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L'opération « Vicaire »

Le rôle de Pie XII devant l'Histoire

Paul Rassinier

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CHAPITRE I

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VARIATIONS

SUR UN FAUX PROBLÈME

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I. L'ACTE D'ACCUSATION

« Informé par l'officier S. S. Gerstein des conditions où les déportés juifs étaient exterminés dans le camp de concentration d'Auschwitz, en Pologne occupée par le Reich allemand, le jeune jésuite Riccardo Fontana implore Pie XII, pape alors régnant en 1943, de prendre la défense des juifs persécutés, de prononcer une condamnation explicite et formelle. Alléguant sa mission de paternité totale, rappelant les propos de compassion qu'il n'a jamais refusés, le pape ne dit pas les mots précis qu'attend Riccardo, et celui-ci se mêle à un convoi de juifs romains arrêtés sous les fenêtres du pape. Il est déporté avec eux à Auschwitz et y part pour la chambre à gaz, pauvre prêtre qui, à la rigueur, sera le Vicaire du Christ, là-bas où le pape devrait être aujourd'hui 1. »

Sur ce fait donné comme historiquement établi, un jeune protestant allemand, M. Rolf Hochhuth, jusque-là inconnu, a monté une pièce de théâtre [14] Le Vicaire. Il nous y présente un pape pro-nazi, absolument obnubilé par la pensée que, Hitler perdant la guerre, c'est l'Europe livrée au pire des dangers qui soit pour l'Église : le bolchevisme. Soucieux donc de ne pas compromettre les chances, dont il sait qu'elles sont minces, qui restent à Hitler de vaincre le bolchevisme, ce pape lui crée le moins de complications possible. A ce point que, détenant le pouvoir magique d'arrêter d'un mot les persécutions dont les juifs sont victimes, non seulement il ne prononce pas ce mot de lui-même, mais il s'y refuse alors qu'il en est sollicité. En se lavant les mains de ce qui leur arrive, car il faut que rien ne manque au tableau. Et comme on insiste, excédé, il coupe court en passant à un autre problème autrement important pour l'Église dont il est le pasteur suprême : les intérêts qu'elle possède dans un certain nombre d'entreprises industrielles en passe d'être détruites par les Alliés et que, si on ne veut pas qu'elle perde de l'argent, il faut vendre avant qu'il ne soit trop tard. Vendre à qui ? Mais à ces Alliés justement, dont il ne cache pas, tout au long de la pièce, qu'il ne les aime pas, mais alors pas du tout : ainsi, d'une part, ils auront détruit leurs propres biens et, de l'autre, de quelque façon que tourne la guerre, il n'aura aucune difficulté à se faire rembourser puisqu'il l'aura été par avance. C'est, du moins, dans la forme de la relation, l'idée suggérée au spectateur perspicace. L'auteur ne va certes pas jusqu'à dire que ce pape considère Hitler comme un envoyé de la Providence pour liquider - enfin ! - en même temps que le bolchevisme, le contentieux judéo-chrétien en litige depuis deux mille ans, par l'anéan[15]tissement du peuple juif, mais c'est tout juste, et il ne mâche pas l'opinion qu'il a de lui : « Un tel pape... est un criminel 2 »

Et tel aurait été Pie XII.

Dans sa version et sous son titre d'origine (Der Stellvertreter), cette pièce fut créée à Berlin le 20 février 1963, à Bâle le 3 décembre, à Vienne le 27 janvier 1964 et, en traductions, à Londres le 21 juin 1963 (The Representative), à Paris le 9 décembre (Le Vicaire, en question) et à New York le 28 février 1964 (The Deputy). Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c'est à Tel-Aviv qu'elle a fait son apparition en dernier lieu, le 20 juin 1964 : premiers intéressés à la vulgarisation de son thème, le Mouvement sioniste mondial et l'état d'Israël s'étaient donné les gants de ne pas figurer en pointe dans le montage de l'affaire. Notons encore que, traduite en italien, elle n'a toujours pas été jouée à Rome. Ni à Moscou. Dans la première de ces deux dernières capitales, on le doit, qu'on le déplore ou s'en félicite, au fait qu'en Italie, la papauté dispose encore d'assez d'influence pour empêcher qu'on la vienne narguer jusque sous ses propres fenêtres en temps de paix 3, si elle n'en avait pas assez pour empêcher qu'en pleine guerre, encerclée [16] de toutes parts, on y vînt arrêter des juifs. Et, dans la seconde, à la politique krouchtchévienne de rapprochement avec le Vatican qui semble devoir rester celle de ses successeurs.

A Berlin, à Londres, à Bâle, à Paris, et à New York, les premières représentations provoquèrent, dans la salle et dans la rue, des manifestations hostiles qui nécessitèrent l'intervention de la police et, dans les milieux intellectuels, des débats passionnés qui semblent devoir se prolonger longtemps encore. A Vienne, pour n'avoir été ni moins ample ni moins catégorique, la protestation de l'opinion publique ne sortit pourtant pas des limites de la correction. Correct, également, en Israël, un débat sur l'opportunité d'y donner la pièce et qui n'eut d'autre effet que d'en retarder la répétition générale de quelques mois, mais ici, on ne saurait affirmer qu'il ne s'agissait pas que d'un débat pour la forme, artificiellement monté par des compères et uniquement destine à marquer une réserve de façade et toute diplomatique.

Sur un tel thème, en de tels termes, il était fatal qu'une telle pièce fît des remous à l'origine du scandale, il y eut d'abord un effet de surprise : jusqu'au 20 février 1963, dans le monde entier, chez les athées comme chez les croyants, chez les fidèles de Rome comme chez ceux des Églises séparées ou concurrentes, l'opinion à peu près générale était que le pape Pie XII avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher la guerre, en limiter l'extension et, n'y ayant pas réussi, pour que cessent au moins toutes les atrocités qui en étaient la conséquence, chaque fois qu'il en avait connaissance. En [17] ce qui concerne celles qui sont portées au compte des Allemands - des autres, on ne parle guère - Ribbentrop avait déclaré à Nuremberg le 27 mars 1946 : « ... Nous avons reçu des protestations du Vatican. Nous avions des tiroirs pleins de protestations du Vatican 4. » Et, comme on lui reprochait de n'y avoir jamais répondu, voire de n'en avoir jamais même pris connaissance, il avait précisé : « C'est réellement le cas. Le Führer avait pris une telle position sur ces affaires du Vatican qu'à partir de ce moment, les protestations ne m'arrivaient même plus 5. » Il s'agissait d'événements réputés s'être passés en Pologne en mars 1943. En réalité, il y avait longtemps que les protestations du Vatican s'entassaient dans les tiroirs de Ribbentrop sans qu'il en fût fait cas, et il suffit de se reporter encore au compte rendu des débats de Nuremberg, à la fois pour connaître la position du Führer et ses justifications. En octobre 1939, apprenant le traitement infligé à des prêtres polonais par la police allemande d'occupation, Mgr Orsenigo, nonce à Berlin, s'était rendu auprès du secrétaire d'État Weizsäcker pour lui remettre deux notes de protestation. Interrogé a Nuremberg le 26 mars 1946 sur le sort de ces notes, Steengracht, autre secrétaire d'État de Ribbentrop, avait répondu :

« Celui-ci (Weizsäcker) les transmit, selon la règle, à Ribbentrop qui, à son tour, les présenta à Hitler. Étant donné que le Vatican n'avait pas reconnu le gouvernement général (nouvelle Pologne) [18] et que, par conséquent, le Nonce n'avait aucune compétence pour ces régions, Hitler déclara, lorsque ces notes lui furent présentées : « C'est un pur mensonge, renvoyez ces notes au nonce par l'intermédiaire du secrétaire d'État et dites-lui que vous n'accepterez plus jamais rien de tel 6. »

De quoi l'on peut déjà conclure que, si le Vatican avait reconnu la carte de la nouvelle Pologne établie par Hitler, les notes de protestation remises aux Affaires étrangères allemandes par son nonce à Berlin n'eussent sans aucun doute pas eu plus d'effet, mais qu'au lieu de s'entasser, tout au long de la guerre à « pleins tiroirs » dans le bureau de Ribbentrop sans même être enregistrées, puis de prendre le chemin de la corbeille à papiers où elles ont disparu dans le néant, elles figureraient au moins dans les archives allemandes où ceux qui vont y chercher la vérité les retrouveraient. A moins qu'elles n'y aient été classées sur le moment dans un dossier comme ce n° 6 si mystérieusement - et si opportunément ! - disparu. Mais ceci est une autre histoire et on y reviendra en son temps. Ce qu'il importait de signaler ici, c'est qu'en refusant de reconnaître la Pologne remaniée par Hitler, Pie XII lui avait fourni l'argument dont il avait besoin pour n'accepter aucune de ses représentations en ce qui la concernait. Sans aucun profit pour sa mémoire, d'ailleurs, puisque cet acte d'hostilité évidente à la politique de Hitler n'est même pas porté à son crédit par ceux qui le dénigrent aujourd'hui. Mais, s'il avait reconnu cette nouvelle Pologne par souci et espoir [19] d'être efficace, de quoi ne l'accuserait-on pas aujourd'hui ?

Steengracht nous renseigne aussi, de surcroît, sur la nature des protestations du Vatican et sur ceux qui en fournirent le prétexte : « J'ai déjà à dit que je suis intervenu dans des centaines de cas, quand le Nonce venait me voir, quand il s'agissait de juifs pour lesquels il n'était pas compétent, ou même de prêtres polonais pour lesquels il était compétent mais n'avait pas le pouvoir d'agir 7. »

Chaque fois d'ailleurs qu'à l'un ou l'autre des treize procès de Nuremberg il fut question du Vatican, les témoins de l'accusation comme ceux de la défense présentèrent dans la même version et presque dans les mêmes termes, les faits auxquels ils avaient été mêlés. Pas de note discordante. Et cela établit que, contrairement à ce que tentent de faire accroire ses détracteurs, l'action de Pie XII n'était pas uniquement inspirée par les intérêts de l'Église romaine, que, notamment, les juifs n'étaient pas exclus de sa sollicitude. Aussi bien, jusqu'au 20 février 1963, cette opinion ne fut, à ma connaissance, jamais mise publiquement en doute par personne.

Mieux : de la fin de la guerre à sa mort, si les milieux protestants, bien que toujours travaillés par l'antipapisme hérité de Luther et de Calvin, se montrèrent, dans leur ensemble, très réservés - on verra que leur rôle dans l'accession de Hitler au pouvoir dans l'Allemagne d'avant-guerre et la situation du protestantisme dans cette après-guerre ne furent pas étrangers à cette réserve - les porte-parole [20] les plus qualifiés de la pensée et de la politique juives ne cessèrent de louer Pie XII pour son action pendant la guerre et de lui témoigner leur reconnaissance. Et ceci s'accorde remarquablement avec les commentaires, non seulement de satisfaction mais encore d'enthousiasme qui, dans toute la presse, y compris celle d'obédience socialiste et communiste, avaient accueilli son élection le 2 mars 1939. On trouvera en annexe les déclarations de tous ces gens qui avaient fait de ce pape, tout au long de sa carrière, un pape n'ayant jamais eu la moindre sympathie, ni pour le fascisme italien ni pour le national-socialisme allemand. C'est à peine si on avait remarqué qu'il n'en avait pas davantage pour le bolchevisme russe.

Au regard de cette opinion à peu près générale et assez solidement établie, Le Vicaire de M. Rolf Hochhuth représentait un véritable tête-à-queue. En quelque sorte sommé de s'en expliquer par les réactions du public, ce jeune homme assez remarquable pour être, du jour au lendemain, brusquement devenu le nombril d'un univers à la recherche d'une bonne conscience, nous raconta surtout le drame de conscience effroyable - le cauchemar, a dit M. Jacques Nobécourt 8 - que, de son entrée dans sa quinzième année (à la mort de Hitler) à sa trente-troisième - avec sa tempête sous le crâne de Jean Valjean, Victor Hugo n'était, décidément, qu'un drôle - lui avait fait vivre un aspect particulier d'une guerre qui avait duré près de six années, mis le monde entier à feu et à sang, transformé l'Europe, des [21] Pyrénées à la Volga et de son Extrême-Nord à son Extrême-Sud, en un immense champ de ruines tout en faisant une cinquantaine de millions de cadavres : dans cette cinquantaine de millions de cadavres, il y avait hommes, femmes, enfants et vieillards, tout venant sans discrimination, six millions de cadavres juifs, disait-il, et c'était la ce qui, dix-huit années durant, l'avait, jour et nuit, torturé.

On sait maintenant la démarche de Hochhuth : la guerre qui ne l'a jamais préoccupé ni dans son principe ni dans ses conséquences globales, l'a littéralement torturé par une seule de ses conséquences, le tort qu'elle a fait aux juifs, tout le reste étant sans importance. Et il n'a eu de cesse qu'il n'ait trouvé le responsable de ce forfait bien pis que le pire, bien pis que tout ce qu'on pouvait imaginer 9. Au terme de dix-huit années d'un indescriptible cauchemar, en bon protestant qui, comme tous ses coreligionnaires, ramène tous les malheurs du monde à l'existence du pape, de la même façon que, dans une importante fraction de l'opinion publique, on les ramène tous à celle des juifs, ce responsable, il l'avait enfin trouvé : Pie XII. Ce pape, certes, avait bien, au cours de ces six années, protesté contre toutes les horreurs de la guerre chaque fois qu'il avait pris la parole, de cela il ne disconvenait pas, mais seulement en termes généraux et sans jamais - sauf une fois - désigner le martyre des juifs expressis verbis. D'où cette première conclusion : il s'était tu. Suivie de cette seconde : par sympathie pour Hitler [22] et le nazisme. Se souvenant que, dans sa pièce, il avait traité Pie XII de « criminel » pour bien marquer qu'il s'agissait d'une opinion bien arrêtée, M. Rolf Hochhuth ajouta, chemin faisant, qu'il avait été « ignoble ». Le thème trouvait ainsi sa forme achevée : un pape devenu non seulement « un criminel » mais « un criminel ignoble 10 » du seul fait d'un « silence » dont on verra par ailleurs que, loin d'être effectif, il lui était surtout prêté par des gens dont la vue n'a jamais porte beaucoup plus loin que le bout de leur nez.

Les autres responsables ? Les Churchill, les Roosevelt, les Staline ? Avant et durant toute la guerre, toutes les possibilités imaginables leur avaient été offertes de mettre à l'abri de ses horreurs ces juifs que les dirigeants hitlériens de l'Allemagne (avant de les concentrer dans des camps et même après) considéraient, certes, comme une population dangereuse pour le moral de leur peuple au combat, mais aussi comme une population civile. Ils avaient refusé : des gentlemen ceux-là. Et M. Jacques Nobécourt, faisant très justement remarquer qu'on ne justifie pas ses propres défaillances par celles des autres, a récusé l'argument d'une façon très ingénieuse : « Invoquer leur exemple pour expliquer le silence de Pie XII, c'est ramener à leur échelon d'hommes politiques astreints au réalisme le pape dont la mission était de parler à temps et à contre temps, de rappeler le message évangélique en lui donnant une application précise 11. » Il ne restait plus à [23] M. Jacques Nobécourt qu'à nous démontrer que la « paternité totale » de Pie XII, paternité qui ne doit distinguer ni entre les races, ni entre les nationalités, ni même entre les religions, faisait au pape un devoir « de rappeler le message évangélique dont il avait la charge » dans ces termes.

Sans doute et Pie XII ne l'a pas attendu. « L'application précise » du message évangélique, c'était pour lui la nécessité d'intervenir pour sauver la paix - c'est-à-dire pour sauver tout le monde - puis quand il eut échoué, d'arrêter la guerre pour sauver tout ce qui pouvait l'être.

Sous cet angle, il est odieux de lui imputer un prétendu « silence » car il a parlé aussi nettement et aussi haut qu'il était possible.

Mais pour M. Nobécourt, « l'application précise » du message évangélique aurait dû conduire le pape à une action restrictive qui n'eût pris en considération que le sort des seuls juifs : ne rien tenter contre la guerre, en somme la laisser continuer son train d'enfer et lui abandonner le reste de l'humanité.

On me permettra de douter que la démonstration entreprise par M. Nobécourt soit facile. Aujourd'hui surtout. Car, à tant faire que de bâtir des hypothèses sur le thème de « ce que le pape Pie XII eût obtenu si... », rien n'oblige à en laisser le privilège à l'adversaire et on peut aussi bien imaginer celle-ci : un Pie XII qui, au lieu de se placer d'emblée sur l'un des sommets de la pensée humaine et de ne concevoir le salut des juifs que dans celui de l'humanité tout entière, c'est-à-dire dans la Paix qui est le suprême des biens, fût descendu de quelques degrés dans l'échelle des valeurs universelles et se fût borné à [24] l'interprétation restrictive de son rôle qu'on lui fait grief d'avoir repoussée. C'est pour le coup qu'alors, M. Jacques Nobécourt eût pu parler de réalisme mais, cette fois « de bas étage » et d'autant plus que, de même que celui qu'il reproche à Pie XII, celui-ci était destiné à rester aussi une pure construction de I'esprit car, ainsi qu'on le démontrera et comme il l'a dit lui-même, il est bien vrai qu'au niveau des faits, dans l'un comme dans l'autre cas, Pie XII se trouvait « devant une porte qu'aucune clé ne pouvait ouvrir 12 ». Le commun des mortels du reste de l'humanité pourrait, au surplus, parler du caractère singulier de cette Paternité totale dont la sollicitude allait, par priorité, aux juifs sinon à eux seuls, était à courte vue en ce que le fond du problème lui ayant échappé, elle ne l'avait pas attaqué au fond et, par là-même portait la responsabilité de la mort, non seulement des juifs, mais de la totalité des cinquante millions de victimes. Le comble - mais personne ne saurait que c'est un comble - eût seulement été qu'opérant sous les applaudissements tout aussi frénétiques du monde sioniste, le protestant Rolf Hochhuth écrivît un Vicaire sur ce thème, que le communiste Piscator le montât et que le chrétien progressiste Jacques Nobécourt leur emboitât de même façon le pas. Et pourquoi non, au fait ?

Il se peut qu'afficher un certain dédain pour le réalisme et lui opposer un idéalisme défini par des façons de parler et d'agir à temps et à contretemps soit la plus haute expression de l'esprit et le privilège, en même temps que l'honneur, des vraies élites ­ dont [25] je ne doute pas que l'état-major qui a monté cette offensive contre Pie XII soit l'incarnation la plus pure. Cette attitude, en tout cas, est très bien portée dans ces milieux dont les prétentions intellectuelles n'ont d'égale que leur inconscience et qui font les délices de M. Pierre Daninos 13. Mais, si l'on sait qu'au terme de toutes les spéculations intellectuelles, toujours arrive, pour les conclusions qu'on en tire, le moment de se traduire par la parole dans l'ordre des choses morales, l'acte dans celui des faits, c'est-à-dire, dans l'un et l'autre cas, pour l'idéal de devenir le réel, alors tout n'est plus ou que « réalisme » ou qu'« idéalisme » et il ne s'agit plus que de savoir a quel niveau, l'un et l'autre se confondant, nécessité est de parler ou d'agir « à temps et à contretemps » : au niveau des yé-yé dont l'idéal semble être inspiré par la nécessité de défouler les croulants ou au niveau du Christ mort en croix « pour racheter tous les péchés du monde » ? En postulant le seul salut des juifs (étant admis qu'il sût à quel point ils étaient menacés) ou celui de l'humanité tout entière ? C'est la réponse à cette question qui, fixant entre les deux extrêmes le point où tout n'est plus que « réalisme » et celui où tout est « idéalisme », dira où est le sophisme.

On comprit très vite que, sorti de son histoire de « cauchemar » - qui avait duré dix-huit années, ne l'oublions pas et ça se voyait bien sur son visage dont « rien ne retenait l'attention... d'étudiant qui aurait dit une énormité 14 », à son cheveu intact, à son [26] front sans ride, à son regard neutre, à tout ce visage dont rien dans les lignes ne détruisait l'harmonie, sinon la lèvre un peu trop sensuelle, - M. Hochhuth n'avait plus rien à dire. En l'aiguillonnant un peu, des journalistes arrivèrent à lui faire dire des choses du genre de celles-ci : qu'il s'était fait « un avocat de l'Église catholique », qu'à Berlin, beaucoup de spectateurs l'avaient pris « pour un catholique 15 » et on fut fixé sur la valeur de la caution quand on l'entendit invoquer celle d'hommes aussi éminents que « Hans Werner Richter et Günter Grass » (! ! ! ... ). Ou encore comme celle-ci : qu'il n'attaquait le pape ni en tant qu'homme ni en tant que pape, mais parce qu'il était « le représentant de notre culpabilité à tous » et qu'à travers lui « chaque spectateur (devait) pouvoir réfléchir sur sa propre culpabilité 16 ». A Mme Nicole Zand, il dit même en le soulignant que « la seule attaque contre le pape vise son silence et cela seulement », que « le responsable de cinq cents millions de croyants... tenu par une quantité considérable d'incroyants comme la plus haute instance morale de la Terre [n'avait] pas le droit de se taire, de garder le silence en face du massacre des juifs par les nazis 17 ».

Et nous voici de nouveau ramenés au petit côté des choses, considéré comme le plus important parce qu'il était celui par lequel Pie XII pouvait prendre parti pour l'un des belligérants, ce qui est tout ce qu'en somme on lui reproche. A cette manière de [27] voir, Pie XII a opposé par avance celle-ci au plan des victimes :

« [... cette guerre qui se traduisait déjà par] une série d'actes aussi inconciliables avec les prescriptions du droit international positif qu'avec les prescriptions du droit naturel et même avec les sentiments d'humanité les plus élémentaires ; les atrocités et l'usage illicite de moyens de destruction, même contre des non-combattants et des fugitifs, contre des vieillards, des femmes et des enfants 18 ».

Ou encore celle-ci, qui dit sa révolte à la pensée « ... des centaines de milliers de personnes qui, sans la moindre faute de leur part, mais simplement parce qu'elles appartiennent à telle race ou à telle nationalité, sont vouées à la mort ou à un dépérissement progressif 19 ».

Ou enfin celle-ci par laquelle il revient à la charge, en évoquant les « supplications anxieuses de tous ceux qui, à raison de leur nationalité ou de leur race, sont accablés des plus grandes épreuves et des douleurs les plus aiguës, et parfois même destinés, sans faute personnelle, à des mesures d'extermination 20 ».

Ces prises de position dépourvues de toute ambiguïté et que, sous cette forme ou sous une autre, on retrouve à l'exception près, dans la bouche de Pie XII chaque fois qu'il a pris la parole devant son public habituel (notamment dans tous ses messages de Noël et dans toutes ses allocutions rituelles du 2 juin de chaque année), ou sous sa plume, chaque fois qu'il a écrit, ne sont généralement pas plus prises [28] en considération par l'état-major du Vicaire que si elles n'avaient jamais été formulées. On ne peut que se poser la question : pourquoi ?

Et voici la réponse sous les espèces d'une déclaration faite au Centre de documentation juive contemporaine 21 par un banquier romain, Angelo Donati, qui tenait de l'envoyé britannique auprès du Saint-Siège, sir Osborne, l'échange des deux répliques suivantes, entre Mgr Maglione, secrétaire d'État de Pie XII et lui-même, en août 1943 :

- Vous voyez, dit Mgr Maglione à Osborne (dans son Message de Noël 1942), le Saint-Père a tenu compte des recommandations de votre gouvernement !
- Réponse de Osborne : Une telle condamnation qui peut aussi bien s'appliquer au bombardement des villes allemandes ne correspond nullement à ce [29] que le gouvernement britannique avait demandé.

Et c'est par là que perce le bout de l'oreille : les protestations de Pie XII contre les horreurs de la guerre ont toujours été formulées en des termes tels qu'elles les condamnaient toutes d'où qu'elles viennent et ce qui leur est reproché aujourd'hui, c'est de s'être refusé à ne condamner que celles de l'un des deux clans belligérants. Cette attitude de Pie XII s'inscrit dans une doctrine de la papauté et de l'Église - toute nouvelle, il est vrai, puisqu'elle ne date que de Pie X - qui ne fut jamais mieux définie que par Benoît XV et qu'il reprit a son compte :

« Nous regrettons de ne pouvoir faire plus pour hâter la fin du fléau (la Première Guerre mondiale). Notre charge apostolique ne nous le permet pas. Quant à proclamer qu'il n'est permis à personne, pour quelque motif que ce soit, de léser la justice, c'est sans doute, au plus haut point, un office qui revient au Souverain Pontife, constitué par Dieu l'interprète suprême et le vengeur de la Loi éternelle. Nous réprouvons toute injustice, de quelque côté qu'elle ait été commise. Mais il ne serait ni convenable ni utile d'entrer dans les litiges mêmes des belligérants 22»

« Convenable, utile... » ces mots ont, sans doute, un petit parfum de « réalisme » banal, mais c'est seulement si on les isole de leur contexte et si on oublie qu'un pape a aussi rang et prérogatives de [30] chef d'État, qu'en conséquence, comme tout chef d'État, il est astreint, en public, au langage diplomatique s'il ne veut pas compromettre sa mission « apostolique ».

Dans la conversation avec le journaliste auquel il rappelait ce propos, comme celui-ci lui faisait remarquer que « de nombreux prêtres (avaient été) pris en otages en Belgique et en France et (avaient été) fusillés », Benoît XV répliqua que, dans l'autre clan, d'autres otages avaient aussi été pris et fusillés et non seulement des prêtres :

« J'ai reçu, dit-il, des évêques autrichiens l'assurance que l'année russe aussi avait pris des otages parmi les prêtres catholiques, qu'elle avait, un jour, pousse devant elle quinze cents juifs, pour avancer derrière cette barrière vivante exposée aux balles ennemies. L'évêque de Crémone m'informe que l'armée italienne a déjà pris en otages dix-huit prêtres autrichiens 23. »

On croirait lire le télégramme qu'étant, à son tour, venu s'enquérir auprès de Pie XII de la véritable signification qu'il fallait accorder à son message de Noël 1942, M. Harold Tittmann, principal collaborateur de M. Myron Taylor, représentant personnel du président Roosevelt auprès du Saint-Siège, envoyait au département d'État le 5 janvier 1943 :

« En ce qui concerne son Message de Noël, écrivait le diplomate américain, le pape me parut sincèrement convaincu qu'il s'était exprimé assez clairement pour satisfaire tous ceux qui avaient insisté pour qu'il ait au moins une parole pour condamner les atrocités [31] nazies et il sembla surpris lorsque je lui dis que certains ne partageaient pas sa conviction.
« Il me dit qu'il lui paraissait évident pour tout le monde qu'il avait voulu parler des centaines de milliers de Polonais, de juifs et d'otages tués ou torturés sans aucune raison, parfois uniquement à cause de leur race ou de leur nationalité.
« Il m'expliqua qu'en parlant des atrocités, il n'aurait pu désigner nommément les nazis sans parler en même temps des bolcheviks, ce qui, pensait-il, ne plairait peut-être pas aux alliés.
« Il me déclara qu'il craignait que les rapports d'atrocités signalées par les alliés fussent fondés mais il me laissa entendre que son sentiment était qu'ils avaient pu être dans une certaine mesure exagérés dans un dessein de propagande. Dans l'ensemble, il estimait que son message devait bien être accueilli par le peuple américain et je fus d'accord avec lui 24. »

Aussi clairement explicitée et approuvée par un diplomate américain - qui vaut bien les diplomates allemands que cite M. Saül Friedländer 25 pour prouver que seul Hitler pouvait « bien accueillir » tous ses faits et dits - le comportement de Pie XII, semble-t-il, n'eût jamais dû prêter à discussion même au seul plan des victimes à propos desquelles il a toujours déclaré qu'il avait « une égale sollicitude pour toutes », « ... pour tous ceux qui souffrent moralement et matériellement... en Allemagne comme dans le reste du monde... dans un clan ou dans un autre... [32] qu'elles soient ou non des enfants de l'Église. » C'était la seule façon de ne pas « entrer dans les litiges mêmes des belligérants », de ne pas prendre parti pour l'un contre l'autre, ainsi que le commandaient tous les impératifs de toutes les morales religieuses ou autres et de « hâter la fin du fléau » - « de ce massacre réciproque... insupportable », dit-il dans sa lettre à Mgr Preysing - dans les limites des possibilités qui lui sont laissées par sa charge apostolique. Du souci de la fin de la guerre et de la sollicitude du pape pour certaines d'entre les victimes seulement, ses accusateurs ont fait, sur le thème du Vicaire, les deux termes d'une alternative dans laquelle le second devait prendre le pas sur le premier. En se refusant à cette sollicitude sélective Pie XII a fait la preuve qu'entre lui et ses accusateurs, il y avait seulement une différence de hauteur dans les vues. A deux reprises, d'ailleurs, en Pologne en 1939 et en Hollande en 1942, son intervention dans ce sens n'avait que rendu plus atroce encore le sort des victimes et plus grand leur nombre, tout en compromettant, c'était clair, ses possibilités ultérieures au regard du retour à la paix.

On ne dira rien de cette façon qu'a M. Rolf Hochhuth de parler de « notre culpabilité à tous » et de désigner le pape comme « le représentant » de [33] cette culpabilité générale. C'est un phénomène psychologique bien connu que celui qui consiste, pour un coupable, à réagir premièrement en criant qu'il n'est pas seul coupable et à ne voir, autour de lui, que des gens aussi coupables que lui. Il n'est pas moins connu que le premier souci de plusieurs coupables, lorsqu'ils se retrouvent entre eux, est de rechercher, en dehors d'eux, le responsable de leur défaillance commune : celui-là, c'est un fait constant qu'ils le trouvent toujours et, après le fabuliste, le Petit Larousse le désigne sous le nom de « bouc émissaire ». Dans cette affaire Hitler, le poupon à peine sorti des langes, puis le gamin que fut, à l'époque, M. Rolf Hochhuth, ne porte de toute évidence aucune responsabilité. Sa réaction n'en figure pas moins au catalogue des phénomènes constants et non moins connus : à l'age des prises de conscience, il s'est, tout bonnement, brusquement trouvé face à face avec les responsabilités de ses proches, - de son père par exemple et de ses coreligionnaires protestants plus âgés que lui et dont le rôle ne fut pas mince dans l'accession de Hitler au pouvoir en Allemagne, donc dans la guerre, donc dans toutes ses conséquences. Pas de doute, bien qu'innocent, il appartenait à un clan de coupables et c'est cela qui fut insupportable pour lui. L'honneur du clan : c'est toujours Rodrigue qui ressent le plus vivement le soufflet reçu par son père et c'est toujours à lui que Don Diègue s'en remet. En l'occurrence, Rodrigue-Hochhuth avait beaucoup de pères. Et, pour tous ces protestants à mauvaise conscience, le soufflet, c'était ce pape à la conscience tranquille, dont la réputation n'avait pas le moins du monde souffert [34] de son comportement avant et pendant la guerre. La défaite de Luther. Des rôles inversés : le bon droit du côté de Don Gormas. Ayant beaucoup de pères, Rodrigue avait, au surplus, très peu de coeur : pour tirer l'épée, il attendit prudemment que Don Gormas fût mort.

Mais trêve de la comparaison.

Qu'en se repliant sur « notre culpabilité à tous », M. Rolf Hochhuth ait provisoirement réussi à mettre hors cause la culpabilité de son clan, à la diluer, à la noyer dans cette prétendue culpabilité générale et à lui redonner une bonne conscience, n'est pas moins douteux que son innocence personnelle, dans les deux sens du mot, d'ailleurs, et de préférence dans le sens de stupidité. On a pourtant l'impression qu'il a surtout voulu atténuer la portée de son incongruité et on l'en eût loueé si ce n'avait été la plus mauvaise de toutes les manières de s'excuser en se justifiant. Car, on se permet de le demander, quelle opération de l'esprit est plus vulgaire et, dans certains cas - celui, par exemple, de l'homme politique ou de son maître à penser le chef d'industrie, qui étendent à l'ajusteur de chez Renault la responsabilité d'une guerre ou d'un traité de paix - plus odieuse ? Si « nous sommes tous coupables » de la mort des juifs, pourquoi, en effet, ne le serions-nous pas tous de la guerre ? Pourquoi un seul de nous tous mérite-t-il d'être cloué au pilori ? Pourquoi quelques-uns seulement méritent-ils d'être punis et plus sévèrement encore ? Pourquoi M. Rolf Hochhuth figure-t-il parmi les plus acharnés à réclamer que ces quelques-uns seulement, à Francfort ou ailleurs, soient punis ? Un jour, quelqu'un prétendit que [35] « nous sommes tous des assassins » : le même thème mais, pour démontrer qu'il n'y avait pas de juges parmi nous et, indépendamment de la valeur de la formule, il faut convenir que celui-là était tout de même d'un autre format intellectuel.

Des explications et justifications de M. Rolf Hochhuth qui fussent dignes d'être retenues, il ne reste plus que celle par laquelle il se présente comme « un avocat de l'Église catholique ». Il n'en sera rien dit : le ridicule a aussi ses droits et il lui faut laisser sa part.


II. LE DROIT A L'AFFABULATION

Les supporters de M. Rolf Hochhuth ont, visiblement, tenté d'esquiver le débat sur le fond. D'abord les arguments qui leur furent opposés ne firent jamais l'objet d'un démenti de la part d'aucun d'entre eux : n'en pouvant contester les références, ils les acceptèrent pour vrais mais les déclarèrent insuffisants. Et quant à celui qui avait fourni à leur poulain le point de départ précis de son accusation, le trop célèbre document Gerstein, ils se contentèrent à son sujet, de procéder par affirmations : de notoriété publique en somme. Puis ils se réfugièrent dans des vérités générales sur la tradition du théâtre qui avait toujours été, des tragiques grecs à Paul Claudel en passant par Shakespeare, Corneille, Racine, Molière, Schiller, Victor Hugo, etc., d'emprunter des personnages à l'histoire et de les porter à la scène, arguant que, si Le Vicaire de M. Rolf Hochhuth choquait, [36] c'était seulement parce qu'il s'était permis de mettre en scène un pape, personnage considéré comme sacro-saint et intouchable par trop de gens et qu'il n'y avait pas de raisons fondamentales qu'on fît, pour Pie XII, une exception qu'on n'avait pas faite pour Socrate, Jules César, Richard III, Henri VIII, Cromwell, Jeanne d'Arc et même Alexandre VI Borgia qui, lui aussi, fut pape.

D'accord. On ajoutera même que les auteurs qui ont mis ces illustres personnages en scène, ont pris avec l'histoire autant de libertés que M. Rolf Hochhuth et que, cependant, personne ne leur en a jamais tenu rigueur. Pour deux raisons au moins : d'une part, et même dans le cas du peu scrupuleux Aristophane qui inventa le théâtre politique et même encore dans celui de l'épais Claudel, ils nous ont présenté des chefs-d'oeuvre de l'esprit, de la culture et de l'art, tandis qu'il ne s'est trouvé personne pour oser soutenir qu'à ce triple plan, Le Vicaire n'était pas qu'un sombre navet ; de l'autre, ils étaient gens honnêtes et, en tête de l'édition de chacune de leurs oeuvres, ils faisaient figurer une notice qui mentionnait leurs sources en précisant bien quelles libertés, les nécessités de la mise en scène, leur fantaisie ou leurs convictions, les avaient amenés à prendre avec l'histoire. C'est même pour permettre aux auteurs ces libertés qui ne trompent personne, ni en fait ni dans l'intention, que le théâtre s'est inventé ces personnages fictifs, suivantes et autres confidentes ou confidents qu'on nomme les « utilités ». Tandis que M. Rolf Hochhuth a fait suivre l'édition de son Vicaire d'un « appendice historique » dont il dit « qu'il n'est pas d'usage [d'en] alourdir une pièce [37] de théâtre 28 » ce qui montre à quel point il est renseigné sur les usages en la matière, - destiné, ajoute-t-il, « à prouver [qu'il] ne s'est permis de donner libre cours à son imagination que dans la stricte mesure où c'était nécessaire pour utiliser à la scène les matériaux historiques bruts dont il disposait 29 », et s'en était tenu « aux faits prouvés ou démontrables 30 ». Mais, à la lecture de cet appendice, on s'aperçoit qu'en sus des sophismes au moyen desquels il prétend démontrer la culpabilité de Pie XII, il n'est, relativement aux faits eux-mêmes contre lesquels ce dernier aurait dû protester, qu'une dissertation sur des témoignages de seconde ou de troisième main, pour la plupart sans référence précise, ou bien, s'ils en ont une, donnée dans la forme « un industriel dont le nom m'échappe 31 », « il est possible que 32... » « il est également possible 33 »... Tous ces témoignages au surplus n'apportent pas de preuves, mais seulement une conviction qui est la même chez tous et se peut résumer ainsi : « Le S. S. Kurt Gerstein qui m'a raconté ces choses » ou « qui les a racontées à mon voisin lequel me les a racontées à moi-même, ne peut pas avoir menti. » Des témoins de moralité en quelque sorte. Et quels ! Ils permettent a M. Rolf Hochhuth de déclarer : « En 1942, lorsqu'il [Gerstein] apparut à la nonciature et fut éconduit 34 », puis [38] d'insinuer : « Le courage et l'habileté de Gerstein qui, seuls, lui permirent de jouer pendant des années son téméraire double jeu dans la S. S., rendent plausible (sic) qu'il ait pu parvenir jusqu'à Mgr Orsenigo (le nonce du pape à Berlin) en personne lorsqu'il tenta de faire connaître au nonce apostolique des détails sur le camp de Treblinka. Connaissant la violence de ses sentiments et sa détermination pleine de ruse, on a peine à croire qu'il se soit laissé expulser de la nonciature par un prêtre subalterne 35»

C'est ce que M. Ervin Piscator, le metteur en scène du Vicaire appelle « développer artistiquement des matériaux scientifiquement dégagés 36 », et M. Jacques Nobécourt « une constante référence à l'histoire 37 ». Merci pour l'art, merci pour la science, merci pour l'histoire !


III. PORTRAIT DU S. S. KURT GERSTEIN

Si l'on songe que, tel qu'il est pose par M. Rolf Hochhuth, tout le problème consiste à savoir si, oui ou non, le S. S. Kurt Gerstein a réussi à faire parvenir au Vatican, en août 1942, des informations sur ce qui est réputé s'être passé, non au camp d'Auschwitz comme le prétendent MM. Jacques Nobécourt et Rolf Hochhuth, mais à Belzec et à Treblinka, il est tout de même important d'être aussi exactement renseigné que possible, sur ce S. S. Kurt Gerstein. Un document qui porte sa signature existe, [39] paraît-il, où il est dit qu'il a été « sommé de quitter la nonciature lorsqu'il s'y est présenté » et qu'il « a raconté cela à des centaines de personnes, entre autres au Dr Winter, syndic de l'évêque de Berlin, en le priant de le faire savoir au pape 38 ». De quoi M. Saül Friedländer, un autre procureur général dans cette affaire Pie XII, conclut : « Il n'y a aucune raison de croire que ce texte n'ait pas été envoyé a Rome », et ajoute que, même s'il ne l'avait pas été, « on est en droit de supposer (sic) qu'un texte identique a été transmis au Souverain Pontife par Mgr Preysing à la fin de 1942 39 ». C'est encore une nouvelle manière de « dégager scientifiquement » les vérités historiques. Et celui-ci est professeur d'histoire à l'Institut universitaire des hautes études internationales a Genève ! Pas un instant la pensée ne lui vient, comme à tous ceux qui ne sont pas totalement dénués de sens et qui se sont donné la peine de lire le document signé Gerstein, que si vraiment ce dernier a raconté ce qu'il contient au Dr Winter, celui-ci ne pouvait que le prendre pour un fou 40.

Quoi qu'il en soit, la vérité « scientifiquement dégagée » à laquelle M. Rolf Hochhuth a fini par se rallier et qu'il a portée à la scène est la suivante : en août 1942, le nonce du pape à Berlin a éconduit le S. S. Kurt Gerstein mais après l'avoir entendu ; le lendemain, un jeune jésuite de la nonciature le prend au sérieux et, le 2 février 1943, apporte au [40] Vatican les informations qu'il tient de lui ; pour plus de sûreté, Gerstein vient l'y rejoindre, réussit à s'y faire entendre, etc. La suite se devine : tout arrive au pape et le pape... se tait !

Car il est important pour la thèse soutenue, que le pape ait su et dans le détail. On ne voit pas pourquoi puisque, aussi bien, qu'il ait ou n'ait pas su dans le détail, cela n'eût rien changé à son comportement, étant donné la conception qu'il avait de sa mission apostolique, la seule acceptable au regard de toutes les morales, et qui était, on ne le répétera jamais assez, de réagir, non pas en fonction de telle ou telle catégorie de victimes ou de tel ou tel genre de mort qui leur était infligée, mais en fonction de la guerre elle-même et des possibilités d'y mettre fin. Dans l'un et l'autre cas d'ailleurs, la seule arme à sa disposition était l'intervention diplomatique, bien que M. Jacques Nobécourt qui l'admet pour Pie X 41 ne l'admette pas pour Pie XII. De toute façon, cette intervention diplomatique, il l'a faite chaque fois qu'il a su quelque chose, qu'il s'agisse des persécutions contre les juifs ou des bombardements aériens. La seule chose qu'on soit en droit de lui reprocher, c'est qu'il ne l'ait jamais faite en termes qui eussent signifié une prise de parti en faveur de l'un ou l'autre des belligérants. Mais c'est justement là son honneur car, valable pour un chef d'État quelconque, elle ne l'était pas pour Le Vicaire du Christ. Qu'il ait su ou non, n'a donc d'intérêt qu'au regard de la vérité historique. Or, il n'a pas su et le cardinal Tisserant 42 [41] qu'on a vainement tenté d'exploiter contre Pie XII et qu'en raison de ses démêlés avec lui 43 on ne peut suspecter, a définitivement tranché la question :

« Nous ne fûmes, a déclaré le cardinal, mis au courant d'Auschwitz qu'après l'arrivée des Alliés en Allemagne 44. »

Cette vérité qu'on ne peut, décemment, pas mettre en balance avec celle d'un Hochhuth ni même d'un Piscator, d'un Jacques Nobécourt ou d'un Saül Friedländer, oblige à dire ce qu'il en est exactement de ce S. S. Kurt Gerstein et du document qui porte sa signature.

C'est, pour moi, une vieille connaissance que le S. S. Kurt Gerstein. De même que, soucieux, par intérêt pour l'Europe impensable sans l'Allemagne, de ne pas laisser sombrer la vérité historique sur les camps de concentration dans les pires excès de la germanophobie, j'avais été sensibilisé par ce curé qui [42] avait réussi à persuader toute la France et même les journalistes du monde entier qu'il avait vu des milliers et des milliers de personnes entrer dans les chambres à gaz de Buchenwald et de Dora 45 où je savais qu'il n'y en avait pas, de même, le 31 janvier 1946, je l'avais été par ce document signé Gerstein où il était dit que, dans des camps de concentration de Pologne occupée, les juifs étaient « asphyxiés » systématiquement par fournées « de 750 à 800 personnes » « dans des chambres à gaz de 20 M2 (une version du document, car il y en a deux, dit 25) de superficie au sol » et « de 1 m. 90 de hauteur » et qui ajoutait qu'au total « 25 millions de juifs européens » avaient été ainsi asphyxiés. Auschwitz n'était que cité et, contrairement à ce qu'il en était de Belzec et de Treblinka, le S. S. n'avait pas vu lui-même, mais déduit de factures de Zyklon- B qu'il avait lui-même fourni à ce camp. On m'excusera, mais j'ai aussitôt pensé qu'un homme capable de dire de telles énormités, ou bien n'existait pas, ou bien n'était qu'un fou 46, que ceux qui prenaient ces choses au sérieux [43] ne relevaient que de la psychiatrie, qu'elles s'inscrivaient dans le cadre de la germanophobie à l'état le plus démentiel et, en raison du crédit qui leur était néanmoins accordé, on comprendra que j'aie voulu en avoir le coeur net. Voici donc, en résumé, ce que j'ai découvert et exposé ailleurs, dans un détail auquel je prie le lecteur soucieux de la vérité absolue, de bien vouloir se reporter 47 :

1 Le document Gerstein existe en deux versions, l'une allemande, datée du 26 avril 1945, l'autre française datée du 4 mai 1945 (ce qui prouve bien que Pie XII n'en pouvait avoir eu connaissance en 1942 - ou début 43 ainsi qu'il est dit dans Le Vicaire) et, si ces deux versions partent des mêmes faits, elles ne se recoupent, ni dans leur présentation ni dans leur énoncé.

2. Ni l'une ni l'autre n'ont jamais été présentées dans leur intégralité devant aucun tribunal, ni n'ont jamais fait l'objet d'aucune publication officielle : elles ont seulement été citées, sans qu'on sache de laquelle il s'agit, le 30 janvier 1946 au procès des grands criminels de guerre à Nuremberg sans autre indication de leur contenu, ce qui signifie que, ne lui ayant pas été présentées - malgré l'insistance du Tribunal d'ailleurs 48 - elles n'ont, ni l'une ni l'autre, été retenues à charge comme fondées. Il faut honnêtement préciser que des bribes dont il est impossible [44] de vérifier l'authenticité ont été retenues par d'autres tribunaux, dans d'autres procès, notamment ceux de la firme fabricante du Zyklon-B en janvier 1948, des médecins en janvier 1947, « motif pris que ce document avait été retenu au procès des grands criminels » ce qui était faux et « qu'on ne pouvait, d'après son statut, pas remettre en cause » les décisions de ce procès, et à Jérusalem au procès Eichmann en 1961, dans sa version française, à l'abri de la même raison juridique.

3. Le document Gerstein a, aujourd'hui, disparu du Dépôt central d'archives de la justice militaire française ainsi que « du dossier du tribunal de dénazification de Tübingen 49 » qui eut à connaître du cas de l'homme en 1949. Fort opportunément : le scandale provoqué par Le Vicaire en était arrivé à rendre sa publication indispensable et à peu près inévitable pour mettre tout le monde d'accord. Question : qui avait intérêt à le faire disparaître ? On remarquera que, dans cette affaire Pie XII, c'est la seconde fois qu'on signale une disparition de document : le dossier n° 6 du Vatican, on le sait, s'est également envolé des archives allemandes et, dans ce cas, il ne s'agit pas seulement d'un document mais de toute une liasse. On vole facilement dans les archives, ces temps. Et il ne semble pas que les autorités responsables de la garde des dépôts en soient autrement émues : pas la moindre enquête. La disparition du dossier n° 6 du Vatican des archives allemandes est grave, c'est sûr, mais dans une certaine mesure réparable : il reste [45] celles des Anglais et des Américains dont on peut espérer qu'elles ne sont pas livrées au pillage comme semblent l'être les françaises et les allemandes, et qui permettront, sans doute, les recoupements nécessaires. Il reste aussi celles du Vatican. Mais il y a, ici, la règle des cent ans de délai sans compter les retards possibles : on en est présentement à l'année 1849. Pour les archives politiques s'entend, non pour les Acta Apostolicae Sedis qui se publient en latin, sensiblement au jour le jour. Je me crois en mesure d'affirmer qu'en raison des polémiques provoquées par Le Vicaire, on fera une exception pour la période nazie, que même on y travaille déjà 50, mais que le passage sur le trône de Pierre, de celui que déjà on appelle « le bon pape Jean XXIII » n'a pas été de nature à faciliter les choses, ni à les activer.

Il y a aussi les archives russes, mais, étant donné les habitudes bien connues des Russes en matière d'histoire, il ne faut pas trop compter sur celles-ci, avant longtemps du moins *.

Pour en revenir au document Gerstein, c'est beaucoup plus grave : celui-ci n'a fait l'objet d'aucune démarche diplomatique et si l'original de ses déclarations - en deux langues 51 ­ a disparu, il n'en reste plus aucune trace. Si bien qu'il ne sera plus jamais possible d'en vérifier l'authenticité. Il reste bien une de ses deux versions, l'allemande, rendue publique par l'historien allemand Rothfels, mais cette version, [46] déjà très suspecte en raison des modifications ingénument avouées par des notes au bas des pages, qu'elle contient par rapport à l'original, si on ne retrouve pas cet original, ne sera plus qu'un « on dit »... Il reste aussi la version française rendue publique à la barre du Tribunal de Jérusalem 52 mais, si l'original a disparu, cela signifie que cette version n'a pas été reprise de lui et que, malgré la valeur juridique que le tribunal de Jérusalem lui a conférée, elle n'a aucune valeur historique : les procès en sorcellerie du Moyen Âge sont pleins de témoignages de cette valeur. Et, d'autre part, il reste les différences qu'elle présente avec la version allemande de M. Rothfels.

4. Il reste maintenant l'homme que fut le S. S. Kurt Gerstein. Il était mort lorsque, le 30 janvier 1946, on parla de lui pour la première fois au Tribunal de Nuremberg ; la date de sa mort est donnée comme connue : le 25 juillet 1945. Mais on ne sait ni où ni ce qu'est devenu son cadavre 53, ce qui fait que la date de sa mort devient elle-même douteuse. Sur les circonstances de cette mort : arrêté à Rottweil (Allemagne) par des soldats français à leur arrivée, il aurait été remis à la sûreté militaire américaine qui, après l'avoir interrogé, l'aurait remis à la sûreté militaire française, laquelle l'aurait acheminé sur une prison militaire de Paris pour interrogatoire supplémentaire. Laquelle, on ne sait pas : le document sur [47] lequel on s'appuie dit seulement : « la prison militaire de Paris 54 » ce qui est une singularité inattendue puisqu'il ne dit pas laquelle. Dans cette prison militaire qu'on ignore 55, on l'aurait, un matin, trouvé pendu. Après, plus rien : Nuit et Brouillard. Nous sommes à l'ère des disparitions mystérieuses de documents, d'hommes, même de cadavres et bientôt il sera plus facile de reconstituer ce qui s'est passé vingt siècles avant Jésus-Christ chez les Esquimaux ou les Hottentots que ce qui s'est passé la semaine dernière à Paris. Ce qu'est devenu le S. S. Kurt Gerstein après le 4 mai 1945 ? On n'en sait rien, mais il n'est pas exclu qu'on puisse encore réussir à le savoir : peut-être suffirait-il seulement d'appeler en témoignage les deux officiers américains qui l'ont interrogé, dont on connaît les noms et les adresses. Je dis peut-être. Car il est tout de même une hypothèse où ils se borneraient à confirmer : si le S. S Kurt Gerstein n'avait dit ce qui figure dans le document qui porte sa signature - si c'est la sienne ! - que sous la contrainte au cours ou au terme d'un interrogatoire du type « les aveux les plus doux », et était tout simplement mort entre leurs mains à Rottweil même. Dans ce cas, le transfert dans cette prison militaire de Paris qu'on ignore n'aurait été qu'une pure invention pour dissimuler le crime et ce serait la raison pour laquelle on l'ignore.

Dans toutes les autres hypothèses imaginables, ils [48] parleront et, à partir de ce qu'ils ont fait de Gerstein après l'avoir interrogé, on pourra, de proche en proche, reconstituer l'itinéraire qui l'a conduit à la mort, en déterminer les circonstances, peut-être même retrouver son cadavre et, du même coup, on sera fixé sur l'authenticité du document qui lui est attribué.

Jusqu'ici on s'est bien gardé d'interroger ces deux-là. Si on ne s'y résout pas, maintenant que le document a disparu, autant dire qu'il n'a jamais existé.

Et, malgré toute la compétence de M. Rolf Hochhuth et de ses supporters à « dégager scientifiquement » les vérités historiques, Le Vicaire ne repose plus sur rien.

On comprend dès lors que, chaque fois que quelqu'un a tenté de les amener sur ce terrain qui est celui même de l'histoire, ils se soient dérobés.


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