T'EN SOUVIENT-IL, il y a un peu plus d'un an, je mettais cet en-tête sans ironie aucune à la lettre par laquelle je tentais de te rappeler à la raison avant que tu ne sombres dans le délire inquisiteur à quoi, Daeninckx, tu te réduis aujourd'hui. J'invoquais alors nos communes colères contre les saloperies dont ce monde n'est pas avare, je ne savais pas encore que tu t'emploierais à en produire d'inédites. Il suffit d'avoir consulté les documents auxquels tu te réfères, ou lu Libertaires et ultra-gauche contre le négationnisme, livre auquel j'ai contribué, ou simplement fréquenté ceux de mes amis que tu essaies d'amalgamer à d'authentiques négationnistes, pour voir que dans ton livre Le jeune Poulpe contre la Vieille Taupe, alternent en rangs serrés le mensonge avec la falsification.
Mais la théorie ne te suffit pas. Voilà longtemps que tu es passé à la pratique. Tel jour de mars, à Bourges, je découvre que tu as envoyé aux organisateurs une lettre de dénonciation, tel autre jour, on m'annonce que tu transformes chaque débat sur le roman noir en meeting contre ma modeste personne. Fin juin, j'apprenais coup sur coup qu'à la suite de tes interventions, on annulait à la dernière minute la proposition d'une "résidence" (quelques mois d'émoluments en échange de travaux paralittéraires dans une ville de province) qui m'avait été faite depuis plusieurs mois, que des bibliothèques de Strasbourg renonçaient à m'inviter ainsi que l'exposition accompagnant le lancement de la nouvelle collection que je dois diriger au Fleuve Noir et enfin, que tu faisais tout ton possible pour empêcher ma participation au festival Auber Noir.
Il semble que tu puisses encore trouver beaucoup de gens pour croire à l'existence de ce Quadruppani que tu as inventé, cette espèce de démon négationniste, démon d'autant plus dangereux que j'affirme et argumente mon antinégationnisme. Très souvent, ceux qui cèdent à tes lettres de cachet ont pour tout argument : "oui, peut-être qu'il exagère, mais vous comprenez, il est capable de faire un tel ramdam médiatique, et nos financiers, (ou nos électeurs, ou nos élus)...". D'autant que, profitant d'un nouveau feuilleton médiatique, tu as tenté de me coller une nouvelle étiquette en faisant de mes amis et de moi des espèces d'apologistes de la pédophilie. Peu importe la réalité d'articles, où nous ne faisions nullement l'éloge de la pédophilie: j'imagine que l'année prochaine, s'il y a une série de morts par overdose et une excitation médiatique sur la question des drogues, tu découvriras des textes où nos positions n'étaient pas assez orthodoxes à ton goût... Première question: jusqu'où étendras-tu le champ du délit d'opinion ?
Deuxième question: pourquoi fais-tu ça ? Tu sais bien qu'il y a tant d'autres combats infiniment plus importants à mener, alors, pourquoi ? Quand, dans cette entreprise d'interdiction professionnelle que tu mènes avec tant de constance contre moi, tu viens d'obtenir une nouvelle victoire, comment se manifeste ta jouissance ? Posons sans détour la question: quand tu viens de me faire perdre un boulot, est-ce que tu bandes ?
Je l'ai dit et redit depuis tant d'années, que je peux bien le redire encore: les révisionnistes et les négationnistes sont des antisémites, et ils doivent être combattus comme tels. Mais s'il faut vraiment se pencher sur l'histoire du courant ultra-minoritaire auquel j'ai appartenu, je pense qu'on peut seulement nous critiquer, mes amis et moi, pour ne pas avoir rompu assez vite et assez fort avec la petite minorité de nos camarades qui, au début des années 80, ont sombré dans le délire faurissonien. On peut aussi, je l'ai déjà dit dans Libertaires..., nous reprocher ces formules stupides ou carrément odieuses (dont celle sur le tatouage des déportés) que tu ressers à satiété, en oubliant tout ce qui les entourait, qui montre bien que nous ne visions nullement à nier la réalité du génocide.
En tout cas, on ne peut pas nous reprocher d'avoir soutenu en direct des dictateurs sanglants comme tant de tes amis, ex-staliniens ou ex-maoïstes aujourd'hui reconvertis dans les allées du pouvoir et la bonne conscience antifasciste. En tout cas, même s'ils jugent plus graves que moi nos positions passées, un historien comme P. Vidal-Naquet, dont les compétences en la matière sont indiscutables et incomparablement supérieures aux tiennes, ou des spécialistes reconnus de l'extrême-droite comme René Monzat ou P.-A. Taguieff m'ont à présent donné acte de ce que mon refus du négationnisme était sans ambiguité. En tout cas, tous ceux dont j'ai croisé le chemin depuis vingt ans dans les divers mouvements sociaux, et en particulier dans les luttes contre la xénophobie d'Etat, tous ceux qui ont simplement pris la peine de discuter un moment avec moi, savent combien je suis éloigné de l'ignominie antisémite.
Mais, dans un milieu d'anti-négationnistes de fraîche date qui savent ce que c'est que le Poulpe mais ignorent qui a écrit Les Assassins de la mémoire, tu es bien sûr assuré de trouver encore longtemps des disciples. C'est indiscutable, tu as du pouvoir. Parce que tu as réussi à te faire tailler par les médias un beau costume de zorro antifasciste. Parce que, avec toutes les ressources d'un vieux bureaucrate stalinien, tu sais te ménager des alliés dans les allées du pouvoir de gauche et utiliser, dans les groupuscules, les luttes de tendances qui, bien incapables de faire reculer Le Pen sur le terrain, préfèrent jouer à leurs guéguerres entre elles. Parce que, à l'instar d'un Jean-Edern Hallier ivre de son propre personnage, critiquant les médias mais réclamant sans cesse leur attention, tu les assièges avec une obstination qui lasse beaucoup de monde, mais qui réussit toujours à gratter un peu de pub.
(Mais s'il faut te comparer à quelqu'un, quand tu t'en prends à des membres du groupe anti-fasciste Reflex, et que, parlant d'anciens textes d'analyses très clairement antinazis, tu les présentes comme s'il s'agissait de textes pronazis, c'est au Garaudy première manière, au menteur stalinien des années cinquante que tu me fais penser.)
Donc, aujourd'hui, appuyé sur ta petite bande de "pablistes", tendance trotskiste dont le gourou fut un ami du célèbre banquier néo-nazi Genoux [mis pour Genoud], additionnés d'anciens maos toujours curés, d'archéo-staliniens, de ratés du CNRS et d'anarchistes tendance Guy Mollet, tu peux encore prétendre décider de qui peut ou ne peut pas apparaître dans les festivals, les salons et les librairies. Tu peux continuer à prétendre régner sur le milieu du polar: quel programme! A ce milieu, je dirai seulement qu'on a les chefs qu'on mérite. A toi, que ce pouvoir, je te le laisse...
Bien entendu, ton règne n'est pas sans partage. Beaucoup de gens trouvent que tu "exagères" et bon nombre savent carrément à quoi s'en tenir en ce qui te concerne. Pour l'heure, peu osent encore s'opposer ouvertement à toi. Mais attention: tout ton pouvoir repose sur ta capacité à capter l'attention des médias, et les médias sont volages. Quand tu auras fini de lasser les journalistes et qu'ils auront éteint ton haut-parleur, quand tu apparaîtras enfin aux yeux de tous pour ce que tu es: un délirant procureur au petit pied, tu pourras encore compter sur moi. Pour toi, comme pour n'importe qui, je m'opposerai toujours à toute forme d'interdiction professionnelle.
Serge QUADRUPPANI
p. 6: Daeninckx invoque R Monzat, grand connaisseur de l'extrême-droite (il est l'auteur d'un livre publié aux éditions Le Monde-La Découverte), il oublie de dire que Monzat s'est complètement démarqué du délire daeninckxien. Voir sa lettre au Monde du dernier samedi de juin (ou début de juillet), où il parle de notre itinéraire comme le "seul cas de rupture politique et collective avec le courant révisionniste".
p. 11: Ni Gilles Dauvé, ni Christine Martineau, ni moi-même n'avons jamais signé une pétition en faveur de Faurisson. Aucun des animateurs-fondateurs de La Banquise n'a jamais soutenu Faurisson dans son entreprise négationniste, nous n'avons jamais fait partie du groupe qui, autour de Pierre Guillaume, a soutenu Faurisson et qui était agrégé principalement autour de la Guerre sociale. Nous avons créé La Banquise, précisément pour critiquer la dérive de P. Guillaume. En 1978, à la première apparition publique de Faurisson, dans un article de Libération, comme cet article semblait se terminer par un appel à un cassage de gueule de Faurisson, j'ai écrit au journal pour protester contre cela Début et fin de mon "soutien" à Faurisson. C'était, de ma part, une erreur. Rappelons cependant qu'à l'époque, Faurisson et Guillaume, avec leurs proclamations antinazies, paraissaient assez présentables pour qu'au premier, Le Monde laisse une demi-page pour exposer ses thèses, et au second, Libération accorde la publication d'un texte faurissonien. Ensuite. La Banquise a reconnu que c'était une erreur d'avoir signé un texte en faveur de Rassinier, dont la plupart des signataires (dont Dauvé et Martineau) ignoraient les textes antisémites. La Banquise a mis le doigt sur l'argumentation antisémite de Faurisson et l'a déclaré "indéfendable". A part ça, j'étais et reste partisan de la liberté d'expression de toutes les opinions, y compris les plus monstrueuses. On peut ne pas être d'accord avec cette position, mais y voir une complicité avec des idées que j'ai toujours combattues est un amalgame honteux.
p. 12: la collaboration de Gilles Dauvé à la Guerre sociale est antérieure à la dérive négationniste de cette revue, quand cette dérive a commencé, il n'y était déjà plus, et, par la suite, il a rompu explicitement avec ses animateurs pour leur révisionnisme.
p. 13: L'article cité de la Guerre sociale a été rédigé par des animateurs de cette revue en utilisant un brouillon de Dauvé, brouillon qui n'était nullement révisionniste, et alors que Dauvé n'était plus à la Guerre sociale. De même pour le Frondeur.
p. 15: Evidemment, comme le prouve la suite du texte de La Banquise, quand nous parlions de "parentés et convergences" avec la Guerre sociale, il s'agissait de la G.S. d'avant sa dérive révisionniste.
p. 16: L'interprétation fantasmatique de l'article L'horreur est humaine est du pur Daeninckx Le sens général de l'article "L'horreur est humaine" ne devrait faire aucun doute pour les lecteurs de bonne foi: il s'agit de combattre le fait que l'horreur bien réelle des camps serve à faire accepter l'horreur diffuse du monde moderne, pas de minorer l'horreur des camps Le résumé de l'article, en première page du n·1 ne laisse aucun doute là-dessus:
"Le monde moderne met en scène la misère et l'horreur qu'il produit pour se défendre contre la critique réelle de cette misère et de cette horreur. Cette mise en scène entretient et conforte le besoin d'exclure et d'éliminer une partie des membres du corps social, besoin qui est lui-même la matrice de toutes les horreurs..."
Cette thèse peut être discutée, l'assimiler à du négationnisme est un nouvel amalgame honteux.
p. 19: Daeninckx invoque contre moi un jugement ancien, que je conteste, de P. Vidal-Naquet. Il oublie de dire que, en tout cas, depuis, à deux reprises, P. Vidal-Naquet a enregistré le regard critique que je porte sur les textes de l'époque, au point de m'écrire: "Il est clair en effet que nous partageons maintenant le même combat" (lettre du 27/6/96 qu'il m'autorise à rendre publique) Pierre Vidal-Naquet est aussi signataire d'un texte de nombreux auteurs qui refuse qu'on m'accole l'étiquette "négationniste" et qu'on m'empêche d'exercer mes activités d'auteur à cause de cette étiquette.
p. 21: l'analyse que fait DD des motivations de notre texte "les ennemis..." est encore purement fantasmagorique, puisque, n'ayant jamais ni pensé, ni écrit que les chambres à gaz n'ont pas existé, nous n'avons jamais été négationnistes Citons la fin du texte: "... Ie révisionnisme n'est qu'une extravagante variété d'antisémitisme. Les révisionnistes doivent donc être traités pour ce qu'ils sont: des ennemis"
Il faudrait aussi parler de:
-- l'incapacité de Daeninckx à comprendre le français quand ça l'arrange (l'expression "gigantesque détail" est précisément utilisée par Dauvé, dans un paragraphe clairement anti-faurissonien, pour rejeter l'idée que les chambres à gaz ne seraient qu'un "détail"),
-- son utilisation de brouillons de textes (procurés on ne sait comment) qui avaient été amendés non pas "devant le scandale" (quoi, où, quand, le scandale avant publication ?), mais sur la crainte de la mauvaise foi de certains lecteurs (juste crainte !)
-- du fait que jamais Perrault n'a dit que nous avions soutenu Faurisson, chose aisément vérifiable auprès de lui
-- des arrière-pensées que Daeninckx prête à un passage du texte "Les ennemis de nos ennemis...", texte pourtant signé à l'époque par Alain Bihr, un des co-auteurs du livre Les Chiffonniers de l'histoire, fidèle soutien de Daeninckx, qui a écrit récemment (dans une polémique avec la revue Théorie communiste) que ce texte, il le signerait encore, mais pas avec les mêmes gens...
-- des calomnies contre Maurice Rajfus, qui n'est désigné qu'à travers sa revue: rappelons seulement que Rajfus, qui a vu toute sa famille partir en camp de concentration, est quelque peu fondé à éprouver de la colère devant les mensonges et amalgames daeninckxiens...
Il faudrait parler encore longtemps, mais il me semble que ça suffit: pour Daeninckx et ses séïdes, chacun de mes arguments n'est qu'une preuve supplémentaire de ma perversité. Et quant aux gens de bonne foi désireux d'en savoir davantage, je ne puis que les renvoyer à la lecture de Libertaires et "ultra-gauche" contre le négationnisme, Ed. Reflex.
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Quels que
soient les accords ou désaccords que nous avons eus ou
avons encore avec lui sur tel ou tel de ses écrits présents
ou passés, nous connaissons assez Serge Quadruppani, par
ses écrits ou personnellement, ou de ces deux façons,
pour estimer inacceptable qu'on lui applique aujourd'hui une étiquette
de "négationniste". Il est tout aussi inacceptable
que cette accusation calomnieuse soit invoquée pour l'empêcher
d'exercer pleinement ses activités d'auteur, avec la part
d'apparition publique qu'elles comportent.
Premières signatures:
Pierre Vidal-Naquet, historien; CHEVALIER DE LA LEGION D'HONNEUR Gilles Perrault, écrivain; P.-A. Taguieff, sociologue; Maurice Rajfus, écrivain; Thierry Jonquet, écrivain; Gérard Delteil, écrivain; Hervé Prudon, écrivain; Alain Dugrand, romancier; Anne Vallaeys, romancière; Howard Buten, écrivain; Michèle Lesbre, romancière; Max Genève, romancier; Georges J. Arnaud, écrivain; Paul Vecchiali, cinéaste; Pascal Garnier, écrivain; Mélissa Manchette; (QUAND ON PEUT PAS FAIRE SIGNER LES MORTS, ON FAIT SIGNER LES VEUVES!!) Gérard Lambert et Dominique Le Corre, libraires (Saint Nazaire); Nicolas Grondin, libraire (Paris); Serge Rey et Jean-Claude Lecoq, libraires (Valence); Jean-Christophe Brochier et Ariane Viénot, éditeurs; Franck Spengler, éditeur; Gébé, dessinateur; Robert Bonaccorsi, des Cahiers de littérature populaire; René Merle, romancier; Fabienne Messica, écrivain; François Cerruti, correcteur; Yves Pagès, écrivain; Anne-Marie Métailié, éditeur.
+++++++++++++++++++
Tract circulant à l'automne 1997.
On retiendra , entre autres les passages suivants :
" En 1978, à la première apparition publique de Faurisson, dans un article de Libération, comme cet article semblait se terminer par un appel à un cassage de gueule de Faurisson, j'ai écrit au journal pour protester contre cela Début et fin de mon "soutien" à Faurisson. C'était, de ma part, une erreur. " QUEL BRAVE PETIT BONHOMME. QUI IRAIT PROTESTER AUJOURD'HUI SI LE DÉDÉ BELLEPOU VIENT LUI CASSER LA GUEULE ???
Les commentaires en lettres capitales sont de la rédaction de l'AAARGH.
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ARTICLE 19
<Tout individu a droit à la liberté d'opinion
et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être
inquiété pour ses opinions et celui de chercher,
de recevoir et de répandre, sans considération de
frontière, les informations et les idées par quelque
moyen d'expression que ce soit>
Déclaration internationale des droits de l'homme,
adoptée par l'Assemblée générale de
l'ONU à Paris, le 10 décembre 1948.