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Ils sont partout !


Par Claude Lanzmann
 


 

Philippe Meirieu a été attaqué ici même avec démesure, cruauté, bassesse. On l'a laissé seul. Aujourd'hui, cet homme est à terre et atteint, profondément. Les désaccords qu'on pouvait avoir avec ses positions ne justifiaient en rien l'insulte ad hominem ( «La révolution cuculturelle à l'école», Le Monde du 19mai) et la fureur outrancière qui ont conduit Alain Finkielkraut, par ailleurs chantre de la «nuance», à accuser Meirieu de «placer l'universel sous la juridiction exclusive de la rationalité instrumentale: celle-là même qui a été mobilisée pour les usines de la mort et qui a conféré aux crimes administratifs du XXe siècle leur atypique banalité et leur monstruosité sans pareille». ( Une voix vient de l'autre rive, p. 84) Diable! Aucune voix, parmi les écrivains et les maîtres, ne s'est élevée pour protester contre cette ineptie et condamner de pareils amalgames. La haine régnait. Pourquoi faut-il, dans ce pays, que les prétendus champions du débat intellectuel se changent en procureurs écumants et utilisent les mots comme des armes meurtrières? Etrangement, ce sont les mêmes qui, devant des déclarations, à l'évidence antisémites, allèguent que, dans la France apaisée, les mots ont perdu leur pouvoir, leur charge de sens ou de mort et que tout peut se dire innocemment au nom de la liberté d'opinion. Tout. Même le pire.


Nous avons revu il y a peu - à l'occasion d'un hommage que lui rendait l'université Paris-VII - le film déchirant de Bernard Cuau, consacré aux procès de Prague dans les années 50, et si justement intitulé Les Mots et la Mort. Sous nos yeux, procès après procès, accusé après accusé, le sinistre Urvalek, procureur d'Etat, requérait sans faiblir la peine capitale: ses mimiques et gesticulations, ses hennissements manichéens, sa rhétorique grandiloquente dévoilaient tout à la fois le mensonge absolu des dossiers d'accusation et la servilité de celui qui avait la charge de la soutenir.


Il y a un style procureur ou avocat général de faux procès truqués --procès dont les verdicts sont connus à l'avance et inexorablement prononcés--, celui d'Urvalek, mais aussi bien celui de Freisler, l'accusateur public du Troisième Reich, qui accablait et humiliait les conjurés du 20 juillet avant de les livrer le soir même au bourreau de la prison de Moabit, à Berlin. Les Freisler et les Urvalek, ces combattants du Bien, sont hantés et habités de vide, qu'ils tentent de masquer ou combler par la démesure et l'emphase. Comme l'antisémite dont nous parlait Sartre, ils veulent ainsi se faire «roc impitoyable, torrent furieux, foudre dévastatrice».


Lancé dans une ardente campagne promotionnelle de sa dernière diatribe, Alain Finkielkraut multiplie les apparitions, ferraille tous azimuts, frappant d'estoc et de taille, pratiquant sans état d'âme l'inversion des signes et l'échange des rôles. De procureur, le voici devenu défenseur, bientôt victime peut-être, emplois où il excelle tout autant et où il peut faire montre d'une merveilleuse liberté et originalité d'esprit. Si, contre le troupeau bêlant de la «France grégaire» ( Le Monde du 7juin), il embrasse la cause de Renaud Camus, c'est parce que celui-ci, avant d'être un antisémite, est d'abord et surtout un anticonformiste. Mieux encore, son antisémitisme délicat, raffiné, pondéré est, par les temps qui courent, le signe même du courage et de la liberté d'esprit. Benoîtement, Finkielkraut consent à quelques concessions de pure forme -car il est tout de même difficile de nier ce qui a été écrit-: «Il est certes choquant... On peut avoir de l'hospitalité une conception moins vieux jeu, moins collet monté, moins restrictive... Il y a notamment la navrante tristesse...» Et cette perle: «Blessé par les accents de mélancolie barrésienne...», ou celle-ci encore: «Désolé par l'égarement d'un écrivain singulier et rare.» Mais le coeur n'y est pas: ces regrets et cette désolation sont forcés, corrigés et annulés à peine formulés par de grosses ficelles rhétoriques, qui permettent à notre procureur de retrouver sa veine originaire et de tonner contre l'ennemi principal. Renaud Camus en vérité n'aura été pour Finkielkraut qu'un filon latéral, une pépite de hasard sur laquelle il s'est voracement jeté parce qu'elle allait lui permettre de marteler clairement ce qu'il retenait encore et, au nom de la défense, d'oublier les prudences, de s'oublier lui-même, tant est devenue incontrôlable l'inavouable passion qui l'anime.

Les pistes, déjà, sont tracées dans l'article du Monde auquel j'ai fait référence. Son armure ordinaire lévinasso-arendtienne ne le garantissant pas assez, il appelle Claude Lévi-Strauss à la rescousse de Renaud Camus et conclut une longue citation du premier (qui exalte les particularismes) par ces mots: «C'est faire du Renaud Camus avant Renaud Camus. Au travail, vigilants! Ils sont partout (sic). La Campagne de France (titre de l'ouvrage de Renaud Camus) n'est que la partie émergée d'un immense iceberg.» L'inversion maligne joue ici à plein: «Ils sont partout» est le leitmotiv des antisémites. «Ils sontpartout», c'est ce que répétait, numéro après numéro, le torchon Je suis partout et c'est ce que dit précisément Renaud Camus à propos des Juifs du Panorama de France-Culture. Ici bien sûr ce sont les antisémites -- et non les Juifs -- qui sont désignés par le «Ils» finkielkrautesque. Seule une poignée d'anachroniques illuminés -- les vigilants -- perçoit et débusque partout la grouillante vermine antisémite! Lourdeur de souliers à clous. Lapsus ou bon mot? L'un et l'autre, l'un ou l'autre, sont atroces. Mais la toupie de l'inversion maligne n'arrête pas là son vertigineux tournis: la victime désignée, l'insulté, le rejeté, le censuré, l'objet du pogrom et de la terreur intellectuelle, le nouveau Paria, c'est Renaud Camus. Les vingt-cinq signataires de la «Déclaration des hôtes trop nombreux de la France de souche» appellent à la «curée» (sic) terminale -- finale peut-être -- et sont dénoncés -- sur quel ton de menace et de délation! -- comme les «maîtres de l'heure». Philippe Sollers a bien raison de demander: «Quelle sera la prochaine?». La nôtre, nul doute. Notre dernière heure: elle viendra, elle est venue, elle a sonné ou sonnera bientôt. Nous, les «maîtres de l'heure», avons, c'est certain, du plomb dans l'aile, le pouvoir nous échappe, nous condamne peut-être: Renaud Camus et Finkielkraut ont reçu il y a peu ici même un surprenant, puissant et attristant renfort.


La nouvelle correction politique, la nouvelle bien-pensance, qui revendique hautement et de très haut le droit de mal penser, pourra se délecter de ces lignes -jusqu'alors passées inaperçues puisque seuls quelques happy few connaissaient l'existence d'un «écrivain singulier et rare» -le récidiviste et «vieux Français» Renaud Camus. Page 467 de son Journal de 1991, on peut lire ceci: «Quel rapport de l'équipe de France avec la France si la moitié des joueurs ne sont pas français, sinon par naturalisation précipitée?» C'est une question en effet!


Mais il faut ce qu'il faut. Tout à sa croisade, animé par le désir d'en découdre et d'en finir, notre philosophe est peu regardant sur ses lieux de parole. Quelques privilégiés ont pu le voir récemment dans l'émission clownesque d'une chaîne cryptée en compagnie d'un Renaud Camus, incrédule d'abord, puis médusé par la fougue du preux qui le défendait, lui soufflait ses arguments, enfin totalement réduit au silence, ignoré, néantisé par un Finkielkraut déchaîné, occupant tout l'écran, baudelairienne pythie trépignant sur son trépied de fer, dans un extraordinaire numéro d'appropriation et d'identification.


La scène, supposée conviviale, se passe dans un appartement bourgeois très laid, style antre chaleureux - «L'appartement» est d'ailleurs le nom de l'émission. Nos deux compères sont reçus, comme chez des amis, par un couple de jeunes gens, garçon et fille, culottés et intimidés, qui posent des questions naïves sans jamais insister. Pour montrer que tout cela -questions et réponses- reste dérisoire, un clown grimaçant et grossièrement grimé traverse régulièrement le plateau et a avec l'intervieweur des apartés grinçants et rigolards.


Renaud Camus donc arrive le premier, droit dans ses bottes, détendu, guilleret, sifflotant. Il désamorce d'emblée: «Il ne faut pas crier au loup quand il n'y a pas de loup.» Ce n'est rien du tout, il aurait dit la  même chose «pour des journalistes bretons ou auvergnats». On a envie de lui répondre par la célèbre blague: «Il a été décidé de tuer tous les Juifs et tous les coiffeurs» - «Pourquoi les coiffeurs?» -Pourquoi les Arvernes? Légère interrogation sur le petit mot «Juif». Est-il innocent? Mérite-t-il un statut particulier et éternel? «Ne peut-on faire à un Juif le plus léger reproche?» Mais plutôt sympathique, Renaud Camus, bon antisémite, propos «dépourvus de toute incitation à la haine ou au mépris», comme l'a écrit récemment la ralliée de fraîche date au mal-penser que j'évoquais plus haut. Soudain survient notre philosophe, - «professeur à l'Ecole polytechnique» -, qui s'excuse du dérangement par lui provoqué, et les affaires sérieuses commencent. Tout y passe: la curée donc, l'anticonformisme du cher Renaud, puis des propositions étranges, inquiétantes. Je cite: «Je devrais être content que les Juifs soient à la mode (sic),mais ça n'est pas comme ça qu'on résoudra le problème, ni le rapport de la France avec son passé!» Ou encore: «L'identité française est détestée parce que la France doit disparaître pour que fleurissent toutesles identités.» Renaud Camus, souverainiste de choc, est victime de son «amour démesuré pour laFrance». Et ceci (la cassette de l'émission fait foi): «Il y a des emplois (sic) juifs depuis des années et je comprends tout à fait qu'on le critique et que ça énerve»!

                     
Exaltation, frémissement, et brutalement, le Professeur pivote vers Renaud Camus, l'apostrophe et l'exhorte. Le ton monte: «Vous ne voulez pas lâcher. Vous avez raison. Il n'y a pas à s'incliner devant le politiquement correct»... «Aller plus loin, il faut aller plus loin dans la mauvaise pensée elle-même!» La transe se conclut par une considération menaçante, annonciatrice et mystérieuse, qui, si on cherche à l'interpréter littéralement, conduit à des contradictions sans fin. La voici: «On ne marche pas sur des oeufs avec des Pataugas.» (sic). Est-ce une version postmoderne de l'antique «On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs?» Nul ne sait. Il faut pourtant observer que, ce jour-là, Alain Finkielkraut était chaussé de Pataugas blancs qui juraient avec son austère tenue professorale, mais étaient fort visibles à l'écran.

                     
Poursuivons. «Le slogan des temps nouveaux, c'est la fraternité de tous dans le mélange universel...Les mots clefs sont le mélange, le métissage, les différences... Dans cet univers totalement factice, l'être humainlui-même serait persona non grata » (sic). On ne s'étonne pas, lisant cela, que Finkielkraut juge Le Pen «fatigué» (Le Monde du 6 juin). La relève, ne craignons rien, est assurée, les forces fraîches sont là. Puis, devant Renaud Camus, silencié mais esquissant un fugace haussement de sourcils, expression de doute et de désaccord: «L'antisémitisme pétainiste, tout cela est derrière nous. L'antisémitisme n'est plus une passion européenne, ne risque plus de l'être.»

                   
Le jeune hôte de l'appartement ose une objection: «Haider». Le Maître la balaye d'un mot: «Haider n'est pas Hitler parce qu'il ne fait rien de mal.» Sauf penser bien sûr: Haider pense mal (Bernard-Henry Lévy l'avait stigmatisé avec force à Vienne même), il mal-pense, lui aussi. On comprend que Finkielkraut et Renaud Camus soient prêts à le coopter dans leur «Club des mal-pensants et vieux Français de souche».

                      
Nous en arrivons maintenant au foyer d'incandescence, au noyau central, à l' ultima ratio de cette frénésie et de ce basculement vers l'irréparable: la Shoah. Elle pèse sur les épaules de Finkielkraut comme un encombrant et indigeste patrimoine. À l'instar de ces Enées dont parlait Sartre, fatigués de porter sur le dos leurs Anchises, il rêve, avec quelques autres, de s'en débarrasser, de la remettre à sa place -juste et congrue si possible. Écoutons-le prophétiser: «Je vois s'installer une nouvelle religion. La religion de la Shoah m'inquiète. Qui dit religion dit catéchisme. Le catéchisme agace et énerve les élèves. Il faut enseigner l'hitlérisme dans le seul cadre des cours d'histoire.» Pas de traitement spécial donc. Observons qu'à cet instant de l'émission il prend sur lui de remplacer le mot «Shoah» par celui d' «hitlérisme».
Dans le factum dont il s'efforce d'assurer la promotion, filant sans frein comme à son habitude d'insupportables métaphores, négligeant les médiations, la temporalité, la vie même, il écrit: «L'histoire, depuis lors, s'est réconciliée avec le malheur juif, comme l'atteste la carrière mondiale du mot Shoah.» Qu'est-ce que la «carrière mondiale» d'un mot? Il faut, pour comprendre ce qui étouffe et obsède notre auteur, lire tout simplement «la carrière mondiale du film Shoah». C'est le film qui a donné le nom, effectuant ainsi un acte inaugural de nomination. Comme l'a écrit justement Michel Deguy: «Le film Shoah fut un événement tel que l'Evénement, longtemps appelé Holocauste, a changé de nom dans ses mentions innombrables: le nom propre est devenu Shoah. » Mais Finkielkraut n'en reste pas là. La métaphore se poursuit et passe toute limite: «La Shoah est omniprésente. Ses morts ne connaissent jamais le repos. Constamment sur la brèche, sollicités en permanence, ils n'ont pas une minute à eux.» (sic). Ou bien: «D'encombrant, le crime d'Auschwitz est devenu obsédant.» Là encore, l'inversion maligne donne la clef: ceux qui voient partout l'obsession sont les obsédés -Finkielkraut, livre après livre, ne parle que de cela, c'est son sujet central-, ceux qui dénoncent la prétendue religion ou sacralisation de la Shoah (on a même pu lire des énormités comme «Il faut laïciser la Shoah»!) n'ont pas, soyons-en sûrs, la République pour souci principal. Comment s'en débarrasser est leur grande question. Leur réponse: tournons la page du siècle. Dans la France  apaisée, rendons Renaud Camus à la littérature et la Shoah à l'histoire!

                    
Claude Lanzmann (L'AAARGH pense que le texte a d'abord écrit par Robert Redeker ).

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Réponse

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 "J'avoue tout"


par Alain Finkielkraut

 

Percé à jour par Philippe Sollers («Les nouveaux bien-pensants», Le Monde du 17 juin), confondu par Claude Lanzmann («Ils sont partout !», Le Monde du 1er juillet), dépouillé par l'un et l'autre de tous mes alibis et de tous mes faux-semblants, je suis acculé, je n'ai plus le choix, je ne peux plus continuer à bluffer ni à feindre. L'heure a sonné pour moi de passer aux aveux et de révéler le fond de mon âme. Longtemps mon patronyme a fait illusion ou diversion, mais le voile se déchire, l'insoutenable vérité apparaît en pleine
lumière: je suis antisémite. L'antisémitisme est mon choix originel et la clé de tous mes engagements.

Avec une clairvoyance phénoménale, Lanzmann a tapé dans le mille : j'exècre le monde dont je viens. Moi dont la famille a été presque entièrement anéantie dans les camps et les ghettos de Pologne, je n'ai qu'une idée en tête : effacer Auschwitz, débarrasser l'humanité de l'encombrant souvenir de la Shoah, oublier toute cette histoire, changer de sujet, repartir de zéro, tourner la page.

C'est pour mieux camoufler ma négationniste volonté d'en finir que j'ai consacré en 1982 un essai à l'affaire Faurisson et - Lanzmann, magistral herméneute, l'a démontré de manière irréfutable - c'est pour dire «bouclez-la!» aux voix venues de l'autre rive que j'ai écrit mon dernier livre.

En dénonçant tout récemment la pétition contre un écrivain signée par les plus hautes personnalités de la vigilance et où le mot «criminel» revient quatre fois, j'ai agi en digne émule des procureurs staliniens et del'accusateur public du IIIe Reich. En décidant de lire attentivement les écrits de l'inculpé pour juger par moi-même loin de la foule déchaînée, j'ai joué à l'impartial et j'ai dissimulé sous le manteau du scrupule ma complète absence d'émotion, mon coeur froid comme de la glace.

Ce n'est pas la probité qui m'anime, c'est la cupidité et c'est la complaisance. Ce n'est pas la carrière du vrai qui m'intéresse, c'est la mienne. Comme l'a bien vu Lanzmann, je me suis jeté, tête baissée, dans le paradoxe pour assurer ma promotion - ce créneau est très porteur - et pour prendre, avec Renaud Camus, la relève de Le Pen qui commence à accuser la fatigue. Assez finassé, en effet: l'auteur de La Campagne de France est mon camarade de combat, nous sommes de mèche, moi et ce littérateur médiocre, ce plumitif
hitlérien qui pousse l'outrecuidance jusqu'à se parer d'un nom admirable: pourquoi pas Renaud Sartre, pendant qu'il y est?

Si l'étrange objet de ma sollicitude se dit «Français par l'appel du 18Juin», et s'il confesse son «immense admiration pour l'attitude britannique pendant la seconde guerre mondiale» ainsi que sa «grande humiliation de l'attitude française» (la défaite, la collaboration, les dénonciations), ne vous y fiez pas: il cache son jeu, il donne le change.

La France qui renaît en lui, c'est -le sagace Lanzmann, là encore, ne s'y est pas trompé - la France que j'aime, celle qui a organisé la déportation de mon père et le voyage sans retour de mes grands-parents : la France rafleuse, fanatique et veule de Je suis partout.

C'est parce que l'anticonformisme de Jörg Haider me subjugue absolument que je suis resté insensible à l'appel au boycottage du Festival de Salzbourg lancé par la Résistance européenne et que j'ai même fondé, pour tous les Autrichiens désireux de s'inscrire, «un club des mal-pensants et des Français de souche».

C'est parce qu'au lieu de regarder Shoah en boucle, je lis et relis, entre autres, La Trêve ou Si c'est unhomme, que j'ai pu reprocher à Philippe Meirieu de s'appuyer abusivement sur l'oeuvre de Primo Levi pour destituer la parole des professeurs. Or, j'en prends conscience trop tard et le rouge au front, je n'aurais jamais dû me laisser détourner de Shoah. Car Shoah, c'est la Shoah. L'oeuvre, c'est la chose. Le monument, c'est l'événement. L'anamnèse de la douleur se confond avec le destin de l'auteur. Négliger celui-ci, c'est insulter celle-là. Honorer les morts, à l'inverse, c'est encenser Lanzmann. Le devoir de mémoire est un devoir d'adulation.

Le deuil de l'humanité s'atteste, depuis le film, dans le panégyrique interminable de celui qui l'a fait. Il faut vraiment que je sois le plus monstrueux des hommes pour trouver ce culte bizarre et pour refuser toutes ces identifications. Je porte, par surcroît, d'horribles chaussures blanches. Mort à moi!


Alain Finkielkraut
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Le Monde, 1er juillet 2000, (Lanzmann) et 7 juillet (Finkielkraut).
 
L'adresse électronique de ce document est:
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