AAARGH
En matière d'Internet,
les solutions judiciaires en cours d'élaboration et les
dispositions législatives nouvelles se complètent.
Jusqu'ici, la jurisprudence a relativement peu distingué
les obligations et responsabilités des fournisseurs d'accès
de celles visant les fournisseurs d'hébergement, alors
que la loi du 1er août 2000 sur la liberté de communication
leur impose des contraintes très différentes. Techniquement,
le fournisseur d'hébergement assure le ´ stockage
direct et permanent des données, accueillant ainsi
sur son espace des sites, alors que le fournisseur d'accès
se contente d'ouvrir les voies de navigation pour atteindre ceux-ci.
Certes, un même opérateur peut offrir les deux services,
mais c'est bien par l'usage de ces deux fonctions différentes
que le public peut éventuellement entrer en contact avec
des sites contraires à la loi. Tout d'abord, la loi du
1er août 2000 oblige le fournisseur d'accès à
proposer à l'internaute un moyen technique pour entraver
l'accès à certains sites. Concrètement, des
parents doivent pouvoir installer des logiciels de censure pour
protéger leurs enfants. L'obligation du fournisseur d'accès
est donc a priori et a pour objet d'inciter l'internaute
à exprimer une volonté vertueuse d'abstention, sans
entraver sa puissance de navigation.
A l'inverse, concernant le fournisseur d'hébergement d'un
site au contenu illicite, si un juge lui en donne l'ordre, il
doit agir promptement pour empêcher l'accès à
ce contenu. S'il ne procède pas à ces diligences,
il sera responsable civilement et pénalement. L'obligation
du fournisseur d'hébergement est donc a posteriori
et a pour objet d'interdire à l'internaute l'accès
à certains sites.
Certes, le Conseil constitutionnel, par une décision du
27 juillet 2000, a adouci le régime en anéantissant
la disposition qui attachait de semblables conséquences
à une requête non plus d'un juge mais de toute personne
estimant que le contenu du site lui porte préjudice. En
effet, dans le texte voté, si le fournisseur d'hébergement
ne faisait pas des diligences appropriées, sa
responsabilité civile mais aussi pénale devait Ítre
engagée. Cette disposition violait la Constitution parce
qu'une telle imprécision dans les conditions de l'incrimination
est contraire au principe de la légalité des délits
et des peines, qui exige une définition précise
de ce qui est interdit afin que le principe de liberté
soit sauvegardé. Seul l'ordre du juge peut donc contraindre
l'hébergeur de site.
Quelle portée la loi nouvelle peut-elle avoir sur les litiges
soumis aux juridictions ? En effet, dans l'affaire Yahoo, si le
tribunal de grande instance de Paris du 11 août 2000 a suspendu
la condamnation de Yahoo Inc, fournisseur américain d'hébergement,
pour ordonner une expertise sur la possibilité de bloquer
l'accès du site nazi aux internautes français (Le
Monde du 13 août 2000), cela ne remet pas en cause l'ordonnance
du 22 mai 2000 par laquelle le juge a affirmé que Yahoo
France, fournisseur d'accès mais non fournisseur d'hébergement,
a l'obligation d'informer tout internaute des risques de sanction
qu'il encourt par la consultation du site en cause. Ainsi, le
juge impose au fournisseur d'accès une obligation que la
loi n'a pas prévue à l'encontre de celui-ci.
RESTRICTION DE
L'ANONYMAT
Il faut articuler solution légale et solution jurisprudentielle
: en cas de contenu illicite d'un site, coexistent désormais
une responsabilité des fournisseurs d'hébergement
du fait de la loi du 1er août 2000, et une responsabilité
des fournisseurs d'accès sur le fondement de la responsabilité
civile générale. La différence sera donc
la suivante : lorsque le contenu d'un site est contraire au droit,
la responsabilité du fournisseur d'hébergement du
site est automatique s'il ne réagit pas à l'ordre
du juge et peut être non seulement civile mais encore pénale,
alors que la responsabilité du fournisseur de son accès
suppose l'établissement d'une faute et ne peut être
que civile.
Mais la loi nouvelle assimile de nouveau fournisseur d'accès
et fournisseur d'hébergement pour leur imposer une obligation
commune d'information : ils sont tenus de détenir et
de conserver les données de nature à permettre l'identification
de toute personne ayant contribué à la création
d'un contenu des services dont elles sont prestataires. Ils
doivent les communiquer au besoin au juge. Cette obligation renforce
le droit des victimes à être protégées
et détruit le droit des éditeurs de données
à l'anonymat. Le mouvement général est donc
celui d'une multiplication des obligations juridiques des acteurs
d'Internet.
Marie-Anne Frison-Roche
(professeur de droit à l'université Paris-Dauphine)
Le Monde, 5 septembre 2000
L'adresse électronique de ce document est:http://aaargh-international.org/fran/actu/actu00/doc2000/frison.html
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