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LE MENSONGE D'ULYSSE

de Paul Rassinier

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"Laissez dire; laissez-vous blâmer, condamner, emprisonner; laissez-vous pendre, mais publiez votre pensée. Ce n'est pas un droit, c'est un devoir. La vérité est toute à tous... Parler est bien, écrire est mieux; imprimer est excellente chose Si votre pensée est bonne, on en profite; mauvaise, on la corrige et l'on en profite encore. Mais l'abus? Sottise que ce mot; ceux qui l'ont inventé, ce sont eux vraiment qui abusent de la presse, en imprimant ce qu'ils veulent, trompant, calomniant et empêchant de répondre"

Paul-Louis Courier.


Ecris comme si tu étais seul dans l'Univers et que tu n'aies rien à craindre des préjugés des hommes.

La Mettrie

 

A Albert LONDRES
Hommage posthume

et à JEAN-PAUL
pour qu'il sache que son père n'eut point de haine


Avec une grande abondance de détails et plus ou moins de bonheur ou de talent, un certain nombre de témoins ont fait, depuis la Libération, le tableau des horreurs des camps de concentration. II ne peut avoir échappé à l'opinion que l,imagination du romancier, Les excès de lyrisme du poète, la partialité intéressée du politicien ou les relents de haine de la victime, servent tour à tour ou de concert, de toile de fond aux récits jusqu'ici publiés. J'ai pensé, pour ma part, que le moment était venu d'expliquer ces horreurs avec la plume froide, désintéressée, objective, à la fois impartiale et impitoyable, du chroniqueur -- témoin, lui aussi, hélas! -- uniquement préoccupé de rétablir la vérité à l'intention des historiens et des sociologues de l'avenir.

P.R.

***

PROLOGUE

 

[ Partie intégrante de la première édition de Passage de la Ligne (1918).]

 

Bâle, 19 juillet. -- Buchenwald, que l'on croyait relégué au rang des mauvais souvenirs laissés par la pègre nazie, est redevenu un camp de la mort lente, où s'éteignent les individus jugés dangereux pour le régime. Avec sept autres camps -- dont les plus tristement fameux sont ceux d'Orianenburg et de Torgau -- il abriterait environ 10.000 déportés.

Deux journalistes danois qui, au risque de leur vie, ont pu entrer en contact avec les prisonniers, rapportent des scènes effarantes. A Torgau, par exemple, dans des cases de 25 mètres carrés, sont entassées, comme des bêtes, de 10 à 18 personnes, dans des conditions d'hygiène pitoyables. Pour tout repas, on sert à ces malheureux une soupe et un morceau de pain sec. Plusieurs rescapés ont expliqué qu'ils avaient été arrêtés en pleine nuit par des militaires russes qui opéraient en collaboration avec la police allemande, et soumis, pendant des heures, sous la lumière intense des projecteurs, aux violences dont on pensait que les Allemands détenaient seuls le secret.

Militaires, anciens fonctionnaires, nazis, gros propriétaires terriens, directeurs d'usines et intellectuels, sont particulièrement visés.

(Les Journaux, 20 juillet 1947.)

Londres, 21 juillet (Reuter). -- Le Comité central de l'E.A.M. a informé les gouvernements américain, russe, britannique et français, ainsi que le Conseil de Sécurité de la Fédération syndicale mondiale, que les quinze mille personnes récemment arrêtées et déportées par le Gouvernement central de Grèce, se trouvaient actuellement dans différentes îles, sans abris et sans nourriture.

Le message de l'E.A.M. dit notamment: Nous prenons à témoin le monde civilisé en lui demandant de nous prêter son appui pour mettre un terme aux souffrances du peuple grec. La situation qui existe dans ce pays est une honte pour la civilisation."

(Les Journaux, 22 juillet 1947.)

Washington, 20 août. -- Des rapports récemment parvenus de Roumanie au Département de l'Etat ont révélé que près de 2000 victimes de la récente rafle des dirigeants des partis de l'opposition, qui s'est étendue à tout le pays et a été dirigée par le régime Groza, contrôlé par les communistes, se trouvent actuellement dans des prisons ou dans des camps de concentration où ils sont soumis à des traitements cruels et inhumains, apparemment "dans un but d'extermination".

(Les Journaux, 22 août 1947.)

"Désireux de jeter un coup d'oeil sur les prisonniers qui se rendaient à leur travail, je me levai de bonne heure. Une pluie froide tombait. Un peu après six heures, je vis arriver un contingent d'environ quatre cents prisonniers des deux sexes, ils marchaient en colonne par dix, sous bonne garde, et se dirigeaient vers les ateliers secrets.

"Il y avait des années que je voyais des malheureux de cet acabit et je ne pensais pas qu'il m'était réservé de contempler un jour des créatures d'un aspect plus tragique encore que celles que j'ai vues dans l'Oural ou en Sibérie. L'horreur avait ici quelque chose de proprement diabolique et dépassait tout ce qu'on pouvait imaginer. Les visages exsangues et d'une horrible couleur jaunâtre des détenus ressemblaient à des masques mortuaires. On eût dit des cadavres ambulants, empoisonnés par les produits chimiques qu'ils manipulaient dans leur affreux purgatoire souterrain.

"Parmi eux, il y avait des hommes et des femmes qui pouvaient bien avoir cinquante ans et plus, mais aussi des jeunes ayant à peine dépassé leur vingtième année. Ils allaient dans un silence accablé, comme des automates, sans regarder autour d'eux, ils étaient vêtus d'une façon effarante. Plusieurs d'entre eux portaient des galoches de caoutchouc attachées avec des ficelles, d'autres avaient les pieds enveloppés de chiffons. Certains étaient affublés de vêtements de paysans; quelques femmes portaient des manteaux d'astrakan déchirés, et je reconnus sur certains prisonniers les vestiges de vêtements de bonne qualité et de provenance étrangère. Au moment où la sinistre colonne passait devant l'immeuble d'où je l'observais, une femme s'affaissa soudain. Deux gardes la tirèrent hors des rangs, mais pas un des prisonniers n'eut l'air de s'en apercevoir. Toute sympathie, toute réaction humaine étaient mortes en eux.

"Mais peut-être des hommes de bonne foi se demanderont-ils s'il ne s'agit pas là de situations exceptionnelles, de faits atroces mais isolés. Jusque dans les milieux ouvriers les plus sincères, des hommes ont cru voir à être ainsi persécutés en Russie, uniquement une minorité de mécontents, minorité qui serait très restreinte. Or, il est impossible à tout esprit se refusant au parti-pris, de ne pas apercevoir le caractère d'extension, de tendance vers la généralisation du travail forcé qui s'affirme en Russie."

Voici les données de Kravchenko quant à la masse humaine qui est l'objet de ce travail forcé:

"D'autres contingents, arrivant de différentes directions, se rendaient a l'enfer souterrain. Ils venaient des colonies du N.K.V.D., cachées au loin, dans les forêts, à plusieurs kilomètres de distance. Le soir, je vis une colonne deux fois plus longue que celle du matin, qui pataugeait dans la boue et sous la pluie, en route pour le travail de nuit.

Je ne fus pas autorisé à descendre sous terre et, en vérité, je n'en avais guère envie, mais les conversations que j'eus pendant les deux journées que je passai là, me permirent de me faire une idée assez précise de toute la misère qui régnait dans cet endroit. L'usine souterraine était mal aérée, ayant été construite en plein affolement et sans qu'on se souciât le moins du monde de la santé des ouvriers. Après quelques semaines passées à respirer ses vapeurs nocives et sa puanteur, l'organisme humain était empoisonné à jamais. Le taux de la mortalité était extrêmement élevé. L'usine consommait la "matière humaine" presque aussi vite que les matières premières qu'elle transformait.

"Le directeur de l'entreprise était un communiste au visage rébarbatif, qui portait sur sa tunique je ne sais quel ordre et toute une rangée de décorations. Lorsque j'en vins à l'interroger sur ses ouvriers, il me regarda d'une façon étrange, comme si je lui eusse demandé des nouvelles d'un lot de mules destinées à l'équarrissage."

(V. A. Kravchenko, J'ai choisi la Liberté)

Lyon, 15 juin. -- Le Commissaire Jovin a été écroué, l'enquête menée à son sujet ayant établi que le prévenu Y était mort de coups reçus pendant son interrogatoire.

(Les Journaux, 16 juin 1947.)

Paris, 31 juillet. -- Vingt-deux femmes détenues pour des peines légères ont trouvé la mort hier soir, vers 23 heures, dans un incendie qui, pour des causes encore indéterminées, s'est déclaré dans le dortoir-atelier 12 de la prison des Tourelles.

L'ex-caserne des Tourelles, située boulevard Mortier, à la Porte des Lilas, n'était pas faite pour abriter des détenus. Construction lamentable, elle avait été depuis longtemps abandonnée par la troupe, et ce n'est qu'aux Allemands qu'elle dut son utilisation. Construction lépreuse et pratiquement dépourvue de toute installation sanitaire, l'ennemi y entassa pendant des années les patriotes qu'il allait déférer aux cours spéciales. Puis, à la Libération, les coupables étaient incarcérés par milliers: aux premiers jours de l'épuration, les autorités françaises expédièrent là de nombreux collaborateurs. Les geôles étaient trop peu nombreuses alors. Mais cela remonte à trois ans.

Depuis, avait-on apporté quelque changement à la détention des jeunes, hommes et femmes, inacceptables par Fresnes ou la Petite Roquette? Aucune. Les détenues vivaient là dans des dortoirs (comportant des lits à étages identiques à ceux des P.G. en Allemagne), séparés par des cloisons en planches, le bois étant le matériau principal de la construction.

Cette prison, qui occupe le bâtiment central de la caserne, abrite actuellement 380 détenus, employés dans la journée à des travaux manuels consistant à confectionner des colliers de paillettes de celluloïd et de matière plastique.

Par groupes de 25 ou 30, ces femmes, il faut le souligner, toutes prévenues de menus délits, sont enfermées de 7 heures du soir à 9 heures du matin.

Or, hier soir, vers 22 h 15, un passant aperçut dans la rue de longues flammes qui apparurent immédiatement après une courte explosion et donna l'alarme, cependant que les détenues affolées se cramponnaient aux barreaux des fenêtres en appelant au secours.

Les gardiens, par veulerie, lâcheté, ou afin de se conformer aux ordres qu'ils avaient reçus, refusèrent d'ouvrir les portes, et ce furent les soldats du centre de rassemblement du personnel 202 (C.R.A.P.) qui durent enfoncer les portes du dortoir-atelier n· 12, situé au premier étage, pour se porter au secours des malheureuses.

Mais cette manoeuvre prit du temps, et lorsque les soldats purent entrer, ils ne trouvèrent que 21 cadavres. Seule une 22e détenue, atrocement brûlée, vivait encore, mais, transportée à l'hôpital Tenon, elle ne tarda pas à succomber à son tour.

(Les Journaux, 1er août 1947.)

Ceux de l'Exodus, jetés d'une cage à l'autre, roulent dans les camps -- Quelle détresse et quelle rage se peignent sur les visages de ces émigrants crispés aux barreaux de leurs cages, cependant que, sur la passerelle du navire, les soldats assomment ceux qui résistent. Dans une bagarre furieuse, les soldats assomment les émigrants du" Runnymede-Park" qui se refusaient à débarquer à Hambourg A coups de matraque, on persuade les émigrants de descendre des bateaux-cages, etc., etc.

(Les Journaux, 9 et 10 septembre 1947.)

Après la mutinerie du camp de La Noë. -- Au cours de son évasion du camp de détenus politiques de La Noë, a 30 km de Toulouse, Roger Labat, ex-capitaine de corvette, interné pour faits de collaboration, a été tué d'une balle en plein coeur par un gardien M. Amor, directeur de l'administration pénitentiaire, a déclaré: "Le détenu s'était déjà rendu aux gardiens lorsqu'il fut abattu. Il y a donc eu meurtre."

(Les Journaux, 18 septembre 1947).

La Rochelle, 18 octobre 1948. -- Instruit de faits scandaleux dont il s'était rendu coupable l'ancien officier Max-Georges Roux, 36 ans, qui fut adjoint au commandant du camp de prisonniers allemands de Châtelaillon-Plage, le juge d'instruction de La Rochelle en a saisi le tribunal militaire de Bordeaux où Roux a été transféré. L'ancien officier purge actuellement une peine de 8 mois de prison, qui lui fut. infligée en août dernier à La Rochelle, pour abus de confiance et escroqueries au préjudice de diverses associations.

Infiniment plus graves sont les délits commis par Roux au camp de prisonniers. Il s'agit de crimes authentiques et d'une telle ampleur qu'il apparaît difficile que Roux en porte seul la responsabilité devant les juges. A Chatelaillon, l'ignoble personnage avait fait notamment dévêtir plusieurs P.G. et les avait battus à coups de cravache plombée. Deux des malheureux succombèrent à ces séances de knout.

Un témoignage accablant est celui du médecin allemand Clauss Steen, qui fut interné à Chatelaillon. Interrogé à Kiel, où il habite, M. Steen a déclaré que, de mai à septembre 1945, il avait constaté au camp de P.G. les décès de cinquante de ses compatriotes. Leur mort avait été provoquée par une alimentation insuffisante, par des travaux pénibles et par la crainte perpétuelle dans laquelle les malheureux vivaient d'être torturés.

Le régime alimentaire du camp, qui était placé sous les ordres du commandant Texier, consistait, en effet, en une assiette de soupe claire, avec un peu de pain. Le reste des rations allait au marché noir. Il y eut une période où le pourcentage de dysentériques atteignit 80 p. 100.

Texier et Roux, avec leurs subordonnés, procédaient, en outre, à des fouilles sur leurs prisonniers, leur enlevant tous leurs objets de valeur. On évalue à cent millions le montant des vols et des bénéfices effectués par les gangsters à galons, qui avaient si bien organisé leur affaire que les billets de banque et les bijoux étaient envoyés directement en Belgique, par automobile.

On veut espérer qu'avec Roux les autres coupables seront bientôt incarcérés au fort du Hâ et qu'une sanction exemplaire sera prise contre ces véritables criminels de guerre.

(Les Journaux, 19 octobre 1948.)

Au cours de l'année 1944, une jeune femme de nationalité serbe, Yella Mouchkaterovitch, née le 11 janvier 1921, a Lyon, avait été abattue par la Résistance pour avoir dénoncé par lettre onze personnes de Pont-de-Veyle. Quelques jours plus tard, son bébé de 8 mois était abattu à son tour dans l'écurie d'une ferme, au hameau de Mons, à Grièges.

La police mobile de Lyon appréhenda, au mois de mars, deux des auteurs de ce meurtre: Gaston Convert, 31 ans, rue du Tonkin, à Lyon, et Louis Chambon, 37 ans, originaire de Grand-Croix (Loire), propriétaire de l'Hôtel de la Gare, à Pont-de-Veyle.

Le Parquet de Bourg vient d'être dessaisi de cette affaire au bénéfice du Tribunal militaire. Les deux prévenus ont été transférés à la prison de Montluc.

(Les Journaux, 28 avril 1948.)

Se rendant parfaitement compte que tout le parti communiste est compromis par l'affaire Gastaud, ses dirigeants marseillais ont essayé avec violence de justifier l'assassinat du commissaire de l'Estaque. Non sans quelque maladresse d'ailleurs.

Ils ont organisé en faveur de Marchetti un meeting de "masses", au cours duquel un orateur a eu le front de déclarer:

-- Gastaud était "impopulaire", et la population lui aurait fait un mauvais parti si on le lui avait livré

Marchetti s'est contenté de lui tirer une balle dans la nuque après lui avoir fait couper la langue et brûler les organes sexuels avec la flamme d'une bougie.

(Les Journaux, 27 octobre 1948.)

Le camp de concentration de Buchenwald, en zone soviétique, reçoit, depuis le 14 septembre, de nouveaux détenus.

Les nouveaux prisonniers sont arrivés à la gare de Weimar dans trente-six wagons de marchandises. Chaque wagon contenait de 40 à 50 hommes et femmes de tous âges, ainsi que des enfants et des vieillards, les prisonniers se sont rendus à pied de Weimar au camp de concentration.

Bien que les rues aient été évacuées sur l'ordre de la police soviétique, les détenus cherchaient à ameuter la population en criant qu'ils étaient membres de partis démocratiques de Berlin.

Les jours qui suivirent, quatorze trains, comprenant 30 à 40 wagons, ont conduit directement les détenus de Weimar au camp de Buchenwald.

(A. F. P., 11 novembre 1948.)

Treize cents personnes déplacées, vivant dans le camp de Dachau (zone américaine), ont demandé aujourd'hui au gouvernement de Bavière de les asphyxier dans les chambres à gaz utilisées par les nazis "pour que leurs misères prennent fin".

Pour attirer l'attention sur leur sort et protester contre leurs conditions d'existence, les réfugiés ont déjà hier fait la grève de la faim.

(Reuter, 14 novembre 1948.)

Il existe dans le Sud-Algérien, exactement à Aïn-Sefra, un camp où l'on a parqué, pêle-mêle, des condamnés de droit commun et de jeunes condamnés des Cours de justice qui, ayant purgé leur peine, doivent accomplir leur service militaire. Ce n'est pas, bien sûr, un camp de "déportés". C'est un camp d'"exclus". Nuance!

(Carrefour, 2 décembre 1948.)

Etc., etc.

Voici maintenant deux opinions:

Après la Libération, les détenus politiques se sont comptés par dizaine de milliers, voire, au début, par centaines de milliers. Ils ont été entassés dans des camps dont l'organisation est déplorable, dans des conditions qu'on a le droit de dire insupportables. Si le public connaissait ces conditions, il sortirait sans doute de son indifférence, qu'on lui reproche souvent, qui est en effet blâmable mais qui, le plus souvent, tient à son manque d'information Le nombre et la condition de ces détenus posent un problème angoissant du quadruple point de vue du christianisme, de la justice, de la concorde nationale et du relèvement du pays.

(Journal de Genève, 19 février 1949.)

 

Puisque les camps demeurent, gris et grouillants abattoirs, nous sommes encore dans les camps.

La pensée que d'autres hommes, en ce présent instant, rampent sous les mêmes fouets, tremblent sous les mêmes froids, meurent sous les mêmes faims, est-ce pour nous une pensée supportable, pour nous qui savons?

Léon MAZAUD (Bulletin de la Fédération des Déportés de la Résistance, mars 1949.)

 

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Première partie

L'EXPERIENCE VECUE *

* Paru en 1948 sous le titre Passage de la ligne.]

 

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CHAPITRE I

UN GROUILLEMEMT D'HUMANITES DIVERSES
AUX PORTES DES ENFERS


Six heures du matin: au jugé. Nous sommes là, une vingtaine d'hommes de tous âges et de toutes conditions, tous Français, affublés des plus invraisemblables oripeaux et sagement assis autour d'une grande table à tréteaux. Nous ne nous connaissons pas et nous n'essayons pas de faire connaissance. Muets ou à peu près, nous nous contentons de nous dévisager et de chercher, quoiqu'avec paresse, à nous deviner mutuellement. Nous sentons que, liés à un sort désormais commun, nous sommes destinés à vivre ensemble une épreuve douloureuse et qu'il faudra bien nous résigner à nous livrer les uns aux autres, mais nous nous comportons comme si nous voulions le plus possible en retarder le moment: la glace a peine a se rompre.

Absorbés chacun par son propre soi-même, nous essayons de reprendre nos esprits, de réaliser ce qui vient de nous arriver: trois jours et trois nuits a cent dans le wagon, la faim, la soif, la folie, la mort; le débarquement dans la nuit, sous la neige, au milieu des claquements de revolvers, des hurlements des hommes et des aboiements des chiens, sous les coups des uns et les crocs des autres; la douche, la désinfection, la "cuve à pétrole", etc. Nous en sommes tout abrutis. Nous avons l'impression que nous venons de traverser un No man's land, de participer a une course d'obstacles plus ou moins mortels, savamment gradués et méticuleusement minutés.

Après le voyage et sans transition, une longue enfilade de halls, de bureaux et de couloirs souterrains, peuplés d'êtres étranges et menaçants, ayant chacun sa non moins étrange et humiliante formalité. Ici, le portefeuille, l'alliance, la montre, le stylo; ici, la veste, le pantalon; là le caleçon, les chaussettes, la chemise; en dernier lieu le nom: on nous a tout volé. Puis le coiffeur qui a fait coupe blanche dans tous les coins, le bain de crésyl, la douche. Enfin l'opération inverse: à ce guichet, une chemise en lambeaux, à celui-ci un caleçon à trous, à cet autre un pantalon rapiécé, et ainsi de suite jusqu'aux claquettes et à la bande qui porte le matricule en passant par la redingote élimée ou la vareuse hors d'usage, et le bonnet russe ou le chapeau bersaglier. On ne nous a redonné ni un portefeuille, ni une alliance, ni un stylo, ni une montre.

-- C'est comme à Chicago, a laissé tomber en brandissant son numéro, l'un d'entre nous qui voulait faire un mot: à l'entrée de l'usine ils sont cochons, à la sortie boîtes de conserves. Ici, on entre en homme et on sort numéro.

Personne n'a ri: entre le cochon et la boîte de conserves de Chicago, il n'y a sûrement pas plus de différence qu'entre ce que nous étions et ce que nous sommes devenus.

Quand nous sommes arrivés, tout ce premier groupe, dans cette grande salle claire, propre, bien aérée, à première vue confortable, nous avons éprouvé comme un soulagement: le même, sans doute, qu'Orphée remontant des Enfers. Puis, nous nous sommes laissé aller à nous-mêmes, à nos préoccupations, à celle qui domine et refrène toute envie de spéculations intérieures et qui se lit dans tous les yeux:

-- Aurons-nous à manger aujourd'hui? Quand pourrons-nous dormir?

Nous sommes à Buchenwald, Block 48, FIügel a. Il est six heures du matin: au jugé. Et c'est dimanche -- Dimanche 30 janvier 1944. Sombre dimanche.

* * * * *

Le Block 48 est en pierre -- bâti en pierre, couvert en tuiles -- et, contrairement à presque tous les autres qui sont en planches, il comprend un rez-de-chaussée et un étage. Aisances et commodités en haut et en bas: toilettes avec deux grandes vasques circulaires à dix ou quinze places, et jet d'eau retombant en douches, w.-c. avec six places assises et six debout. De chaque côté, communiquant par un entre-deux, un réfectoire (Ess-Saal) avec trois grandes tables à tréteaux, et un dortoir (Schlaf-Saal) qui contient trente ou quarante châlits en étage. Un dortoir et un réfectoire jumelés composent une aile ou Flügel: quatre Flügel, a et b au rez-de-chaussée, c et d à l'étage. Le bâtiment couvre environ cent vingt à cent cinquante mètres carrés, vingt à vingt-cinq de long sur cinq à six de large: le maximum de confort dans le minimum d'espace.

Hier, en prévision de notre arrivée, on a vidé le Block 48 de ses occupants habituels. Il n'est resté que le personnel administratif qui fait corps avec lui: le Blockältester ou doyen, c'est-à-dire le chef de Block, son Schreiber ou comptable, le coiffeur et les Stubendienst -- deux par Flügel -- ou hommes de chambrée. En tout, onze personnes. Maintenant et depuis l'aube, il s'emplit à nouveau.

Notre groupe, qui est arrivé le premier, a été casé dans le Flügel même du chef de Block. Petit a petit, il en arrive d'autres. Petit à petit aussi, l'atmosphère s'anime. Des compatriotes arrêtés en même temps ou dans la même affaire se retrouvent. Les langues se délient. Pour ma part, j'ai retrouvé Fernand qui vient s'asseoir à côté de moi.

Fernand est un de mes anciens élèves, un ouvrier solide et consciencieux. Vingt ans. Sous l'occupation, il s'est tout naturellement tourné vers moi. Nous avons fait le voyage, enchaînés l'un à l'autre jusqu'à Compiègne, et à Compiègne déjà, nous avions formé un îlot sympathique parmi les dix-sept arrêtés dans la même affaire que nous. A vrai dire, nous les avions plaqués: d'abord, il y avait celui qui s'était mis à table à l'interrogatoire; ensuite, l'inévitable sous-officier de carrière devenu agent d'assurances et qui, en même temps qu'il s'était décoré de la Légion d'honneur, avait jugé indispensable à sa dignité de se promouvoir de lui-même au grade de capitaine. Enfin, il y avait les autres, tous gens rangés et sérieux, dont le silence et le regard disaient à chaque instant la conscience qu'ils avaient de s'être mis dans un mauvais cas. L'agent d'assurances, surtout, nous agaçait avec sa mégalomanie, ses manières grandiloquentes, ses airs entendus d'être dans le secret des dieux, et les bobards bêtement optimistes dont il ne cessait de nous abreuver.

-- Viens, m'avait dit Fernand, c'est pas des gens de not'monde.

A Buchenwald, où nous étions arrivés dans le même wagon, nous nous sommes à nouveau accrochés l'un à l'autre, et nous avons profité d'un moment d'inattention du groupe pour filer à l'anglaise et offrir nos personnes l'une derrière l'autre à ce qu'il faut quand même appeler les formalités d'écrou. Un instant séparés, nous nous sommes retrouvés ensemble ici.

A huit heures du matin, il ne reste pas la place pour caser un oeuf autour des tables, et les bavardages, si bruyants qu'ils incommodent le chef de Block et les Stubendienst, vont leur train. Les présentations se font, les professions s'annoncent, les unes aux autres par dessus les têtes, accompagnées des postes occupés dans la résistance: des banquiers, de gros industriels, des commandants de vingt ans, des colonels à peine plus âgés, des grands chefs de la résistance ayant tous la confiance de Londres et détenant ses secrets, en particulier la date du débarquement. Quelques professeurs, quelques prêtres qui se tiennent timidement à l'écart. Peu s'avouent employés ou simples ouvriers. Chacun veut avoir une situation sociale plus enviable que celle du voisin, et surtout avoir été chargé par Londres d'une mission de la plus haute importance. Les actions d'éclat ne se comptent pas. Nos deux modestes personnes s'en trouvent écrasées

-- Du gratin, de la haute volée Mazette, me glisse Fernand à l'oreille et tout, tout bas.

Au bout d'un quart d'heure, vraiment gênés, nous éprouvons une irrésistible envie de pisser. Dans l'entre-deux qui conduit aux w.-c, une conversation très animée à cinq ou six. En passant, nous entendons agiter des millions.

-- Dieu, dans quel milieu sommes-nous donc tombés ?

Aux w.-c. toutes les places sont occupées, on fait la queue et nous sommes obligés d'attendre. Au retour, une bonne dizaine de minutes après, le même groupe est toujours dans l'entre-deux et la conversation roule toujours sur les millions. Il est question de quatorze maintenant. Nous voulons en avoir le coeur net et nous nous arrêtons; c'est un pauvre vieux qui se répand en lamentations sur les sommes fabuleuses que son séjour au camp lui fera perdre.

-- Mais enfin, Monsieur, risqué-je, qu'est-ce que vous faites donc dans le civil pour manipuler des sommes pareilles? Vous devez avoir une situation considérable.

J'ai pris un air de commisération admirative pour dire cela,

-- Ah! Mon pauvre Monsieur, ne m'en parlez pas: ça !

Et il me montre les claquettes qu'il a aux pieds. Je n'ai pas la force de ne pas éclater de rire. Il ne comprend pas et il recommence pour moi ses explications.

-- Vous comprenez, ils m'en ont d'abord commandé mille paires qu'ils sont venus chercher sans contrôler ni le nombre, ni les factures. Puis mille autres paires, puis deux mille, puis cinq mille, puis... Ces temps derniers, les commandes affluaient. Et jamais ils ne contrôlaient. Alors, j'ai commencé à tricher un peu sur les quantités, puis sur les prix. Dame: plus on leur prenait d'argent, plus on les affaiblissait, et plus on facilitait la tâche des Anglais. Ces sales boches, tout de même! Un beau jour, ils ont collationné les factures et les comptes rendus de leurs réceptionnaires: il faut s'attendre à tout de la part de ces gens-là. Ils ont trouvé qu'ils avaient été volés d'une dizaine de millions. Alors ils m'ont envoyé ici. Directement. Et sans le moindre jugement, Monsieur. Mais vous vous rendez compte: moi, un voleur ? Ruiné, je vais être ruiné. Monsieur! Et sans le moindre jugement

Il est vraiment scandalisé. Très sincèrement, il a l'impression qu'il a accompli un acte d'un patriotisme indiscutable et qu'il est, comme tant d'autres, la victime d'un déni de justice. Les autres compatissent manifestement à sa douleur. L'un d'eux enchaîne sans sourciller:

-- C'est comme moi, Monsieur, j'étais intendant économique dans la ...
-- Allez, viens, me dit Fernand, tu vois bien !

* * * * *

Les jours passent. Nous nous familiarisons, autant que faire se peut, avec notre nouvelle vie.

D'abord, nous apprenons que nous sommes ici pour travailler, que nous serons très prochainement affectés à un kommando vraisemblablement extérieur au camp et qu'alors nous partirons "en transport". En attendant, nous resterons en quarantaine trois ou six semaines, selon qu'il se déclarera ou non parmi nous une maladie épidémique.

Ensuite, on nous donne connaissance du régime provisoire auquel nous seront soumis. Pendant la quarantaine, interdiction absolue de quitter le Block ou sa petite cour d'ailleurs entourée de barbelés. Tous les jours, réveil à quatre heures et demie, -- en "fanfare", par le Stubendienst, gummi a la main pour ceux qui seraient tentés de traînasser -- toilette au pas de course, distribution des vivres pour la journée (250 g de pain, 20 g de margarine, 50 g de saucisson ou de fromage blanc ou de confiture, un demi-litre de café-ersatz non sucré), appel à cinq heures et demie et qui durera jusqu'a six heures et demie ou sept heures. De sept à huit heures, corvées de nettoyage du Block. Vers onze heures, nous toucherons un litre de soupe de rutabagas, et vers seize heures, le café-trink. A dix-huit heures, nouvel appel qui pourra durer jusque vers vingt-et-une heures, rarement au-delà, mais ordinairement jusqu'à vingt heures. Puis coucher. Entre-temps, livrés à nous-mêmes, nous pourrons, assis autour des tables et à condition de n'être pas trop bruyants, nous raconter nos petites histoires, nos découragements, nos craintes, nos appréhensions et nos espoirs.

En fait, du matin au soir, la conversation roulera sur la date de la cessation éventuelle des hostilités et la façon dont elles prendront fin: l'opinion générale est que tout sera fini dans deux mois, l'un d'entre nous ayant gravement annoncé qu'il avait reçu un message secret de Londres lui donnant le début de mars comme date certaine du débarquement.

Progressivement, Fernand et moi, nous faisons connaissance avec notre entourage, tout en gardant nos distances et en restant sur la réserve. En deux jours, nous avons acquis la certitude que la moitié au moins de nos compagnons d'infortune ne sont pas ici pour les motifs qu'ils avouent, et qu'en tout cas ces motifs n'ont qu'une parenté assez lointaine avec la résistance: le plus grand nombre des victimes nous paraît venir du marché noir.

Ce qui est plus compliqué, c'est de saisir le rythme de la ronde dans laquelle nous venons d'entrer. Par la personne interposée d'un Luxembourgeois qui sait à peine le français, le chef de Block nous fait bien des discours explicatifs tous les soirs à l'appel, mais Ce chef de Block est le fils d'un ancien député communiste au Reichstag, assassiné par les nazis. Il est communiste, il ne s'en cache pas -- ce qui m'étonne -- et l'essentiel de ses palabres consiste dans l'affirmation réitérée que les Français sont sales, bavards comme des pies, et paresseux; qu'ils ne savent pas se laver et que ceux qui l'écoutent ont la double chance d'être arrivés au moment où le camp était devenu un sanatorium, et d'avoir été affectés à un Block dont le chef soit un politique au lieu d'être un droit commun. On ne peut pas dire que ce soit un mauvais garçon: il y a onze ans qu'il est enfermé et il a pris les habitudes de la maison. Rarement il frappe: ses manifestations de violence consistent généralement en vigoureux "Ruhe1" lancés au milieu de nos bavardages et suivis d'imprécations dans lesquelles il est toujours question de Krematorium. Nous le craignons, mais nous craignons plus encore ses Stubendienst russes et polonais.

Du reste du camp, nous ne savons rien ou presque, notre champ d'investigations se limitant aux quatre Flügel du Block. Nous pressentons qu'on travaille autour de nous, que le travail est dur, mais nous n'avons que radio-bobard pour nous fixer sur sa nature. Par contre, nous connaissons très rapidement tous les coins et recoins de notre Block et de ses occupants. Il y a de tout, là-dedans: des aventuriers, des gens d'origine et de condition sociales mal définies, des résistants authentiques, des gens sérieux, des Crémieux, le Procureur du Roi des Belges, etc. Inutile de dire que Fernand et moi, nous n'éprouvons pas le désir de nous agglutiner à l'un quelconque des groupes d'affinités qui se sont constitués.

* * * * *

La première semaine a été particulièrement pénible.

Parmi nous il y a des éclopés, des mutilés d'une jambe ou des deux, des estropiés congénitaux qui ont dû laisser leurs cannes, leurs béquilles ou leurs jambes artificielles à l'entrée, en même temps que leur portefeuille ou leurs bijoux: ils se traînent lamentablement, on les aide ou on les porte. Il y a aussi de grands malades à qui on a pris les médicaments indispensables qu'ils portaient toujours sur eux: ceux-là, incapables de s'alimenter, meurent lentement. Et puis, il y a la grande révolution provoquée dans tous les organismes par le changement brutal de la nourriture et sa tragique insuffisance: tous les corps se mettent à suppurer, le Block est bientôt un vaste anthrax que des médecins improvisés ou sans moyens soignent ou font semblant de soigner. Enfin, sur le plan moral, des incidents inattendus rendent plus insupportable encore la promiscuité qui nous est imposée: l'intendant économique avec grade de colonel s'est fait prendre alors qu'il dérobait le pain d'un malade dont il avait voulu être l'infirmier; une violente dispute a opposé le Procureur du Roi des Belges à un Docteur, à propos du partage du pain; un troisième qui se promenait de groupe en groupe en brandissant sa qualité de Préfet pour après la Libération, a été surpris en train de prélever sur la ration commune au moment de son arrivée au BIock, etc. Nous sommes à la Cour des Miracles.

Tout cela provoque le réveil des philanthropes: il n'y a pas de Cour des Miracles sans philanthropes et la France, riche en ce domaine, en a forcément exporté ici qui ne demandent qu'à rendre leur dévouement ostensible, et si possible rémunérateur. Un beau jour ils jettent un regard de commisération hautaine sur cette masse d'hommes en haillons, abandonnés à toutes les constructions de l'esprit, et victimes possibles de toutes les perversions. Notre niveau moral leur paraît en danger et ils volent à son secours car, dans une aventure comme celle-ci, le facteur moral est essentiel. C'est ainsi dans la vie: il y a des gens qui en veulent à votre pain, d'autres à votre liberté, d'autres à votre moral.

Un Lyonnais, qui se dit rédacteur en chef de L'Effort, -- voyez référence! -- un colonel, si j'ai bonne mémoire, un haut fonctionnaire du ravitaillement et un petit boiteux qui se dit communiste, mais que les Toulousains accusent de les avoir donnés à la Gestapo lors de son interrogatoire, mettent sur pied un programme de tours de chants et de conférences sur des sujets divers. Jusqu'au dimanche, nous entendons un exposé sur la syphilis des chiens, un autre sur la production pétrolifère dans le monde, et le rôle du pétrole après la guerre, un troisième sur l'organisation comparée du travail en Russie et en Amérique: ces discours n'arrivent pas jusqu'à nous

Le dimanche, un programme suivi de trois à six, avec régisseur. Une dizaine de volontaires y sont allés chacun de "la sienne", les sentiments les plus divers sont remontés du fond des âmes, les personnalités les plus variées se sont affirmées: du Violon brisé au Soldat alsacien en passant par G.D.V., Margot reste au village, et Coeur de Lilas. Les gauloiseries les plus osées, les monologues les plus cocasses aussi. Ces pitreries jurent avec l'endroit, le public, la situation dans laquelle nous nous trouvons, et les préoccupations qui devraient être les nôtres: décidément, les Français méritent bien la réputation de légèreté que le monde leur a faite.

"Je sais une église au fond d'un hameau"

Des larmes montent aux yeux de tous, les visages reprennent des airs d'humanité, ces désaxés redeviennent des hommes. Je réalise ce que "le lent Galoubet de Bertrandou, le Fifre ancien Berger", fut pour les Cadets de Gascogne de Cyrano de Bergerac. Je pardonne aux philanthropes et, sur le champ, je voue une reconnaissance éternelle à Jean Lumière.

* * * * *

La deuxième semaine, changement de décor: il y a encore des formalités à accomplir. Le lundi matin, les infirmiers font irruption dans le Block, la lancette à la main: les vaccinations. Tout le monde à poil dans le dortoir; au retour dans le réfectoire, on est cueilli au passage, piqué à la chaîne. L'opération se répète trois ou quatre fois, à quelques jours d'intervalle. L'après-midi, c'est le politische Abteilung -- bureau politique du camp -- qui opère une descente et procède à un interrogatoire serré sur l'état civil, la profession, les convictions politiques, les raisons de l'arrestation et de la déportation: ça prend trois ou quatre jours à cheval sur les vaccinations et la "corvée de m".

La corvée de m...: ah! mes amis! Toutes les défécations des quelque trente à quarante mille habitants du camp convergent dans un contre-bas qui fait cône de déjection. Comme il faut que rien ne se perde, tous les jours, un kommando spécial répand la précieuse denrée sur des jardins qui dépendent du camp et produisent des légumes pour les S.S. Depuis que les convois d'étrangers affluent à jet continu, les détenus allemands qui ont la direction administrative du camp ont imaginé de faire faire ce travail par les nouveaux arrivés: ça leur tient lieu de la traditionnelle farce qu'on fait aux bleus dans les casernes de France, et ça les amuse énormément. Cette corvée est des plus pénibles: les détenus, attelés deux à deux à une "trague" (bassin en bois en forme de tronc de pyramide à base rectangulaire), contenant la chose, tournent en rond, du réservoir aux jardins, comme des chevaux de cirque, pendant douze heures consécutives, dans le froid, dans la neige, et, le soir, rentrent au Block, fourbus et empuantis.

Un jour, on nous annonce que, sans que nous soyons pour autant affectés à un kommando, notre Block devra fournir chaque matin et chaque après-midi, pendant tout le reste de la quarantaine, une corvée de pierres. Le chef de Block a décidé qu'au lieu d'envoyer des groupes de cent hommes qui se relaieraient et travailleraient douze heures d'affilée, il nous serait plus léger d'y aller tous, c'est-à-dire les quatre cents, et de ne rester que deux heures dehors pour chaque service. Tout le monde est d'accord.

A partir de ce jour, tous les matins et tous les soirs nous défilons à travers le camp, pour nous rendre au Steinbruck -- à la carrière -- où nous prenons une pierre dont le poids est a la mesure de notre force: nous la ramenons au camp à des équipes qui la cassent pour faire des avenues, et nous rentrons au Block. Ce travail est léger, surtout en comparaison de celui des carriers qui extraient la pierre sous les injures et les coups des Kapos -- K.A.Po., abréviation de Kontrolle Arbeit Polizei ou Police de contrôle du travail. Quatre fois par jour, nous passons à proximité des villas où la rumeur veut que Léon Blum, Daladier, Raynaud, Gamelin et la Princesse Mafalda, fille du Roi d'Italie, soient gardés à vue. Nous envions tous le sort de ces privilégiés. A chaque passage, j'entends des réflexions:

-- Les loups ne se mangent pas entre eux!
-- Selon que vous serez puissant ou misérable
-- Les gros, mon vieux, tu te fais crever la peau pour eux et ils se font des politesses!
-- Les lois raciales d'Hitler s'appliquent à tous les juifs sauf un.

Etc, etc.

Dans nos rangs, il y a un ancien premier Ministre de Belgique, un ancien Ministre français, d'autres personnages aussi, plus ou moins considérables. Ceux-là sont plus mortifiés que nous du traitement dont bénéficient les habitants des villas. On raconte qu'ils ont chacun deux pièces, la T.S.F., les journaux allemands et étrangers, qu'ils font trois repas par jour. Et on a la certitude qu'ils ne travaillent pas.

Léon Blum est plus particulièrement envié. Le hasard a voulu qu'à un voyage, Fernand et moi qui ne nous quittons jamais, nous nous trouvions à côté du ministre français:

-- Pourquoi Léon Blum et pas moi? nous dit-il.

A l'inflexion de sa voix, nous avons senti qu'il ne trouvait pas du tout étrange que nous soyons affectés à ces basses besognes d'esclaves; mais lui, voyons, Lui, Ancien Ministre!

Fernand hausse les épaules. Je suis perplexe.

Un autre jour, au lieu de nous conduire à la corvée de pierres, on nous emmène au service de l'anthropométrie où on doit nous photographier (de face et de profil) et relever nos empreintes digitales. Des individus gros et gras, bien fourrés, au reste détenus comme nous, mais portant au bras l'insigne d'une autorité quelconque et à la main le gummi qui la justifie, hurlent à nos chausses. Devant moi marchent le Docteur X et le petit boiteux communiste qui est dans les grâces du chef de Block et passe pour son homme de confiance aux yeux des Français. J'écoute la conversation. Le Docteur X,., dont tout le monde sait que, dans son département, il fut à plusieurs reprises candidat de l'U.N.R., au Conseil général ou à d'autres élections, explique au petit boiteux qu'il n'est pas communiste, mais pas non plus anticommuniste, bien au contraire: la guerre lui a ouvert les yeux et peut-être, quand il aura eu le temps d'assimiler la doctrine Depuis deux jours, on parle d'un transport possible à Dora et le Docteur X commence à poser des jalons pour rester à Buchenwald. Misère!

Soudain, je reçois un formidable coup de poing: absorbé dans les réflexions nées de la conversation, j'ai dû sortir un peu des rangs. Je me retourne et je reçois en plein visage une avalanche d'injures en allemand dans lesquelles je distingue: "Hier ist Buchenwald, Lumpe, Schau mal, dort ist Krematorium". C'est tout ce que je saurai sur la raison du coup de poing. Par contre et comme pour m'expliquer combien il était justifié, le petit boiteux s'est retourné vers moi:

- Tu pouvais pas faire attention: c'est Thaelmann !

Nous arrivons à l'entrée du bâtiment de l'anthropométrie. Un autre personnage à brassard et à gummi, nous colle brutalement en rangs contre la paroi. Cette fois, c'est le petit boiteux qui reçoit un coup de poing et qui est abreuvé d'injures. L'orage passé, il se tourne vers moi:

- Ca m'étonne pas de ce c-là: c'est Breitscheid.

Je n'éprouve pas le moins du monde le besoin de vérifier l'identité des deux lascars. Je me borne à sourire à la pensée qu'ils ont enfin réalisé l'unité d'action dont ils ont tant parlé avant la guerre, et à admirer ce sens aigu des nuances que le petit boiteux possède jusque dans ses réflexes.

* * * * *

Je suis un pessimiste, du moins j'en ai la réputation.

D'abord, je me refuse à prendre pour argent comptant les nouvelles optimistes que chaque soir Johnny rapporte au Block. Johnny est un nègre. Je l'ai vu pour la première fois à Compiègne où je l'ai entendu raconter avec un accent américain fortement prononcé, qu'il était capitaine d'une forteresse volante et qu'au cours d'un raid sur Weimar, son appareil ayant été touché, il avait dû sauter en parachute. Arrivé à Buchenwald, il s'est mis à parler le français couramment et il s'est donné comme médecin. Il parle deux autres langues à peu près aussi bien que le français: l'allemand et l'anglais. Grâce à cette supériorité, à son imagination et à une indiscutable culture, il réussit à se faire affecter comme médecin au Revier avant même que la quarantaine soit finie. Les Français sont persuadés qu'il n'est pas plus médecin que capitaine de forteresse volante, mais ils s'inclinent devant la maîtrise avec laquelle il a su se planquer. Chaque soir il est très entouré: le Revier passe pour être le seul endroit d'où peuvent venir les nouvelles sûres. Aussi, malgré sa réputation de hâbleur, Johnny est-il pris au sérieux par tout le monde quand il parle des événements de la guerre. Un soir, il revient avec la révolution à Berlin, un autre avec un soulèvement de troupes sur le front de l'Est, un troisième avec le débarquement des alliés à Ostende, un quatrième avec la prise en charge des camps de concentration par la Croix-Rouge internationale, etc., etc. Johnny n'est jamais à court de bonnes nouvelles qui font que chaque soir, après son arrivée au Block, l'opinion générale est, en février 44, que la guerre sera finie dans deux mois. II m'excède et les autres aussi avec leur crédulité. A ceux qui m'abordent avec la certitude que leur insuffle Johnny, j'ai pris l'habitude de répondre que, pour ma part, j'étais persuadé que la guerre ne serait pas finie avant deux ans. Comme je suis par ailleurs de ceux, très rares, qui n'avaient cru à la chute de Stalingrad, pour ainsi dire que sur le vu de la chose, et que je l'ai avoué même après coup, je suis tout de suite catalogué.

De fait, j'accueille tout avec un scepticisme inébranlable: les horreurs les plus raffinées qu'on raconte sur le passé des camps, les suppositions optimistes sur le comportement futur des S.S. qui sentent, dit-on, passer sur l'Allemagne le vent de la défaite, et qui veulent se racheter aux yeux de leurs futurs vainqueurs, les bruits rassurants sur notre affectation ultérieure. Je nie même ce qui paraît être l'évidence, par exemple, la fameuse inscription qui se trouve sur la grille en fer forgé qui ferme l'entrée du camp. En allant à la corvée de pierres, j'ai lu un jour: "Jedem das Seine", et les rudiments d'allemand que je possède m'ont fait traduire: "A chacun sa destinée". Tous les Français sont persuadés que c'est la traduction de la célèbre apostrophe que Dante place sur la porte des Enfers: "Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir"2.

C'est le comble et je suis un mécréant.

* * * * *

Le Block est partagé en deux clans: d'un côté, les nouveaux arrivés, de l'autre les onze individus, chef de Block, Schreiber, Friseur et Stubendienst, Germains ou Slaves, qui constituent son armature administrative, et une sorte de solidarité qui fait table rase de toutes les oppositions, de toutes les différences de conditions ou de conceptions, unit tout de même dans la réprobation, les premiers contre les seconds. Ceux-ci, qui sont des détenus comme nous, mais depuis plus longtemps, et possèdent toutes les roueries de la vie pénitentiaire, se comportent comme s'ils étaient nos maîtres véritables, nous conduisent à l'injure, à la menace et à la trique. Il nous est impossible de ne pas les considérer comme des agents provocateurs, ou de plats valets des S.S. Je réalise enfin et seulement ce que sont les Chaouchs, prévôts des prisons et hommes de confiance des bagnes, dont fait état la littérature française sur les pénitenciers de tous ordres. Du matin au soir, les nôtres, bombant le torse, se targuent du pouvoir qu'ils ont de nous envoyer au Krematorium à la moindre incartade et d'un simple mot. Et, du matin au soir aussi, ils mangent et fument ce qu'ils dérobent, au vu et au su de tous, insolemment sur nos rations: des litres de soupe, des tartines de margarine, des pommes de terre fricassées à l'oignon et au paprika. Ils ne travaillent pas. Ils sont gras. Ils nous répugnent.

Dans ce milieu, j'ai fait la connaissance de Jircszah.

Jircszah est tchèque. Il est avocat. Avant la guerre il fut adjoint au maire de Prague. Le premier travail des Allemands prenant possession de la Tchécoslovaquie fut de l'arrêter et de le déporter. Il y a quatre ans qu'il traîne dans les camps. Il les connaît tous: Auschwitz, Mauthausen, Dachau, Oranienburg Un accident banal l'a sauvé il y a deux ans et ramené à Buchenwald, dans un transport de malades. A son arrivée, un de ses compatriotes lui a trouvé la place d'interprète général pour les Slaves. Il espère qu'il la conservera jusqu'à la fin de la guerre qu'il ne croit pas toute proche, mais qu'il sent enfin venir. Il vit avec les Chaouchs du Block 48 qui le considèrent comme étant des leurs, mais il nous donne tout de suite des gages qui nous le font considérer comme étant des nôtres: ses rations qu'il distribue, des livres qu'il se procure et qu'il nous prête.

Jircszah prend pour la première fois contact avec les Français. Il les regarde avec curiosité. Avec pitié aussi: c'est ça les Français? C'est ça la culture française dont on lui a tant parlé au temps de ses études? Il est déçu il n'en revient pas.

Mon scepticisme et la façon dont je me tiens presque systématiquement à l'écart de la vie bruyante du Block le rapprochent de moi.

-- C'est ça, la résistance?

Je ne réponds pas. Pour le raccommoder avec la France, je lui présente Crémieux.

Il n'approuve certes pas le comportement des Chaouchs, mais il n'en est plus choqué et il ne les méprise même pas: ils font aux autres ce qu'on leur a fait.

-- J'ai vu pire, dit-il Il ne faut pas demander aux hommes trop d'imagination dans la voie du bien. Quand un esclave prend du galon sans sortir de sa condition, il est plus tyran que ses tyrans eux-mêmes.

Il me raconte l'histoire de Buchenwald et des camps.

-- Il y a beaucoup de vrai dans tout ce qu'on dit sur les horreurs dont ils sont le théâtre, mais il y a beaucoup d'exagération aussi. Il faut compter avec le complexe du mensonge d'Ulysse qui est celui de tous les hommes, par conséquent de tous les internés. L'humanité a besoin de merveilleux dans le mauvais comme dans le bon, dans le laid comme dans le beau. Chacun espère et veut sortir de l'aventure avec l'auréole du saint, du héros ou du martyr, et chacun ajoute à sa propre odyssée sans se rendre compte que la réalité se suffit déjà largement à elle-même.

Il n'a pas de haine pour les Allemands. Dans son esprit, les camps de concentration ne sont pas spécifiquement allemands et ne relèvent pas d'instincts qui soient propres au peuple allemand.

-- Les camps -- les Lagers, comme il dit -- sont un phénomène historique et social par lequel passent tous les peuples arrivant à la notion de Nation et d'Etat. On en a connu dans l'Antiquité, au Moyen Age, dans les Temps modernes: pourquoi voudriez-vous que l'Epoque contemporaine fasse exception? Bien avant Jésus-Christ, les Egyptiens ne trouvaient que ce moyen de rendre les Juifs inoffensifs à leur prospérité, et Babylone ne connut son apogée merveilleuse que grâce aux concentrationnaires. Les Anglais eux-mêmes y eurent recours avec les malheureux Boers, après Napoléon qui inventa Lambessa. Actuellement, il y en a en Russie qui n'ont rien à envier à ceux des Allemands; il y en a en Espagne, en Italie et même en France: vous rencontrerez ici des Espagnols et vous verrez ce qu'ils vous diront, par exemple, du camp de Gurs, en France, où on les parqua au lendemain du triomphe de Franco.

Je risque une observation:

-- En France, tout de même, c'est par humanité qu'on a recueilli les Républicains espagnols, et je ne sache pas qu'ils furent maltraités.
-- En Allemagne aussi, c'est par humanité. Les Allemands. quand ils parlent de l'institution, emploient le mot Schutzhaftlager, ce qui veut dire camp de détenus protégés. Au moment de son arrivée au pouvoir, le National-Socialisme, dans un geste de mansuétude, a voulu mettre ses adversaires hors d'état de lui nuire, mais aussi les protéger contre la colère publique, en finir avec les assassinats au coin des rues, régénérer les brebis égarées et les ramener à une plus saine conception de la communauté allemande, de sa destinée et du rôle de chacun dans son sein. Mais le National-Socialisme a été dépassé par les événements, et surtout par ses agents. C'est un peu l'histoire de l'éclipse de lune qu'on raconte dans les casernes. Le colonel dit un jour au commandant qu'il y aura une éclipse de lune et que les gradés devront faire observer le phénomène à tous les soldats en le leur expliquant. Le commandant transmet au capitaine et la nouvelle arrive au soldat par le caporal sous cette forme: "Par ordre du colonel, une éclipse de lune aura lieu ce soir à 23 heures; tous ceux qui n'y assisteront pas auront quatre jours de salle de police". Ainsi en est-il des camps de concentration; l'Etat-Major national-socialiste les a conçus, en a fixé le règlement intérieur que d'anciens chômeurs illettrés font appliquer par des Chaouchs pris parmi nous. En France, le Gouvernement démocratique de Daladier avait conçu le camp de Gurs et en avait fixé le règlement: l'application de ce règlement était confiée à des gendarmes et gardes mobiles dont les facultés d'interprétation étaient très limitées.
"C'est le Christianisme qui a introduit dans le droit romain le caractère humanitaire qui est conféré à la punition, et lui a assigné comme premier but à atteindre la régénération du délinquant. Mais le Christianisme a compté sans la nature humaine qui ne peut arriver à la conscience d'elle-même que sur un fond de perversité. Croyez-moi, il y a trois sortes de gens qui restent les mêmes chacun dans son genre, à tous les âges de l'Histoire, et sous toutes les latitudes: les policiers, les prêtres et les soldats. Ici, nous avons affaire aux policiers."

Evidemment, nous avons affaire aux policiers. Je n'ai eu maille à partir qu'avec les policiers allemands, mais j'ai souvent lu et entendu dire que les policiers français ne se distinguaient pas par une douceur particulière. Je me souviens qu'à ce moment du discours de Jircszah, j'ai évoqué l'affaire Almazian. Mais Almazian était impliqué dans un crime de droit commun, et nous sommes des politiques. Les Allemands, eux, ne semblent pas faire de différence entre le droit commun et le droit politique, et cette promiscuité des uns et des autres dans les camps

Avant la fin de la quarantaine, les S.S. ne se mêlant jamais de la vie propre du camp qui semblait ainsi livré à lui-même, maître de ses lois et de ses règlements, j'étais persuadé que Jircszah avait en grande partie raison: le National-Socialisme, les S.S. étaient revenus à ce moyen classique de coercition, et les détenus l'avaient d'eux-mêmes rendu plus mauvais encore.

Nous avons agité ensemble d'autres problèmes, notamment celui de la guerre et de l'après-guerre. Jircszah était un bourgeois démocrate et pacifiste:

-- L'autre guerre a partagé le monde en trois blocs rivaux, me disait-il: les Anglo-Saxons capitalistes traditionnels, les Soviets et l'Allemagne, cette dernière s'appuyant sur le Japon et l'Italie: il y en a un de trop. L'après-guerre connaîtra un monde partagé en deux, la démocratie des peuples n'y gagnera rien et la paix n'en sera pas moins précaire. Ils croient qu'ils se battent pour la liberté et que l'Age d'or naîtra des cendres d'Hitler. Ce sera terrible après: les mêmes problèmes se poseront à deux au lieu de se poser à trois, dans un monde qui sera ruiné matériellement et moralement. C'est Bertrand Russell qui avait raison au temps de sa jeunesse courageuse: "Aucun des maux qu'on prétend éviter par la guerre n'est aussi grand que la guerre elle-même".

Je partageais cet avis, et même j'enchérissais.

Dans la suite, j'ai souvent pensé à Jircszah.

* * * * *

10 mars, quinze heures: un officier S.S. entre au Block rassemblement dans la cour.

-- Raus, los! Raus, raus !

Nous allons partir, et les formalités vont commencer. Depuis une huitaine de jours, le bruit courait de ce transport et les suppositions allaient leur train: à Dora, disaient les uns, à Cologne pour déblayer les ruines et sauver ce qui pouvait encore l'être, récupérer ce qui pouvait être utilisé, disaient les autres. C'est cette dernière supposition qui l'emporte dans l'opinion: les gens bien informés mettent en avant que maintenant l'Etat-Major du National-Socialisme sentant la partie perdue, laisse tomber le Kommando de Dora considéré comme l'enfer de Buchenwald et n'y envoie plus personne. Ils ajoutent qu'employés désormais aux travaux dangereux de déblaiement, nous serons bien traités. A tout moment, on risquera l'éclatement d'une bombe, mais on mangera à sa faim, d'abord la ration du camp, et ensuite ce qu'on trouvera dans les caves dont certaines sont pleines de denrées comestibles.

Nous ne savons pas ce que c'est que Dora. Aucun de ceux qui y ont été envoyés jusqu'ici n'est jamais revenu. On dit que c'est une usine souterraine en perpétuel état d'aménagement, et dans laquelle on fabrique des armes secrètes. On vit là-dedans, on y mange, on y dort et on y travaille sans jamais revenir au jour. Tous les jours, des camions ramènent des cadavres à plein charroi pour être brûlés à Buchenwald, et c'est de ces cadavres qu'on déduit les horreurs du camp. Heureusement, nous n'irons pas là-bas.

Seize heures: nous sommes toujours debout devant le Block, dans la position du Stillgestanden3 sous les yeux du S.S. Le chef de Block passe dans les rangs et en fait sortir un vieillard ou un éclopé, et les juifs. Crémieux, qui remplit à lui tout seul cette triple condition, est du nombre. Le petit boiteux aussi et quelques autres figures qui n'appartiennent ni à des vieillards, ni à des éclopés, ni à des juifs, mais dont nous savons tous que leurs propriétaires s'étant fait passer pour communistes, ou l'étant réellement, sont dans les grâces du chef de Block.

Seize heures trente: direction de l'infirmerie pour la visite de santé -- pour la visite de santé, c'est une façon de parler. Un médecin S.S. fume un énorme cigare, affalé dans un fauteuil; nous passons devant lui à la queue-leu-leu, et il ne nous regarde même pas.

Dix-sept heures trente: direction de l'Effektenkammer4: on nous habille de neuf, pantalon, veste et capote rayés, chaussures ad hoc (en cuir, semelle de bois) pour remplacer les claquettes impropres au travail.

Dix-huit heures trente: appel qui dure jusqu'à vingt et une heures. Avant de nous coucher, nous devons encore coudre nos numéros sur les effets que nous venons de toucher, à hauteur du sein gauche pour la veste et la capote, sous la poche droite pour le pantalon.

11 mars, quatre heures trente: réveil.

Cinq heures trente: appel jusque vers dix heures. Ah! ces appels! En mars, dans le froid, qu'il pleuve ou qu'il vente, rester des heures et des heures debout à être comptés et recomptés! Celui-ci est un appel général de tous ceux, à quelque Block qu'ils appartiennent, qui ont été désignés pour le transport, et il a lieu sur la place de l'appel, devant la Tour.

A onze heures, la soupe.

A quatorze heures, nouvel appel qui dure jusqu'à dix-huit ou dix-neuf heures: nous avons perdu la notion de la durée.

12 mars: réveil comme d'habitude, appel de cinq heures et demie à dix heures. Appel, toujours appel. Ils veulent nous rendre fous. A quinze heures, nous quittons définitivement le Block 48 et, après un stage de quelques heures sur la place, nous sommes dirigés sur le Block du cinéma où nous passons la nuit, les plus favorisés assis, le plus grand nombre debout.

Réveil le lendemain matin, à trois heures trente, une heure plus tôt que d'habitude. On nous conduit sous la tour où nous attendons, debout, dans la nuit, dans le froid, rien au ventre depuis la veille à onze heures, d'être embarqués. Entre sept et huit heures, nous montons dans les wagons.

Voyage sans histoire: nous sommes à l'aise et nous bavardons. Thème: où allons-nous? Le train prend la direction de l'ouest: à Cologne, ça y est, nous avons gagné! A seize heures environ, il s'arrête en pleins champs, dans une sorte de gare de triage, où, sous la neige, pataugeant dans la boue, des malheureux, hâves, sales, en guenilles rayées de la même façon que nos habits neufs, déchargent des wagons, creusent des canalisations, véhiculent les déblais. Des gens à brassard et à numéros, bien vêtus, pleins de santé, les encouragent à la menace, à l'injure et au gummi. Défense de leur adresser la parole. En passant à côté d'eux, si par hasard ils sont hors de portée de toute surveillance, nous risquons des questions à voix aussi basse que possible:

-- Dis, où est-on ici?
-- A Dora, mon vieux, t'as pas fini d'en ch... !

Fernand et moi, qui nous tenons par la main, nous nous regardons. Nous n'avions cru que difficilement au bobard optimiste de Cologne. Un grand découragement nous saisit cependant, les bras nous tombent des épaules, nous sentons passer sur nous l'ombre de la mort.

 


Extrait du livre de Paul Rassinier, Le Mensonge d'Ulysse, qui est paru d'abord aux Editions bressanes en 1950. Cette première partie était parue auparavant sous le titre Passage de la ligne en 1948. L'ensemble a été plusieurs fois réédité par différents éditeurs, de droite comme de gauche. Nous utilisons l'édition procurée en 1980 par La Vieille Taupe, à Paris. Signalons qu'il existe une traduction anglaise un peu abrégée (il y manque les trois premiers chapitres) parue, avec d'autres textes de Rassinier, sous le titre Debunking the Genocide Myth, parue en 1978 aux Etats-Unis.


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| Avant-propos à la deuxième édition | Préface de Paraz à la 1ère éd. |


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