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Oh, quelle merveilleuse unité !

par Uri Avnery

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Sabra et Chatila : Récapitulatif d'un massacre


 

 

En cinquante-trois ans d'existence, Israël n'a jamais connu la situation dans laquelle il se trouve actuellement. Le peuple israélien dans sa totalité [Note de l'AAARGH: gageons qu'il ne s'agit que des juifs israéliens.] s'est transformé en perroquet.

Peu importe qui parle - le vendeur de falafel ou un professeur d'histoire, un chauffeur de taxi ou Notre Correspondant Politique, un officier ou un membre de la Knesset - tous répètent à l'infini sept ou huit mots d'ordre, exactement dans les mêmes termes :

- "Barak a tout essayé sur le chemin de la paix."

- "Il a offert à Arafat (presque) tout ce qu'il demandait. Et qu'avons-nous en retour ? La guerre."

- "Arafat (scélérat, tricheur, menteur, corrompu) au lieu d'accepter avec joie l'offre généreuse, a lancé une campagne de violence et de terreur."

- " Cela prouve que les Palestiniens n'ont jamais voulu la paix. Ils veulent détruire l'état d'Israël (nous jeter à la mer)."

- "Le droit au retour est un complot pour détruire Israël."

- "Nous n'avons aucun partenaire pour faire la paix."

- "La lutte ne concerne pas les colonies, mais Jaffa et Haïfa."

- "Le conflit est sans issue."

Chacun de ces mots d'ordre est faux et peut facilement être démenti par les faits. Mais ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel est la totale uniformité du discours des Israéliens, les électeurs de Barak ou de Sharon, les membres du Parti Travailliste ou du Likoud, ceux du parti d'extrême droite Moledet et du parti Meretz.

En soi, ça pourrait être un sujet de recherche scientifique intéressant. Comment cela se fait-il ? Nous n'avons pas de ministre de la propagande comme Goebbels [Note de l'AAARGH: pas besoin: tout sioniste est un propagandiste.]. Les dissidents ne disparaissent pas dans le Goulag comme en Russie stalinienne. Les intellectuels ne sont pas envoyés dans des camps de travail, comme dans la Révolution culturelle de Mao. Ils ne sont même pas contraints de boire de l'huile minérale, comme dans l'Italie de Mussolini.

Que s'est-il passé ? Comment un peuple entier dans une démocratie se conduit-il comme s'il était hypnotisé ? Comment une presse libre - les dizaines de journaux, chaînes de télévision et réseaux avec leurs centaines de commentateurs et correspondants, se transforme-t-elle en véhicule d'une propagande uniforme, élémentaire? Comment un tel système de lavage de cerveau peut-il exister sans un dictateur cruel, omnipotent, mais comme une sorte d'auto-lavage de cerveau?

C'est particulièrement bizarre, parce que le principal message de ce lavage de cerveau n'est ni gai ni optimiste mais aussi pessimiste que possible. Il dit qu'il n'y a aucune chance pour la paix et qu'il n'y en a jamais eu. Que la guerre est éternelle. Qu' "ils" voudront toujours nous tuer et qu'on n'y peut rien. Que pour penser autrement (si tant est que ce soit possible), il faut vivre sur une autre planète. Plus étrange encore, ce message provoque une certaine dépression mais cela n'est pas la seule réaction. Quand le ballon de la paix a crevé, on a entendu un énorme soupir de soulagement.

Un étranger ne peut pas comprendre tout cela. Nous, si.

Les accords d'Oslo, qui sont surpris les gens , ont créé un choc. Je me souviens du jour de leur signature. Je me trouvais à Jérusalem. A l'Est, c'était l'euphorie. Les Palestiniens, accompagnés de quelques militants de la paix israéliens, buvaient le champagne à l'Hôtel American Colony, se réjouissaient ensemble sur les marches de la Maison de l'Orient. Dans les rues, des bandes de jeunes Palestiniens se promenaient en brandissant leur drapeau (interdit) et en embrassant presque les policiers israéliens.En arrivant à Jérusalem Ouest, je me suis trouvé dans une atmosphère étrange, hésitante, songeuse, peu optimiste. J'ai été invité à une émission de télévision et la même ambiance régnait dans le studio.

Depuis lors, pendant huit ans, Israël s'est trouvé pris dans l'engrenage d'un syndrome douloureux, appelé " dissonance cognitive ". C'est une situation où la nouvelle information se heurte aux attitudes anciennes profondément enracinées.

Chacun a sa propre vision du monde, un ensemble figé de perceptions, une sorte de carte mentale qui dirige ses pensées et ses réactions. Sans cette carte, la personne se sent perdue dans un monde chaotique. Cette carte lui fournit la sécurité ; on sait où on est et où on va. Quand une information nouvelle vient contredire le schéma existant, on se trouve dans une situation effrayante d'incertitude, d'insécurité et d'anxiété. Le responsable, quel qu'il soit, devient objet de haine et de colère.

Pendant des centaines d'années, les Juifs ont été persécutés dans de nombreux pays. Partout ils ont rencontré l'anti-sémitisme, souffert de la discrimination, sont devenus victimes de massacres, ont été assassinés dans l'Holocauste. Même dans des pays avancés, presque chaque enfant juif a tété avec le lait de sa mère la croyance que les goys haïssent les juifs, qu'ils les ont toujours haïs et qu'ils les haïront toujours. Chaque année, à la veille de la Pâque, dans le cercle douillet de la famille, des millions de juifs répètent les mots : " A chaque génération, ils essaient de nous détruire, mais Dieu nous sauve d'eux." [Note de l'AAARGH: quel peuple sympathique et attirant. Oui, vraiment, on a envie de l'aimer!]

Le Sionisme était censé créer un juif nouveau, mais en fait il s'est contenté de transposer le schéma mental existant dans le nouveau pays. L'opposition arabe à la pénétration sioniste est apparue aux juifs comme une continuation naturelle de la vieille histoire de la persécution et des massacres. Le schéma juif existant n'a pas été ébranlé mais s'est, au contraire, renforcé. Il a créé un sentiment d'unité, de permanence et d'ordre. Une chanson gaie, qui commence par "Le monde entier est contre nous mais peu importe..." est devenu une danse folklorique.

Et alors Oslo est arrivé. Le trouble est revenu. Les Arabes veulent la paix. Arafat, qui, pas plus tard qu'hier, était le Hitler arabe, est devenu un partenaire. Les Arabes ont reconnu notre existence. Un Nouveau Moyen-Orient. Paix, conciliation, respect, se trouvent à portée de main.

Cette image n'a pas provoqué de joie. Au contraire. Elle a suscité une profonde anxiété. Il était évident que quelque chose n'allait pas. Le schéma ancien était ébranlé, et aucun schéma nouveau ne le remplaçait. L'ancienne carte, qui décrivait un paysage familier, n'indiquait plus le chemin. Il fallait dessiner une nouvelle carte, qui venait contredire tout ce que l'on connaissait et créer le doute sur tout ce que l'on pensait et éprouvait jusque-là.

Et alors, soudain, une puissante réaction s'est produite. Ehud Barak, l'homme de la paix, le représentant de la gauche, a tué Oslo et dévoilé le complot arabe. Il a prouvé qu'il n'y avait aucun partenaire. Les Arabes veulent nous détruire. Grâce à Dieu, tout est redevenu comme avant. Quel soulagement !

Après tout, dans une situation de guerre et de conflit, chacun de nous sait exactement comment se conduire, quoi faire. Il n'y a aucune raison d'être inquiet. L'ancienne carte reste valable. Le schéma qui nous a servi pendant des centaines d'années reste bon pour l'avenir.

Ceci cause une profonde satisfaction. N'avons-nous pas toujours dit que tout cela n'était qu'une énorme esbrouffe ? Isaac Shamir l'a habilement résumé: "Les Arabes sont toujours les Arabes, les juifs sont toujours les juifs, et la mer est toujours la mer."

Dans cette situation, l'une unité nationale merveilleuse s'est reformée comme par miracle: tous les partis juifs, de la gauche à la droite, peuvent s'unir. Simon Pérès peut siéger dans le même gouvernement que des hommes comme Zeevi, Lieberman et Landau, qui pourraient donner des leçons à Haider et Le Pen. La presse et le milieu universitaire dans leur quasi-totalité peuvent se joindre à la fête. Les pseudo-gauchistes d'hier confessent leurs péchés comme dans une réunion soviétique d'auto-critique. Oh, quelle merveilleuse unité !

La manifestation la plus répugnante de cette orgie est la trahison des intellectuels. Eux, qui auraient dû dessiner la nouvelle carte qui aurait conduit le peuple vers la réalité de la paix, trahissent sa confiance. Le petit, très petit, nombre de ceux qui restent fidèles à leur mission sont méprisés et haïs.

Mais c'est sur les épaules de ce petit nombre que le sort du pays repose désormais. Il n'y a pas d'avenir pour Israël s'il continue à se conduire comme un ghetto en armes. Un état n'est pas un ghetto, de même que le ghetto n'était pas un état. Pour exister, l'état a besoin d'une nouvelle perception de lui-même et du monde qui l'entoure, qui s'adapte à la nouvelle situation.

Et c'est cela, avant tout, la tâche des intellectuels.


[traduit de l'anglais par Sylviane de Wangen]


Point d'information Palestine > N·155 du 05/07/2001


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Sabra et Chatila : Récapitulatif d'un massacre


Dès l'aube du 15 septembre 1982, des chasseurs-bombardiers commencent à survoler le secteur ouest de Beyrouth à basse altitude. En même temps, les troupes israéliennes entament leur entrée dans cette partie de la capitale. Quelques heures plus tard, un des plus horribles massacres du XXe siècle commence. Récapitulatif.

L e général Ariel Sharon se rend sur place pour diriger personnellement la poursuite de la percée israélienne. Il s'installe au quartier général de l'armée, au carrefour de l'ambassade du Koweït, situé à la limite de Chatila. Du toit d'un immeuble de sept étages, il pouvait parfaitement observer la ville et les camps de Sabra et Chatila. Aux alentours de 11h, les camps sont encerclés par les Israéliens. Le jeudi 16 septembre, vers midi, le commandement militaire israélien donne aux milices phalangistes le feu vert (ordre 6) pour entrer dans les camps des réfugiés. Selon le quotidien allemand Der Spiegel, daté du 21 février 1983, plusieurs militaires israéliens habillés en uniformes de phalangistes se joignent aux rangs de ces derniers. Les premiers assassinats organisés débutent ce jeudi, vers 17h, et même un peu avant en certains endroits de Chatila. Les massacres dureront, sans interruption, quarante heures. Durant les premières heures de la tuerie, les miliciens tirent sur tout ce qui bouge dans les ruelles, fracassant les portes des maisons. Des familles entières sont liquidées chez elles ou dans les abris. Dans certains cas, les corps sont mutilés. Des femmes sont violées avant d'être achevées. Parfois, les hommes sont tirés des maisons pour être, en groupes, exécutés dans la rue. Les femmes, apeurées, hystériques, courent partout raconter le massacre. 19h: une communication radio interceptée indique qu'il faut liquider une cinquantaine de personnes enlevées. Dans l'après-midi, une partie du camp résistait encore; l'artillerie israélienne la bombarde massivement. Dans la soirée du jeudi, des habitants de Chatila prennent séparément deux initiatives pour tenter d'arrêter le massacre. Quatre hommes se dirigent en délégation vers le poste israélien afin d'expliquer que dans le camp il n'y a ni armes, ni combattants et que ses habitants se rendaient. Rien à faire. 22h12, la BBC capte une communication de l'armée israélienne disant qu'elle a décidé de confier aux phalangistes l'opération de nettoyage final. Vendredi 17, à 4h du matin. Les miliciens bâillonnent les derniers témoins. Le premier bulldozer de l'armée israélienne arrive pour enterrer toute trace du carnage. Aux alentours de midi, l'hôpital Akka, situé en face du camp Chatila, est envahi par une unité de miliciens. Plusieurs blessés sont exécutés sur leurs lits. Dans l'après-midi, et selon le Time Magazine, 400 civils voulant fuir sont obligés de rebrousser chemin par la force des armes. Samedi, entre 6 et 8h du matin, des haut-parleurs demandent aux rescapés de se rendre. Ils sont emmenés dans des camions, certains sont liquidés et d'autres conduits vers la Cité sportive. Vers 11h, journalistes et photographes se rendent sur place. Des corps ensanglantés sont entassés dans les rues. Le monde apprend avec stupeur les massacres de Sabra et Chatila. Jusqu'au matin du samedi 18 septembre 1982, l'armée israélienne, qui savait parfaitement ce qui se passait dans les camps, s'est non seulement abstenue de toute intervention, mais a fourni une aide directe en empêchant les civils de fuir et en organisant un éclairage constant des camps durant la nuit, à l'aide de fusées éclairantes. Le nombre exact des victimes n'a jamais été déterminé. Les chiffres varieront entre 700 (chiffre officiel israélien) et 3000. Environ 1000 personnes ont été enterrées par le CICR dans une fosse commune. D'autres ont été inhumées dans des cimetières de Beyrouth par des membres de leurs familles.

[Des victimes oubliées - Depuis le massacre, victimes et survivants n'ont bénéficié d'aucune instruction judiciaire ni au Liban, ni en Israël, ni ailleurs. Sous la pression d'une manifestation de 400000 personnes, le Parlement israélien (Knesset) a nommé une commission d'enquête sous la présidence de Yitzhak Kahan, en septembre 1982. Malgré les limitations résultant tant du mandat de la commission (un mandat politique et non judiciaire) que de son ignorance totale des voix et demandes des victimes, la commission a conclu que "le ministre de la Défense était personnellement responsable des massacres". Sur l'insistance de la commission et des manifestations qui ont suivi son rapport, M. Sharon démissionnait de son poste de ministre de la Défense, tout en gardant un poste au gouvernement comme ministre sans portefeuille. Le Conseil de sécurité des Nations unies a condamné le massacre par la résolution 521 (1982) du 19 septembre 1982. Cette condamnation a été suivie par une résolution de l'Assemblée générale du 16 décembre 1982 qui a qualifié le massacre d'acte de génocide.]

 

 

 

 

 


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