale, l'arrière sibérien, etc. Tout doit être rasé, dissous, déconstruit, vendu, exporté.
Avec l'Opération Kossovo, les Américains font un grand pas en avant : à l'instant où ils intègrent la Pologne et la Hongrie dans l'Otan, promettant à ces nouveaux toutous un avenir doré contre de solides chaînes d'acier, ils entreprennent d'écrabouiller l'un des deux seuls alliés inconditionnels de Moscou dans les Balkans (l'autre étant l'insignifiante Bulgarie). Ils mettent leurs esclaves européens en ordre de bataille, montrant ainsi à toutes les républiques bananières d'Europe centrale et orientale , y compris, sans doute l'Ukraine, qu'il faut ramper aux pieds du maître pour ne pas se faire écraser sous les bombes.

LA CIBLE RUSSE

Toutes ces pressions n'ont qu'une seule cible: les militaires russes. Toute une activité entièrement bidon se développe autour du « rôle » que pourrait jouer la Russie dans un « règlement ». Mais il n'y aura pas de règlement, il n'y aura que des étapes dans la destruction des ennemis décrétés. Toute l'agitation autour d'un éventuel « rôle » de la Russie n'est qu'une manière d'agiter les sinistres pantins du Kremlin devant le nez des militaires russes, assis sur leurs fusées qui rouillent, leurs troupes qui ronflent, leurs bateaux qui manquent d'huile et de charbon, leurs avions qu'ils ont vendus à des clients plus fortunés... Ces militaires ne peuvent pas ne pas être sensibles à l'énorme provocation qui consiste à bombarder Belgrade sous leur nez.

Le deuxième but de guerre, caché derrière le premier, est donc de convaincre les militaires russes de leur totale impuissance, de leur montrer que l'armée américaine peut impunément s'installer dans leur périmètre défensif et massacrer leurs amis et leurs alliés parce, trahis dans tous les cas par toute leur hiérarchie, ils ne pourront pas appuyer sur le bouton rouge. Ils doivent comprendre que, très bientôt, les Américains seront chez eux, installés dans leurs casernes, avec leur saint-frusquin, pour venir prendre livraison des armes dites « de destruction massive ». On aura ainsi fini de détruire la Russie. Aux Russes dépouillés de leurs industries, de leurs ressources naturelles vendues à l'Ouest, de leur argent accumulé par le collectivisme, de leurs intellectuels recrutés ailleurs, de leurs femmes transformées en putes sur la Côte d'Azur, il restera à manger l'herbe des steppes et l'écorce des bouleaux.
Alors la vengeance des riches contre les sales pauvres qui lui ont fait peur sera accomplie. Ce sera au tour des Chinois de se sentir visés par ce nouvel hégémonisme forcément totalitaire. Et nous, au fond de notre gamelle, probablement à moitié vide, attachés au piquet, nous pleurerons notre liberté perdue. C'est déjà trop tard.

Précision: Tous les ignorants du monde, et en particulier ceux qui font journalistes, parlent de « Kossovo » ou « Kosovo ». C'est le nom d'une plaine où s'est déroulée la fameuse bataille du même nom. La région comporte une autre zone de plaine appellée Metohija, ou Métohine en français. Traditionnellement, en Yougoslavie, on parle donc du territoire du Kossovo-Metohija, ou Kosmet. Quand à la majorité albanaise, elle doit beaucoup à Mussolini qui a expulsé plusieurs centaines de milliers de Serbes du Kosmet. Certains s'en souviennent peut-être.

 

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ANNEXE

La Guerre Humanitaire


Pour une fois, Libé a eu le mot juste : "La guerre humanitaire". Nous le savons depuis longtemps. Nous l'avons vue sur place, dans la boue et les horreurs décharnées des camps de frontière. Certains d'entre nous l'ont vue au Cambodge et en Ethiopie; c'était pareil en Afghanistan. Une grande puissance vient jouer aux billes dans la cour d'une petite : elle se fâche, elle casse tout, la maison s'effondre; les survivants se battent entre eux et certains s'enfuient. Alors la grande puissance revient sur les lieux de son crime. Elle s'apitoie, ses téléviseurs montrent le cortège habituel de ses horreurs. Là, on n'hésite plus à montrer les morts. Normal, ce sont des civils. On ramasse des sous, on fait casser les tirelires; il faut que tout le monde se sente à la fois témoin et coupable en sorte que tout le monde oubliera que la cause première de tout cet énorme gâchis, ce sont les grandes puissances qui ont tout cassé chez les petites.
Mais attendez, la suite est encore plus délicieuse. On envoie des médecins, de bonnes infirmières à la joue rose et à la natte blonde, on débarque, on parachute, on jette des colis de médicaments, des couvertures, de la bouffe, de l'eau. On sauve des gens. C'est merveilleux, non ? Ensuite, on fait des camps, avec des abris, des toits de nylon, des sanitaires, des hôpitaux de campagne, des administrateurs. C'est très bien. Le degré numéro un du précaire. Et puis le temps passe, les télévisions sont parties. Alors reviennent les maquisards. Ceux qui ont pris la dérouillée, perdu la guerre "juste" qu'ils menaient contre un régime qui ne plaît pas à la grande puissance. Ils se sont refait la cerise dans les camps, ils repartent au baroud, ils prennent avec eux les jeunes -- il y en a plein les camps -- et en avant, petit gars. Et la longue guerre stérile reprend, financée de manière très discrète par la grande puissance qui a joué son grand numéro humanitaire et maintenant se lave les mains de ce qui va se passer pendant dix, quinze, vingt ans de morts inutiles, de mines, d'insécurité, de stagnation, de famines locales et ignorées.
C'est très exactement ce qui s'est passé au Cambodge où l'humanitaire a permis de masquer le fait que les Américains ont reconstitué les Khmers rouges, ce qui s'est passé en Afghanistan ou l'humanitaire a ouvertement servi à multiplier les atroces petites bandes de moujahidines qui s'entre massacrent pour contrôler un bout de vallée et un peu de trafic, ce qui s'est passé en Ethiopie où l'humanitaire a discrètement voilé l'aide américaine à l'expansion militaire, à partir des frontières, des sécessionnistes érythréens et des ultra-maoïstes du Tigré. Que croyez-vous qu'il va arriver aux Kurdes ? Couillonné, en kurde, se dira dorénavant : "kurde".
(La Gazette du Golfe et des banlieues, éditorial, n· 4, mai 1991)
 
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ANNEXE 2
 
Rambouillet: le diktat


OFFICAL AGREEMENT see:
http://www.alb-net.com/kcc/interim.htm

EXCERPTS:
The text of Article 8 of this Appendix reads: "NATO personnel shall enjoy, together with their vehicles, vessels, aircraft, and equipment, free and unrestricted passage and unimpeded access throughout the FRY [Federal Republic of Yugoslavia] including associated airspace and territorial waters. This shall include, but not be limited to, the right of bivouac, maneuver, billet, and utilization of any areas or facilities as required for support, training, and operations."
Article 6 guarantees the occupying forces absolute immunity: "NATO personnel, under all circumstances and at all times, shall be immune from the Parties' jurisdiction in respect of any civil, administrative, criminal, or disciplinary offenses which may be committed by them in the FRY."
Article 10 secures NATO the cost-free use of all Yugoslavian streets, airports

 

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