AAARGH
De passage à Paris, Mgr Sabbah, patriarche latin de Jérusalem,
déclare dans un entretien accordé au Monde,
lundi 23 avril, qu'Israël se trompe s'il croit pouvoir, par
la force des armes, réduire au silence l'aspiration des
Palestiniens à la liberté et à l'indépendance.
Dans la mesure où il est le plus fort, l'Etat juif doit
prendre l'initiative de mettre fin aux violences actuelles pour
reprendre la négociation.
Q. Les tirs et bombardements israéliens en Palestine visent,
entre autres, des localités telles que Beit Jala, Beit
Yahoun et Bethléem, où la place de la Nativité
a été touchée. Le silence du monde chrétien
ne vous paraît-il pas assourdissant ? (1)
R. Le bombardement des villes et villages palestiniens est général
et n'est pas limité aux seuls villes et villages chrétiens.
Malgré tout, on n'arrive pas à comprendre pourquoi
des tirs sont précisément dirigés sur Beit
Jala, Beit Sahour et Bethléem (2) (3). Certes, il y a parfois
des coups de feu de la part des Palestiniens à partir d'un
point donné, mais la riposte se fait sur trois villes à
la fois. C'est irrationnel. On doit pouvoir empêcher celui
qui tire de tirer, mais imposer une punition collective aux gens
qui dorment dans leurs maisons, à des heures avancées
de la nuit, -- c'est à partir de 23 heures que commencent
les bombardements et ils durent jusqu'à 4 heures --, cela
est inhumain et irrationnel (4).
En fait, c'est toute la situation qui devient irrationnelle ;
c'est la volonté du gouvernement israélien de M.
Sharon de chercher à tout contenir par la force. Il finira
par constater que la force militaire, si puissante soit-elle,
même si elle démolit des maisons, même si elle
sème la peur, ne brisera pas la volonté du peuple
de réclamer sa liberté. Il y aura toujours un peuple
palestinien qui dira "nous voulons être libres, nous
voulons récupérer nos territoires occupés".
Il y aura toujours des gens qui répondront par la violence.
Il faudra bien néanmoins que quelqu'un rompe ce cycle de
violence, et c'est au plus fort, je crois, d'en prendre l'initiative.
Q. Vous voulez dire Israël ?
R. Oui, pour retourner à la table des négociations.
Ou bien alors, il faudra qu'un intermédiaire convainque
les deux parties qu'elles tiennent un langage inutile et sanguinaire
et qu'en définitive elles vont revenir à la table
des négociations (5). Mieux vaut donc parler maintenant,
et éviter tous ces sacrifices des deux côtés.
Q. Ne pensez-vous pas que l'Occident n'est pas à la hauteur
de ses responsabilités ?
R. Je crois que celui qui doit prendre conscience du sens de ce
conflit c'est d'abord le peuple israélien lui-même,
parce qu'il est l'unique maître de son destin. C'est à
lui de comprendre que l'usage de la violence, le recours à
la force militaire ne peuvent être la solution. L'unique
solution qui garantira à Israël sa sécurité
et sa tranquillité, c'est que ses voisins, surtout le peuple
palestinien, deviennent des peuples amis ; et ce n'est pas par
la force militaire qu'ils le deviendront, mais par la justice,
par la reconnaissance de leur droit [celui des Palestiniens] d'exister
sur leur terre, d'avoir leur Etat indépendant.
Q. Ça risque d'être une longue histoire !
R. Nous avons déjà vécu cela pendant un siècle.
J'espère qu'on n'en aura pas pour un autre siècle
!
Q. Mais les choses vont de mal en pis sur le terrain.
R. Les choses vont de mal en pis, mais je crois que l'on assiste
à la finale de la violence. L'unique espoir est qu'il y
aura un autre gouvernement en Israël, une nouvelle génération
israélienne, qui verra les choses autrement. Nous avons
encore affaire à la vieille génération, celle
qui a mené le premier combat [pour la création d'Israël].
Plus de cinquante ans ont passé et les générations
israéliennes changent ; leur mystique a changé.
Une nouvelle génération tente maintenant de prendre
ses responsabilités et elle pourra commencer une nouvelle
ère d'entente avec le peuple palestinien.
Q. La transition risque d'être longue.
R. C'est possible, pas certain.
Q. M. Sharon a répété qu'il était
hors de question de "partager" Jérusalem, que
lui répondez-vous ?
R. Jérusalem est une ville sainte pour les juifs, les musulmans
et les chrétiens. Les trois religions y resteront donc
et les deux peuples aussi. Tous partageront la même souveraineté.
Il n'y aura ni supérieur ni inférieur. Tous jouiront,
sur un pied d'égalité, d'une souveraineté,
d'une autorité, d'un gouvernement. Aucun n'imposera son
autorité à l'autre. Tous seront égaux, protégés
par la loi.
Q. C'est-à-dire une souveraineté palestinienne à
Jérusalem-Est ?
R. Il y a des principes qu'il faut d'abord reconnaître.
Jérusalem-Est est occupée. La communauté
internationale jusqu'à aujourd'hui la considère
comme une ville occupée. Elle doit retourner à ses
propriétaires. Il faut donc commencer par rétablir
la souveraineté palestinienne sur tout Jérusalem-Est,
occupée en 1967. Après cela, il faudra voir comment
cette souveraineté sera exercée : ou bien séparément,
ou bien - comme il est plus convenable pour la vocation de la
ville, et sa nature sainte - toute la ville restera une seule
et la souveraineté sera partagée également
par les deux peuples et les trois religions.
Q. On a beaucoup parlé de l'émigration des chrétiens
palestiniens. Continue-t-elle et est-elle circonscrite aux seuls
chrétiens ?
R. Tout le monde émigre (6), mais, dans la mesure où
la communauté chrétienne est petite [50 000 environ
sur une population de 3 millions ], le départ de quelques
uns est plus visible, plus remarqué. L'émigration
continue dans la mesure où l'instabilité perdure.
Q. La position de la France ne vous paraît-elle pas trop
tiède au regard, notamment, de ses responsabilités
particulières en tant que protectrice des Lieux saints
catholiques ?
R. Les Français, les Anglais, toute l'Europe est responsable.
Les Français et les Anglais se sont partagé cette
région par les accords de Sykes-Picot -1916-. Cela fait
un siècle. Ils devraient assumer avec plus d'ardeur leurs
responsabilités... On ne peut qu'espérer..."
Propos recueillis par Mouna Naïm
Le Monde, 26 avril 2001
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(1) Je n'aime pas utiliser les mots dans leur sens contraire.
Mais pour rester sur la lancée de la question de Mouna
Naïm, du Monde, je dirai que le silence de la communauté
chrétienne d'Alsace est particulièrement assourdissant,
le silence le plus assourdissant étant celui de l'archevêque
de Strasbourg, Mgr Doré, priant son confrère Mgr
Sabbah de rester chez lui, après l'avoir précédemment
invité pour une conférence; et ceci à la
suite d'une petite pression par internet de la part de quelqu'un
qui est quasi anonyme, sur le site juif de Strasbourg. Assourdissant
aussi le silence de la communauté luthérienne qui,
après avoir invité le pasteur luthérien Mitri
Raheb en 1999, n'invita personne en 2000. Le dignitaire catholique
eut au moins besoin d'une petite pression, alors que les dignitaires
luthériens plient tout seuls, sans pression.
(2) Mgr Sabbah comprend probablement beaucoup plus de choses qu'il
n'en dit au Monde. La politique israélienne à long
terme -- lire les interviews de Sharon dans Haaretz du 18 avril
-- est d'éliminer les Palestiniens de Palestine en leur
rendant la vie impossible. En termes techniques, cela veut dire
: une purification ethnique sous menace de génocide. Et
dans ce processus, il faut d'abord priver les Palestiniens de
leur élite qui est la minorité chrétienne.
On a pu entendre récemment à Strasbourg comment
le prêtre melkite Shafour, dans son lycée, prépare
de jeunes Palestiniens, chrétiens et musulmans, pour les
universités israéliennes, et cela avec un grand
succès. Par ailleurs les Israéliens craignent sans
doute qu'en génocidant des chrétiens, ils pourraient
tout de même susciter une réaction dans les grandes
nations autrefois chrétiennes. Donc ils accentuent la pression
sur les chrétiens pour les faire partir volontairement
pour employer ensuite les grands moyens déjà utilisés
précédemment contre les Palestiniens musulmans.
On pourrait aussi penser que les Israéliens même
les pires peuvent être un peu gênés par le
pacifisme des chrétiens. Mais c'est une simple supposition.
Le monde chrétien devrait être rempli de débats
sur le problème du chrétien qui, comme on le lui
a appris, tend l'autre joue et qui, en réponse, voit, depuis
cinquante ans, son existence menacée et qui se sent forcé
à laisser tout derrière lui. Mais là encore,
c'est le silence. On baptise, on marie, on enterre, mais on ne
pense plus. On ne semble même plus capable de ressentir
de la compassion.
(3) Je rappelle aussi que le pasteur luthérien arabe Mitri
Raheb habite à Bethléhem, qu'il a envoyé
plusieurs messages dramatiques dont l'un a été publié
par "le Messager évangélique" avec une
grande réticence (la preuve : à ma connaissance
il n'y a pas eu d'autre publication). Le pasteur Mitri Raheb,
soutenu par la communauté protestante américaine,
invité là-bas pour des conférences, a beaucoup
de difficultés pour sortir de ce qu'il faut bien appeler
le camp de concentration qu'est devenu la Palestine, malgré
son passeport du Vatican. Maintenant la pasteur Mitri Raheb se
tait. Je rappelle aussi que lorsque j'ai déclaré
mon intention de distribuer un message du pasteur Mitri Raheb
à la sortie des cultes protestants, un pasteur luthérien
m'a dénoncé par écrit à la Licra pour
provocation à la haine raciale, en prenant le soin de m'envoyer
une copie. Ce que je puis dire là est que, voyant ce que
certains Israéliens font pour les Palestiniens, notamment
Mikhael Warschawski, fils de l'ex-grand rabbin du Bas-Rhin, je
sens une honte immense pour les chrétiens d'Alsace et de
France, et une immense honte pour moi-même, car je ne fais
vraiment pas grand-chose.
(4) Je puis aussi envoyer à qui cela intéresse,
un article du prof. israélien Baruch Kimmerling paru dans
Haaretz du 23 mars 2001 montrant comment la politique israélienne
envers les Palestiniens viole les conventions internationales
de Genève. Un article qui montre encore une fois qu'il
y a des Israéliens qui font plus pour les Palestiniens
-- mille fois plus, dix mille fois plus -- que les chrétiens
d'Alsace pour les chrétiens de Palestine. Les juifs en
général, dans cette grave affaire, fournissent à
la fois les hommes les plus élevés et les hommes
les plus bas. Je laisse aux chrétiens la liberté
de se situer eux-mêmes entre ces extrêmes.
(5) La table dite des négociations a été
jusque-là la table des dupes, une table orwellienne. On
a pu lire dans Le Monde que dans l'année qui a suivi
les accords d'Oslo, il y avait eu plus d'implantations que dans
aucune année auparavant. Et toutes les implantations se
font avec une autorisation du Premier ministre et avec des subventions
gouvernementales (ces colonies coûtent très cher
à l'Etat israélien qui d'ailleurs n'est pas capable
d'assurer l'équilibre seulement civil de son budget sans
aide internationale, notamment américaine). Le lendemain
de son retour de camp David, le premier ministre Barak avait signé
l'autorisation pour une nouvelle implantation. Et dans Le Monde
on a pu lire un article d'un rabbin américain Lerner, citant
le prof. Kimmerling qui avait écrit dans un article publié
par Haaretz que le premier ministre Barak n'avait pas tenu
un seul engagement envers les Palestiniens. La cause véritable
de la seconde Intifada n'est pas vraiment la visite de Sharon
sur le mont des temples, mais le fait qu'après 7 ans de
tranquillité, les Palestiniens se sont rendus compte qu'ils
avaient été constamment bernés, de conférence
en conférence, et d'accord en accord!
(6) On ne saurait mieux dire que la purification ethnique fonctionne.
Mais pour les Israéliens, elle ne fonctionne pas assez
vite. Les Israéliens ne sont pas idiots, ils ne veulent
pas créer le chaos dans les Etats riverains de la Palestine,
mais ils veulent que cela aillent plus vite, beaucoup plus vite.
Ils ont même quelques soucis de repeuplement. Pour remplir
les nouvelles colonies, ils prennent maintenant tout ce qui vient
de Russie, il n'est plus nécessaire d'avoir une mère
juive, un grand-père suffit (Hitler, petit-fils de juif,
pourrait aujourd'hui s'installer en Israël, ainsi naturellement
que Trotski, qui avait tout déclenché et qui avait
été excommunié par les rabbins, sans doute
le dernier excommunié). On ne regarde même pas de
trop près le certificat faisant état d'un grand-père
juif. Et ces arrivants, pour commencer, font de bonnes recrues
pour l'armée israélienne, beaucoup d'Israéliens
étant stressés par leur service dans les territoires
occupés.
Mise au Net sur l'aaargh: 10 mai 2001.
L'adresse électronique de ce document est: http://aaargh-international.org/fran/actu/actu001/doc2001/sabbah.html
Ce texte a été affiché sur Internet à des fins purement éducatives, pour encourager la recherche, sur une base non-commerciale et pour une utilisation mesurée par le Secrétariat international de l'Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre et d'Holocaustes (AAARGH). L'adresse électronique du Secrétariat est <[email protected]>. L'adresse postale est: PO Box 81475, Chicago, IL 60681-0475, USA.
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inquiété pour ses opinions et celui de chercher,
de recevoir et de répandre, sans considération de
frontière, les informations et les idées par quelque
moyen d'expression que ce soit>
Déclaration internationale des droits de l'homme,
adoptée par l'Assemblée générale de
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