AAARGH
Le
Spiegel du 3 avril 1995 reproduit une lettre de feu le
camarade Iouri Andropov à feu Leonid Brejnev dans laquelle
on trouve ce passage: "En
février 1946, les cadavres d'Hitler, d'Eva Braun, de Goebbels,
de sa femme et de ses enfants, au total dix personnes, ont été
enterrés à Magdebourg sur le terrain de notre garnison." Le Monde, qui rapporte cette nouvelle (4
avril 1996) précise que les ossements, entassés
depuis 1946 dans cinq caisses à munitions, ont été
incinérés en 1970 par le KGB et qu'il existe un
procès-verbal de l'opération. Pourquoi à
cette date? On l'ignore et il faudrait sans doute en chercher
la raison dans les intrigues et les luttes de pouvoir qui se déroulaient
à la tête de cet éminent organe.
Il aurait été abusif sans doute de rappeler à
cette occasion ce que Le Monde lui-même qualifiait
de "conclusion
originale, inattendue et, d'un strict point de vue médical,
embarrassante puisque des [médecins-]légistes français,
démontrent, à cinquante ans d'intervalle, l'existence
d'un subterfuge monté par des confrères soviétiques." En effet, dans un article commun, quatre médecins
lillois, les docteurs Eric Laurier, Valéry Hardouin, Didier
Gosset et Pierre Henri Muller, intitulé "Le Rapport
d'autopsie de Hitler: le point de vue du médecin légiste"
(Semaine des Hôpitaux, 11 mars 1993) relisent le
rapport de l'autopsie pratiquée le 8 mai 1945 par le médecin-colonel
Faust Chkaravski, entouré de quatre de ses confrères,
à la morgue d'une clinique de la banlieue de Berlin. Le
rapport est rédigé le 11 mai. C'est de ce rapport
que date l'histoire du testicule unique (ou cryptorchidie unilatérale)
de Hitler qu'aucun témoignage médical datant du
vivant de Hitler ne vient confirmer. C'est une première
étrangeté. La seconde, relevée par nos Lillois,
est que le rapport, tout en décrivant quatorze dents, en
compte quinze. Ils y voient le signe que cette autopsie, dont
le rapport a pris trois jours à rédiger, était
un "simulacre" et que les médecins soviétiques
auraient placé dans cette discordance des chiffres une
indication qui aurait eu pour but de faire savoir qu'ils avaient
travaillé aux ordres. On commence alors à se demander
si le délire interprétatif n'a pas saisi les dignes
Lillois eux-mêmes. D'autant qu'ils affirment: "L'indice factuel ainsi introduit
(le chiffre 15 pour les dents) est suffisamment subtil pour avoir
échappé, jusqu'à ce jour, à la sagacité
des diverses études critiques publiées dans le rapport." (Voir le compte rendu de cette affaire sous la
plume d'un rédacteur "scientifique" dans Le
Monde du 17 mars 1993.)
Non contents de sauver ainsi l'honneur supposé perdu des
médecins légistes soviétiques, victimes tout
aussi supposées de leur hiérarchie, aux ordres,
rappelons-le, du démoniaque Staline, les esculapes du Nord
retrouvent le véritable Hitler. On est rassuré:
"La vraie dépouille
de Hitler fut finalement, à la fin du mois de mai 1945,
présentée dans un bois près de Berlin, à
Mengershausen, le dernier soldat allemand à l'avoir contemplée
dans le jardin de la Chancellerie, Mengershausen, malgré
l'importance des phénomènes putréfactifs,
reconnut le corps de Hitler."
Sur ce cadavre, les deux mâchoires étaient présentes.
Les Américains avaient arrêté le 28 mai le
dentiste de Hitler, le docteur Blaschke (et non Blalschke, comme
l'écrit Le Monde), qui aurait fourni toutes les
informations sur ses nombreux travaux de dentisterie. Mais le
soldat [Harry] Mengeshausen (et non Mengershausen, comme l'écrit
Le Monde) n'était évidemment pas qualifié
pour utiliser des informations qui ne pouvaient pas être
disponibles à cette date-là. En outre, qui lui a
présenté ce corps, sinon les Soviétiques,
dont il était le prisonnier?
L'article de Jean-Yves Nau, dans Le Monde déjà
cité, fait référence à un livre que
j'ai consulté, La Mort d'Hitler, l'énigme
enfin résolue, d'un certain Lew Besymenski, paru chez
Plon en 1969. C'est l'expression de l'état-major de l'Armée
rouge, entérinée avec enthousiasme par Alain Decaux,
qui avait évoqué ce sujet dans ses Dossiers secrets
de l'histoire, à la Librairie acdémique Perrin.
J'ai préféré consulter le récit qui
n'est pas à proprement parler celui d'un témoin
mais plutôt d'un participant, Erich Kempka, qui était
le chauffeur de Hitler. Il est celui qui a procédé
à l'incinération. Il avait plusieurs centaines de
litres d'essence à sa disposition et il dit que l'incinération
de Hitler et de sa femme, qu'il venait d'épouser, commencée
vers midi, a dû être recommencée à maintes
reprises, jusqu'à 19 h 30 (Die letzten Tagen mit Adolf
Hitler, Deutsche Verlagsgesellschaft, Rosenheim, 1991, 3e
édition, p. 99). Son récit était d'ailleurs
paru dans les années 50 sous le titre que lui avait imposé
l'éditeur: "J'ai brûlé Adolf Hitler".
C'est sans doute ce qui entraîne l'éditeur de Kempka,
Erich Kern, vers un certain scepticisme. Comme il mentionnait
à Kempka (mort en 1975) l'existence de rumeurs faisant
état de la présence des restes de Hitler à
Moscou, l'ex-Obersturmbannführer SS lui répondit:
"Je n'arrive pas
à le croire. Ce que j'ai vu en tout dernier lieu du Führer
était un reste carbonisé."
Hitler avait beaucoup insisté la veille auprès de
son entourage pour que son corps ne tombe pas aux mains des Russes.
En même temps, Staline insistait beaucoup auprès
de ses officiers sur place pour que l'on trouve la dépouille
de son ennemi et que l'on rassemble tous les détails sur
sa mort. Dans les heures qui suivirent la récupération
du cadavre supposé, les services russes mirent la main
sur les assistants du dentiste Blaschke, le docteur Bruck et Mme
Käthe Heusermann, qui donnèrent à la commission
soviétique tous les documents, y compris les radios de
la mâchoire du Führer. Le technicien Fritz Echtmann
fut aussi arrêté et prié de dessiner de mémoire
l'appareil dentaire de Hitler. Mais aucun de ces personnages ne
fut convié à voir le corps.
Le directeur des archives nationales russes a déclaré
être en possession du crâne de Hitler (Le Monde,
22 février 1993). Un ancien membre de l'entourage de Hitler
avait dit la même chose quarante ans avant (Le Monde,
22 octobre 1955). Etait-ce le même? Sommes-nous devant un
cas de génération spontanée de reliques,
dont l'histoire de l'Eglise nous a donné maints exemples
que l'on peut encore contempler aujourd'hui? Les médecins
légistes lillois ont-ils raison, non pas peut-être
à cause de cette quinzième dent, mais parce que
leurs confrères soviétiques ont clairement senti
qu'ils avaient davantage intérêt à fournir
un cadavre plutôt que d'avouer leur incapacité?
On sait que la survie de Hitler (comme aussi celle d'Anne Frank)
a fourni à l'imagination de divers romanciers un thème
qu'ils ont habilement exploité, comme par exemple G. Steiner
et son histoire de A.H. Mais sa mort même a donné
lieu à différentes descriptions entre lesquelles
il n'est pas facile aujourd'hui de choisir. La seule chose certaine
est que si l'on prend l'ensemble des documents, déclarations
et affirmations variées qui nous sont provenues de Moscou
à des dates différentes, on arrive à un salmigondis
infernal. Et pourtant, il s'agit d'un fait absolument simple,
un événement unique, bref, isolable, passible d'une
description technique.
Alors, quand on en arrive à l'histoire de la guerre, à
ses causes complexes, et son déroulement, de Coventry à
Stalingrad...
S. T.
juin 1995
Traduction
allemande parue dans Sleipnir
2, 2, mars-avril 1996, p. 32-33.
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