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Pleurnicher dans les bras tatoués des Potes, le rêve!!

Pour la mémoire et la justice

par Philippe Videlier*


Cela commence comme un fait divers, une histoire policière, un roman de Léonardo Sciascia: vous ouvrez la porte qu'il ne faut pas. Dans une histoire simple, par exemple (qui, comme tous les romans de Sciascia, se passe en Sicile), un voyageur assiste à un forfait par pur hasard. Soucieux d'honnêteté, il rapporte ce qu'il a vu aux autorités. Il ne sait pas, ce faisant, qu'il parle à la personne qu'il ne fallait pas, et il lui arrive une cascade d'ennuis. C'est le début de l'histoire... Le 11 octobre 1993, j'ai dû, neuf ans après mon entrée comme chercheur au CNRS, quitter le Centre Pierre Léon, unité de recherche en Histoire à laquelle j'étais intégré. Venait d'y être recrutée, sous l'autorité de son directeur, une personne qui avait activement et durablement milité dans un groupe faurissonien, un groupe de négateurs de l'Histoire, un groupe de profanateurs de la mémoire, appelé "la Guerre Sociale". Groupuscule prolongement de la Vieille Taupe, La Guerre Sociale s'est vendue corps et âme à Robert Faurisson et à ses thèses sans discontinuer depuis 1979.

Qu'on en juge par ces extraits de leurs professions de foi:

"La légende des 'chambres à gaz' a été officialisée par le tribunal de Nuremberg, où les nazis étaient jugés par leurs vainqueurs (..). On s'est interrogé pour savoir qui manipulait Faurisson, en soupçonnant l'extrême droite. Nous qui sommes révolutionnaires entendons en tout cas le soutenir. Et certainement pas en vertu d'un droit général à la liberté d'expression ou d'enseignement. Pas seulement non plus par réflexe de solidarité humaine, mais parce que Faurisson est attaqué pour avoir cherché et fait progresser la vérité." (1979) "Il y avait tabou, nous avons soutenu Faurisson (...) Le courage en cette affaire fut d'abord celui-ci: accepter de se faire traiter de fous, de nazis, prendre le risque de voir déprécier le reste de notre activité par cet engagement. Ce risque, nous l'avons pleinement mesuré et nous l'avons pris à la suite de (Pierre) Guillaume." (1984)

Ce groupe était également connu pour ses exactions, de son implication dans l'attaque de la Librairie "Des femmes" à Paris à l'agression d'un écrivain, Jacques Baynac, qui avait dénoncé leur "camelote nazie" dans Libération. La trajectoire de cette personne, j'en avais eu connaissance par pur hasard, par quelqu'un qui l'avait vu militer. Quel honnête homme peut raisonnablement avoir envie de travailler avec ces gens là ? Quel historien peut accepter de telles fréquentations? Non sans naiveté, comme le personnage de Sciascia, je m'en étais ouvert au directeur de l'unité de recherche. C'est alors que les ennuis commencèrent. J'avais vu ce qu'il ne fallait pas voir. On voulut me faire taire, on me mena la vie dure, jusqu'à ce que le protégé du directeur soit officiellement recruté. Je décidais alors de demander ma mutation. Lorsque j'ai dû quitter le Centre Pierre Léon, le 11 octobre 1993, non seulement le nouveau recruté n'avait jamais désavoué le credo de son organisation, mais il niait même la vérité: avoir milité à "la Guerre Sociale". La version officielle, la langue de bois de l'époque, dans un courrier du CNRS adressé à SOS Racisme, était: "rumeurs injustifiées", "allégations sans fondement". La presse a alors mis en évidence la réalité du militantisme de cette personne qui l'a ensuite reconnu . Ainsi était entré en Histoire à Lyon quelqu'un qui trafique sa propre histoire après avoir appartenu à un groupe de trafiquants de l'Histoire.

Je pense quant à moi que cela pose un problème tragique. Le Centre Pierre Léon est situé dans l'ancien siège de la Gestapo, face à l'actuel Musée de la Résistance et de la Déportation.

Les lieux sont ceux-là mêmes de l'horreur, où Jean Moulin et Marc Bloch ont été torturés par Barbie. C'est à mes yeux une insulte à leur martyre. Est apposée à l'entrée une plaque rappelant le sacrifice des victimes de la barbarie nazie que niait "Guerre Sociale". Est-ce donc ainsi que l'on entend maintenir vivant leur souvenir? Pour avoir refusé de cautionner ce que je considère comme indigne, et pour ce seul motif, les responsables de l'affaire essayent depuis plus de trois ans, de me chasser de Lyon, d'empêcher que je retrouve normalement le poste que les instances compétentes du CNRS m'attribuent. Trois ans pendant lesquels j'ai été soumis aux pressions les plus violentes, telles qu'on les imagine dans les romans noirs: menaces diverses, dénonciations par courrier et affichage, interventions auprès de mes partenaires, etc. Après trois ans, les instances normales du CNRS sont encore mises en échec par l'obstruction insensée de quelques responsables universitaires Iyonnais qui s'opposent à mon affectation entravant les procédures de l'institution. SOS Racisme a été la première association à s'indigner de cette affaire, la première à intervenir, et, sans discontinuer, à affirmer que la mémoire et la justice doivent être défendues, que cette cause était celle de tous et qu'il s'agissait d'une lutte contre l'inacceptable. D'autres, très nombreux, m'ont apporté leur soutien, à commencer par le Syndicat National des Chercheurs Scientifiques. Une association, le cercle Marc Bloch, s'est créée, à l'automne 1994, autour de cette affaire, pour tenir l'opinion informée. La quasi-totalité des syndicats, la plupart des associations, les partis de gauche, partis communiste, socialiste et Verts ont manifesté leur solidarité. Des parlementaires, André Gerin, Jean-Luc Mélenchon, Michel Noir, Gilbert Chabroux, des personnalités, Dominique Voynet, Henri Leclerc, Françoise Gaspard, Mouloud Aounit, Fodé Sylla sont intervenus. Des dizaines de journaux, du Canard enchaîné à l'Humanité, de Golias au Figaro ont rendu compte du scandale. Et pourtant, plus de trois ans après, l'incroyable perdure: dans l'université lyonnaise, un historien est interdit professionnel pour avoir refusé de cautionner une atteinte à la mémoire, à la morale et à l'Histoire .

* Philippe Videlier est historien au CNRS à Lyon (oui, mais où ???)

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Pote@pote, le journal des banlieues, No· 25, septembre 1997, mensuel, Fédération Nationale des Maisons de Potes, 62, boulevard de Strasbourg, 75010 Paris, Tel.: 01 40 36 40 84. [Si les Maisons de Potes ne sont pas des maisons de retraite pour Pol Pot, que sont-elles? D'où vient le pognon?]


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