AAARGH
A
sa mort il y a vingt ans, en juillet 1974, Haj Amin El Husseini
a été doublement enterré par ses successeurs.
Les chefs de l'OLP, M. Yasser Arafat en tête, assistèrent
bien à ses obsèques mais s'abstinrent de prononcer
la moindre oraison funèbre. Ils firent ensuite le silence
sur la vie, l'action et les enseignements du «père»
du nationalisme palestinien. Son nom, qui ne fut attribué
à aucune unité combattante ou institution, ne figure
pas parmi les «héros» ou les «martyrs»
de la cause palestinienne. En l'ignorant, les responsables de
l'OLP ont vraisemblablement cherché à épargner
un homme qu'ils respectaient d'une certaine manière mais
qui avait fini par incarner la faillite du mouvement national
palestinien dans l'entre-deux-guerres. Au cours des deux dernières
décennies, Haj Amin n'intéressa guère que
les historiens nationalistes, arabes ou israéliens. Les
premiers l'encensaient en consacrant l'essentiel de leurs écrits
à son combat contre les sionistes et leurs «protecteurs»
anglais, alors qu'il était mufti de Jérusalem (1921-1937);
les seconds privilégiaient ses années d'exil et
son ralliement à l'Allemagne nazie (1941-1945), pour mieux
le diaboliser. Considérant que ces écrits relevaient
moins de la recherche désintéressée que de
la guerre psychologique, du pamphlet ou de l'hagiographie, deux
historiens -- l'un israélien, l'autre palestinien -- ont
publié, chacun de son côté, une biographie
de Haj Amin qui se veut «objective». Les deux produits
sont tout autant surprenants que paradoxaux. Philip Matar, le
Palestinien, démystifie le personnage en le dévalorisant;
l'Israélien, Zvi Elpeleg, le réhabilite en mettant
l'accent sur les services qu'il a rendus à la cause palestinienne
(1). Haj Amin, pour Zvi Elpeleg, fut dans les années 20
et 30 le premier des «anti-impérialistes» de
la région puisqu'il combattit sans relâche la Grande-Bretagne,
puissance mandataire en Palestine, et prit la tête du soulèvement
populaire (1936-1939) dont le principal objectif était
de conquérir l'indépendance du peuple palestinien.
Tel n'est pas l'avis de Philip Matar, qui brosse du mufti de Jérusalem
le portrait d'un conservateur «modéré»,
dont la «collaboration» était hautement appréciée
par les Britanniques avant qu'il ne soit contraint de se ranger
(tardivement) dans le camp du mouvement révolutionnaire.
Cependant, les convergences ne manquent pas dans les appréciations
des deux auteurs. Ils condamnent tout autant l'un que l'autre
l'alliance conclue entre Hitler et Haj Amin mais innocentent ce
dernier de tout crime de guerre. Signe des temps, Philip Matar
rejoint Zvi Elpeleg pour estimer que la politique dite du «tout
ou rien» pratiquée par Haj Amin a porté préjudice
à la cause qu'il défendait. Aucun des deux ne pense
toutefois que les erreurs qu'il a commises ont modifié
le cours de l'histoire. L'Etat d'Israël aurait en tout cas
vu le jour en raison des puissants soutiens internationaux dont
bénéficiaient les sionistes, explique Philip Matar,
tandis que Zvi Elpeleg affirme que la création d'un Etat
palestinien était exclue, compte tenu de l'opposition de
la plupart des pays arabes à une telle entité souveraine.
Ce qui l'amène à déclarer à ce propos:
«Ma conclusion fondamentale est que les Israéliens
et les Palestiniens sont potentiellement des alliés naturels:
nos deux Etats pourront coexister côte à côte.»
C'est surtout dans l'appréciation globale de l'ancien mufti
de Jérusalem et de son action que nos deux historiens s'opposent.
Médiocre et velléitaire pour le Palestinien, Haj
Amin est, pour l'Israélien, un homme «hors du commun»,
«comparable à Haïm Weizmann, David Ben Gourion,
ou même à Theodor Herzl». Ancien gouverneur
militaire à Gaza et en Cisjordanie, qui passait autrefois
pour un «faucon», Zvi Elpeleg témoigne de l'évolution
des esprits en Israël, où son livre a reçu
le meilleur des accueils dans les médias.
(1) Zvi Elpeleg, The Grand Mufti, Frank Cass, Londres,
1993, 272 pages;
Philip Matar, The Mufti of Jerusalem, Columbia University
Press, New-York, 1992,191 pages.
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Le Monde diplomatique, août 1994, page 8.
<http://www.monde-diplomatique.fr/1994/08/ROULEAU/646.html>
[Mise sur l'aaargh: 10 avril 2001]
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