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ar
"... il m'a paru indispensable
de fixer les causes de l'horreur
dans tous leurs aspects, ne serait-ce que pour ramener
à sa juste valeur l'argument subjectif dont on fit un si
abondant usage, et pour orienter un peu plus vers la
nature même des choses..."
Paul Rassinier, Le Mensonge d'Ulysse
"Vingt ans après
la Première guerre mondiale, le mythe des
enfants aux mains coupées par les Allemands avait encore
cours. Dès 1914, André Gide refusait d'y ajouter
foi et réclamait des
preuves. On ne put lui en fournir. On lui en voulut et de son
"manque de patriotisme" et d'avoir placé certains
Français dans la
pénible obligation de reconnaître leur erreur: on
avait fait passer pour
victimes de la barbarie teutonne des enfants qui s'étaient
blessés en
jouant avec des grenades abandonnées sur le champ de bataille.
La Seconde guerre mondiale a suscité des mythes encore
plus extravagants mais il ne fait pas bon s'y attaquer."
Robert Faurisson, A-t-on lu Lautréamont?
Sur cinquante livres consacrés à l'Allemagne dans une bibliothèque municipale ordinaire, trente portent sur 1939-1945, dont vingt sur la déportation. La vision des camps projetée pour le grand public est celle de l'horreur à l'état pur, guidée par une seule logique, celle de la terreur. Elle repose sur une description apocalyptique de la vie des camps et sur des analyses historiques affirmant que les nazis ont planifié l'extermination de millions d'hommes, en particulier six millions de juifs. Certains auteurs, comme David Rousset vont plus loin: les nazis ne voulaient pas seulement tuer, mais dégrader, faire prendre conscience à des "sous-hommes" de leur condition par un avilissement mesuré et de leur sous-humanité par une déchéance organisée.
Régulièrement, cette vision sort des bibliothèques et envahit l'ensemble des mass media. Cela a récemment été le cas. D'abord à la suite d'une interview de Darquier de Pellepoix, ex-commissaire aux questions juives du gouvernement de Vichy, puis après la projection du télé-film Holocauste dans plusieurs pays, dont les Etats-Unis, l'Allemagne fédérale et la France. A la suite de quoi, nous avons eu droit, non seulement à de nombreux commentaires journalistiques, mais aussi à l'intervention d'hommes d'Etat. Giscard d'Estaing parlait le 11 novembre 1978 de "cette perversion de l'esprit que constituent toutes les formes de racisme". Et sans doute est-ce parce qu'il a l'esprit pervers que la France fournit en armes l'Afrique du Sud? Helmut Schmidt, dans une interview diffusée le 6 mars 1979, faisant flèche de tout bois, affirmait: " Il faut que les jeunes voient bien quel est le parallélisme de ces enchaînements d'étapes psychologiques qui ont conduit jadis à des millions de morts, et qui aujourd'hui conduisent à des actes terroristes qui entraînent aussi des morts de personnes."
La mise en avant des crimes nazis a pour première fonction de justifier la Seconde Guerre mondiale et plus généralement la défense de la démocratie contre le fascisme: la Seconde Guerre mondiale ne serait pas tant un conflit entre des nations ou des impérialismes qu'une lutte entre l'humanité d'une part et la barbarie de l'autre. Les dirigeants nazis étaient, nous dit-on, des monstres et des criminels qui s'étaient emparés du pouvoir. Ceux qui ont été pris après la défaite ont été jugés à Nuremberg par leurs vainqueurs. Il est essentiel à cette vision de montrer chez les nazis une volonté de massacre. Bien sûr, il y a des tueries dans toutes les guerres, mais les nazis, eux, voulaient tuer. C'est là le pire, et c'est d'abord cela qu'on leur reproche. Le moralisme aidant, on ne les blâme pas tant pour avoir fait la guerre, car un Etat respectable peut s'y laisser aller, mais pour avoir été sadiques. Les bombardements intensifs et meurtriers de Hambourg, Tokyo, Dresde, les deux bombes A, tous ces morts sont justifiés comme un mal nécessaire pour éviter d'autres massacres dont l'horreur viendrait de ce qu'ils auraient été, eux, systématiques. Entre les crimes de guerre nazis et les pratiques de leurs vainqueurs, il n'y aurait aucune comparaison possible. Laisser entendre le contraire serait déjà se faire le complice, conscient ou inconscient, de ces crimes et permettre qu'ils se reproduisent. La justification de 39-45 n'est pas une petite affaire. Il faut donner un sens à cette tuerie inégalée qui a fait des dizaines de millions de victimes: car peut-on admettre que c'était pour résorber la crise économique de 1929 et permettre au capitalisme de repartir d'un bon pied? Cette justification soutient l'antifascisme d'aujourd'hui et de demain et donc la gauche qui s'en nourrit en excusant ainsi sa participation au système.
L'Etat d'Israel, lui-même en grande partie un sous-produit de la Seconde Guerre mondiale, s'est refait un procès Nuremberg à son échelle avec le jugement d'Eichmann en 1961, pour justifier sa propre existence. Le souvenir du racisme nazi et de l'"holocauste", ainsi que la mauvaise conscience occidentale à l'égard des juifs, permettent d'oublier et de minimiser le fait que cet Etat a été fondé sur l'expulsion de la population palestinienne, par la force de l'argent et des armes. L'aide financière fournie par l'Allemagne fédérale en guise de réparation est loin d'être négligeable. Israel a récemment rompu ses relations sportives avec l'Afrique du Sud et son apartheid pour pouvoir participer aux Jeux Olympiques de Moscou, dans un pays où l'anti-sémitisme se porte bien. En Israel, les oppositions ethniques subsistent au sein de la communauté juive, recoupant les oppositions sociales. Hannah Arendt, dans Eichmann à Jérusalem, trouve que lors du procès d'Eichmann il y avait " quelque chose de stupéfiant dans la naiveté avec laquelle le procureur dénonça les lois iniques de Nuremberg qui, en 1935, avaient interdit le mariage et les rapports sexuels entre juifs et Allemands". En effet, en Israel, des lois comparables existaient. Par ailleurs, le précédent qui aurait, à la rigueur, pu permettre de justifier, sur le plan de la juridiction internationale, l'enlèvement de l'apatride Eichmann, pour qu'il soit jugé à Jérusalem, était l'enlèvement par des agents de la Gestapo, en 1935, d'un juif apatride en Suisse. Israel a remis à l'honneur les principes de l'espace vital et de la guerre préventive dont se servaient les nazis.
Les morts en déportation sont mis en avant au détriment des millions d'hommes qui meurent de faim chaque année à travers le monde. Nannen, le rédacteur en chef du magazine allemand Stern, déclare à propos des persécutions anti-sémites: "Oui, je le savais, et j'étais trop lâche pour m'y opposer." Il nous confie que sa femme, à la suite des images d'Holocauste, s'est mise à pleurer, en se souvenant qu'ayant à peine vingt ans, elle dépassait les vieilles femmes juives qui faisaient la queue et qu'elle se faisait servir avant elles. Aujourd'hui, il y en a encore qui continuent à être servis avant les autres, et nous ne pouvons pas ne pas savoir. Récemment, Jean Ziegler, présentant le livre de René Dumont Paysans écrasés, terres massacrées, nous apprenait que "la seule récolte mondiale de céréales de 1977 - un milliard quatre cent millions de tonnes - aurait suffi à nourrir correctement entre cinq et six milliards d'êtres humains. Or, nous ne sommes pour l'instant qu'un peu plus de quatre milliards sur terre, et tous les jours douze mille d'entre nous meurent de faim."
On reproche aux nazis d'avoir organisé la mort de façon scientifique et d'avoir tué au nom de la science avec des expériences médicales sur des cobayes humains, mais ces pratiques ne sont nullement leur monopole. Le journal Le Monde titrait au lendemain d'Hiroshima: "Une révolution scientifique."
Mais l'idéologie, ce n'est pas seulement la mise en avant de certains faits pour soutenir les vainqueurs contre les vaincus, les souffrances passées contre les souffrances présentes. Ces justifications sont sous-tendues par toute une conception qui est le produit des rapports sociaux capitalistes et tend à en mystifier la nature. Cette conception est largement commune aux démocrates et aux fascistes. Elle ramène les divisions sociales à des questions de pouvoir et considère la misère et l'horreur comme le résultat de crimes. Elle est systématisée par une pensée anti-fasciste, anti-totalitaire, mais d'abord contre-révolutionnaire. C'est l'inexistence révolutionnaire du prolétariat bien plus que le danger nazi ou fasciste, actuellement assez faible, qui donne à cette idéologie sa force, et lui permet de reconstruire l'histoire à son profit. En effet, la mise en scène et la falsification historiques ne sont pas un monopole stalinien. Elles s'épanouissent aussi dans une ambiance démocratique de liberté de pensée et d'expression.
Notre souci n'est pas de rééquilibrer, dans un esprit de justice, les torts et le nombre de cadavres et de renvoyer tout le monde à dos puisque les crimes nazis ne seraient dans le fond que des crimes du capital, dont on pourrait allonger indéfiniment la liste en espérant ainsi mieux condamner le système. Il n'est pas non plus d'excuser les crimes d'Etat au nom d'une réalité socio-économique qui se servirait de la main des hommes en leur évitant de devoir rendre des comptes à qui que ce soit. On ne sort pas de la vision politico-judiciaire en répétant que le grand responsable c'est la société, c'est à dire tout le monde et personne. Si cette vision doit être critiquée, c'est que le mode d'accusation du capital est tout autant son mode de justification. Il s'agit de démonter cette mise en scène par laquelle le système, c'est-à -dire aussi des politiciens, des intellectuels, se sert de la misère et de l'horreur qu'il produit pour se défendre contre la critique réelle de cette misère et de cette horreur.
Le fait concentrationnaire, sous sa forme moderne, date de la guerre des Boers en Afrique du Sud (1899-1902). Il est la résultante de trois réalités.
1) Les transferts de population.
Ne datant pas d'aujourd'hui (juifs déplacés à Babylone...), les transferts de population prennent un nouvel essor avec la création des Etats modernes et la détermination conflictuelle de leur territoire. Là où l'unité nationale est fragile, des minorités, le plus souvent déchirées et disputées entre plusieurs pays, posent un problème aux Etats incapables à la fois de les assimiler et de les expulser, surtout après 1918 et 1945. Environ trente millions d'Européens, dont 60% d'Allemands, ont perdu leur foyer à la suite de la guerre de 1939-45. La décolonisation a provoqué des émigrations volontaires ou forcées qui ont fait périr des centaines de milliers de personnes (notamment lors du partage des anciennes Indes anglaises entre l'Inde et le Pakistan). Il arrive que les transferts autoritaires n'aient pas pour cause le besoin direct d'unifier un pays, mais de mettre à l'écart, parfois à l'intérieur du pays, une minorité dangereuse. En 1915, l'Empire ottoman ne se contenta pas de tuer de nombreux Arméniens, il en déporta aussi beaucoup, dont une bonne partie mourut dans le désert. En 1940-41, l'U.R.S.S. déplaça un très grand nombre de Polonais de l'est vers la Russie du nord. Puis, après l'attaque allemande, elle déporta les Allemands de la Volga, les Baltes, les Tatars...
Qui dit migration forcée dit nécessité de réunir des populations pour l'attente du départ, pour le transport et l'attente d'une solution à l'arrivée: tout cela dans des camps où on les concentre. Après 1945, il y avait en Europe des millions de "personnes déplacées", dont beaucoup vivaient en camps dans des conditions très difficiles. En 1950, un scandale révéla que des orphelins ne recevaient que 300 à 400 calories par jour. Il est douteux qu'on ait cherché à les faire mourir de faim: plus simplement, ils n'avaient aucun moyen de pression et étaient servis après tout le monde.
2) Le travail forcé
L'indifférence du capital pour l'activité humaine, son souci exclusif de se procurer de la main-d'oeuvre pour se valoriser, le fait naturellement renoncer à l'un de ses principes - la liberté de vendre ou non sa force de travail - quand il ne peut agir autrement. Il eut recours à la contrainte aux colonies quand rien ne poussait l'indigène à venir s'épuiser dans la plantation ou sur la ligne de chemin de fer, avant que la pénétration monétaire ne l'incite à vendre de lui-même sa force de travail pour acheter des objets de consommation devenus nécessaires. L'originalité de Staline, comparée à Hitler, est d'avoir fait du travail forcé une base permanente de la société et de l'économie russes pendant des dizaines d'années, systématisant ainsi les procédés autoritaires d'après 1917 (militarisation du travail), les dépouillant de toute ambiguité révolutionnaire pour en faire un encadrement dirigiste de la main d'oeuvre. Il est d'ailleurs arrivé qu'un détenu libéré souhaite revenir au camps, car il vivait misérablement à l'extérieur, où pourtant il exerçait le même métier.
L'emploi à grande échelle du travail forcé est un signe d'archaisme du point de vue capitaliste: il atteste une incapacité à faire jouer les ressorts du salariat. Le travail forcé est inévitablement plus extensif qu'intensif: il pallie l'absence des machines dans les grands travaux d'intérêt public (prisonniers allemands employés à creuser des canaux en Russie, où nombre d'entre eux ont trouvé la mort). Le travail forcé convient à des activités où la masse compte avant tout, il est mal adapté à l'industrie. L'Etat allemand dut justement composer avec ses ouvriers parce qu'on ne peut pas mettre un S.S. devant chaque machine-outil.
Caricature du travail salarié, le travail forcé fait ce dont la logique propre du capital ne se charge pas, parce que ce ne serait pas assez rentable ou parce qu'on manque du capital nécessaire. C'est la conséquence d'une faille dans la logique capitaliste, mais cette exception n'a de sens et n'existe que par l'ensemble du capital. Le travail forcé n'est pas plus la négation du salariat que la prise en main par l'Etat de secteurs déficitaires ne nie le capital. De même dans la Russie stalinienne, les aberrations du travail des déportés, comme le canal creusé et qui ensuite ne sert à rien, reproduisent à l'excès les gaspillages spécifiques du capitalisme d'Etat qui engendre d'autres aberrations dans l'économie "normale".
Les déportations massives de juifs et de non-juifs ont surtout eu lieu en 1942-1944, car l'Allemagne avait alors besoin de toutes ses forces dans une guerre qu'elle commençait à perdre. Elle mobilise le travail en le rendant obligatoire. Il faut remplacer les travailleurs allemands partis au front par des prisonniers, des déportés et des volontaires. Sur une trentaine de millions de travailleurs engagés dans l'économie de guerre allemande, douze à treize millions sont étrangers, concentrationnaires inclus. Ce chiffre est inférieur aux possibilités objectives et aux besoins. Mais l'occupant se heurte aux populations. S'il rassemble un grand nombre de travailleurs, il perd sur la qualité et gaspille une quantité inouie de forces productives.
3) La neutralisation sociale
L'absence de répression déclarée ne révèle pas un capital moins fort ou plus contesté. Une société comme celle de l'Ancien Régime français ne peut prévenir les actes qui la remettent en cause, ni même bien les connaître: elle châtie donc exemplairement ceux des coupables, ou supposés tels, sur lesquels elle peut poser la main. La montée du capital a coincidé avec la pratique de l'enfermement, une rationalisation des châtiments et une baisse de leur caractère spectaculaire. La tendance actuelle des Etats à abolir la peine de mort n'est que le prolongement de ce mouvement et non un progrès et une victoire de la compassion sur le sadisme. On s'émeut en Occident du retour à la loi coranique dans certains pays arabes: main coupée au voleurs, bastonnade pour adultère... mais ce qui choque, c'est plus le caractère immédiat et spectaculaire du ch,timent que la cruauté en soi. On accepte fort bien que des gens pourrissent et réussissent ou non à se suicider dans des prisons " trois étoiles ".
Mais pourquoi les camps? Parce que les prisons sont déjà pleines, coûteuses, et, pour l'U.R.S.S., afin de parer au manque de main d'oeuvre dans les branches économiques ingrates: mines, régions de climat difficile. Un capitalisme développé attirerait la main d'oeuvre par des salaires supérieurs, un outillage et des habitations perfectionnés. L'U.R.S.S., au contraire, disposait de régions peu peuplées, excentriques, où un travail extensif était nécessaire. Elle devait produire des déracinés, des travailleurs en marge, inévitablement peu productifs. La " Grande Terreur" était une nécessité autant économique que politique. Aux U.S.A., les Américains n'ont évidemment pas éprouvé le besoin économique de faire travailler les milliers de leurs concitoyens mis en camp après Pearl Harbor parce que d'origine japonaise. S'ils leur ont donné quelque chose à faire, c'était d'abord pour leur éviter l'oisiveté et la décomposition.
L'internement en camp est un phénomène général de l'époque moderne. En Grande-Bretagne, les opposants à la guerre, eux aussi, ont été mis en camp. En France, des camps pour républicains espagnols avaient été établis en 1938 près de la frontière à Gurs, à Rivesaltes. Ils seront utilisés en 1939 pour les apatrides d'origine allemande, et pour les Espagnols libérés du 1er Régiment de marche des volontaires étrangers, qui seront déversés en 1942 dans les camps allemands de la même façon que, du pacte germano-soviétique d'août 1939 au 21 juin 1941, quelques transferts de ressortissants soviétiques et allemands se sont effectués entre camps soviétiques et camps allemands. Les Japonais ont instauré des camps en Indochine, il y en a eu en Grèce, on en a refait en Indonésie après la chute de Sukarno pour des centaines de milliers de "communistes" ou supposés tels. Cette liste n'est pas exhaustive. Certains qui sont passés de camps en camps ont été jusqu'à dire que ceux de la France ou de la Grande-Bretagne pouvaient être pires que les camps allemands. Ce jugement peut paraître excessif, mais établir une comparaison n'est pas dénué de sens.
Le fait concentrationnaire n'est pas une invention du nazisme ni du stalinisme. C'est une réponse au problème des migrations forcées économiques ou politiques: neutraliser un certain nombre de gens qui sont d'autant plus nombreux que le pouvoir est mal assuré, en les faisant travailler selon les besoins et les possibilités. Réponse improvisée, mais aussi réponse bureaucratique parce qu'organisant de l'extérieur une activité qui ne peut s'organiser d'elle-même.
Pourquoi ces hommes sont-ils exclus de la société? Dans le cas des minorités ethniques, parce qu'elles sont de trop là où elles sont. Le drame des juifs a été d'être de trop partout, rejetés par la totalité des Etats avant de créer le leur, quand leur ennemi, l'Etat allemand, s'est retrouvé coupé en deux. Les minorités déportées par Staline ont eu un peu plus de chance, car, si elles ont laissé bien des morts en route, elles ont au moins trouvé une région et quelque chose à faire à l'arrivée, même si les conditions générales, le climat étaient bien éloigné de leur mode de vie originel. Pour les "déviants" politiques ou sociaux, ils sont exclus parce que la société n'a pas, dans ces situations de crise, le moyen de les neutraliser autrement qu'en les retirant de la circulation. Le problème étant de s'en débarrasser, savoir si on leur fait un sort supportable devient tout à fait secondaire.
A propos des Nord-Africains en France qui soutenaient le F.N.L., M. Alex Moscovitch déclarait au conseil municipal de Paris: " Cinq millions de français peuvent être du jour au lendemain atteints dans leurs biens et dans leur vie en raison de circonstances qu'ils n'ont ni voulues ni déclenchées." Il proposait une solution radicale: " Tous ces agents de l'ennemi doivent être renvoyés du territoire métropolitain. Voici deux ans que nous demandons la possibilité de le faire. Ce qu'il nous faut, c'est très simple et très clair: l'autorisation, et suffisamment de bateaux. Le problème qui consisterait à faire couler ces bateaux ne relève pas, hélas, du conseil municipal de Paris." Il confirmait son propos le 15 janvier 1963 à l'occasion d'un procès en diffamation qu'il avait intenté: " J'ai effectivement regretté que les ennemis de la France ne soient pas exterminés... et je le regrette encore! " (Le Monde, 17 janvier 1963.)
Les camps sont un produit du capitalisme non seulement dans leur origine mais aussi dans leur fonctionnement. L'intérêt des ouvrages de Paul Rassinier et notamment du Mensonge d'Ulysse est de permettre une conception matérialiste de la vie, et donc de la mort, à l'intérieur des camps.
Paul Rassinier (1906-1967) adhère au Parti communiste en 1922. Il ralliera l'opposition de gauche et sera exclu en 1932. Il milite à la gauche du P.C. puis passe à la S.F.I.O. pour participer à la gauche révolutionnaire de Marceau Pivert. Devant la montée des périls, il défend les thèses pacifistes. La guerre ayant éclatée, il sera résistant de la première heure. Arrêté par la Gestapo en octobre 1943, torturé puis déporté à Buchenwald et Dora durant dix-neuf mois, il reviendra grand invalide.
Après la guerre, Rassinier écrivit dans des organes pacifistes et libertaires mais aussi dans des revues d'extrême droite. Ses ouvrages sur la question concentrationnaire furent édités à compte d'auteur ou par des éditeurs d'extrême droite. Ceux qui en tirent argument contre lui sont ceux qui auraient voulu qu'il ne soit jamais édité. La plupart des ouvrages de Rassinier sont épuisés. La Vieille Taupe (B.P. 9805, 75224 Paris Cedex 05) vient de rééditer Le Mensonge d'Ulysse(1).
En 1962, dans l'introduction au Véritable Procès Eichmann, P. Rassinier s'explique ainsi: " Les hostilités terminées, s'il n'y eut sur le moment que peut de gens à penser qu'il était nécessaire de passer au crible les horreurs et les responsabilités de la Seconde Guerre mondiale, il est remarquable que ces gens aient été surtout de droite et qu'ils aient, en outre, fondé leur attitude sur les principes au nom desquels les intellectuels de gauche avaient refusé Versailles vingt-cinq ans plus tôt. Quant aux intellectuels de gauche, dans leur écrasante majorité, ils ont approuvé et exalté Nuremberg au nom de principes dont, au temps de Versailles, ils reprochaient le caractère réactionnaire de la droite qui les faisaient leurs, et le phénomène n'est pas moins remarquable. Il y a là, en tout cas, un assez curieux chassé-croisé dans le secteur des principes et c'est dans ce chassé-croisé que s'inscrit mon drame personnel." Et il explique sa démarche: " Tout était à recommencer à partir de zéro: prendre les faits un à un, les étudier dans leur matérialité et enfin les replacer correctement dans leur contexte historique... Je commençai donc par le fait historique sur lequel, pour l'avoir vécu, je me croyais le mieux renseigné: le phénomène concentrationnaire. Comme il était au premier plan de l'actualité et que tous les débats publics s'y ramenaient, on m'excusera si j'ai pensé que jamais l'occasion ne serait plus favorable. Le Mensonge d'Ulyssefut donc mon premier acte de fidélité aux principes de la gauche de 1919."
L'oeuvre de Rassinier va dans le sens d'une limitation. Et vers la fin de sa vie, il fera la part trop belle aux pressions de la communauté juive internationale dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Cette évolution est due au fait que Rassinier, pacifiste, croit que la guerre a été provoquée par des circonstances superficielles et qu'elle aurait pu être évitée, et aussi au fait de l'effondrement de la gauche révolutionnaire qui avait d'abord sympathisé avec lui. Son terrible isolement l'amènera à fréquenter et à subir l'influence de personnages d'extrême droite.
L'un des premiers soucis de Rassinier est de réfuter l'idée d'une volonté consciente d'extermination. Il montre l'inconsistance des textes sur lesquels on s'est fondé à Nuremberg et depuis pour accuser les nazis d'avoir planifié la mort lente ou violente des juifs. Le massacre des juifs, dit-il, est le résultat d'une situation inextricable où les Alliés ont aussi leurs responsabilités. Ce que les juges de Nuremberg ne pouvaient évidemment admettre: il fallait des coupables. Il fallait faire du Parti national-socialiste le responsable de la guerre et de ses massacres. Rassinier souligne les contradictions, les erreurs de traduction, les mensonges et surtout l'abondance des oui-dire sur la déportation. Mais les statuts de Nuremberg ne stipulent-ils pas que " le Tribunal ne sera pas lié par les règles techniques relatives à l'administration des preuves [...]. Le Tribunal n'exigera pas que soit rapportée la preuve de faits de notoriété publique, mais les tiendra pour acquis". Curieuse procédure puisque, paraît-il, les "preuves" flagrantes de tout ce qu'on a reproché aux nazis sur les camps seraient innombrables: pourquoi alors se contenter de oui-dire.
Il suffira ensuite de poser le principe d'une responsabilité collective des exécutants qui fixait rétroactivement à chaque Allemand le devoir d'être objecteur de conscience, droit refusé par les vainqueurs à leurs ressortissants.
Ce que l'opinion publique, et même des révolutionnaires, acceptent aujourd'hui comme des évidences, apparaît singulièrement fragile à la lecture de Rassinier. Dans une recherche dont la minutie peut surprendre, Rassinier démonte, après un interminable dépouillement des statistiques, le chiffre généralement admis des six millions de victimes juives. A l'exception des "anticommunistes", la légende des "75 000" fusillés du P.C.F. n'était pas non plus remise en cause à la fin de la guerre par qui que ce soit, du moins publiquement. Quand commença la guerre froide, on s'aperçut alors qu'il n'y aurait eu en tout que 26 000 Français fusillés par les Allemands de 1940 à 1944. Aujourd'hui, même les membres du P.C.F. admettent qu'un doute plane sur "leurs" 75 000 fusillés. De la même façon, les dirigeants nazis ont d'abord évalué le nombre des morts à Dresde à plusieurs centaines de milliers. Mais après la guerre le nombre officiel a été fixé à 135 000 morts; cette évaluation ne faisant pas l'unanimité (250 000 selon le Petit Robert). La précision des chiffres donne un caractère scientifique et sacré à des évaluations qui sont orientées politiquement, alors même qu'il est fort hasardeux de prétendre à l'exactitude. On ne saura probablement jamais avec précision combien il y eu de morts à Dresde. La ville hébergeait un nombre indéfini de réfugiés. Les gens se sont abrités dans les caves et, du fait de l'intensité des bombardements au phosphore, la chaleur s'est considérablement élevée pour ne laisser qu'une couche d'amas calcinés.
Il est exclu d'être ici catégorique ou d'entrer dans le détail de calculs qui occupent plus de cent pages dans Le Drame des juifs européens. Pour P. Rassinier, le chiffre de six millions vient de ce qu'on néglige le fait qu'au moins quatre millions et demi de juifs européens auraient pu quitter l'Europe entre 1931 et 1945: il y aurait eu au maximum un million de juifs morts par tous faits de guerre. Le chiffre n'est pas sans importance, car du nombre des victimes dépend méthodes et procédés employés. L'enjeu du débat n'est donc pas de critiquer des exagérations mais de voir si ces exagérations ne seraient pas le fait d'une absence d'analyse, ou le résultat d'une analyse orientée et fausse.
Comment en est-on arrivé à ces six millions? En 1945-46, les juges de Nuremberg ne disposaient pas de statistiques sérieuses sur le nombre de juifs survivants - pas plus qu'ils n'avaient pu consulter les tonnes d'archives saisies. Au procès, on lança le chiffre de dix, puis de six millions, sur lequel reposèrent finalement l'accusation et le jugement. Ensuite, pour légitimer scientifiquement Nuremberg, les experts sont toujours tombés d'accord sur six millions, comme "moyenne arithmétique" entre leurs diverses estimations, sans qu'il y ait eu forcément accord entre eux sur les effectifs respectifs de chaque camp et sur le nombre de juifs dans chaque pays avant et après la guerre. Il faut trouver six millions. Et quand les historiens sont amenés par leurs recherches à douter de la version généralement admise, ils préfèrent par sympathie pour les déportés ou par peur des réactions ne pas publier le résultat de leurs recherches (tel le Comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale en ce qui concerne le nombre de déportés français revenus des camps).
Rassinier s'est heurté au silence et à la calomnie parce qu'il a dévoilé le rôle répressif, dans l'organisation interne des camps, d'une minorité de détenus, notamment politiques, et les avantages qu'ils en tiraient. Les professionnels de la Résistance et de la Déportation feront de Rassinier, pour se disculper, l'homme qui a prétendu que l'on vivait heureux à Buchenwald et à Auschwitz.
Lors du procès pour diffamation intenté par Rassinier en octobre 1964 au Droit de vivre, organe de la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme, qui l'accusait d'être un "agent de l'internationale nazie", David Rousset déclarait: " Lorsque M. Rassinier écrit ce qu'il écrit, il est pire qu'un S.S., car il a été un esclave comme moi et il a trahi les esclaves, et il s'est trahi lui-même. Quand à moi, je n'ai pas la preuve que M. Rassinier soit membre de l'Internationale nazie, je sais qu'il a fait le beau travail pour elle et, comme il n'est pas dément, j'ai l'intime conviction qu'il est membre de cette internationale." Rassinier fut débouté de sa plainte. Le texte du jugement: "Dit que le prévenu [B. Lecache, directeur du Droit de vivre] a rapporté la preuve que, dans son ouvrage Le Mensonge d'Ulysse, le sieur Rassinier "a fait chorus avec ses nouveaux amis les néo-nazis"." (Rapporté dans Le Droit de vivre de décembre 1978.) Patrice Chairoff aussi, dans Dossier néo-nazi, définit Rassinier comme " auteur de différents ouvrages d'inspiration néo-nazie".
Le temps aidant, ce n'est plus le directeur du Droit de vivre qui a été relaxé, c'est Rassinier qui a été condamné: " Cette thèse que reprend Darquier de Pellepoix, c'était celle de ce faussaire de Rassinier, dont la L.I.C.A. avait obtenu que ses abominables mensonges soient clairement condamnés par la justice de notre pays. C'est celle de Robert Faurisson, maître-assistant à l'université de Lyon-II..." (Pierre-Bloch, Le Matin, 22 février 1978). Le Monde du 3-4 octobre 1978, contrairement au compte rendu du procès qu'il faisait à l'époque (Le Monde du 7 oct. 1964), affirme sous la plume de Viansson-Ponté la même contre-vérité: " La L.I.C.A. avait en 1964 fait condamner l'un de ces diffamateurs, P. Rassinier." Cette automystification sur la personne de Rassinier n'a d'autre objet que de soutenir une automystification sur ce dont parle Rassinier. Rassinier " le faussaire " n'est pas tendre, lui non plus, pour les spécialistes de la littérature concentrationnaire. Mais il est précis dans ses attaques et relève les falsifications. Pourquoi ne pas l'avoir attaqué pour calomnie sur tel ou tel point et à l'égard de telle ou telle personne, s'il falsifiait, au lieu de lui reprocher une vague appartenance à une Internationale nazie?
La tendance falsificatrice de Rassinier s'incarnerait-elle dans une minutie malsaine, dans une interrogation suspecte des faits, dans l'hypercritique vicieuse à l'égard des documents? Selon une réponse de Merleau-Ponty à une lettre de Rassinier à propos du témoignage de Nyiszli Miklos paru dans Les Temps Modernes: " Les historiens auront à se poser ces questions. Mais dans l'actualité, cette manière d'examiner les témoignages a pour résultat de jeter la suspicion sur eux comme s'ils manquaient à une précision qu'on serait en droit d'en attendre. Et comme à l'heure où nous sommes, la tendance est plutôt à oublier les camps allemands, cette exigence de vérité historique rigoureuse encourage une falsification, massive celle-là, qui consiste à admettre en gros que le nazisme est une fable." Des années sont passées, mais ce type de réponse reste toujours d'actualité.
Il n'est pas inutile de constater que sur tel ou tel point des auteurs en opposition à Rassinier ont montré que les choses ne sont pas aussi claires que cela.
C'est un fait assez communément admis que l'on n'a pas retrouvé d'ordre général d'extermination écrit. Pour pallier cette absence, on invoque un ordre de novembre 1944 ordonnant d'arrêter l'extermination et un autre, à la fin de la guerre, ordonnant e massacrer les survivants des camps. A ce propos, Olga Wormser-Migot, dans Le Système concentrationnaire nazi, 1933-1945, écrit:
"Trois solutions à cette énigme.
" 1. Les ordres peuvent avoir été détruits fortuitement dans les bombardements des derniers mois, volontairement par les chefs nazis avant leur fuite;
" 2. Les ordres sont dissimulés dans des archives secrètes, mises en lieu sûr ou dans des lots d'archives non encore répertoriées, comme il en existe encore de part le monde;
" 3. Les ordres ont été inventés a posteriori par des exécutants pour justifier des actes qui leur étaient reprochés et pour accumuler les responsabilités sur la tête d'Himmler qui s'est donné la mort le 23 mars 1945 et ne peut démentir.
"En fait, tout s'est passé comme si les ordres avaient effectivement été donnés tels que la tradition les rapporte. Mais, si dans les écrits "idéologiques" d'Hitler, Rosenberg, les articles de Streicher dans le Stuermer, on trouve maintes allusions à la nécessité de détruire la race juive, de trouver une solution finale à la question juive, nous n'avons pas trouvé le terme Vergasungkeller (à part les notes échangées entre les membres S.S. de l'administration du camp d'Auschwitz et la firme Topf qui construisit en 1942, à Birkenau, chambres à gaz et crématoires) que dans les textes déjà cités de mise en place de la solution finale." Et "quand il y a eu extermination totale en quelque lieu [...] on ne trouve pas d'ordre écrit à notre connaissance, mais la volonté locale d'exécutants, commandants de camp, ou de S.S. de moindre grade, affolés par la proximité de l'avance alliée, ou par la peur de ne pouvoir sauver leur propre existence."
Gerald Reitlinger Final Solution, remet en cause en 1953 le chiffre de six millions de victimes juives et l'estime à un minimum de 4.194.200 et un maximum de 4 581 200, ce qui devait faire dire à Léon Poliakov, rendant compte de son livre dans la Revue d'histoire de la Seconde Guerre mondiale (juillet-septembre 1954) qu'un tel "souci d'objectivité [...] peut être dangereux en pareille matière, car il s'agit d'un sujet pour lequel la notion d'impartialité finit par perdre tout sens..."
Dans une note au lecteur pour Eichmann à Jérusalem, Hannah Arendt écrit: "L'on ne peut que deviner, par exemple, quel était le nombre de juifs victimes de la solution définitive. Le chiffre de quatre millions et demi à six millions n'a jamais été vérifié; il en va de même pour le nombre de victimes dans les différents pays." A propos du procès d'Eichmann en 1961, elle dit: " On a fait le même reproche au procès de Nuremberg: là, l'inégalité entre la défense et l'accusation était encore plus frappante. La défense, à Nuremberg comme à Jérusalem, n'avait pas à sa disposition l'équipe d'assistants spécialisés qu'il aurait fallu pour examiner la masse de documents et en extraire ce qui pouvait être utile au procès. Aujourd'hui encore, dix-huit ans après la guerre, ce que nous savons des immenses archives du régime nazi provient en grande partie des sélections faites à des fins d'accusation." Elle reconnaît à Israel le droit de juger Eichmann et la nécessité du châtiment, mais elle doit constater les nombreuses irrégularités et anomalies du procès. Elle note qu'à Nuremberg, en 1945-46, Eichmann a été d'autant plus chargé de crimes qu'il était absent du procès et que, d'autre part, son activité était entièrement consacrée à la question juive; puis elle remarque qu'en fin de compte Eichmann, dirigeant mineur, n'avait pas participé directement à des massacres et n'en avait pas ordonné.
L'auteur de L'Etat S.S., Eugen Kogon, ancien déporté à Buchenwald, écrit sur la vie au camp à propos d'une distribution de colis de la Croix-Rouge: "La répartition fut organisée de façon scandaleuse pendant des semaines; il n'y avait, en effet, qu'un seul paquet par groupe de dix français qui se trouvaient dans ce qu'on appelait le "petit camp", et dont la situation était très précaire [...] tandis que leurs compatriotes chargés de la distribution, ayant à leur tête le chef du groupe communiste français dans le camp, réservaient pour eux des monceaux de colis ou les utilisaient en faveur de leurs "amis de marque". Les conséquences de la vie en camp l'inquiètent: "Sans aucun doute, l'un des pires maux que la S.S. ait fait aux détenus est d'avoir fait perdre à beaucoup d'entre eux, pour des années, sinon pour leur vie entière, le go°t d'un travail effectif suivi et consciencieux. Il est certain qu'avec un système de travail raisonnable, en excitant l'intérêt des ouvriers et les considérant comme des hommes, on aurait réalisé le double ou le triple de travail avec un cinquième seulement de la main-d'oeuvre."
Par ailleurs, Czeslaw Milosz, dans La Pensée captive, cite le cas d'un jeune écrivain polonais qui publie en 1946 un témoignage sur Auschwitz. Cet écrivain ne s'indigne pas, il relate: " B. décrivait les camps de concentration comme il les avait vus, et non comme il aurait fallu les voir [...]. Que fallait-il voir dans les camps de concentration? Il n'est pas difficile de l'établir: 1) Les prisonniers devaient constituer des organisation clandestines; 2) C'étaient les communistes qui devaient diriger ces organisations; 3) Tous les prisonniers russes apparaissant dans le cours du livre devaient se distinguer par leur force morale et leur héroisme; 4) Il fallait démontrer que les différences de convictions politiques entraînaient celles de la conduite des prisonniers. Rien de semblable ne se trouvait dans les récits de B." C'est contre ce qu'il aurait fallu voir que Rassinier s'élève.
Camp de travail près de Buchenwald, non loin de Weimar, Dora est créé au début du siècle pour exploiter les roches riches en ammoniac, avec une main-d'oeuvre de condamnés. Arrêtés en 1910 parce que peu rentables, les travaux reprennent en 1914-18 avec les prisonniers de guerre. En 1943-45, on réutilise les lieux, réaménagés, pour des activités industrielles souterraines, en particulier pour la fabrication de V1 et de V2. Avec le camp voisin, Dora n'occupe jamais plus de 15 000 travailleurs. On compte aussi des civils, 6 000 à 7 000 en avril 1945: contremaîtres allemands, S.T.O. et volontaires, qui vivent en camp, sont bien payés, travaillent 10 heures par jour, mangent correctement, et sont libres de circuler dans un rayon de 30 kilomètres.
Rassinier décrit un gaspillage effréné de temps et de force de travail: appels interminables, déplacements en train qu'il faut attendre des heures alors qu'il serait plus rapide d'aller à pied, etc. C'est le prix à payer pour une organisation bureaucratique inévitable en l'absence de stimulus réel: seule la contrainte anime les déportés et les Kapos. La brutalité est elle-même liée au manque de personnel d'encadrement.
En effet, les S.S. interviennent peu, déléguant leurs pouvoirs à la H-Fuehrung (Haeftlingsfuehrung, c'est à dire "direction par les détenus"). Rassinier parle de "self-bureaucratie". La guerre accroît considérablement le nombre des détenus mais celui des gardiens augmente très peu: d'où une délégation de pouvoir à une fraction de détenus, et la formation de bandes de racket. Les communautés les plus homogènes (regroupements par pays ou par affinité politique) survivaient le mieux, c'est pourquoi les politiques supplantèrent les droits communs. Rassinier soutient qu'une grande partie des morts de faim dans les camps viennent d'une répartition inégale des aliments disponibles, accaparés par une minorité privilégiée. De même, si la famine sévit aujourd'hui, il existe bien dans l'abstrait une quantité de denrées suffisante pour nourrir tout le monde, à supposer qu'on la répartisse égalitairement entre tous. Mais pourquoi le ferait-on dans un monde divisé par des différences de fonction, de fortune, etc.? Les S.S. détournaient également de la nourriture pour la revendre avant qu'elle n'arrive au camp. Les rapports marchands sont ici, comme dans un pays sous-développé aujourd'hui, poussés jusqu'à l'atroce de la pénurie. Les camps n'étaient pas des lieux imperméables à la logique marchande ils ont reproduit en pire les traits typiques du capitalisme contemporain. Une grande partie de l'horreur devant les camps vient de ce que l'Allemagne a fait subir à des Européens ce que les Occidentaux avaient infligé et infligent encore aux non-Blancs. Les victimes de la déportation des Noirs africains vers les Amériques sont sans doute plus nombreuses que celles des déportations nazies.
A Buchenwald et à Dora, au terme d'une lutte acharnée, les politiques remplacent les droits commun dans la H-Fuehrung. Pourquoi les politiques étaient-ils si compétents? Et pourquoi ont-ils si bien joué le rôle qu'on attendait d'eux? On peut le comprendre à partir de ce qu'étaient ces militants, leur rapport au reste du monde, leur solidarité de communauté étriquée dans leur parti ou leur syndicat, leur illusion d'être au-dessus de la masse, d'avoir à la guider, à l'encadrer, au besoin à la réprimer. Presque tous les déportés avaient affaire à la répression d'autres déportés armés de b,tons. Il semblait aussi naturel au militant stalinien ou social-démocrate de faire la police du camp qu'il avait paru naturel aux socialistes allemands de réprimer les insurrections de 1919-21.
Une attitude comparable existait chez les responsables des communautés juives en Europe. Ils étaient prêts à participer à l'organisation de la déportation des autres juifs, ils dressaient des listes, ils rassemblaient des fonds, ils distribuaient des brassards, ils rédigeaient des manifestes. " En lisant les manifestes, inspirés mais non dictés par les nazis, que rédigèrent les responsables juifs, on sent à quel point ce pouvoir tout nouveau leur plaisait: " Le Conseil central des Anciens juifs a été habilité à disposer absolument de toutes les richesses juives, matérielles et spirituelles, et de toute la main d'oeuvre juive" (première déclaration du Conseil de Budapest). Nous savons quels étaient les sentiments des responsables juifs devenus les instruments des assassins: ils se comparaient à des capitaines "dont le navire allait couler et qui réussissaient à le ramener à bon port en jetant par-dessus bord la plus grande partie d'une précieuse cargaison"; à des sauveurs qui "épargnaient mille personnes en en sacrifiant cent, dix mille en en sacrifiant mille". (H. Arendt, Eichmann à Jérusalem.)
Aucun pouvoir ne peut changer la société: il l'administre seulement plus ou moins mal. En cas de pénurie, il prélève pour lui la part du lion. En camp, cette tendance s'exacerbait avec la défaite prochaine de l'Allemagne. Ce sont même souvent les entreprises ou la S.S.-Fuehrung qui remettent de l'ordre dans ce que l'auto-administration ne sait pas administrer. C'est l'entreprise privée en commandite pour le tunnel de Dora qui oblige la H.-Fuehrung à laisser les ouvriers monter manger à l'air libre. Lors d'une désinfection, au lieu de fixer un horaire avec des groupes échelonnés dans le temps, la H.-Fuehrung fait venir tout le monde à la fois devant la porte du bâtiment en les faisant se déshabiller à l'avance; la foule des détenus se bouscule pour pouvoir entrer, certains y passent toute la nuit, contractant des congestions pulmonaires. D'où de nombreux morts, parce que la H.-Fuehrung a négligé d'établir un horaire, alors que la S.S.-Fuehrung lui en laissait la possibilité: le lendemain, la S.S.-Fuehrung en fixe un elle-même.
Dans les conditions particulièrement dures du camp, les détenus chargés d'encadrer les autres ne pouvaient pas ne pas recourir à une violence terrible, seul moyen de faire régner le calme dans un environnement aussi explosif. Rassinier ne les juge pas, il ne cherche pas à définir la "bonne" attitude. Il rappelle seulement que la prison interne du camp fut construite et les châtiments aggravés à l'initiative de la police interne, composée de déportés.
Selon Rassinier, la H.-Fuehrung groupe environ 10% des détenus qui, entre autres activités, pillent les colis. Il dit lui-même n'être resté en vie qu'en donnant dès le début une part de ses colis au chef de bloc. Le salaire de 2 à 5 marks par jour prévu pour les détenus ne leur est pas remis non plus: les cohues lors de la remise des sommes les dissuadent vite de le toucher. La H.-Fuehrung s'attribue aussi les 30 marks mensuels que les familles peuvent envoyer, ainsi que les vêtements et objets déposés par les détenus à leur arrivée. Tout cela fait l'objet d'un trafic qui permet à la minorité de survivre.
Rassinier insiste sur ce fait que le camp n'a pas qu'un seul visage. L'enfer y coexiste de façon absurde avec des parterres de fleurs, une piscine, un théâtre, de la musique, une bibliothèque et même un bordel, réservés à ceux qui en ont le temps et les moyens, et qui ne sont pas épuisés. Voilà ce que les nazis montraient aux visiteurs, mais c'était plus qu'un décor: c'était un aspect réel du camp.
Un détenu responsable de la police du camp participe aux pendaisons en faisant basculer le tabouret sur lequel set placé le condamné. Quand on pendait dix ou vingt personnes à la fois, un ou deux S.S. surveillaient. Des détenus exécutaient d'autres détenus. Quand, devant l'arrivée des Alliés, les S.S. veulent évacuer le camp, tous les Allemands qui faisaient partie de la H.-Fuehrung, politiques ou droits communs, encadrent le reste des détenus, le fusil sous le bras.
D. Rousset justifie la conduite des détenus responsables des camps par le besoin de préserver l'élite révolutionnaire. Rassinier rétorque que si Rousset accorde un privilège aux politiques, c'est parce qu'il juge que "les détenus politiques étaient d'une essence supérieure au commun des hommes et que les impératifs auxquels ils obéissaient étaient plus nobles que les lois de la lutte individuelle pour la vie" (Le Mensonge d'Ulysse).
Le ciment des clans de la H-Fuehrung était la politique: on se servait de sa qualité de "communiste" ou de "socialiste" pour maintenir un rapport d'intérêt avec d'autres. Comme dans son parti en temps normal; mais, en temps normal, il s'agit d'une sécurité psychologique, de quelques avantages matériels, de garder ou de trouver un emploi, d'obtenir une décharge d'heures pour activité syndicale, etc. Ici, il s'agit de survivre.
Les ex-membres de la H-Fuehrung, qui ont trusté la littérature concentrationnaire et imposé leur version des faits, se sont justifiés aussi par le besoin de sauver "le camp", de le tenir prêt pour l'arrivée des Alliés, de survivre à tout prix pour pouvoir témoigner. Le camp devenant - comme en temps normal l'entreprise ou la nation - une chose en soi, il fallait le conserver, parce qu'ainsi ils se préservaient eux-mêmes.
Buchenwald était un camp ancien et relativement privilégié. Mais même les camps de l'Est étaient d'abord un moyen de mettre à l'écart toute une série des gens inutiles ou nuisibles pour l'Etat, mais pas pour les massacrer: plutôt pour utiliser les inutiles à faire quelque chose qui serve au moins l'Etat. Le travail des camps, peu productifs selon les normes capitalistes courantes, mais utile malgré tout, était donc un but secondaire de la déportation, mais qui passa ensuite au premier plan avec la guerre. Himmler déplorait en 1943 la mort de plusieurs centaines de milliers de prisonniers russes qui auraient pu travailler. L'Allemagne a construit les camps tandis que la France se bornait à réquisitionner les Noirs pour travailler pour elle. Exclus parce que socialement inutiles au développement du capital, les déportés étaient obligés de travailler: quelle société se résout de bon coeur à entretenir à ne rien faire ceux qu'elle exclut? Se déroulant dans des conditions impossibles, leur activité suscitait une bureaucratie et une mortalité à laquelle seuls les bureaucrates et leurs protégés échappaient.
Les camps nazis, surpeuplés surtout après 1942, étaient tenus par un Etat progressivement battu, soumis à un blocus alimentaire impitoyable et à une guerre "au finish" décidée par les Alliés en octobre 1943. Leurs déclarations selon lesquelles ils jugeraient les dirigeants allemands après leur défaite contribuaient évidemment à une guerre à outrance. Dans ces conditions, les déportés passaient après les soldats et la population allemande et les rations alimentaires se sont dégradées. Les prisonniers sont inévitablement les premiers sacrifiés.
Le développement du capitalisme, l'invasion par la marchandise et l'Etat de toute la vie sociale, crée un monde de plus en plus étouffant et totalitaire. Le stalinisme et le nazisme ont été des formes monstrueuses de cette montée du totalitarisme du capital. En réaction à cette tendance, se développe une idéologie antitotalitaire qui la dénonce mais en cache les causes véritables. L'antitotalitarisme réduit le totalitarisme à une accentuation du despotisme pesant sur le peuple en général et sur les détenus du Goulag en particulier. L'univers concentrationnaire serait le résultat et l'expression achevée du totalitarisme: un pouvoir bureaucratique et absolu sur la société aurait l'avantage de pouvoir se permettre de reléguer ses opposants dans des camps et, là, d'exercer sur eux une domination encore plus achevée.
L'antitotalitarisme ne part pas de l'activité se déroulant dans les camps, une caricature du salariat, mais de l'autorité despotique pesant sur les détenus. Le Goulag serait la clé permettant de comprendre toute la société russe et éventuellement l'avenir que nous réserve le capitalisme, aussi bien d'ailleurs que la révolution qui, inévitablement, ne pourrait se retourner qu'en son contraire. Le renouveau des polémiques sur le Goulag exprime aussi l'effarement devant le fait que les révolutions, la pensée radicale, les mouvements de masse n'auraient abouti qu'à renforcer l'Etat et l'opposition entre dominant et dominé: confusion la plus contre-révolutionnaire entre la révolution et la contre-révolution qui l'a vaincue.
Si l'on part de sa réalité, non de sa mythologie, le phénomène concentrationnaire n'est pas la vérification mais plutôt le démenti de l'idéologie anti-totalitaire. Le pouvoir est obligé d'envoyer en camp parce qu'il est mal assuré et non tout-puissant. Le fonctionnement des camps reproduit et accentue les aberrations et les difficultés de contrôle de la vie sociale courante.
L'élimination par les nazis de la classe moyenne juive faisait oublier aux éléments non juifs des classes moyennes leur propre élimination. Plus globalement, pour forger une communauté nationale dans des conditions difficiles, le nazisme avait besoin d'un ennemi à la fois interne et externe: la communauté juive allemande et internationale. L'hitlérisme victorieux étendit à toute l'Europe sa politique d'élimination des juifs. L'antisémitisme fournissait un bouc émissaire à un moment où l'on en avait besoin.
La destruction des classes moyennes traditionnelles est l'un des aspects de la crise du capital après 1914. L'une des issues pour ces classes est leur reconversion dans l'appareil d'Etat. Comme dans la France contemporaine: on s'engouffre dans la voie des études jusqu'au moment où cela craque, parce que l'Université ne peut assurer du travail pour tous. Le déclenchement de mai 1968 et le gauchisme sont aussi une expression des difficultés de cette reconversion. Il n'y a plus d'autre rôle social qu'un rôle "révolutionnaire". Le gonflement des effectifs de l'Education nationale et de l'Université, particulièrement marqué en France, n'est pas le résultat de la lutte ouvrière pour la démocratisation de l'enseignement, mais de la poussée démographique et de l'excèdent de petits bourgeois qu'avait conservé la France.
Dans l'Allemagne et l'Italie de l'Entre-deux-guerres, cette reconversion s'est faite par l'intégration des ex-commerçants et artisans rentiers, souvent ancien combattants de la Première Guerre, dans l'Etat, par le biais de l'appareil politique du fascisme. La classe moyenne allemande pouvait se reconvertir, sauf son importante fraction juive. Les juifs avaient quelque chose à perdre: leur communauté, leur lien avec une réalité transnationale, quand bien même les juifs allemands étaient les plus assimilés de toute l'Europe centrale. Ils pouvaient bien moins se reconvertir parce qu'ils possédaient une identité commune et une "vie spirituelle" qui faisait obstacle à leur entrée dans un Etat racial-national. La classe moyenne était trop importante pour que sa reconversion soit aisée. L'entonnoir était trop petit pour tout le monde mais il avait été créé par une situation et une crise internationales, et non par les seuls Allemands.
"La petite bourgeoisie a "inventé" l'antisémitisme. Non pas tant, comme disent les métaphysiciens, pour expliquer les malheurs qui la frappaient, que pour tenter de s'en préserver en les concentrant sur un de ses groupes. A l'horrible pression économique, à la menace de destruction diffuse qui rendaient incertaine l'existence de chacun de ses membres, la petite bourgeoisie a réagi en sacrifiant une de ses parties, espérant ainsi sauver et assurer l'existence des autres. L'antisémitisme ne provient pas plus d'un "plan machiavélique" que d'"idées perverses": il résulte directement de la contrainte économique. La haine des juifs, loin d'être la raison a priori de leur destruction, n'est que l'expression de ce désir de délimiter et de concentrer sur eux la destruction." (Auschwitz ou le Grand Alibi, éd. Programme communiste.)
Le problème juif ne se confond pas avec celui des camps, et ce n'est d'ailleurs que tardivement que les juifs ont été mis en camp. Un grand nombre de ceux qui ont été internés à Buchenwald après les pogroms de la "Nuit de cristal" en novembre 1938 seront ensuite libérés. Les nazis ne voulaient pas interner des juifs, tout au moins en tant que juifs, en pays allemand. Les mesures antijuives après 1933, telles que professions interdites, numerus clausus pour d'autres, boycott, étaient destinées à les faire émigrer.
En 1938, à la conférence d'Evian, l'Allemagne propose d'expulser tous ses juifs et de verser pour eux une somme globale de 3 milliards de marks, qu'un organisme international répartirait entre tous les émigrés. Elle exige aussi, en compensation, que les pays d'accueil achètent des produits allemands. La Grande-Bretagne propose 1000 livres sterling par personne sans compensation, ce qui équivalait à 15-18 milliards de marks, soit le budget annuel allemand, commente Rassinier. Malgré la médiation américaine, on ne parvient à aucun compromis. Il y a des contacts entre les juifs de Palestine et la Gestapo relatifs aux possibilités d'immigration en Palestine. Les nazis avaient une certaine considération pour les sionistes parce que ceux-ci raisonnaient en termes nationaux. Pour les nationalistes juifs, les principaux ennemis n'étaient pas encore les nazis, qui poussaient les juifs à émigrer, mais les autorités anglaises, colonisatrices, qui leur barraient la route de la Palestine. Ce qui permettra à Nathan Yalin-Mor, du groupe sioniste Stern, dans Israel, Israel..., d'écrire fort justement: " Aux yeux du monde, l'Angleterre se battait pour défendre la Liberté et la Démocratie. La Liberté! Pour qui? La Démocratie! Où donc? Le seul souci de la Grande-Bretagne était de défendre sa propre liberté menacée" (...et son empire colonial).
Après ses victoires de 1939-1940, l'Allemagne poursuit son projet. L'idée d'expédier en bloc tous les juifs à Madagascar, qui échoue en 1940 devant le refus français, n'est pas plus absurde que celle des premiers sionistes qui, au XIXe siècle, avant de fixer leur choix sur la Palestine, avaient décidé de choisir une région d'Afrique non encore colonisée. Hitler ne voulait pas tuer les juifs, mais les expulser de l'espace allemand, qui s'est étendu à une grande partie de l'Europe. Avant la guerre, avant même que ces pays passent sous contrôle allemand, le gouvernement polonais avait étudié en 1937 la possibilité d'établir un Etat juif outre-mer, et le ministre français des Affaires étrangères en 1938 avait envisagé d'envoyer les juifs étrangers résidant en France dans une colonie.
La politique allemande de déportation des juifs, loin d'être un comportement en soi, s'appuyait sur l'antisémitisme des populations et des autorités locales et le prolongeait. La haine des juifs, de type moyenâgeuse, était particulièrement virulente en Pologne et en Europe centrale. En France, elle se concentrait surtout contre les mauvais juifs, les juifs étrangers. L'Italie fasciste allait être modérément antisémite. En Hollande, les persécutions contre les juifs provoquèrent la résistance de la population et des mouvements de grève. au Danemark, les opérations nazies échouèrent pratiquement du fait de la résistance des autorités et des populations; même l'armée d'occupation allemande se déroba et sabota les ordres.
Le racisme à l'égard des juifs restait sélectif. La masse était visée, mais il y avait ceux qui possédaient de l'argent, ceux qui étaient des anciens combattants, ceux qui avaient des relations politiques... Ceux-là échappaient à la déportation ou bien étaient internés dans de meilleures conditions (Theresienstadt).
Ne disposant pas de territoires où mettre ses juifs indésirables, n'ayant sous la main aucune Sibérie, ne pouvant créer de toute pièce aucun Birobidjan comme celui où les Russes envisageaient avant 1939 de fonder une république juive dans le cadre de l'U.R.S.S., près de la Mandchourie, l'Allemagne fut donc conduite à organiser des "réserves" de juifs, les concentrant dans des ghettos et des camps. Pourquoi tant d'entre eux y sont morts? Parce qu'ils ont péri de faim, de mauvais traitements, et aussi parce qu'on les a exécutés. Mais les preuves d'un massacre délibéré sont plus que sujettes à caution.
On invoque régulièrement des déclarations d'Hitler, notamment celle du 30 janvier 1939: "Aujourd'hui, je vais de nouveau être prophète: si la finance juive internationale à l'intérieur et à l'extérieur de l'Europe réussissait de nouveau à plonger les nations dans une nouvelle guerre mondiale, la conséquence n'en serait pas la bolchévisation de la terre et par conséquent la victoire des juifs, mais l'annihilation de la race juive en Europe." Hitler était un spécialiste de l'amalgame, un excité et un raciste. Mais cette déclaration ressortissait à la propagande de guerre. Il y a une distance entre ce genre de propagande et la politique effectivement menée. Les nazis pouvaient eux-mêmes justifier leur attitude à l'égard des juifs par des déclarations émanant de juifs. Le Congrès mondial juif avait proclamé en septembre 1939, à l'ouverture des hostilités, que "les juifs du monde entier avaient déclaré la guerre économique et financière à l'Allemagne [......] résolus à mener cette guerre de destruction jusqu'au bout". Hitler pouvait s'en prévaloir pour mettre les juifs en camp. Le livre du juif américain Theodor N. Kaufman, L'Allemagne doit périr!, paru en 1941, explique qu'après la guerre une série d'actes anodins répétés pouvait faire disparaître le péril allemand: il s'agissait de la stérilisation de l'ensemble de la population germanique. Evidemment, des extraits de ce livre ont servi à alimenter la propagande antisémite des nazis.
Même durant la guerre, les nazis ne se sont jamais complètement résignés à cet immense gâchis que représentaient l'internement et la décimation des juifs. Himmler, en automne 1942 essaya de vendre des visas de sortie aux juifs slovaques parce qu'il avait besoin de devises. Une affaire d'une toute autre importance allait s'amorcer en avril 1944 entre les dirigeants S.S. et un dirigeant d'une organisation de juifs hongrois, Joel Brand. Il s'agissait de prendre contact avec les Anglo-Américains pour négocier l'échange d'un million de juifs. Les S.S. voulaient 10.000 camions, mais étaient prêts à discuter d'autres propositions. 100 000 juifs seraient livrés dès qu'il y aurait accord et avant réception de la marchandise. Les Alliés qui justifièrent leur guerre notamment par la barbarie nazie à l'égard des juifs firent tout pour étouffer l'affaire. Ils n'étaient même pas prêts à recevoir les premiers 100 000 juifs, puis, par la suite, à dénoncer l'accord, comme le leur proposait Joel Brand. Selon le livre de Alexis Weissberg, L'Histoire de Joel Brand, lord Moyne, représentant britannique, répondit à Joel Brand: " Comment imaginez-vous une chose pareille, Mister Brand? Que ferai-je de ce million de juifs? Où les mettrai-je? Qui les accueillera?"
Ce n'est pas un malheureux concours de circonstances mais une logique implacable qui mène de la crise de 1929 à la Seconde Guerre Mondiale et de l'antisémitisme nazi à la mort d'une partie de la population juive européenne. Mais considérer que cela découle d'une volonté consciente, d'une préméditation et même d'une programmation, c'est renverser la réalité. Un raisonnement semblable ferait considérer que les nazis, en provoquant la guerre avec la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, en attaquant l'U.R.S.S. et en ne s'arrêtant pas à temps, ont sciemment préparé leur propre défaite. N'étaient-ils pas, à ce qu'on dit, gouvernés par l'instinct de la mort et cet instinct ne s'est-il pas incarné dans le suicide des principaux dirigeants du IIIe Reich?
Les nazis ont d'abord cherché à faire émigrer leurs juifs et y ont partiellement réussi en mettant sur les bras des Etats voisins bon nombre de juifs rendus apatrides qui allaient y exacerber le problème juif. Mais malgré le discours incendiaire d'Hitler de janvier 1939, on assiste à une pause relative. En 1942, le mouvement de déportation des juifs européens vers les camps polonais prend une grande importance. En été 1944, Hitler met un terme aux déportations de juifs. Ainsi, non seulement la mise en avant de critères raciaux, mais la politique même à l'égard des juifs apparaît comme irrationnelle. On a argué de cette irrationalité pour prétendre qu'il ne s'agissait que de tromper l'opinion à propos d'une réalité prévue de longue date: une réalité qu'aurait recouverte la vague formule de "la solution finale du problème juif" et qui aurait été l'extermination. Puisque le projet d'émigration des juifs vers Madagascar se révélait plutôt irréalisable, ce n'était donc qu'un attrape-nigaud. C'est ce que pense H. Arendt. Eichmann lui-même, qui prenait à coeur ce projet, aurait donc été joué dans cette histoire. Selon H. Arendt, la solution définitive assimilée à l'extermination "était, aux yeux de Hitler, un des objectifs principaux de la guerre. De cette conspiration - si c'en était une - il était l'unique et solitaire conspirateur: jamais complot n'a requis un si petit nombre de comploteurs et un si grand nombre d'exécutants. La mise en oeuvre de la solution définitive avait la priorité sur toutes les considérations d'ordre économique ou militaire". Ainsi donc, d'une part, il n'est pas sûr qu'il y ait eu conspiration, mais, d'autre part, tout lui aurait été soumis. Selon Michael Musmanno, juge à Nuremberg et auteur de Ten Days to Die: "Eichmann parlait par la bouche de Himmler et de Heydrich." "Ribbentrop lui avait dit que Hitler aurait été correct s'il n'était pas tombé sous l'influence d'Eichmann", rapporte H. Arendt qui, elle, renverse complètement ce point de vue pour faire d'Eichmann une "créature subordonnée si jamais il en fut". Pour certains, Hitler n'était même au courant de rien; pour d'autres, il n'y avait que lui qui était au courant de tout.
Ceux qui nous répètent, un traité de génétique à la main, que le racisme est une absurdité et particulièrement en ce qui concerne les juifs, ne peuvent expliquer que par la "folie", "l'irrationalité meurtrière" du nazisme et le phénomène social du racisme, qu'ils ramènent à une perversion de l'esprit. Mais le racisme a aussi sa cause dans l'être social du groupe qui en est la victime, et il existe une correspondance courante entre une identité ethnique et une fonction sociale. Les juifs ont joué en Occident un rôle similaire à celui des Chinois d'outre-mer en Asie du Sud-Est, à celui des Arabes en Afrique noire, qui leur vaut parfois aussi pogroms populaires et refoulement étatique. Minorité liée à l'échange et communauté transnationale, ils finissent par incarner la concurrence et l'étranger au sein des rapports marchands ou même ils incarnent l'étrangeté de ces rapports marchands.
Le sort des juifs a été un des épisodes terribles d'une époque particulièrement terrible de l'histoire humaine: la Seconde Guerre mondiale. En rappeler le contexte, ce n'est pas éluder la question, mais permettre de comprendre ce qui s'est passé. Rejeter la question comme secondaire serait aussi sérieux que de dire: "Les hommes sont exploités et ils souffrent, peu importe comment; l'essentiel est qu'il faut supprimer cette exploitation et cette souffrance. Un mouvement révolutionnaire ne peut éviter d'expliquer des faits qui sont aussi importants, à la fois en eux-mêmes et par la place qu'ils prennent dans l'idéologie.
Il y a des agresseurs et des agressés, des bourreaux et des victimes. On ne peut mettre sur le même plan les nazis et les juifs, les colons américains et les amérindiens, l'Etat stalino-vietnamien et les réfugiés sino-vietnamiens qui sont des victimes. Mais la compréhension ne peut s'arrêter à la distinction entre agresseurs et agressé.
S'il n'y a plus de coupables face aux innocents, cela ne revient pas à innocenter n'importe quelle oppression ou racisme en attendant qu'un beau jour le système, miné par ses contradictions internes, veuille bien s'écrouler. Cela implique simplement de ne pas couvrir et enfermer la lutte dans une morale.
Quel est le premier effet de la mise en spectacle des horreurs nazies? Celui de toute propagande de guerre: persuader tous ceux qui participent à des mécanismes bien concrets d'oppression que ce à quoi ils participent est négligeable au regard de ce qu'a déjà fait l'ennemi; en la circonstance, l'ennemi mythique: les nazis. Que cela est négligeable et différent. L'ennemi, et c'est ce qui le transforme en un monstre et en un criminel, a fait cela sciemment et volontairement, tandis que tout un chacun, du dirigeant de la firme multinationale au dernier des chefaillons, lui, ne sait pas ce qu'il fait et, de toute façon, ne tient pas à le savoir, puisqu'il n'a pas le choix.
Eichmann déclarait à Jérusalem en guise d'excuse: "Celui qui est citoyen d'un bon gouvernement a de la chance, celui qui est citoyen d'un mauvais gouvernement n'en a pas. Je n'ai pas eu de chance." Pauvre citoyen Eichmann et encore plus pauvres ceux qui étaient tombés sous la coupe de son administration! Ce qui importe, ce n'est pas le constat que dressent des lieutenants-colonels ou des fonctionnaires du genre d'Eichmann, comme il y en a beaucoup de par le monde; ce n'est pas le constat de la "banalité du mal". C'est la critique de l'Etat, de tous les Etats, dictatoriaux ou démocratiques. En essayant d'élargir l'usage de leurs principes juridiques, les tribunaux de Nuremberg et de Jérusalem n'ont fait que mettre en contradiction ces principes eux-mêmes. Faut-il faire son devoir de citoyen, de fonctionnaire, ou bien, en suivant sa conscience, se refuser à participer à des crimes contre l'humanité? La sphère du droit n'est pas une émanation de la conscience mais la projection du pouvoir d'Etat sur la vie sociale. Ce n'est pas la conscience universelle qui l'emporte mais les Etats les plus forts qui couvrent leur répression humanisée en invoquant les crimes de Etats plus faibles. Ce sont les Etats vainqueurs qui jugent les Etats vaincus. Le progrès de la civilisation et la généralisation des grandes phrases sur la dignité de la personne humaine, sur le respect de la vie et sur le "statut d'être humain" s'accompagne d'un progrès dans l'horreur et du massacre des populations civiles. Ce double phénomène peut d'abord paraître incompréhensible, pourtant ce sont les mêmes raisons qui produisent ces deux sortes de progrès: l'atomisation des hommes et le développement des pouvoirs d'Etat.
Rassinier est d'abord connu ou plutôt attaqué pour avoir osé nier que des "chambres à gaz" aient été l'instrument d'un meurtre de masse. Il n'est pas question ici de reprendre l'ensemble de ses arguments et de vouloir régler définitivement la question. Comme tout un chacun, nous tenions pour un fait établi l'utilisation de "chambres à gaz" en vue d'un massacre aux proportions industrielles. Si contestataires et si méfiants que nous puissions être, l'idée que l'on ait pu organiser un bluff à pareille échelle et sur un sujet aussi macabre ne nous était pas venue spontanément. Pourtant, à la lecture de Rassinier, nous avons été fortement ébranlés. Et nous avons été encore plus ébranlés par le débat qui a eu lieu récemment dans la presse, ou plutôt par la façon dont on l'empêche d'avoir lieu.
Qu'il soit bien clair ici que nous ne nous prenons pas pour des spécialistes et que nous n'entendons pas les concurrencer. Nous n'avons mené ni recherches démographiques ni études d'archives ni analyses techniques des procédés de gazage. Nous nous contentons délibérément d'une critique au second degré, celle de la littérature concentrationnaire et notre souci n'est pas de démontrer l'inexistence des "chambres à gaz", mais de voir comment s'est établie une vérité officielle et comment elle est défendue.
Rassinier et les autres auteurs "révisionnistes", dont certains sont d'extrême droite, ne viseraient, nous dit-on, qu'à innocenter les nazis et ils manqueraient de tout sérieux. Ce qui est vrai, c'est qu'on entrave la participation des "révisionnistes" au "débat" et que ceux qui occupent les mass media ne font que ressasser les mêmes arguments sans leur répondre vraiment. L'argument décisif des anti-"révisionnistes" est que les nazis ont tout fait pour dissimuler leur forfait.
Les ordres auraient été donnés de bouche à oreille et leur langage en aurait été déguisé. A partir de là, on peut affirmer que le terme de "solution finale" n'a jamais pu vouloir dire autre chose que "extermination totale", que le terme Vergasungkeller, qui apparaît dans une seule lettre entre l'administration d'Auschwitz et la firme Topf qui construisait les fours crématoires, ne pouvait désigner qu'une "chambre à gaz" - à la place de celui, plus normal, de Gaskammer -, et non la pièce en sous-sol alimentant en mélange gazeux le four crématoire. Cet argument prend d'ailleurs une tournure terroriste: "Ils ont truqué le langage et assassiné les enfants pour que la réalité de l'extermination ne soit ni sue ni vengée: ils n'ont pas tout à fait échoué. Himmler avait constitué un commando spécialement chargé d'effacer toute trace du génocide. Nos actuels falsificateurs sont, sans le savoir ou en le sachant, les héritiers directs de ces historiographes pervers du commando 1005." (E. de Fontenay, in Le Nouvel Observateur du 12 février 1979.)
On joue sur le respect dû aux morts et aux souffrances des survivants. Et sur la peur de tous de se retrouver du côté des bourreaux. Pour ne pas couvrir des crimes, certains seraient même prêts à tuer. Le bon sens, qui nous dit par la bouche de Lénine que l'on ne peut pas tromper beaucoup de gens très longtemps, est-il prêt à reconnaître que, dans cette affaire des "chambres à gaz", il s'est peut-être abusé? Ce serait "trop gros", se dit-il, et il se rendort dans les bras de la bonne ou de la mauvaise conscience...
Mais n'y a-t-il pas les témoignages des déportés et les aveux des bourreaux? Beaucoup de gens ont effectivement "vu" des "chambres à gaz", même là où il est reconnu qu'il n'y en avait pas. En fait, ils en avaient surtout entendu parler. Les aveux ne sont pas suffisants en eux-mêmes. Les S.S. étaient vaincus, leurs illusions et leur cause s'étaient écroulées. Une menace d'exécution pesait sur eux et ils cherchaient à se disculper en invoquant des ordres introuvables et un projet qui les aurait complètement dépassés. La complaisance à l'égard de leurs interrogateurs s'est dans plusieurs cas révélée payante. Il n'est pas besoin d'évoquer la torture, même si son utilisation paraît établie dans certains cas. La torture d'ailleurs ne suffit peut-être pas à venir à bout d'hommes qui croient encore en leur cause. Quand celle-ci s'est effondrée, des pressions physiques et morales minimes suffisent à anéantir ceux pour lesquels il ne reste plus que l'identification aux vainqueurs et l'instinct de conservation. Ce que l'on admet pour Boukharine peut valoir aussi pour Hoess, commandant d'Auschwitz, détenu dans une prison en Pologne, et qui a été exécuté en 1947.
Rassinier s'est appliqué à montrer que les documents sur lesquels repose la foi en l'existence des "chambres à gaz" et en leur fonction exterminatrice étaient suspects à cause de leur origine et aussi de leurs contradictions. Les contradictions les plus graves apparaissent entre leurs descriptions du "gazage" et les contingences techniques réelles d'une telle opération.
Les ouvrages de Rassinier sont difficilement accessibles, mais il n'est pas nécessaire de lire Rassinier pour avoir des doutes sur cette question. La lecture d'une page du Monde suffit à troubler alors même que son objectif est d'enlever les doutes à tout prix. Cette page du 21 février 1979, bien qu'elle ne cite pas le nom de Robert Faurisson, et cela pour lui enlever toute possibilité de réponse, est une réaction à sa lettre au Monde du 16 janvier 1979 dans laquelle il affirmait qu'il n'avait pas trouvé de preuves de l'existence des "chambres à gaz", mais "le silence, la gène, l'hostilité et, pour terminer, les calomnies, les insultes, les coups" et que, s'il affirmait "que les 'chambres à gaz ' n'[avaient] pas existé, c'est que le difficile devoir d'être vrai [l'] oblige à le dire". La page réponse du Monde comportait un article de Georges Wellers, une déclaration d'historiens (Philippe Ariès, Alain Besançon, Robert Bonnaud, Fernand Braudel, Pierre Chaunu, Monique Clavel-Levêque, Marc Ferro, François Furet, Yvon Garlan, Jacques Julliard, Ernest Labrousse, Jacques Le Goff, Emmanuel Le Roy Ladurie, Pierre Levêque, Nicole Loraux, Robert Mandrou, Claude Mossé, Roland Mousnier, Jacques Néré, Claude Nicolet, Valentin Nikiprowetzky, Evelyne Patlagean, Michelle Perrot, Léon Poliakov, Madeleine Rebérioux, Maxime Rodinson, Jean Rougé, Lilly Scherr, Pierre Sorlin, Lucette Valensi, Jean-Pierre Vernant, Paul Veyne, Pierre Vidal-Naquet, Edouard Will) et un avant-propos de Jean Planchais.
Ce dernier déclarait en préambule: "Il reste à savoir si une obstination maniaque a un rapport avec l'histoire. L'affaire des chambres à gaz est sur ce point exemplaire. Le terme était devenu synonyme de massacre collectif et organisé. Qu'il n'y ait pas eu de chambres à gaz dans tous les camps de concentration, même dans certains de ceux où on prétend les présenter aux pèlerins ou aux touristes, est un fait que reconnaissent les spécialistes et les témoins directs. En conclure que rien n'est arrivé, que tout ce qui a été dir, écrit, montré sur les chambres à gaz n'était que mensonges relève pour le moins de l'aberration." Monsieur Jean Planchais, n'est-il pas d'abord aberrant que l'on ait pu construire des « chambres à gaz »là ou on a reconnu ensuite qu'il n'y en avait pas? N'est-il pas aberrant que, le sachant, on continue à les faire visiter aux touristes et qu'on ne les détruise pas? Et cela ne mériterait-il pas une solennelle déclaration de nos éminents professeurs? Jean Planchais confond une argumentation historique et une argumentation morale pour nous dire que la logique de la démarche "révisionniste" mène à la réhabilitation du nazisme, puis il s'inquiète: « ...il est des hommes, jeunes ou non, qui, en toute bonne foi, s'interrogent: n'ont-ils pas été victimes d'une immense duperie ? »
Ces « hommes, jeunes ou non, qui... », s'ils sont des lecteurs tant soit peu attentifs, risquent fort d'être sidérés par l'appel des historiens et la conception de leur profession qu'ils révèlent, puisque leur conclusion est: "Il ne faut pas se demander comment, techniquement, un tel meurtre de masse a été possible. Il a été possible techniquement puisqu'il a eu lieu. Tel est le point de départ obligé de toute enquête historique sur ce sujet. Cette vérité, il nous appartenait de la rappeler simplement: il n'y a pas, il ne peut pas y avoir de débat sur l'existence des chambres à gaz." Ces historiens présentent ensuite « une courte bibliographie qui permet à tout lecteur honnête de se faire un idée juste de ce que fut l'extermination nazie et la société concentrationnaire qui s'est constituée sur ses marges ». Notre malhonnêteté et notre maniaquerie n'iront pas jusqu'à s'étonner de l'absence des oeuvres de Rassinier dans cette bibliographie puisque nos défenseurs de la démocratie ont été clairs: il n'y a pas de débat possible.
Beaucoup se sont lâchement inclinés devant le nazisme. Nos intellectuels seront donc prêts à faire preuve du courage le plus déterminé devant le nazisme devenu danger imaginaire. Farouchement opposés au totalitarisme, les voici prêts à affirmer un principe que l'on croirait sorti de 1984 d'Orwell ou du Meilleur des Mondes de Huxley. La vérité, c'est qu'il n'y a pas à chercher la vérité. Le devoir, c'est de maintenir le souvenir historique établi. Et, dans leur bonne conscience, les signataires, s'appuyant sur les pouvoirs d'Etat du monde entier doivent, on l'imagine, s'identifier au Voltaire de l'affaire Callas ou au Zola de l'affaire Dreyfus!
Remarquons en passant l'absence de cette liste des spécialistes et des sommités de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, laissant ainsi la place à ceux de la civilisation grecque, du Moyen Age ou du monde arabe, pour soutenir Poliakov et Wellers. Une absence aussi remarquable se retrouve à l'intérieur même de l'immense littérature concentrationnaire qui évoque sans cesse "gazage" et "chambres à gaz", fait de ces "abattoirs humains" la pierre angulaire du système concentrationnaire nazi, et pourtant ne se préoccupe pas d'en étudier la fabrication et le fonctionnement. Une exception: celle d'Olga Wormser-Migot qui y consacre trois pages de sa volumineuse thèse sur le Système concentrationnaire nazi pour remettre en question l'existence des "chambres à gaz" à Ravensbruck et Mauthausen. Et si le nom de Wormser-Migot apparaît dans la bibliographie des historiens, sa thèse, elle, n'est pas évoquée.
Le courage des signataires aura peut-être été de citer dans le cours de leur manifeste un document qui est le rapport attribué au S.S. Gerstein et qui permet au "lecteur honnête" d'apprendre que: "Dans les chambres, la S.S. presse les hommes. 'Bien remplir ', le hauptmann Wirth a ordonné. Les hommes nus sont debout aux pieds des autres; sept cents à huit cents à 25 m2, à 45 m3; les portes se ferment" Autant de monde dans si peu d'espace c'est effectivement bien rempli et même impossible. On nous présente pourtant ce document comme indiscutable pour l'essentiel. Des lecteurs du Monde se sont étonnés. Poliakov et Vidal-Naquet leur répondent dans Le Monde du 8 mars 1979: "Il est clair, en effet, que, dans une pièce de 25 m2, on ne peut guère entasser, en tenant compte du nombre des enfants, plus de trois cents personnes. Cela signifie tout simplement que Gerstein s'est trompé soit sur les dimensions de la pièce, soit sur le nombre de victimes. Cette erreur s'explique aisément: la précision en matière de chiffres n'était pas la qualité prédominante de Gerstein, et il avait vécu dramatiquement sa visite à Belzec". Les deux historiens doivent être encore eux-mêmes sous le choc de l'émotion pour considérer que l'on peut entasser trois cents personnes sur 25 m2 ou, si l'on préfère, douze personnes par m2. Et sans doute pour arriver à en faire entrer la moitié aurait-il fallu en fusiller beaucoup devant la "chambre à gaz". Le S.S. Gerstein était paraît-il quand même ingénieur, et son récit aurait été écrit plusieurs années après sa visite à Belzec. Ardent chrétien, il serait entré dans la S.S. pour saboter de l'intérieur l'oeuvre d'extermination. Fait prisonnier par les Français, l'ardent chrétien se serait finalement suicidé dans une prison militaire de Paris. Donc non seulement le contenu du rapport Gerstein est contradictoire, mais son origine reste mystérieuse. Voilà le document historique sur lequel nous nous sommes arrêtés, puisque c'est celui-là que les historiens ont choisi pour étayer leur déclaration. Ajoutons que le document Gerstein qui prouverait l'existence de l'extermination par les "chambres à gaz" pour plusieurs camps polonais n'a pas été utilisé au procès de Nuremberg.
Cela nous ramène à Rassinier et au Monde. Rassinier, quelques années auparavant, ayant écrit au Monde à propos de la non-reconnaissance à Nuremberg du document Gerstein, rapporte: "En date du 30 décembre 1963, M. Jacques Fauvet me répondit qu'en effet la déclaration de Gerstein n'avait pas été prise en considération mais qu'il 'hésitait à prolonger la controverse'. En somme, j'avais raison mais les lecteurs du Monde ne devaient pas le savoir." (Le Drame des juifs européens.) Toujours à propos de ce document, Rassinier accuse Poliakov d'en produire trois versions différentes dont aucune d'ailleurs "ne fait mention d'une évaluation qui figure à l'original et selon laquelle le nombre des victimes juives européennes 's'élève à 25 millions'" (ibid). Déjà en 1962, dans le Véritable Procès Eichmann, Rassinier écrivait: " Plus soucieux de la vraisemblance, M. Poliakov a corrigé le document (comme on a l'honneur de vous le dire!): 93 m2 de superficie, a-t-il évalué (Bréviaire de la Haine, p. 223, deuxième édition - je n'ai pas lu la première!) sans autres indications et c'était plus prudent."Là il faut trancher: ou c'est Rassinier qui est un falsificateur, ou c'est Poliakov. Pourquoi donc Le Droit de vivre de décembre 1978 qui titre 'Dénoncer les faussaires' et qui reproduit des dépositions, pas celles favorables à Rassinier, et le texte du jugement de 1964, ne cite-il-pas ce mensonge à propos de Poliakov? Se pourrait-il que ce soit Poliakov qui soit le véritable faussaire? Et alors, quel crédit lui accorder? Et quel crédit accorder aux gens qui s'appuient sur lui (par exemple Le Droit de vivre et l'avocat d'Eichmann)? Le document Gerstein est certainement l'un des plus douteux, surpassé peut-être par Médecin à Auschwitz du Dr Nyisli Miklos. Quant aux autres documents que l'on produit, et notamment les mémoires de Hoess, Le Commandant d'Auschwitz parle..., ils sont contradictoires aussi et d'origine suspecte. Quand les spécialistes se réfèrent à des documents qui ne sont pas des aveux, alors il faut les traduire en langage "clair" pour les faire parler dans le sens convenable.
L'article de Wellers qui soutient la déclaration des historiens et qui tente de répondre de façon plus précise à l'"émule de Rassinier", en fait Faurisson, se réfère à Hoess et à Kremer, médecin S.S. à Auschwitz, dont il interprète le journal intime découvert en août 1945 par les Anglais. Kremer, dont il faut savoir déchiffrer le langage intentionnellement anodin, serait confirmé par les archives du camp. Le 18 octobre 1942, où selon Kremer il y a eu "la onzième action spéciale", un convoi de 1710 personnes est parti de Hollande et seulement 116 ont été introduites dans le camp d'Auschwitz. La solution n'est pas inévitablement que 1594 autres personnes sont passées à la "chambre à gaz" mais peut-être qu'on les a destinées à d'autres camps de travail ou de concentration. Pourquoi Kremer, dans un journal intime ayant peu de chance d'être connu, maquillerait-il la vérité, alors que l'administration nazie, elle, laisserait des preuves aussi énormes? Peut-être que Faurisson, si on lui avait laissé le droit de réponse, aurait pu donner des indications sur ce convoi? Ce serait Wellers alors qui passerait pour un romancier inspiré.
Wellers veut nous montrer que l'on pouvait bien tuer avec du Zyclon B, gaz toxique employé bien avant la guerre par l'armée allemande comme insecticide, et même il argumente techniquement: "Il est mille fois plus facile de fabriquer une chambre à gaz qu'un couteau ou un méchant pistolet. En effet, tous les candidats au suicide par le gaz de ville ferment les fenêtres et les portes de leur appartement, ouvrent le robinet du gaz et meurent dans une 'chambre à gaz' improvisée en une minute." Quelle évidence! Mais c'est peut-être autre chose que de se gazer en dilettante et de gazer un grand nombre de personnes par fournées régulières et en temps limité, la chambre à gaz fournissant l'instrument rationnel et industriel d'un meurtre de masse. La question n'est pas de savoir si l'on peut gazer ou non, mais si les documents qui parlent de gazages en parlent de façon crédible. Est-ce que l'on peut tuer en tant de temps avec de l'oxyde de carbone? Est-ce que l'on peut rentrer et travailler aussi peu de temps après sans masque à gaz et en mangeant dans un local cyanuré? Les délais peuvent-ils être des quarts d'heure ou des demi-heures? Avec son histoire de "chambre à gaz" que l'on peut fabriquer sinon utiliser en une minute, Wellers ne cherche qu'à frapper par une fausse évidence et à faire diversion.
Georges Wellers est, par ailleurs, l'auteur d'un long article critique de l'oeuvre de Rassinier: "'La solution finale' et la mythomanie néo-nazie" paru dans Le Monde juif (avril-juin 1977). Plus consistant que celui du Monde, ce texte a pourtant pour objet de discréditer Rassinier plutôt que de répondre sérieusement à ses objections de fond, et en particulier à la question technique qu'il évite. Il ne nous a pas convaincu mais nous y renvoyons le lecteur qui voudrait légitimement connaître le point de vue anti-Rassinier.
Le Monde consacre à nouveau une page entière à cette question le 8 mars 1979 avec un article de François Delpech: "La Vérité sur la solution finale". C'est un rapide et bon résumé des positions anti-"révisionnistes", visant à établir que: "1) Les grands chefs nazis ont ordonné et organisé l'holocauste en 1941. 2) Près de six millions de juifs ont péri dans la catastrophe. 3) L'existence et l'utilisation massive des chambres à gaz ne sont absolument pas niables." Mais cela ne sape pas les positions des "révisionnistes". Delpech leur reproche d'utiliser "une vieille méthode polémique dont l'efficacité n'est plus à démontrer: l'hyper-critique" et d'évoquer "un collègue qui tirait argument des différences entre les sources françaises, anglaises et allemandes pour nier l'existence de Jeanne d'Arc et de Napoléon". Delpech s'exclame: "Croit-on vraiment que les nazis étaient incapables de tuer?" Qui prétend, Monsieur Delpech, que les nazis étaient incapables de tuer? Nous ne prétendons même pas qu'ils n'aient pas été capables de massacrer avec des "chambres à gaz". Et même certainement beaucoup d'autres en seraient capables. Seulement il s'agit de savoir s'ils l'ont fait. Et si jamais ils l'ont fait, à quelle échelle?
Il y a une complicité de lâcheté et ce n'est pas la peine de s'étendre sur ce que l'on peut accorder à ces intellectuels distingués qui sont prêts à mettre en cause des adversaires et à soutenir des opinions en acceptant qu'il n'y ait pas de réponse possible. Mais il serait abusif d'en déduire que nous avons affaire à un mensonge historique consciemment construit, à un de ces complots qui n'auraient requis qu'un petit nombre de comploteurs et un grand nombre d'exécutants. Les contradictions et les invraisemblances qu'il y a dans la plupart des documents de base et les divergences de méthode et de position entre les spécialistes suffisent à le montrer.
La rumeur de "chambres à gaz" se développe à l'intérieur des camps de concentration. Elle s'explique, notamment par la mortalité extraordinairement élevée qui règne, par les transferts fréquents de camp à camp, par la pratique des Selektion qui avaient pour objectif de séparer les inaptes au travail de la masse des détenus et par la confusion entre crématoires et "chambres à gaz". Des témoignages de détenus montrent que, croyant être gazés parce que l'on avait changé le lieu des douches ou parce qu'ils étaient contraints d'aller à l'infirmerie, il n'en était finalement rien. A quoi s'oppose évidemment l'argument choc que ceux qui auraient effectivement été gazés ne sont plus là pour le raconter. Cette rumeur a été systématisée après la guerre, notamment parce qu'elle permettait aux membres de la H-Fuehrung de se disculper et d'occulter son rôle.
Mais la fonction idéologique des "chambres à gaz" dépasse de loin les intérêts particuliers de certains. Et c'est là qu'il n'est pas inutile de quitter le terrain mesquin de la recherche historique pour s'élever avec Jean Daniel au plan de la philosophie politique.
Selon le directeur du Nouvel Observateur dans son éditorial du 6 novembre 1978, "L'Oubli interdit ": "La campagne a commencé dans les années 1950, avec le livre minutieux de Paul Rassinier, un parlementaire français, de formation socialiste, et qui a fait lui-même - mais oui! - un court séjour dans un camp." La manière de J. Daniel ne s'embarrasse pas de minutie. Elle est plutôt lyrique. Et J. Daniel ne se soucie pas de réfuter Rassinier. Il lui suffit de dénoncer les "croisés du racisme" qui utilisent les argumentations de Rassinier. D'ailleurs Rassinier est difficilement réfutable puisque les nazis, et c'est ce qui fait toute l'horreur de la chose, auraient réussi à commettre un crime parfait: "Rêve démoniaque s'il en fût, conçu par un Lucifer technocrate dans la plus hautement scientiste des hystéries. Le regroupement des damnés, leur acheminement, l'organisation des camps, la sélection pour l'extermination: rien n'est laissé à l'improvisation. Rien ne laissera de trace: c'est l'infernal processus du crime parfait. Sa spécificité, c'est sa perfection; son essence, sa radicalité; son horreur magique, son aptitude à évoquer le néant et l'infini. Les racistes ont toutes les raisons de craindre d'en être accusés. C'est un acte sans précédent, né de rien et qui ne va nulle part."
Mais, à en croire J. Daniel, nous avons eu de la chance, car la France s'est ressaisie pour son salut: "Il y a eu dans le mystérieux inconscient collectif, comme l'obscur sentiment qu'il suffisait que s'écroule la croyance au génocide pour qu'aussitôt reparût, libéré et torrentiel, non seulement l'antisémitisme mais ce racisme latent, dont peuvent être victimes toutes les minorités, ce racisme qui plonge l'esprit dans les ténèbres avec l'irrépressible mouvement de la marée noire sur l'océan." Le poète, ou mieux l'albatros, les ailes encore pleines de goudron, par un audacieux renversement transforme une pollution à la surface des mass media en un sursaut venu des profondeurs de l'être social.
Un journaliste en mal de copie et de célébrité a été interviewer, le micro et l'appareil-photo dissimulés, une vieille crasse qui avait plus ou moins réussi à se faire oublier. Toute la presse s'empare de l'affaire avec le prétexte de discuter sur l'utilité ou la nocivité pédagogique de la publicité faite au racisme de Darquier de Pellepoix, préférant évidemment s'alimenter des propos d'un Darquier que de devoir discuter sérieusement des positions d'un Rassinier. Mais de toute façon, on ne voit pas très bien dans toute cette banalité où peut se trouver le mystérieux inconscient collectif.
L'inversion de Jean Daniel en soutient une autre qu'il reprend à un volatile de son espèce, Louis Martin-Chauffier, cité par l'archevêque de Marseille dans son homélie de la Toussaint - peut-être pour faire oublier les silences du Vatican à l'égard du nazisme. Martin-Chauffier, nous dit l'archevêque, est l'"auteur de l'une des plus belles méditations sur la déportation: "On ne doit pas répondre à la violence par la haine. Mais l'oubli serait démission. L'oubli est interdit. On ne saurait oublier tout ce qui s'est commis, sous peine de voir se recommencer tout ce qui aura été oublié"."
A la compréhension des conditions économiques et sociales qui engendrent la destruction d'être humains avec un telle ampleur, on oppose le mythe d'un plan conscient et démoniaque. A la lutte contre ces conditions économiques et sociales, on oppose la nécessité de se souvenir. Il suffirait qu'on oublie pour que tout recommence. L'inconscient collectif, alias les mass media, se feront donc les gardiens de ce cauchemar. Voilà légitimé un spectacle de l'horreur qui, loin de prémunir contre quoi que ce soit, ne fait que banaliser l'atrocité et donner au public le sentiment de l'impossibilité d'intervenir. C'est du passé ou c'est trop loin, de toute façon cela se passe derrière l'écran de télévision. Mais cela n'est pas simplement passivité et distance, il y a aussi une complaisance et une fascination pour l'horreur qui ne manquent pas de se trouver de bonnes raisons.
C'est que l'horreur n'existe pas seulement à la périphérie de notre monde et derrière les barbelés où on la concentre, elle suinte de notre mode de vie sous les images de la tranquillité heureuse pour parfois surgir sous la forme du crime, de l'accident bête ou de comportements pathologiques. Et cette horreur confusément ressentie, il faut la cerner, lui donner un sens, en faire un spectacle pour tenter de la maîtriser. Renvoyer à une pulsion de mort, expression fondamentale de l'inconscient collectif ou individuel, ne fait que cacher comment ce mode de production précis fait effectivement peser sur les hommes une permanente menace de destruction. Et nous ne parlons même pas de l'armement nucléaire ou de toute autre menace plus limitée et réelle de mort mais du sentiment diffus qui habite les hommes coupés de la communauté humaine et réduits à une insertion sociale précaire (le couple, l'entreprise) de risquer d'être et en fait d'être toujours plus ou moins en trop. La crise accentue l'insécurité économique et affective. On cherche à se débarrasser de ceux supposés prendre les places et à concentrer le rejet de la destruction sur des boucs émissaires.
Si malheureusement une situation semblable à celle de l'Allemagne, qui s'est retrouvée au paroxysme de la crise avec sept millions de chômeurs, se reproduisait sans qu'il y ait de possibilité d'abattre les rapports de production capitalistes, il y a toutes les chances qu'un fort racisme et même un racisme d'Etat renaîtrait. Il y a aussi toutes les chances que, pour la plupart, les intellectuels antinazis d'aujourd'hui seraient prêts à lui chercher et à lui trouver des justifications.
L'antisémitisme hitlérien est et doit être présenté comme un fait unique dans l'histoire, puis servir à faire oublier et surtout mystifier la nature de toutes les horreurs que notre monde produit. On évoque les conditions particulières qui ont présidé à l'avènement du nazisme, mais c'est pour mieux s'en dégager et atteindre à l'universel. Raymond Aron dit (France-Soir, journal de l'ex-antisémite Hersant, du 15 février 1979): "Si on veut éviter la banalisation, il faut insister sur le fait que le nazisme a représenté d'unique. Il a été le seul à concevoir, sur la décision de quelques personnes, l'extermination d'une population entière. Peut-être Staline a-t-il sacrifié encore plus de gens. Mais c'est depuis les exterminations hitlériennes que nous avons peur des hommes. Que cette chose ait été possible, nous en sommes tous encore terrifiés. C'est pourquoi, plutôt que de parler de banalisation, il faut dire que, dans une certaine mesure, nous avons tous participé à cela."
Avec Jean Daniel, nous avons appris que cette extermination avait quelque chose de satanique. Raymond Aron nous dit que, depuis que cela s'est passé, nous avons peur des hommes et que chacun de nous y a participé. Satan est à l'intérieur de chacun d'entre nous: c'est le retour du péché originel.
L'histoire est elle-même historiquement produite. L'image que l'on se fait du passé est le résultat de la sélection et de l'interprétation des faits, suivant la nature des forces qui se sont affrontées et suivant les rapports de forces qui se sont successivement établis. Ainsi, en France, l'histoire scolaire met en scène, de Vercingétorix à de Gaulle, l'affirmation du fait national en effaçant la lutte de classe. Le conformisme général considère qu'aujourd'hui la science historique a décisivement rompu avec toute légende des origines pour constituer un enchaînement chronologique de faits établis. Mais si la reconstitution du passé prend une allure scientifique, elle s'opère aussi plus que jamais sous l'égide de l'Etat.
La vision projetée de la Seconde Guerre mondiale et de l'univers concentrationnaire, avec toute la force que lui assure les mass media, est là pour légitimer le présent, comme ce présent du capital tend aussi à se légitimer immédiatement par la représentation qu'il impose sans cesse de lui-même à travers les mécanismes de production de l'actualité. Cette vision est d'ailleurs susceptible d'évoluer. Le capital cède à la vérité quand il n'a plus besoin de tel mensonge particulier. Une révélation qui vaut de graves ennuis aujourd'hui à ses "auteurs" sera approuvée chez d'autres, ou à titre posthume quand les temps seront mûrs. Mais le problème pour la théorie révolutionnaire n'est pas seulement de dénoncer tel ou tel mensonge particulier, mais de démonter les mécanismes qui assurent la production et la reproduction de l'idéologie et de ses délires.
Cet article est extrait du numéro 3 d'une publication aujourd'hui disparue, La Guerre sociale, juin 1979, p.9-31. Il a été numérisé par DA pour Le Temps irréparable. Il est affiché sur le Net en mars 1997. il a été suivi d'une brochure publiée par le même groupe sous le même titre.
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