AAARGH
Il n'y a rien à gagner à essayer de juger des criminels de guerre présumés au bout d'un demi-siècle
Si Konrad Kalejs a commis le dixième des crimes dans lesquels on l'accuse d'avoir été impliqué au camp de concentration de Salaspils, il fut et demeure un monstre qui mourra d'une mort pénible et solitaire. Mais que ce soit à son heure seulement.
Mais est-il vraiement nécessaire de juger, en Angleterre, un homme de 86 ans, cinquante-cinq ans après la fin de la seconde guerre mondiale, pour ce qu'il a fait il y a longtemps en Lettonie ? Même si les preuves contre lui (et les preuves de l'identification sont toujours très fragiles) étaient solides comme le roc, la réponse serait « non », exactement comme elle l'était lorsque la sinistre loi sur les crimes de guerre fut imposé au parlement en 1991.
Et ce n'est pas parce que l'holocauste n'a pas été le plus sombre moment de l'histoire de l'Europe moderne. Un de mes oncles était présent lorsque les troupes britanniques ont libéré le camp de Belsen (« de rudes soldats des taudis de Glasgow en ont pleuré », disait-il) [Note de l'AAARGH: rappelons que le camp de Bergen-Belsen, dépourvu de chambres à gaz de désinfection comme de chambres à gaz homicides, était ravagé par une épidémie de typhus et que c'est cette maladie qui mettait les détenus dans l'état de décharnement épouvantable où les Anglais les ont trouvés et photographiés; c'est cette photo, que l'on a fait passer pour celle de détenus d'Auschwitz, qui a accrédité l'idée des « camps d'extermination ». Sur Bergen-Belsen, cf la page actualité de l'AAARGH, décembre 1999.] Je connais cela depuis presque toujours et l'horreur ne fait que s'aggraver avec le passage du temps.
Si l'on considère l'autre grande tache sur le passé européen récent, le commerce des esclaves, on peut dire au moins qu'il était sous-tendu par une rationalité fonctionnelle et que, quelque moralement répugnant et brutal qu'il ait pu être, il avait un sens: l'exploitation économique du faible par le fort.
L'holocauste fut une forme coûteuse et bureaucratique de meurtre industrialisé dépourvu de sens et nous avons raison de le considérer comme quelque chose de spécial, un avertissement valable éternellement. Mais il y a des objections, à la fois pratiques et de principe, à la poursuite de vieillards, même si l'obsession de beaucoup de survivants juifs est compréhensible. Le sentiment de culpabilité chez ceux qui ont survécu est humain.
Mais pour le reste d'entre nous, non. Les obstacles pratiques sont sérieux et peu de poursuites tardives ont réussi dans le monde une seule en Angleterre, où Anthony Sawoniuk, un contrôleur de train retraité de 78 ans a été condamné à la prison à vie, au mois d'avril dernier, par le juge Potts, après un procès de huit semaines à Old Bailey [Note de l'AAARGH: cour d'assises de Londres.] , pour avoir tué dix-huit juifs dans un lieu reculé de la Biélorussie occupée par les nazis.
Même à Nuremberg, avant que les vainqueurs décident de passer ce que Churchill a appelé « une éponge sur les horreurs du passé », le taux d'acquittement a été d'un tiers.
Les problèmes théoriques sont aussi vivaces que lorsqu'en avril 1990, la chambre des Lords, composée de vieux soldats et juristes qui connaissaient la question, a rejeté le premier projet de loi sur les crimes de guerre par 207 voix contre 74. Leurs seigneuries [Note de l'AAARGH: l'Angleterre est un pays où il y a des seigneurs et des roturiers, autant pour les grands démocraties qui ont lutté contre l'affreux nazismes.] ont déclaré quÕune loi rétroactive tendant à connaître de crimes commis en dehors de la juridiction anglaise était une mauvaise idée. On a commis des actes terribles des deux côtés, mais il est temps de passer à autre chose.
Beaucoup de ministres conservateurs pensaient de même. Mais Margaret Thatcher avait décidé (elle venait de visiter le site du massacre de Babi-Yar) et son successeur, obéissant, a forcé le passage de la loi.
L'âge moyen des députés siégeant au parlement de l'époque était de six ans en 1939, remarqua un des pairs. La disparité dans l'expérience est encore plus grande aujourd'hui. Sir Edward Heath (83 ans] est le seul ancien combattant réel de la seconde guerre mondiale à la chambre des communes. Pour la plupart d'entre nous, il ne s'agit plus que de connaissance livresque et de sagesse rétrospective et sélective.
Lady Thatcher qui ne s'est pas engagée lorsqu'elle a eu 18 ans, en 1943, est un cas intéressant. Elle était presssée de voir poursuivre la lie du génocide hitlérien, les sous-fifres et les Kalejs, mais elle l'était beaucoup moins quand il s'agissait du général Pinochet, dont les crimes présumés et la responsabilité étaient beaucoup plus faciles à établir.
Les partisans de Pinochet font valoir que cela regardait le Chili et pas nous. C'est un argument valable, y compris en Espagne où un passé beaucoup plus sanglant a été balayé sous le tapis de l'histoire dans l'intérêt de ce que les Africains du Sud nomment vérité et réconciliation, si ce n'est toute la vérité et toute la réconciliation. Qu'aurions-nous pensé si Gerry Adams avait été arrêté à New York l'année dernière ?
Oui, la communauté internationale affiche sa détermination affichée à demander des comptes aux tyrans, en Serbie ou en Irak, actuellement devant la cour de Hollande pour l'affaire de Lockerbie [Note de l'AAARGH: La Lybie est jugée par le tribunal pénal international pour l'attentat contre un avion au-dessus de Lockerbie, en Écosse.] Comme pour les kapos des camps lettons, on dirait qu'on se contente des proies faciles, des états parias, exactement comme nous avons fait peser toute la cultpabilité de la guerre sur l'Allemagne (mais pas sur l'Autriche), en 1945, en prenant bien soin d'exempter totalement les spécialistes des fusées.
Tous les pays ont leurs zones d'ombre, trop douloureuses pour être assumées, nous en Irlande, la Suisse dans ses coffres bancaires, la France peut-être le cas le plus intéressant dans l'Europe de l'après-guerre en refusant d'enquêter sur ce qui est vraiment arrivé aux deux cents manifestants algériens à Paris, que l'on pense avoir été assassinés par la police et enterrés secrètement hors de la ville en 1961.[Note de l'AAARGH: rappelons que le responsable de ces meutres, s'ils on eu lieu, était Papon, et qu'il a été jugé et condamné l'année dernière... mais pour avoir peut-être provoqué la déportation d'une disaine de juifs. La guerre d'Algérie, elle, est couverte par une loi d'amnistie et c'est norma: laissez les morts enterrer les morts. Cf notre dossier Papon et le point de vue de S. Thion, acteur de cette guerre du côté qui, à l'époque, était le mauvais.]
Le parlement européen garde un silence éloquent dans toutes ces affaires. La même indignation sélective s'applique, c'est le moins qu'on puisse dire, à l'état post-holocaustien d'Israël, dont la volonté arrêtée est que (comme le disent leurs soldats): « Masala ne sera pas reprise » l'a très souvent entraîné bien au-delà de toute conduite justificable en Israël même ou à l'étranger. Ce calcul est partie intégrante du charivari lituarien actuel, qui détourne fort judicieusement l'attention des réalités actuelles.
DMais si vous voulez, ne vous en tenez pas à mon opion. Voici ce que déclare un régugié juif de l'holocaust, dans un débat de 1991: « Le châtiment est tout à la fois futile et nuisible. Nous sommes en Angleterre. Nous ne nous repaissons pas de procès-spectacles, même s'ils sont menés suivant les règles de la justice. »
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