AAARGH
54. Mais là ne s'arrêtent
pas les bizarreries. Le texte allemand du Journal fait
l'objet d'intéressantes remarques de la part du journaliste
de Der Spiegel. Il écrit: "Une curiosité
de la "littérature Anne Frank" est constituée
par l'oeuvre de traduction d'Anneliese Schuetz, dont Schnabel
disait: "Je souhaiterais que toutes les traductions fussent
aussi fidèles", mais dont le texte s'écarte
très souvent de l'original hollandais" (p.54). En
fait, comme je le montrerai plus loin (alinéas 72-103),
le journaliste est tout à fait indulgent dans sa critique,
quand il dit que le texte allemand s'écarte très
souvent de ce qu'il appelle l'original (c'est-à-dire sans
doute de l'original imprimé par les Hollandais).
Le texte imprimé allemand n'a pas droit au titre de traduction
de l'imprimé hollandais: il constitue, à proprement
parler un autre livre à lui seul. Mais passons sur ce point.
Nous y reviendrons. Anneliese Schuetz, grande amie des Frank,
comme eux réfugiée juive allemande en Hollande,
et professeur d'Anne, mit donc au point un texte, en allemand,
du journal de son ancienne élève. Elle s'attela
à ce travail...pour la grand-mère d'Anne!
Celle-ci, très âgée, ne lisait pas, en effet,
le hollandais. Il lui fallait donc une traduction en allemand,
langue maternelle des Frank. Anneliese Schuetz composa sa "traduction"
"dans la perspective de la grand-mère" (aus
der Grossmutter-Perspektive, p.55). Elle prit de stupéfiantes
libertés. Là où, d'après ses souvenirs,
Anne s'était mieux exprimée, elle la fit... s'exprimer
mieux! La grand-mère avait droit à cela! ([...]
"die Grossmutter habe ein Recht darauf, mehr zu erfahren
- vor allem dort, "wo Anne nach meiner Erinnerung etwas besseres
gesagt hatte") (ibidem). Soit dit en passant,
Anneliese Schuetz n'est jamais mentionnée dans le Journal
par Anne Frank. Faut-il comprendre qu'elle a vécu auprès
d'Anne ou qu'elle l'a rencontrée pendant les vingt-cinq
mois où celle-ci se cachait à Prinsengracht? A la
"perspective de la grand-mère", qui dictait certaines
"obligations", succéda ce qu'on peut appeler
la "perspective commerciale" qui dicta d'autres obligations.
En effet, quand vint le moment de publier en Allemagne le Journal,
Anneliese Schuetz introduisit de nouvelles modifications. Prenons
un exemple qu'elle cite elle-même. Le manuscrit, à
ce qu'on dit, comportait la phrase suivante: "[...] pas de
plus grande hostilité au monde qu'entre les Allemands et
les juifs" (ibidem). Anneliese Schuetz remplaça
"les Allemands" par "ces Allemands", en prenant
soin de mettre "ces" en italique, pour donner à
entendre aux lecteurs allemands que Anne désignait par
là les nazis. Anneliese Schuetz déclarait au journaliste
de Der Spiegel: "Je me suis toujours dit qu'un livre,
appelé à être vendu en Allemagne, ne peut
contenir d'expression outrageante pour les Allemands" (ibidem).
Pour ma part, je dirais que cette argumentation d'ordre à
la fois commercial, sentimental et politique se comprend à
la rigueur de la part d'une femme d'origine juive berlinoise,
qui avait milité avant la guerre dans un mouvement de suffragettes
et qui avait dû s'expatrier pour des raisons politiques,
mais qu'autrement cette argumentation est d'autant moins acceptable
que les propos "outrageants" ont été et
continuent d'être propagés dans des millions d'exemplaire
du Journal vendus à travers le monde en d'autres
langues que l'allemand. Et je ne parle pas ici du simple point
de vue du respect de la vérité.
55.0n n'a pas l'impression que les "collaborateurs" de M. Frank à l'édition du Journal se soient tellement félicités de leur travail, ni qu'ils se soient réjouis spécialement du bruit fait autour de ce Journal. Prenons ces collaborateurs les uns après les autres. D'Isa Cauvern, nous ne pouvons rien dire sinon qu'elle s'est suicidée, en se jetant de sa fenêtre, en juin 1946. M.Frank venait de signer ou allait signer son contrat de publication avec Contact. Le motif de ce suicide ne nous est pas connu et il est présentement impossible d'établir un lien quelconque entre ce suicide et l'affaire du Journal. Quant à la préfacière, Anna RomeinVerschoor, elle devait déclarer en 1959 à Der Spiegel: "Je n'ai pas du tout été assez méfiante" (Ich bin wohl nicht misstrauisch genug gewesen). Son mari n'avait pas été plus méfiant. Albert Cauvern lui, n'a jamais pu obtenir de M.Frank le retour du texte dactylographié sur lequel il avait travaillé. Il avait demandé ce texte "en mémoire de [s] a femme", morte en 1946. M.Frank n'avait pas envoyé le texte en question. Kurt Baschwitz, ami de M.Frank, était l'une des "trois personnalités éminentes" (les deux autres étant M. et Mme Romein). En 1959, il devait plaider pour un "arrangement" entre M.Frank et Lothar Stielau. Il préconisait, d'autre part, une publication intégrale du texte des manuscrits pour résoudre le problème. Pour savoir à quoi s'en tenir, cette solution aurait été, en effet, la plus commode. Anneliese Schuetz, pour sa part devait manifester sa réprobation, à la fois du "Mythe Anne Frank" et de l'attitude de M.Frank à l'endroit de Lothar Stielau. Elle était pour la politique du silence: le moins de bruit possible autour d'Anne Frank et de son Journal. Elle allait jusqu'à désapprouver M.Frank et Ernst Schnabel pour Spur eines Kindes: qu'avait-on besoin de ce livre? Quant à Stielau, s'il avait formulé la remarque que lui reprochait M.Frank, il n'y avait qu'à faire comme si on ne l'entendait pas. Cette réaction "tranchante" (scharf [ibidem]) d'Anneliese Schuetz était d'autant plus curieuse que cette femme se présentait comme la "traductrice" du Journal en allemand et que Ernst Schnabel avait -- mai peut-être ne le savait-elle pas? -- poussé la complaisance jusqu'à déclarer à propos de cette invraisemblable "traduction": "Ich wuenschte, alle Übersetzungen waeren so getreu" (p.54) ("Je souhaiterais que toutes les traductions fussent aussi fidèles").
56. Retour à Amsterdam pour une nouvelle enquête: l'audition des témoins se révèle défavorable à M.Frank. La vérité probable.
57. La critique interne du Journal m'avait conduit à estimer que ce Journal était un "conte à dormir debout", un roman, un mensonge. Les investigations suivantes n'avaient fait que renforcer ce jugement. Mais, si je voyais bien où était le mensonge, je ne voyais pas pour autant où était la vérité. Je voyais bien que la famille Frank n'avait pas pu vivre pendant vingtcinq mois, au 263 Prinsengracht, de la façon dont elle le prétendait. Mais comment avait-elle vécu en réalité? Où? Avec qui? Et, pour finir, est-ce bien au 263 Prinsengracht qu'elle avait été arrêtée?
58. Sans illusion sur la réponse qu'il me ferait, je posais ces questions à Kraler (de son vrai nom, Kugler) dans une lettre que je lui envoyais au Canada. Je lui demandais également si Anne lui paraissait avoir été l'auteur du Journal et comment il pouvait m'expliquer que Vossen (de son vrai nom, Voskuyl) ait cru que les Frank étaient ailleurs qu'au 263 Prinsengracht, et même précisément, en Suisse. Sa réponse fut discourtoise. Il communiqua ma lettre et cette réponse à M.Frank. C'est cette lettre que M.Frank qualifia d'"idiote" lors d'une conversationn téléphonique. C'est, je suppose, cette réponse qui valut à Kraler, un an plus tard, de recevoir d'une institution un prix de 10.000 dollars pour avoir "protégé Anne Frank et sa famille pendant la guerre, à Amsterdam" (voy. Hamburger Abendblatt, 6 juin 1978, p. 13). Abstraction faite de sa discourtoisie, la réponse de Kraler ne me parut pas inintéressante. Kraler me répondait que la suggestion de Vossen concernant la présence des Frank en Suisse "était faite pour protéger la famille qui se cachait" (lettre du 14 avril 1977). Il ajoutait, à propos d'Anne, "il a existé d'autres jeunes, même plus jeunes qu'Anne, grandement doués". Je trouvais que le premier point de cette réponse était précis mais incompréhensible si l'on se rappelle que Vossen avait, d'après sa propre fille, le sentiment personnel que les Frank étaient en Suisse. Quant au second point de la réponse, son caractère stéréotypé était frappant de la part d'un homme qui n'aurait dû avoir que l'embarras du choix pour donner une réponse précise et convaincante. Kraler, en effet était censé avoir vécu pendant vingt-cinq mois en un contact quasi quotidien avec cette Anne Frank dont le "journal" était un secret de polichinelle, paraît-il, pour ceux qui la connaissaient.
59. L'audition d'Elli, le 30 novembre 1977, puis celle de Miep et de Henk le 2 décembre 1977, me frappèrent d'emblée par l'impression que ces trois personnes n'avaient nullement vécu pendant vingt-cinq mois au contact des Frank et des autres clandestins de la façon dont cela nous est rapporté dans le Journal. En revanche, j'acquis la conviction qu'au moins Miep et Elli avaient été présentes au 263 Prinsengracht, le 4 août 1944, lors de la descente de police. Il m'est difficile de rendre compte de l'insistance avec laquelle Elli et Miep se dérobèrent à mes questions sur les vingt-cinq mois, pour en venir et en revenir à la journée du 4 août 1944. Elli, dont j'avais eu beaucoup de peine à trouver la trace, n'attendait ni ma visite, ni le type de questions précises que j'allais lui poser. Miep et Henk s'attendaient à ma visite et savaient que j'avais vu M.Frank. Dans aucune de ces deux auditions, je n'eus besoin de procéder comme avec M.Frank. Mes question furent brèves, en nombre limité, et sauf exception, je ne montrais pas à mes témoins soit leurs contradictions mutuelles, soit leurs contradictions avec le Journal. Elli, pleine de bonne volonté, me paraissait avoir une bonne mémoire des années de guerre et de menus événements de sa vie quotidienne d'alors (elle avait vingt-trois ans en 1944). Or, pour ce qui est des vingt-cinq mois, ses réponses à mes questions furent en général: "Je ne sais pas... Je ne me rappelle pas... Je ne peux pas vous expliquer..." "Le dépôt de charbon? Il était dans la chambre des Van Daan." "Les cendres? Je suppose que les hommes les descendaient." "Le gardien de nuit Slagter? Je n'en ai jamais entendu parler; après la guere, nous avons eu un [e] secrétaire qui s'appelait de ce nom." "Lewin? Je n'ai jamais eu affaire à lui." "La "porte-armoire"? Vous avez raison, elle était inutile, mais c'était un camouflage pour les étrangers." A Elli, je demandais de me décrire d'abord l'avant-maison, puis l'arrière-maison. Pour l'avant-maison, elle sut me donner des détails; il est vrai qu'elle y travaillait. Pour l'arrière-maison, sa réponse fut intéressante. Elle me déclara qu'elle y avait, en tout et pour tout, passé une seule nuit! Elle ajouta qu'elle ne se rappelait pas les lieux, parce qu'elle avait été très nerveuse. Or, dans le Journal, Elli passe pour venir prendre à peu près tous ses repas de midi chez les clandestins (voy. 5 août 1943: Elli arrive régulièrement à 12h45; 20 août 1943: elle arrive régulièrement à 17h30 en "annonciatrice de la liberté"; 2 mars 1944: elle fait la vaisselle avec les deux mères de famille...). Je demandais enfin à Elli de me rappeler un détail quelconque de la vie familière, une anecdote quelconque qui ne figurent pas dans le livre. Elle s'en montra totalement incapable.
60. Miep et Henk furent également incapables de me fournir le moindre détail sur la vie des clandestins. La phrase capitale de leur témoignage fut la suivante: "Nous ne savions pas exactement comment ils vivaient." Et d'ajouter: "Nous n'avons été qu'un week-end dans l'arrière-maison; nous avons couché dans la future chambre d'Anne et de Dussel." "Comment se chauffaient les clandestins? Peut-être au gaz." "Le dépôt de charbon était en bas dans le magasin." "Il n'y avait pas d'aspirateur." "Le marchand de légumes n'apportait jamais rien à Prinsengracht." "La "porte armoire" a été construite bien avant l'arrivée des Frank" (!) "Moi, Miep, j'apportais les légumes tandis qu'EIIi apportait le lait." "Moi, Henk, je travaillais ailleurs que dans l'entreprise, mais, tous les jours, je venais déjeuner au bureau des filles et je venais leur parler 15/20 minutes." (Ce point parmi d'autres est en totale contradiction avec le Journal, où il est dit que Henk, Miep et Elli prennent leur déjeuner dans l'arrière-maison, avec les clandestins. Voy. 5 août 43.) Pendant tout notre entretien, Miep me donna l'impression d'être comme à la torture. Son regard me fuyait. Soudain quand je lui permis enfin de me parler du 4 août 1944, son attitude changea du tout au tout. C'est avec un plaisir manifeste qu'elle se mit à évoquer. avec un grand luxe de détails, l'arrivée de la police et ses suites. Je notais cependant une disproportion frappante dans les détails du récit. Ces détails étaient nombreux, vivants et d'une vérité criante quand Miep évoquait ce qui lui était personnellement arrivé avec l'arrestateur autrichien Silberbauer, soit ce jour-là, soit les jours suivants. Mais dès qu'il s'agissait des Frank et de leurs compagnons d'infortune, les détails devenaient rares et flous C'est ainsi que Miep n'avait rien vu de l'arrestation des clandestins. Elle ne les avait pas vus partir. Elle ne les avait pas vus monter dans la voiture de police, parce que cette voiture, qu'elle apercevait par la fenêtre de son bureau, "était trop près du mur de la maison". Henk avait aperçu de loin, de l'autre côté du canal, la voiture de la police, mais sans pouvoir distinguer les gens qui entraient ou sortaient. A propos des manuscrits, Miep me répéta le récit qu'elle avait fait à Schnabel. Elle me dit aussi que M.Frank, revenu en Hollande à la fin de mai 1945, vécut pendant sept ans sous leur toit. C'est seulement vers la fin de juin ou le début de juillet 1945 qu'elle lui remit les manuscrits.
61. A la suite de ces deux auditions, mon jugement devenait le suivant: "Ces trois personnes ont dû, dans l'ensemble, me dire la vérité sur leur propre vie. Il est probablement vrai qu'elles ne connaissaient pour ainsi dire pas l'arrière-maison. Il est certainement vrai que, dans l'avant-maison, la vie se déroulait à peu près comme elles me l'ont raconté (repas de midi pris ensemble dans le bureau des secrétaires; les hommes du magasin mangeant dans le magasin; menues courses alimentaires faites dans le quartier, etc.). Il est certainement vrai qu'une descente de police a eu lieu le 4 août 1944 et que Miep a eu affaire ce jour-là et les jours suivants à un Karl Silberbauer. Il est probable, d'autre part, que ces trois personnes entretenaient des relations avec la famille Frank. Dans ce cas, pourquoi répugnaient-elles si visiblement à en parler? Supposons, en effet, que les Frank et d'autres clandestins aient réellement vécu pendant vingt-cinq mois à proximité de ces trois personnes. Dans ce cas, pourquoi un tel silence?"
62. La réponse à ces questions pouvait être la suivante: les Frank et, peut-être, d'autres juifs ont effectivement vécu dans l'arrière-maison du 263 Prinsengracht. Mais ils y ont vécu tout autrement que ne le raconte le Journal. Par exemple, ils y ont vécu d'une vie sans doute discrète, mais non comme dans une prison. Ils ont pu y vivre comme tant d'autres juifs qui se cachaient soit à la ville, soit à la campagne. Ils "se cachaient sans se cacher". Leur aventure a été tristement banale. Elle n'a pas eu ce caractère rocambolesque, absurde et visiblement mensonger, que M.Frank a voulu faire passer pour réaliste, authentique et vécu. Après la guerre, autant les amis de M.Frank étaient prêts à témoigner en sa faveur, autant ils hésitaient à cautionner le récit du Journal. Autant ils pouvaient se porter garants des souffrances réelles de M.Frank et de sa famille, autant il leur paraissait difficile de témoigner, en plus, de souffrances imaginaires. Kraler, Koophuis, Miep, Elli, Henk apportaient à M.Frank leur amitié; ils lui manifestaient publiquement leur sympathie comme à un homme plein de charme et, en même temps, accablé de malheurs. Ils se sentaient peut-être flattés d'être présentés dans la presse comme ses compagnons des jours d'infortune. Peut-être certains d'entre eux acceptaient-ils l'idée que, quand un homme a souffert, il a le droit moral d'exagérer un peu le récit de ses souffrances. Aux yeux de certains, le principal a pu être que M.Frank et les siens avaient eu à souffrir cruellement des Allemands; peu importaient alors les "détails" de ces souffrances. Mais la complaisance a des limites. M.Frank n'a trouvé qu'une personne pour cautionner son récit de l'existence d'un Journal. Cette personne a été son ancienne secrétaire et amie: Miep Van Santen (de son vrai nom: Miep Gies). Encore le témoignage de Miep est-il étrangement timide. Ce témoignage revient à dire qu'après l'arrestation des Frank, elle avait ramassé sur le sol d'une pièce de l'arrière-maison un journal, un livre de comptabilité, des cahiers et un certain nombre de feuilles volantes. Il s'agissait pour elle d'objets appartenant à Anne Frank. Ce témoignage, Miep ne l'a rendu sous une forme officielle, que trente ans après les faits, le 5 juin 1974, dans l'étude de Me Antoun Jacob Dragt, notaire à Amsterdam. Miep ajoutait qu'elle avait fait cette découverte avec Elli. Or, le même jour, auprès du même notaire, cette dernière déclarait qu'elle se souvenait d'avoir été là lorsque ces pièces furent découvertes, mais qu'elle ne savait plus exactement comment elles furent découvertes. La restriction est grave et elle n'a pas dû plaire à M.Frank.
63. Schnabel écrivait (voy., ci-dessus, alinéa 50) que tous les "témoins" qu'il avait interrogés - y compris, par conséquent, Miep, Elli, Henk, Koophuis - s'étaient comportés "comme s'ils avaient eu à se protéger eux-mêmes contre la légende [d'Anne Frank]". Il ajoutait que si tous avaient lu le Journal, ils ne le mentionnèrent pourtant pas. Cette dernière phrase signifie manifestement que, dans chaque audition de témoin, c'est Schnabel lui-même qui a dû prendre l'initiative de parler du Journal. On comprend que son livre n'ait pas été publié en Hollande, sinon sous une forme tronquée et censurée: c'est en Hollande que se trouvaient les principaux "témoins" De son côté, l'article de Der Spiegel (voy., ci-dessus, alinéa 55) prouve que d'autres "témoins" de M.Frank ont fini par avoir les mêmes réactions négatives. Les fondements du mythe d'Anne Frank- mythe qui repose sur la véracité et l'authenticité du Journal -- ne se sont pas affermis avec le temps: ils se sont délabrés
64. Le "dénonciateur" et l'arrestateur des Frank: pourquoi M. Frank a-t-il voulu leur assurer l'anonymat?
65.Dès 1944, M. Frank et ses amis savaient que leur "dénonciateur" supposé s'appelait Van Maaren et leur arrestateur, Silberbauer. Van Maaren était l'un des employés de leur magasin. Silberbauer était un sous-officier du S.D. d'Amsterdam. Dans le Journal, ainsi que dans le livre susmentionné de Schnabel, Van Maaren est appelé V.M. Quant à Silberbauer, il est appelé Silberthaler dans le livre de Schnabel. Il semble qu'à la Libération, Van Maaren eut des ennuis avec la justice de son pays. Sa culpabilité ne put être prouvée, m'a dit M.Frank. "V.M. a eu assez d'ennuis comme cela et il faut le laisser tranquille", m'a-t-il déclaré. Schnabel n'a pas voulu recueillir le témoignage de V.M. Il n'a pas voulu non plus recueillir celui de l'arrestateur.
66. En 1963, la presse internationale se faisait soudain l'écho d'une nouvelle retentissante: Simon Wiesenthal venait de retrouver l'arrestateur des Frank. Il s'appelait Silberbauer. Il était fonctionnaire de police à Vienne. S. Wiesenthal n'avait pas prévenu M.Frank de ses recherches. Ce dernier, interrogé par les journalistes, déclarait qu'il connaissait depuis près de vingt ans le nom de son arrestateur. Il ajoutait que tout cette affaire était fâcheuse et que Silberbauer n'avait fait que son devoir en l'arrêtant. Miep, pour sa part, déclarait que, si elle avait employé le pseudonyme de Silberthaler pour désigner l'arrestateur, c'était sur la demande de M.Frank; ce dernier lui avait fait valoir qu'il pouvait, en effet, exister d'autres personnes portant le nom de Silberbauer et à qui, par conséquent, du tort pouvait être fait: "[De Heer Frank] had mij venocht de naam Silberthaler te noemen, omdat er misschien nog meer mensen Silberbauer heetten en die zouden wij dan in diskrediet brengen" (Volkkrant, 21 nov. 1963).
67.Il y eut une sorte de conflit entre S.Wiesenthal et M.Frank. C'est ce dernier qui l'emporta en quelque sorte. En effet, Karl Silberbauer fut, au bout de onze mois, réintégré dans la police viennoise. Une commission de discipline, siégeant à huis clos (comme il est d'usage), le relaxa. Le jugement en commission d'appel ("Oberdisziplinarkommission") fut également favorable à Silberbauer, ainsi que les conclusions d'une commission d'enquête du ministère de l'intérieur. Silberbauer avait bien arrêté les Frank au 263 Prinsengracht, mais sa participation à "crimes de guerre contre les juifs ou les résistants" n'avait pu être prouvée. En juin 1978, j'obtins une entrevue de S.Wiesenthal dans son bureau de Vienne. A propos de cette affaire, il me déclara que M.Frank était "crazy" ("piqué"). A son avis, M.Frank, dans son souci d'entretenir un culte (celui de sa fille), entendait ménager les anciens nazis, tandis que lui, S.Wiesenthal, n'avait qu'un souci: celui de voir rendre la justice. S.Wiesenthal ne connaissait pas le vrai nom du magasinier V.M. Là encore M.Frank avait fait le nécessaire: l'Institut royal de documentation (pour la seconde guerre mondiale), dirigé par son ami Louis De Jong, répondait, s'il faut en croire un journal d'Amsterdam (Trouw, 22 novembre 1963), que ce nom ne serait pas donné à M.Wiesenthal, même s'il en faisait la demande: "[...] deze naam zou men zelfs aan Mr.Wiesenthal niet doorgeven, wanneer deze daarom zou verzoeken".
68. Les autorités de Vienne n'ont pas pu m'autoriser à consulter les dossiers des commissions d'enquête. Quant à Karl Silberbauer, il est mort en 1972. Mon enquête s'est donc limitée au dépouillement de quelques journaux hollandais, allemands et français de 1963 et 1964 et à l'audition d'un témoin que je crois bien informé, de bonne foi et de bonne mémoire. Ce témoin nous a adjurés, mon accompagnateur et moi-même, de ne pas divulguer son nom. J'ai promis de taire son nom. Je ne tiendrai ma promesse qu'à demi. L'importance de son témoignage est telle qu'il me paraît impossible de le passer sous silence. Le nom de ce témoin et son adresse ainsi que le nom de mon accompagnateur et son adresse sont notés sous pli cacheté contenu dans mon annexe n° 2: "Confidentiel".
69. Voici d'abord ce que j'appellerais: "Le témoignage de Karl Silberbauer, recueilli par un journaliste hollandais de Haague Post et traduit en allemand par un journaliste juif allemand de l'Allgemeine Wochenzeitung der Juden in Deutschland (6 décembre 1963, p.10)." Silberbauer raconte qu'à cette époque-là (4 août 1944) il avait reçu un appel téléphonique d'un inconnu qui lui avait révélé que des juifs se tenaient cachés dans un bureau de Prinsengracht: "J'alertais alors huit Hollandais du S. D et me rendis avec eux à Prinsengracht. Je vis qu'un de mes accompagnateurs hollandais cherchait à parler à un employé mais ce dernier fit un signe de pouce vers le haut." Silberbauer décrit comment il pénétra dans l'endroit où les juifs se tenaient cachés: "Les gens couraient en tous sens et faisaient leur valise. Un homme est alors venu vers moi et il s'est présenté comme étant Otto Frank. Il avait, disait-il, été officier de réserve de l'armée allemande. A ma question sur le temps depuis lequel ils se cachaient, Frank avait répondu: "Vingt-cinq mois". Comme Je ne voulais pas le croire, poursuit Silberbauer, il prit par la main une jeune fille qui se tenait à côté de lui. Cela doit avoir été Anne. Il plaça l'enfant contre un montant de porte, qui portait des encoches à différents endroits. Je dis encore à Frank: "Quelle jolie fille vous avez là!"" Silberbauer aurait dit ensuite qu'il n'avait fait que bien plus tard le rapprochement entre cette arrestation et ce que les journaux disaient de la famille Frank. Après la guerre, la lecture du Journal le surprit fort. Il ne comprenait surtout pas comment Anne pouvait savoir que les juifs étaient gazés: "Nous ignorions tous, expliqua Silberbauer, ce qui attendait les juifs. Je ne comprends surtout pas comment Anne dans son Journal pouvait affirmer que les juifs étaient gazés." De l'avis de Silberbauer, il ne serait rien arrivé à la famille Frank, si elle ne s'était pas tenue cachée.
70. Cette interview exclusive de Silberbauer constitue un résumé assez fidèle, je pense, des propos prêtés par les journalistes à l'arrestateur de la famille Frank. Le témoignage que j'annonçais ci-dessus (alinéa 68) confirme en gros le contenu de l'interview, à ceci près que l'épisode du pouce levé serait une pure invention. Silberbauer n'aurait rien noté de tel, pour la bonne raison d'ailleurs qu'il se serait rendu immédiatement vers l'arrière-maison. Il n'aurait fait que prendre le couloir et l'escalier, sans aucun détour vers les bureaux ou les magasins. Et, c'est là que le témoignage en question nous fournit un élément capital. On aura remarqué que, dans son interview, le policier ne précise pas comment il avait accédé à l'endroit où se tenaient les clandestins. Il ne mentionne pas l'existence d'une "porte-armoire" ("ein drehbares Regal"). Or, mon témoin est tout à fait affirmatif: Silberbauer n'avait jamais rencontré rien de tel, mais... une grossière porte de bois comme on en trouve à l'entrée. par exemple, d'un grenier. Le mot propre était: "eine Holzverschlag". Le policier avait simplement frappé à cette porte et... on lui avait ouvert. Un troisième point de ce témoignage est, s'il se peut, encore plus important: Karl Silberbauer disait et répétait qu'il ne croyait pas à l'authenticité du fameux Journal parce que, selon lui, il n'avait jamais existé sur place quoi que ce fût qui ressemblât aux manuscrits que Miep prétendait avoir trouvés, jonchant le sol, une semaine après le 4 août 1944. Le policier avait l'habitude professionnelle de conduire, dès avant la guerre, arrestations et perquisitions. Un tel amas de documents ne lui aurait pas échappé. (Ajoutons ici que huit hommes l'accompagnaient et que toute l'opération avait été conduite lentement et correctement; et puis, le policier, après avoir confié la clé des lieux à V M ou à un autre employé, était revenu sur les lieux à trois reprises.) Silberbauer avait, affirme le témoin, l'habitude de dire que Miep n'avait, en réalité, pas joué grand rôle dans toute cette histoire (d'où le fait qu'on ne l'avait pas même arrêtée). Par la suite. Miep avait cherché à se donner de l'importance, notamment avec cet épisode de la découverte miraculeuse des manuscrits
71. Le même témoin m'a déclaré, en présence de mon accompagnateur, que Silberbauer avait rédigé en 1963-1964 un compte rendu, pour la justice, de l'arrestation des Frank et que dans ce compte rendu pouvaient figurer ces détails. Un second témoin aurait certainement pu m'apporter un témoignage très précieux sur les dires de Silherbauer, mais ce second témoin a préféré se taire.
72. Confrontation entre le texte hollandais et le texte allemand: voulant trop en faire, M.Frank s'est trahi; il a signé une supercherie littéraire.
73. J'ai deux textes sous les yeux. Le premier est en hollandais (H), tandis que le second est en allemand (D). Les éditeurs me disent que H est le texte original, tandis que D est la traduction de ce texte original. Je n'ai a priori aucune raison de mettre leur parole en doute. Mais la rigueur scientifique. ainsi que le bon sens et l'expérience, apprennent qu'il faut accueillir avec circonspection les dires des éditeurs. Il arrive, en effet, qu'il puisse y avoir erreur ou tromperie de leur part. Le livre est une marchandise comme une autre. L'étiquette peut tromper sur le contenu. En conséquence, je laisserai ici de côté les étiquettes qu'on me propose ou qu'on m'impose. Je ne parlerai ni de "version originale en hollandais", ni de "traduction en allemand". Je suspendrai provisoirement tout jugement. Je n'accorderai de dénomination précise à ces deux livres que sous bénéfice d'inventaire. Pour l'instant. je leur accorderai une dénomination qui soit, à la fois, égale et neutre. Je parlerai donc de textes.
74. Je vais décrire le texte H et le texte D que j'ai sous les yeux. Je vais commencer par le texte H, mais je pourrais, tout aussi bien, commencer par le texte D. J'insiste sur ce dernier point. L'ordre de succession que j'ai choisi ici ne devra impliquer aucune succession dans le temps, ni aucun rapport de filiation du type père/fils entre H et D.
75. Mon texte se présente ainsi: Anne Frank/Het. Achterhuis/Dagboekbrieven/14 Juni 1942- 1 Augustus 1944/1977, Uitgeverij Contact Amsterdam, Eerste druk 1947/Vijfenvijftigste druk 1977/. Le texte de l'auteur commence à la page 22 avec la reproduction photographique d'une sorte de dédicace signée: "Anne Frank. 12 Juni 1942". A la page 23, apparaît la première des 168 lettres qui composent ce "journal" auquel on a donné pour titre l'Arrière-maison. Le livre a 273 pages. La dernière page se termine à la page 269. J'estime la longueur du texte proprement dit à environ 72500 mots hollandais. (Pour des raisons de commodité. j'emploierai le mot de "hollandais" au lieu de celui de "néerlandais".) Je n'ai pas comparé le texte de cette 55e édition avec le texte de la 1ère édition. Lors de mon enquête à Amsterdam, j'ai reçu l'assurance de MM.Fred Batten et Christian Blom qu'aucun changement n'avait été apporté aux éditions successives. Ces deux personnes appartenaient à la maison Contact et elles sont à l'origine, avec M.P.De Neve (¦), de l'acceptation du manuscrit dactylographié que M. Frank avait déposé chez un interprète du nom de M. Kahn. C'est ce M. Kahn qui devait, en 1957, servir d'accompagnateur et d'interprète à Ernst Schnabel, quand ce dernier est venu voir Elli à Amsterdam.
76. Mon texte D se présente ainsi: Das Tagebuch der Anne Frank/12. Juni 1942 - 1. August 1944/1977, Fischer Taschenbuch Verlag/N°77/Ungekuerzte Ausgabe/43. Auflage 1293000 - 1332000/Aus dem Hollandischen uebertragen von Anneliese Schuetz/Hollandische Original-Ausgabe "Het Achterhuis", Contact, Amsterdam. Après la page de dédicace, la première des lettres apparaît à la page 9. Il y a 175 lettres. La dernière lettre se termine à la page 201. J'estime la longueur du texte à environ 77.000 mots allemands. Le livre a 203 pages. Ce "livre de poche" a eu sa première édition en mars 1955. Fischer a obtenu la Lizenzausgabe de la maison Lambert Schneider, de Heidelberg.
77. Je relève un premier fait troublant. Le texte H a 169 lettres, tandis que le texte D, qui se présente comme la traduction du texte H, possède 175 lettres.
78. Je relève un deuxième fait troublant. Si je pars à la recherche des lettres supplémentaires de D, ce n'est pas six lettres que je découvre (175 -169 =6), mais 7 lettres. L'explication est la suivante: le texte D ne possède pas la lettre du "6 december 1943" du texte H!
79. Je relève un troisième fait troublant. La langue hollandaise et la langue allemande étant très proches l'une de l'autre, la traduction ne devrait pas être sensiblement plus longue que le texte qu'on a traduit. Or, même si je fais abstraction du nombre de mots qui composent les 7 lettres en question, je suis très loin d'atteindre une différence de 4500 mots environ (D 77000 - H 72500 =4500). C'est donc que le texte D, même quand il possède des lettres en commun avec le texte H, les possède sous une autre forme: en tout cas, sous une forme plus longue. Voici ma démonstration, chiffres à l'appui:
a) Lettres que D possède en plus:
3. August 1943. 210 mots environ 7. August 1943 1600 20. Februar 1943 270 15. April 1944 340 21. April 1944 180 25. April 1944 190 Total 3170 mots environ [Erreur de ma part (R. Faurisson): La lettre du 12 mai 1944 (380 mots) ne manque pas au texte H. Elle existe dans le texte H mais datée: 11 mai. Ce qui manque au texte H, c'est la lettre du 11 mai qui, dans le texte D, a... 520 mots!]
b) Lettre que D possède en moins:
6 december 1943.................. 380 mots environ
c) Mots que D possède en plus, à quantité égale de lettres: 4 500 - (3170 - 380) =1710 mots.
En réalité, ainsi qu'on le verra par la suite,
ce chiffre ne représente qu'un faible partie du surplus
de mots que contient D. Mais, en attendant, pour ne pas sembler
trop attaché aux calculs, je vais donner des exemples précis
portant sur 550 mots environ.
..../...
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<Tout individu a droit à la liberté d'opinion
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de recevoir et de répandre, sans considération de
frontière, les informations et les idées par quelque
moyen d'expression que ce soit>
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adoptée par l'Assemblée générale de
l'ONU à Paris, le 10 décembre 1948.