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Attention. L'auteur de ce texte remarquable est un fasciste avéré, authentique garanti. On vous prévient: La lecture de ce texte pourrait nuire gravement à votre santé.

 

MAURICE BARDECHE

NUREMBERG ou LA TERRE PROMISE

3/7

Mais ce n'est pas l'aspect historique de l'affaire qui nous intéresse en ce moment. Admettons que le Briand-Kellog soit un traité au même sens où Versailles est un [85] traité, admettons qu'il ait été pris au sérieux par l'opinion et par les puissances, et admettons que ce traité ait été violé par l'Allemagne. Ce qui est important, ce qui est un changement radical, c'est la valeur que prend soudain ce traité parmi tous les autres traités, c'est la soudaine promotion, le changement d'essence qui en fait, non pas un contrat comme les autres, mais une loi, un arrêt de Dieu.

C'est ici qu'apparaît le système qui sert de base à l'accusation, et en particulier l'unité de ce système. Dans la première section de l'Acte d'accusation, le Ministère public affirmait qu'il existe une conscience universelle, une morale internationale qui s'impose à tous et que cette morale internationale interdit certaines formes d'action politique. Ici, il affirme que non seulement la morale internationale existe, mais qu'elle a des instruments, des porte-parole accrédités, et un pouvoir législatif ayant la même force coercitive que les pouvoirs législatifs nationaux. Vous n'aviez pas le droit de faire la guerre, dit l'accusation, parce que la S.D.N. l'interdit:, au moyen d'un texte législatif au [86] bas duquel se trouve la signature de vos représentants. C'est dans cette perspective seulement que le Briand-Kellog cesse d'être une pure déclaration affirmant que la guerre est une très vilaine chose, pour devenir un édit interdisant la guerre. Pour que le Briand-Kellog ait cette valeur, il faut admettre que la S.D.N. était Richelieu: elle interdit la guerre comme il a interdit le duel, et elle fait pendre Ribbentrop comme il faisait couper la tête à Montmorency-Boutteville. I,a S.D.N. était donc une puissance dont l'Allemagne a violé la constitution. L'Angleterre et la France et non seulement l'Angleterre et la France, mais tous les Etats qui ont reconnu la S.D.N. se trouvent automatiquement en guerre contre elle, comme tous les Etats qui constituent la Confédération américaine se trouveraient en guerre avec la Californie si la Californie se révoltait contre le pouvoir fédéral.

Ainsi deviennent perceptibles l'unité et la puissance de la morale internationale. La conscience universelle, ou comme on voudra, la morale internationale devient un pouvoir: elle interdit le nationalisme autoritaire [87] comme les lois fédérales interdisent la contrebande de l'alcool et elle punit la guerre comme une mutinerie. Cette promotion de la conscience universelle nous permet de pénétrer plus avant dans l'esprit de nos nouveaux législateurs. Tout se tient chez eux et la seconde section de l'Acte d'accusation est parfaitement coordonnée avec la première.

L'attitude de l'accusation consiste à nier l'existence de ce qui existe et à affirmer l'existence de ce qui n'existe pas. Pour elle, la morale internationale existe et elle a le pouvoir de faire des lois écrites ou non qui doivent prévaloir sur les lois écrites des nations. Et de même, la S.D.N. qui n'existe plus existe, son pouvoir de police qui n'a jamais existé existe quelque part dans l'absolu, il est la main de Dieu, et son droit régalien existe bien qu'il n'ait jamais été affirmé nulle part. Cette manière de voir est une forme de rétroactivité plus subtile que les autres: car, en somme, le tribunal juge au nom d'un super-Etat qui a une certaine existence en 1945, à supposer qu'on croit à l'O.N.U., mais qui n'en avait aucune en 1939. C'est un réveil des fantômes. Mais surtout c'est le [88] triomphe des pures essences. Toutes les idées générales se mettent à avoir un glaive. Les nuées font la loi. Elles disent qu'elles existent et qu'elles seules existent. C'est la caverne de Platon: nos réalités ne sont plus que des ombres, nos lois ne sont plus que des ombres, et les ombres disent qu'elles sont la réalité et les vraies lois. C'est le triomphe des universaux. Et nous qui croyons à ce qui existe, nous regardons avec stupeur ce déchaînement de l'impalpable.

Car enfin il faut bien voir où cela nous mène. Je ne parle pas ici de l'usage honteux qui a été fait au procès de Nuremberg du pacte Briand-Kellog au nom duquel on a prétendu transformer en crimes de droit commun tout ce qu'avaient fait les militaires allemands, sous prétexte que, leur guerre étant illégale, il n'y avait plus et il ne pouvait y avoir de leur part d'actes de guerre. Je songe ici aux conséquences de ce règne des nuées. La principale est de la part de toutes les nations, qu'elles soient ou non participantes aux traités (car elles sont, toutes participantes à la morale) un abandon de souveraineté en faveur de la communauté [89] internationale. Cette idée est tellement répandue comme fondement du monde futur qu'on nous invite tous les jours à nous y accoutumer. Et elle est tellement évidente que Litvinov la formulait ainsi il y a déjà vingt ans: "La souveraineté absolue et l'entière liberté d'action n'appartiennent qu'aux Etats qui n'ont pas souscrit à des obligations internationales."

Comment se fait cette délégation de souveraineté? Remarquons d'abord que ce n'est pas un abandon de souveraineté ordinaire. Il arrive qu'une nation renonce à certains de ses droits souverains, par exemple elle remet à quelqu'un d'autre le soin de protéger ses nationaux en Terre Sainte, de faire valoir ses droits à administrer le canal de Suez ou à réglementer la navigation du Danube. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici, nous en sommes bien loin. Les nations. sont invitées à cette démission unique, incroyable: elles délèguent à une instance supérieure le droit de dire ce qui est supportable et ce qui est insupportable, de fixer la limite entre ce qu'elles toléreront et ce qu'elles ne toléreront pas, c'est-à-dire [90] qu'elles abdiquent en réalité toute souveraineté. Car qu'est-ce qu'un souverain qu'on insulte, qu'on brime et qui n'a pas le droit de se lever et de dire: C'est assez ! Un tel souverain cesse d'avoir le caractère de souverain, il devient exactement un particulier, il réagit en particulier, qui répond: "Monsieur, il y a des tribunaux, il y a les tribunaux du roi." Il n'est plus souverain puisqu'il reconnaît un roi. Les nations n'abandonnent donc pas une partie de leur souveraineté, elles renoncent à leur souveraineté elle-même. Chacune d'entre elles n'est plus qu'un citoyen d'un empire universel. Et cette situation est si claire que chaque nation non seulement accepte des droits, mais assume aussi des devoirs de citoyens. Elle assume notamment le devoir civique proprement dit, celui qu'on doit essentiellement au suzerain, le devoir de milice. Elle accepte d'être mobilisée, elle devient bourgeois de l'univers et elle s'engage à monter la garde à son tour sur l'ordre du conseil et à coiffer sa salade au commandement. Chaque nation est désormais un garde national comme les contemporains de Louis-Philippe.

[91] Cette abdication des nations, nous ne l'apercevons dans toute son étendue qu'en nous souvenant de ce qui a été dit à la première section de l'Acte d'accusation. Car on constate que les nations ne renoncent pas seulement au droit de distinguer elles-mêmes ce qui est tolérable et ce qui est intolérable, elles délèguent en réalité le droit de dire ce qui est juste et ce qui est injuste. Il appartient à quelqu'un d'autre de dire non seulement si elles sont lésées, mais si elles vivent conformément à la morale. Elles demandent permission pour tout, pour faire la guerre, pour ne pas faire la guerre, pour être fortes selon telle méthode ou selon telle autre pour changer de régime, pour voter telle loi ou tel contingentement. Et il n'est pas étonnant qu'on leur fasse maintenant des recommandations sur leur monnaie, sur leur commerce, sur leur budget, sur leur armement, sur leur teneur démocratique; tout cela était contenu dans l'esprit de Nuremberg et ce qui serait étonnant ce serait qu'on ne leur en fasse pas.

Ainsi l'ingérence d'abord sournoise et purement métaphysique quand il s'agissait de [92] nos droits politiques, devient précise, juridique, conditionnée par des organismes et par des textes quand on passe dans le domaine international. L'assimilation du Briand-Kellog à un édit fait très bien comprendre le caractère juridictionnel de l'instance internationale et l'assimilation des Etats à la condition du citoyen fait bien comprendre leur déchéance. La transition dramatique à laquelle nous assistons a tous les caractères des phases d'instauration des nouvelles souverainetés. Les mêmes phénomènes se sont produits dans l'Italie du XVIe siècle, lorsque les Etats voulurent imposer leur souveraineté juridique aux princes féodaux. Les Orsini, les Malatesta, les Colonna prétendaient avoir droit de justice sur leurs terres. Ils ne comprenaient rien aux procès criminels que leur intentaient la république de Venise ou le pape,et ils moururent persuadés de leur bon droit, et convaincus que leurs ennemis se débarrassaient d'eux (ce qui était vrai), en leur racontant des sornettes. On pourrait conclure de cette comparaison que le procès de Nuremberg est la première manifestation d'un droit nouveau qui paraîtra évident dans [93] deux cents ans. C'est possible. Mais ce qui est encore plus sûr, c'est que les Orsini, les Malatesta et les Colonna ont disparu aussitôt après en tant que souverains et que leurs enfants sont devenus des sujets dociles du pape et du grand-duc de Toscane. Si Nuremberg dit le droit pour l'avenir, si la loi internationale s'assure finalement la place qui est revendiquée pour elle actuellement, nos nations finiront comme les féodaux italiens. Ces textes consacrent leur sujétion et leur disparition.

A ce point de notre analyse nous voyons s'étager le panorama du nouveau système. C'est en somme une espèce de transposition. L'irrévocabilité des traités et l'indivisibilité de la paix ne nous mènent pas à la servitude et à toutes ses conséquences choquantes, malthusianisme, contrôle, occupation. Mais elles nous habituent tout doucement à un degré tempéré de ces phénomènes, à une traduction supportable de ce vocabulaire de la sujétion. Il ne s'agit plus de servitude, mais d'ingérence, il n'est pas question de contrôle mais de planification, pas davantage de malthusianisme mais d'organisation [94] des exportations, et encore moins d'occupation mais seulement de conférences internationales qui sont comme des consultations médicales sur notre température démocratique. Tout le monde est présent autour de la table. Chacun a son bulletin de vote. Il n'y a ni vainqueurs ni vaincus. C'est la liberté qui règne et chacun respire: non pas comme on respire dans un poumon artificiel, mais comme on respire dans la cabine d'un bathyscaphe ou d'un aérostat où le cubage d'oxygène est réglé par un savant mécanisme d'admission. Tout le monde a déposé à l'entrée un certain nombre d'idées fausses et de prétentions superflues comme les mahométans déposent leurs babouches avant de pénétrer à la mosquée. Tout le monde est libre parce que chacun a juré avant d'entrer qu'on respecterait éternellement chez lui les principes démocratiques, c'est-à-dire qu'on souscrit avant toutes choses un abonnement éternel à la constitution des Etats-Unis. N'est-ce pas le bonheur en ce monde? N'est-ce pas un heureux compromis entre les deux difficultés qui nous arrêtaient tout à l'heure? Ainsi est résolue la quadrature du cercle. [95] L'Allemagne est condamnée non pas seulement pour avoir violé le traité de Versailles, mais essentiellement pour avoir agi contrairement à l'esprit et aux édits de la conscience universelle, c'est-à-dire de la démocratie: et elle reprend son rang parmi les nations libres pourvu qu'elle jure fidélité à la déesse qu'elle a offensée.

Seulement, il faut voir ces dispositions nouvelles dans toutes leurs conséquences. Cette réduction des Etats à la condition de particuliers a pour premier résultat de consacrer la distribution présente des richesses du monde. L'inégalité sociale se reproduit à l'échelle des Etats, et dans le même rapport avec les institutions juridiques. C'est-à-dire que le citoyen est nommé gardien de l'inégalité qui l'opprime. Or dans les cités, cette situation statique est constamment modifiée par les luttes politiques. Périodiquement le citoyen fait savoir, et souvent avec une certaine violence qu'il n'accepte de continuer son rôle de gardien que si l'inégalité initiale est amendée à son profit. Le contrat social est ainsi continuellement révisé. Mais ce moyen que l'action politique confère aux [96] citoyens, quel correspondant a-t-il à l'échelle des Etats? Toute lutte politique dans ce registre est guerre ou prélude à la guerre, et cette guerre, dans le nouveau système, ne peut plus être qu'une guerre mondiale.

Vous êtes libres, nous dit-on, mais libres à condition d'accepter votre lot. Vous avez des droits égaux à ceux des autres, mais il faut savoir justement que les autres ont renoncé au droit de remettre l'essentiel en question. Ceci est une façon sournoise de réintroduire le malthusianisme. La Charte des Nations Unies consolide le paupérisme comme Briand-Kellog consolidait Versailles. Il n'y a même plus besoin d'annexions, il n'y a plus besoin de coercition, il suffit de faire accepter l'esprit démocratique qui rend le même service que toutes les coercitions. Les riches crient "Hosannah". Ils rendent grâce après avoir chanté des hymnes sur le Potomac et ils proclament que leur triomphe est le triomphe de la justice et de la paix. C'est admirable. Il n'y a même plus besoin de parler de monstres. Les monstres ont disparu, c'est fini. On n'a pas besoin de leur enlever leurs colonies pour les exploiter à [97] leur place, ils n'ont plus de colonies, ni leur marine pour pouvoir leur louer des bateaux, ils n'ont plus de bateaux, ni leur industrie pour leur faire payer très cher des casseroles fabriquées à Détroit ou fabriquées à Essen par les capitalistes de Détroit, ils n'ont plus d'usines. Il suffit de leur persuader de trouver excellent l'état présent des choses, de le regarder comme une de ces fatalités contre lesquelles on ne peut rien. La Charte des Nations Unies fait l'économie d'un diktat. Versailles est un enfantillage puisque nous avons Briand-Kellog. Démocratie et immobilité, voilà notre devise: moyennant quoi, comme tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, on invite les tondus à monter la garde devant le patrimoine des justes.

Ainsi se rencontrent et se pénètrent deux domaines qui paraissaient d'abord étrangers, le moral et l'économique. C'est la paix que Nuremberg prétend garantir. Il se trouve que la paix et la conscience universelle, bien qu'elles siègent dans l'empyrée, sont comme les rois, dont Montaigne disait que, bien qu'ils fussent assis sur des trônes, encore n'y [98] étaient-ils assis que sur leur cul. Ainsi les pures idées, les impalpables idées, s'incarnant à la place des souverains doivent mettre la mains aux impures besognes de l'art du prince. Leur administration en dernier ressort consiste à distribuer les richesses. On ne peut prendre l'administration du spirituel sans déborder sur l'administration du temporel. On ne peut déposséder les souverains du spirituel sans les déposséder aussi d'une partie du temporel, qui vient avec, comme la terre vient avec les racines. Alors nous pouvons leur dire: "Pures idées, impalpables idées, qui donc sont vos ministres? A quels intendants, à quels chanceliers, à quels menins de votre manche avez-vous remis cette administration du temporel dont vous ne vous embarrassez point? Quelle congrégation règne sur nous ? Si vous nous demandez de monter la garde nous voudrions bien savoir devant quoi nous montons la garde. Si vous nous demandez de saluer à la porte, nous voudrions bien savoir qui est assis dans vos carrosses." Mais le tribunal, en cette deuxième section de l'Acte d'accusation, ne répond pas encore à cette question. Il se [99] contente de poser les principes que nous avons décrits et à travers lesquels nous cherchons à lire notre avenir.

Car, nous qui arpentons les jardins du nouvel Eden, nous voyons se préciser un peu plus les formes et le profil du monde futur. Cette nouvelle loi est décidément une belle chose. La section première de l'Acte d'accusation nous chassait de la cité, elle nous en chassait pratiquement, c'est tout; la section deuxième nous en chasse juridiquement, en nous donnant le titre de citoyen du monde. Nous avons appris d'abord que nous n'avions plus le droit de nous réunir sur la place devant la maison du cadi, et de dire: cette ville fut à nos pères et elle est à nous, ces champs furent à nos pères et ils sont à nous. Et maintenant, voici que le cadi n'a plus le droit de marcher précédé du glaive: il a abandonné sa souveraineté, voici venir de beaux agents coiffés d'un casque blanc, qui annoncent la paix et la prospérité. Bienvenue à vous, beaux agents de nos maîtres! Vous ne veillez pas seulement sur notre sommeil, vous réglez toutes sortes de circulations bien diverses, celle de nos [100] machines, celle de nos idées, celle de notre argent, et bientôt celle de nos troupes. Notre cadi sort chaque jour de son palais pour aller à la prière escorté de ses beaux goumiers. Il feint de ne pas vous voir. Et nous, faisant un retour sur nous-mêmes, nous pensons avec amertume aux sultans que nous faisions défiler ainsi.

Ce monde que nous sentions tout à l'heure si fluide, se dérobant à toute définition, à toute certitude, il a donc enfin quelque chose de stable, de définitif, d'irrévocable: ce sont les lois qui nous rendent tributaires. Chez nous, dans nos cités, plus rien de sûr, plus de limites certaines du bien et du mal, plus de terre où reposer nos pieds: mais au-dessus de nous, quelle architecture vigoureuse commence à se dessiner. Le citoyen français, allemand, espagnol, italien, ne sait pas très bien quel sort lui est réservé, mais le citoyen du monde sait que l'échafaudage harmonieux des pactes s'élève pour lui. Sa personne est sacrée, ses marchandises sont sacrées, ses prix de revient sont sacrés, ses marges bénéficiaires sont sacrées. La république universelle est la [101] république des marchands. La loterie de l'histoire est arrêtée une fois pour toutes. Il n'y a plus qu'une loi, celle qui permet la conservation des gains. Tout est permis, sauf ce qui consiste à revenir là-dessus. La distribution des lots est définitive. Vous êtes vendeur à perpétuité ou acheteur à perpétuité, riche ou pauvre pour toujours, maître ou tributaire jusqu'à la fin des temps. Là où les souverainetés nationales s'éteignent, la dictature économique mondiale commence à luire. Un peuple ne peut plus rien contre les marchands lorsqu'il a renoncé au droit de dire: ici, les contrats sont tels, les usages sont tels, et vous payez telle dîme pour vous asseoir. Les Etats-unis du monde ne sont qu'en apparence une conception politique: c'est en réalité une conception économique. Ce monde immobile ne sera plus qu'une énorme bourse: Winnipeg dit le cours du blé, New-York celui du cuivre, Prétoria celui de l'or, Amsterdam celui du diamant. Quel recours avons-nous si nous ne sommes pas d'accord? La discussion entre riche et pauvre Nous savons ce que cela donne. La mauvaise humeur, la fermeture des ports? [102] On a mille moyens de nous en faire repentir. Celui qui renonce au droit de taxer l'étranger, de le reconduire hors de la ville avec ses marchandises, de fermer ses ports aux missionnaires, renonce aussi à la liberté et à tous ses biens. Qu'est-ce qu'une grève, qu'est-ce qu'une conquête sociale dans un pays qui est forcé d'aligner ses prix sur ceux de l'étranger? Cette question nous donne la clef de nos difficultés présentes: on n'assure la vie de son propre peuple qu'en étant maître chez soi et en éconduisant l'étranger. Mais la nouvelle "constitution du monde", comme dit M. le président Truman, nous invite à faire tout le contraire. Cette politique a un nom: il y a trois quarts de siècle on l'appelait avec décence "la politique de la porte-ouverte". Nous sommes devenus la Chine. L'élection du président des Etats-Unis nous importe plus que nos propres crises ministérielles.

Mais nous avons une consolation: c'est la conscience universelle qui nous gouverne. Des juristes parfaitement rodés nous apportent des lois toutes faites. Ils sont les gardiens de la vestale Démocratie. Pareils aux [103] larges eunuques qui surveillent les avenues du harem, ils ont un visage inconnu et parlent une langue que nous ne comprenons pas. Ils sont les interprètes des nuées. Leur fonction consiste à mettre à notre portée les précieux arcanes de la liberté, de la paix, de la vérité: ils nous expliquent ce que c'est que le patriotisme, en quoi consiste la trahison, le courage, le devoir du citoyen. Ils nous expliquent notre nouvel honneur et le visage de notre nouvelle patrie. O lois de la cité, lois de notre ville, lois pleines et drues, lois qui sentaient notre chair et notre odeur, lois de notre terre! ô lois du prince que le héraut criait dans les bourgs, ordonnances sur lesquelles les conseillers opinaient leur bonnet carré à la main! ô vieux royaume, temps des corsaires, où êtes-vous? ô lois guerrières, lois meurtrières, nous le savons maintenant, vous étiez des lois de paix et d'amour! O lois injustes, vous étiez des lois de justice! ô lois de proscription, vous étiez des lois de salut! ô lois de spoliation, vous étiez des lois de tutelle! O lois, vous étiez notre propre vie et notre propre respiration. Vous étiez la [104] mesure de notre force, et même dans le mal notre élan était retenu. Vous étiez notre propre sang et vous étiez notre âme. Vous étiez notre visage. Et nous vous reconnaissions. Oui, nous vous reconnaissions: et même les plus brutales, même celles que nous appelons aujourd'hui injustes, même cette révocation de l'édit de Nantes qu'on nous apprend à maudire, comme elles nous paraissent des lois de modération et de sagesse auprès des lois de l'étranger! Maintenant voici venu le temps de la loi sans visage, le temps des falsifications et du meurtre appelé loi. Aujourd'hui, une machine à fabriquer le monde a pris la place de nos conseillers. De temps en temps, elle met en circulation un produit monstrueux, sec, hygiénique, inhumain, que nous regardons avec stupeur comme un aérolithe. Et nos nouveaux légistes nous expliquent qu'on aurait pu pendre tous les soldats allemands comme meurtriers de droit commun et fusiller tous les civils français pour intelligence avec l'ennemi, mais qu'on a fait preuve d'indulgence. O lois barbares du XIIIe siècle, coutume du Poitou, duel au [105] bâton, congrès, jugement de Dieu, la justice aujourd'hui, la justice et la mansuétude rayonnent sur vos fronts! Des ingénieurs invisibles tracent notre univers au cordeau. Nous avions une maison, nous aurons à la place une belle épure. Un oeil au milieu d'un triangle, comme sur la couverture du catéchisme, gouverne la nouvelle création politique. Les idéalistes sont déchaînés. Tout ce qui a enfanté des monstres a la parole. Notre univers va être blanc comme une clinique, silencieux comme une morgue. C'est le siècle des cauchemars. Idéalismes, je vous hais.

Car on a beau nous faire des phrases en toutes occasions sur notre indépendance, telle est la réalité. Aujourd'hui, les vainqueurs affolés par les conséquences de ce qu'ils ont fait peuvent bien nous assurer que tout cela n'est pas si grave, qu'on va reconstruire les villes, qu'on va distribuer du charbon, des machines, de l'essence, du coton -- pas aux méchants bien entendu, pas aux fascistes espagnols par exemple -- que nous aurons le droit d'être nationalistes autant qu'il nous plaira, mauvaises têtes si nous voulons, adversaires de qui nous voudrons, [106] que rien n'est changé: nous savons, nous, que ce n'est qu'un trompe-l'oeil, et que tous les plans économiques du monde ne peuvent remplacer les droits politiques qui nous ont été enlevés.

Les nations sont émasculées. La théorie des Etats-Unis du Monde est une imposture tant qu'elle est fondée sur un postulat politique et le postulat de l'excellence de la démocratie est un postulat exactement semblable à celui de l'excellence du marxisme.

Et c'est aussi un moyen d'intervention exactement comme le marxisme. Nous ne sommes plus des hommes libres: et nous ne le sommes plus depuis que le tribunal de Nuremberg a proclamé qu'au dessus de nos volontés nationales, il y avait une volonté universelle qui avait seule le pouvoir d'écrire les vraies lois. Ce n'est pas le plan Marshall qui menace notre indépendance, ce sont les principes de Nuremberg. Ceux qui attaquent aujourd'hui le plan Marshall ne le savent pas ou ne veulent pas le dire, mais, en réalité, ils attaquent la morale de Nuremberg: la moitié du peuple français [107] proteste aujourd'hui sans le savoir, parce que Goering a été pendu.

Nous savons, d'ailleurs, où cela mène. Pour la commodité de leur accusation, les Nations Unies ont promulgué une doctrine ambiguë qui les place aujourd'hui devant les difficultés les plus dramatiques. Ceux qui croient à la bonne foi des Soviets n'ont pas tort. Cette bonne foi, dans le principe, n'est-elle pas évidente? On leur demande d'accuser l'Allemagne de crime contre la démocratie. Sur ce point, ils étaient parfaitement d'accord. On leur propose de promulguer qu'à l'avenir le monde serait gouverné selon l'esprit de la démocratie. Cela leur convenait parfaitement. On ne s'aperçut de l'équivoque que lorsqu'on voulut passer à l'application. Les Russes pensaient évidemment qu'ils s'étaient engagés à exporter la constitution soviétique qui est, à leur point de vue, la plus démocratique du monde; ils étaient tout à fait partisans de l'ingérence mais par l'intermédiaire des partis communistes; ils voulaient bien des plans, à condition qu'ils fussent triennaux, quadriennaux, quinquennaux, des [108] exportations pourvu qu'elles fussent dirigées vers l'Est et des conférences internationales si elles écoutaient docilement M. Vichinsky. Ils avaient compris que l'esprit démocratique allait souffler sur le monde en partant de Moscou et en circulant dans le sens contraire à celui des aiguilles d'une montre. Lorsqu'on leur expliqua qu'il ne s'agissait pas de cela, mais qu'on allait répandre la constitution américaine, diffuser le dollar et le vote à bulletins secrets, favoriser les inspections de la Croix-Rouge, et se réunir dans la salle à manger de M. Marshall, ils déclarèrent qu'il y avait un grave malentendu. Mettez-vous à leur place. Ils n'avaient pas fait la guerre pour que l'ambassadeur américain pût faire la pluie et le beau temps à Varsovie.

Tel est le danger des formules vagues et des idées fausses. Nous nous apercevons aujourd'hui que l'inoffensif Briand-Kellog contenait beaucoup de denrées explosives dont on ne soupçonnait pas l'existence. Il était excellent pour condamner l'Allemagne, mais il est exécrable pour gouverner [109] le monde. Aujourd'hui, les juges de Nuremberg, s'ils veulent être logiques avec eux-mêmes doivent dénoncer comme des ennemis de la conscience universelle les Etats qui n'appliquent pas chez eux la démocratie à la manière américaine. Ils doivent les retrancher de la communauté internationale et la conscience universelle, en tant que suzerain, doit battre le ban contre ces rebelles. Ainsi les principes de Nuremberg non seulement nous mettent en tutelle, mais ils nous condamnent à une autre guerre, et à une guerre toute pareille à la précédente, une guerre sans nécessité, une guerre idéologique, une soi-disant guerre du Droit. Et voilà pourquoi des milliers de jeunes Francais et de jeunes Allemands seront peut-être dans quelques mois coiffés du même casque rond, en l'honneur d'une morale supérieure qui consiste, pour eux et pour nous, à ne plus être maîtres chez nous. Il est vrai qu'en échange de cette politique de Gribouille nous aurons la satisfaction de savoir que le bolchevisme et le national-socialisme étaient les deux faces d'une même monstruosité. Je ne [110] sais pas si les Américains ont très bien vu que cette proclamation supplémentaire ne contribuerait guère à simplifier les choses.


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La troisième section de l'acte d'accusation est, comme la seconde, d'un type très classique. Il s'agit des crimes de guerre. Le tribunal se fonde ici sur un texte précis: les conventions de La Haye de 1907. Il appelle crimes de guerre les actes commis par les belligérants en violation de ces conventions, qui règlent les méthodes que les Etats souverains ont reconnues comme conformes au droit dé la guerre. Il n'y a rien à objecter à ce procédé. Nous verrons plus loin où commence la malhonnêteté sur ce point. Mais on découvrit très vite que le droit international promulgué, c'est-à-dire le texte des conventions de La Haye, ne permettrait pas d'atteindre des actes qu'on voulait faire payer aux Allemands. On inventa donc une qualification nouvelle, comme nous l'avons dit, celle de crime contre l'humanité. Et ce grief servit de titre à la [111] section quatrième de l'acte d'accusation. Mais comme on ne savait pas très bien où finissaient les crimes de guerre et où commençaient les crimes contre l'humanité et comme, d'autre part, on avait avantage à glisser sous une qualification incontestable des actes qui dépendaient en réalité de la qualification contestée, la troisième et la quatrième section furent constamment confondues. Et il nous est impossible de les séparer dans notre analyse, bien que le ministère public se fonde dans ces deux accusations sur des principes très différents.

Cette partie de l'Acte d'accusation est celle qu'on a donnée en pâture à l'opinion: nous avons dit plus haut pourquoi. Pour juger les principes, en apparence très raisonnables, desquels l'accusation s'est réclamée, il faut d'abord juger l'accusation Et la vérité, ici, n'est pas aussi facile à démêler qu'on pourrait le croire. Il y a sur les atrocités allemandes une abondante littérature: mais cette littérature est en opposition avec ce que nous avons tous vu. Quarante millions de Français ont vu les Allemands pendant trois ans dans leur ville, dans leur ferme, dans leurs [112] maisons, sur leurs routes et ils n'ont pas trouvé tellement qu'ils fussent des monstres. Est-ce nous qui avons été victimes d'un énorme camouflage sous lequel se dissimulait la Bête? Ou les rapports qu'on nous a faits n'ont-ils pas été exagérés? Nous n'avons aucun intérêt à plaider "la bonne Allemagne": car la politique du gouvernement français pendant l'occupation paraît beaucoup plus efficace si les Allemands sont effectivement des monstres. Les résistants ont intérêt, au contraire, à étaler leurs souffrances: on sait assez que les souffrances se transforment facilement en places. Nous sommes-nous trompés sur les Allemands? Nous sommes prêts à le reconnaître de bonne foi, nous n'en serions pas diminués: mais est-ce vrai?

C'est la première difficulté. Il en est d'autres qui se combinent avec celle-ci. On accuse l'Allemagne de l'extermination d'un grand nombre d'êtres humains. Bien entendu, nous condamnons ces procédés en tout temps, et même en temps de guerre. Ce point n'a jamais été en question pour aucun de nous; et si nous avions connu pendant la guerre certains actes qu'on reproche aujourd'hui à l'Allemagne, nous aurions protesté contre ces actes. Mais, d'abord, nous le répétons, nous devons exiger une vérification impartiale de ces accusations, vérification qui n'a pas encore été faite; ensuite, nous ne pouvons parler de ces choses en feignant d'oublier que les Alliés ont pris à leur compte, par des méthodes différentes mais aussi efficaces, un système d'extermination presque aussi étendu; et enfin, nous Français, il ne nous est pas permis d'ignorer, en exprimant notre jugement, que cette extermination, cela résulte clairement de l'accusation elle-même, aurait été dirigée surtout contre des populations qu'on peut dire allogènes, et principalement contre les Slaves. La propagande des résistants a eu pour objectif de tout confondre: elle a parlé des camps de concentration comme si les Français avaient été traités comme les Slaves, et elle a choisi partout l'atrocité maxima qu'elle a présentée comme la règle. Il en résulte que les lecteurs de nos journaux sont très convaincus qu'à Ravensbrück on précipitait chaque jour cinq cents enfants de Belleville dans des fours en [114] chantant Lily-Marlène. Nous avons donc aussi à nous tenir en garde sur ce point. Nous reconnaissons qu'un compte effroyable paraît ouvert entre l'Allemagne et la Russie soviétique: et, au risque de surprendre beaucoup de lecteurs, j'ajouterai que si l'on retient comme exacts les chiffres présentés par leur gouvernement, eu égard à leurs pertes et à leurs souffrances, les Russes auraient été modérés dans les représailles de l'occupation S'il est vrai que leurs prisonniers ont été massacrés par centaines de milliers, que leurs districts ont été détruits, dépeuplés et rasés, que leurs paysans ont été pendus par grappes, si ce qu'ils affirment se trouve vérifié, ils auraient eu le droit, en vertu de cette loi du talion que nous rappelons si souvent, de transformer la moitié de l'Allemagne en un désert calciné: ils n'en ont rien fait, ils ont eu le sang-froid de comprendre que la suppression de leurs ennemis irréductibles et l'installation de leur puissance étaient un objectif plus important pour eux que la vengeance. Et ils nous ont laissé condamner juridiquement les Allemands pour des faits sur lesquels leur politique avait pour résultat de passer l'éponge Ne nous montrons donc pas plus royalistes que le roi. Ce qui s'est passé à Auschwitz, à Maidanek et autres lieux regarde les Slaves: nous, nous avons à nous occuper de l'Occident Ne réclamons pas ces dettes que le débiteur ne poursuit pas. Mais alors prenons soin de rectifier ici les excès de notre propagande. Ce qui nous importe est de savoir ce que les Allemands nous ont fait à nous. C'est sur ce point que nous allons interroger les documents de Nuremberg

Cette tâche est d'autant plus facile que c'est au Ministère public français que le Tribunal a confié ]a mission de présenter les faits qualifiés crimes de guerre et crimes contre l'humanité en ce qui concerne le secteur occidental Nous avons donc là un excellent moyen de surmonter la première des difficultés qui se présentaient à nous tout à l'heure. Ce réquisitoire officiel nous permet de négliger les réquisitoires privés rassemblés par des journalistes ou des écrivains improvisés, que le procureur français n'a pas jugés à propos de retenir. Et en même temps, il nous permet d'isoler facilement ce qui [116] concerne notre pays au milieu des accusations formulées pêle-mêle contre le national-socialisme. Notre but est donc de nous demander d'abord: les atrocités allemandes dont on lit chaque jour le rappel dans notre presse sont-elles prouvées? Qu'apporte sur ce point la plus solennelle de nos plaintes, la seule authentique, celle qui a été exposée à Nuremberg? Au lieu de passer tout de suite à l'examen des principes, de s'asseoir auprès du juge et de le regarder juger, il faut donc ici s'intéresser à l'instruction; il faut essayer de voir ce qu'il y a de solide dans le réquisitoire. Nous allons, avec le Tribunal, écouter les témoins et flairer les pièces à conviction Et, ensuite, nous demanderons: Et vous ?

Il suffit d'une lecture, même rapide, du Procès de Nuremberg pour percevoir qu'à partir du moment où la délégation française à laquelle était confiée cette partie du réquisitoire, se lève pour articuler ses accusations, les méthodes du procès sont complètement transformées. Les délégations américaine et anglaise, chargées de soutenir la première et la deuxième section de l'Acte [117] d'accusation, avaient respecté un certain nombre de règles, qui n'étaient pas obligatoires, aux termes du règlement du Tribunal international, mais qui étaient de stricte prudence Par exemple, la plupart des documents cités étaient des documents allemands trouvés dans les archives allemandes et signés par des responsables identifiés: il arrivait que le Ministère public déposât un document provenant d'un des Etats alliés, mais s'il le faisait, il le déclarait expressément, avec la pensée que ces documents n'avaient pas exactement la même valeur que les documents d'origine allemande. De même, les témoins cités jusqu'ici, à une exception près, étaient des fonctionnaires ou des généraux allemands, le colonel Lahousen de l'état-major du général Canaris, le général de SS Ohlendorf, le major Wisliceny, adjoint d'Eichman à la direction des questions juives, le général de SS Schellenberg, le gardien Hollrieg du camp de Mauthausen, le général de SS von dem Bach Zelewski, les officiers sous-mariniers Heisig et Mohle. Les objections de la défense sur l'origine des documents étaient [118] rares, le président n'avait presque jamais à arbitrer des incidents A partir du moment où notre délégué se lève, tout cela va changer, et les bases de l'accusation apparaissent tellement différentes, elles créent tellement d'incidents, elles provoquent tellement de mises au point du Tribunal lui-même, qu'il est impossible de prendre en considération ce réquisitoire sans le soumettre à une analyse préalable.

La première anomalie est la disparition à peu près totale des documents et témoignages allemands. Il ne faut pas dire que cette disparition est indifférente. Elle est grave: le procureur français n'est pas là pour énumérer des "crimes de l'Allemagne", car on ne peut pas pendre "l'Allemagne", mais il prétend prouver que ces crimes sont le résultat d'ordres donnés par les hommes qui sont devant lui et qu'il accuse. Il demande qu'on inflige la peine de mort à Keitel, dont le quartier général était quelque part sur le Dniepr, à von Neurath qui était Reichsprotektor de Tchécoslovaquie, à Ribbentrop qui était ministre des affaires étrangères, à Speer qui s'occupait de [119] l'armement, à Jodl qui dirigeait les opérations militaires, à Baldur von Schirach, et il ne fournit aucun document prouvant que Keitel, Neurath, Ribbentrop, Speer, Jodl, etc., ont ordonné les crimes, peut-être réels, qu'il expose Il demande ces vies humaines avec légèreté et sans preuves. Il peut bien présumer à la rigueur que Goering savait (Goering a soutenu le contraire), ou, en tout cas, qu'il aurait dû savoir, il a peut-être raison d'affirmer que Kaltenbrunner, adjoint de Himmler, que Seyss-Inquart, gouverneur de Hollande, ne pouvaient pas ne pas savoir, et qu'il était dans leurs attributions de savoir mais il ne prouve ni l'existence d'un plan, ni l'exécution d'ordres personnels des accusés. Dans un procès contre l'Allemagne, il pourrait dire qu'il lui faut bien recourir au témoignage des victimes, qu'il est impossible de faire autrement: mais ce qui est une première malhonnêteté, c'est qu'il ne fait pas un procès contre l'Allemagne, il voudrait bien le faire, mais il ne le fait pas, l'entité appelée Allemagne n'a pas été convoquée par l'huissier, il parle contre des hommes, assis devant lui, convoqués pour répondre [120] de leurs actes et non des actes d'autrui, et il n'a pas le droit d'affirmer l'existence d'un plan concerté pour détruire la population française, puisqu'il ne peut pas le prouver, et il n'a pas le droit non plus d'accuser des hommes d'avoir donné des ordres dont il ne peut affirmer qu'ils ont existé.

La seconde malhonnêteté de la délégation française a consisté à remplacer ces preuves qu'on ne possédait pas, ces ordres qu'on ne possédait pas et dont il est incorrect de dire devant un tribunal qu'ils ont existé puisqu'on ne les fournit pas, par un dénombrement. Je ne fournirai pas de preuves, dit le délégué français, mais je vais faire venir tant de témoins, je déposerai tant de rapports, que ce sera la même chose qu'une preuve, car on verra que tout s'est passé de même partout, ce qui suppose des ordres. Belle chose à dire dans le pays de Descartes! Les garçons de quatorze ans, dans nos lycées, entendent dire que la première règle de la méthode scientifique est en effet de s'appuyer sur des dénombrements complets. Ce petit adjectif est essentiel, car ce petit adjectif, c'est l'honnêteté. Or la [121] délégation française, agissant en cela à la manière des cours de justice françaises, a horreur des dénombrements complets. La délégation française confond dénombrement et échantillon. Elle pique quelques rapports de police où l'on parle de massacres, et elle conclut: on massacrait partout, M. Keitel, de votre quartier général sur le Dniepr, vous aviez donné l'ordre de massacrer à Annevoye, à Rodez, à Tavaux, à Montpezat de Quercy. Elle fait venir trois ou quatre déportés qui décrivent leurs camps de concentration et elle conclut: c'était pareil dans tous les camps de concentration, et cela prouve bien, chez vous tous, chez vous Speer, chez vous Doenitz, chez vous Hess, chez vous Rosenberg, une volonté systématique d'extermination. J'expose, donc je prouve. Je montre des photos: c'est comme si vous aviez été partout. Je me plains, je demande vengeance, et cette plainte doit avoir la même valeur pour vous qu'une preuve juridique: d'autant plus que ce sont des "résistants" que vous avez l'honneur d'entendre. La délégation française se croit devant la Cour de justice de la Seine, et elle [122] ne comprend pas quand le président interrompt assez froidement.

Or, les documents au moyen desquels la délégation française remplace les preuves correspondent à la même erreur d'optique et c'est ce qui fera l'embarras de toute cette partie du procès. Tantôt la délégation française s'attache à des incidents particuliers qui, quelque pénibles qu'ils soient par eux-mêmes, n'ont en aucune manière une portée générale: ainsi l'arrestation de la famille du général Giraud, sur laquelle il y aurait beaucoup à dire, ne prouve nullement que les familles des résistants ont été systématiquement déportées en Allemagne, et nous savons tous qu'il n'en est rien. Une bonne statistique eût mieux fait l'affaire. Tantôt, elle brandit de petits bouts de papier qu'on renifle, qu'on examine, qu'on regarde en transparence avec des marques visibles de soupçon: c'est un officier de police de Saint-Gingolf (Var) qui certifie quelque chose sur les internements administratifs, c'est la Sécurité militaire du Vaucluse qui assure qu'on était mal en prison, c'est un chef d'état-major F.F.I. qui a trouvé un instrument avec [123] des boules Pour ceux qui savent que la plupart des officiers de police improvisés à la libération ont dû être rétrogradés plus tard, qu'un certain nombre de membres de la Sécurité militaire sont maintenant incarcérés et que les chefs d'état-major F.F.I. avaient souvent pris leurs galons la veille, ces "rapports" surmontés de tampons ne sont pas fort impressionnants. Une enquête sérieuse eût révélé que le régime des prisons variait suivant les prisons, qu'on pouvait être enfermé à Fresnes et ne pas être torturé, que certains services de police ont été corrects et que d'autres étaient composés de tortionnaires, que même les méthodes de la Gestapo, en France, ont varié selon les subalternes qui en avaient la responsabilité. Et le président n'avait pas tort, devant ces singuliers procédés d'enquête, de soupirer, d'interrompre. et finalement de n'admettre ces rapports qu'en faisant toutes réserves sur leur "valeur probante". et apparemment parce qu'il avait compris qu'en les rejetant, il réduisait la délégation française au silence.

Mais c'est dans le récit que la délégation française brille le plus. On éprouve une [124] certaine gêne à dire ici toute sa pensée: car celui qui s'interroge sur l'exactitude des faits et la probité des témoins pendant qu'on lui fait le récit de la souffrance des autres s'expose au reproche de manquer de coeur et même d'être inaccessible à la plus simple humanité. Mais il est impossible de ne pas dire que des récits faits par un tiers d'après des tiers, et d'autre part, dispersés, présentés nécessairement sans être accompagnés de leurs circonstances, ne constituent en somme que des moyens d'émouvoir, mais ne remplacent en aucun cas, une enquête sérieuse, complète, sur le comportement de l'armée allemande en France. Ils ne sont que des faits isolés; en tant que tels, il est possible qu'ils engagent la responsabilité des commandements locaux, mais on ne peut pas prétendre présenter l'histoire de l'occupation militaire de la France entre 1940 et 1944, au moyen de douze récits de tortures ou de représailles qui se placent tous en 1944 et dans des régions où il y avait un franc-tireur au coin de chaque boqueteau. Sur des sujets pareils, il faut ne rien dire ou il faut tout dire. Un récit partiel est un récit [126] partial. Ici on nous dira un jour: la France a menti.

Les méthodes que nous décrivons constituent pourtant un système dans l'exposé de la délégation française. Elle se croit devant un jury. On lui demande un rapport, elle préfère une exposition. Elle se consacre à l'exposition des crimes allemands: plus c'est atroce, plus elle triomphe. Oradour-sur-Glane, Maillé, Tulle, Ascq, ce n'est plus un magistrat qui parle, on dirait la presse de septembre 1944. Il ne s'agit plus de justice, il s'agit de salir l'ennemi. La délégation française accepte de participer, elle brûle de participer, par une manifestation officielle, à l'entreprise de flétrissure et de haine que la presse la plus ignoble de notre histoire étale devant l'opinion. La conscience, l'honneur des magistrats, c'est de l'archéologie pour eux: ils sont devenus journalistes. Et ces hommes que nous avons la douleur de voir, malgré nous, représenter notre pays, ne comprennent même pas ce qu'il y a d'accablant dans ces interruptions courtoises et froides du président qui leur rappelle à sa manière, que [126] même devant un tel tribunal, il existe un minimum de correction.

Fin de 3/7

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Ce texte est une partie du livre de Maurice Bardèche, intitulé Nuremberg ou la terre promise, publié à Paris en 1948, il y a donc bientôt un demi-siècle. Il aurait été tiré à 25.000 exemplaires. Au printemps 1952, Maurice Bardèche est condamné, pour ce livre, à un an de prison et 50.000 Francs d'amende; le livre est saisi et interdit à la vente (ce qui ne nous concerne pas puisque nous ne le vendons pas). L'auteur ne passera que quelques semaines en prison. A la suite de cette affaire, Bardèche lance une revue, Défense de l'Occident, qui a publié des textes de Rassinier et de R. Faurisson. Bardèche se range ainsi parmi ceux qui ont permis au révisionnisme de prendre forme et de s'exprimer. Il a donc joué un rôle qui justifie sa présence dans nos archives. Mais le révisionnisme provient d'une réflexion sur la réalité et le statut de l'idéologie qui préside aux représentations de l'histoire; il est totalement autonome et ne doit à ses vecteurs -- ceux qui, à droite comme à gauche, l'ont publié -- que la gratitude due à des services rendus. Il est intellectuellement indépendant des tendances politiques de ceux qui s'emparent de lui ou de ceux qui le combattent. C'est pourquoi il prospère malgré les interdits dérisoires, les censures brouillonnes, les assimilations scandaleuses et les condamnations en chaire.


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