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"Révisionnisme" et négationnisme au sein de l'extrême droite française

par Valérie Igounet

 

1. La revanche des vaincus

DEPUIS cinquante ans, l'extrême droite française joue un rôle fondamental dans la diffusion des thèses "révisionnistes" et négationnistes (1). Elaborée par Maurice Bardèche, la révision de l'histoire puise ses bases dans une génération happée par un double ressentiment, historique et idéologique. Le "révisionnisme" naît avec l'extrême droite française; sa récupération politique aussi. Dès 1948, le sens politique des thèses "révisionnistes" s'inscrit dans la renaissance de l'antisémitisme. Quelques années plus tard, elles revêtent une autre signification pour une partie de l'extrême droite française: la destruction de "l'impérialisme sioniste".

La passation idéologique se fait tout naturellement entre l'homme de l'ancienne génération, Maurice Bardèche, et François Duprat, jeune militant des années soixante. Se reconnaissant pleinement dans le discours de son prédécesseur, François Duprat est le propagandiste des thèses du néo-fasciste français. Doté de moyens, cet homme diffuse les classiques révisionnistes dès les années soixante-dix en France et à l'étranger. Surtout, il les introduit au sein du Front national, un parti où il occupe plusieurs fonctions officielles. Quand il décède en 1978, les thèses "révisionnistes" ont trouvé d'autres militants pour s'étendre. Robert Faurisson, Pierre Guillaume ou Henri Roques ont pris sa place. L'extrême droite [40] les encourage. Elle soutient Robert Faurisson porté par une certaine ultra-gauche, incarnée par Pierre Guillaume. Si une partie minoritaire de l'ultra-gauche voit en Robert Faurisson son nouveau messie, l'extrême gauche et l'ultra-gauche françaises, dans leur ensemble, sont violemment hostiles à l'homme et à ses idées. Pendant "l'affaire" Faurisson, quelques groupes politiques minoritaires de l'ultra-gauche s'associent à Robert Faurisson. Au printemps 1980, l'ouvrage de Serge Thion, Vérité historique ou vérité politique ? Le dossier de l'affaire Faurisson. La question des chambres à gaz, sort aux éditions La Vieille Taupe. Ces manifestations revêtent une double particularité. Elles concernent très peu de personnes mais confèrent au négationnisme français sa spécificité. Elles occultent un fait majeur. L'ensemble des chroniqueurs, des éditorialistes de la presse d'extrême droite, soutiennent Robert Faurisson, se réjouissent que la révision de l'histoire soit classée "à gauche de toutes les gauches" et entretiennent cette confusion.

Les groupuscules tels l'oeuvre française de Pierre Sidos, la Fédération d'action nationale européenne de Marc Fredriksen ou d'autres utilisent ouvertement les thèses négationnistes dans leurs discours ou publications. Corollaire de l'antisémitisme, le négationnisme leur offre un atout inestimable: la capacité de maquiller leurs haines ancestrales. Le Front national ne peut se permettre de donner ouvertement son assentiment à la négation de l'histoire. Seule formation pouvant revendiquer le statut de parti politique au sein de l'extrême droite française, elle doit s'adapter et adopter une certaine rhétorique. A la base très élargie, le Front national doit faire coexister aussi bien d'anciens SS que des repentis du RPR. Même si les diverses sensibilités du Front national réagissent différemment, en fonction de leur culture, sur la question du négationnisme, le parti de Jean-Marie Le Pen paraît adopter une attitude conciliante envers le discours négationniste. Dès les années soixante-dix, le parti frontiste n'éprouve aucune hostilité envers les thèses de Maurice Bardèche. Elles s'intègrent parfaitement dans l'optique d'une frange minoritaire du parti. Pendant les années quatre-vingt, il ne désapprouve pas le discours négationniste; la perspective négationniste s'imbrique dans les visées politiques et stratégiques du Front national. Dix ans plus tard, le négationnisme devient un élément à part entière de l'idéologie frontiste. Ceux qui condamnent le discours négationniste ont quitté le parti.

[41]

Le premier âge du "révisionnisme" comprend des hommes ayant vécu directement la Seconde Guerre mondiale. Issus de la même génération, ils appartiennent au camp des vaincus. D'idéologie fasciste ou nazie pendant les années de guerre, ces hommes sont animés d'un ressentiment commun: la haine des vainqueurs. A cet égard, Paul Rassinier doit être considéré comme une exception. Homme de gauche estimé par ses pairs, ancien déporté à Buchenwald et à Dora, Paul Rassinier n'entreprend pas la révision de l'histoire sur de telles bases. Quand il livre son premier ouvrage, l'ancien déporté se veut avant tout un témoin. Son doute sur les chambres à gaz - doute devenant rapidement remise en cause -, il le formule plus tard. Le paradoxe de sa personnalité, de son itinéraire (un ancien déporté qui nie les chambres à gaz), est saisissant. C'est là qu'intervient la récupération politique de l'homme, de ses idées et de son parcours politique. Présenté comme le premier "révisionniste" français, Paul Rassinier est loin d'avoir posé les bases de la relecture de l'histoire. C'est Maurice Bardèche, connu pour ses opinions d'extrême droite, qui s'attelle à cette tâche. D'autres, tel Henry Coston, le suivent dans cette double démarche: réviser l'histoire et récupérer la personnalité de Paul Rassinier, aubaine pour l'extrême droite française.

La rencontre que fait Maurice Bardèche, en 1926, avec Robert Brasillach est déterminante pour ses engagements futurs. Robert Brasillach prend en charge l'éducation politique de son camarade et lui inculque ses idées. Les deux hommes deviennent inséparables. En 1945, le choc est double pour Maurice Bardèche: l'épuration et la mort de Robert Brasillach le poussent à l'action politique. Dès 1947, Maurice Bardèche retranscrit ses ressentiments. Dans Lettre à François Mauriac il dénonce l'épuration et s'attaque au "mythe de la résistance". Un an plus tard, il s'en prend à l'histoire de la Seconde Guerre mondiale.

En 1948, Maurice Bardèche "inaugure" le "révisionnisme" historique avec Nuremberg ou la Terre promise. Selon les propres termes de Maurice Bardèche, nous sommes victimes d'une immense manipulation depuis 1945. Les camps de la mort sont une invention des alliés qui dédouanent ainsi leurs propres crimes. Responsables de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs falsifient l'histoire et espèrent ainsi prouver la barbarie de l'Allemagne:

"Je ne prends pas la défense de l'Allemagne. Je prends la défense de la vérité. Je ne sais si la vérité existe [...]. Mais je sais que le mensonge existe, je sais que la déformation systématique [42] des faits existe. Nous vivons depuis trois ans sur une falsification de l'histoire. Cette falsification est adroite: elle entraîne les imaginations, puis elle s'appuie sur la conspiration des imaginations. On a commencé par dire: voilà tout ce que vous avez souffert, puis on dit: souvenez-vous de ce que vous avez souffert. On a même inventé une philosophie de cette falsification. [...] On eut la bonne fortune de découvrir en 1945 ces camps de concentration dont personne n'avait entendu parler jusqu'alors, et qui devinrent la preuve dont on avait précisément besoin, le flagrant délit à l'état pur, le crime contre l'humanité qui justifiait tout. On les photographia, on les filma, on les publia, on les fit connaître par une publicité gigantesque, comme une marque de stylo. La guerre morale était gagnée. La monstruosité allemande était prouvée par ces précieux documents. Le peuple qui avait inventé cela n'avait le droit de se plaindre de rien. Et le silence fut tel, le rideau fut si habilement, si brusquement dévoilé, que pas une voix n'osa dire que tout cela était trop beau pour être parfaitement vrai. " (2)

Avec Maurice Bardèche, l'existence des camps de la mort est mise, pour la première fois, en doute. Les Allemands, principaux accusés, deviennent les premières victimes. Les Juifs prennent le rôle des coupables, des menteurs et des manipulateurs. L'histoire est inversée. Ce retournement, Maurice Bardèche le poursuit par une critique vigoureuse des jugements du Tribunal de Nuremberg. En accablant les Alliés de lourdes charges et en dédouanant les Allemands de leurs responsabilités, l'auteur de Nuremberg ou la Terre promise veut parvenir à une nouvelle formulation des conclusions du tribunal de Nuremberg:

"Le vrai fondement du procès de Nuremberg, celui qu'on n'a jamais osé désigner, je crains bien que ce ne soit la peur: c'est le spectacle des ruines, c'est la panique des vainqueurs. Il faut que les autres aient tort. [...] C est l'horreur, c est le désespoir des vainqueurs qui est le vrai motif du procès. Ils se sont voilé le visage devant ce qu'ils étaient forcés de faire et pour se donner du courage, ils ont transformé leur massacre en croisade. [...] Etant tueurs, ils se sont promus gendarmes. [...] Pour excuser les crimes commis dans la conduite de la guerre, il était absolument nécessaire d'en découvrir de plus graves encore de l'autre côté. [...] Il y a donc un intérêt évident de la propagande britannique et américaine et, à un moindre degré, de la propagande soviétique, à soutenir les thèses des crimes allemands." (3)

Après s'être portée sur les Alliés, l'accusation de Maurice Bardèche s'applique aux résistants, à leurs témoignages. Son argumentation est simple: les résistants extrapolent afin d'acquérir une certaine considération de la société française; "Ils [43] ont intérêt [...] à étaler leurs souffrances" qui "se transforment facilement en places" (4). La mise en doute des témoignages des résistants s'étend tout naturellement à ceux des témoins "directs" de l'Holocauste appelés à comparaître à Nuremberg.

Afin de disculper l'Allemagne, Maurice Bardèche annihile la spécificité du crime hitlérien. En faisant un parallèle avec les camps de concentration soviétiques, l'écrivain entend prouver la "politique d'extermination de la délégation soviétique" (5). L'Union soviétique est intervenue au procès de Nuremberg pour accabler l'Allemagne et se décharger de ses crimes:

"Et si la délégation russe s'était servie du procès de Nuremberg pour un énorme montage de propagande, comme la délégation française ? [...] Mais qui peut contrôler ce que dit la délégation soviétique ? [...] Nous sommes très indignés des camps de concentration hitlériens, mais à la même époque, nous feignons d'ignorer les camps de concentration soviétiques, que nous découvrons, du reste, avec horreur dès que notre propagande y trouve un intérêt." (6)


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