Paru en juin 1996
Donnez-moi cinq lignes écrites de
la main de n'importe qui et je le fais pendre.
RlCHELIEU
L'ULTRA-GAUCHE NE BRILLE PAS toujours par le bon goût. Ce n'est point, il est vrai, son objectif premier. Aussi le chasseur de sorcières est-il assuré de trouver son miel en épluchant les textes publiés depuis dix ou vingt ans. L'amour du paradoxe propre aux minorités infimes, l'assurance que la formule choc, sinon chic, n'épatera que les cinq cents lecteurs d'une publication aussi éphémère que confidentielle, une tendance désolante à passer le réel à la moulinette de la théorie, tout se conjuguait pour encombrer de fâcheuses scories une production intellectuelle par ailleurs excitante et heureusement percutante dans l'atonie générale.
Ecrire que "le camp nazi figure l'enfer d'un monde dont le paradis est le supermarché", c'est plonger le lecteur dans un abîme de perplexité. Comparer le fichage informatique du citoyen d'aujourd'hui au numéro tatoué sur l'avant-bras du déporté d'hier, cela évoque les "CRS = SS!" du joli mois de mai d'antan. Et que répondre à la proposition impeccable selon laquelle, le camp de concentration nazi étant le lieu d'une surexploitation capitaliste, l'extermination n'aurait pas dû être programmée, puisqu'elle conduisait à se priver d'une main-d'oeuvre infiniment profitable? On ne peut que déplorer que Hitler n'ait pas été un agent cohérent du capitalisme...
On a cité ces perles parmi quelques autres du même acabit, parce qu'elles fournissent aujourd'hui matière à des réquisitoires diffusés dans l'extrême gauche et visant à ranger leurs auteurs dans la clique négationniste. L'amalgame n'est pas acceptable. Que certains sujets imposent un devoir de prudence dans leur traitement, c'est pour nous l'évidence même. Que telle proposition ou formulation de l'ultra-gauche exaspère, voire indigne --accordé ! Mais ces dérapages sur la forme n'impliquent pas un dévoiement quant au fond. Avant de fulminer l'anathème, et à moins de s'abandonner aux délires d'une inquisition de type stalinien, l'honnêteté intellectuelle et politique exige d'y regarder de plus près.
Cette honnêteté réclame d'abord le respect de la chronologie. On avait le droit de fréquenter la Vieille Taupe avant qu'elle ne devienne une officine négationniste,
de même qu'on pouvait être l'ami de Pierre Guillaume avant qu'il ne se fÎt, comme l'écrit Serge Quadruppani, "supplétif pittoresque et clown ultra-gauche de l'extrême droite".
Sous prétexte que Roger Garaudy est devenu ce que nous savons, va-t-on reprocher à tel ou tel de l'avoir pieusement écouté au temps où il était un membre respecté du comité central du PCF ? La pitoyable dérive d'un abbé Pierre ne nous empêchera pas de continuer à penser, avec la majorité des historiens, que les négationnistes ont reçu avec la loi Gayssot un inappréciable cadeau. (MERCI BEAUCOUP, C'EST TROP!) De même peut-on garder intacte la mémoire de la tentative d'extermination des Juifs avec son irréductible singularité sans accepter pour autant qu'elle vaille amnistie instantanée pour tous les crimes de masses perpétrés dans le monde au motif qu'ils se situeraient à un échelon inférieur sur on ne sait quelle échelle de Richter de la barbarie.
On peut assurément professer un avis différent, mais penser cela, est-ce du négationnisme ? (BEN, CA COMMENCE LA, JUSTEMENT...)
L'ouvrage que l'on va lire fait le point sur le parcours politique des auteurs et d'un certain nombre de leurs camarades. Il se signale par une propension à l'autocritique qu'on souhaiterait trouver chez ceux qui se veulent leurs procureurs. Erreurs, imprudences et outrances sont par eux-mêmes soulignées et analysées. Mais qu'on les assimile à la crapule révisionniste, voila qui leur fait à juste titre horreur! Ont-ils jamais témoigné de l'antisémitisme rabique qui est le signe distinctif de la secte? Les a-t-on pris à fricoter avec l'extrême droite? Pour ceux qui les connaissent, poser ces questions est déjà outrageant, s'agissant de militants qu'on retrouve depuis des années au premier rang du combat antifasciste. Non point de cet antifascisme pétri de bons sentiments et peu avare de discours moraux et de dissertations éthiques, producteur de consensus commodes où les politiciens de la gauche pourrie trouvent leur profit électoral, mais d'un antifascisme qui sait que le ventre toujours fécond, c'est le système social dans lequel nous sommes et que la bête ne sera terrassée qu'à condition de briser ce système inique.
Navrante querelle! Comment ne pas voir qu'elle ne profite qu'à l'ennemi commun qui doit bien rire au spectacle de la zizanie prospérant dans notre camp?... Elle oppose des militants pour qui nous avons estime et amitié. Et nul ne déniera à ceux qui se sont faits les pourfendeurs des rouges-bruns le mérite d'avoir dénoncé des collusions inacceptables. Mais le zèle purificateur doit-il s'exercer sur les nôtres?
On aimerait que la publication de ces textes marque la fin d'une polémique amère et superflue. On voudrait que le sens de l'ennemi, premier devoir du militant, nous rassemble dans la lutte contre lui. Dans le cas contraire, et si les auteurs de cet ouvrage devaient monter sur quelque bûcher, on les y rejoindrait, ma foi, avec plaisir, assuré qu'on serait de griller en très bonne compagnie.
oooooooooooooooooooooooo
Extrait de: Libertaires et "ultra-gauche" contre le négationnisme
p.7-9, Collectif, Préface de Gilles Perrault
Editions Reflex, 21 ter rue Voltaire ;75011 Paris
juin 1996
Le réseau Voltaire, dans lequel se trouve Réflex, d'inspiration trotzkyste krivinique, bénéficie des subventions de la pornogauche des minitels roses. Merci la misère.
ISBN 2-9507124-1-X
Ce texte a été affiché sur Internet à des fins purement éducatives, pour encourager la recherche, sur une base non-commerciale et pour une utilisation mesurée par le Secrétariat international de l'Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre et d'Holocauste (AAARGH). L'adresse électronique du Secrétariat est <[email protected]>. L'adresse postale est: PO Box 81475, Chicago, IL 60681-0475, USA.
Afficher un texte sur le Web équivaut à mettre un document sur le rayonnage d'une bibliothèque publique. Cela nous coûte un peu d'argent et de travail. Nous pensons que c'est le lecteur volontaire qui en profite et nous le supposons capable de penser par lui-même. Un lecteur qui va chercher un document sur le Web le fait toujours à ses risques et périls. Quant à l'auteur, il n'y a pas lieu de supposer qu'il partage la responsabilité des autres textes consultables sur ce site. En raison des lois qui instituent une censure spécifique dans certains pays (Allemagne, France, Israël, Suisse, Canada, et d'autres), nous ne demandons pas l'agrément des auteurs qui y vivent car ils ne sont pas libres de consentir.
Nous nous plaçons sous
la protection de l'article 19 de la Déclaration des Droits
de l'homme, qui stipule:
ARTICLE 19
<Tout individu a droit à la liberté d'opinion
et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être
inquiété pour ses opinions et celui de chercher,
de recevoir et de répandre, sans considération de
frontière, les informations et les idées par quelque
moyen d'expression que ce soit>
Déclaration internationale des droits de l'homme,
adoptée par l'Assemblée générale de
l'ONU à Paris, le 10 décembre 1948.