AAARGH
Participant à une délégation
de la société civile française en Palestine,
du 16 au 23 juin, Denis Sieffert livre ici ses impressions de
voyage. Images de la dernière guerre coloniale de la planète.
Et d'une discrimination qui rappelle de plus en plus le régime
sud-africain de l'époque de l'apartheid.
Dimanche 17 juin
A mi-voix, l'homme qui est devant nous fait le récit des
événements qui ont bouleversé sa vie. Son
visage lisse et clair, barré d'épais sourcils noirs,
ne trahit aucune colère apparente. Les mots, pourtant,
sont terribles : " Mon fils a été tenu par
les mains, jeté à terre, et abattu à bout
portant. Quand la commission d'enquête a demandé
aux tireurs pourquoi ils avaient fait cela, l'un d'eux a répondu
: "Parce que c'était les ordres." " Originaire
d'Arabi, un village proche de Nazareth, Hassan Asli est l'un des
représentants des familles des victimes de la répression
d'octobre. A ses côtés, Salah Bushnak, du village
voisin de Kofermenda, a le trait plus émacié et
plus sombre. Il prend la parole à son tour pour raconter
comment, au cours des mêmes journées, il a lui aussi
perdu son fils, Ramez, 24 ans, tombé sous les balles des
forces de sécurité israéliennes. Nous sommes
assis en cercle autour d'eux dans les jardins de l'hôtel
Saint-Gabriel-de-Nazareth, un ancien couvent franciscain perché
sur les hauteurs de la ville. Il est tôt, et l'ombre des
arbres domine encore au-dessus de nos têtes. Hassan Asli
raconte que son fils, Asil, 18 ans, a été tué
dans un champ d'oliviers, alors qu'il tentait de relever un ami
atteint par une balle. " Il n'était pas menaçant
"., précise-t-il. Les deux hommes se relaient pour
expliquer comment la police a pris le parti des assaillants quand
des extrémistes juifs ont attaqué un village. Comment
des travailleurs palestiniens ont pu être battus dans la
ville juive d'Afula sans qu'on les protège. Huit mois après
les événements, ils s'étonnent encore du
déploiement hors de proportion de soldats et de policiers
: " Deux cents membres des forces de sécurité
et soixante policiers sont entrés dans mon village, se
souvient Salah Bushnak, alors qu'il n'y avait pas le moindre danger.
" Au contraire, à Tibériade, autrefois ville
arabe, aujourd'hui presque exclusivement juive, la police a fait
preuve d'une étrange passivité : " Des ordres
ont été donnés aux forces de police de laisser
les armes dans les voitures, alors que des extrémistes
attaquaient la mosquée. " Pourquoi cette violence
? Pourquoi ce parti pris des autorités ? Silencieux, nous
partageons ces interrogations qui n'en sont pas, tant la réponse
est évidente.
La délégation française est arrivée
à Nazareth la veille au soir. L'idée d'entamer ce
long périple par la Galilée n'est pas fortuite.
Trop souvent, on oublie ces Palestiniens de nationalité
israélienne qui vivent sur ce qu'on appelle les territoires
de 1948, initialement dévolus à la Jordanie, puis
conquis militairement et annexés par Israël. Ils sont
un million de citoyens israéliens de seconde zone. A la
rigueur, Israël peut admettre qu'ils manifestent pour des
revendications économiques, mais jamais qu'ils se solidarisent
avec leurs frères de Cisjordanie et de Gaza. C'est pourtant
ce qui s'est produit ce 2 octobre, au début de la deuxième
Intifada qui a embrasé les territoires palestiniens après
la visite provocatrice d'Ariel Sharon sur l'esplanade des Mosquées
de Jérusalem. Les Arabes israéliens ont voulu exprimer
pacifiquement leur soutien, et au-delà, leur profond sentiment
d'appartenance au peuple palestinien.
En octobre 2000, il y eut en Galilée et dans le Triangle,
la région proche d'Umm el Fahem, un peu plus au sud, treize
morts, tous Palestiniens.
Si nous sommes là, c'est sans doute aussi que notre guide
- et traducteur - a plaidé pour cette première halte
: universitaire et essayiste, Marwan Bishara, qui éclairera
de sa faconde et de son savoir la partie du voyage qu'il fera
à nos côtés, est originaire de cette région.
Et son frère, Azmi, prestigieux député palestinien
de la Knesset, continue d'aller son chemin dans l'adversité,
ignorant superbement les appels aux meurtres dont il est la cible
de la part des extrémistes juifs.
Le directeur de la revue Adalah's nous a rejoints. Dans ce coin
de jardin à présent envahi par le soleil, il refait
devant nous l'histoire de cette population palestinienne d'Israël
: le gouvernement militaire de 1948 à 1966, puis un semblant
d'ouverture politique qui s'est immédiatement accompagnée
d'une plus grande inégalité économique et
sociale. Il raconte comment, au début des années
50, s'est dressée sur les hauteurs en surplomb de la vieille
Nazareth arabe, la ville juive, Illit, qui contraste par la richesse
de ses infrastructures. " D'un côté, 60 000
Palestiniens sur 4 000 hectares, de l'autre, 40 000 juifs sur
6 000 hectares ". Hassan Jabareen démonte surtout
le mécanisme des confiscations des terres qui refoule la
population arabe dans des ghettos : " Les autorités
déclarent qu'une terre doit être réquisitionnée
parce qu'elle est utile au service public. Mais la cour suprême
elle-même se refuse à définir le service public.
Israël considère que lorsqu'un juif acquiert un appartement
ou construit une maison, il ne le fait pas à son seul profit,
mais au compte de la construction de l'État juif. C'est
du service public. " Et il conclut par ces mots désabusés
: " Nous sommes devenus des invités sur notre propre
terre. "
11 heures. Départ de l'hôtel en bus. Au volant, placide,
éternellement souriant, Maher, une sorte de force tranquille
à la mode palestinienne qui a déjà payé
en années de prison son tribut à la cause. Nous
longeons Illit. Peu de balcons sans drapeau israélien.
Un peu plus loin, sur la droite de la route, une de ces images
qui résument tout : un panneau annonce la construction
prochaine d'un centre commercial. Les bulldozers sont déjà
en action, en bordure du village d'Ein Mahel. Mais le panneau,
au coeur de cette région à forte dominante arabe,
ne connaît que deux langues : l'hébreu et le russe.
Selon une configuration que l'on retrouvera souvent en Cisjordanie,
le village arabe est niché au creux de la vallée,
tandis que la cité juive domine sur le coteau. " La
pollution va à Ein Mahel, et le profit à la cité
juive ", commente ironiquement Marwan. Entre les deux, un
mur sordide.
Arrivée à Um el Fahem, la deuxième ville
palestinienne de la région, tout juste à l'extérieur
des territoires. Un an auparavant, de graves incidents ont eu
lieu là quand les autorités israéliennes
ont confisqué des terres pour installer un camp militaire.
Les soldats avaient alors occupé l'école, dont les
murs portent encore des traces de sang. La bataille s'était
achevée par une sorte d'absurde compromis. Les paysans
auraient le droit à certains moments de l'année
d'aller récolter les olives. Le reste du temps, exercices
militaires. Um el Fahem est dramatiquement sous-équipée.
Pas d'hôpital. Il faut aller se soigner à Afula,
grande ville juive de la région, réputée
pour son atmosphère férocement raciste, et théâtre
de tentatives de lynchages pendant les événements
d'octobre.
En début d'après-midi, nous arrivons à Jérusalem-Est.
Escale brève et shuwarma au Jérusalem Hôtel,
non loin de la porte de Damas qui marque l'entrée dans
la vieille ville. Retrouvailles avec l'ami Michel Warshawski,
inlassable et intarissable militant pour la justice et la paix,
qui nous propose de faire avec nous le tour de ce que les Israéliens
appellent le " grand Jérusalem ", autrement dit,
cette ceinture de colonies juives qui enserrent à présent
la vieille Al Qods (la Jérusalem arabe), et la séparent
de l'autre grande ville arabe de Ramallah. En une petite heure
de route nous sommes au coeur du problème. Pédagogue
et précis comme un prof de géographie, Michel connaît
toutes les hauteurs d'où nous pourrons, en un clin d'oeil,
saisir la situation. Du haut de cette colline, où nous
nous sommes arrêtés, il démonte la froide
stratégie de l'occupation israélienne. Le village
arabe toujours en contrebas, écrasé par les implantations
juives construites en surplomb. Avant d'être économique
et militaire, l'avantage semble être psychologique. Tout
un rapport de domination s'étale devant nous. Mais il est
au moins une bataille qu'Israël ne peut pas gagner, c'est
la bataille esthétique. Tandis que le vieux village arabe,
alangui sous le soleil, avec ses maisons blanches et basses, se
fond harmonieusement dans la nature et charme nos regards, la
colonie blesse le paysage d'une tache réprobatrice. D'un
côté, on respire comme un parfum d'éternité
; de l'autre, tout trahit la hâte, la rage de construire,
comme on prend position sur un champ de bataille. La géographie
ne ment pas. Au nord de Jérusalem, nous avons aperçu
la colonie de Giv'at Ze'ev et celle, ancienne déjà,
de Ramot. Si ancienne qu'on y vit sans complexe colonial, même
quand on est Israélien " de gauche ". A l'est,
c'est French Ill (qu'il ne faut pas traduire " colline française
" puisque son nom évoque un certain John Denton French,
maréchal de l'armée britannique). Beaucoup plus
loin à l'est, marquant les limites de ce grand Jérusalem
rêvé par les colons, c'est l'immense Ma'ale Adunim,
plus vaste que Tel-Aviv. Au sud, c'est Gilo, l'une des premières
colonies, et de l'autre côté de la route, la sinistrement
fameuse Har Homa, planifiée par la gauche travailliste,
et construite sous Benyamin Netanyahou. Har Homa devait boucler
géographiquement la boucle. Elle scelle aussi la continuité
politique entre la gauche et la droite israélienne. Mais
voilà, sa construction a provoqué des émeutes,
et depuis le début de la deuxième Intifada, on ne
se bouscule plus pour habiter là. Conçue comme une
place forte de l'occupation, la cité toute neuve, et -
avouons-le - très laide, est à portée de
fusil des villages du nord de Bethléem.
Michel nous propose une nouvelle halte géostratégique.
Du promontoire où nous nous hissons, on embrasse du regard
la région de Bethléem. Au-dessus du village de Beit
Jala, la colonie d'Ar Gilo. Presque toutes les nuits, on échange
des tirs ici. Les Palestiniens visent au fusil mitrailleur ce
qui est pour eux la partie occupée de Beit Jala. Et l'artillerie
israélienne riposte avec une puissance de feu cent fois
supérieure. " Il ne faut pas mesurer la colonisation
par le nombre des colons, précise Michel, mais par l'occupation
de l'espace. " Pour la première fois, en contemplant
ce paysage, nous vient l'image d'un gigantesque jeu de go. Israël
pose ses colonies comme des pions, pour briser toute continuité
territoriale arabe, et à l'inverse, créer ses propres
continuités par une savante technique d'encerclement.
Sur le chemin, José Bové, Jean-Claude Amara et Jean-Baptiste
Eyraud s'offrent leur premier " check-point ", ces barrages
militaires qui pourrissent la vie des Palestiniens. Dans le sillage
des trois sus-nommés, toujours prêts pour aller en
découdre, nous franchissons tous la ligne tracée
par les soldats israéliens, semant parmi eux, une belle
panique. Quoi faire ? On ne traite tout de même pas José
Bové comme un Palestinien. Alors, on s'engueule ferme sur
la conduite à tenir. Et pendant ce temps, toute la délégation
française poursuit sa promenade en terres interdites sous
le regard incrédule des Palestiniens qui, eux, attendent
ce privilège depuis plusieurs heures.
Un peu plus loin, autre check-point, autre arrêt. Histoire
d'aller parlementer avec le long cortège des ouvriers palestiniens
retenus ici arbitrairement. Mais à l'intersection de la
route principale et d'un chemin de terre, une voiture est immobilisée,
comme sortie du rang. A cinq mètres de là, un jeune
homme, assis à même la caillasse, regarde fixement
ses godasses couvertes de poussière. Autour de lui, des
centaines de douilles et des goupilles de grenades, souvenir d'affrontements
récents. Renseignement pris, l'homme est coupable d'avoir
emprunté une route interdite aux Palestiniens. Son épouse,
recluse dans la voiture, est enceinte de sept mois, et ils ont
voulu gagner quelques précieuses minutes pour aller consulter
à l'hôpital le plus proche. Punition : l'homme, extrait
de sa voiture, est exposé en plein soleil. Et la femme,
comme le reste de la famille, attend dans la fournaise. Palabres,
négociations conduites avec maestria par notre " doyen
", Marcel-Francis Kahn, anglophone distingué, et habile
diplomate qui obtient finalement le départ de la voiture.
Mais sans le père. José Bové, Jean-Claude
Amara, Jean-Baptiste Eyraud, et quelques autres, prennent alors
solidement position sur le capot de la Jeep dans laquelle les
militaires tentent d'emmener le jeune homme. Flottement parmi
les soldats. La police est appelée en renfort. Une autre
Jeep dévale de la colline. Car c'est l'une des caractéristiques
de ce pays : l'occupant est partout. A l'expérience, l'oeil
apprendra à les débusquer, blottis derrière
des sacs de sables, maladroitement fondus dans la caillasse, troquant
le viseur de leur fusil pour des caméras filmant les importuns.
Rien ne peut irriter plus ces hommes cachés, et qui prétendent
voir sans être vus, que de leur adresser de grands saluts
quand on les a repérés. Les policiers sont là.
La délégation forme une chaîne autour du jeune
Palestinien. Bousculade, coups. Pendant ce temps, José
Bové a pris position au volant de la Jeep. Un comble pour
un pacifiste comme lui. Et le bougre ne se laisse pas facilement
arracher à sa nouvelle passion. L'image fera les délices
des photographes. Finalement, le jeune Palestinien est emmené
manu militari. Tout juste le temps de prendre ses coordonnées.
Michel est alerté. Un avocat sera dépêché
sur le lieu de sa détention.
Le soir, de retour au Jérusalem Hôtel, rencontre
avec plusieurs organisations non-gouvernementales israéliennes,
dont les Rabbins pour les droits de l'homme (et oui, ça
existe !). Ici, curieux mélange de courage et de déprime.
Phrases notées à la volée : " Nous appartenons
à la société israélienne avec toutes
ses contradictions " ; " Nous sommes dans une situation
de grave isolement par rapport au reste de la société
" ; " Je suis de ceux qui éprouvent aujourd'hui
un certain désespoir. " Une militante nous explique
que les destructions de maisons étaient autrefois annoncées
et qu'on pouvait obtenir un sursis : " Maintenant, tout est
fait par surprise et notre intervention se résume souvent
à une protestation a posteriori. " Nous retrouverons
à plusieurs reprises ces militants israéliens, ceux
de cette soirée, les visages à peine devinés
dans la nuit, ou d'autres, dont les fameuses femmes en noir qui
manifestent chaque vendredi sur une place de Jérusalem.
Ils et elles sont admirables. Et malgré leur aveu de désespoir,
tous témoignent d'une inébranlable pugnacité.
Avant de gagner la chambre, on songe à cette irruption
de colonies. Je n'étais pas venu ici depuis 1991. Tout
a changé. Et puis, il y a ce chiffre obsédant :
près de 30 % des colonies ont été construites
(ou agrandies) après les accords d'Oslo, de septembre 1993.
Il ne reste plus aujourd'hui de cette grande bouffée d'espoir
que le sentiment amer d'une formidable entreprise de mystification.
Lundi 18 juin
A 8 heures, le soleil est déjà bouillant. A la porte
de l'officine du ministère de l'Intérieur israélien,
situé à Jérusalem-Est, des dizaines d'hommes
palestiniens se pressent. L'un d'eux, en tête de file, me
dit être arrivé à deux heures du matin. Il
me montre la carte d'identité déchirée de
sa fille. Pour obtenir un document neuf, cela fait déjà
deux jours qu'il vient en vain, attendant, huit ou neuf heures
devant le lourd tourniquet métallique qui ne s'ouvre que
trop parcimonieusement. Ici, c'est une prison. Mais les prisonniers
sont à l'extérieur. Inash a 37 ans, il veut un passeport
pour se rendre aux Pays-Bas, patrie de son épouse. On le
retrouvera en fin de matinée, invité à revenir
le lendemain. Que pouvons nous dire à ces gens traités
comme du bétail ? " Keep hope ! " Puis, on s'éloigne
en songeant à ces destins qui se fracassent sur cette porte
inhospitalière. Que peut-on pour eux ? Pas grand-chose,
sinon un mot de réconfort : " Gardez espoir ! "
10 h 30. Nous voilà devant un haut lieu de la résistance
palestinienne : la Maison d'Orient, vieille demeure de la grande
famille des Husseini. Hélas, le plus prestigieux de ses
descendants, Fayçal, vient de mourir, emporté par
une crise cardiaque, après toute une vie de lutte. Son
regard d'une grande douceur couvre les murs de l'enceinte et la
façade intérieure. C'était un homme simple,
apprécié par la population, et d'une grande élégance.
L'endroit est aristocratique. Nous sommes invités à
nous asseoir dans une vaste salle de réunion. Les mots
de bienvenue sont prononcés par un cousin de Fayçal,
Shérif al Husseini. Malgré la peine, il a ce mot
d'espoir : " Nous faisons confiance au peuple palestinien
pour produire un nouveau Fayçal. " La conversation
porte sur les menaces qui pèsent sur " la Maison ".
Netanyahou avait signé un décret pour la faire fermer.
Barak n'a pas franchi le pas, mais il n'a pas non plus abrogé
le décret qui plane toujours comme une menace. Nos hôtes
sont amers devant ces timides visiteurs européens, ministres
ou députés, qui préfèrent inviter
la représentation palestinienne dans leurs ambassades respectives,
plutôt que de franchir le seuil de cette maison. N'est-ce
pas Nicole Fontaine, présidente du Parlement européen
? Venir ici, c'est pourtant accomplir un double geste : c'est
protéger la Maison d'Orient contre les projets de fermeture
; et c'est affirmer un peu de la souveraineté palestinienne
sur la partie arabe de la ville.
Alors, mesdames et messieurs les députés, les sénateurs
ou les maires français en visite dans la région,
venez à la Maison d'Orient. Vous y serez reçus comme
des princes (ou des princesses) et vous délivrerez un message
qui vaut mieux que bien des discours. Bien sûr, vous déplairez
un peu à Ariel Sharon. Est-ce si grave ?
Midi. Départ pour Ramallah, la grande agglomération
palestinienne située au nord de Jérusalem. Vingt
minutes de route. L'entrée de la ville porte les stigmates
des batailles inégales qui, des mois durant, ont opposé
les jeunes à l'armée. Des carcasses de voitures
calcinées, le bitume brûlé, les façades
des maisons criblées d'obus : nous sommes sur les lieux
des affrontements les plus violents de la deuxième Intifada.
Combien de jeunes gens sont tombés ici ? Des dizaines sur
les cinq cents victimes de la répression. Au déjeuner,
que nous prenons dans les locaux de l'association caritative Inash
El Ousra, une vieille dame, aux allures de dame patronnesse anglaise,
nous accueille avec ce mot merveilleux : " Ici, on bâtit
d'une main, et on résiste de l'autre. " On refera
ce constat à plusieurs reprises. Dans le chaos, la société
palestinienne continue de se construire. Ou du moins, existe-t-il
quelques visionnaires pour oser penser à l'avenir. Et,
cependant, dans le corridor d'entrée, tout près
de la cour dont les palissades sont colorées de peintures
d'enfants exaltant la paix, ou montrant un paysan creusant à
l'antique son sillon avec un soc, une image nous arrête
: celle du " martyr de Tel-Aviv ", ceint de pains de
dynamites sur fond de fusils kalachnikov croisés. L'image
est choquante. On la retrouvera un peu plus tard dans la nuit
sur la place Al Manara, au centre de la ville. Elle témoigne
de la détresse d'un peuple. On peut ne pas approuver le
terrorisme, mais personne parmi ceux que nous avons rencontrés
ne le désapprouveront ouvertement. Même lorsque nous
les y inviterons fermement.
Un peu plus tard, sur la route, à quelques kilomètres
de Bir Zeit, nouveau check-point, nouvelle halte. Les soldats,
jeunes gens boutonneux égarés dans ce désert,
retiennent un jeune Palestinien. On nous explique contradictoirement
que celui-ci figure sur " une liste noire ", puis qu'il
est suspecté d'avoir participé, quelques minutes
auparavant, à une attaque contre des colons. La conversation
s'échauffe quand une voiture arrive en trombe sur nous,
dérape sur le gravillon, s'immobilise enfin. Son conducteur,
homme boursouflé d'une soixantaine d'années, casquette
de base-ball sur le crâne, sort en furie. Il éructe
un américain nasillard : " Je suis ici chez moi. Tout
ça, c'est mon pays. " Pêle-mêle, il invoque
la Bible, montre des impacts de balles dans la carrosserie de
sa Chevrolet, agresse verbalement Marwan. L'homme est blême,
comme au bord de la crise de nerfs. A l'arrière, sans que
nous en ayons tout de suite conscience, affluent peu à
peu deux, trois, puis quatre voitures de colons en armes, qui
se précipitent sur nous, ivres de colères, émettant
une inextinguible logorrhée verbale. Ceux qui, parmi nous,
tentent de les raisonner en constatent rapidement l'impossibilité.
Les colons sont bientôt une vingtaine, fusils mitrailleurs
en bandoulière, pistolets automatiques dans le pantalon,
à déferler. Soudain, l'un d'entre eux hurle : "
Les Arabes sont dans le car ! " Les Arabes, c'est le placide
Maher, notre chauffeur, Fatiha Damiche, du MIB, et quelques autres.
En un instant, un déluge de pierres s'abat sur le bus.
Les vitres volent en éclats. A l'intérieur, plusieurs
personnes sont coupées. Nous tentons de les rejoindre.
Un soldat arrête in extremis une main jeteuse de pierre.
Un autre crie étrangement : "I apologise for Israël"
(Je m'excuse pour Israël). L'émotion est à
son comble. Dans une atmosphère de lynchage, nous parvenons
à nous hisser dans le car. Maher fait une rapide marche
arrière pour nous sortir de ce guet-apens. Le jeune Palestinien
est embarqué dans une Jeep, soustrait à la haine
des colons. Nous l'avons tous échappé belle. Mais
nous avons appris qui sont vraiment ces colons : miliciens racistes
et fanatisés, organisés en réseaux, sûrs
de leur impunité, capables, demain s'il le faut de tourner
leurs armes contre les soldats. Une OAS, admise et encouragée
par le gouvernement israélien. Effrayant.
Le soir venu, nous rentrons sur Ramallah, à l'hôtel
Rocky Star, où nous sommes les hôtes de la plus importante
ONG palestinienne, Palestinian non governmental organisation (prononcez
" Pingo ") et de son président, Mustafa Barghouty.
L'homme, proche du parti communiste, est un politique madré.
Il nous offre un discours tout en finesses et en oeillades. On
parle avec lui et José Bové de la mondialisation.
Il s'intéresse à Attac. Il nous est familier par
ses préoccupations et ses manières. Il brillerait
aussi bien chez nous.
Nuit à l'hôtel. Moustiques. Insomnie. Tout le temps
de contempler par la fenêtre la ville, étonnamment
calme, plongée dans l'obscurité. Et juste en face,
ce champ de ruines, traces indélébiles du fameux
bombardement des avions F16, au mois d'avril. Et d'entendre les
premiers appels à la prière des muezzins qui se
font écho comme dans une litanie qui semble étirer
le temps. Dans l'impeccable douceur de la nuit, on se dit que
ce pays est fait pour la paix. Et que tout cela est trop absurde.
Mardijuin
Au petit matin, quittant Ramallah, on découvrira les quartiers
riches, investis par les notables palestiniens. La société
palestinienne, aujourd'hui étouffée par l'occupation,
est aussi prompte à produire ses propres injustices. Anne,
une Française qui travaille ici pour une ONG, note que
Ramallah s'est considérablement agrandie depuis Oslo. En
zone A, c'est-à-dire sous administration palestinienne,
la ville a attiré à elle une partie de la population
qui a voulu échapper à la botte israélienne.
Sans échapper à une asphyxie économique qui
frappe inégalement ses victimes. En redescendant plein
sud, cap vers Gaza, nous longerons le camp de réfugiés
de Shu fat, nid honteux de la misère humaine, situé
à peu près à hauteur de la colonie de Ramot,
déjà entrevue la veille. De Ramallah au check-point
d'Erez, qui marque l'entrée dans la bande de Gaza, ce n'est
qu'une longue route monotone qui s'étire au travers la
partie sud d'Israël. Dans le bus, on s'arrache un exemplaire
du quotidien palestinien Al Qods qui publie un article sur les
démêlés, la veille, de la délégation
française avec les soldats israéliens. Photo à
l'appui de José Bové (de face) et de Jean-Baptiste
Eyraut, identifiable seulement par les très intimes.
En milieu de journée, passage sans encombre du check-point
d'Erez. Les militaires n'ayant pas le droit de fouiller les voitures,
l'armée a recours à des sociétés privées.
En l'occurrence, c'est un jeune Russe, plutôt avenant, qui
veille au grain israélien. Nous passons dans le couloir
réservé aux VIP, aux diplomates, et aux ONG. Inutile
de dire que l'affaire est plus compliquée, et infiniment
plus longue pour les Palestiniens, amassés sous un soleil
de plomb, dans un couloir parallèle nettement moins hospitalier.
Comme prévu, Maher notre chauffeur ne peut passer. De l'autre
côté, un autre chauffeur et un autre car nous attendent.
Installation rapide au Marna Hôtel. Nous avons un aperçu
de la ville de Gaza, à la densité de population
record (2 849 habitants au kilomètre carré sur toute
la bande de Gaza, contre 295,9 en Israël). C'est un ruban
humain continu qui se déroule sous nos yeux, coloré
et bruyant, dans un perpétuel nuage de poussière.
Ici, la mortalité infantile est de 24 pour mille (elle
est de 9 pour mille en Israël). Il faut lire ces chiffres
pour mesurer l'horreur de ce qui va suivre. A mi-chemin, un check-point
vétilleux bloque la route principale. Les Palestiniens
sont invités à emprunter une route secondaire pour
un long contournement. C'est qu'une poignée de colons a
élu domicile ici, dans la minuscule colonie de Kfar Darom.
Pour leur bon plaisir, ces gens pourrissent quotidiennement la
vie de centaines de milliers de Palestiniens de Gaza, qui ne peuvent
traverser cette bande de terre de moins de cinquante kilomètres
de long sans être contraints à s'arrêter longuement,
et à faire un inutile détour. Un peu plus bas, nous
atteignons la ville de Khan Yunis. Nous sommes presque à
l'extrême sud de la bande de Gaza. La frontière égyptienne
est à moins de dix kilomètres. Attenant à
la ville, en direction du front de mer, le camp de réfugiés.
Ici, comme souvent en Palestine, la topographie est plus éloquente
qu'un long discours. Imaginez. Nous sommes à présent
face à la mer, à moins de cinq cents mètres
de nous. Là-bas, en bordure de plage, on devine à
l'ombre d'une palmeraie la silhouette de confortables villas.
Comme il doit faire bon vivre à cinq cents mètres
de là : c'est la colonie juive de Neve Dekalim. Un peu
plus au nord, sur le même front de mer, c'est Nezer Hazani,
puis Katif, Ganei Tal ; un peu plus au sud, c'est Gan Or, Gadid
Bedolah, Bne Atzmon, Pe'at Sade, Selav, et encore Rafiah Yam.
De là où nous sommes, en amont d'un no man's land
d'une centaine de mètres, défendu comme une forteresse
par l'armée israélienne, ce n'est que ruines, gravats,
façades trouées d'obus. Et sur ces ruines, des tentes
de réfugiés plantées sur les vestiges des
maisons détruites. Ici, le paradis et l'enfer sont à
quelques centaines de mètres l'un de l'autre. Tandis que
les gamins des colons juifs s'amusent dans les eaux tièdes
de la Méditerranée, les enfants palestiniens traînent
dans la poussière et la crasse. On leur a volé l'eau
et la mer. Nulle part la logique d'apartheid dans laquelle s'enfonce
Israël, avec ses routes interdites aux Arabes et ses espaces
réservés aux juifs, n'est plus arrogante qu'ici.
Tout pour les deux mille colons, rien pour les centaines de milliers
de réfugiés de Kahn Yunis.
Un peu plus loin, des enfants caillassent une Jeep de l'armée
toutes sirènes hurlantes. De temps en temps, un soldat
sort du véhicule et pointe sur eux une sorte de lance-grenades
que mes faibles connaissances militaires m'empêchent d'identifier.
Détonation. Épaisse fumée blanche. Pas assez
pour décourager ce terrible jeu avec la mort que nous regardons
de profil, comme à la télévision, comme des
voyeurs. Pour les gosses, c'est à qui ira le plus près
du canon balancer sa caillasse projetée avec une force
étonnante, et dont l'impact secoue à chaque fois
la Jeep grillagée et harnachée. La vengeance visiblement
est un plat qui se mange froid : un peu plus tard nous apprendrons
que deux gamins de 12 et 15 ans, qui ne faisaient que jouer avec
un cerf-volant, avaient été abattus, la veille de
notre arrivée.
Nous approchons de l'une des tentes. A l'intérieur, une
jeune femme, au visage très doux, coiffée d'un foulard,
vêtue d'un chemisier fucshia et d'une longue robe noire,
nous dit sa détresse. Elle est issue d'une famille de Bédouins
qui a dû fuir la région de Beer Sheva, dans le centre,
en 1948. Sa maison a été détruite par les
bombardements israéliens. Elle vit avec quinze personnes
de sa famille sous cette tente plantée dans les ruines.
" La nuit, dit-elle, on continue de nous tirer dessus. Nous
sommes obligés de nous réfugier chez des amis dans
la ville. " A dix mètres, un réservoir d'eau
assure la survie de ces quelques damnés de la terre. A
hauteur du village d'Al Mawazi, Bové, Amara et Eyraud bravent
le no man's land. Un porte-voix aboie : " N'avancez pas !
" Moment de tension. Finalement, l'un de nous, Georges Bartoli,
armé de sa seule carte de presse, pourra entrer dans le
bunker pour demander à traverser la ligne israélienne.
Refus.
Fin d'après-midi. Rencontre avec les familles des victimes
de Khan Yunis. Grande émotion quand un homme d'une trentaine
d'années, vêtu d'une chemise à carreaux, le
visage osseux, étonnamment pâle, prend la parole.
Il parle, haletant, de la mort de son fils. Fréquemment,
il s'interrompt pour se passer la paume de la main sur le visage,
de haut en bas, comme pour chasser une vision insoutenable. Nous
pensons à cette propagande odieuse qui répand l'idée
que les parents palestiniens enverraient leurs enfants au martyre
pour émouvoir l'opinion internationale.
18 heures. Rencontre avec le maire de Khan Yunis. Ici, 98 % de
la population sont au-dessous du seuil de pauvreté. Depuis
le début de la deuxième Intifada, neuf cents maisons
ont été détruites, à Khan Yunis, la
ville de tous les désastres.
20 heures. Rencontre et dîner au Centre palestinien des
droits de l'homme, à Gaza-ville. Il y a là, vieux
monsieur d'une exquise élégance, Haidar Abdel Shafi.
C'est lui qui a conduit la délégation palestinienne
à la conférence de Madrid, en 1991, pour le premier
vrai face-à-face diplomatique avec Israël. D'une phrase,
il résume près d'un siècle d'histoire : "
Rien de ce qui s'est fait depuis 1922 n'a été fait
par la loi. Tout a été fait par la force. "
L'autre personnalité marquante de cette rencontre nocturne
est Raji Sourani, directeur du centre qui nous accueille. Il dénonce
la conspiration du silence, plaide avec ferveur pour une force
de protection internationale. Il juge sans indulgence une diplomatie
française et européenne impuissante. L'homme a des
gestes vifs et un style direct qui tranchent avec la tradition
oratoire arabe. Il sait répondre par oui ou par non. Il
s'irrite quand on lui demande ce qu'il attend de l'Europe : "
Tout le monde le sait, mais ils ne font rien. " La réunion
est l'occasion pour Bové, Amara, et Évelyne Sire-Marin,
de développer leur analyse. " Rien ne se fera sans
la pression de la société civile. C'est pourquoi
nous sommes là ", martèle Amara. Évelyne
Sire-Marin développe, comme de juste, ses thèmes
juridiques : la convention de Genève qui fait obligation
de protéger les populations civiles et que bafoue Israël
; les poursuites, désormais possibles, contre Sharon pour
crimes contre l'humanité, lui qui s'est rendu au minimum
complice des massacres de Sabra et Chatila, en septembre 1982.
José Bové présente à nos interlocuteurs
un corps d'analyse dans lequel il resitue le conflit dans la bataille
contre la globalisation. Essayons de résumer son propos
en quelques mots. Il propose aux responsables palestiniens de
s'inscrire dans ce combat, évoque le prochain contre-sommet
de Gènes (où se tiendra le G8), à partir
du 15 juillet. Ce serait pour eux rompre un certain isolement.
Et donner à leur combat historique une nouvelle dimension.
Puisqu'au fond, c'est aussi comme une sentinelle avancée
de la globalisation libérale qu'Israël mène
sa guerre coloniale contre les Palestiniens. Raji Sourani applaudit.
L'analyse est solidement charpentée. La discussion ne fait
que commencer.
Mercredi 20 juin
Après une rencontre avec les partis politiques (Hamas et
Djihad compris), festival de langue de bois, et une autre avec
plusieurs organisations des droits de l'homme, départ vers
Gaza-ville, puis remontée dans la région de Bethléem
où nous devons prendre part à une manifestation.
Maher est de nouveau au volant.
15 heures. Arrivée dans le village d'El-Khader où
nous sommes attendus par le comité des habitants du village,
et quelques dizaines de pacifistes israéliens, dont évidemment
Michel Warchavski. Il s'agit de manifester contre une nouvelle
expropriation. Au bout du village, les militaires ont érigé
une butte de terre qui n'est pas infranchissable mais qui peut
se révéler un redoutable piège en cas d'affrontement.
Les manifestants, en majorité israéliens, et la
délégation française, prennent position face
aux soldats israéliens eux-mêmes adossés à
un nombre impressionnant de Jeep caparaçonnées.
Parmi les Israéliens, une majorité de très
jeunes filles dont beaucoup ont l'accent américain. Deux
jours après notre rencontre abrupte avec les colons, eux
aussi souvent d'origine américaine, on se dit que ce pays,
décidément, peut donner le meilleur et le pire.
Au sommet de la butte, les jeunes Palestiniens brandissent des
drapeaux et des emblèmes aux couleurs de leur pays. Les
jeunes Israéliens arborent des pancartes exigeant le départ
des colons : " No more apartheid. Settlers out " ("
Arrêt de l'apartheid, colons dehors "). Un paysan palestinien,
assis sur le côté, songe à ses terres perdues
: Aïssa Salah a 57 ans, sa famille cultive ce sol depuis
trois cents ans. " Ce sont mes meilleures terres qu'on vient
de me prendre. "
Après un long face-à-face, le climat se tend soudain.
Bousculade : Michel Warchavski est emmené sans ménagement
dans un fourgon de police. Une heure plus tard, un porte-voix
nous met en demeure de quitter les lieux sous dix minutes. Coups
de crosse dans les jambes des manifestants des premières
lignes. Charge. Grenades lacrymogènes. Du haut de la butte,
les gamins palestiniens lancent une pluie de cailloux sur les
soldats. Non sans que quelques-uns se fassent sévèrement
rappeler à l'ordre par le père. Le papa palestinien
ne dédaigne pas de recourir à la bonne vieille méthode
des taloches. Quand il en va de la vie de son gamin. Dans la tourmente,
on voit à peine que Bové, Amara et Eyraud et plusieurs
militants israéliens sont coffrés. On n'aura évidemment
pas empêché ce nouvel acte de colonisation. Mais
au moins celui-ci se sera fait devant les caméras de télévision,
au vus et au sus de tous.
20 heures. Soirée au camp de réfugiés tout
proche de Dheisheh. C'est ici que prendra fin notre récit.
C'est ici que nous avons peut-être ressenti la plus forte
émotion. Deisheh est l'un des 59 camps palestiniens du
Proche-Orient ; il abrite quelque onze mille personnes. Mais c'est
aussi un lieu de culture et de mémoire. Les murs de la
cafétéria relatent en photographies l'histoire tragique
de ce peuple. On y voit notamment la porte de Damas à Jérusalem,
en 1922, le camp libanais de Nahr Al-Bered, en 1948 - immense
camp de toile qui évoque immanquablement les Indiens d'Amérique
-, Dheisheh en 1950 et tant d'autres. Mais surtout, on prépare
l'avenir. Un jardin d'enfants, une bibliothèque, deux centres
informatiques, un projet d'histoire orale, une troupe de danse,
des échanges culturels internationaux : ce lieu perclus
de toutes les douleurs de l'histoire, est aussi un lieu d'espoir.
Grâce à des hommes exceptionnels comme cet Abu Khalil,
quatorze ans dans les geôles israéliennes, qui, le
soir venu, prononcera devant nous un discours d'une force exceptionnelle,
illuminé par un sourire de gamin enthousiaste. Dois-je
avouer (pardon, Marwan !) que j'ai rapidement cessé d'écouter
la traduction pour me concentrer sur la beauté de cette
langue arabe, à la fois douce et rugueuse, que j'avais
l'impression de comprendre. La soirée a libéré
des torrents d'émotion. En des termes très émouvants,
Fatiha Damiche a dit les raisons de son engagement. Larme à
l'oeil pour tout le monde. Entre temps, Bové, Amara et
Eyraud avaient été relâchés. La soirée
serait belle.
[Pour une force de protection - La délégation française
qui s'est rendue en Palestine du 16 au 23 juin n'était
pas une délégation comme les autres. Foin des rendez-vous
protocolaires et des équilibres diplomatiques. Il suffit
d'en voir la composition pour comprendre qu'il s'agissait d'exporter
les méthodes du nouveau mouvement social qui ont fait leurs
preuves chez nous. Partant du constat que les États occidentaux
sont trop soumis au maître américain - la France
notamment - pour oser dire haut et clair qu'il faut dans l'urgence
une force de protection des populations palestiniennes, Jean-Claude
Amara et Annie Pourre (Droits devant), Jean-Baptiste Eyraud (Droit
au logement) et José Bové (Confédération
paysanne) ont mis sur pied une mission non seulement destinée
à témoigner mais aussi à apporter aux Palestiniens,
grands oubliés de l'histoire, un soutien actif. L'idée
est simple : si les États ne font pas leur devoir, il incombe
aux représentants de la société civile de
le faire. Associée à Marcel-Francis Kahn (Collectif
des citoyens français d'origine arabe ou juive), à
Évelyne Sire-Marin (présidente du Syndicat de la
magistrature), à Fatiha Darmiche (Mouvement de l'immigration
et des banlieues), à Malika Zediri (Association pour l'emploi
l'information et la solidarité), à Lana Sadek (Association
des Palestiniens de France), la délégation était
accompagnée de journalistes engagés. C'est à
ce titre que Politis était du voyage. Action et témoignage
étant ici indissociablement liés (1). Évidemment,
nous tiendrons nos lecteurs informés des prochaines initiatives.
(1) Il faut aussi citer nos amis Richard Sovied (Télé
bocal), Samir Abdallah et José Reynes (cinéastes),
Rouba Sarkis (photographe et traductrice toujours dévouée),
Adila Bennedjaï-Zou (Indymédias) et, bien sûr,
Joss Dray, qui signe les photos du présent reportage.
N.B. : Pour tous ceux qui veulent en savoir (bien) plus, conseillons
une nouvelle fois la lecture du livre de Marwan Bishara, Palestine-Israël
: la paix ou l'apartheid, La Découverte, 124 p., 42 F.]
+++++++++++++++
Politis, jeudi 28 juin 2001
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de l'homme, qui stipule:
ARTICLE 19
<Tout individu a droit à la liberté d'opinion
et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être
inquiété pour ses opinions et celui de chercher,
de recevoir et de répandre, sans considération de
frontière, les informations et les idées par quelque
moyen d'expression que ce soit>
Déclaration internationale des droits de l'homme,
adoptée par l'Assemblée générale de
l'ONU à Paris, le 10 décembre 1948.