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Pourriez-vous évoquer votre itinéraire jusqu'aux années quatre-vingts? Comment devient-on révisionniste?
Peu après le procès d'Eichmann à Jérusalem, j'ai lu La mort est mon métier, autobiographie romancée par Robert Merle du premier commandant du camp d'Auschwitz, Rudolf Höss. Très jeune, vers dix-huit ans. Comme j'envisageais alors de préparer l'École Militaire de Saint-Cyr, le livre de Merle m'a fait prendre conscience de la nature et de la limite des ordres, qu'en tant qu'officier, j'aurais à recevoir et à donner. Pourrais-je, comme lui, obéir aveuglément et faire anéantir des centaines de milliers de personnes sans frémir? Plus prosaïquement, pourrais-je ordonner à une centaine ou plus de jeunes hommes d'aller se faire tuer et, dans la plupart des cas, pour rien? La réponse fut non. J'abandonnai l'idée d'une carrière dans l'armée et devins pharmacien.
Vers trente ans, j'ai entrepris de réaliser un ouvrage de politique-fiction - une chronique politico-militaire d'un autre futur - dans lequel j'étudiais la possibilité d'une victoire complète du Troisième Reich en Europe, se terminant pourtant par une défaite dans les années cinquante, entraînée par la puissance nucléaire américaine. Contrairement à maints auteurs qui définissent une fois pour toute le cadre de leur livre, chacun de mes chapitres devait se tenir dans un lieu différent et traiter d'un [614] thème particulier. Furent écrits plusieurs chapitres: sur l'action de la Milice française, sur la dernière opération de ce corps le 6 juin 1944, sur la semaine de la «Grande Pagaille» à Paris en juillet 1944 avec l'intervention de la division SS anglaise «Black Prince», sur la formation des officiers SS européens à Bad Tölz fin 1944 et sur les demiers combats en Écosse de l'été 1945, achevant en août la campagne d'Angleterre et provoquant la déclaration de guerre des États-unis en septembre 1945. Le premier et le dernier des chapitres écrits étaient axés sur les questions atomiques. Les suivants devaient porter sur les armes secrètes à Peenemünde et en Prusse orientale, les traces de la «solution finale» à Auschwitz, la guerre de partisans en Yougoslavie, la colonisation allemande de l'Ukraine, etc.
Mon écriture dépendait de mes ressources financières et de mes voyages de répérage pendant les vacances. Je devais connaître les endroits - région, cité ou bâtiment - que j'évoquais. Ainsi, la visite de Zagreb, anciennement Agram, la capitale de l'État croate, trois fois projetée, fut à chaque fois reportée, et ne put s'effectuer. C'est au cours du travail préparatoire sur le chapitre d'Auschwitz que ma recherche a mal tourné et ce, fin octobre 1979.
Pourquoi dites-vous que votre recherche a mal tourné?
Si elle avait bien tournée, c'est-à-dire si j'avais réussi à obtenir une documentation claire et précise sur le K. L. Auschwitz, mon récit de ce futur «autre» serait achevé depuis belle lurette, aurait été publié ou non, et je ne serais pas en train de répondre à vos questions.
En août 1966, bien avant que je me mette à écrire, j'avais visité le musée d'Auschwitz et fus probablement un des rares Français de ma génération à m'y rendre. Ayant acheté sur place quelques livres, lorque j'ai voulu m'en servir en 1979, le résultat fut désastreux. Soit les explications des historiens polonais étaient lamentables, soit je ne compris rien. Mes souvenirs ne m'aidèrent pas plus. Je situais mal les crématoires, en saisissais encore moins l'arrangement intérieur que Robert Merle avait pourtant décrit dans son roman (une immense salle de gazage pour 3.000 personnes desservant celle des fours par quatre ascenseurs). Par chance, la télévision allait diffuser le feuilleton américain Holocauste, diffusion que j'attendis avec une impatience fébrile. Ce que je n'avais pas prévu, est que la scène, censée avoir été tournée devant les fours ronflants d'Auschwitz, l'avait été à côté d'un four de Mauthausen. J'avais négligé que la vérité historique est absente des productions américaines destinées avant tout à produire de l'argent. Mais, sur le moment, ignorant ce «détail» gênant, je nageais en pleine confusion, n'arrivant plus à faire correspondre [615] cette scène et mes souvenirs. A Birkenau en 1966, j'avais vu des ruines, mais aucun panneau n'indiquait leur fonction ni n'expliquait ce qui s'y était passé. Sur place, j'avais rencontré un gardien polonais, ancien membre d'une brigade internationale en Espagne, qui me raconta que dans le crématoire VI - alors qu'il n'en existait que cinq - les gens étaient électrocutés et incinérés automatiquement, à la chaîne. Il répétait les allégations d'un article de la Pravda paru en mai 1945.
Complètement bloqué, j'ai décidé de retourner à Auschwitz éclaircir ces contradictions. Ayant lu que, pendant la guerre, la résistance polonaise régnait en maîtresse dans le camp, que ses membres y entraient et en sortaient comme ils le voulaient à la barbe des SS, que des photos de l'extermination y avaient été prises, j'ai écrit au musée d'Auschwitz pour demander l'autorisation de voir ces photos. Accordée. Lorsque j'ai pénétré dans la pièce de consultation des Archives, trois photos m'attendaient sur une table. J'ai été stupéfait, croyant qu'il en avait des dizaines. J'ai demandé au conservateur des archives, Tadeusz Iwaszko, s'il n'en existait pas d'autres. Il m'a rassuré et apporté plusieurs albums de photos. Y étaient rassemblés des clichés provenant essentiellement de trois sources: du film soviétique Chroniques de la libération du camp, 1945, de ce qu'on a appelé par la suite L'Album d'Auschwitz (photos diffusées initialement par le musée juif de Prague) et de «L'Album de la direction des constructions SS» (retrouvé et acheté ultérieurement par le Yad Vashem). Pour la dernière source, les détenus travaillant au laboratoire photo du camp avaient réalisé clandestinement de petits clichés par contact direct entre le négatif et le papier réactif et les avaient placés dans deux bouteilles qui furent enterrées. Une seule, avec une cinquantaine de photos, resta intacte et fut recupérée à la libération.
J'avais commencé à douter de l'existence même des crématoires avant mon déplacement en Pologne. Or, sur plusieurs photos présentées, je les voyais parfaitement et même en cours de construction. M'ont particulièrement interessé les plans d'implantation SS de ces bâtisses que les Soviétiques avaient filmés. A l'époque, mon allemand était laborieux. Par contre, j'ai un coup d'oeil d'architecte inné et un plan me renseigne plus sur un bâtiment ou une installation qu'un dossier descriptif. J'avais alors presque atteint mon but: fixer le cadre d'évolution du principal personnage de mon livre dans le complexe concentrationnaire d'AuschwitzBirkenau. Il ne me manquait encore qu'une chose et ma recherche était terminée: le ou les plans des crématoires. Ce que j'ai demandé - comme on lance une bouteille à la mer - au conservateur. lis existaient et Iwaszko m'a apporté les originaux dessinés par la Direction des constructions SS du camp (la «Bauleitung»).
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Ce que j'allais découvrir dans ces «bleus» - dont certains étaient magnifiquement colorés - bouleversera de fond en comble ma dite «calme petite vie de pharmacien de banlieue».
Dans sa présentation des plans, Iwaszko commit une énorme faute, involontaire, car il était dans l'impossibilité de s'en rendre compte sur le moment. Sont conservés au musée d'Auschwitz dix-sept plans des crématoires - II, III et IV (valables aussi pour le V) - établis par la Bauleitung SS, sans compter ceux des entreprises civiles de la HUTA de Kattowitz et de la Konrad SEGNITZ de Beuthen (neuf en tout). Le premier plan SS des crématoires de Birkenau se rapportant au Il fut dessiné le 15janvier 1942 et le dernier le 19 mars 1943, peu avant son achèvement. Or, il existe une différence radicale entre ces plans. Sur le premier, le bâtiment n'est pas criminel au moment de son dessin. Sur le dernier, plusieurs modifications ne peuvent s'expliquer que parce que le bâtiment est devenu un instrument criminel.
A l'époque les historiens croyaient que, selon les dires de Rudolf Höss, l'ordre d'extermination des juifs avait été donné par Himmler à la fin de l'été 1941. On sait maintenant que Höss s'est trompé de date et le reçut, pour son camp, début juin 1942. Conséquence directe de cet ordre prétendument donné à l'été 1941, un premier gazage expérimental avait été pratiqué dans les caves d'un bloc du camp principal du 3 au 5 septembre 1941 et la Bauleitung SS d'Auschwitz avait dessiné en janvier 1942 le plan d'un crématoire avec chambre à gaz, permettant d'accomplir cette mission. Donc, Iwaszko, croyant bien faire et les sachant «chronologiquement correct», me montra les plans de la série dite «930» de début 1942, persuadé de leur criminalité. En effet, le n· 932, plan du sous-sol, comportait deux morgues semi-enterrées, désignées de «Leichenkeller» ou «L-Keller» 1 et 2. La 1 était ventilée, avec aération et désaération. La 2 ne l'était pas. Il était très tentant et même logique d'affirmer que la 1 était une chambre à gaz d'où le toxique gazeux pouvait être extrait, alors que la 2, sans une telle installation, servait de vestiaire aux victimes. Comme, pour un oeil non averti, tous les plans se ressemblaient, n'étaient montrés que les premiers du crématoire Il, de belle facture, au contraire du dernier, à peine lisible.
Un aménagement du «932», dessiné le 23 janvier 1942, m'a paru bizarre. L'entrée de la «L-Keller 1» était équipée d'une porte à double battant. J'ai pensé qu'il serait plus rationnel pour une chambre a gaz de m'en avoir qu'un seul. Puis, je suis passé à la disposition du crématoire IV. Sur le plan n' 2036 du Il janvier 1943, les victimes pénétraient dans une grande salle centrale, étaient dirigées vers trois pièces de gauche où elles étaient gazées, trainées de nouveau au centre de la bâtisse et incinérées au [617] fur et à mesure dans un four à 8 creusets incinérateurs se trouvant à droite. Ce circuit était absurde et je l'ai fait remarquer à Iwaszko. Il aurait dû être ordonné comme suit: vestiaire donnant dans une chambre à gaz, débouchant elle-même sur une salle des fours.
Iwaszko commit alors une erreur psychologique grossière. Au lieu de m'avouer qu'il n'y comprenait rien lui-même, que ces plans posaient problème, il préféra m'imposer ces données inexpliquées en déclarant -. «Sie müssen das glauben [Vous devez croire cela]». Propos d'une maladresse insigne, tenu à un Français, membre d'un peuple réputé pour son esprit cartésien et son sens critique. Iwaszko venait de déclencher mon révisionnisme.
Il aurait pu «répondre» autrement à mes doutes, en me montrant les plans successifs du crématoire Il et, en particulier, le dernier dessiné au moment de sa livraison en mars 1943. Aurais-je été capable alors de distinguer les différences entre ces plans? Je pense que oui - vu mon approche exclusivement architecturale - et les aurais signalées à Iwaszko. Conjoncturer de la suite des évènements à partir de cette hypothèse est difficile. Surtout qu'Iwaszko, constatant mon attitude réservée à l'egard de ses explications «crématoires», ajouta: «Ne faites pas comme Laurisson!» J'appris que ce Laurisson était un «très mauvais» Français qui était venu, lui aussi, aux Archives du musée et qui, comme moi, ne trouvait pas très clairs les commentaires des historiens polonais sur les crématoires. Ce fut la première fois que j'entendis parler de Faurisson. Malheureusement, la deuxième intervint le lendemain, le 1er novembre 1979, le jour de la Toussaint. Ayant eu des problèmes de démarrage avec ma voiture de location au moment de mon départ du musée, j'ai demandé de l'aide à des compatriotes se trouvant sur place, d'anciens détenus revenus en pélerinage. Ils furent très intéressés par ma démarche, mais virent aussi ma réserve sur certains points. Et là, de nouveau, apparut dans la conversation ledit Laurisson, modèle à ne pas suivre. Ces deux mentions trop rapprochées de cette personne, qui semblait-il, avait eu auparavant des doutes semblables aux miens, m'intriguèrent au plus haut point et je décidai de me renseigner sur lui, voire de le rencontrer.
De retour en France, j'ai cherché qui était ce Laurisson. Il s'agissait d'un professeur d'université, Robert Faurisson - orthographe phonétique rectifiée - habitant Vichy. Je lui ai téléphoné et ce fut une explosion cérébrale. Je pensais en savoir beaucoup sur Auschwitz. Il en savait cent fois plus que moi. Il m'affirma que le fonctionnement des chambres à gaz homicides, tel qu'il était présenté dans sa simplicité extrême, aurait conduit à tuer tout le monde, juifs et SS. Pour étayer ses dires, il s'appyyait sur l'étude des chambres à gaz d'exécution qu'il avait réalisée aux Etats-[618] Unis. D'un côté, selon les Mémoires du premier commandant du camp, Rudolf Höss, d'immenses locaux où étaient asphyxiées trois mille personnes d'un coup - affirmation polonaise - avec une technique primitive faisant fi de toute règle de sécurité, pourtant obligatoire avec un toxique aussi puissant que l'acide cyanhydrique; d'un autre côté, des installations sophistiquées avec un mode opératoire précis et complexe destinées à exécuter un seul condamné. De plus, la superficie de la chambre à gaz actuelle du crématoire 1 ne correspondait pas aux plans de la bâtisse conservés aux archives du musée et tout gazage homicide dans cette pièce - visitée journellement par des milliers de touristes - était impossible, puisqu'une de ses portes comportait une ouverture vitrée à hauteur d'homme, vitre qui ne pouvait qu'être brisée par les victimes.
Il n'y avait pas une réelle concordance de vue entre nous. Faurisson avait étudié le fonctionnnement des chambres à gaz homicides d'Auschwitz et des absurdités qu'il y avait découvertes il concluait que les SS n'avaient jamais pu y tuer les millions de juifs comme l'affirmaient les survivants et les Polonais. Moi, j'étais troublé par l'arrangement des bâtiments crématoires qu'Iwaszko m'avait présentés comme criminels et qui ne l'étaient pas. Mais, chacun, avec ses propres critiques et réflexions, apportait de l'eau au moulin de l'autre.
S'instaura ainsi une collaboration qui dura six mois. Faurisson me forma à la critique historique - ce que certaines personnes me reprocheront toujours. L'établissement d'un fait exige de solides preuves. Elles peuvent se trouver dans les écrits personnels ou témoignages des participants (SS et détenus) à condition d'être indépendants les uns des autres, être recherchées dans la correspondance et les écrits officiels des SS, sur les photos existantes et dans les ruines ou bâtiments restants. Or, dans cette histoire et depuis quarante ans, avaient été privilégiés exclusivement les dires des déportés, considérés comme sacrés. Toute parole SS n'était que mensonge, sauf si elle chargeait encore plus leur culpabilité. Tout écrit SS était code. On ignorait la clef du codage, mais le décryptage était connu d'avance: des terrnes inoffensifs devenaient comme par enchantement «fusillades», «gazages», «chambre à gaz», etc. Tout était tourné d'une manière négative. Les crochets pour suspendre les ringards dans une salle de fours d'incinération ne pouvaient servir qu'à pendre des détenus. Lorsque ces derniers prenaient une douche, ce n'était pas une douche normale, mais une douche-torture (en alternant les flux d'eau froide et d'eau chaude) ou une douche-gaz (diffusion d'acide cyanhydrique gazeux par les pommeaux, ce qui est impossible en physique). Cette crainte d'une douche-gaz, le réalisateur américain Steven Spielberg l'exploite à fond - commercialement et au mépris de la vérité historique - dans son [619] film La liste de Schindler en présentant une installation totalement inconnue dans les camps de concentration, la chambre à gaz pouvant doucher. SPIELBERG semble croire au fonctionnement mixte des chambres à gaz-douches dont les pommeaux diffusent soit du gaz, soit de l'eau. Il recycle à son profit un bobard provenant de Dachau. L'épouillage au Zyklon-B d'une baraque de logement des détenus mesure d'hygiène prophylactique visant à tuer les poux transmetteurs du typhus - n'était qu'une méthode différente de tuer, car les détenus devaient délaisser leur baraque pour 24 heures ce qui était pour eux une vraie catastrophe parce que l'épisode se situait obligatoirement en hiver et qu'ils restaient au dehors dans un froid glacial. Malheureusement, une épidémie de typhus ne se déclenche qu'au printemps ou en été, donc par un temps relativement ou carrément clément. Que ce soit une impression subjective ou une réalité, en milieu concentrationnaire, tout paraît noir et négatif à la masse des détenus. Ainsi après guerre, des chambres à gaz d'épouillage pour les vêtements, appelées parfois dans les rapports allemands Entwesungskammer, littéralement des «chambres d'enlèvement de la vie», furent considérées comme des chambres à gaz homicides, parce qu'on y ôtait la vie. Ce n'étaient pas les hommes qu'on y tuait, mais les poux.
Progressivement durant mes séances de travail avec Faurisson, j'ai appris qu'il était engagé dans plusieurs procès. L'un d'eux portait sur ses conclusions abruptes relatives à la chambre à gaz du K. L. Natzweiler-Struthof, en se référant aux aveux d'un des anciens commandants du camp, le capitaine SS Josef Kramer. Ce dernier avait déclaré avoir gazé fin août 1943 environ quatre-vingts détenus sélectionnés venant d'Auschwitz, lesquels devaient servir à un médecin SS, le Professeur HIRT de Strasbourg, désirant constituer une collection de crânes. Pour cela, KRAMER avait versé de l'eau sur des «sels» et obtenu un dégagement d'acide cyanhydrique gazeux. En chimie, un acide plus une base donne un sel et de l'eau. Mais, la réaction n'est pas réversible. Donc, impossibilité chimique. Pour Faurisson, le SS avait raconté n'importe quoi et rien n'était vrai. Maintenant, on pense qu'il a employé les produits suivants: un acide cristallisé mélangé avec un cyanure de sodium ou de potassium. En milieu anhydre, le mélange à l'apparence d'un «sel» et est stable. Si on ajoute de l'eau, il y a réaction et dégagement d'acide cyanhydrique. Ou bien, Kramer s'est servi d'un produit bien connu dans la lutte contre les insectes, le «cyanogaz» ou cyanure de calcium, dégageant en trois minutes du gaz cyanhydrique après hydratation. Mais à l'époque, personne n'avait relevé et encore moins étudié cette incohérence apparente.
A cette occasion, les archives du procès militaire de Natzweiler furent consultables. La justice militaire française avait réalisé un album photo[620]graphique intitulé Camp de concentration du Struthof», comportant de nombreuses vues extérieures et intérieures du crématoire, de la chambre à gaz et surtout les plans de ces installations. Le plan du crématoire montre que la bâtisse se divisait en deux parties: l'une réservée à l'incinération et l'autre permettant aux détenus de se laver en prenant une douche et de faire épouiller leurs effets par la vapeur dans une petite cellule mitoyenne. L'eau chaude des douches provient d'un serpentin place au-dessus du four d'incinération ou, quand celui-ci ne fonctionne pas, d'un chauffe-eau avec un foyer au charbon. Cette malheureuse salle de douches a été présentée, je ne sais combien de fois, comme une chambre à gaz homicide avec le toxique gazeux «tombant» des pommeaux et malgré des fenêtres que les victimes auraient fait voler en éclats. Avoir retrouvé l'aménagement du crématoire dressé par la justice en 1945 permit de découvrir un montage beaucoup plus grave, élaboré peu avant que le camp soit ouvert au public. Le dépôt d'urnes se situait à côte de la salle d'autopsie et la pièce où logeaient les détenus s'occupant du four près de l'entrée. La pièce des détenus comporte un lavabo au contraire du dépôt d'urnes, où personne ne vit. Les fonctions des pièces furent délibérément inversées. Les urnes furent transférées dans la pièce des détenus, avec un lavabo ne servant plus à rien. Dans le dépôt d'urnes ainsi libéré furent placés des châlits et sa porte, de facture normale, fut équipée de gros verrous afin de faire croire que c'était une prison d'où les médecins SS - naturellement fous - venaient chercher des cobayes pour assouvir leur manie de vivisections. Ce montage apparaît, lorsqu'on le sait, tellement grossier qu'on est stupéfait de la bêtise et de l'aveuglement humains. Initialement, le révionnisme voulait dénoncer de telles tromperies, présentées pour avaliser les pires excès de la mémoire concentrationnaire. Une personne comme Faurisson est née de ces outrances.
Les commentaires sur la chambre à gaz du Struthof sont pareillement absurdes ou noircis, faute de connaissances -historiques. Souvent, le gazage homicide des 86 juifs et juives était présenté comme ayant été effectué en versant des granules de Zyklon-B dans l'entonnoir avec robinet pour les liquides. De nouveau, une impossibilité, physique cette fois-ci. Après ces gazages criminels, des expériences de protection contre un gaz toxique, le phosgène, par ingestion ou injection d'urotropine (hexamethylènetétramine) furent pratiquées dans la chambre à gaz. Une première serie de onze expériences sur les détenus allemands volontaires, menées correctement par un civil, le Professeur BICKENBACH, en décembre 1943, ne provoqua aucun décès et montra que Furotropine apportait une protection relative contre les effets du phosgène. Une expérience se déroulait comme suit: deux sujets, ayant absorbé per os ou reçu en injection intraveineuse de Furotropine, pénétraient dans la chambre à [621] gaz avec une ampoule contenant quelques grammes de phosgène. La porte fermée, l'un d'eux jetait à terre l'ampoule qui se brisait, permettant au gaz de se dégager; au bout de vingt minutes, Bickenbach estimait la concentration restante du phosgène dans la pièce en aspirant du gaz qui passait dans un appareil mesurant la conductibilité électrique du flux gazeux; l'appareil de mesure était relié par un tuyau souple à un embout métallique traversant la porte de la chambre à gaz; puis, le ventilateur, mis en route, chassait le gaz et les détenus sortaient enfin de la pièce. En mai 1944, une seconde série fut pratiquée par HIRT qui estimait que les essais de Birckenbach n'étaient pas assez proches des conditions du champ de bataille. Opérant lui-même et ne tolérant la présence de Birckenbach que pour mesurer les taux résiduels de phosgène, FHRT utilisa des détenus tsiganes condamnés à mort en quatre groupes de quatre sujets (deux étant des témoins de contrôle ne recevant qu'une injection d'eau salée et deux autres étant protégés avec de 1'urotropine, l'un per os et l'autre en intraveineuse). L'augmentation des concentrations de phosgène aboutit à la mort de quatre des seize sujets par oedème aigu du poumon. L'embout fixe à la porte de la chambre à gaz est présenté comme un tube d'adduction des gaz, c'est à dire pour amener du gaz dans la pièce. Sa fonction a été inversée, passant d'un rôle extracteur à un rôle introducteur.
Toujours dans le bâtiment de la chambre à gaz, qui était avant la guerre un restaurant servant aux skieurs des repas bon marché, se situent trois cuves carrelées ayant servi à conserver de la choucroute ou des pommes de terre. Ces cuves furent dites «fosses à formol servant à la conservation des corps des victimes de la chambre à gaz». Explication doublement erronée, car les corps, conservés dans les cuves de l'Institut d'anatomie de Strasbourg l'étaient non dans du formol - méthode empêchant toute manipulation ultérieure par rigidité des tissus - mais dans de l'alcool synthétique à 55 degrés.
On est atterré par l'imbécilité des explications avancées dans cette affaire qui, même spectaculaire, n'est que mineure dans l'histoire des camps. Et lorqu'on étudie, camp après camp, les gazages homicides qui y furent pratiqués, émerge une accumulation de bêtises plus sottes et débiles les unes que les autres ce qui prouve le pitoyable niveau de la science concentrationnaire, basée exclusivement jusqu'à nos jours sur les «sacrosaints» témoignages.
D'après vos dires sur l'état des connaissances concentrationnaires, pourquoi n'êtes-vous pas resté révisionniste?
C'est justement lors d'une séance de travail avec Faurisson sur les dossiers de la Justice militaire française concernant le Struthof qu'a retenti [622] à mes oreilles le premier des signaux d'alarme qui m'ont conduit à quitter Faurisson au bout de six mois de collaboration.
Il s'agit encore du gazage des 86 victimes juives du Struthof. A leur arrivée au K. L. Natzweiler, elles étaient en fait 87 et venaient d'Auschwitz où elles avaient été sélectionnées pour leurs caractéristiques morphologiques. Tout mouvement de détenus était inscrit sur les états SS hebdomadaires des effectifs du camp. Celui du 14 août 1943 indique la sortie pour cause de décès de trente juifs. Celui du 21 août, la sortie de 57 juifs aussi par décès. Normalement, le motif de chaque décès, qui devait être de plus déclaré à la Mairie de Natzweiler, était soigneusement noté, par exemple, maladie, tentative d'evasion, pendaison, fusillade, etc. Même si la raison était inexacte, elle devait administrativement figurer au verso du rapport d'effectif hebdomadaire. Or, dans le cas de ces 30 et 57 (87 en tout) détenus juifs, aucune explication n'est donnée sur la ou les raisons de ces morts soudaines et massives. Faurisson, gêné par cette évidence, ayant remarqué que le rapport de début août mentionnant l'entrée des 87 juifs était imprimé en caractères romains et que les deux de sortie l'étaient en gothique, déclara froidement que les SS s'étaient trompés de ligne et que les juifs avaient été libérés (ligne au-dessus), ce qui expliquait le défaut d'annotation au verso... Certaines réflexions ont le pouvoir de dessiller radicalement les yeux. Celle de Faurisson l'eut.
Le deuxième signal d'alarme vint du «rapport Fabre». Fabre était un professeur de toxicologie de la Faculté de Pharmacie de Paris. A ce titre, il réalisa, à la demande de la justice militaire, une recherche de cyanures sur les cadavres restants de l'Institut d'anatomie de Strasbourg et dans la chambre à gaz du Struthof. Le résultat fut négatif dans les deux cas. Faurisson comptait énormement sur ce rapport qui, en apparence, abondait dans son sens. Pas de traces de cyanures, donc pas de gazages homicides. Mais lorsqu'on reprend les données propres à ces gazages, on s'aperçoit que la conclusion négative du rapport Fabre était hautement prévisible pour la chambre à gaz. Sol: en béton, donc lavable. Revêtement des murs: carreaux blancs, lavables pareillement. Nombre de gazages: probablement trois. Durée d'application de l'acide cyanhydrique: 5 à 10 minutes. Évacuation du gaz: par un ventilateur en hauteur, pendant environ un quart d'heure. Fabre dut râcler le plafond pour prélever des échantillons. Mais retrouver des cyanures avec une si faible utilisation et un temps de contact aussi bref est illusoire. Malheureusement, le rapport ne figurait pas dans les pièces du procès et reste toujours introuvable. Pour Faurisson, c'était une preuve supplémentaire qu'on «lui dissimulait un fait capital». Pour moi, qui suis pharmacien de métier, [623] ce fut la deuxième fois que j'en vins à douter de la validité des arguments de Faurisson.
Avez-vous alors quitté Faurisson?
Non. Même si je commençais à comprendre que Faurisson avait, lui aussi, ses limites, mes doutes concernant les crématoires n'avaient pas été éclaircis. Faurisson amplifiait mes interrogations initiales, sans y apporter de réponses convaincantes. Si je voulais voir clair dans cette affaire, il fallait que je m'y investisse personnellement et non dépendre des dires d'un monsieur qui dérapait parfois. C'est la question d'argent qui dicta les rôles. Contrairement aux déclarations hystériques du président de la LICRA, Jean-Pierre BLOCH, affirmant que la Libye finançait les révisionnistes, ces derniers n'avaient pas le sou. Or le dossier de Faurisson relatif au K. L. Auschwitz était assez maigre et un complément de documentation lui était nécessaire. Ce qui signifiait de nouvelles études au musée d'Oswiecim. Faurisson ne pouvait s'y rendre, craignant un refus de consultation. De plus, ses seules ressources provenaient de son salaire versé par l'Éducation nationale. N'étant pas «indésirable» à Oswiecim et étant le seul à pouvoir payer mes déplacements, c'est moi qui repartis en Pologne en août 1980.
En arrivant aux archives du musée, je me trouvais dans une position délicate. J'étais censé n'en savoir pas plus que lors de ma dernière visite et ce n'était plus vrai. J'avais engrangé un acquis révisionniste important et ma vision des crématoires comme parfaits instruments de mort s'était modifiée. J'ai voulu verifier la thèse de Faurisson et j'ai cru à sa validité deux jours. C'est-à-dire que, face aux ruines des crématoires de Birkenau et aux archives SS du musée, la thèse de Faurisson sur l'impossibilité des gazages homicides massifs n'a tenu que deux jours.
Connaissant parfaitement le plan du sous-sol du crématoire II, il me fut facile d'en retrouver l'arrangement dans les ruines restantes. Je découvris au niveau de sa «cave à cadavres-1», la dite chambre à gaz, des ouvertures ne figurant pas sur le plan. Je suis descendu dans l'une d'elles et vis un conduit séparé avec clapet qui semblait communiquer avec le trajet de reprise d'air de la pièce. Même constatation pour les autres ouvertures. La chambre à gaz m'a paru alors plus trouée que du gruyère et incapable, faute d'herméticité, d'assurer le moindre gazage homicide à l'acide cyanhydrique. Là, j'ai cru que Faurisson avait vu juste.
Le lendemain matin, ayant soigneusement répertorié mes arguments dans la nuit, j'ai attaqué Iwaszko sur le plan Bauleitung n' 932. Tout y est passé: la double porte inepte avec un sens d'ouverture inverse de ce qu'il aurait dû être; une aération haute et une désaération basse alors que, [624] pour une chambre à gaz, le contraire était impératif; l'évacuation des eaux usées chargées de gaz prussique communiquant directement avec les WC des médecins SS au rez-de-chausée; le manque d'ouvertures pour le versement du Zyklon-B; l'avancée de la glissière à cadavres gênant le passage des victimes du vestiaire à la chambre à gaz; l'absence sur le plan de l'escalier d'accès au vestiaire, pourtant visible dans les ruines et manifestement ajouté après; enfin, la présence de trois ou quatre ouvertures autour de la chambre à gaz non mentionnées sur le plan que j'avais découvertes. En conclusion, affirmer que la «cave à cadavres-1» du crématoire Il était une chambre à gaz homicide ne tenait pas. Là, Iwaszko fut grandiose. Il ne répondit pas, sortit de la salle de consultation des documents où nous nous trouvions, me laissant savourer ma victoire, et revint avec UN plan SS, le n' 1300 du 18 juin 1942, intitulé "Krematorium-Entwässerung/Crématoire [Il]-Évacuation des eaux». De ma vie, je n'ai jamais reçu une telle gifle - au figuré bien sûr.
Le «1300» répondait en tout à mes remarques concernant le drainage du crématoire-II. L'évacuation des eaux usées avait été modifiée par les SS de la Bauleitung en juin 1942: le conduit menant dans une fosse de décantation reliée aux WC de la salle d'autopsie avait été obturé. Les eaux usées de la «cave à cadavres-1» sortaient à part, passant par le puisard dans lequel j'étais descendu et rattrapaient le conduit principal venant du crématoire, qui se dirigeait vers un lointain fossé d'évacuation. Grâce à cette nouvelle disposition évacuant séparément les eaux chargées de toxique, les SS pouvaient gazer en toute sécurité. J'ai fait comprendre à Iwaszko que, si son plan répondait parfaitement à mes critiques sur le drainage du crématoire, en levant des impossibilités physiques de taille, il en restait d'autres inexpliquées. Nous avons passé un accord. Pour lever mes doutes, il me fournirait à étudier tous les plans des crématoires dessinés par la Bauleitung SS d'Auschwitz. Quand je serais convaincu, je devrais le lui dire. Iwaszko m'a offert ces facilités parce que j'ai su dire que je m'étais trompé sur le drainage et que je n'étais pas de mauvaise foi.
A ce moment-là, je pensais que la thèse de Faurisson était encore à moitié valable et que l'étude intensive des plans SS me permettrait de conclure définitivement, dans un sens ou dans l'autre. Je comptais «boucler» cette recherche rapidement, en un ou deux voyages supplémentaires en Pologne. Je sous-estimais gravement des données et des facteurs qui m'échappaient. D'abord la masse d'archives à étudier. J'ignorais qu'une bonne dizaine d'entreprises civiles avaient participé à l'édification de ces bâtisses, que deux d'entre d'elles, la Huta de Kattowitz et la Konrad Segnitz de Beuthen, avaient dessiné leurs propres plans et qu'existaient [625] en sus des dossiers d'avancement des chantiers rédigés par les contremaîtres de ces entreprises. J'ignorais le rôle essentiel de la firme Topf et fils d'Erfurt, conceptrice des fours d'incinération et responsable de leurs montages. Je pensais que les deux plans du crématoire-I publiés par Faurisson étaient les seuls. C'était faux. Donc, si je voulais obtenir un résultat sûr et indiscutable, je devais étudier tous les documents conservés au musée se rapportant aux crématoires d'Auschwitz. Se posait aussi le problème de la duplication des documents. Photocopier est simple comme bonjour à l'Ouest. Mais dans les républiques populaires d'alors, les photocopieuses étaient rares, souvent en panne et pratiquement inutilisables. Je dus passer par la photographie des pièces sélectionnées. Comme le musée d'Oswiecim ne disposait que d'un laboratoire photo dans lequel travaillaient trois employées dont deux étaient souvent absentes, se procurer des copies ne fut pas une mince affaire et s'étala sur des mois.
Cette étude, beaucoup plus longue que prévue, a nécessité une vingtaine de déplacements en Pologne et a duré de nombreuses années. J'ai suivi une sorte d'enseignement universitaire libre, avec Iwaszko comme professeur au départ, puis tout seul ensuite quand j'ai commencé à dégager des résultats qui étaient en contradiction avec l'histoire communiste du camp. Peu à peu, ma ténacité dans cette recherche a payé. Les portes se sont ouvertes progessivernent. Iwaszko répondait à toutes mes demandes de consultations - mêmes injustifiées - de documents. Si je voulais visionner un film sur le sujet, une salle de projection était ouverte pour moi seul. Iwaszko a eu beaucoup de mal à saisir que je vivais à un rythme occidental et que lorsque je perdais du temps, je perdais aussi de l'argent, car ces voyages me coûtaient cher. Puis les Polonais s'habituèrent à mes passages exigeants et bruyants. Mes derniers séjours aux Archives créaient un tourbillon de demandes de dossiers, de photocopies (enfin!) urgentes, de clichés de plans à réaliser immédiatement. J'étais devenu - aux yeux des historiens du musée d'Oswiecim - le meilleur spécialiste de cette question.
Quels ont été vos premiers résultats et êtes-vous arrivé à une conclusion?
Les premiers résultats obtenus furent de deux sortes. Concernant l'histoire du camp, la démonstration que les crématoires avaient été projetés comme des installations sanitaires normales, puis aménagés en centres de liquidation des «juifs inaptes au travail», c'est-à-dire les femmes, les enfants et les vieillards. Cela peut paraître ne rien changer au fait de la tuerie des juifs, mais la question cruciale était et est toujours: quand l'ordre a-t-il été donné? Faute d'un document écrit, on s'en rapporte aux dires des SS. Selon le commandant Höss, à l'été 1941. Or, la tranformation criminelle [626] des crématoires fut entreprise fin novembre 1942. Cet écart d'un an ne peut s'expliquer que si Höss s'est trompé de date. Affirmer que Höss reçut l'ordre de liquidation début juin 1942 implique que tous les livres écrits depuis cinquante ans sur cette question et indiquant comme prise de décision du massacre l'été 1941 sont inexacts et à revoir. Tel était le premier résultat d'une simple étude des dossiers de la Bauleitung SS d'Auschwitz et qui aurait dû être effectuée depuis longtemps. Quant à la thèse de Faurisson, ce fut une exécution. Lorsque j'ai commencé a consulter les plans et les dossiers de construction des crématoires, de nombreuses difficultés surgirent. L'écriture de quelques plans était en gothique manuscrit que je ne lisais pas. Je dus décomposer les mots lettre par lettre. J'ai abordé les dossiers de construction avec un allemand scolaire, sans plus. Je travaillais en recherchant des mots clés: «Gas/ gaz, Gaskammer/chambre à gaz, Gastür/porte à gaz, Gasdichte Tür/porte étanche au gaz, Ofen/four, Einâscherungsofen/four d'incinération, Verbrennungs0fen/four de crémation, Einâscherungsanlage/installation d'incinération, Krernatoriurn/ crématoire». Dès que j'en trouvais un, je cherchais à saisir dans quel contexte il était employé. Souvent, j'appelais Iwaszko pour m'aider à déchiffrer ou à comprendre. Ces dossiers n'avaient pas été étudiés par les historiens polonais parce que, étant manuscrits, ils étaient difficilement lisibles. C'est sous le crayon d'un contremaître de l'entreprise civile Riedel et fils de Bielitz que j'ai trouvé les deux premières «traces criminelles» concernant le crématoire IV. Ce que je désigne de «traces criminelles» découle de l'aménagement d'un crématoire normal, destiné à incinérer les morts et comprenant essentiellement une ou des morgues, une salle d'autopsie légalement obligatoire, une salle du ou des fours et une cokerie, en un crématoire anormal car comportant une chambre à gaz homicide. Cet aménagement ou cette transformation nécessite des équipements particuliers dont on retrouve mention dans la correspondance SS ou les journaux de chantier des entreprises civiles. Une définition plus juste serait «traces d'aménagement criminelles». La recherche de telles «traces» n'est pas envisageable si les crématoires sont considérés comme étant criminels dès le debut, ainsi que l'ont cru les historiens polonais pendant quarante ans.
Dans le dossier de construction du crématoire IV par la RIEDEL ET FILS, figuraient sous la rubrique «Travaux à effectuer» les indications suivantes: le 28 février 1943, «Poser fenêtres étanches au gaz» et le 2 mars, «... sol à bétonner dans chambre à gaz». Plus tard, dans le dossier de la menuiserie du camp, j'ai découvert une commande de «12 portes étanches au gaz d'environ 30/40 cm» - en fait des fenêtres vu les dimensions - datée du 13 février et livrée le 26. Les dates concordaient parfaite[627]ment. Enfin, dans une pièce du crématoire 1, se trouvent exposées trois de ces fenêtres étanches au gaz, retrouvées dans les gravats du crématoire IV après son dynamitage par les SS le 22 janvier 1945. C'était par ces fenêtres étanches, réparties à raison de 6 par crématoire, que les SS versaient le Zyklon-B dans les chambres à gaz des crématoires IV et V.
Avez-vous informé Faurisson de vos découvertes?
Rentré en France en septembre, je n'avais rien de concret à montrer à Faurisson, sauf lui faire part qu'existaient des pièces qui contredisaient ses dires, pièces que les parties adverses étaient en train de lui communiquer, malheureusement noyées dans un fatras de témoignages inexploitables parce que sans critique historique. Je suis retourné deux fois assez longuement au musée d'Oswiecim où j'ai commencé à étudier sérieusement les dossiers. Durant ces séjours, des discussions historiques tendues m'opposèrent à Iwaszko, parce que mes doutes persistaient. Et puis, je suis tombé sur les premières «traces d'aménagement criminelles» du crématoire IV, que personne n'avait vues depuis 1945. De retour, j'ai averti Faurisson de mes trouvailles. Comme tous les autres auparavant, cet entretien crucial se déroula le 27 novembre au domicile parisien de Piere Guillaume, l'éditeur de Faurisson, où logeait ce dernier lors de ses déplacements à Paris. Ne possédant pas de photos de ces pièces, je leur ai demandé de me croire sur parole et leur ai dit qu'il traînait beaucoup trop de traces et d'anomalies «gazeuses» dans les dossiers du musée d'Oswiecim pour continuer à prétendre que les chambres à gaz homicides d'Auschwitz-Birkenau n'en étaient pas.
Quelles ont été leurs réactions?
Faurisson déclara qu'il ne pourrait se prononcer que lorqu'il verrait les documents en question, ce qui était normal. Même attitude pour Guillaume qui suivait aveuglément Faurisson.
Ont-ils pris en compte ce que vous rapportiez du musée d'Auschwitz?
Non, ils ne pouvaient plus. J'ai compris que, quel que soit le résultat de mes recherches, Faurisson et Guillaume, étaient trop engagés dans les divers procès en cours pour faire machine arrière. A partir de ce moment-là, je devins gênant. Poursuivre l'étude des crématoires signifiait travailler contre eux. Faurisson biaisa. Il orienta mes investigations, avec mon accord et afin de ne lui pas faire de tort, vers les installations d'épouillage des effets des détenus au camp d'Auschwitz afin de démontrer que, si l'acide cyanhydrique avait été utilisé dans certaines pièces des crématoires, c'était afin de tuer les poux des vêtements et non les hommes.
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L'idée était astucieuse, mais impuissante contre la réalité historique. Pourtant, ce travail était nécessaire, voire obligatoire, et Faurisson aurait dû le mener lui-même, avant de conclure. Il se serait aperçu qu'on pouvait employer le gaz cyanhydrique sans difficulté dans des installations très sommaires, à condition qu'elles soient équipées de ventilateurs pour expulser le toxique.
Furent ainsi répertoriées toutes les «Entlausungsanlagen/installations d'épouillage» du camp. Au camp central d'Auschwitz, existèrent trois chambres à gaz d'épouillage au Zyklon-B: une au rez-de-chaussée du Block 1 et deux au premier étage du Block 3. Y fut aussi projetée à proximité du bâtiment de réception des détenus l'installation d'une batterie de 19 cellules d'épouillage au Zyklon-B de type «DEGESCH», la firme diffusant ce produit. Au «Canada I», l'entrepôt de stockage des effets récupérés sur les juifs, une autre. A Birkenau, encore deux dans les bâtiments BW 5a et 5b. Bien plus tard, dans les pièces de la Bauleitung SS conservées aux Archives du KGB à Moscou, j'en découvrirai de nouvelles, destinées à l'épouillage des vêtements des ouvriers civils du complexe concentrationnaire. Sans compter les «Entwesungsanlagen/installations de destruction des parasites» fonctionnant à l'air chaud, au Zentral Sauna, au camp des Tsiganes et dans le secteur dit «Mexico», les trois situées à Birkenau. Sans oublier les autoclaves marchant à la vapeur: un dans le Block 26 du camp central et cinq à Birkenau. Faurisson utilisa ultérieurement cette étude pour susciter le «Rapport Leuchter». De mon côté, elle me servit d'abord à établir que 95 % du Zyklon-B livré à Auschwitz était employé à l'épouillage et que seuls 5 % maximum servait à aspliyxier les juifs, au contraire des dires de Raul HILBERG, et ensuite à prouver qu'a Maïdanek, des pièces présentées par les Polonais comme des chambres à gaz homicides n'étaient que des chambres d'épouillage. Le cOrnique grinçant de cette affaire est que l'idée de Faurisson se vérifia à Maïdanek, mais non à Auschwitz.
Une notion essentielle se dégagea de ce travail: l'aménagement constant des installations ou leur transformation en fonction des besoins ou des ordres supérieurs. Ainsi, l'épouillage au gaz cyanhydrique fut interdit par Berlin dès 1940 et devait être remplacé par l'air chaud. Seulement, le Zyklon-B était rapide et efficace, utilisable dans n'importe quelle pièce qu'on étanchéifiait et équipait d'un ou des ventilateurs. Les pièces à air chaud nécessitaient un matériel plus complexe et plus coûteux. Les SS préférèrent s'en tenir à une méthode sûre, donc à l'acide cyanhydrique. Par exemple à Birkenau, la chambre à gaz d'épouillage du bâtiment BW 5a, après avoir fonctionné au Zyklon-B, fut aménagée pour l'emploi de l'air chaud, au contraire de celle du BW 5b qui resta dans son état pre[629]mier. A Auschwitz, les 19 cellules DEGESCH du bâtiment de réception ne reçurent jamais leur équipement de diffussion du Zyklon-B. On pensa y utiliser un autre gaz, lAreginal (du formiate de méthyle), fourni par l'l.G.-Farben, mais ce projet fut aussi abandonné, toujours faute de matériel adéquat. En dernier lieu, une partie de l'installation, construite mais inutilisée, servit de station d'épouillage expérimentale avec deux postes où était appliqué un champ d'ondes ultracourtes, mis au point par la firme Siemens de Berlin. A Maïdanek, le bloc d'épouillage subit trois modifications sucessives: d'abord, il fonctionna à l'air chaud, puis au gaz cyanhydrique et enfin, il fut aménagé pour tuer des inaptes au travail avec de l'oxyde de carbone. Rien n'était fixe et chaque bâtiment évoluait en fonction du rôle souhaité selon les circonstances. Cette évolution structurelle, que j'avais dejà rencontrée au niveau des crématoires, se vérifiait pour d'autres ensembles et devint le pivot principal de mes conclusions ultérieures,
Quand avez-vous quitté Faurisson?
Tout en menant cette étude «dérivatrice», je continuais simultanément le travail sur les plans et les dossiers des crématoires d'Auschwitz-Birkenau. Je relevais de plus en plus de «traces d'aménagement criminelles» et le comble est qu'elles étaient nouvelles et inconnues de tous, aussi bien des associations d'anciens déportés qui attaquaient Faurisson que de ce dernier. Ces «bavures criminelles» des SS et des civils commençaient à peser fortement sur mes relations avec le dit Professeur, lesquelles s'étaient distendues à partir de décembre 1980. Un jour d'avril 198 1, une crise se produisit entre lui et moi parce que nos divergences d'interprétation étaient devenues abyssales et inconciliables. Faurisson prétend qu'il m'a mis dehors, manu militari. Il y eut séparation, point final. Je lui laissais d'ailleurs gracieusement dix-sept plans explicatifs des crématoires que j'avais dessinés pour l'aider à comprendre les problèmes techniques et qu'il considérait comme «magistraux». Il les utilisa après dans plusieurs conférences. Que cette rupture lui ait été catastrophique et qu'il en ait été furieux, je le conçois, mais pour moi, sa thèse ne tenant plus, je ne pouvais plus continuer à travailler pour lui.
Durant votre passage chez les révionnistes, lesquels avez-vous connus?
J'ai connu assez peu de révionnistes, trois exactement en dehors de Faurisson. Eric Delcroix, l'avocat de Faurisson, politiquement de droite, qui soutient et défend encore fanatiquement les délires d'inexistence de son client. Serge Thion que j'ai dû rencontrer une ou deux fois en comprenant immédiatement rien qu'à le voir, qu'il n'était pas de mon [630] bord - politique - et que nous n'avions rien à nous dire, ce qui n'a pas empêché, à la suite de la publication de mon livre «Les crématoires d'Auschwitz» aux CNRS-Éditions, de nous parler au téléphone, mais toujours pour ne rien dire. Et enfin Pierre Guillaume, connaissance incontournable puisque toutes les réunions de ce petit monde se tenaient chez lui. Guillaume est un ancien «Brution», appellation de ceux qui sont passés au Prytanée Militaire de la Flèche dont je suis. Étant d'extrêmegauche, c'est au nom de fumeuses théories marxistes qu'il a découvert, aidé et publié Faurisson. Guillaume n'a jamais vérifié le travail du «Professeur», ce qui le plaçait dans une situation de sujétion intolérable. Ayant gardé un contact épisodique avec lui après ma rupture avec Faurisson, jamais, au cours de nos entretiens, il ne put contrer mes affirmations en face. Puis, par derrière, dans des écrits méprisants, il se gaussait de mes travaux, sans avancer la moindre preuve à l'appui de ses railleries.
Qu'avez-vous fait après cette rupture avec Faurisson?
A l'époque, je perdais beaucoup. En particulier, toute sa documentation, du moins le pensai-je. Quand je parle de la documentation de Faurisson, je devrai dire plus exactement celle du musée d'Oswiecim. Les quatre plans Bauleitung des crématoires (deux du 1, un du Il et un du IV) qu'il possédait venaient de là. Les photos, aussi. La correspondance des SS avait été fournie par les parties adverses et généreusement traduite entièrement en francais. Ses armes, il les prenait chez l'adversaire. Faurisson vivait sur les autres et attendait d'eux qu'ils prouvassent l'infaillibilité de son hypothèse. Payé par l'Éducation nationnale à ne rien faire, adulé mondialement comme «pape» du révisonnisme, il avait déclaré à la défunte revue «Zéro» que les chambres à gaz étaient «magiques» et permettaient de vivre confortablement. Depuis 1980, il exploite de naïfs idéalistes, tels Pierre Guillaume, Carlo Mattogno, Henri Roques, Ernst Zundel, Fred Leuchter, John C. Ball, David Irving, moi-même, etc., dont il a parfois brisé la carrière en les entraînant dans «la plus grande aventure intellectuelle de cette fin de siècle».
Pour reconstituer le fonds de documents sur lesquels j'avais travaillé, je retournai au musée d'Oswiecim, exposai la situation à Iwaszko, le prévins que je n'étais toujours pas convaincu et lui demandai son aide. En peu de temps, j'ai dépassé le niveau documentaire faurisonnien. Afin que mes résultats soient incontestables, j'ai dû effectuer une vingtaine de séjours en Pologne. Au début, Iwaszko ne comprenait pas mon obstination à rassembler toutes les pièces concernant les crématoires et les [631] installations de gazage, d'épouillage et homicides. Les employés du musée travaillaient alors sur les historiques des multiples camps annexes du complexe concentrationnaire et cette question centrale, mais ancienne pour eux, ne les concernait plus. Elle avait été menée à la fin de la guerre par le juge polonais Jan Sehn, qui fut chargé d'instruire le dossier d'accusation de l'ex-commandant du camp, Rudolf HOSS. Mort dans les années soixante-dix, il ne l'avait pas exploité à fond comme je m'en rendis compte, vu que je suivais ses traces. J'ai simplement continué le travail de cet homme dont je respecte la mémoire. Cette recherche me fut extraordinairement intéressante, bonifiante et m'a probablement transformé. Un camarade l'a comparé à une initiation maçonnique. J'ai eu à escalader un pic montagneux. A mesure que l'ascension progresse, la vue s'améliore. Ainsi, j'ai pu juger le combat entre Faurisson et Georges Wellers, directeur du CDJC (Centre de Documentation juive Contemporaine) de Paris. Wellers se parait d'un titre honoraire de la Faculté de médecine de Paris et se drapait dans sa dignité d'ancien déporté racial. Faurisson se targuait de sa suffisance infaillible de professeur et de l'auréole du martyr de la Vérité. Leur niveau de connaissances étant égal, ils se battaient à coup d'articles autoritaires et cinglants, sans que l'un puisse l'emporter sur l'autre, parce que leurs arguments étaient pitoyables, faute d'avoir acquis l'ensemble des données pour trancher. A une certaine hauteur, on rencontre de moins en moins de monde et, soudain, c'est la solitude complète. J'avoue que ce fut très dur. Je fus bientôt obligé pour parler, banalement parler, de mes problèmes de me rendre au musée d'Oswiecim pour rencontrer Iwaszko. Et même cela devint difficile, car le domaine que j'explorais n'était pas la spécialité d'Iwasko qui portait sur les conditions de vie des détenus dans l'ancien camp.
Les évidentes modifications successives des bâtiments crématoires, en fonction des besoins des SS, expliquaient mes interrogations et levaient mes doutes initiaux. Bien sûr, ce ne fut pas soudain, comme une révélation céleste, mais progressif, au fur et à mesure que je m'enfonçais dans la lecture de tous les écrits et plans de la Bauleitung SS et des entreprises civiles allemandes, ce que personne n'avait réaliseé. De plus, qu'une étude technique des crématoires puisse révéler de sérieuses erreurs dans l'histoire officielle d'Auschwitz, établie et diffusée depuis quarante ans par des historiens renommés, ne me serait jamais venu à l'esprit. Voici une retombée immédiate, mais mineure, de l'étude des crématoires relative au livre du Dr Miklos Nyiszli, Médecin à Auschwitz. Il raconte que, dans le crématoire Il ou il vécut sept mois, quatre ascenseurs montaient les corps des gazés de la chambre à gaz souterraine à la salle des fours au rez-de-chaussée. Huit plans de la Bauleitung, ainsi que les ruines, [632] n'en montrent qu'un. Médecin légiste, donc précis et rigoureux, il ajoute qu'on entassait 3.000 personnes dans 210m2, disposition irréaliste. Nyiszli est mort dans les années cinquante et son manuscrit en hongrois n'a pas été retrouvé. Par contre, existent de multiples traductions de son récit, propagé dans le monde entier.
Les documents allemands sur le massacre des juifs sont rares. Berlin ayant été bombardé, les offices centraux SS y siégeant ont vu leurs papiers flamber. La masse des documents décisifs, dits «centraux», portant les ordres, a été anéantie. Au contraire des documents de certains camps de concentration, qui furent saisis à la libération, et dits «périphériques». On cherche donc à reconstituer les ordres «centraux» à partir des pièces «périphériques», quelles qu'elles soient. D'où l'importance d'établir une chronologie de la construction et de la transformation criminelle des crématoires de Birkenau, permettant de compenser le manque de documents «centraux». Je n'ai pu vraiment ébranler la chronologie du massacre des juifs à Auschwitz qu'après avoir consulté la totalité des documents de la Bauleitung SS d'Auschwitz, c'est à dire après avoir réuni au fonds des archives d'Oswiecim celui des archives du KGB moscovites.
Comment avez-vous été accepté ensuite comme historien?
Jusqu'à la publication de mon premier ouvrage important, Auschwitz: Technique et fonctionnement des chambres à gaz, je fus appuyé par trois personnes. Iwaszko m'ayant prié de porter un livre à un ancien détenu francais de Monowitz (ou Auschwitz 111), Jacques Zybermine, celui-ci me mit en contact avec Georges Wellers.
Ce dernier me demanda un échantillon de mon savoir. Les documents portant sur les crématoires IV et V de Birkenau étant relativement peu nombreux, je rédigeai sur ces bâtiments un texte d'une vingtaine de pages et le lui donnai. Puis, j'attendis sa réaction. Il n'en eut pas. Grâce à de nouveaux documents provenant de mes voyages répétés à Oswiecim, j'étoffai mon écrit initial qui fut porté à quarante pages, que je communiquai à Wellers. Toujours pas de réaction. Wellers bloquait mon travail, parce que les pièces allemandes que j'utilisais lui étaient totalement inconnues et que ces données originales dérangeaient son ordonnance personnelle de cette histoire. Le peu que j'ai fourni sur les crématoires IV et V, par rapport à ce que j'avais accumulé sur les Il et III, était déjà beaucoup trop révolutionnaire pour lui. Lors d'un entretien en tête à tête, nous avons discuté violemment sur une photo SS de mai-juin 1944 montrant le crématoire IV. Visible de tous alors, il n'était pas «carnOUflé» comme WELLERS le pensait et comme le montrait une photo aérienne ultérieure, entouré d'une haie. Il refusait de se rendre à l'évi[633]dence et n'acceptait pas le fait. Un aveuglement aussi délibéré, aussi stupide, me stupéfia. Je découvris que, comme Faurisson, Wellers avait pareillement des limites bornées et infranchissables. Mes travaux l'intéressaient tant qu'ils confortaient ses idées, mais il était hors de question de publier ce qui le contrariait.
Je fus très dérouté par l'attitude irrationnelle de Wellers et ne savais que faire. Ayant été impressionné par Un Eichmann de papier, article paru dans la revue «Esprit» et dénonçant Faurisson, je téléphonai à l'auteur, Pierre Vidal-Paquet et lui déclarai que s'il désirait un seconde mémoire d'Auschwitz, j'étais en train de le constituer. Je lui remis un livret d'environ 80 pages, toujours sur les crématoires IV et V. Vidal-naquet estima valable ma démonstration sur l'évolution des bâtiments, déplora avec justesse que mon écrit fût mal organisé et donc impubliable, mais conclut que les documents produits étaient trop importants pour rester ignorés. Il trouva une solution en me «propulsant» comme intervenant au colloque L'Allemagne nazie et l'extermination des juifs qui se tint à la Sorbonne du 29 juin au 2 juillet 1982. Dans l'après-midi du 30 juin, j'y parlai exactement 18 minutes en projetant 36 diapositives de documents inconnus de cette docte assemblée. Vidalnaquet me félicita - et pour cause, étant le seul à avoir produit du matériel historique neuf - quoiqu'il ait pensé qu'il existait une chance sur mille pour que je tourne casaque au dernier moment et défende les thèses révisionnistes. Voyant l'effet obtenu par mon intervention, Wellers qui participait au colloque, assis juste à côté de moi, m'annonça que, désormais, l'impression de mes résultats était urgentissime. En septembre, Le Monde juif, la revue du CDJC, publiait un article sur les crématoires IV et V de Birkenau. Dans l'introduction, Wellers, forcé de présenter l'article et de reconnaître l'originalité de mon travail, y condamnait ma théorie sur l'évolution de l'arrangement intérieur. En vain d'ailleurs, puisque les documents la confirmaient. Et j'ai poursuivi, seul, mes recherches.
C'est au musée d'Oswiecirn que me fut présenté tout à fait par hasard L'album d'Auschwitz diffusé par Serge Klarsfeld dont j'avais entendu parler en tant que «chasseur de nazis». Je n'accepte pas la démarche qui consiste à traîner devant les tribunaux des vieillards gâteux parce qu'ils ont participé ou furent les auteurs de «crimes contre l'humanité», définition hautement aléatoire de certaines actions générées par la guerre. Je ne crois pas à la valeur éducative des procès, surtout que les témoignages, les débats et parfois des pièces produites ne sont ensuite plus consultables pendant cinquante ou cent ans. L'histoire se construit sans haine, avec lucidité, à partir des documents restants, permettant de [634] contrôler les dires des participants. Ayant appris par le musée d'Oswiecim que Klarsfeld vivait à Paris et malgré mes réserves sur son activité qui devinrent de plus en plus fortes au fil des ans, je lui téléphonai pour me procurer L'album d'Auschwitz. Je croyais être un parfait inconnu pour lui. J'avais oublié ma publication dans Le Monde juif. Il me remit un exemplaire de L'album que j'ai commencé immédiatement à étudier. C'était une reproduction d'un album photographique réalisé par un SS lors du tranfert des juifs de Hongrie à Auschwitz en mai et juin 1944. Une partie, sélectionnée pour travailler dans les usines d'armement, fut envoyée un peu partout en Allemagne et le reste, liquidé. Ce fut l'ultime fois où les crématoires II, Ill et V, ainsi que l'installation dite Bunker 2, fonctionnèrent simultanément. Le dernier grand massacre d'Auschwitz. Le ou les photographes SS avaient enregistré l'arrivée de ces gens, leur descente des wagons, leur séparation en deux colonnes - hommes d'un côté et femmes et enfants de l'autre, leur sélection par les médecins SS pour le travail ou la mort, le départ des inaptes vers les crématoires - les Il et V à cette époque, et leur entrée sur le terrain de ces bâtisses. Trois photos étaient importantes car elles montraient en arrière plan des victimes les crématoires III et IV. Mais le «reportage» SS s'arrêtait devant les crématoires et l'ultime étape des femmes, enfants et vieillards condamnés ne fut pas photographiée. Elle fut dessinée après la guerre par un membre du Sonderkommando du crématoire III, David OLERE.
L'album que diffusait Klarsfeld était un document brut, sans légendes. J'ai recherché les séquences prises par les SS et ai reclassé l'ensemble en les situant à Birkenau. Ce travail fut publié par Le Seuil en 1983. En 1985, Klarsfeld me fit réaliser une courte étude sur les gazages homicides du camp de Natzweiler-Struthof, que sa fondation publia. En octobre 1989, la somme de mes recherches sur AuschwitzBirkenau fut publiée en anglais, toujours par la fondation Klarsfeld, sous le titre Auschwitz: Technique and operation of the gas chambers. Ce «pavé» ne fut tiré qu'à mille exemplaires, mais suffit pour asseoir ma réputation parmi les historiens spécialistes du sujet. Ensuite, j'ai rédigé une réfutation du fameux rapport Leuchter, toujours publiée en anglais. L'ouverture des archives du KGB à Moscou et la redécouverte des archives de la Bauleitung SS d'Auschwitz, saisies par les Soviétiques en 1945, me perrnirent d'effectuer une synthèse complète de cette histoire que publièrent fin 1993 les Éditions du CNRS sous le titre Les crématoires d'Auschwitz.
Pensez-vous que l'on puisse attribuer une connotation politique au révisionnisme?
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Pour de nombreuses personnes, le révisionnisme est l'apanage de l'extrême-droite. De nos jours. Lorsque j'ai rencontré Faurisson en 1980, l'extrême-gauche contestait la présentation officielle de l'univers concentrationnaire et la réalité des chambres à gaz homicides, acceptées alors bon gré mal gré par l'extrême-droite. Puis devant le succès certain de ces «mises en doute», cette dernière a récupéré à son compte ce cadeau inespéré qui l'exemptait d'une tare majeure.
En fait, tout dépend du champ d'application du mot «révisionnisme». Le premier révisionnisme contemporain portait sur la responsabilité du déclenchement de la première guerre mondiale. Les Alliés accusaient les Centraux d'avoir déstabilisé le mécanisme des alliances européennes, devenu incontrôlable après la mobilisation austro-hongroise. En 1919 à Versailles, les Allemands furent voués à la vindicte universelle et chargés de toutes les turpitudes imaginables, inventées par la propagande de guerre alliée. Le véritable responsable de cette inutile boucherie était la Russie, appuyée et financée par la France, et qui, en mobilisant son armée la première, provoqua par là en quatre ans la mort de huit millions d'hommes. Bien que le fait soit patent et ait été connu dans les années trente, comment le faire accepter aux «poilus» sacrifiés en vain et pour qui le «boche» demeurait l'ennemi héréditaire? Après la seconde guerre mondiale, le même problème de la responsabilité se reposera, mais une véritable réponse ne sera possible et donnée que lorsque tous les acteurs du conflit auront disparu. La question principale du révisionnisme actuel - qui porte la responsabilité de l'embrasement? - n'étant pas encore traitable, restaient les «locales».
D'abord, les bases juridiques du procès de Nuremberg furent attaquées. Sa procédure expéditive, la rétroactivité des accusations et l'acceptation de charges sans preuves, furent dénoncées en France par Maurice Bardèche qui récidiva avec les procès dits de Dachau où le personnel américain avait torturé les SS jugés. Ensuite et toujours en France, les conditions de vie dans les camps de concentration furent abordées par un ancien détenu, Paul Rassinier. Le rôle de la Häftlingsführung/[organisation des camps par les détenus], aux mains des communistes qui s'en glorifiaient pour le «bien» qu'ils y avaient fait, fut présenté par Rassinier comme étant nuisible, parfois mortel, pour les détenus non communistes, c'est-à-dire la grande majorité des déportés. A l'époque, on croyait que chaque camp de concentration possédait sa propre chambre à gaz homicide pour liquider les juifs, les communistes et les détenus au stade «musulman». Rassinier, qui avait été prisonnier à Buchenwald, affirma qu'il n'en existait pas dans ce camp et, pareillement à Dora, ce qui est historiquement exact. Ce fut un beau tollé et il fut accusé publiquement en novembre 1950 de nier la pré[636]sence de chambres à gaz dans les camps de concentration, généralisation qu'il n'avait jamais faite. Dénoncé avec hargne et fanatisme par les anciens détenus communistes, Rassinier, lui-même socialiste, fut contraint de se faire éditer par l'extrême-droite. De nos jours, l'oeuvre de Rassinier, par sa documentation obsolète, ne peut plus être considérée que comme une curiosité annonciatrice du négationnisme.
«La persécution des juifs dans les pays de l'Est» désigna jusqu'à la fin des années quarante les traitements infligés aux juifs par les Allemands. Le jugement formulé à Nuremberg porte sur la «persécution» et non le «génocide» et indique: «Comme moyen d'aboutir à la «solution finale» - il aurait fallu ajouter: «telle qu'elle fut définie fin mars 1942» - les juifsfurent réunis dans des camps, où l'on décidait de leur vie ou de leur mort selon leur condition physique. Tous ceux qui le pouvaient encore devaient travailler; ceux qui étaient hors d'état de lefaire étaient exterminés dans des chambres à gaz, après quoi on brûlait leurs cadavres. Certains camps de concentration, tels que Treblinka et Auschwitz, furent principalement choisis à cette fin». Deux livres majeurs vont introduire une thèse particulière, toujours admise de nos jours par une majorité de personnes, mais dont l'irrecevabilité s'impose progressivement grâce à une étude des archives allemandes, générales et techniques, dégagée de la manie obsessionnelle de voir partout des mots «codés» pour pallier le manque de documents. Ce furent The Final Solution [La solution finale] du britannique Gerald Reitlinger en 1953 et The Destruction of the European Jews [La destruction des juifs d'Europe] de l'américain Raul Hilberg en 1961. Ces livres présentaient le massacre des juifs comme un génocide, froidement organisé et exécuté de manière ininterrompue, avec comme point de départ, soit le texte de Mein Kampf où HITLER pense que, si, durant la première guerre mondiale, douze à quinze milles Hébreux avaient été soumis aux gaz du front et liquidés ainsi, un million de vies allemandes auraient pu être épargnées, soit les mesures d'exclusion administratives de 1933 et comme but ultime, l'anéantissement massif à Auschwitz en 1944. Reitlinger constata pourtant que les survivants avaient tendance à exagérer, pour mieux faire comprendre le désespoir de leurs vies dans les camps, et que les chiffres avancés étaient à minorer fortement. Alors que Reitlinger reconnaissait qu'il ne pouvait expliquer certains épisodes en contradiction avec ce qu'il pensait avoir été une extermination systématique planifiée par les Nazis, Hilberg passa sur ces détails gênants. Des deux livres, le moins nuancé, celui de Hilberg, l'emporta et devint un classique du genre, au point d'éclipser totalement celui de Reitlinger. Actuellement, à la librairie du musée de l'Holocauste à Washington, on peut acheter TOUS les livres parus sur ce thème, [637] SAUF celui de Reitlinger. Rassinier attaqua le travail de Hilberg, mais sans vrai succès faute de nouveaux documents d'archives. Au début des années soixante-dix, un ingénieur en électricité americain, Arthur R. Butz, fut révolté par l'argumentation de Hilberg, perçue comme une tromperie grossière, au point qu'il considéra le dit «génocide de six millions de juifs» comme «La mystification du vingtième siècle», appellation qui devint le titre de son livre de réfutation publié en 1976. Pas plus que Reitlinger, artiste et collectionneur, et que Hilberg, professeur de sciences politiques, Butz n'était historien. Mais il apportait un esprit et des connaissances scientifiques que les historiens traditionnels ne possèdent pas, leur forrnation étant littéraire. Par ailleurs, je pense que la récente «conversion» du célèbre historien anglais David Irving au révisionnisme est due, elle aussi, aux outrances de la thèse génocidaire exposée par Hilberg.
Puis vint Faurisson et sa négation farouche des chambres à gaz homicides. Le «professeur de Vichy» est un littéraire, ayant saisi le rôle primordial de l'instrument du meurtre massif, mais inapte à en réfuter scientifiquement l'existence. Il se servit des arguments de Butz et c'est la raison principale de l'absence de publication du livre de Butz en français.
Parmi les disciples importants de Faurisson, sont à retenir l'italien Carlo Mattogno, travaillant sur les fours de la firme Topf afin de démontrer que leur rendement incinérateur était incompatible avec le nombre avancé des victimes à brûler et le canadien anglais John C. Ball, spécialisé dans l'étude des photographies aériennes des camps de concentration, tentant de prouver, entre autres, que BeIzec n'était qu'un camp de bûcherons. Leurs travaux sont souvent originaux, mais l'axiome de Faurisson sur l'inexistence des chambres à gaz homicides les empêche d'obtenir des résultats de valeur. Est à mentionner à part, pour son rôle de propagandiste acharné des thèses révisionnistes, le Canadien anglais Ernst Zundel qui fut l'accusé des deux procès dits de Toronto.
Ce mouvement révionniste est mondial et attire des personnes de sensibilité politique différente. Leur contestation provient souvent de la découverte de la fausseté patente d'un épisode qu'ils croyaient définitivement établi. Cette tendance à réétudier l'histoire de la seconde guerre mondiale est propre à notre époque, jugeant les faits avec un demi-siècle de recul. Dernièrement aux Etats-Unis, le cinquantenaire de la destruction des villes d'Hiroshima et de Nagasaki a opposé les anciens combattants à des historiens américains «contestataires» ou «révisionnistes» sur l'emploi justifié ou non de la bombe atomique. Écourter la durée de la guerre et éviter le sacrifice d'un million de vies américaines pour conquérir le [638] Japon est l'alibi classique utilisé depuis la fin de la guerre pour légitimer les deux tueries nucléaires. Justifications totalement fausses. Le Japon cherchait désespérément une sortie «honorable» et était prêt à se rendre à la condition intangible que l'empereur reste en place. Les pertes américaines prévues pour une dernière opération militaire décisive oscillent entre 26.000 et 46.000 et sont sans rapport avec le million généralement admis. Les deux bombes ont été larguées sur des civils japonais surtout pour intimider les Soviétiques et accessoirement convaincre les contribuables américains que les milliards de dollars engloutis dans le «Manhattan Project» ne l'avaient pas été en vain. Mais ce qui est frappant, est la cécité volontaire des acteurs refusant de mettre en cause les «acquis». Aux États-Unis, les anciens combattants l'ont emporté sur les historiens. Pour l'instant.
Selon vous, faire évoluer l'histoire de la période 1940-1945 est toujours actuellement impossible.
Sur des points mineurs, tout est possible ou, mieux, permis. Mais lorsqu'on touche aux grandes questions ou aux affaires délicates, rien ne va plus. Soit une autorisation officielle gouvernementale ou d'une autorité «reconnue» sera nécessaire, soit la publication d'un résultat sera acceptée, mais le résultat en lui-même ne le sera pas et restera lettre morte, soit enfin le texte tombera sous le coup d'une mesure d'interdiction telle la loi Gayssot en France visant à réprimer la contestation de «l'existence des crimes contre l'humanité sanctionnés par une juridiction française ou internationale». Cette imbécilité réactionnaire communiste votée par une majorité de députés soi-disants «progressistes» ne pourra encadrer politiquement l'histoire encore très longtemps, parce que les acquis historiques ne sont pas fixés pour l'éternité et fluctuent en fonction des décisions politiques, des documents retrouvés ou d'enquêtes de recoupements inattaquables.
Le massacre des officiers polonais à Katyn fut attribué par le Tribunal de Nuremberg aux Allemands, alors que tout le monde savait que c'était un mensonge éhonté. Dans les années soixante-dix, un article sur Katyn incriminant les Soviétiques devait être obligatoirement contre-balancé par un rectificatif communiste indiquant que les sales fascistes allemands étaient les vrais et seuls coupables. Le gouvernement de l'URSS n'a reconnu sa culpabilité qu'en 1990. De 1945 à 1990, il ne fut pas permis de dire la vérité sur les responsables de la tuerie. Maintenant, ça l'est.
L'agression hitlérienne injustifiée de la pacifique Union des républiques socialistes soviétiques en juin 1941 est un poncif que des millions d'enfants ont ânonnés sur les bancs des écoles. Les premières grandes [639] victoires allemandes furent remportées parce que la Wehrmacht surprit l'Armée rouge en plein mouvement de concentration, quelques semaines avant qu'elle ne s'élance sur les autoroutes allemandes et n'essaie de soumettre l'Europe. L'armement soviétique d'alors l'indique formellement: des chars rapides inaptes à combattre en Russie; la formation d'un million de parachutistes, corps offensif par excellence; des avions d'assaut entassés sur les terrains en bordure de la frontière germano-soviétique. Détruire ses propres fortifications frontalières est un signe qui, lui non plus, ne trompe pas sur les intentions de celui qui l'entreprend. Ces faits sont connus, irréfutables, mais pour Monsieur tout le monde, l'Allemagne a déclenché le conflit en se ruant à l'assaut d'un calme pays dont l'industrie, proclamée planifiée pour la production de biens d'équipement devant amplement combler les besoins du peuple, avait fabriqué plusieurs dizaines de milliers de chars, entraînant une réduction honteuse du niveau de vie des habitants, situation misérable maintenue par une terreur omniprésente.
Sans pousser jusqu'à l'absurde négation faurissonienne, l'étude des chambres à gaz homicides réserve parfois des surprises de taille. A Dachau, la construction du nouveau crématoire où se trouve la chambre à gaz dura de fin 1942 à avril 1943. Elle devait servir à liquider les juifs occidentaux. Grâce aux sabotages des détenus l'aménageant, elle ne put être opérationnelle qu'en 1945, trop tard pour être utilisée. Ces données furent fournies après-guerre par le Comité international de Dachau. Un gazage fut décrit par un ancien détenu médecin, le Dr Blaha, ayant été d'après la version officielle, qu'en 1945. Mais Rascher fut arrêté par la police allemande le 28 mars 1944, parce que sa femme, prétendant être enceinte à l'âge de 51 ans, avait fait voler un nourisson pour le présenter comme étant le sien. Donc le gazage rapporté par Blaha ne peut se situer qu'en 1944, avant l'arrestation de Rascher. Si on a la curiosité de monter au grenier du crématoire, on peut y constater que l'ensemble de l'appareillage technique de la chambre à gaz fut posé et est pratiquement intact, exceptées quelques dégradations dues à la soldatesque américaine. Sur le caisson de la soufflerie est fixée une plaque de fabrication donnant les caratéristiques du ventilateur et son année de construction: 1944. Le gazage eut lieu entre janvier et fin mars 1944 et plus probablement à la mi-mars. Portant sur sept détenus, deux semblent en être morts. Le gaz utilisé était un vésicant, tel l'ypérite ou la Iéwisite, dont Rascher voulait étudier la diffusion à diverses températures. Il s'agit donc d'une chambre à gaz médicale expérimentale, et rien d'autre, n'ayant servi qu'une fois. Le film d'horreur tourné par les Alliés [640] sur les camps et projeté au Tribunal de Nuremberg ne montre qu'une seule chambre à gaz présentée comme homicide et fonctionnant au Zyklon-B, celle de Dachau, ce qui est doublement inexact. Alors que reste-t-il dans ce film, exactement, des accusations de gazages homicides massifs?
J'ai envoyé à la directrice du musée de Dachau un article d'une vingtaine de pages sur sa chambre à gaz dans lequel j'exposais plus longuement les documents, les faits et les raisons me conduisant à penser que cette chambre n'avait pas été prévue sur les plans initiaux du nouveau crématoire, qu'elle avait été aménagée dans la morgue de ce dernier fin 1943 - début 1944 sur ordre du Dr Rascher pour mener à bien une série d'expériences médicales sur la diffusion de gaz vésicants en fonction de la température. A ce jour, je n'ai reçu aucune réponse à ce texte. Aveuglement de l'acquis. Sans commentaire.
A l'occasion du cinquantième anniversaire de la libération des camps, un livre souvenir sur la déportation fut publié par Marcel Ruby évoquant dix-huit camps de concentration et d'extermination. RUBY ne se fonde que sur les historiques déjà publiés et n'a pas entrepris de recherches dans les archives. Je ne retiendrai de son travail que les chifres des victimes cités. Pour Dachau, 70.000 alors que le musée du site donne environ 30.000. Natzweiler-Struthof en aurait provoqué 11.000, chiffre donné par le comité d'entretien du camp au mépris de la réalité, proche de 2 à 3.000. Pour les camps d'extermination, Ruby se réfugie derrière Hilberg «dont les travaux font autorité». Les chiffres de Hilberg proviennent de sources polonaises qui n'ont jamais été corrigés depuis 1950. Mais en 1990, les Polonais declarèrent ces chiffres «émotionnels», parce qu'établis sous le choc de l'ouverture ou de la découverte des camps de la mort et, mais sans s'en vanter, durant la période stalinienne. Ce système, consistant à s'abriter derrière l'autre, devient dangereux dès que le premier de la file se retire. J'ai essayé de cerner le nombre de victimes des camps dits d'extermination sur des bases matérielles: surface de la chambre à gaz et quantité de personnes pouvant y tenir, temps d'un gazage, nombre de gazages quotidiens, nombre de convois arrivant par jour en fonction des capacités réelles des chambres, etc. Par rapport à ceux de Hilberg, empruntés aux Polonais, voici les chiffres que j'obtiens. Chelmno: de 80 à 85.000 au lieu de 150.000; Belzec: de 100 à 150.000 au lieu de 550.000; Sobibor: de 30 à 35.000 au lieu de 200.000, Treblinka: de 200 à 250.000 au lieu de 750.000; Maïdanek: moins de 100.000 au lieu de 360.000. En fait, Ruby, tout en se targuant de l'autorité de Hilberg, ne tient pas compte de ses rectifications - mineures - des chiffres polonais et produit ces derniers dans leur exagération d'origine. Le coefficient multi[641]plicateur émotionnel varie de 2 à 7 et est en moyenne de 4 à 5. Cette moyenne s'applique parfaitement à Auschwitz.
Dans le cas de ce complexe concentrationnaire, dès 1945, les SS ont reconnu qu'ils avaient perdu toute notion du nombre de morts, parce qu'il y en avait trop pour que l'esprit humain puisse le concevoir. Quant aux anciens détenus, leurs chiffres sont le fruit de rumeurs d'époque amplifiées par leur imaginaire. Les acteurs du drame sont incapables de fournir le moindre chiffre valable, aussi bien les SS débordés par la mortalité épidémique et par celle qu'ils provoquaient que les détenus faute d'information concrète. Seuls les historiens peuvent tenter d'obtenir un ordre de grandeur chiffré sûr. Le chiffre de quatre millions de victimes, fixé après la guerre après négociations entre les responsable communistes soviétiques et polonais, est de propagande et sans fondement historique. Même un Ruby en convient et avance 1,2 million. Le chiffre le plus sérieux avant mon estimation est celui d'un historien polonais, Franciszek Piper, avançant 1,1 million en 1990. De mon côté, j'ai proposé 800.000 puis, après une étude plus détaillée de la déportation des juifs de Hondrie, 700 000. Ruby, comme d'ailleurs Vidal-naquet, qui n'y connaissent rien, ne peuvent que trouver mon résultat trop faible. Le gouvernement polonais n'a pas retenu l'étude de Piper et a imposé, pour des raisons politiques, qu'un million et demi de personnes étaient mortes à Auschwitz-Birkenau.
L'obstination des anciens déportés à défendre des faits ou des chiffres historiquement inacceptables compromet gravement leur volonté de transmission de la «Mémoire». En imposant par une loi répressive les jugements du Tribunal de Nuremberg, ils tuent la seule partie relativement valable de ce dernier, à savoir la publication des documents allemands à charge. Quelle valeur pourront retenir les générations futures d'un procès où les traductions allemandes furent biaisées, certains dossiers élagués (cas du dossier SS sur le nouveau crématoire de Dachau), avec en prime, un film d'accusation ne reposant plus sur rien? Je ne compte pas les tortures infligées aux accusés lors des procès dits de Dachau.
Quant au massacre des juifs, plusieurs notions fondamentales doivent être entièrement reprises. Les chiffres avancés sont à revoir de fond en comble. Le terme «génocide» ne convient plus. Des 1961, HILBERG employait le mot «destruction» dans le titre de son livre. Il faut abandonner le concept d'une extermination systématique programmée dès l'origine. Il eut plutôt une radicalisation progressive, imposée par la guerre qui elle-même exacerbait l'antiséminisme violent de Hitler et de son entourage direct. Des mesures de plus en plus coercitives, de plus en plus drastiques, furent élaborées et appliquées pour aboutir en avril 1942 au «massacre de masse».
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Il semble que pour vous, le révisionnime aurait de bons côtés et qu'on pourrait dialoguer avec eux, ce qu'un homme comme Vidal-naquet refuse absolument. Comment expliquer cette divergence?
Un Italien comme Carlo Mattogno est incontestablement devenu le meilleur chercheur du côte révisionniste. Dans le premier numéro des Annales d'histoire révisionniste du printemps 1987, l'article principal est de lui et s'intitule «Le mythe de l'extermination des juifs». La méthode utilisée par Mattogno repose sur la confrontation des témoignages, habituel procédé faurissonnien, et conclut, après avoir relevé leurs multiples contradictions, à leur irrecevabilité et à l'inexistence des chambres à gaz. Il ne cherche surtout pas à expliquer ces divergences. Au sujet du nombre des fours d'incinération à Birkenau, existaient cinq fours trirnoufle dans le crématoire 11, idem pour le III, deux fours quadrimoufle dans le crématoire IV, idem pour le V, soit en tout 46 creusets incinérateurs. Lorsque le commandant Höss parle de 10 fours, il évoque les 10 fours trimoufle des crématoires Il et III. Quand il dit 15 fours, il s'agit des quinze creusets incinérateurs équipant le crématoire Il ou le 111. Un ancien médecin légiste juif hongrois, le Dr Miklos Nyiszli, ayant travaillé avec le Dr SS Mengele au crématoire Il, y décrivit la marche des 15 fours, chiffre aussi avancé par un membre du Sonderkommando, Dov Paisikovic. Là encore, les deux témoins se réfèrent aux 15 creusets incinérateurs des crématoires Il ou III. Des situations contradictoires peuvent pareillement être expliquées à condition de connaître l'évolution des bâtiments crématoires. Höss affirme qu'«au bout d'un temps très court, le crématoire IV fut hors d'usage et on ne l'utilisa plus jamais depuis» alors qu'un autre SS de la Section politique, Pery Broad, soutient que «les quatre crématoires marchaient à toute vapeur. Mais bientôt, à la suite d'une surcharge continue, les fours tombèrent en panne, et seul le crématoire IV fumait encore». Höss fait référence indirectement à la courte garantie de deux mois accordée par la firme Topf d'Erfurt pour le double four quadrimoufle du crématoire IV parce que son utilisation était excessive, ce qui provoqua son arrêt vers la mi-mai 1943. Höss évoque là un fait très précis, confirmé par une note d'avis de l'ingénieur Kurt Prufer du 8 avril 43, retrouvée récemment dans les archives de l'ancienne Topf et une lettre du 10 avril 43, signée par Emst-Wolfgang Topf et conservée au musée d'Oswiecim depuis 1945. L'épisode du crématoire IV «fumant» en solitaire - dans l'imaginaire de Broad - lors de l'été 1944 se rapporte aussi à un moment déterminé de l'histoire de Birkenau: fin mai 1943. Seul le V fonctionne, le Il étant arrêté, le III inachevé et le IV hors service. Qu'il se soit trompé de date et de crématoire est dans l'ordre des [643] choses. Les bureaux de la section politique se situaient au camp principal d'Auschwitz, près du crématoire 1. Broad ne connaît que peu Birkenau où il se rend rarement, excepté parfois lors de l'arrivée de convois. Une vue directe des crématoires IV et V n'est Pas possible de la rampe de sélection de Birkenau et une confusion de bâtiment est vraisemblable. Par contre, Broad a raconté avec justesse un épisode concernant l'exposition d'une trentaine de photos des crématoires dans l'entrée des services de la Bauleitung d'Auschwitz, parce qu'il a participé à son interdiction. Le nombre de photos connues des crématoires de Birkenau est de 25 (en fait 26, car une du Il manque toujours). Il est très aisé de «démolir» un témoignage. Le replacer dans son contexte et l'expliquer sont autrement difficiles.
Malgré ses limitations évidentes, ce premier travail révisionniste de Mattogno lui ouvrit des pistes qu'il exploita ensuite: la question du nombre des juifs hongrois déportés à Birkenau et celle du rendement des fours d'incinération de la Topf. Pour les juifs hongrois, il eut raison dès 1987 en affirmant que les déportations durèrent de mai à juin 1944, alors que Danuta Czech, la rédactrice polonaise du Calendrier des évènements au camp de concentration Auschwitz-Birkenau, 1939-1945 et aussi Wellers, qui utilisait cette source sans contrôle, soutenaient qu'elles s'étaient déroulées de mai à octobre 1944. Wellers refusa de correspondre avec Mattogno sur ce sujet en partant du postulat qu'on ne discute pas avec les révisionnistes. Un mandat d'arrestation fut même lancé par un juge zélé contre Mattogno au cas où il pénétrerait sur le territoire français. Czech avait publié dans les années soixante son Calendrier à partir duquel WELLERS avait calculé le nombre des victimes d'Auschwitz (1,6 million au lieu de 4). Un second, corrigé, le fut en 1989. Des 91 convois répertoriés, il n'en restait qu'une cinquantaine. Czech s'était trompée et avait assimilé des transferts de camp à camp dans Birkenau à l'arrivée de convois. Ainsi lorsque Mengele avait pris le 15 juillet 1944 deux jumeaux juifs hongrois du secteur dit «Mexico» pour les placer à l'infirmerie du camp BlIf après les avoir immatriculés, Czech avait estimé qu'un convoi de trois mille personnes était arrivé, que seules deux personnes avait été sélectionnées et immatriculées et que les 2.998 restantes avaient été gazées. Comme Czech ne se retrouvait plus qu'avec cinquante convois comptant 150.000 personnes au lieu des 438.000 qu'elle croyait avoir été déportées à Auschwitz, elle augmenta pour «compenser» le chiffre des convois de mai à juin en affirmant - sans preuves - que tel jour, au lieu d'«un» convoi, «des» convois s'étaient présentés à Birkenau, se rendant coupable de faux historique. Aucun mandat d'arrestation international ne fut pourtant lancé contre CZECH.
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Quant aux comptes de Wellers, après la parution du second Calendrier, ils ne valaient plus rien, ce qui m'empêcha pas les Polonais d'utiliser les résultats erronés de Wellers comme une réference «serieuse»...
Mattogno a aussi étudié le premier gazage homicide à Auschwitz, dit par les Polonais s'être déroulé du 3 au 5 septembre dans les caves du Block Il au camp principal. Ce gazage, selon les Polonais, est la conséquence directe de l'ordre d'extermination des juifs reçu par Höss à Berlin de la bouche de Himmler et ce, à l'été 1941, sauf qu'il porte sur les prisonniers de guerre russes et des malades incurables et non des juifs. Mattogno a conclu dans un premier temps que c'était une pure invention, puis dans un second que cet épisode ne reposait sur aucun fondement historique. Je me suis entretenu de cette question avec les Polonais. Voici la réponse un peu leste: «Ce gazage a débuté le jour anniversaire d'un détenu qui y participait, donc il se souvient exactement de la date». Le détenu en question, nommé Michal Kula, avait déclaré s'en souvenir avec précision, puisque c'était le jour anniversaire de son arrivée au camp, le 15 août... et non le 3 septembre. On sait maintenant que Höss n'a pas recu l'ordre de tuer les juifs à l'été 1941, mais début juin 1942. Si ce premier gazage a eu lieu, il se place en décembre 194 1, voire en janvier 1942 et n'a aucun lien avec le massacre des juifs.
La mise en doute des capacités incinératrices des fours Topf est une vieille affaire déjà effleurée par Faurisson. Il lui avait suffi de consulter n'importe quel spécialiste des crématoires civils actuels pour s'entendre répondre qu'une incinération normale - corps et cercueil - demandait entre une heure et une heure et demie. En comparant ce rendement avec celui obtenu dans les fours de Birkenau, capables selon les dires de détenus de réduire en cendres vingt milliers de personnes par jour, ce qui représente la crémation d'un cadavre en une dizaine de minutes, il avait crié à l'impossibilité technique, ce qui était loin d'être original. Son «indignation» repose sur une double erreur, car Faurisson avait rapproché deux méthodes d'incinération différentes, l'une civile et l'autre concentrationnaire, et s'était appuyé sur les chiffres irréels avancés par les détenus. Mattogno a essayé d'affiner le raisonnement du «maître» en étudiant les possibilités techniques des fours d'incinération allemands avant la seconde guerre mondiale. Il a véritablement ouvert avec cette investigation une nouvelle voie de recherche qui, débarrassée des blocages révisionnistes, offre des perspectives prometteuses, mais qui ne purent être exploitées qu'après la découverte début 1995 des archives de l'ancienne firme Topf et en particulier des plans et des documents restants de la division D IV - celle des crématoires - de l'ingénieur Kurt Prüfer.
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Mattogno, pour sa part, a confronté les fours des ingénieurs Volckmann et Ludwig de Hambourg à ceux de la Topf d'Erfurt afin d'établir que le rendement de ces derniers était insuffisant. Sans pièces d'archives, il ne peut que se fourvoyer, surtout si son but est de démontrer que les fours Topf étaient de la camelote. La mise en avant par Mattogno du four Volckmann-Ludwig, exploité par la firme H. R. Heinicke de Chemnitz, est pourtant historiquement prémonitoire. Les essais du four Volckmann-Ludwig ont conduit les deux inventeurs à opérer des incinérations en série à Hambourg, autorisées parce que cette cité était une ville libre et non soumise aux règlements prussiens sur l'incinération. Incinérer en série consistait à introduire un premier cercueil dans le creuset incinérateur de ce four, puis une fois cette charge réduite en cendres grossières, à les placer dans le cendrier de post-combustion où s'achevait l'incinération pour obtenir des cendres fines et blanches. Le creuset étant vide, on pouvait y enfourner un second cercueil. Mais, cette méthode impliquait la présence simultanée de deux corps différents dans le four, ce qui était interdit généralement dans les états allemands. Ainsi un rendement incinérateur de dix-sept corps par jour pouvait être atteint. Ce qui fut pratiqué à Birkenau n'est que l'extension de ce procédé. La rivalité entre les deux firmes, la Heinicke et la Topf, pour la conquête du marché des crématoires civils allemands, a entraîné dès 1933 plusieurs procès qui ne s'achèveront qu'en octobre 1948 à l'avantage de la Topf. Ce succès fut commercialement mitigé mais techniquement écrasant, puisque M. Jaecker, le propriétaire de la Heinicke, sans toutefois convenir que l'arrangement du four VL avec ses injecteurs d'air froid était loin de valoir celui du four à air chaud de Prüfer, regrettait l'absence de ce dernier - alors aux mains des Soviétiques - et déplorait que les deux firmes ne se soient pas associées avant-guerre au lieu de s'entre-déchirer par voie judiciaire. La phase terminale de ces procès fournit des informations techniques nécessaires pour comprendre le développement des fours civils Topf avant-guerre, l'élaboration du modèle à air chaud pouvant mener une incinération complète en seulement 35-40 minutes, sa construction en Allemagne orientale jusque dans les années soixante-dix et son exploitation dans ce pays jusqu'en 1993-1994. Quant à l'incinération en série concentrationnaire, un rapport de septembre 1942 de l'ingénieur Fritz Sander, le responsable de Prüfer, en décortique les divers aspects et montre qu'une comparaison directe avec l'incinération civile n'est pas valable.
J'ai rencontré plusieurs fois Carlo Mattogno. Nos confrontations furent intéressantes et instructives. J'ai cessé tout dialogue avec lui dès que je me suis aperçu qu'au lieu de prendre acte des documents Topf que [646]. j'ai publiés, pièces inconstestables puisque rédigées par les ingénieurs de la firme, il se réfugiait derrière une argumentation de mauvaise foi pour les nier.
Le refus de dialogue préconisé par Vidal-Naquet revient à dire hypocritement «Ne faites pas ce que j'ai déjà fait». Quelques mois avant que Thion ne publie son «Vérité politique ou vérité historique?», Vidal-Naquet eut avec lui en présence d'un tiers un entretien de plusieurs heures. Propos d'intellectuels, fiers de leur conscience de gauche, de la justesse de leurs pensées et de la sûreté de leurs raisonnements. On parla d'antisémitisme - habitude de gauchistes pour évoquer une attitude qui n'existe plus en France, sauf dans leurs délires - on mentionna un petit «techniquement possible», on s'épancha et on s'étendit de long en large sur les «croyances». Les véritables questions matérielles ne furent pas abordées, étant indignes de ces beaux esprits littéraires. Des lettres furent échangées entre Vidal-naquet et Thion. On s'y tutoie tendrement. Y sont mentionnées une seule fois des chambres à gaz, mais dans le cadre de l'action T 4 (euthanasie des malades mentaux) et sans rapport avec les gazages homicides d'Auschwitz. Tout cela est lamentable et nul. Le démoninateur commun de Vidal-naquet et Thion est que l'argent qui les fait vivre vient de l'Éducation nationale, comme pour Faurisson. Le plus instructif de ces échanges révélés par Thion est la stupéfiante versatilité de Vidal-naquet. Faurisson, ayant avancé que le «Journal» d'Anne Frank est un faux, Vidal-naquet l'admit. Puis, à la suite de la publication d'un rapport d'expertise hollandais, il patronna une édition du «Journal» révisé. Dans une affaire beaucoup plus grave et après dénonciation justifiée de Gitta Sereny, Vidalnaquet rejeta Au nom de tous les miens de Martin Gray, écrit par Max Gallo, le passage du «témoin» à Treblinka ayant été inventé. Ce qui n'empêcha pas la réalisation d'un film comportant l'épisode Treblinka, passé et repassé à la télévision. Une bande dessinée fut même entreprise, réalisée par un des plus célèbres graphistes français, Paul Gillon. Deux albums évoquant la vie du Ghetto de Varsovie parurent. Mais la série capota devant Treblinka et le troisème album devant traiter du camp d'extermination et de ses huit chambres à gaz ne vit pas le jour, et pour cause. Malgré cela, Vidal-naquet, ayant rencontré Gray et au vue d'«attestations» polonaises que ce dernier lui montra, reconnut s'être trompé et la réalité de son séjour à Treblinka. Les «attestations» ne furent jamais rendues publiques.
Lorsque mon livre fut publié, je reçus de Vidal-Naquet une lettre de félicitations où il reconnaissait qu'il n'avait jamais pensé que mes recherches techniques puissent aboutir et déboucher sur un tel résultat.
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Trois jours après, je recevais une lettre de réprimandes, regrettant la première, parce que j'avais expliqué à un journaliste du Monde pourquoi un amateur avait pu et dû s'occuper de cette question. Les - plus nombreux qu'on ne le pense - universitaires qui l'ont abordée, se trouvèrent après étude du dossier reposant en majorité sur des témoignages et, faute de documents inconnus, SS ou techniques, qu'ils auraient découverts dans les archives s'ils s'en étaient donnés la peine, devant un choix crucial. Soit continuer en basculant du côté faurissonien et compromettre sa carrière, soit abandonner le sujet pour conserver son poste. Le journaliste avait résumé mes dires par «couardise» universitaire, mot que je n'emploie pas - j'aurais utilisé «lâcheté», mais qui s'applique parfaitement à l'attitude des dits «professeurs» face à ce thème sensible. Vidalnaquet peut se comparer à une girouette creuse tournant au vent des publications et de l'actualité parce que lui-même n'a pas entrepris de recherche fondamentale pour étayer ses déclarations péremptoires et moralisatrices.
J'avoue ne pas comprendre l'interêt que vous portez, de même que Carlo Mattogno, aux fours d'incinération non concentrationnaires puisque l'argument essentiel des révisionnistes est la négation des chambres à gaz. Comment l'expliquez-vous?
L'étude des fours en elle-même est fastidieuse pour le commun des mortels. L'interêt vient des retombées. D'ailleurs, s'en tenir aux fours Topf est trop limité et c'est l'ensemble des fabrications de la firme d'Erfurt qu'il faut prendre en compte parce que quatre de ses domaines d'activité se rapportaient à la machinerie du meurtre de masse. Un: l'incinération des corps par sa division D IV (ingénieur Prüfer avec les responsables des quatre sous-divisions de la D, les ingénieurs Sander et Erdmann). Deux: l'aération et la désaération des locaux, la climatisation, par sa division B (ingénieur Schultze); Trois: le gazage des réserves de céréales à l'Areginal - sous forme liquide jusqu'a 32'C comme l'acide cyanhydrique l'est jusqu'a 27'C - par sa division A. Quatre: la fabrication de portes métalliques étanches au gaz par sa division C. Comme seules les divisions D IV et B furent sollicitées par les SS, cette polyvalence inutilisée éclaire différemment le dit génocide des juifs.
Malgré ses écrits officiels, Mattogno reste très réservé sur l'impossibilité technique des chambres à gaz homicides. Pour lui, le Schwerpunkt se situe au niveau des fours Topf, insuffisants pour incinérer quotidiennement des milliers de prétendus gazés. Il représente la position de retrait des révisionnistes, à activer au cas où la première ligne de Fau[648]risson s'effondrerait. Il est important de connaître ses travaux afin de le combattre sur son terrain. Mais ce combat devient mineur face aux données nouvelles dégagées par l'étude des fours, ou mieux de l'incinération en genéral. Il s'agit de la question des fumées. Tous les détenus survivants des camps de concentration nazis - sauf de rares exceptions - parlent de cheminées fumant vingt-quatre heures sur vingt-quatre en crachant de hautes flammes visibles à des kilomètres aux alentours. Les révisionnistes, après avoir étudié toutes les photos aériennes d'Auschwitz-Birkenau prises de mai 1944 à janvier 1945, affirment ne voir aucune fumée sortir des cheminées des crématoires, ce qui, pour eux, signifie qu'ils ne fonctionnaient pas, et ce en plein massacre des juifs de Hongrie.
Lors du premier congrès européen sur l'incinération à Dresde en 1878, des règles strictes furent définies pour la conduite des incinérations. Les entreprises édifiant les fours durent s'y soumettre. L'une de ces règles indiquait que «les produits de l'incinération ne doivent pas empester le voisinage». Les fumées et les odeurs étaient proscrites. La firme Topf, dont l'activité première, dès sa fondation, était la construction des foyers en tout genre, avait la hantise des émissions de fumées, signe d'un mauvais réglage du foyer. Un de ses prospectus commerciaux interpellait les futurs clients avec cet avertissement: «Si votre cheminée fume, vous perdez de l'argent». Les fours d'incinération TOPF ne fumaient pas et ceux des firmes concurrentes non plus. Au début de sa carrière, le four Volckmann-Ludwig fut accusé d'émettre des fumées noires, ce qui était la pire critique qu'on puisse porter contre lui. Certaines photos des centres d'euthanasie dépendant de l'action T 4 les montrent avec une abondante fumée montant au ciel et censée prouver qu'on y brûlait les corps des malades mentaux tués. Ce sont de vulgaires montages photographiques. Le ou les fours d'incinération de ces établissements de soins, construits souvent avant leur affectation à la T 4, ne devaient pas fumer, puisque l'installateur y avait été contraint par les règlements et la concurrence du marché.
Interrogé sur l'incinération concentrationnaire par les Soviétiques après son arrestation en mars 1946, Prüfer leur en expliqua les caractéristiques. Les fours d'incinération civils fonctionnent avec de l'air préalablement chauffé, si bien que le cadavre s'incinère plus vite et sans fumées. Comme les fours dans les camps furent structurés autrement, l'emploi de ce procédé était impossible. Les cadavres s'incinéraient plus lentement et des fumées se développaient. Pour contrer cela, il suffisait de pulser de l'air dans le creuset incinérateur. En effet, les trois fours bimoufle du crématoire 1 du camp central d'Auschwitz étaient équipés de souffleries. Les fours trimoufle montés au crématoire de Buchenwald et dans les créma[649]toires II et III de Birkenau pareillement. En opérant ainsi, avec une technique identique au soufflage d'air sur un feu de forge, Prüfer obtenait une durée de crémation proche de ses fours civils et évitait la formation de fumées. Par contre, les fours à huit moufles des crématoires IV et V n'en comportaient pas, mais compensaient cela par un fort tirage avec deux cheminées de seize mètres de haut. Quant aux fours concentrationnaires de la Heinrich Kori de Berlin, chauffés au mazout ou au coke, ils furent fabriqués ou édifiés sans ventilateurs.
Toute généralisation est à exclure. La constestation de Rassinier provient d'une généralisation abusive affirmant que tous les camps de concentration possédaient une chambre à gaz [la contestation de Rassinier ne porte pas sur les chs mais sur la fausseté des témoignages sur les camps et sur la responsabilité pour le moins partagée dans le déclenchement de la deuxième guerre mondiale et dans les crimes qui y furent commis, pour lesquels les preuves élémentaires n'avaient pas été apportées. Il suffit de le lire pour le comprendre. Les chambres à gaz n'ont jamais été un thème central pour Rassinier.] Pour les fours, chaque situation est à traiter séparément et en fonction de la chronologie. Le nouveau crématoire de Maïdanek fut équipé de cinq fours Kori monomoufle groupés sans ventilateur et reliés à une cheminée collective. Dire que cette cheminée fumait est vrai. Le nouveau crématoire de Dachau reçut quatre fours Kori monomoufle sans ventileurs donnant dans une cheminée qui, bien sûr, fumait. A la libération, la suie maculait extérieurement presque toute la hauteur de la cheminée. Le four Kori chauffé au coke et sans ventilateur du crématoire de Natzweiler-Struthof avait une cheminée métallique. Elle rougeoyait et fumait. Par contre, la cheminée du crématoire-I d'Auschwitz avec ses trois fours bimoufle Topf n'a jamais fumé. Aucun des milliers d'anciens détenus polonais, qui ont vécu à deux pas de ce crématoire, ne s'est plaint ni des fumées ni de l'odeur. La villa où vivait la famille de Höss est à proximité directe du crématoire-I. Si Prüfer n'avait pas fait son métier correctement, il ne fait aucun doute que l'ingénieur se serait fait rabrouer et qu'il n'aurait jamais pu obtenir les contrats suivants pour Birkenau. Car là, tout change miraculeusement. Au crématoire-II, même fours Topf, mais trimoufles, ventilés comme les bimoufles et connectés à une grosse cheminée collective. De celle-ci, jaillissaient d'immenses flammes de deux ou trois mètres de haut se terminant par une grande colonne de fumée «obscursissant les cieux». Une scène du film La liste de Schindler illustre avec un criant réalisme cette image symbolique, sans rapport avec la réalité, et que même David Olère dessinera. Olère m'a raconté pourquoi il avait été obligé de présenter ainsi le crématoire-III. Rentré de déportation très faible, il dut s'aliter et pourtant, les gens se pressaient à son chevet pour lui demander des nouvelles des leurs. Afin de leur faire comprendre le drame avec une simplicité frappante, Olère dessina le crématoire-III en vue aérienne avec sa cheminée crachant une fumée noire renfermant des visages des morts. En répondant par cette allégorie aux questions, il eut la paix et put se reposer. Dans ses dessins ultérieurs, Olère continuera a représenter [650] les cheminées expulsant feu et fumée. Illustrant une des trois fosses d'incinération en activité derrière le crématoire V en mai-juin 1944, il figura ce dernier avec ses deux cheminées crachant des flammes alors que le four à huit moufles était arrêté.
J'ai fait réaliser par Mme Vaillant-Couturier un mini-sondage auprès des anciens détenus de Birkenau sur les fumées dont ils se souvenaient durant l'été 1944. Sur six interrogés, tous répondirent que les cheminées fumaient. Trois que les fumées étaient blanches, trois qu'elles étaient noires. Quoique nulle fumée se s'élevât des cheminées des crématoires-Il et III, les témoins ne mentent pas, ils confondent. Ils décrivent des fumées, blanches ou noires, suivant les moments, qui provenaient des fosses d'incinération à ciel ouvert du crématoire V et les assimilent à l'ensemble des quatre crématoires. Comme preuves, existent deux photos prises par la résistance polonaise de la fosse nord du crématoire V avec de la fumée blanche et deux photos aériennes du 31 mai 1944 de cette fosse en activité avec un croissant de fumée noire s'élevant au-dessus. Le plus dérisoire, ce sont les explications révisionnistes. Faurisson raconte que la fumée blanche provient de feux de branches de bouleaux, allumés pour chasser les odeurs. Lesquelles? Mystère. Quant à John C. Ball qui a véritablement découvert les photos aériennes du 31 mai 1944 et qui est un expert dans l'interprétation de telles vues, il ne les voit pas. C'est beaucoup plus simple.
En résumé, les revisionnistes se servent d'un fait vrai, absence de fumées au dessus des crématoires Il et Ill, fait confirmé techniquement et photographiquement, et s'appuient sur une donnée imprécise, les dires des anciens déportés à Birkenau [ce qu'on appelle des témoignages, c'est-à-dire des déclarations reçues en justice comme faisant foi], pour conclure qu'il n'y a pas eu de massacre, que le camp était un camp de vacances entouré d'une calme campagne où travaillaient de paisibles agriculteurs polonais et que les chambres à gaz sont une triste fumisterie.
Quels sont vos projets pour l'avenir?
J'attends depuis des années le ou les livres de Carlo Mattogno dans le ou lesquels il devrait démanteler brique par brique - parce qu'on étudie des fours - mon travail sur les crématoires d'Auschwitz. Faites comme moi, prenez votre mal en patience et attendez ce formidable travail qui anéantira le mien.
Trêve de plaisanterie. Après y avoir été autorisé par le directeur, Mrudo Braun, je suis en train d'étudier les documents techniques restants de la TOPF conservés dans les caves de l'usine d'Erfurt qui se dénomme depuis la chute du Mur de Berlin l'Erfurter Malzerei und Speicherbaun, en abrégé «EMS». Ce que j'ai retrouvé confirme la jus[651]tesse de mon livre à près de 90-95 %. C'est ce qui me gêne le plus, car ne restent que des points mineurs à rectifier. Heureusement, la découverte de 33.000 photostats de plans de la firme, illustrant son activité de 1932 à 1948, permet d'en extraire près de 600 plans de la division «Construction de crématoires» et de suivre presque au jour le jour sa production et l'évolution des recherches menées par PRÜFER pour aboutir au four d'incinération Topf à air chaud. De plus, le dossier des procès Heinicke contre Topf et vice versa renferme six plans originaux, choisis par Prüfer, pour illustrer le développement de ce four. Le futur livre négateur de Mattogno, s'il paraît un jour, ne pourra rien contre les pièces techniques Topf retrouvées.
En 1996, je commencerai un livre sur l'entreprise Topf, de sa création à Erfurt en 1878 à sa dissolution pour sa partie occidentale à Wiesbaden en 1963. Portant essentiellement sur le dégré d'engagement et la responsabilité de la firme dans les marchés concentrationnaires, sur les questions d'incinération, il abordera aussi certaines méthodes de gazages qui furent aussi une specialité de la Topf. Les documents Topf éclairent le début de l'incinération concentrationnaire durant le très dur hiver 1939-1940 (dossier «Krematoriumbau, Schawkin, SMA», photostat n' 19.455 du crématoire du camp de Dachau avec deux fours civils chauffés électriquement et archives familiales Topf), en expliquent les paramètres (rapport Sander de septembre 1942), donnent la véritable cadence incinératrice des crématoires de Birkenau (note de Prüfer de septembre 1942), prouvent une fois de plus mais est-ce bien nécessaire? - l'aménagement d'une chambre à gaz dans le crématoire Il (note de Sander de février 1943) et apportent des réponses à des épisodes à peine mentionnés dans la correspondance connue (cas de l'hypothétique crématoire du camp de travail de Krakau-Plaszow avec le photostat n' 35. 284). Y seront de plus traitées toutes les chambres à gaz nazies et plus particulièrement celles utilisées dans les camps de la mort, mais ce, sous une forme qui reste à définir et avec des résultats inhabituels.
Quelles sont vos conclusions sur toute cette affaire?
Michel de Boüard, ancien «Nacht und Nebel» à Mauthausen, a estimé que «le dossier [du système concentrationnaire] est pourri». D'une part, le ressentiment et la vengeance, ont primé sur l'apaisement. Puis la mémoire sur l'histoire. D'autre part, la mainmise des communistes sur les principaux organes de commande dans les camps, la formation après la libération d'associations sous leur contrôle et l'établissement durant cinquante ans d'une histoire des camps «démocratiquement populaire», ont introduit le virus de la langue de bois antifasciste. Approxima[652]tion, exagération, omission et mensonge caractérisent la majorité des récits de cette période. Le discrédit unanime et sans appel dont sont frappés les écrits communistes ne peut que déteindre sur une expérience concentrationnaire viciée par leur idées et l'annihiler.
Peut-on redresser la barre?
Il est trop tard. Une rectification générale est humainement et matériellement impossible. Tout changement historique entraîne une dévalorisation de cette mémoire fixe et présentée comme définitive. Or, de nouveaux documents surgiront inévitablement et bouleverseront de plus en plus les certitudes officielles. La forme actuelle, pourtant triomphante, de la présentation de l'univers des camps est condamnée. Qu'en sauvera-t-on?. Peu de choses. En effet, magnifier l'univers concentrationnaire revient à résoudre la quadrature du cercle, à transmuter le noir en blanc. La conscience des peuples n'aime pas les histoires tristes. La vie d'un zombi n'est pas «porteuse», d'autant que la douleur subie a été ensuite exploitée et monnayée: décorations, pensions, postes, influence politique. On ne peut à la fois être victime et privilégié, voire bourreau à son tour.
De tous ces faits, terribles parce qu'ayant provoqué la mort de femmes, d'enfants et de vieillards, ne survivront que ceux établis. Les autres sont destinés aux poubelles de l'Histoire.