D'autres après moi se pencheront sur la littérature
concentrationnaire: cela ne fait aucun doute. Peut-être
s'engageront-ils dans la même voie et, poussant l'investigation,
se borneront-ils à étoffer l'argumentation. Peut-être
adopteront-ils une autre classification et une autre méthode.
Peut-être accorderont-ils plus d'importance au côté
purement littéraire. Peut-être même quelque
nouveau Norton, s'inspirant de ce que fit l'autre à propos
de la littérature de guerre, au lendemain de 1914-1918,
présentera-t-il un jour une "somme" critique
à tous égards et sous tous les aspects, de tout
ce qui a été écrit sur les camps de concentration,
Peut-être
Mon ambition n'ayant été que d'ouvrir la voie à
un examen critique, mon effort ne pouvait que se limiter à
certaines observations essentielles, et il se devait de porter,
en tout premier lieu, sur le point de départ du débat,
c'est-à-dire sur la matérialité des faits.
S'il ne fait état que de quelques cas types, que j'ai la
faiblesse de croire judicieusement choisis, il n'embrasse pas
moins toute la vie concentrationnaire à travers ses points
sensibles, et il n'en permet pas moins, non plus, au lecteur de
se faire une opinion sur tout ce qu'il a pu lire ou lira sur le
sujet. A ce titre, son but est atteint.
Par ricochets, il en peut atteindre d'autres.
Un livre vient de paraître qui ne s'insère pas directement
dans l'actualité et auquel la critique n'a en conséquence
pas cru devoir s'attarder outre mesure: Ghetto à l'Est.
Son auteur, Marc Dvorjetski, survivant d'un certain nombre de
massacres, traîne derrière lui un passé qu'il
sent d'autant plus lourd que sa conscience lui demande sans cesse:
"Allons, parle: comment es-tu resté vivant quand des
millions [page 218] d'êtres sont morts?" La conscience
des témoins des camps de concentration ne semble pas avoir
de ces exigences et ne leur pose pas de questions aussi indiscrètes.
Mais on n'échappe pas facilement à une question
qui est dans la nature des choses, et si la conscience individuelle
ne la fait pas monter d'elle-même sur les lèvres
des intéressés sous la forme d'un reproche, il y
a le public qui est là, qui n'a que de rares moments de
bienveillance et qui la pose dans celle d'une interrogation directe:
"Allons, parle: comment peux-tu être encore vivant?.."
On m'excusera si j'ai l'impression d'avoir apporté la réponse.
Tout s'enchaîne: une question en appelle une autre, et quand
le public commence à en poser Un comment, toujours
amène un pourquoi quand il ne le suit pas et, en
l'occurrence, celui-ci se présente tout naturellement:
pourquoi certains déportés ont-ils donné
un tour si discutable à leurs dépositions? Ici,
la réponse est plus délicate: pour faire le départ
entre ceux qui ont été dominés, voire écrasés,
par l'expérience qu'ils ont vécue, et ceux qui ont
obéi à des mobiles politiques ou personnels, il
faudrait psychanalyser -- puisqu'on a prononcé le mot ---
tout le monde, et encore, ne devrait-on confier ce travail qu'à
des spécialistes éprouvés.
On peut affirmer cependant que les communistes y avaient un indiscutable
intérêt de parti: dès lors, qu'un cataclysme
social fond sur l'humanité, si les communistes sont ceux
qui réagissent le plus noblement, le plus intelligemment
et le plus efficacement, le bénéfice de l'exemple
se reporte sur l'organisation et la doctrine qu'elle affiche.
Ils y avaient aussi un intérêt politique, à
l'échelle mondiale: en rivant l'opinion sur les camps hitlériens,
ils lui faisaient oublier les camps russes. Ils y avaient enfin
un intérêt personnel: en prenant d'assaut la barre
des témoins et en criant très fort, ils évitaient
le banc des accusés.
Là comme partout, ils ont donné l'exemple d"une
solidarité indissociable et le monde civilisé a
pu fonder toute une politique à l'égard de l'Allemagne
sur des conclusions qu'il tirait de renseignements fournis par
de vulgaires gardes-chiourmes. Il ne demandait d'ailleurs pas
mieux, à l'époque le monde civilisé: en même
temps, il pouvait présenter ses propres chiourmes comme
des modèles d'humanité
Pour les non-communistes, c'est différent, et je ne voudrais
pas me prononcer à la légère. Aux côtés
de ceux qui n'ont pas réalisé leur aventure, il
y a ceux qui ont réellement cru a la moralité des
communistes, ceux qui ont rêvé une entente possible
avec la Russie des Soviets pour l'établissement [page 219]
d'une paix mondiale, fraternelle et juste dans la liberté,
ceux qui ont payé une dette de reconnaissance, ceux qui
ont suivi le vent de la saison et dit certaines choses parce que
c'était la mode, etc., etc. Il y a ceux aussi qui ont pensé
que le communisme submergeait l'Europe et qui, l'ayant vu à
l'oeuvre dans les camps de concentration, ont jugé prudent
de prendre quelques assurances sur l'avenir.
L'Histoire, une fois de plus, s'est moquée des petites
impostures à l'échelle de l'imagination humaine.
Elle a suivi son cours, et maintenant, il faut s'y adapter. Les
revirements ne sont pas faciles et ce ne sera pas le moindre travail.
Il reste à fixer l'importance des faits dans leur matérialité
et à juger de l'opportunité de cet ouvrage. Dans
un article1
qui fit sensation2,
Jean-Paul Sartre et Merleau-Ponty ont pu écrire:
Si on accepte la version
officialisée par une unanimité complice dans les
témoignages sur les camps allemands, il faut convenir que
Sartre et Merleau ont raison contre David Rousset. On voit alors
où cela peut conduire, aussi bien dans l'appréciation
du régime russe que dans l'examen du problème concentrationnaire
en soi. Ceci ne veut pas dire que, si on ne l'accepte pas, on
donne par-là même raison à David Rousset:
le propre des faits discutables dans leur contenu est, précisément,
qu'ils ne sont pas susceptibles d'interprétations valables.
La meilleure conclusion que je pouvais donner à cet ouvrage
c'est l'aperçu d'ensemble que m'avait suggéré
à l'époque la confrontation des points de vue de
David Rousset et de Jean-Paul Sartre et Merleau-Ponty, avec ma
propre expérience3
et que voici:
On peut opposer à David Rousset les arguments concrets
de la raison pratique. Ils sont très accessibles car ils
se [page 220] résolvent dans l'affirmation que son Appel
n'a de valeur particulière, ni par son origine, ni par
son contenu, ni par les voies qu'il emprunte, ni par les gens
auxquels il s'adresse, ni par le but qu'il poursuit, ni surtout
par ce qu'on en peut espérer ou redouter selon l'angle
sous lequel on se place. De fait, aucun des secteurs de l'opinion
ne s'y est trompé: l'entreprise tourne court, et, deux
mois4 après sa mise sur pied,
ne garde plus de faveur que celle du Figaro littéraire5, c'est-à-dire l'audience de 100 000 lecteurs
dont j'imagine que quelques-uns sont passablement désabusés.
Si on a recours à la raison pure, et si on soulève
l'objection philosophique ou doctrinale, on tombe dans la rhétorique
et on devient très vulnérable. La rhétorique
a facilement tendance au sophisme, à la ratiocination,
voire à la divagation. Ses coquetteries pour séduisantes
qu'elles soient, toujours discutables, sont rarement convaincantes.
Et ses abstractions exclusivement spéculatives tombent
d'autant moins sous le sens qu'elles procèdent de méthodes
plus rigoureuses.
Aussi, les raisons de sens commun sont-elles d'un autre poids
que celles de la Scholastique, bien que de moindre valeur dans
l'absolu ou l'intrinsèque.
L'irruption tapageuse de David Rousset sur le devant de la scène
avec son "Au secours des déportés soviétiques",
titré sur huit colonnes en première page du Figaro
littéraire, a d'étranges résonances.
Sa forme est celle de tous les ralliements guerriers: au secours
de la Pologne martyre, au secours des Sudètes, au secours
du peuple allemand opprimé (1939), au secours de la malheureuse
Serbie (1914), etc. On pourrait remonter jusqu'à la première
croisade que Pierre l'Ermite prêcha dans les mêmes
termes en prenant le tombeau du Christ comme thème central.
Etant donné le nombre des concentrationnaires dans le monde,
en Grèce, en Espagne, en France -- les Etats-Unis en sont-ils
exempts? La double forfaiture est éclatante et les esprits
avertis ne se sont pas fait faute de le remarquer. Il suffisait
de la souligner pour les autres.
Saisir l'occasion pour poser le problème du travail forcé
partout et notamment dans les colonies, c'est élargir le
débat, ce qui ne peut, évidemment, être dommageable,
bien au contraire. Discuter de tout le système russe ou
de tout le [page 221] système américain, c'est déjà
le faire dévier. Aller jusqu'aux différences qui
les opposent, aux rapports qu'ils entretiennent et à l'injustice
sociale en général, c'est le transposer sur un autre
terrain, et rien n'empêche plus, désormais, qu'il
aille se perdre, comme l'eau dans le sable, dans des dissertations
sans fin sur la troisième guerre mondiale ou sur les classes
de voyageurs en chemin de fer. Par quoi il semble démontré
que si le sujet ne souffre aucune localisation géographique,
il en est une au moins qui s'impose: celle qui en fait exclusivement
une affaire de déportations, de camps de concentration
et de travail forcé.
Dans le cadre de ces considérations qui situent à
leurs deux extrêmes, les limites de la controverse, il n'est
peut-être pas indifférent de s'arrêter, avant
toute chose, aux aspects de la riposte qui consolident la position
de David Rousset au lieu de l'affaiblir.
Sans aucun doute, la psychose créée en France depuis
la libération, par certains récits discutables en
ce qu'ils sont, pour la plupart, des interprétations bien
plus que des témoignages, permet-elle d'écrire à
peu prés impunément:
Mais elle n'assure la tranquillité
de la conscience qu'à ceux dont l'attitude est généralement
antérieure à toute réflexion et qui n'ont,
par surcroît, vécu ni l'une, ni l'autre des deux
expériences. D'une part, il ne peut échapper qu'en
France et dans le monde occidental, les rescapés des camps
soviétiques sont beaucoup moins nombreux que ceux des camps
nazis, et que si on ne peut pas dire de leurs témoignages
qu'ils sont, a priori, inspirés d'une meilleure foi ou
d'un sentiment plus acceptable de l'objectivité, il n'est
cependant pas niable qu'ils voient le jour en des temps plus sains.
De l'autre, tous les concentrationnaires qui ont vécu dans
la promiscuité des Russes en Allemagne, ont rapporté
la conviction que ces gens avaient une longue pratique de la vie
des camps.
Pour ma part, je me suis trouvé, seize mois durant, au
milieu de quelques milliers d'Ukrainiens, au camp de concentration
de Dora: leur comportement affirmait qu'ils n'avaient, [page 222]
dans leur très grande majorité, que changé
de camp et, dans leurs discours, ils ne cachaient pas que le traitement
était le même dans l'un et l'autre cas. Dirai-je
que le livre de Margarete Buber-Neuman, récemment publié,
ne s'inscrit pas en faux contre cette observation personnelle?
Pour ce qui est du reste, il faut laisser à l'Histoire
le soin de dire comment les camps allemands, conçus, eux
aussi, selon "les formules d'un socialisme édénique"
sont devenus en fait -- mais en fait seulement -- des camps d'extermination.
La réalité sur ce point, c'est que le camp de concentration
est un instrument d'Etat dans tous les régimes où
l'exercice de la répression garantit celui de l'autorité.
Entre les différents camps, il n'y a, d'un pays à
l'autre, que des différences de nuance qui s'expliquent
par les circonstances -- mais non d'essence. En Russie, ils ressemblent
trait pour trait à ce qu'ils étaient dans l'Allemagne
hitlérienne et vraisemblablement à ce qu'ils sont
en Grèce, parce que, indépendamment des similitudes
possibles ou non de régime, dans les trois cas, l'Etat
est aux prises avec des difficultés d'égale grandeur:
la guerre pour l'Allemagne, l'exploitation du sixième du
globe avec des moyens de fortune pour la Russie, la guerre civile
pour la Grèce.
Si la France en vient, économiquement, au même point
que l'Allemagne de 1939, ou que la Russie et la Grèce d'aujourd'hui
-- ce qui n'est pas exclu -- Carrère, La Noé, La
Vierge, etc., ressembleront, eux aussi, et trait pour trait, à
Buchenwald, Karaganda et Makronissos: il n'est d'ailleurs pas
prouvé que la nuance soit plus qu'à peine sensible,
aujourd'hui déjà7.
L'erreur appelle l'erreur et prolifère par l'artifice dans
un raisonnement vicié à la base par une première
affirmation gratuite. Du particulier, on passe au général
et de l'examen de l'effet, à celui de la cause. Ainsi est-il
naturel qu'on en vienne à écrire, à propos
du système russe:
ou encore:
ou enfin:
La première objection est sans valeur. Une importante partie de l'opinion la renversant dans ses termes avant la lettre, pensait déjà que:
Et, pour se justifier ajoutait:
On voit le danger: s'il
est admis que les formes d'exploitation "de nous inconnues"
sont plus meurtrières et plus nombreuses que celles qui
jouissent du privilège d'être "de nous connues",
s'il peut être prouvé que les premières sont
en progression constante et les secondes en régression
ou simplement à un niveau constant, il faut convenir que
cette importante fraction de l'opinion est abondamment pourvue
dans le domaine de la justification morale. Elle l'est d'autant
mieux qu'elle ne fait qu'emprunter ses moyens à l'un des
signataires de l'objection, M. Merleau-Ponty, lequel écrivait,
dans sa thèse sur l'Humanisme et la terreur, ceci ou à
peu près, que je cite de mémoire:
" Ce qui peut servir de critère dans l'appréciation
d'un régime sur le plan de l'Humanisme, ce n'est pas la
terreur, ou sa manifestation, la violence, mais le fait [page
224]
que l'une et l'autre soient en progression et appelées
à durer ou, au contraire, en régression et appelées
à disparaître d'elles-mêmes. "
Pourquoi ce qui est vrai de la terreur et de la violence ne le
serait-il pas des camps qui ne sont qu'un de leurs résultats,
mais qui font, par leur nombre, la preuve de plus ou moins de
terreur et de plus ou moins de violence? Et, dès lors,
pourquoi ce distinguo en faveur de la Russie? Ceci pour permettre
de mesurer combien il eût été, à la
fois plus prudent et plus conforme à la tradition socialiste,
de prendre l'avantage sur David Rousset en se déclarant
contre toutes les formes d'exploitation, qu'elles soient connues
ou inconnues de nous.
La seconde objection, introduite dans la forme du syllogisme parfait,
procède de la confusion des termes: "Le fascisme est
une angoisse devant le bolchevisme", dit la majeure, -- "Si
l'on en déduit que le fascisme est le communisme"
poursuit la mineure.. Sous la plume d'un rhéteur de second
ordre, l'astuce provoquerait tout au plus un haussement d'épaules.
Quand on la trouve sous celles de M. Merleau-Ponty et de J.-P.
Sartre, on ne peut pas s'empêcher de penser aux règles
impératives de la probité et à l'entorse
qui leur est faite8.
C'est le bolchevisme que ses contempteurs identifient au fascisme,
et non le communisme. Encore ne le font-ils que dans ses effets,
et prennent-ils la précaution de définir le fascisme
par des caractères qui en font autre chose, et bien plus
qu'une "angoisse" devant le bolchevisme.
Ceci veut dire que si on rétablit les deux propositions
sur le plan de la propriété des termes, la conclusion
s'écarte d'elle-même et que, dès lors, il
ne reste plus du syllogisme que la perfection de sa forme. Si
l'on veut à toutes forces bâtir un syllogisme sur
le thème, le seul qui soit valable est celui-ci:
Je ne dirai rien de la
troisième objection qui pèche vraisemblablement
par la même confusion des termes, à moins que ses
auteurs ne précisent après coup que c'est: "nous
avons les mêmes valeurs qu'un bolcheviste" qu'ils
ont voulu dire. Je ne dirai rien non plus de cette affirmation
étrangement mêlée au débat et selon
laquelle le communisme chinois serait "seul capable de faire
sortir la Chine du chaos et de la misère pittoresque où
le capitalisme étranger l'a laissée." Ni de
la souscription ouverte par Le Monde "pour qu'il ne
fût pas dit qu'il était insensible à la misère",
d'un ouvrier communiste, ni de l'électrification en U.R.S.S.,
ni des conversations fructueuses qu'on peut avoir avec les ouvriers
martiniquais, ni Au fait, pourquoi pas des Pyramides d'Egypte
ou de la gravitation universelle?
A insister trop, on finirait par tomber dans la recherche de la
meilleure diversion et par céder à la tentation
d'écrire une nouvelle Misère de la Philosophie
adaptée aux circonstances.
Il reste le drame de l'opinion radicale qui ne trouve la possibilité
de s'intéresser au problème concentrationnaire,
par le truchement de cette controverse, qu'en participant à
la préparation idéologique de la troisième
guerre mondiale, si elle suit l'un, ou de revenir au bolchevisme
par le biais d'un alignement de sophismes, si elle suit les autres.
Le Figaro littéraire et David Rousset s'étant
mis en position d'infériorité en tirant les premiers,
offraient par surcroît une excellente occasion de la rallier.
Mais il n'y avait quelque chance de succès qu'en demeurant
sur le terrain qu'ils avaient choisi, à savoir: le prétexte
et les mobiles.
Le prétexte est une niaiserie. D'une part, le Kremlin [page
226] n'acceptera jamais qu'aucune commission d'enquête sur
le travail forcé circule librement en territoire soviétique.
De l'autre, aucune aide sérieuse ne peut être apportée
aux concentrationnaires russes tant que subsiste le régime
stalinien. Or, je ne fonde mon espoir de le voir disparaître
que sur trois éventualités: ou bien il s'écroulera
de lui-même (ceci s'est déjà vu dans l'Histoire:
la Grèce antique était morte avant que d'être
conquise par les Romains), ou bien il sombrera dans une révolution
intérieure, ou bien, enfin, il sera anéanti dans
une guerre. La Russie étant en plein essor industriel et
semblant limiter avec une grande maîtrise ses ambitions
à ses moyens, les deux premières sont irrémédiablement
exclues pour une très longue période et il ne reste
que la troisième: très peu pour moi, je sors d'en
prendre, et l'expérience qu'on se vante d'avoir si bien
réussie contre Hitler, me suffit.
Le fait que David Rousset étende depuis peu -- et notamment
depuis un récent déjeuner à lui offert par
la presse anglo-américaine -- la mission d'investigation
des enquêteurs "à tous les pays où des
camps de concentration peuvent se trouver", ne change rien
ni au caractère, ni au sens de l'affaire: il y a le titre
qui reste sur le lieu du crime: "Au secours des déportés
soviétiques". Par ailleurs, ni la Grèce, ni
l'Espagne -- ni même la France! -- n'accepteront qu'on vienne
"espionner" chez elles sous couvert d'enquêtes
sur le travail forcé. Il faudrait que l'initiative parte
de l'O.N.U. et soit appuyée par des menaces d'exclusion
pour ceux qui ne voudraient pas se soumettre, ce qui n'est pas
concevable, car il ne resterait plus personne, hormis peut-être
la Suisse qui n'en fait pas partie.
Tout ceci est d'ailleurs bien regrettable, car on ne saura jamais
à quelle place et sur quelle surface Le Figaro littéraire
aurait rendu compte des travaux de la Commission d'enquête
visant les autres pays que la Russie.
On ne peut discerner clairement les mobiles si on ne sait pas
que Le Figaro littéraire est le journal dans lequel
Claude Mauriac, rendant compte d'une pièce de théâtre,
écrivait il y a quelque temps:
ce qui, traduit en clair,
signifie: on en peut dire tout ce qu'on veut, s'ils sont russes,
un peu moins (maintenant!) s'ils [page 227] sont allemands, et
rien du tout s'ils sont grecs, espagnols ou français.
On ne le peut guère mieux si on n'a pas une idée
d'ensemble sur l'oeuvre de David Rousset. Dans L'Univers concentrationnaire,
il présenta les camps comme relevant d'un problème
de régime et on lui fit un succès mérité.
Depuis, dans Les Jours de notre Mort et de nombreux autres
écrits épars, il s'attacha surtout à mettre
en évidence et à louer le comportement des détenus
communistes, articulant des faits non contrôlés,
et qui n'ont pu trouver dans le public cet immense crédit
qu'en raison du trouble et de la confusion nés de la guerre.
Une fois, il s'est risqué dans le document pur, au moyen
de son recueil, Le Pitre ne rit pas, qui met en cause l'Allemagne
seule. Il ne pouvait cependant pas ignorer les camps russes dont
on dit que des documents traduits du russe étaient en vente
en librairie dans les années 1935-1936, et dont par ailleurs
l'existence n'a pu manquer de lui être révélée
aux temps plus lointains encore où il militait dans les
rangs du Trotskysme. De propos délibéré,
donc, il a très efficacement contribué à
créer, sur le plan intérieur, cette atmosphère.
"Embrassons-nous, Folleville", qui a permis aux bolchevistes
dont les méfaits en Russie étaient estompés
ou passés sous silence, de se hisser au pouvoir en France.
Sur le plan extérieur, il a surtout creusé un peu
plus encore le fossé entre la France et l'Allemagne.
Découvrant les camps russes dans la facture que l'on sait,
il ne fait que suivre le mouvement de translation latérale
qui est la caractéristique essentielle de la politique
gouvernementale, depuis le départ de l'équipe Thorez.
Son attitude d'aujourd'hui est la suite logique de celle d'hier
et il était naturel qu'ayant fourni un argument au tripartisme
bolchevisant, il fournisse aux Anglo-Américains la base
idéologique indispensable à une bonne préparation
à la guerre. Il ne l'était pas moins que Le Figaro
littéraire et David Rousset ne finissent par se rencontrer.
Il suffit de remarquer que l'un portant l'autre, leur intervention
concertée venant après les témoignages authentiques
de Victor Serge, Margaret Neuman, Guy Vinatrel, Mon ami Vassia,
etc., ne verse rien au débat, n'apporte rien de neuf qu'une
fois de plus un témoignage sur des événements
non vécus, et ne fait qu'enregistrer la faillite d'une
politique au profit d'une autre qui fera immanquablement faillite,
sinon à nos yeux, du moins devant l'Histoire.
A ces éléments de suspicion qui relèvent,
le premier du machiavélisme d'un journal, le second de
l'aptitude d'un [page 228] homme à modeler son comportement
sur les désirs des maîtres du moment dans les différents
univers qui le comptent tour à tour au nombre de leurs
sujets, s'ajoutent ceux qui ressortissent à l'expérience.
En 1939, et dans les années qui précédèrent,
on a mis de même façon les exactions de l'Allemagne
hitlérienne en évidence. Dans la presse, il n'était
plus question que d'elles. Tout le reste, on l'oubliait: personne
ne se doutait qu'on préparait idéologiquement la
guerre pour laquelle on se croyait matériellement prêt.
Effectivement, on fit la guerre
Aujourd'hui, dans toute la presse, il n'est question que des exactions
de la Russie soviétique sur le plan de l'Humanisme et exclusivement
de celles de la Russie soviétique. On en oublie tout le
reste et principalement les problèmes posés par
la pratique extensible à l'infini du camp de concentration
comme moyen de gouvernement. Les mêmes causes produisant
les mêmes effets.
L'opinion radicale, désabusée par à peu près
tout ce qu'on lui a dit des camps allemands, par la forme dans
laquelle, de part et d'autre, on lui présente les camps
russes, et par le silence qu'on fait sur les autres, pressent
toutes ces choses et semble attendre qu'en les lui faisant toucher
du doigt, on lui tienne le langage de l'objectivité.
Or, en la matière, le langage de l'objectivité n'a
besoin, ni de beaucoup de précautions, ni de beaucoup de
mots. Le cas des camps de concentration, du travail forcé
et de la déportation, ne peut être examiné
que sur le plan humain et dans le cadre de la définition
des rapports de l'Etat et de l'individu. Dans tous les pays, les
camps existent en puissance ou sont là qui changent de
clientèle au hasard des circonstances et au gré
des événements. Tous les hommes en sont menacés
partout, et, pour ceux qui y sont présentement enfermés
il n'y a de chances d'en sortir que dans la mesure où ceux
qui n'y sont pas sont destinés à y entrer.
C'est contre cette menace qu'il faut s'insurger et c'est le camp
lui-même, en soi, qu'il faut viser, indépendamment
de l'endroit où il se trouve, des fins auxquelles il est
utilisé et des régimes qui l'emploient. De la même
façon, que contre la prison ou la peine de mort. Tout particularisme,
toute action qui désigne à la vindicte une nation
plutôt qu'une autre, qui tolère le camp dans certains
cas, explicitement ou par omission calculée ou non, affaiblit
la lutte individuelle ou collective pour la liberté, la
détourne de son sens et nous éloigne du but au lieu
de nous en rapprocher.
Sous cet angle, on mesurera un jour le tort qui fut fait a [page
229]
la cause des Droits de l'Homme quand la IVe République
admit que les collaborateurs, ou réputés tels, fussent
parqués dans des camps, comme le furent les non-conformistes
de 1939 et les résistants de l'occupation.
Pour tenir ce langage, il faut évidemment se soucier assez
peut d'être classé dans le clan des anti-staliniens
ou des anti-américains et il faut avoir assez d'empire
sur soi-même pour séparer dans son esprit, aussi
bien le régime soviétique de la notion de socialisme,
que le régime américain de celle de démocratie:
qu'un des deux régimes soit moins mauvais que l'autre est
indiscutable mais prouve seulement que l'effort à fournir
sera moins grand d'un côté que de l'autre du rideau
de fer Et ce n'est pas une fidélité d'anciens déportés,
laquelle ne peut que placer l'opinion devant le choix à
faire entre deux positions anti ou entre deux positions pro, qu'il
faut invoquer ici: c'est la fidélité d'une élite
à sa tradition qui est de se définir elle-même
à travers sa propre mission, et non d'accomplir celle des
autres.
Mâcon, 15 mai 1950.
FIN
Extrait du livre de Paul Rassinier, Le
Mensonge d'Ulysse, qui est paru d'abord aux Editions
bressanes en 1950. Cette première partie était parue
auparavant sous le titre Passage de la ligne en 1948. L'ensemble
a été plusieurs fois réédité
par différents éditeurs, de droite comme de gauche.
Nous utilisons l'édition procurée en 1980 par La
Vieille Taupe, à Paris. Signalons qu'il existe une traduction
anglaise un peu abrégée (il y manque les trois premiers
chapitres) parue, avec d'autres textes de Rassinier, sous
le titre Debunking the Genocide Myth, parue en 1978 aux
Etats-Unis.
Ce texte a été
affiché sur Internet à des fins purement éducatives,
pour encourager la recherche, sur une base non-commerciale et
pour une utilisation mesurée par le Secrétariat
international de l'Association des Anciens Amateurs de Récits
de Guerre et d'Holocauste (AAARGH). L'adresse électronique
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de l'homme, qui stipule:
ARTICLE 19
<Tout individu a droit à la liberté d'opinion
et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être
inquiété pour ses opinions et celui de chercher,
de recevoir et de répandre, sans considération de
frontière, les informations et les idées par quelque
moyen d'expression que ce soit>
Déclaration internationale des droits de l'homme,
adoptée par l'Assemblée générale de
l'ONU à Paris, le 10 décembre 1948.