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Nouvelles obligations pour les acteurs de l'Internet

La loi du 1er août sur la liberté de communication oblige fournisseurs d'accès et hébergeurs de site à contrôler les contenus.

par Marie-Anne Frison-Roche


En matière d'Internet, les solutions judiciaires en cours d'élaboration et les dispositions législatives nouvelles se complètent. Jusqu'ici, la jurisprudence a relativement peu distingué les obligations et responsabilités des fournisseurs d'accès de celles visant les fournisseurs d'hébergement, alors que la loi du 1er août 2000 sur la liberté de communication leur impose des contraintes très différentes. Techniquement, le fournisseur d'hébergement assure le ´ stockage direct et permanent des données, accueillant ainsi sur son espace des sites, alors que le fournisseur d'accès se contente d'ouvrir les voies de navigation pour atteindre ceux-ci. Certes, un même opérateur peut offrir les deux services, mais c'est bien par l'usage de ces deux fonctions différentes que le public peut éventuellement entrer en contact avec des sites contraires à la loi. Tout d'abord, la loi du 1er août 2000 oblige le fournisseur d'accès à proposer à l'internaute un moyen technique pour entraver l'accès à certains sites. Concrètement, des parents doivent pouvoir installer des logiciels de censure pour protéger leurs enfants. L'obligation du fournisseur d'accès est donc a priori et a pour objet d'inciter l'internaute à exprimer une volonté vertueuse d'abstention, sans entraver sa puissance de navigation.
A l'inverse, concernant le fournisseur d'hébergement d'un site au contenu illicite, si un juge lui en donne l'ordre, il doit agir promptement pour empêcher l'accès à ce contenu. S'il ne procède pas à ces diligences, il sera responsable civilement et pénalement. L'obligation du fournisseur d'hébergement est donc a posteriori et a pour objet d'interdire à l'internaute l'accès à certains sites.
Certes, le Conseil constitutionnel, par une décision du 27 juillet 2000, a adouci le régime en anéantissant la disposition qui attachait de semblables conséquences à une requête non plus d'un juge mais de toute personne estimant que le contenu du site lui porte préjudice. En effet, dans le texte voté, si le fournisseur d'hébergement ne faisait pas des diligences appropriées, sa responsabilité civile mais aussi pénale devait Ítre engagée. Cette disposition violait la Constitution parce qu'une telle imprécision dans les conditions de l'incrimination est contraire au principe de la légalité des délits et des peines, qui exige une définition précise de ce qui est interdit afin que le principe de liberté soit sauvegardé. Seul l'ordre du juge peut donc contraindre l'hébergeur de site.
Quelle portée la loi nouvelle peut-elle avoir sur les litiges soumis aux juridictions ? En effet, dans l'affaire Yahoo, si le tribunal de grande instance de Paris du 11 août 2000 a suspendu la condamnation de Yahoo Inc, fournisseur américain d'hébergement, pour ordonner une expertise sur la possibilité de bloquer l'accès du site nazi aux internautes français (Le Monde du 13 août 2000), cela ne remet pas en cause l'ordonnance du 22 mai 2000 par laquelle le juge a affirmé que Yahoo France, fournisseur d'accès mais non fournisseur d'hébergement, a l'obligation d'informer tout internaute des risques de sanction qu'il encourt par la consultation du site en cause. Ainsi, le juge impose au fournisseur d'accès une obligation que la loi n'a pas prévue à l'encontre de celui-ci.

RESTRICTION DE L'ANONYMAT

Il faut articuler solution légale et solution jurisprudentielle : en cas de contenu illicite d'un site, coexistent désormais une responsabilité des fournisseurs d'hébergement du fait de la loi du 1er août 2000, et une responsabilité des fournisseurs d'accès sur le fondement de la responsabilité civile générale. La différence sera donc la suivante : lorsque le contenu d'un site est contraire au droit, la responsabilité du fournisseur d'hébergement du site est automatique s'il ne réagit pas à l'ordre du juge et peut être non seulement civile mais encore pénale, alors que la responsabilité du fournisseur de son accès suppose l'établissement d'une faute et ne peut être que civile.
Mais la loi nouvelle assimile de nouveau fournisseur d'accès et fournisseur d'hébergement pour leur imposer une obligation commune d'information : ils sont tenus de détenir et de conserver les données de nature à permettre l'identification de toute personne ayant contribué à la création d'un contenu des services dont elles sont prestataires. Ils doivent les communiquer au besoin au juge. Cette obligation renforce le droit des victimes à être protégées et détruit le droit des éditeurs de données à l'anonymat. Le mouvement général est donc celui d'une multiplication des obligations juridiques des acteurs d'Internet.

Marie-Anne Frison-Roche
(professeur de droit à l'université Paris-Dauphine)

Le Monde, 5 septembre 2000


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