AAARGH
[Paul Durand est un ancien membre du Bureau Politique de la Fédération d'Action Nationale et Européenne (FANE), ancien éditorialiste de Notre Europe et ancien collaborateur de la revue Défense de l'Occident.]
Le 26 avril 2000
Madame,
A la lecture de votre ouvrage intitulé Histoire du négationnisme en France, il m'est venu de sérieux doutes quant à votre méthode de travail. Le choix du mot «négationnisme» au lieu de «révisionnisme» participe déjà d'une démarche partisane, l'usage d'un vocabulaire dépréciatif et réducteur visant à déconsidérer par des artifices sémantiques ce que l'on est incapable de réfuter par le raisonnement. Cela me rappelle les groupes d'extréme gauche se disputant à l'infini au sujet de ceux qui méritent ou non le qualificatif de «communistes», en refusant cette qualité aux membres du PCF.
Vous ne pouvez concevoir les révisionnistes que de mauvaise foi. Vous les imaginez -- comme vous imaginez les nationaux-socialistes d'hier et d'aujourd'hui -- toujours affairés à dissimuler leur pensée, codant et déco-[14]dant. (1) Mais en cultivant le soupçon, en cherchant d'imaginaires significations occultes à ce qui est parfaitement clair, vous vous nourrissez de chimères et vous vous condamnez à ne jamais rien comprendre à votre sujet d'étude. J'aimerais que vous puissiez répondre à ces questions simples sur le national-socialisme: quel sens aurait une idéologie dont les théoriciens cacheraient les visées, y compris à leurs plus proches parents et amis, même au jour de leur suicide ou de leur exécution? Quel idéologue «nazi a jamais préconisé une extermination industrielle des Juifs? La production de traductions tendancieuses d'un ou deux extraits de discours improvisés pendant la guerre et plus ou moins bien retranscrits ne constitue évidemment pas une réponse à cette dernière question. (2)
J'ai une question annexe: Puisqu'on peut être communiste sans être stalinien, et stalinien sans vouloir mas-[15]sacrer ici ou là, pourquoi ne pourrait-on pas être national-socialiste sans être hitlérien, et hitlérien sans être ni raciste ni antisémite au sens aujourd'hui courant de ces deux mots?
Vous affirmez avec constance, sans jamais le démontrer, que le révisionnisme est une forme moderne d'antisémitisme. Constater que certains révisionnistes apprécient peu «les Juifs», voire pour une frange très marginale d'entre eux s'affirment «anti-juifs», ne constitue en rien une démonstration, d'autant que pour ces révisionnistes-là cette attitude est généralement une conséquence de leur révisionnisme et des réactions qu'il a suscitées, elle ne lui est pas préexistante. Par ailleurs, il faut méconnaitre profondément l'extrême droite française pour s'imaginer que les tendances pro-arabes que l'on y trouve ne peuvent résulter que d'une «haine des Juifs», comme vous le faites avec une légèreté certaine.
De toute évidence, la documentation que vous avez utilisée était fortement lacunaire, notamment pour ce qui concerne l'extrême droite. Peut-être avez-vous aussi été trop influencée par de mauvais maîtres. Je me permets donc de vous signaler ici un certain nombre d'erreurs factuelles et analytiques de votre ouvrage, en tant qu'ancien membre du Bureau Politique de la Fédération d'Action Nationale et Européenne (FANE), ancien éditorialiste de Notre Europe, et ancien collaborateur de la revue Défense de l'Occident. J'espère que cet éclairage, appuyé sur les documents que vous trouverez ci-joints, vous permettra d'exercer une réflexion sereine et approfondie sur le sujet que vous avez abordé, et par suite de réviser vos appréciations.
Marc Fredriksen concevait la FANE comme un espace de débats ouverts et de liberté d'esprit. Il disait toujours [16] que sa mission consistait à «diffuser des idées». Cet esprit d'ouverture, plutôt rare m'a-t-il semblé à l'époque dans les organisations que l'on peut rattacher à l'extrême droite classique, était en fait plutôt répandu dans les groupes néo-fascistes ou nationaux-socialistes, en tout cas en Europe. Marc Fredriksen a d'abord été monarchiste, et lorsque j'ai fait sa connaissance au printemps 1975 il refusait, y compris en privé, de se qualifier personnellement de «national-socialiste», pour préférer le terme de «national -européen» ou de «fasciste» (au sens bardéchien du terme). A la même époque, François Duprat se voulait « nationaliste-révolutionnaire», à la rigueur «néo- fasciste» ou «nationaleuropéen», mais en aucun cas «national-socialiste», et ce n'était pas par tactique. C'est seulement après les élections législatives de 1978 que Marc Fredriksen, en partie sous l'influence d'une fraction des jeunes militants qui venaient de rejoindre la FANE, a évolué en la matière. Cette évolution ne s'est pas faite sans déperdition d'effectifs, certains ex-GNR, refusant toute référence au national-socialisme historique allemand, quittant la FANE pour rejoindre le Mouvement National Révolutionnaire de Jean-Gilles Malliarakis. Concernant la candidature de Marc Fredriksen aux législatives de 1978 sous les couleurs du Front National (candidature, que personnellement je désapprouvais, et qui n'engageait pas la FANE), il se disait alors qu'elle avait permis par sa seule existence d'éviter une mesure d'interdiction de la brochure Le Mensonge d'Auschudtz éditée par la FANE en 1976 (édition qui a fait date, et qui est pourtant absente de votre chronolagie).
C'est un grave contresens d7écrire (p. 329) que la FANE trouvait le Front National «trop légaliste ou encore trop mou»: elle lui reprochait d'être ultra-libéral, pro-américain, pro-israélien, anti-arabe, anti-européen, de trop axer sa propagande sur l'anticommunisme, de ména-[17]ger le pouvoir en place, de cultiver des nostalgies stériles pour un empire colonial appartenant à une époque révolue, et d'empêcher tout débat d'idées en son sein. L'extrême droite française est restée majoritairement très fortement pro-israélienne et pro-américaine jusque dans les années 80, et non pas jusqu'à la Guerre du Kippour, comme vous l'écrivez à tort p. 117 et ailleurs. La presse du Front National et les propos de Jean-Marie Le Pen en témoignent de façon éclatante.
Tout aussi erronée est votre analyse des rapports entre le Front National et le révisionnisme. Lorsque vous affirmez p. 330 que «l'adhésion de l'extrême droite française au négationnisme est globalement unanime, pendant les années de l'affaire Faurisson», et p. 491 qu'«à la fin des années quatre-vingt, ceux qui condamnent le discours négationniste ont quitté le (FN)», vous énoncez deux contre vérités. Les rapports du Front National avec les révisionnistes ont toujours été simples et clairs: le FN a toujours revendiqué la liberté en matière de recherche historique, donc la liberté d'expression des révisionnistes (abrogation de la Loi Gayssot, anticonstitutionnelle comme chacun sait), (3) mais les révisionnistes ont toujours été très minoritaires au sein du FN, parmi les responsables comme parmi les adhérents de base, et ils se sont toujours heurtés à un moment ou à un autre (par exemple aux BBR) à des responsables de niveau parfois très élevé ou à des adhérents de base véhémentement anti-révisionnistes. Pour vous, apparemment, si l'on ne condamne pas le «négationnisme», c'est que l'on est « nêgationniste » (voy. [18] pp. 532-533) ! Si l'on est contre la peine de mort pour les assassins, est-ce parce que l'on est nécessairement soi-même un assassin? Trouver les livres de Paul Rassinier ou Robert Faurisson intéressants ne signifie pas être «négationniste». Le Mensonge d'Ulysse ou Vérité historique ou Vérité politique? étaient vendus en 1979/1980 à la FNAC de la rue de Rennes (c'est là que je les ai achetés). Le Mémoire en Défense de Robert Faurisson n'était en vente à Paris lors de sa sortie fin 1980 dans aucune librairie d'extrême droite; on le trouvait dans une librairie de gauche dont j'avais relevé l'adresse dans Libération. Votre discours permet surtout d'apprécier le recul considérable des Libertés publiques en France depuis une vingtaine d'années.
Concernant spécifiquement la FANE, j'ai relevé quelques contre vérités, grandes et petites, dans votre ouvrage : 1*) Les GNR et la FANE n'ont jamais fusionné (p. 174), par suite la FANE n'a jamais fait partie du Front National et par voie de conséquence ne l'a pas quitté (p. 180) ; 2*) Les Cahiers européens de François Duprat n'ont pas fusionné avec Notre Europe en octobre 1974 (p. 171) ni à aucun autre moment: Duprat a simplement utilisé le titre légal Notre Europe (en l'accolant, en petits caractères, à tous les titres qu'il publiait) de son côté, la FANE continuant à le faire du sien. Vous confondez directeur légal et directeur réel. Les Cahiers européens-Notre Europe étaient édités par François Duprat en Normandie, et Marc Fredriksen découvrait leur contenu en même temps que les autres lecteurs. L'explication de cette coexistence de deux directeurs dont un fictif est simple: F. Duprat avait impérativement besoin d'un numéro de commission paritaire pour bénéficier de tarifs postaux réduits pour ses nombreuses publications; il s'est donc rapproché de Marc Fredriksen qui disposait d'un tel nu-[19]méro (lié au titre Notre Europe) afin de parvenir à un accord au terme duquel les deux parties trouvaient un avantage (financier pour Duprat, politique pour Fredriksen), tout en conservant une totale indépendance; 3*) Notre Europe n'était pas «principalement rédigé par Marc Fredriksen» (p. 332); il l'était par une équipe de rédacteurs permanents publiant un article dans chaque numéro sans censure, et sur le sujet de leur choix, et par beaucoup d'occasionnels; le plus souvent, l'éditorial n'était pas rédigé par Marc Fredriksen; les déclarations contraires faites devant les tribunaux par le directeur de Notre Europe étaient destinées à protéger les autres rédacteurs contre des poursuites judiciaires résultant d'une répression politique; 4*) L'Immonde n'était pas un organe officiel de la FANE (p. 332) mais un éphémère bulletin satirique rédigé par 3 ou 4 jeunes militants de la FANE, tous ex-GNR; 5*) Les chemises de la tenue des militants de la FANE (tenue d'ailleurs facultative) n'étaient pas brunes (p. 332) mais bleu ciel.
Vous êtes dans votre livre d'une discrétion tout à fait remarquable sur les agressions physiques dont ont été victimes les révisionnistes. Une phrase très sobre de la p. 437 fait allusion à une agression du professeur Faurisson que vous situez au printemps 1989, et qui n'est pas mentionnée [20] dans la chronologie. Vos lecteurs ne sauront pas que l'agression la plus grave dont ait été victime le professeur Faurisson se situe non pas au printemps 1989 mais le 16 septembre de la même année, et qu'il s'en est fallu de peu pour qu'elle ne soit mortelle. Vous auriez tort de considérer que ce n'est pas intéressant sur un plan historique. D'abord parce que cette agression n'est nullement isolée, d'autre part parce que les réactions politiques et médiatiques et les nombreuses apologies du crime assurées de l'impunité auxquelles elle a donné lieu ont un sens, enfin parce que la non arrestation des auteurs du commando criminel peut aussi être interprétée.
Le 29 janvier 1981 Michel Caignet, traducteur de Thies Christophersen et d'Udo Walendy, a été vitriolé par un commando terroriste dont les membres ont été identifiés et n'ont pourtant jamais été jugés. L'un d'entre eux a été localisé en Israël. De cet attentat non plus vos lecteurs ne sauront rien.
Un mot sur les origines du révisionnisme: la démarche intellectuelle de Maurice Bardèche en 1948 consistait essentiellement à répondre -- avec talent [21] et dans une situation à haut risque -- aux mensonges pervers de la propagande antinazie colportés par les vainqueurs de la seconde guerre mondiale. Ces mensonges remontent à l'Allemagne des années vingt et la démarche consistant à les démonter et les dénoncer également. C'est pourquoi voir en Maurice Bardèche l'initiateur du révisionnisme est une erreur. Le phénomène révisionniste commence avec la dénonciation des mensonges de la propagande antinazie par d'authentiques antinazis. Il est clair que ce phénomène commence en France avec Paul Rassinier. La Lettre aux Directeurs de la Résistance de Jean Paulhan, en 1951, s'inscrit à mon sens dans le même type de démarche.
Par ailleurs, après et avec d'autres, vous cherchez à accréditer l'idée peu innocente que les révisionnistes constitueraient une secte religieuse. A défaut de démonstration vous utilisez un vocabulaire choisi (messie, gourou, schisme, etc.). Mais vous êtes totalement à côté de la réalité. L'esprit de dogme est étranger au révisionnisme. La seule certitude commune à tous les révisionnistes, c'est que les certitudes de leurs adversaires sont mal fondées. Les révisionnistes pratiquent le doute méthodique, comme tous les intellectuels dignes de ce nom. Ils sont ouverts à la discussion. Ils ont payé cher leur indépendance et leur liberté de penser. On ne trouve pas que des prêtres avec leurs fidèles dans les catacombes, on trouve aussi, selon les époques, des dissidents et plus généralement des persécutés de toute sorte.
NOTES (de l'éditeur VR)
1/ Voy. par exemple p. 28. V. Igounet écrit: «Une des difficultés de l'interprétation du discours de la négation de l'histoire s'inscrit dans la dichotomie entre les intentions affichées et celles, latentes, des négationnistes» (NdE).
2/ Page 361, par exemple, V. Igounet écrit: «Il reste, par chance quelques ordre officiels émanant des hauts dignitaires nazis ordonnant la solution finale de la question juive. Ces discours de dirigeants officiels, qui n'ont fait l'objet d'aucun codage, sont tout simplement occultés par Robert Faurisson, comme l'allocution de Himmler du 4 octobre 1943, dit "discours de Posen": "Ce sujet doit être abordé en toute franchise mais nous n'en ferons jamais mention en public. Je veux parler de la liquidation des Juifs, de l'extermination de la race juive. C'est une question dont il faut parler librement: les juifs doivent être exterminés. C'est notre programme et nous devons l'appliquer". Contrairement à ce que V. Igounet prétend, R. Faurisson a parlé de ces discours; il a démontré pourquoi ceux-ci ne trahissaient aucune volonté d'extermination massive (Voy. R. Faurisson, Réponse à Pïerre Vidal-Naquet [Ed. La Vieille Taupe, 1982], pp. 24-5) (NdE).
3/ Le 5 juillet 1991, par exemple, Bruno Gollnisch a provoqué des incidents au conseil régional Rhône-Alpes lorsqu'il a demandé le «respect de la liberté d'expression pour les enseignants qui exercent un regard critique sur l'histoire de la seconde guerre mondiale», notamment pour R. Faurisson et Bernard Notin (voy. Le Monde, 7- 8 juillet 1991, p. 6) (NdE).
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Extrait (p. 13-21) de: Réponse à Valérie Igounet, de Robert Faurisson, Henri Roques et Paul Durand, Editions Vincent Reybnouard, septembre 2000, ISBN 2-9509607-4-X, 95 p.
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