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Divine surprise

 

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Qui aurait cru qu'une imbécile glorification du colonialisme, doctrine officielle de l'État français entre 1830 et 1962, allait mettre le feu aux poudres ? La  loi passée en janvier 2005, dans un silence complet, voulait enjoindre aux enseignants de faire l'éloge d'une politique qui avait sombré dans le gouffre de la décolonisation, ouvert après l'ignominieuse fin de la guerre d'Algérie. Nous, c'est-à-dire les Algériens d'abord, les combattants et le peuple presque tout entier derrière eux, ayant fait des sacrifices immenses, les quelques poignées d'anticolonialistes français "conséquents", comme on disait à l'époque, les mouvements de libération nationale qui surgissaient et se multipliaient, nous avions gagné cette guerre. Nous avions brisé le dos de la vieille chamelle, l'armée coloniale française, avec sa Légion étrangère, son Biribi, ses bagnes atroces, ses goums, ses tirailleurs, son Tonkin, Camerone, Aumale et toute la mythologie héroico-massacreuse, ses millions de victimes trucidées ou brûlées. A la poubelle de l'histoire. On a commencé à respirer. On n'allait plus demander au petit voisin du dessous, sous prétexte qu'il avait vingt ans, d'aller "casser du fell" dans les Aurès, ou "maintenir l'ordre" face aux assassins cagoulés de l'OAS. Pendant que les anticolonialistes festoyaient, à l'été 62, Paris installait sournoisement en Afrique une continuité en donnant des indépendances bidon à des politicards véreux, qui en avaient peur. C'était le passage au néo-colonialisme où les gaullistes, plus tard chiraquiens, allaient se remplir les poches jusqu'à vider et ruiner entièrement le marigot de l'Afrique, dite alors comme maintenant "subsaharienne". Elle était "mal partie", on le savait.

On pouvait faire le bilan. De jeunes historiens ont commencé à fouiller les archives, à Nantes, à Bordeaux, dans les autres ports, pour mesurer les dimensions inouïes de ce que fut la traite des Noirs. Beaucoup de familles refusaient l'accès de leurs archives privées, espérant que le poids de l'opprobre se perdrait dans la généralité. D'autres jeunes gens en colère se plongèrent dans l'anthropologie, elle aussi héritage colonial, mais instrument de connaissance récupérable. On voyait avec effarement comment la colonisation, celle du XIXe siècle, appuyée par des colonnes mobiles et l'artillerie de campagne, avait fait exploser toutes les structures politiques traditionnelles qui avaient gouverné l'Afrique pendant des siècles, souvent avec des institutions remarquables.

Malgré un siècle de nettoyage par le vide effectué par l'idéologie dite de la "mission civilisatrice", on a vu ressurgir peu à peu une véritable histoire africaine, qui redonnait une grandeur et une profondeur que l'épisode colonial avait littéralement oblitérées. Une somptueuse littérature et une musique prodigieusement riche allaient suivre dans la brèche. Le colonialisme avait été très inventif et très puissant dans l'idéologie de domination. Le néo-colonialisme fut au contraire un petit baratin bâclé (voir le Rapport Jeanneney) et une immense foire d'empoigne pour ratisser le pognon. L'exploitation des ressources et du travail africain ont doublé ou quadruplé pendant l'ère des pseudo-indépendances. Insistons bien sur le "pseudo". Cette colonisation, il était possible d'en faire le bilan économique: elle avait rapporté gros aux intérêts privés (tellement gros que les capitaux français répugnaient à s'investir ailleurs que dans le pré carré colonial) alors qu'elle avait coûté assez cher à l'État. (voir les travaux de Jacques Marseille). Les chemins de fer étaient rares et lents. Les routes étaient des pistes mal entretenues par la corvée, on avait détruit les cultures de subsistance pour imposer, par la force, les cultures industrielles (coton, arachide, cacao, café, etc.) On avait ouvert quelques rares écoles et, seule touche vraiment positive, on avait développé un système de santé, sommaire mais efficace. Formés à l'École de médecine militaire de Bordeaux, les médecins de brousse ont fait des miracles. Tout cela était bâti sur la force des fusils et de la chicotte. Les pouvoirs politiques traditionnels étaient tenus en bride ou même dissous par la république, alors que les Anglais s'appuyaient dessus. Certes, le grand drame humain de la Traite était terminé, mais on a le droit de dire que l'ensemble de la paysannerie africaine était réduite en esclavage économique. Elle n'en est pas encore sortie, si l'on veut bien prêter l'oreille à ce que disent ses représentants à Hong Kong, aux négociations sur le commerce mondial qui risquent de les condamner à une mort lente.

Ce bilan que nous tirions dans les années 60 n'a pas subi d'évolution notoire avec les recherches ultérieures. On a discuté du bilan démographique de la Traite, surtout aux États-Unis où la question noire reste un catalyseur puissant, mais quels que soient les chiffres, ils montrent un ravage énorme, et une déperdition terrible de l'énergie économique du continent. Il ne faut pas oublier qu'une majorité des captifs mouraient avant d'atteindre les côtes américaines et que ce système était une machine génocidaire implacable. On n'aura garde d'oublier que des sociétés africaines de la côte participaient à la mise en captivité et que des caravanes d'esclaves partaient aussi vers le Moyen-Orient, à pied, sur un très long et très éprouvant trajet. Des historiens viennent aujourd'hui nous dire que l'une, la traite orientale, balance l'autre, la traite atlantique, mais ils n'ont aucun chiffre documenté qui justifie ce point de vue idéologique. La Traite reste un enjeu politique, comme on l'a d'abord vu aux États-Unis, et ensuite, depuis une dizaine d'année, dans le contexte de l'ancien empire français, avec l'irruption de l'ennemie implacable de l'histoire, la prétendue "mémoire" qui n'est autre qu'une reconstruction politique anachronique de certains fragments de la réalité du passé, montés en boucle, pour renforcer l'effet de sidération politique. Ceux qui veulent vraiment savoir ce qui s'est passé doivent écarter résolument toutes ces manifestations pseudo-mémorielles, à effet politique immédiat, et se tourner vers les travaux des historiens sérieux. Il y en a, mais sûrement pas assez. Les subventions pour ces travaux-là sont assez maigres. Il convient aussi d'écarter les rigolos et les amateurs, du genre Pétré-Grenouilleau qui a pour seul fonction de recycler en France les travaux des historiens conservateurs des États-Unis. Son livre, Les Traites négrières, paru cette année dans la prestigieuse Bibliothèque des Histoires chez Gallimard, est incomplet, médiocre, et platement réactionnaire.

Des enthousiastes de la colonisation, il y en a, mais très peu. On peut citer Bernard Lugan, à Lyon, partisan déclaré de l'apartheid, qui a présenté l'époque coloniale comme une sorte de paradis perdu, perdu pour l'Homme Blanc, s'entend. La thématique de l'Homme Blanc, accablé par le fardeau colonial, déjà chère à Rudyard Kipling, n'a fait recette que dans des milieux très étroits. Comme historien, Lugan, qui ne redoute pas le plagiat, est d'une affligeante médiocrité.

Alors pourquoi, tout d'un coup, un groupe de zozos ont-ils déposé en 2004 un projet de loi préconisant la glorification du colonialisme dans nos écoles ? Il ne semble pas qu'ils aient appartenu aux générations de l'Algérie française et de l'OAS, comme Giscard, Debré (Michel) et la majorité des anciens barons gaullistes. Il s'agit plus vraisemblablement de petits jeunes, qui se sont glissés par inadvertance dans le Parlement et qui craignent beaucoup pour leur réélection, dans les circonscriptions du Midi, où le poids des Pieds-Noirs et des harkis rapatriés peut être décisif. Ils agissent donc comme l'ex-pseudo-para-néo-trotskyste, Georges Frêche, maire (de gauche) de Montpellier, qui entonne, en séance au Conseil général, le Chant des Africains. Les "Africains" du chant sont les Légionnaires basés à Siddi-Bel-Abbès, dans l'Algérie de papa. Ce chant fait partie de la geste coloniale, qui tirait sa gloire du massacre des "indigènes" armés de sagaie par l'usage des mitrailleuses dernier modèle. Comme le dit Frèche par la suite, "les rapatriés ont un vote décisif". Pourtant, ceux qui ont traversé la Méditerranée en 1962 doivent être un peu croûnis. On notera qu'au passage au Sénat, fin 2004, la gauche a voté POUR le texte. Ce n'est donc pas elle qui a attaché le grelot, mais bien le président algérien Boutefliha. Ceci prouve au moins une chose rassurante : en France, personne ne lit le Journal Officiel. Il y a fort à parier que si le scandale n'avait pas éclaté, personne, dans le corps enseignant, ne se serait soucié de ce texte absurde.

Le scandale a éclaté. Grâce aux anciens colonisés, maintenant émancipés. Voilà qui est une bonne chose. Dressons un tableau sommaire du champ de bataille: en tête, la cavalerie légère du président algérien, connu depuis longtemps pour ne pas avoir sa langue dans sa poche. Oublions,  un instant, sa place dans l'obscure politique du pouvoir algérien. C'est un nœud de vipères. Il a parlé de génocide, de gazage, bref, des méthodes coloniales qui vaudraient aujourd'hui condamnation devant les tribunaux dit internationaux. Il a parfaitement raison, et le dossier est connu. Il n'a jamais été dissimulé. Les pratiques de terrorisme et de massacre des populations civiles étaient très bien vues à l'époque de la Conquête (à partir de 1830) et les militaires en tiraient grande gloire dans les salons parisiens. Si ces épisodes sont un peu oubliés, c'est qu'on a négligé de nous en parler à l'école, surtout au moment où l'Armée recommençait à utiliser ces méthodes de terreur répressive en Algérie.

Que ce soit aux Antilles, en Afrique noire ou en Afrique du Nord, les rébellions ont été fréquentes tout au long de l'histoire coloniale. Songeons à Haïti, à la Guerre du Rif, aux soviets du Nghe-Tinh,  mais aussi à mille épisodes moins connus ou moins spectaculaires qui ont déclenché à chaque fois la répression, déjà mise au point par les mercenaires hessois de Louis XIV face aux paysans qui n'arrivaient plus à payer l'impôt : on brûle tout et on tue tout. Les guerres de libération nationales se sont nourries de l'histoire de ces colonnes infernales qui ont ravagé ces pays, bien plus longtemps que la Vendée ! En "métropole", comme on disait, le silence étaient à peu près complet, mais on glorifiait la destruction des "bandes de brigands". Plus le sang coulait, plus on attrapait de Légions d'honneur.

La glorification du colonialisme, préconisée par les députés UMP, est donc une saloperie innommable et un grand pas en avant dans l'inhumanité. Les motifs bassement électoralistes n'atténuent en rien l'effet de ce cynisme.

Mais comme à toute chose malheur est bon, cette mince affaires allait déclencher l'ire légitime de tous les descendants des colonisés, choqués d'apprendre que le République allait de nouveau bastonner leurs ancêtres. On a donc vu se lever un "colère noire" aussi bien dans les milieux de l'émigration maghrébine que dans les DOM-TOM et chez les travailleurs africains, qui n'oublient pas le sort ignominieux des anciens tirailleurs "sénégalais". Ce vent de révolte, dont l'expression la plus pointue s'est trouvée portée par Dieudonné, s'est conjugué avec des revendications identitaires, plus ou moins communautarisées. Leur effet conjugué vient de faire exploser le milieu historien. En effet, chaque prise de pouvoir mémorielle ajoute de nouvelles digues et de nouvelles chaînes de contention posées sur le travail de l'historien, qui se voit interdire de plus en plus de territoires. Les menaces judiciaires, auxquelles s'ajoutent même des menaces physiques ont porté le milieu à bouillonner d'indignation. Notre système bâtard de politisation des débats intellectuels et moraux fait que, depuis 1990 et la Loi Gayssot, il est possible à l'État de dire ce qui doit être écrit et enseigné à l'école. Depuis le stalinisme, on croyait ce genre d'attitude disparu. Il est assez amusant de voir, dans l'escouade des 19, dont plusieurs académiciens, qui réclament aujourd'hui la levée du carcan, un certain nombre d'initiateurs de la pétition de 1979 qui ouvrait la voie à la loi Gayssot : Pierre Vidal-Naquet, Jean-Pierre Vernant, Marc Ferro, Paul Veyne, sont cosignataires des deux pétitions. La trajectoire est intéressant qui voit des gens tirer au canon et recevoir, un quart de siècle plus tard, l'obus sur la gueule.

 

 

 

 

L'interdiction des historiens révisionnistes remonte, en France, à une "déclaration d'historiens", rédigée en réaction à la publication par Le Monde  d'un court article de Robert Faurisson, par Léon Poliakov, aujourd'hui disparu, et Pierre Vidal-Naquet, l'infatigable signeur de toutes les pétitions qui nous intéressent ici. (Voir Le Monde du 21 février 1979, p. 23 : "La politique hitérienne d'extermination : une déclaration d'historiens"). Cette "déclaration" se terminait ainsi:

 

«5. — Un dernier mot pour finir. Chacun est libre d'interpréter [...]  [Le meurtre de masse a eu lieu :] Tel est le point de départ obligé de toute enquête historique sur ce sujet. Cette vérité, il nous appartenait de la rappeler simplement: il n'y a pas, il ne peut y avoir de débat sur l'existence des chambres à gaz.»

 

Aucun de ces historiens n'était spécialiste de ces questions et de cette période. (Poliakov n'avait ni formation ni titre et pratiquait davantage la polémique et la vengeance que l'histoire.) Néanmoins, ils s'arrogeaient le droit de nous dire quelle était le point de départ obligé de l'enquête et de nous dire sur quoi il pouvait ou ne pouvait pas y avoir débat.

Cette transgression de l'éthique professionnelle a été la mère de tous les abus ultérieurs. Beaucoup des 34 signataires ont éprouvé des remords, à commencer par le principal rédacteur, Pierre Vidal-Naquet. En 1992, il a fait part de son malaise. Mais enfin, la bêtise avait été faite. Les historiens s'étaient corporativement mis dans une impasse : ils déclaraient, somme toute, que des idées préconçues, fournies par les  partisans politiques, les activistes de la "communauté" et les militants mémoriels devaient échapper à l'examen critique. L'historien au travail était amputé à vif.

C'est cette brèche qui allait livrer le passage à la loi Gayssot, onze ans plus tard. Le rôle de Vidal-Naquet, là encore, est ambigu. Il n'a cessé d'intriguer dans les milieux universitaires et judiciaires, pour activer les poursuites contre les révisionnistes, tout en se déclarant hostile à la loi, telle qu'elle est sortie du groupe des avocats, plus ou moins socialistes, qui avaient subi défaites sur défaites dans le grand procès Faurissson (1981-1983). Vidal-Naquet lui-même, malgré son hostilité affichée, n'avait pas manquer d'invoquer la loi Gayssot pour se protéger des poursuites pour diffamation intentées par Henri Roques, sans résultat notable d'ailleurs.

Ce que les 34 malheureux historiens avaient estimé impossible, ou illégitime, allait être franchement interdit, et condamné par la nouvelle loi du 13 juillet 1990. Le saut conceptuel n'était pas grand et nous avons observé, au cours de ces 11 ans, diverses tentatives de criminaliser la recherche historique menée par les révisionnistes. C’est à la faveur d'un petit marchandage entre socialistes et communistes, permettant la survie du gouvernement Fabius, que le texte stalinien fut accepté, augmenté de deux articles rédigés par les avocats des associations de malfaisance qui avaient poursuivi Faurisson en vain. Le rôle occulte de Badinter a dû être important puisqu'il avait quitté les bancs du prétoire où il représentait la Licra contre Faurisson pour se hisser sur le siège de Garde des Sceaux, ministre de la Justice.

La suite est connue. Depuis des années, les partisans de la "cause arménienne", attachés à tirer vengeance de la Turquie, réclament le droit d'encadrer le travail des historiens et de les condamner pénalement quand les conclusions ne leur plaisent pas. Ils demandaient l'élargissement de la loi Gayssot. Ils ont fait le siège des parlementaires dans tous les pays, aboutissant à diverses "lois" de "reconnaissance du génocide arménien", comme préalable à des mesures de rétorsion et de chantage politique qu'ils veulent exercer contre la Turquie contemporaine. Si elle réussissait, cette action pourrait très bien enclencher une nouvelle guerre au Moyen-Orient.

Les Arméniens, dont le poids n'est pas très grand, n'ont pas encore réussi à imposer leur dictature sur les affaires des historiens, mais ils ont eu quelques succès judiciaires.

Ensuite, d'autres groupes se sont engouffrés dans la brèche, ainsi élargie. La loi Taubira (du 21 mai 2001) se contentait de vouloir retoucher "les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines", ce qui annonce évidemment une pression sur le corps des historiens. On touche là à un paradoxe : autant les revendications des descendants d'esclaves, victimes aujourd'hui de toutes sortes de formes insidieuses de racisme, sont justifiées et réclament des réparations politiques, autant chercher des compensations symboliques dans le domaine des "sciences humaines" peut apparaître dérisoire et même déplacé. Nous croyons aussi que les dramaturgies mémorielles, surtout quand elles on un caractère officiel, vident rapidement de leur substance les gestes et les actes qui sont liés, non pas à des "souvenirs" personnels, véritables, mais à des simulacres facilement manipulés par toutes sortes d'autorités plus ou moins légitimes. Quiconque a observé les cérémonies du 11 novembre dans les communes françaises, sait de quoi il s'agit. Voyez ce qu'est devenu le 14 juillet ! Rappelez-vous les danseuses brésiliennes en chaleur se trémoussant sur les Champs Élysées pour un surréaliste bicentenaire de la Révolution française ! Les inventions des publicitaires, dans ce domaine, sont sans fin, et les commémorations relèvent du spectacle, souvent le plus affligeant. Si l'on veut répandre du savoir sur les événements passés, il n'existe qu'une seule bonne manière: c'est de produire ce savoir et le diffuser, par les méthodes classiques. On n'a jamais empêché personne d'écrire sur la Traite des Noirs, même à l'époque où elle était en pleine activité. Ceci contraste assez nettement avec la loi Gayssot, issue des pratiques talmudiques d'exécration et de damnation mémorielle, qui interdit certains travaux, purement et simplement.

Il n'en reste pas moins que la montée de la revendication noire est impressionnante. Elle s'appuie sur un militantisme résolu qui se manifeste par une myriade d'organisations qui ont comme caractéristique générale d'être totalement ignorée par les mass-merdia. On a récemment vu certaines de ces organisations se regrouper autour de l'idée, ancienne aux États-Unis mais neuve en France, de "communauté noire". Quand, dans les années 50 un certains nombre d'intellectuels noirs se sont lancés dans l'action, sous l'impulsion d'Alioune Diop, avec d'ailleurs quelques Noirs américains, ils se sont appelés "Présence africaine". La librairie et les éditions de ce nom existent encore rue des Écoles à Paris. On mesure le chemin parcouru : Avec les puissantes vagues d'immigration des trente dernières années, le problème est devenu social et "sociétal". Les revendications sont parfaitement légitimes et il faudrait bien leur faire droit.

A qui ces revendications légitimes ont-elles fait peur ? Aux judéo-sionistes, aux partisans d'Israël et de sa politique de terreur et de massacre, camouflée par toute une floppée de récits holocaustiques qui ont pour fonction, comme la mangouste devant le serpent, de paralyser l'esprit critique. Critiquer Israël, on l'a bien vu dans le procès fait à Edgar Morin, devient illégitime. Et pénalement condamnable. Or au moment où les sionistes peuvent se rengorger en regardant la paysage de soumission qu'il ont réussi à imposer, voilà que les Noirs font irruption en disant qu'ils ont été victimes d'une oppression et d'un massacre qui a duré trois siècles, et qui est le plus grand crime qui ait été commis contre l'humanité.

Vent de panique. On sait la presse et l'opinion publique versatiles. Si elles se prennent de lubie pour la question noire, la question juive est fichue. On n'est pas dans le monde de la boxe. Il ne peut pas y avoir en même temps deux champions du monde de la souffrance. Tout en critiquant la "concurrence des victimes", les milieux sionistes et leurs relais dans le monde médiatique se sont lancés dans une concurrence effrénée des victimes. Et ils sont tombés rapidement sur un os. Un os nommé Dieudonné. Des humoristes noirs, il y en a déjà eu. De Sammy Davis à Henri Salvador, ils savent faire patte douce. Dieudonné appartient à une autre espèce: celle des raisonneurs. Plus on lui tape dessus, plus il se redresse. Plus on tente de l'écraser, plus il fait sonner fort la revendication. Plus les sionistes cherchent à l'intimider, plus il perce les sionistes à jour. Il donne ainsi, peut-être de manière imprévue, une sorte de tête chercheuse au mouvement noir de revendication identitaire, sociale, économique et politique. Et les sionistes enragent parce qu'ils ne contrôlent plus rien.

Le dernier contre-feu est une pétition qui propose une sorte de trêve dans cette dure concurrence des victimes. ("Démons français", Le Monde, 6 décembre 2005).

Animée par des juifs de gauche, aux apparences plus ou moins anti-sionistes, elle dit: bon, votre revendication anticolonialiste est justifiée, mais laissez-nous notre pré carré car notre mission est de défendre Israël, même quand il commet des crimes sans nom. Comme toujours le renversement idéologique consiste à identifier chez l'adversaire le syndrome de haine et de rejet qu'on lui applique: les sionistes, paniqués par leur incapacité à détruire les souffrances issues du passé colonial, accusent les victimes... d'antisémitisme, car quiconque ne reconnaît pas humblement la supériorité des excellents juifs est convaincu de désirer leur destruction. Et effectivement, le mouvement noir peut et doit "détrôner" les juifs qui ont reçu des réparations gigantesques et ne souffrent de rien d'autre que d'obésité et de luxe. La mise en scène de ce rapport d'inversion est justement fournie par Dieudonné qui révèle là encore un talent d'auteur et d'interprète de l'air du temps qui explique son immense succès. Il perfuse dans toutes sortes de milieux.

Pour marquer le coup, le petit carré des initiateurs juifs de cette pétition (dont l'inévitable Pierre Vidal-Naquet) s'est entouré de quelques Arabes de service et de quelques Noirs de service, bref la valetaille politiquement correcte. Ce petit pensum n'est pas seulement dérisoire : il marque comment la solidarité effective des milieux sionistes transcende leurs propres divergences politiques : cette pétition du 6 décembre est ce qu'on fait de mieux dans la gauche caviar, nettement anticolonialiste et même presque anti-sioniste. Elle dit pourtant la même chose que les milieux les plus droitiers et et les plus fascisants de l'opinion judéo-française. Par exemple l'intiative qui consiste à faire reprendre les thèmes sionistes par de prétendus "Maghrébins laïques" ou par une pseudo "Association de l'amitié judéo-noire", qui trouve toujours quelques pauvres hères qui vont faire de la figuration sur la scène, pour la photo.

 

Mais là où les manœuvres juives ont superbement réussi, c'est en imposant leur système conceptuel aux porteurs d'idée du mouvement noir. C'est toute la construction sioniste autour du "négationnisme" qui est reprise telle quelle par la plupart des courants du mouvement noir (y compris par la reine de la démogagie Ségolène Royale). Ils n'ont pas procédé à l’analyse du problème devant lequel ils se trouvent. En effet, les historiens qui, disons-le grosso modo, adoptent aujourd'hui des thèses favorables à tel ou tel aspect du colonialisme, ne sont nullement des "révisionnistes", mais au contraire des conservateurs ou même des réactionnaires. ils reprennent une idéologie qui a battu son plein dans les années 1880-1930 dans la France de l'Empire français, depuis les violents débats parlementaires qui ont mené à la conquête du Tonkin jusqu'à l'Exposition coloniale de Paris, sommet de l'expansion coloniale, peu avant le début de la dissolution de l'Empire. Face aux gigantesques entreprises de propagande colonialiste, appuyées par les énormes intérêts économiques qui exploitaient l'outre-mer, l'opinion publique française a oscillé. Il n'y a jamais eu une franche majorité colonialiste, mais plutôt une minorité active, un marais indifférent et une petite minorité anticolonialiste décidée. Daniel Guérin, dans ses écrits de combat, en a gardé les traces. Tout cela relève d'une histoire à moitié écrite, encore beaucoup ensevelie dans les archives et il y a donc du pain sur la planche pour les futurs historiens, s'ils ne sont pas tenus en laisse par des intérêts extra-professionnels. Par conséquent la défense du point de vue colonial est une vieille tradition en France, qui a utilisé des plumes illustres (Pierre Loti, Claude Farrère, d'autres un peu oubliés, sans compte des pléiades de publicistes et essayistes pataugeant dans l'exostime colonial à bon marché). Nul révisionnisme là dedans.

(Voir, par exemple, "Le négationnisme colonial" d'Olivier Lacour Gradmaison, dans Le Monde, 2 février 2005) Le révisionnisme, le vrai, au contraire a pour fonction de désocculter les faits historiques cachés par l'idéologie dominante. On est loin du compte.

Mais en reprenant la rhétorique sioniste, c'est-à-dire en demandant la condamnation pénale des auteurs néo-colonialistes, en l'absence de loi spécifique du genre Fabius-gayssot, ils sont amenés à faire de la surenchère et à réclamer des lois de plus en plus répressives, au mépris total de la liberté nécessaire de la recherche. Ils méconnaissent le fait que l'historien n'est pas un moraliste ou un politique chargé de passer un "jugement" sur les époques antérieures. Ils font désormais chorus avec les pires réactionnaires qui soient, les colonisateurs de la Palestine et leurs alliés en France. Dans ces conditions, leur action est vouée à l'échec. Cherchant à placer leur lutte sur le terrain judiciaire, ils abandonnent la lutte des idées, des textes contre les textes, des arguments contre les arguments, ce qui favorise leurs adversaires, qui connaissent mieux le terrain documentaire.

Et ils se lancent dans ces demandes au moment où justement elles paraissent enfin abusives à une partie de l'opinion, alertée par les historiens qui voient leur travail directement menacé par les canons des organisations mémorielles qui se multiplient et redoublent d'audace.

On va en arriver à la confrontation. Une "mission" a été confiée à Jean-Louis Debré, fils d'un premier ministre très Algérie-Française et ensuite député de la Réunion, pour déterminer ce qu'il faut faire maintenant. Abroger, ne pas abroger, noyer le poisson, ajouter d'autres diverticules aux usines à gaz législatives ou à un code pénal déjà farci d'ingérences dans la vie et la pensée personnelle ?  Abroger seulement l'article 4 de la  loi de janvier 2005 ? Ré-écrire la loi Taubira ? Abolir Gayssot ? Renvoyer les Arméniens à leurs petits jeux dangereux ? On ne sait pas à quoi s'arrêtera cette vraie chiffe molle de Debré. Mais la bataille est lancée.

Une seule chose est certaine, à l'heure qu'il est: Gayssot en a pris un grand coup sur la tête. La loi Gayssot a perdu son tabou protecteur. Des gens au dessus de tout soupçon, jusqu'au sommet de l'État, disent qu'elle est, finalement, inadmissible. Rappelons qu'une certaine lâcheté de l'ancienne opposition, aujourd'hui au pouvoir, avait fait que cette loi n'avait pas été soumise au contrôle du Conseil constitutionnel. Il est plus que probable qu'elle aurait été rejetée, tant elle est exorbitante du droit commun, nonobstant Badinter qui prenait toujours conseil, comme il l'a dit lui-même, des rabbins.

Quoiqu'il en soit du futur législatif, la loi du 13 juillet 1990, portant modification de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, a pris du plomb dans l'aile. Les récents développements la rendent intellectuellement obsolète. Chirac déclare solennellement que l'histoire doit être faite par les historiens, et non par le législateur et son fidèle toutou, le juge pénal. Certes, elle est rédigée de telle façon qu'elle ne laisse pratiquement pas de marge d'appréciation au juge: il est obligé "d'entrer en condamnation" comme l'a bien expliqué un jour à la XVIIe chambre, le président Monfort. Mais maintenant, la prochaine fois qu'il se présentera un cas de "contestation" devant un tribunal, et il y en a plusieurs en attente, l'avocat lui enverra le missile de Chirac et la flèche des historiens: il faut abroger cette mesure "indigne d'un régime démocratique" (les 19). C'est le juge qui va recevoir désormais le poids de la réprobation publique. Il comprendra que cette loi est à mettre au placard des lois oubliées, inapplicables, mal écrites, mais non abrogées. Vaste placard.

La chose peut-être la plus étonnante de ces derniers jours est le statut d'historien soudain reconnu aux auteurs révisionnistes. La mafia dont le capo est Vidal-Naquet a toujours essayé de discréditer les révisionnistes, les appelant – grotesquement – des "négationnistes" et leur déniant toute compétence. Et voilà qu'ils sont enrôlés sous la bannière académique. De pariahs il deviennent dissidents, c'est-à-dire promis à réhabilitation quand le stalinisme gayssotique aura fini de fondre au soleil. Comprenez notre surprise. Il faut qu'ils aient les chocottes à zéro pour se renier de cette façon.

Certains s'inquiètent à l'idée qu'une abrogation pourrait "profiter" aux révisionnistes. A vrai dire, il n'en ont nul besoin. Jamais la circulation des textes et des idées révisionnistes n'a été telle. Même avant que nos librairies soient fermées, nos revues interdites, nos livres saisis ou condamnés, nous n'avions pas connu, au temps de la liberté (relative) d'avant-J.-C.(Gayssot) une telle diffusion. A cause d'internet. C'est tous les jours que nous recevons des messages d'intérêt et de soutien. Certes, il n'y a plus de militantisme révisionniste possible, mais il n'en est point besoin. Et une éventuelle abrogation ne changerait pas grand chose, sauf pour quelques individus qui ont été sévèrement baillonnés et malmenés.

 

La seule façon d'arrêter le mouvement serait de faire ce qu'on a fait pour faire passer la gayssotine, à savoir une énorme provocation comme celle de Carpentras. Rappelons les faits: le cimetière juif de Carpentras a été profané, de nuit, des tombes ont été ouvertes et un corps a fait l'objet d'un simulacre d'empalement. Scandale énorme. Des foules descendent dans la rue. La loi Gayssot passe. Quelques années plus tard, on apprend que l'auteur principal de cette macabre mise en scène était lié aux services de renseignements militaires et qu'il a été, bienencontreusement, écrasé par une voiture. Un nouveau Carpentras gèlerait l'abrogation de la gayssotine pour encore 10 ans, mais le mouvement noir, lui ne s'arrêtera pas. Et c'est lui, malgré le fourvoiement de certains de ses porte-parole, qui renverse le mur du conservatisme néo-colonial et qui, comme on dit dans les journaux, fait "bouger les lignes".

 






18 décembre 2005.










Ce texte a été affiché sur Internet à des fins purement éducatives, pour encourager la recherche, sur une base non-commerciale et pour une utilisation mesurée par le Secrétariat international de l'Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre et d'Holocauste (AAARGH). L'adresse électronique du Secrétariat est <aaarghinternational-à-hotmail.com>. L'adresse postale est: PO Box 81475, Chicago, IL 60681-0475, USA.

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Déclaration internationale des droits de l'homme, adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU à Paris, le 10 décembre 1948.


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