AAARGH
Vendredi, 23 Décembre 2005
La liberté de débattre
La France, du moins ceux qui la dirigent ou la régentent, succombe à un singulier idéalisme, non plus celui qui se satisfait de proclamer des principes, mais celui de la contrition et de l'épuration. On veut croire qu'en interdisant l'expression des mauvaises idées et en légalisant la vérité on assainira les mentalités et on se mettra à l'abri du pire. On imagine qu'en remplaçant l'idée d'une France inventant la liberté moderne par la commémoration de nos fautes, on dégagera un avenir. En fait nous voyons que la liberté, le civisme, la vérité sont ensemble perdants quand on essaie de gouverner la pensée, de pasteuriser la démocratie.
Les lois contre le négationnisme, pour la reconnaissance du génocide arménien, de l'esclavage et de la traite, aussi bien que sur les mérites de la colonisation française, débordent le domaine de la loi tel que défini par l'article 34 de notre constitution. Plus généralement, le devoir des politiques est d'assurer l'avenir de la nation, non de fixer en dogmes son histoire. Certes, pour gouverner un peuple il faut connaître son passé et en tenir compte, il faut s'appuyer sur une conscience historique commune tout autant que sur une moralité commune. Mais le pouvoir ne saurait régler, encore moins arrêter, les perpétuels réaménagements de la conscience collective, le travail de la mémoire, le dialogue continué avec le passé qui est indissociable de l'exercice des libertés publiques, dans la vie politique, dans la littérature, dans l'historiographie. L'incitation au crime relève des tribunaux, il n'en va pas de même des opinions aberrantes. Celles-ci on les réfute ou on les dénonce. Quand on ne fait pas confiance à la liberté de débattre, le mot de république perd tout sens. C'est pourquoi nous demandons l'abrogation de toutes les lois (Gayssot, Taubira, Accoyer…) qui ont pour objet de limiter la liberté d'expression ou de qualifier des événements historiques.
Quelles qu'aient pu être leurs justifications particulières, leurs vertus immédiates, ces interventions ont produit un enchaînement dangereux. Par moralisme et désir de se mettre à l'abri de tout reproche, nos politiques ont ouvert la voie à des demandes successives de pénalisation et à la sanctuarisation des mémoires particulières. Le morcellement qui en résulte de la mémoire nationale favorise des durcissements et des affrontements dont nous voyons les prodromes. C'est au contraire d'un travail de vérité et de compréhension qui porte sur toute notre histoire que nous avons besoin. Ceci exige que la liberté de débattre soit pleinement rétablie.
Signataires :
Elie Barnavi
Alain Besançon
Rony Brauman
Jean Daniel
Philippe De Lara
Vincent Descombes
Jacques Donzelot
Michel Fichant
Elisabeth de Fontenay
Max Gallo
Marcel Gauchet
Pierre Grémion
Jean-Claude Guillebaud
Anne-Marie Le Pourhiet
Jean-Pierre Le Goff
Elisabeth Lévy
Pierre Manent
Michel Marian
Abdelwahab Medded [ou : Meddeb]
Edgar Morin
Krzystof Pomian
Pierre Nora
Philippe Raynaud
Paul Thibaud
Paul Valadier
Pierre Vidal-Naquet
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