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[1992]

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Les ennemis de nos ennemis

ne sont pas forcément nos amis


Voila dix ans déjà que la Nouvelle Droite en lutte pour terrasser l'hydre totalitaire et l'égalitarisme réducteur, a découvert le droit à la différence, et les antiracistes professionnels commencent à peine à s'apercevoir qu'ils ont été piégés. En quête de ce qui lui manque le plus: des idées neuves, l'extrême droite musclée lance maintenant son OPA sur les survivants de ce qu'on appelait naguère l'ultra-gauche. Deux organes, Nationalisme et République et le Choc du mois, se sont fait une spécialité de ce recyclage: s'y étale la prose vengeresse de contempteurs de la production marchande, sous pseudonyme ou à visage découvert. [CES DEUX PUBLICATIONS ONT DISPARU, RUINEES PAR LES PROCES ET LES AMENDES ENORMES.] Au motif que gauche et droite sont à mettre dans le même sac, et que les extrêmes, c'est bien connu, se touchent, il faudrait rejoindre ceux qui, sur la rive opposée, refusent le consensus politique actuel et dénoncent le mercantilisme américain et quelques autres "ismes" de base. Que les faiblesses propres au milieu ultra-gauche aient pu être conduire certains à de telles dérives nous amène à réaffirmer quelques principes qui ne devraient pas avoir besoin d'être rappelés: on ne dialogue pas avec des gens qui s'acoquinent avec l'extrême droite, même si leurs ennemis officiels, familiers des rackets humanitaires, sont nos ennemis réels. On ne lutte pas avec eux contre la répression qu'ils [102] appellent, même si on refuse que l'Etat s'arroge le monopole de la vérité historique. Laissons les leaders de ces deux équipes s'empoigner par avocats interposés pour faire homologuer leurs buts. Nous n'avons rien à voir dans ce match complètement nul.

On connaît un des ressorts de la dialectique gauchiste: être plus démocrate que les démocrates bourgeois pour les forcer à se démasquer en faisant apparaître les failles de la démocratie et ressouder ainsi la phalange des irréductibles face à l'ennemi commun. Cercle vicieux s'il en fut. Car sous prétexte de ne pas hurler avec les loups, on en arrive à défendre une horde de la pire espèce. Ainsi au nom du respect de la liberté d'expression fétichisée, et de la solidarité avec toutes les victimes de la répression, certains demi-solde soixante-huitards se sont mobilisés pour la défense des théoriciens et des propagandistes des thèses révisionnistes, sans prendre garde, ou si peu, qu'au-delà des individus ils apportaient leur caution "gauchiste" à la remise à neuf idéologique d'une extrême droite en cours de recomposition. Les grands prêtres de l'"Eglise de scientologie révisionniste" ne s'y sont pas trompés: grâce à cette complicité active, ils ont su faire tomber le tabou qui empêchait toute diffusion de leurs idées au-delà des chapelles d'un néo-fascisme racorni.

Tant que l'extermination des Juifs d'Europe n'avait pas été niée, ou à tout le moins, réduite à la dimension d'un détail acceptable, ces théories étaient condamnées à une vie semi-clandestine honteuse. Historiens dits révisionnistes et nostalgiques du national-socialisme ou du socialisme national s'employèrent donc à faire sauter le verrou, transformant une vérité partielle, -- la manipulation démocratique, sioniste et stalinienne de l'entreprise génocidaire des nazis -- en un mensonge total, la négation des chiffres et la trituration de la mémoire aboutissant à l'effacement de l'événement même. Mais ce nouvel habillage n'aurait pas été davantage présentable si des rescapés du gauchisme soixante-huitard n'avaient pas apposé leur label "critique" et "révolutionnaire" sur la marque de fabrique trop voyante; et, surtout, s'ils n'avaient pas apporté au délire faurissonnien sur les chambres à gaz un semblant de cohérence en l'insérant dans un contexte "marxiste" pour en faire la "clé de voûte", garantie sur mesure, d'une pseudo-critique radicale de l'idéologie dominante.

Aux habituels ressorts intellectuels et psychologiques qui déterminent la passion antisémite, cette ultra-gauche a donc ajouté les [103] siens: le complotisme, la conception de l'idéologie comme mensonge, avec son culte illuministe de la Vérité, le goût du scandale et de la persécution. Mieux encore, les poursuites pénales comme les critiques de tous bords sont censées témoigner pour ces martyrs de la Vérité traqués par un adversaire aussi extraordinaire que malfaisant acharné à saper dans l'ombre l'oeuvre de la vieille taupe. Certains pouvaient y voir la main de la CIA, d'autres celle du KGB, d'autres encore celle d'Israël, ou des trois à la fois, le résultat était le même. La théorie du complot a, en général, le double avantage de proposer une solution simple, voire simpliste, à des problèmes compliqués et de donner à ceux qui savent l'impression d'être plus malins que les autres qui ne sont pas au parfum. Et si elle a le gros inconvénient d'être d'une très basse valeur explicative, puisque les arguments sont interchangeables et s'annulent, elle satisfait néanmoins à la demande: désigner à la vindicte un bouc émissaire facilement identifiable.

De même ne voir dans l'idéologie qu'un impur mensonge qu'il suffirait aux Bons de dénoncer pour que la Vérité pure et immaculée sorte du puits où les méchants la tiennent prisonnière, cette conception s'est nourrie de la découverte, puis de la dénonciation obsessionnelle et exclusive des réelles falsifications du "stalinisme". Inutile dès lors de poser des questions: pourquoi un tel mensonge plutôt que tel autre a-t-il trouvé écho? A quel besoin social répond cette fausse conscience? A quel moment surgit la question, à quel autre, la réponse? Et qui formule l'une et l'autre? Ici encore la dénonciation furieuse tient lieu d'explication.

Ainsi l'hyperrationalisme des révisionnistes désormais couverts sur leur gauche, a-t-il rejoint l'hypercriticisme des gauchistes traquant toujours plus avant dans ses retranchements la "mystification" de l'historiographie bourgeoise ou stalinienne. La destruction des Juifs n'entrait pas dans les catégories d'un matérialisme primaire qui érige une rationalité économique étriquée, en deus ex machina de l'Histoire. Plutôt que d'élargir les instruments conceptuels pour saisir le réel, il était plus simple de retailler la réalité à la mesure prescrite en en retranchant le corps du délit, décidément trop encombrant, et, en accusant les victimes d'avoir tout inventé, on exonérait les assassins avérés. C'est ainsi que la thèse du complot juif est réapparue sous la forme du complot sioniste, avec, dans son sillage, tout ce qui faisait le fond de commerce du racisme ordinaire. Car du Juif, coupable idéal, [104] puisque figure de l'ennemi sans terroir, sans visage nettement défini et vecteur du capitalisme apatride, on passe facilement à l'Etranger inassimilable et à son influence désagrégatrice sur le corps social.

Ce recyclage des lieux communs du nationalisme barrésien raffiné comme des formes plus rustiques du fascisme brun serait resté étroitement circonscrit, si ne c'était (MIS PROBABLMENT POUR "S'ETAIT"] présenté un climat social propice. Sur le terreau fertilisé par le chômage, les crises, la restructuration du capital et l'effondrement du mouvement ouvrier traditionnel a levé un mouvement favorable à cette révision de l'histoire complémentaire de la mise au rancart des idéaux progressistes menée tambour battant pat l'élite rose au pouvoir.

La nouvelle droite s'est appropriée avec d'autant plus de délectation certains des thèmes néo-soixante-huitards, comme le droit à la différence et le respect de l'identité, qu'ils sont indissociables du principe communautaire sur lequel reposent les nouvelles solidarités. Elles seraient destinées, nous dit-on, à remplacer celles nées des conflits de classes et offriraient, au-delà des clivages politiques et sociaux traditionnels, des points d'ancrage pour résister à la mercantilisation généralisée de la vie sociale. Or, loin de reconstituer le "lien social", ces solidarités fantasmées et sécurisantes, s'inscrivent dans le mouvement de régression qui a conduit l'intelligentsia à faire table rase des références "internationalistes" et "mondialistes" pour prôner le repli sur le local, le groupisme, le culturalisme, I'individualisme exacerbé. Haro sur l'unité de condition et de lutte de tous les exploités de tous les pays, comme sur l'universalisme des Lumières, identifiés au cosmopolitisme et aux idéologies totalisantes, voire "totalitaires"! Place à ces espace de civilisation façonnés par l'Occident chrétien: la région, la nation, et même l'Europe des peuples de l'Atlantique à l'Oural, avec leur cortège d'exploités de tout genre et de tous horizons -- pudiquement baptisés "exclus" par les préposés à l'intégration. "Dites-moi où et en quel pays " chantait Villon. Antiracistes et racistes répondent pour définir le statut spécial du Bon étranger sans rien changer à sa condition d'ilote. Le procédé de réduction est rodé qui consiste à mettre l'accent sur des conflits secondaires ou illusoires pour masquer les antagonismes fondamentaux. Persuadées qu'elles profanent ainsi le saint des saints de la modernité, la gauche ultra et la droite extrême entrent en transe au vu de certains effets du capitalisme [106] restructuré: les conséquences dévastatrices de la technique et de la culture de masse made in USA, les mensonges de l'information manipulée par les médiacrates, l'atomisation de l'individu. Mais faire de Disneyland, de la télévision américaine et de la recherche d'un lieu de réenracinement l'enjeu d'un combat politique majeur, voila qui ne mange pas de pain, mais permet tous les amalgames.

Que chacun des camps refourgue les vieilleries du voisin en croyant présenter du neuf pose tout au plus le problème délicat de savoir qui est la dupe et qui est l'imbécile, étant entendu qu'aucun des deux ne rachète l'autre. Ceux qui se préoccupent des causes pour comprendre les effets n'ont rien à découvrir dans ce pot-pourri où les délires résiduels de Mai 68 se mêlent inextricablement aux fantasmagories néo-fascistes, avec un antistalinisme de guerre froide comme liant. Notre refus du consensus démocratique et de l'uniformisation marchande du monde se situe aux antipodes de cet anticapitalisme aux remugles néo-paiens qui a toujours agrémenté la vitrine de la vieille boutique nationale-réactionnaire. Qu'elle s'efforce de se refaire un look branché en utilisant les services de transfuges gauchistes et en accueillant des pourvoyeurs en rhétorique situ ne suffit pas pour donner le change sur la nature de la camelote exposée. N'est abusé que celui qui veut bien s'y laisser prendre! [ALORS DE QUOI SE PLAIGNENT-ILS?]

Pour les amateurs de chassé-croisé, un rendez-vous obligé: la Vieille Taupe, librairie, qui fut, autour de 68, le lieu de rencontre entre la mémoire des révolutions passées et les rêves de celles à venir. Sous la houlette de l'ancien propriétaire des lieux, redécorés depuis, elle est devenue une officine où grouillent une bande de franc fachos, de sournois antisémites et d'obtus "communistes" pas gênés par de telles fréquentations. Pain bénit pour tous ceux qui trouvent dans son existence leur meilleure raison d'exister.

Car les élucubrations des gourous du révisonnisme, et les talents de provocateur de son VRP gauchiste, se nourrissent et s'engraissent de l'ignominie des leurs adversaires les plus visibles, qui prétendent les bâillonner en imposant par le biais des tribunaux une vérité officielle, prospèrent depuis quarante ans sur l'exploitation de l'horreur nazie et d'une "identité juive" bricolée, tripotent les droits de l'homme au profit de l'Elysée et du PS et trouvent dans les lepénistes et les revenants de Vichy des repoussoirs idéaux pour se faire valoir. Critiquer radicalement le fascisme et le révisionnisme, c'est, en [107] premier lieu, ne pas oublier les rapports sociaux qui les portent, c'est aussi refuser le chantage de l'antifascisme et le consensus "droidlomiste" au nom duquel on devrait, dès lors que l'on remue des cadavres dans un cimetière, se retrouver aux côtés des politiciens complices de toutes les entreprises liberticides, des gros bataillons de la droite bien-pensante, des besogneux de SOS Racisme qui approuvent l'expulsion des clandestins, des socialistes puant encore le sable chaud de leur entreprise néocoloniale et expulseurs d'immigrés "en transit". Ce qui n'implique pas de discuter avec les révisionnnistes ou de les soutenir quand contre la répression qui, à chaque fois, représente pour eux un vivifiant appel d'air. [NOUS IGNORONS LE SENS DE CETTE PHRASE.] Même enjolivé de l'adjectif libertaire ou communiste, le révisionnisme n'est qu'une extravagante variété d'antisémitisme -- la seule forme néanmoins sous laquelle il pouvait resurgir de nos jours dans l'arène politique.

Nous devons traiter les bouffons ultra-gauche de l'extrême droite pour ce qu'ils sont: des ennemis.

Daniel Guerrier, Louis Janover, François-Georges Lavacquerie.

Massimo Prandi *, Serge Quadruppani, mai 1992.

S'associent à ce texte: Alain Bihr, Guy Bourgeois, Dominique Bouyahia, Gérard Chenet, Paul Denais, Hervé Denès, Jean-Paul Dessertine, Régine Eveno, Guy Fargette, Claude Gagliardi, Jean-Pierre Garnier, Jimmy Gladiator, Frédéric Goldbronn, Sania Gontabert, Mustapha Hadj Arab, Jean-Michel Kay, Christine Martineau, Gérard Mélinand, Luc Mercier, Claude Nepper, Alain Robic, Daniel Saint-James, Rina Saint-James, Micheline Stern.

 

* Lors de la diffusion de ce texte, certains camarades réfugiés italiens mirent en cause de façon virulente, l'attitude de Massimo Prandi. Ancien responsable du groupe de lutte armée Prima Linea, il avait pris position ensuite en faveur de la "dissociation", condamné la stratégie de groupes commes les BR ou PL et participé à cette opération de légitimation de l'Etat italien et de démonisation du "terrorisme". La signature de ce manifeste par Massimo Prandi ne saurait induire que les éditeurs approuvent son attitude ou les positions qu'il a pu défendre par ailleurs (Note de l'Editeur Reflex).

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[CETTE NOTE DONNE A PENSER QUE LES SIGNATAIRES DESAPPROUVENT LA DENONCIATION DU TERRORISME VUE COMME UNE "LEGITIMATION DE L'ETAT". ON VOIT PAS LA LEUR IMBECILLITE ET LEUR INCAPACITE DE COMPRENDRE LE TEMPS PRESENT.]

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Extrait de Libertaires et "ultra-gauche" contre le négationnisme

Ce texte a été diffusé en mai 1992. il a été reproduit par Le Monde libertaire, Reflex, Alternatives libertaires, Hôtel Ouistiti, l'Ecole émancipée, etc. Il occupe ici les p. 101-107

Collectif, Préface de Gilles Perrault, Editions Reflex, 21 ter rue Voltaire, 75011 Paris, juin 1996.

Le réseau Voltaire, dans lequel se trouve Reflex, d'inspiration trotzkyste krivinique, bénéficie des subventions de la pornogauche des minitels roses. Merci la misère.

ISBN 2-9507124-1-X


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