AAARGH
N· 2281
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée
nationale le 28 mars 2000.
PROPOSITION DE LOI
tendant à renforcer la lutte contre le révisionnisme
et à permettre les poursuites à l'encontre des négateurs
des génocides reconnus par la France ou une organisation
internationale dont la France est membre.
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles,
de la législation et de l'administration générale
de la République, à défaut de constitution
d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles30 et 31 du Règlement.)
présentée par M. Roland BLUM,
Député.
Droits de l'homme et libertés publiques.
EXPOSÉ DE MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Inventé par le professeur Lemkin en 1943, le concept de
génocide étend à des groupes entiers d'humains
l'homicide d'un individu isolé.
Ce crime a été défini au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale et concerne la mise en exécution
d'un programme d'extermination d'un groupe humain par un Etat
souverain.
Ainsi, avant 1945, la qualification pénale de génocide
n'existait pas, ce qui a sans doute accru les difficultés
de reconnaissance de ce type de crime dont notamment le génocide
arménien de 1915.
De même, le terme de génocide de figure pas dans
l'article 6c de la Charte du tribunal militaire international
dite statut de Nuremberg, annexé à l'accord de Londres
du 8 août 1945, qui énumère les crimes contre
l'humanité.
La notion de génocide est employée pour la première
fois le 18 octobre 1945 dans l'acte d'accusation contre les grands
criminels de guerre allemands traduits devant le tribunal de Nuremberg.
Le terme est ensuite juridiquement repris par la Convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide,
adoptée à l'unanimité par l'Assemblée
générale des Nations unies le 9 décembre
1948.
Selon cette convention, le génocide est un acte "
commis dans l'intention de détruire, en tout ou partie,
un groupe national, ethnique, racial ou religieux ".
Il importe peu que les actes soient commis en temps de paix ou
de guerre et l'Etat sur le territoire duquel a été
commis le génocide doit punir ses auteurs et réparer
les préjudices qui en résultent.
Enfin, la communauté internationale a volontairement affiché
sa volonté de réprimer ces crimes contre l'humanité
et le génocide par l'adoption, le 26 novembre 1968, de
la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre
et des crimes contre l'humanité.
Qu'en est-il en droit positif français ?
La loi française distingue quatre infractions : le génocide,
les crimes contre l'humanité innommés, les crimes
de guerre aggravés, l'entente en vue de commettre ces crimes.
Selon l'article 211-1 du code pénal, le génocide
est caractérisé par l'accomplissement d'un ou plusieurs
actes énumérés par le texte : atteinte volontaire
à la vie, atteinte grave à l'intégrité
physique ou psychique, soumission à des conditions d'existence
de nature à entraîner la destruction totale ou partielle
du groupe, mesures visant à entraver les naissances, cette
énumération reprend d'ailleurs celle figurant à
l'article 2 de la convention de 1948.
Une seconde caractéristique propre au génocide réside
dans les objectifs du plan concerté que de tels actes exécutent.
Enfin, la nature du groupe victime constitue une troisième
caractéristique de l'incrimination. Il peut s'agir d'un
" groupe nation, ethnique, racial ou religieux " ou
d'un groupe " déterminé à partir de
tout autre critère arbitraire ".
Ainsi, le législateur français a eu le soin de définir
le génocide sur la base de données objectives en
écartant toute référence à l'idéologie
ayant inspiré ses auteurs. L'exigence d'un plan concerté
d'extermination établit le caractère prémédité
du crime.
Sur la base des définitions ci-dessus exposées,
la communauté internationale a reconnu le génocide
juif perpétré durant la Seconde Guerre mondiale.
Malgré cela, quelques théoriciens ont cru devoir
élaborer des thèses révisionnistes contestant
la réalité des horreurs accomplies.
En outre, d'autres génocides, pourtant incontestables au
regard de l'Histoire et des faits accomplis, sont niés
par certains historiens.
Il en est ainsi du génocide arménien de 1915, pourtant
reconnu le 16 avril 1984 par le tribunal permanent des peuples,
puis par la Commission des droits de l'homme de l'ONU le 19 août
1985, par le Parlement européen le 18 juin 1987, par une
déclaration écrite de l'Assemblée parlementaire
du Conseil de l'Europe le 14 avril 1998 et enfin par l'Assemblée
nationale à l'unanimité le 29 mai 1998.
Mais quelle que soit la reconnaissance d'un génocide, elle
est insuffisante à en assurer le souvenir de façon
impérissable.
En effet, l'attitude de certains historiens doit être
combattue car elle consiste à nier l'évidence
en semant le trouble dans les esprits et, à terme, c'est
la mémoire même du peuple martyr qui est menacée.
De ce point de vue, la loi n· 90-615 du 13 juillet 1990
constitue un incontestable progrès dans la lutte contre
les thèses révisionnistes en permettant la poursuite
de leurs auteurs devant la juridiction pénale.
Ainsi, ceux qui contestent publiquement et par quelque moyen que
ce soit l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité
tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut de Nuremberg,
annexé à l'Accord de Londres du 8 août l945,
peuvent être poursuivis pénalement.
Mais à l'évidence, cette loi a une portée
trop restrictive puisqu'elle se limite aux actes accomplis
durant la Seconde Guerre mondiale.
La démonstration en a été faite lorsque l'historien
Bernard Lewis qualifiant le génocide arménien de
1915 de " version arménienne de cette histoire "
avait été cité devant la juridiction pénale
en même temps que le journal le Monde par le Comité
de défense de la cause arménienne et par trois survivants
de ce génocide sur le fondement des articles 24
bis et 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée par la
loi du 13 juillet 1990.
Le tribunal correctionnel de Paris, dans son jugement du 14 octobre
l994, a déclaré cette action irrecevable en raison
du caractère limitatif de l'incrimination. En effet,
seule la négation du génocide juif peut être
sanctionnée.
Cette position législative et jurisprudentielle pose donc
problème. Ce qu'il en est aujourd'hui avec cette décision
de la juridiction pénale sur le génocide arménien
pourrait demain se reproduire encore pour ce même génocide
ou pour ceux commis au Rwanda, en Bosnie et sans doute, demain,
en Tchétchénie.
Il ne peut y avoir deux catégories de génocide et
tous doivent être condamnés et leur négation
doit être combattue de la même manière.
C'est dans cet esprit que la loi n· 90-615 du 13 juillet
1990 devra être modifiée en complétant le
nouveau dispositif qu'elle introduisait avec l'adjonction d'un
article 24 bis à la loi du 29 juillet 1881 sur la presse.
Il sera ainsi proposé de compléter ce dispositif
en se référant à tout autre génocide.
De même, il sera proposé de permettre aux victimes
et aux associations qui les représentent d'assurer la
défense de tout génocide et cela en complétant
l'article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881.
La France, patrie des Droits de l'homme, s'honorerait en
renforçant sa lutte contre le révisionnisme car
la négation d'un génocide constitue un assassinat
de la mémoire des peuples martyrisés.
Article 1er
L'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté
de la presse est complété par un alinéa ainsi
rédigé :
" Seront punis des mêmes peines ceux qui auront contesté,
dans les mêmes conditions, tout autre génocide au
sens de l'article 211-1 du code pénal, dès lors
que celui-ci aura été reconnu par la France ou une
organisation internationale dont la France est membre ou une décision
rendue par les tribunaux internationaux engageant la France. "
Article 2
L'article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 précitée
est ainsi rédigée :
" Art. 48-2. - Toute association régulièrement
déclarée depuis au moins trois ans à la date
des faits qui se propose, par ses statuts, de défendre
les intérêts moraux, la mémoire des victimes
de crimes contre l'humanité, de l'honneur de la Résistance
ou des déportés ou toutes autres victimes, et notamment
de génocide au sens de l'article 211-1 du code pénal,
peut exercer les droits reconnus à la partie civile en
ce qui concerne l'apologie des crimes ou délits de
collaboration avec l'ennemi et en ce qui concerne l'infraction
prévue par l'article 24 bis. "
_____________
Source: http://www.assemblee-nationale.fr/2/propositions/pion2281.htm
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Déclaration internationale des droits de l'homme,
adoptée par l'Assemblée générale de
l'ONU à Paris, le 10 décembre 1948.