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LA RAGE QU'Elie WIESEL A ELIMINEE DE LA NUIT.

 

Les accusations explosives d'un spécialiste.

par E.J. Kessler, de la revue Forward.

Et si les fameux souvenirs d'E.W.sur l'Holocauste, La Nuit, avaient été à l'époque de leur rédaction non une méditation plaintive sur les souffrances juives et la mort de Dieu, mais plutôt comme un appel violent à la vengeance contre les nazis et un monde indifférent?

En réalité, c'est ce qui s'est passé. C'est ce qu'affirme Noémie Seidman, professeur d'études juives à l'Union théologique supérieure de Berkeley, en Californie, qui a comparé la version yiddish de La Nuit, publiée en 1956 sous le titre Un di velt hot geshvign (Et le monde garda le silence), avec la version française et la version anglaise. Son étude pour la revue Jewish social studies sera publiée dans le numéro de novembre [1996] et ne manquera pas de provoquer une controverse intellectuelle d'envergure.

 

L'article, intitulé "Elie Wiesel et le scandale de la rage juive", affirme qu'au moment de publier son livre en français, M. Wiesel a nettoyé ses souvenirs, en les expurgeant de références inopportunes à la vengeance juive, afin de se situer non en mémorialiste juif mais en écrivain européen du courant existentialiste. D'après Mme Seidman, M. Wiesel aurait adapté l'image du survivant par complaisance envers les vues de l'écrivain français catholique François Mauriac, qui s'est fait le champion du livre et l'a présenté au public.

 

Mme Seidman a déclaré au téléphone à Forward qu'en corrigeant son texte yiddish pour l'édition française, "M. Wiesel aurait fait du survivant furieux, désespérément acharné à raconter son histoire, assoiffé de vengeance et considérant la vie, l'écriture et le témoignage comme une réfutation de l'action nazie, un survivant hanté par la mort, dont la plainte principale est dirigée contre Dieu et non le monde, les nazis, etc." M. Wiesel aurait aussi "transformé l'histoire du destin des juifs de Sighet [la ville roumaine dont il est originaire] en un drame plus archétypal, le sortant du contexte de la littérature commémorative yiddish* pour en faire une histoire de tous les shtetls", ce qui se traduit par le sacrifice du particularisme juif de l'Holocauste au profit d'un message universaliste.

Mme Seidman avance, à l'appui de sa thèse, un ensemble intéressant d'arguments textuels et contextuels, qui est le développement de thèmes brièvement effleurés par David Roskies dans son livre de 1984, Against the Apocalypse (Contre l'Apocalypse). Dans un essai de 1979, An Interview like any other (Une entrevue comme toutes les autres), M. Wiesel écrit qu'il a publié ses souvenirs La Nuit après un voeu de silence de dix ans, et seulement sur les instances de Mauriac, dont le récit de sa rencontre avec le jeune survivant sert de préface à La Nuit, édition francaise et édition anglaise. Dans un essai de 1984, All rivers run the sea, M. Wiesel rappelle qu'il avait écrit Un di velt hot geshvign avant de rencontrer Mauriac.

Alors que Un di velt hot geshvign n'était qu'un élément du genre florissant de la littérature commémorative yiddish de l'Holocauste et des yizkor bukhen, et qu'il n'était que le 117e volume d'une série sur les juifs polonais, La Nuit est arrivé sur la scène isolément, prétendument le premier cri émanant de l'abîme après la guerre, affirme Mme Seidman. "Les deux histoires peuvent être conciliées en termes stricts, mais il se dégage d'elles deux impressions entièrement différentes, l'une d'un individu acharné à parler, l'autre d'un individu répugnant à parler."

L'article de Mme Seidman offre plusieurs exemples d'incohérence entre la version yiddish et la version francaise, qui font respectivement deux cent quarante-cinq pages pour la première et cent cinquante-huit pour la seconde. Par exemple, la fin célèbre de La Nuit, dans laquelle le jeune Wiesel, qui se remet à l'hôpital après sa libération de Buchenwald, se regarde dans un miroir et aperçoit un cadavre qui le contemple, diffère dans la version yiddish, plus longue de plusieurs paragraphes. En yiddish, l'image du survivant hanté, le cadavre passif, est anéantie car, raconte M. Wiesel, il a brisé le miroir avant de s'évanouir; après cet acte salutaire, "ma santé commenca à s'améliorer". Il poursuit en vociférant contre un monde qui réhabilite l'Allemagne et "où la sadique bestiale de Buchenwald, Ilsa Koch, élève tranquillement ses enfants" et en rappelant que c'est alors qu'il a commencé à écrire le livre.

"Il y a donc deux survivants, un juif et un Français -- ou peut-être vaudrait-il mieux dire un survivant qui s'adresse à une audience juive et un dont l'audience première est un catholique français", conclut Mme Seidman. " Le survivant que rencontre Mauriac peine sous le sceau et sous le poids du silence qu'il s'est imposé, le silence de son accointance avec la mort. Le survivant yiddish est habité par la vengeance et anxieux de briser le mur d'indifférence qu'il sent autour de lui".

"Il y a quelque chose d'intemporel dans le squelette vivant qui réside dans l'âme du survivant; c'est cette image qui est acceptable pour les lecteurs, y compris Mauriac", note Mme Seidman, qui compare l'image à la personne publique de M. Wiesel, qu'elle décrit comme "un juif spiritualisé, passif, victimisé, silencieux, triste, pour ainsi mort."

Dans un autre exemple, M. Wiesel reproche à ses compagnons de camp de s'être dérobés à la vengeance, après la libération. En anglais (et aussi en francais), le passage dit: "Le lendemain matin, certains des jeunes gens allèrent à Weimar chercher des pommes de terre et des vêtements, et aussi coucher avec des filles. Mais de vengeance, aucun signe." Le yiddish, d'après la traduction de Mme Seidman, émet un jugement complètement différent de l'affaire: "De bonne heure le lendemain, des garçons juifs se précipitèrent à Weimar pour voler des vêtements et des pommes de terre. Et pour violer des Allemandes. Le commandement historique de vengeance n'était pas accompli."

Mme Seidman met au pilori Mauriac, connu pour son humanisme et son prix Nobel de littérature, pour avoir vu dans les juifs massacrés de l'Holocauste une version emblématique du Christ plus que des victimes d'un événement dans lequel la France de Vichy et la passivité intellectuelle de l'Europe avait quelque responsabilité, "en plaçant l'événement dans le cadre de la religion existentialiste". A propos du jeune narrateur de La Nuit, qu'il appelle "l'enfant qui nous raconte cette histoire" et "l'un des élus de Dieu", Mauriac écrit dans sa préface: "Avons-nous jamais pesé les conséquences d'une horreur qui, bien que moins visible, moins frappante que les autres outrages, n'en est pas moins la pire pour ceux d'entre nous qui ont la foi: la mort de Dieu dans l'âme de cet enfant qui découvre soudain le mal absolu?"

"Dans ce passage, Mauriac, établit une hiérarchie implicite des horreurs de l'Holocauste", écrit Mme Seidman. "Pour les croyants ce qui est "le pire de tout" dans le meurtre de six millions de juifs est 'la mort de Dieu dans l'âme de cet enfant'."

"Je pense qu'il est absolument scandaleux que la préface de Mauriac ait été autorisé à devenir partie intégrante d'un écrit juif sur l'Holocauste," dit Mme Seidman. "En trois pages, Mauriac s'exonère, et tous les chrétiens et tous les Européens avec lui, de sa responsabilité dans le nazisme et l'antisémitisme chrétien. Loin de troubler sa conscience, tout l'Holocauste juif est pensé comme un renfort de la foi chrétienne, au lieu d'être l'occasion d'une remise en question."

Steven Zipperstein, directeur des études juives à l'université de Stanford et directeur de la publication Jewish social studies, dit de l'article: "Si prééminente et si influente que soit la voix d'Elie Wiesel, l'origine de sa réputation reste obscure. Cet article est, à ma connaissance, le premier à évoquer l'homme derrière l'emblème.. Indiquer que cet homme a été un jeune homme férocement ambitieux n'est pas le critiquer; c'est l'humaniser. L'article explique aussi pourquoi Wiesel est devenu la voix par excellence de l'Holocauste, plutôt que disons [le romancier] Chaim Grade ou [le poète] Abraham Sutzkever."

Pour sa part, M. Wiesel professe l'étonnement devant l'intérêt suscité par les différences entre La Nuit et Un di velt hot geshvign. "J'ai expliqué cela dans mon essai [All rivers run to the sea]. a-t-il déclaré à Forward. Il a concédé qu'il existait des différences entre les livres mais déniée la moindre intention derrière elle, attribuant les divergences au fait que "le yiddish est différent [du français]" et qu'il a "abrégé, abrégé, abrégé" le manuscrit pour le publier en francais. L'abrégement s'est fait dans un souci de concision, et non d'atténuation de la colère," dit-il. La Nuit est un livre violent.

Il prétend aussi que faire de lui un survivant moins coléreux n'a certainement pas facilité la réception du livre en Europe. "Au contraire," dit-il, "si [le livre La Nuit] avait été plus violent, il aurait touché plus de monde, puisqu'à cette époque la littérature violente était à la mode."

Mme Seidman prétend ne pas dénier à M. Wiesel son rôle historique; elle n'entend que réviser certains des points originellement posé dans le texte. "Je vois cela comme une négociation entre le besoin juif de témoigner et les limites de la capacité chrétienne à entendre," dit-elle. "Les gains ont été immenses des deux côtés: L'Holocauste est entré dans la civilisation chrétienne, ce qui aurait très bien pu ne pas arriver. Wiesel doit en être en grande partie crédité. Mais d'un autre côté, [l'Holocauste] a été adapté pour offenser les chrétiens le moins possible. Qui a gagné au change? Je pense que ce sont les chrétiens."

traduction AAARGH

Note de l'éditeur

* au sujet de ce genre littéraire caractérisé par le mensonge, voir aussi le dossier sur Le livre noir, et plus particulièrement la description du "genre" par Wievorka et le dernier article sur Turkov, praticien du genre


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