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Le propre des révisions est d'être déchirantes. Aussi ai-je bien quelque peu tenté de résister à la révélation qui me fut faite le 28 décembre 1978 lorsqu'ouvrant à la page 8 le journal le Monde, je découvris que les Evangélistes n'étaient pas quatre, comme je l'avais toujours cru. Evangile, n'est-ce-pas, ça vient du grec "euaggelion" qui signifie, littéralement, bonne nouvelle. Ce jour-là, dans mon quotidien favori, un article était publié que signait Robert Faurisson, maître de conférences, Université Lyon 2, et qui se terminait par ces mots: "L'inexistence des "chambres à gaz" est une bonne nouvelle pour la pauvre humanité. Une bonne nouvelle qu'on aurait tort de tenir plus longtemps cachée".
Qui était donc ce nouvel Evangéliste? Fruit déjà cinquantenaire de l'union d'une Anglaise et d'un Français, Robert Faurisson est en effet maître de conférences à l'université de Lyon lorsqu'éclate l'affaire qui porte son nom. A Vichy où il demeure -- et je me plais à penser qu'une heureuse inclination au paradoxe n'est pas étrangère à un tel choix qui marie si délicatement le Maréchal et le débarquement --, à Vichy donc il fut d'abord professeur de lettres dans un lycée de jeunes filles.
A l'époque -- nous y reviendrons -- la bonne nouvelle au sujet des chambres à gaz commençait déjà de le visiter. Mais le premier article qu'on publia alors de lui (c'était en 1961) parlait encore de littérature. Il se fit un certain bruit dans Landernau lorsque la revue Bizarre offrit à ses lecteurs un texte, d'abord anonyme, intitulé "A-t-on lu Rimbaud?" (1). La dissolution des moeurs était encore trop balbutiante pour qu'un fonctionnaire chargé d'enseigner à des demoiselles n'eût quelque raison de craindre les retombées de foudres administratives après la parution d'un tel article, qui n'était rien moins qu'une interprétation érotique du fameux sonnet "Voyelles" de Rimbaud. Faurisson y démontrait au monde des Lettres sceptique et médusé que, si Verlaine et François Coppée déjà avaient "subodoré une mystification", un canular de la part de l'adolescent poète, seul lui Faurisson, ne craignant pas de heurter ainsi bien des idées reçues, était enfin "peut-être parvenu à l'élucidation simple et complète d'une énigme qui date aujourd'hui (nous sommes en 1961) de quatre-vingt-neuf ans". Le sonnet en question, affrmait-il, "n'a aucun sens, s'il n'a pas un sens érotique" et il repose tout entier sur une "mystification". On fut pour, on fut contre, on disputa beaucoup. Etiemble parla de paranoïa (2). Le chroniqueur de Rivarol, qui n'allait tout de même pas laisser échapper une si belle occasion, commenta perfidement: "L'auteur d'A-t-on lu Rimbaud? va bien embarrasser la ''critique de gauche'', dont l'humeur essentiellement conformiste n'admettra pas une thèse aussi révolutionnaire, affectant la nature même d'un de ses dieux. Les gardiens du mythe vont regimber, justement parce que, tout compte fait, cette thèse a bien l'air d'être exacte" (3). C'est un psychanalyste, Octave Mannoni, qui offrit, me semble-t-il, le commentaire le plus riche et le plus pertinent de l'affaire en écrivant dans un article des Temps Modernes intitulé "Le besoin d'interpréter" qu'on pouvait voir mêlées dans cet essai "des démarches qui aboutissent à un enrichissement valable du sens, selon des méthodes correctes, et en même temps une telle peur devant ce qu'il y a de proprement poétique dans la parole de Rimbaud, que quelques-unes des interprétations données pour les plus profondes peuvent apparaître des artifices pour refuser les textes" (4).
Mystification, donc. Retenons ce mot. Je ne craindrai pas de dire qu'il est l'outil conceptuel de base indispensable à qui veut se pénétrer complètement de la pensée-Faurisson. On a vu que le "A-t-on lu Rimbaud?" donne rhétoriquement à penser que, si tel est le cas, on l'aura cependant, ma foi, fort mal lu. La récidive attend dix ans. 1972: parution chez Gallimard de la thèse de doctorat du susdit. Son titre -- je vous le donne en mille -- A-t-on lu Lautréamont? (5). On a décidément besoin de lunettes au royaume de France. En dix ans, la modestie de notre opticien national a certes quelque peu faibli. De quatre-vingt-neuf ans -- durée qui s'était écoulée entre la parution du sonnet de Rimbaud et son élucidation faurissonnienne -- on passe à cent ans pour Lautréamont, puisqu'aussi bien, c'est par ces mots que s'inaugure la brillante thèse: "Cent ans. La mystification aura duré cent ans. En un siècle, Isidore Ducasse est parvenu à mystifier quelques-uns des plus grands noms de la Littérature, de la Critique et de l'Université, tant en France qu'à l'étranger. I1 n'est pas d'exemple, semble-t-il, d'une mystification littéraire aussi grave et aussi prolongée". Il est certains mots que M. Faurisson semble tout particulièrement affectionner. Il aime beaucoup "supercherie", par exemple, ou "enquête" ou encore "énigme", "leurre", "faussaire" et "soupçons". Il ne craint pas non plus de parler de "préjugés", d'"idées reçues", de "méprises". Et s'il a visiblement un faible pour les "erreurs", les "dupes" et les "victimes", la palme dans sa thèse revient une fois de plus, sans conteste possible, à la "mystification" - avec tout de même une mention spéciale pour le "pot aux roses". On se croirait certes plus dans un commissariat de police que dans un amphithéâtre de la Sorbonne. Mais on a du même coup l'avantage de voir exposée là avec soin la panoplie du parfait petit démystificateur -- indulgent au demeurant, puisque le premier chapitre de ce livre, qui commence par "Cent ans. La mystification aura duré cent ans..." s'intitule malgré tout "L'erreur est humaine".
Si la modestie flanche donc, la mystification se confirme. Je vous épargne le détail de la démonstration. Sachez seulement que les Gide, Paulhan, Caillois et autres Bachelard - quelques-uns des représentants de "l'immense cortège des dupes" et des "victimes" de cette mystification - se sont, passez-moi l'expression, fourré le doigt dans l'oeil à propos des Chants de Maldoror. Ainsi éborgnés, ils n'ont su voir, les malheureux, que cette oeuvre n'était en fait qu'une "fantaisie bouffonne", une "charge de la bêtise prudhommesque", en un mot un canular. Nous y revoilà.
A ceux qui s'inquièteraient de l'obsession démystificatrice dont semble décidément faire preuve M. Faurisson, j'indiquerai que celle-ci figure pour ainsi dire sur ses cartes de visite, puisqu'à la page 13 du livret publié en janvier 1978 par l'U.E.R. de Lettres et Civilisations classiques et modernes de l'Université de Lyon 2, on peut lire les mots suivants: "Robert Faurisson, maître de conférences. Littérature française du XXe siècle. Spécialité: critique de textes et documents, recherche du sens et du contre-sens, du vrai et du faux". On commence d'y voir un peu plus clair. Ce M. Faurisson s'est donc spécialisé dans la recherche du vrai et du faux. Entreprise ô combien exaltante qui l'a conduit, des années durant, sur les innombrables et difficiles sentiers des mystifications en tous genres. Mais le monde de la littérature allait bientôt se révéler trop étroit pour la fièvre récurante de notre Ajax national. La récurance dont je parle ici peut s'écrire de deux façons. La définition que donne le Robert de celle qui s'orthographie avec deux "r" et un "e" convient parfaitement à l'affection qui paraît avoir frappé notre homme. Récurrence, rappelle en effet le dictionnaire, signifie "retour, répétition, phénomène répétitif". Or, au risque d'inquiéter à nouveau ceux qu'habiterait un légitime souci de la santé d'un membre éminent de l'Université française, l'honnêteté me fait obligation de dire que, sous la rubrique "Travaux en cours" du livret susmentionné, M. Faurisson annonce un "A-t-on lu Booz endormi ?" qui révèle, sans doute possible, qu'il n'a décidément pas fini de "récurrer".
Mais si, tout à l'heure, je parlais d'Ajax, c'était bien, toute publicité mise à part, au récurage abrasif que je faisais allusion. Voici pourquoi: dans une interview publiée en 1977 par les Nouvelles Littéraires sous le titre "Je cherche midi à midi" (6), Faurisson explique qu' "il faut chercher la lettre avant de chercher l'esprit", que "les textes n'ont qu'un sens ou bien il n'y a pas de sens du tout" et qu'il faudrait quand même que la critique littéraire finisse par accepter "cette dure loi du sens comme les physiciens acceptent la loi de la pesanteur". Et Faurisson qui est, n'en doutons pas, un fin pédagogue, d'expliquer comment, lorsque dans un texte réputé historique -- "mais ces réputations ne sont-elles pas de l'ordre du préjugé" -- ses étudiants relèvent les mots de "Napoléon" ou de "Pologne", il interdit que leur analyse fasse état de ce qu'ils croient savoir de Napoléon ou de la Pologne. Seul compte en effet le texte examiné "à cru et à nu". Cette méthode, dont l'un des avantages, et non des moindres, est qu'elle permet de "détecter les falsifications et fabrications en tous genres", cette méthode donc -- nous y voilà --, ses étudiants, dit-il, l'appellent la méthode Ajax, parce que "ça récure, ça décape et ça lustre".
Ces paroles immortelles étaient prononcées à l'occasion de la parution d'un opuscule peut-être encore plus audacieux que les oeuvres précédentes, puisqu'il s'agissait d'une "traduction" (le mot est de Faurisson lui-même) des Chimères et Autres Chimères de Gérard de Nerval. Non plus "A-t-on lu... ?" donc -- il faut bien se renouveler de temps à autre -- mais plutôt "Comment lire...". Le titre de l'ouvrage est d'ailleurs la Clé des Chimères et Autres Chimères de Nerval (7). En exergue, cette dédicace: "Aux paysans du Danube, parce qu'ils cherchent à comprendre..." et, en épigraphe, une citation tirée du volume de la Pléiade consacré à l'Histoire et ses méthodes (8), qui dit que "la traduction est le meilleur et le plus bref des commentaires". Je ne résiste pas au plaisir de vous faire savoir que les premiers vers du poème de Nerval "El Desdichado": "Je suis le ténébreux, le veuf, I'inconsolé, Le prince d'Aquitàine à la tour abolie", deviennent par la grâce prosaïque de M. Faurisson: "Je suis comme le ténébreux de la légende espagnole, le veuf, l'inconsolé, comme ce prince d'Aquitaine, dépossédé du trône de Castille et surnommé El Desdichado".
Si j'ai emprunté ce détour quelque peu insolite, via Lautréamont, Nerval et Rimbaud, sur le chemin qui conduit à la bonne nouvelle à propos des chambres à gaz, c'est parce que là, déjà, se donne à voir le dyptique qui forme l'armature théorique de la pensée-Faurisson. D'un côté les idées reçues, les préjugés, le conformisme, les dupes, les corps constitués. Mais aussi les mystifications et les faussaires. De l'autre côté la simplicité, le bon sens, les paysans du Danube. Et aussi la détection, le décapage et la démystification. Dans le livret déjà deux fois mentionné, et qui est à lui seul une mine pour tout travail hagiographique sur l'évolution créatrice du maitre de conférences, on constate qu'à partir de 1973, les "traductions prosaïques" d'Apollinaire et autres résolutions d'énigmes concernant La Fontaine ou Ronsard font désormais place à une approche toute particulière de l'oeuvre de Louis-Ferdinand Céline, sous la forme d'articles intitulés "A quand la libération de Céline?", "Céline au purgatoire" ou "Céline dans de beaux draps" (9). Et sous la rubrique "Travaux en cours", le vieux Booz qui dort toujours et qu'on a lui aussi fort mal lu, répose maintenant près de boisseaux pleins d'une promesse de récolte qui dit avec éclat comment, en effet, le strict domaine de la littérature ne saurait contenir plus longtemps désormais la ferveur démystificatrice du grand Récureur. Les travaux en cours annoncés par Faurisson en janvier 1978 sont les suivants: "un Dictionnaire de Céline; Les Bavures, chronique de l'Epuration dans des communes du Confolantais; articles sur Céline et sur Lautréamont; recherches sur le thèmes "Le Journal d'Anne Frank est-il authentique?"; recherches sur la genèse de la légende des chambres à gaz nazies et préface sur ce thème à la traduction française de l'lmposture du XXe siècle d'A.R. Butz."
Le 28 décembre 1978 donc, le Monde se résout finalement à rendre publique la bonne nouvelle que Faurisson brûle de répandre sur la pauvre humanité. S'il existe un homme dont on doit louer la constance et l'acharnement, c'est bien celui-là. En quatre ans, il a écrit 29 fois au Monde au sujet des chambres à gaz -- et 22 fois, le Monde a refusé de le publier. Mais M. Faurisson, qui semble ne pas faire un seul pas sans ses avocats, se drape un beau jour dans des sommations légales et, ayant été cité à plusieurs reprises, il excipe de son droit de réponse.
Il a commencé en effet à faire parler de lui depuis que, le 1er novembre, il a adressé à plusieurs journaux une lettre circulaire qui commençait par ces mots: "J'espère que certains des propos que le journaliste Philippe Ganier-Raymond vient de prêter à Louis Darquier de Pellepoix amèneront enfin le grand public à découvrir que les prétendus massacres en "chambres à gaz" et le prétendu "génocide" sont un seul et même mensonge, malheureusement cautionné jusqu'ici par l'histoire officielle (celle des vainqueurs) et par la force colossale des grands moyens d'information" (10).
Quelques mois plus tard, un ami me disait: "Décidément, je trouve qu'on parle vraiment trop de nous en ce moment". Et il ajoutait: "Ça n'est jamais bon". Ce "nous", qui m'englobait, signifiait "nous, les juifs". Et de fait, depuis le mois d'octobre 78, à la radio, dans les journaux, à la télévision, il n'y en avait que pour nous. Tout cela avait commencé par l'interview de Darquier que publiait l'Express (11) et dont Faurisson espérait qu'elle contribuerait à révéler enfin la bonne nouvelle. Darquier qui était devenu marchand de bretelles et dont on trouvait sans peine le nom écrit en toutes lettres dans le bottin de Madrid, Darquier qui avait été commissaire général aux Questions juives de mai 1942 à février 1944 et avait contrôlé en personne la bonne marche de l'opération délicatement baptisée "Vent printanier", plus connue sous le nom de "Rafle du Vel, d'Hiv," et au cours de laquelle 900 équipes de policiers français avaient arrêté à Paris, les 16 et 17 juillet 1942, 12884 hommes, femmes et enfants juifs (12). Il faut être juste. Malgré son grand âge, Darquier -- qui est de Pellepoix comme je suis de La Rochefoucauld -- n'a rien perdu de sa verdeur antisémite. I1 explique au journaliste que c'est bien sur "cette satanée propagande juive qui a répandu et entretenu cette légende" des chambres à gaz, parce que les juifs, c'est bien connu, sont "toujours prets à tout pour qu'on parle d'eux, pour se rendre intéressants, pour se faire plaindre". Et tout ce qu'on a gazé à Auschwitz, ce sont des poux. "Après la guerre, les juifs ont fabriqué des faux par milliers", avec lesquels "ils ont intoxiqué la terre entière".
Cette interview fit grand bruit et, pendant quelques semaines, les Français reparlèrent des collabos et des amnistiés, de Touvier, de Leguay, de Bousquet. On s'apitoya rétrospectivement sur le sort des malheureux juifs que quelques affreux avaient livrés aux nazis. Les cendres de Pétain qui projetaient, semble-t-il, de se faire enfin transférer à Douaumont, se remirent discrètement en petit tas dans leur coin et on rapporta en haut lieu la décision qui avait été prise quelque temps auparavant de ne plus commémorer la date du 8 mai 1945. Et, alors que les trois chaînes de télévision venaient justement de refuser l'achat du feuilleton américain "Holocauste", les remous causés par l'interview de Darquier firent revenir Antenne 2 sur cette décision. La France vécut alors pendant quinze jours à l'heure du génocide. Le paradoxe fut que, conséquence du rappel plutôt brutal via Darquier de l'antisémitisme français, cette diffusion télévisée allait très vite apaiser les consciences. Ce qu'on projetait sur tous les petits écrans de l'hexagone était certes fort triste, mais tout cela se passait, Dieu merci, bien loin de chez nous. On pouvait donc confortablement recommencer à plaindre les juifs et condamner les nazis. Ni les uns, ni les autres n'étaient français. Tout rentrait donc dans l'ordre.
C'est à cette époque-là, quelque part entre Darquier et "Holocauste", que Faurisson fit son entrée sur la scène publique. Récompensé de sa persévérance, il vit son texte enfin publié par le Monde sous le titre "Le problème des chambres à gaz", ou "La rumeur d'Auschwitz". Nous reparlerons de ce titre. Les heureux lecteurs de la revue de Maurice Bardèche, Défense de l'Occident, avaient eu droit, dès le mois de juin, à la version intégrale de ce document (13). Les défenseurs de Faurisson expliquent que celui-ci n'avait pas eu le choix et avait dû se résoudre à paraître sous la houlette de Bardèche parce que personne d'autre n'avait accepté de le publier. Il me semble, quant à moi, que le choix demeure toujours au contraire entre se voir publié par des fascistes et n'être pas publié du tout. N'ignorant pas que la diffusion de cette revue d'extrême-droite était, malgré tout, assez limitée, M. Faurisson avait pris soin d'envoyer son texte à un certain nombre de personnalités, en lui adjoignant un "complément" dactylographié qui disait ceci: "Conclusions (de trente ans de recherches) des auteurs révisionnistes: 1.Les "chambres à gaz" hitlériennes n'ont jamais existé. -- 2.Le "génocide" (ou la "tentative de génocide") des Juifs n'a jamais eu lieu; en clair, jamais Hitler n'a donné l'ordre (ni admis) que quiconque fût tué en raison de sà race ou de sa religion. -- 3.Les prétendues "chambres à gaz" et le prétendu "génocide" sont un seul et même mensonge. -- 4.Ce mensonge, qui est d'origine essentiellement sioniste, a permis une gigantesque escroquerie politico-financière dont l'Etat d'Israël est le principal bénéficiaire. -- 5.Les principales victimes de ce mensonge et de cette escroquerie sont le peuple allemand et le peuple palestinien. -- 6.La force colossale des moyens d'information officiels a, jusqu'ici, assuré le succès du mensonge et censuré la liberté d'expression de ceux qui dénonçaient ce mensonge. -- 7.Les partisans du mensonge savent maintenant que leur mensonge vit ses dernières années; ils déforment le sens et la nature des recherches révisionnistes; ils nomment "résurgence du nazisme" ou "falsification de l'histoire" ce qui n'est qu'un juste retour au souci de la vérité historique" (14).
Lettre circulaire, articles, complément... On parlait enfin de Robert Faurisson. Mais la récompense avait son revers. Rendues publiques, de telles révélations ne pouvaient manquer d'entraîner des réactions. Celles-ci ne tardèrent pas. A Lyon on manifesta, le président de l'université suspendit les cours de Faurisson qui fut, de surcroît, quelque peu molesté par des étudiants juifs. Ceux-ci firent preuve là d'une sensibilité partisane fort déplacée en un lieu traditionnellement voué à une sérénité et un respect que l'annonciateur de bonnes nouvelles s'estimait très légitimement en droit d'attendre.
Comme la dite sérénité paraissait décidément difficile à recouvrer, l'infortuné professeur se vit contraint de solliciter de la haute bienveillance du ministre des Universités, en mai 1979, une rélégation dans l'enseignement par correspondance qu'on s'empressa de lui accorder, en priant sans doûte le ciel que cette mesure fît peu à peu oublier les turbulences qu'avaient engendrées l'inconvenance et l'ingratitude avec lesquelles on avait accueilli les résultats de pas moins de dix-huit années d'efforts.
Avec une émouvante sobriété, Robert Faurisson décrit dans une lettre publiée par le Monde le 16 janvier 1979 ce que furent ces dix-huit années: "Jusqu'en 1960, j'ai cru à la réalité de ces gigantesques massacres en "chambres à gaz". Puis, à la lecture de Paul Rassinier, ancien déporté résistant et auteur du Mensonge d'Ulysse, j'ai commencé à avoir des doutes. Après quatorze ans de réflexions personnelles, puis quatre ans d'une enquête acharnée, j'ai acquis la certitude, comme vingt autres auteurs révisionnistes, que je me trouvais devant un mensonge historique. J'ai visité et revisité Auschwitz et Birkenau où l'on nous présente une "chambre à gaz reconstituée" et des ruines dites de "crématoires avec chambres à gaz". Au Struthof (Alsace) et à Majdanek (Pologne), j'ai examiné des locaux présentés comme des "chambres à gaz en état d'origine". J'ai analysé des milliers de documents, en particulier au Centre de documentation juive contemporaine de Paris: archives, sténogrammes, photographies, témoignages écrits. J'ai inlassablement poursuivi de mes questions spécialistes et historiens. J'ai cherché, mais en vain, un seul déporté capable de me prouver qu'il avait réellement vu, de ses propres yeux, une ''chambre à gaz''. Je ne voulais surtout pas d'une illusoire abondance de preuves; j'étais prêt à me contenter d'une preuve, d'une seule preuve. Cette preuve, je ne l'ai jamais trouvée. Ce que j'ai trouvé, en revanche, ce sont beaucoup de fausses preuves, dignes des procès de sorcellerie et déshonorantes pour les magistrats qui s'en étaient accomodés. Et puis j'ai trouvé le silence, la gêne, l'hostilité et, pour terminer, les calomnies, les insultes, les coups".
Comment peut-on, à moins d'avoir une pierre à la place du coeur, demeurer insensible au récit d'une telle odyssée? Eh bien, moi, j'ai sans doute un coeur de pierre, parce que ni les exploits, ni les mésaventures de M. Faurisson ne m'ont donné le moins du monde envie de me joindre à la croisade de ceux qui ont cru bon de l'assurer de leur concours et de leur soutien. Un tract circulait au mois de mai 79, finement intitulé Les chambres à gaz sont-elles indispensables à notre bonheur? et que signaient "des personnes sans qualité". Au milieu de ce tract, une phrase "Le professeur Faurisson est un homme seul". Point de vue qui paraît culminer dans le subtil renversement des rôles que propose une affiche-tract de la revue La guerre sociale au titre choc Qui est le juif? (15). On aura deviné sans peine que le juif, aujourd'hui, c'est Robert Faurisson.
Mais en brossant ainsi le tableau pathétique d'un chercheur solitaire, ces personnes sans qualité se sont montrées plus royalistes que le roi. Quand Faurisson rend compte de ses travaux, il les assortit toujours, lui, de ce qu'il appelle les "conclusions des auteurs révisionnistes": "Les chambres à gaz hitlériennes n'ont jamais existé, etc." (voir plus haut). Et attention, pas d'échappatoire possible: soit vous êtes révisionniste, soit vous êtes - excusez du peu - exterminationniste. C'est ainsi en effet que M. Faurisson qualifie ceux qui s'acharnent, souvent pour de très mauvaises raisons, à refuser d'accueillir enfin la bonne nouvelle. Et si M. Faurisson est un homme seul, il semble avoir, Dieu merci, trouvé le moyen d'échapper quelque peu à cette cruelle solitude. C'est ainsi qu'on le vit siéger en bonne compagnie au congrès -- le premier du genre -- réuni en septembre 79 près de Los Angeles (USA) sous le nom de Convention révisionniste. Ce congrès eut l'originale et plaisante idée d'offrir un prix de 50.000 dollars à toute personne qui ferait la preuve que les nazis avaient mis au point des chambres à gaz pour tuer des juifs. Personne à ma connaissance, ne s'est présenté à ce jour pour recevoir ce prix. Ce qui ne laisse pas d'étonner quand on sait l'appât du gain qui caractérise la mentalité juive. Seule en effet une réelle et profonde compréhension de cette mentalité avait pu donner aux congressistes l'idée d'un tel concours. Mais, étant des adeptes fervents et convaincus de la bonne nouvelle, et sachant donc que les chambres à gaz ne sont rien d'autre qu'une mystification, les congressistes ne risquaient rien à faire miroiter un prix que la vérité saurait bien protéger de la concupiscence juive. Décidément cette récompense de 50.000 dollars était une riche idée...
Le congrès, donc, s'amuse. Mais il travaille surtout. Et M. Faurisson ne doit plus se sentir seul désormais. Des révisionnistes sont venus d'Angleterre, d'Allemagne, du Mexique et même d'Australie. Le congrès est organisé par l'Institute for Historical Review (Institut de révision historique). Il y a là quelques-uns des plus beaux fleurons de la science révisionniste: Austin App, Udo Walendy, John Bennett, Arthur Butz. Spotlight (l'équivalent américain de Minute), qui consacre à l'événement trois pages de son numéro du 24 septembre 1979, ne mentionne cependant ni Richard Harwood, ni Thies Christophersen, ni Manfred Roeder, qui sont pourtant, à en croire leurs publications, parmi les plus combatifs de la nouvelle cause. N'ont-ils pas parlé, ou étaient-ils absents? Les a-t-on éloignés en raison même de leur virulence, peut-être un rien prématurée pour l'époque? Qu'à cela ne tienne: si leur corps est absent, leur esprit ne l'est pas. Ainsi Arthur Butz, l'un des principaux orateurs du congrès, et l'auteur du livre de référence The Hoax of the XXth Century (L'imposture du XXe siècle) (16), pour lequel M. Faurisson prépare une préface à l'édition française, a fait publier son ouvrage en 1976 par une maison d'édition britannique, l'Historical Review Press. On ne manquera pas de noter la ressemblance toute scientifique entre la susdite et l'organisme de tutelle du congrès. Cette maison d'édition est tout simplement celle du National Front, le parti anglais d'extrême-droite. La même maison avait, deux ans auparavant, publié, traduit en plusieurs langues et gratuitement distribué dans différents pays une brochure intitulée en français Six millions de morts le sont-ils réellement ? Richard Harwood, l'auteur de cette brochure, pouvait difficilement être présent à la convention révisionniste: ce nom n'est que le courageux pseudonyme de Richard Verral, membre du National Front et rédacteur en chef du journal de ce parti, Spearhead (Fer de lance).
Pierre Viansson-Ponté qui a, comme tant d'autres, reçu cette brochure, lui consacre sa chronique du Monde, le 17 juillet 1977, sous le titre "Le mensonge", avec ce commentaire "Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose". M. Faurisson, expert en faux, réplique aussitôt par la rédaction d'un très long article au titre prometteur "Comment travaille le journaliste Viansson-Ponté" (17) où il dénonce le jugement partisan d'un journaliste qui, selon lui, renouvelle dans sa chronique "l'expression de sa foi en l'horreur des camps de concentration et d'extermination".
Autre grand absent du congrès, mais qui figure néanmoins dans le panthéon personnel de M. Faurisson: Thies Christophersen. Lui est Allemand, fondateur d'une publication néo-nazie, Bürger- und Bauerinitiative, et auteur d'une brochure également traduite, également distribuée gracieusement et copieusement en Europe (en France, par les bons soins du Combat européen). Ce texte définitif s'intitule le Mensonge d'Auschwitz (18). Je ne craindrai pas de dire en effet que cet ouvrage représente un témoignage d'une importance capitale. Christophersen y raconte son séjour à Auschwitz de janvier à décembre 1944 comme technicien affecté au travail du caoutchouc. ll décrit la vie joyeuse des détenus travaillant avec lui au camp de Raisko, à trois kilomètres d'Auschwitz, le rire rafraîchissant du lieutenant C., très aimé des détenus et dont beaucoup continuent jusqu'à aujourd'hui d'entretenir une correspondance avec lui. Les femmes se livrent à leurs recherches avec zèle et avec joie. Très élégantes dans leurs vêtements de détenues, grâce à leur linge, leurs bas, leurs souliers impeccables, elles sont aussi très coquettes. Rouge à lèvres, poudre, crème de soins: rien ne manque. "De mon temps, précise-t-il il n'y avait plus de juives tondues à Auschwitz. Je me suis laissé dire que cela avait eu lieu, mais que le spectacle était si effrayant que même les officiers SS les plus endurcis n'avaient pu le supporter." Le reste de ce témoignage capital est de la même eau.
L'Allemagne est, malgré l'absence de Christophersen, bien représentée au congrès en la personne d'Udo Walendy, spécialisé, lui, dans le dépistage des photos utilisées comme preuve du génocide et qui ont été, bien évidemment, trafiquées. On trouve un assez bon compte rendu de ses thèses dans une brochure allemande largement traduite et distribuée -- pardon pour la monotonie -- intitulée la Rééducation d'un peuple (19). Il oppose à l'ignoble propagande alliée les propos sages et mesurés de Goebbels et corrige ainsi avec bonheur l'image injustement brutale qu'on avait donnée du ministre de la propagande du IIIe Reich plutôt connu jusque-là pour ses commentaires sans nuances sur "l'extermination de la merde juive" (20), Walendy poursuit par une démonstration magistrale du truquage de photos et par la dénonciation du caractère antiscientifique des publications allemandes et communistes qui "ne se privent pas pour noircir l'histoire du IIIe Reich" et propager des mensonges infâmants sur de prétendues atrocités commises par les nazis.
L'honneur de l'allocution de clôture au congrès revint à Austin App. Chrétien de choc et rédacteur de The Voice of German Americans (La voix des Américains allemands), App dénonça avec force la rééducation imposée par les Alliés à la nation allemande, devenue esclave du communisme et du sionisme mêlés. Il rappela que jamais aucun Allemand n'avait perpétré un forfait comparable aux projets sanguinaires échafaudés par les Talnmudistes contre l'Allemagne chrétienne.
Mais auparavant, Robert Faurisson, décidément en train de devenir le spécialiste mondial de la technique du gazage, monta à la tribune pour faire une fois de plus, fort brillamment, la preuve de l'inanité de la thèse exterminationniste. Je gage que ce jour-là, entouré et applaudi par ses frères en révisionnisme, il s'est dit que, malgré les tracas et les insultes dont l'avaient gratifié ses compatriotes incrédules et ingrats, il avait bien fait de consacrer tant d'années de sa vie à la recherche aride de la vérité.
Au bout de trois jours, on se sépara à regret en promettant de se revoir bientôt et non sans avoir donné une charte au révisionnisme qui, entre autres "attendus", estimant que "l'escalade constante de la propagande sur l'<holocauste> diffusée par les media et les agences gouvernementales empoisonnait l'esprit du peuple américain, et particulièrement la jeunesse", pressa le Congrès des Etats-Unis d'Amérique de procéder sans plus tarder à de réelles investigations sur la Seconde Guerre mondiale, le rôle des intérêts bancaires en jeu, les vraies responsabilités engagées et la prétendue extermination de six millions de juifs. Pouvons-nous oser espérer qu'une session prochaine de la convention révisionniste se tienne en France?
Les membres de l'Institute for Historical Review, réunis en Revisionnist Convention et publics par l'Historical Review Press, ont sur leur lancée fondé une revue qu'ils ont décidé d'appeler --i l fallait y penser -- The Journal of Historical Review, dont le premier numéro est paru au début de 1980, consacré aux travaux du congrès et où figure, en bonne place, un article de l'expert Faurisson intitulé "The mechanics of gassing" (Le mécanisme du gazage).
Sur la première page consacrée par Spotlight à la convention révisionniste, un placard publicitaire signale trois ouvrages: l'un d'eux (anonyme) s'intitule Le mythe des 6 millions, le deuxième est le livre de Butz. Quant au troisième, Debunking the Genocid Myth (Déboulonner le mythe du génocide), il est de Paul Rassinier, dont le placard dit très exactement ceci: "Le professeur Paul Rassinier, historien et géographe socialiste, pacifiste, anti-nazi, pro-juif (pro-jewish), fut arrêté fin 43 et interné par les nazis en raison de ses activités dans la résistance française. Mais après la guerre, Rassinier ne put, en conscience, légitimer sur la base de sa propre expérience les récits d'horreur de nombreux déportés dans les camps. Il se mit alors à la tâche ingrate de dépistage de ce qui était vrai et de ce qui était faux".
Lisant les Ïuvres de Rassinier, mort en 1967, je ne suis pas absolument persuadée qu'il aurait apprécié d'être ainsi qualifié de "pro-juif". Mais il n'eût sans doute rien trouvé à redire au reste du commentaire. Connaître Rassinier est indispensable si l'on veut comprendre le fonctionnement et les différents courants de la pensée révisionniste. Pas un auteur, en effet, parmi eux, qui ne s'en réclame et ne lui reconnaisse la paternité de cette pensée. Revenu de Buchenwald et Dora où il avait été interné pendant dix-neuf mois, Rassinier prend très vite la plume pour dénoncer violemment -- dans Passage de la ligne, le Mensonge d'Ulysse, Ulysse trahi par les siens (21) -- le comportement des détenus communistes, à qui les SS avaient délégué leur pouvoir à l'intérieur du camp. Il en conclut avec une logique pour le moins discutable que les responsables des atrocités commises et de la mort infligée n'étaient donc pas les nazis, mais les communistes. Il fustige certaines descriptions inexactes de récits de déportés et déduit de ces inexactitudes que, si l'on a exagéré ou même inventé ici -- en particulier à propos de chambres à gaz à Dachau --, on peut tout aussi bien l'avoir fait ailleurs. "Mon opinion sur les chambres à gaz? Il y en eut: pas tant qu'on le croit. Des exterminations par ce moyen, il y en eut aussi: pas tant qu'on le dit" (22). Mais de toute façon, on n'a pas de preuve. Et si un jour les archives allemandes révélaient des documents "ordonnant la construction de chambres à gaz à tout autre dessein que celui d'exterminer -- on ne sait jamais, avec ce terrible génie scientifique des Allemands -- il faudrait admettre que l'utilisation qui en a été faite dans certains cas, relève d'un ou deux fous parmi les SS (...)". Il émet la supposition que les gaz en question aient servi à la composition de matières colorantes. Et il conclut "Bien entendu, ceci n'est qu'une supposition. Mais, dans l'Histoire comme dans les sciences, la plupart des découvertes n'ont-elles pas pris leur départ, sinon dans la supposition, du moins dans un doute stimulateur? (23)"
On verra plus loin sur quelles pentes ce doute stimulateur a entraîné Rassinier. Toujours est-il que l'accueil réservé à ses thèses, au sortir de la guerre, ne fut certes pas des plus chaleureux. Certains, pourtant, ne pouvaient manquer de se réjouir, tel Maurice Bardèche, devenu son éditeur, de l'inestimable caution que représentait, à ses yeux de fasciste conséquent, le témoignage d'un ancien résistant et déporté. On échangea des bons procédés: Bardèche publia Le véritable procès Eichmann ou les vainqueurs incorrigibles de Rassinier, où celui-ci écrivit que, sur les crimes de guerre, "en France et qui fussent dignes d'être cités, il n'y eut guère que les deux admirables livres de Maurice Bardèche: Nuremberg ou la Terre Promise et Nuremberg II ou les Faux-Monnayeurs" (24). Le premier de ces admirables livres, paru en 1948, commençait par une phrase que seuls des psychanalystes oseraient qualifier de dénégation "Je ne prends pas la défense de l'Allemagne" et poursuivait en des termes où l'on retrouvera sans peine quelques-uns des leitmotiv favoris de la pensée révisionniste "Je prends la défense de la vérité. Je ne sais si la vérité existe et même beaucoup de gens font des raisonnements pour me prouver qu'elle n'existe pas. Mais je sais que le mensonge existe, je sais que la déformation systématique des faits existe. Nous vivons depuis trois ans sur une falsification de l'histoire. Cette falsification est adroite: elle entraîne l'imagination, puis elle s'appuie sur la conspiration des imaginations. On a commencé par dire: voilà tout ce que vous avez souffert, puis on vous dit: souvenez- vous de ce que vous avez souffert. On a même inventé une philosophie de cette falsification. Elle consiste à nous expliquer que ce que nous étions réellement n'a aucune importance, mais que seule compte l'image qu'on se faisait de nous. Il paraît que cette transposition est la seule réalité. Le groupe Rothschild est ainsi promu à l'existence métaphysique. Moi je crois stupidement à la vérité. Je crois qu'elle finit par triompher de tout et même de l'image qu'on fait de nous" (25). Rassinier, qui ne voulait probablement pas être en reste, renouvela sa confiance à son fasciste éditeur et lui donna son nouveau manuscrit le Drame des juifs européens qui parut en 1964.
Saluant dans son introduction l'idée d'une Europe unie, capable de résister au bolchévisme, Rassinier remarque qu'"à Moscou, à Tel Aviv on avait, dès son premier souffle senti que ce vent venait de loin: s'il dégénérait en tempête, il ne pouvait manquer d'aboutir à une Europe unie qui eût signifié pour la Russie l'isolement et, pour Israël, la fin de ces subventions d'une importance vitale qui lui sont versées par l'Allemagne au titre des réparations (...) La contre-offensive ne se fit pas attendre: deux attaques aussi remarquablement synchronisées que si elles avaient été concertées et jumelées partirent en flèche de deux entreprises de fabrication et de falsification de documents historiques, l'une sous la raison sociale d'un Comité pour la recherche des crimes et des criminels de guerre dont le siège est à Varsovie, l'autre sous celle du Centre mondial de documentation juive contemporaine dont les deux plus importantes succursales sont à Tel Aviv et à Paris" (26). Troquant alors définitivement ses doutes stimulateurs pour des analyses historiques de grande envergure, Rassinier explique, parlant des juifs, que "ce n'est pas une race qu'ils représentent aujourd'hui mais un genre de vie et des aspirations, et ce n'est pas un problème racial qu'ils posent mais, l'état d'Israël ne le prouve que trop, d'ordre économique et social dans la mesure où, à l'abri d'une tradition d'essence religieuse, ils ambitionnent de s'ériger en une féodalité commerciale qui, ainsi qu'il a déjà été dit, coifferait le monde entier" (27).
Je comprends sans peine à lire ces lignes que les honorables congressistes de la convention révisionniste revendiquent Rassinier pour père fondateur de leur ordre. Je n'ai pas suffisamment étudié la question pour savoir si, à l'étranger, des personnes ou des groupes se réclamant de l'extrême-gauche ont clairement pris fait et cause pour les doutes stimulateurs de Rassinier et les bonnes nouvelles de Faurisson. Qu'en France il y ait à l'extrême-droite des gens pour se réjouir qu'on fasse enfin la lumière sur les mensonges et les escroqueries des juifs, rien que de très normal. Mais une maison d'édition traditionnellement d'extrême-gauche, La Vieille Taupe, que dirige un ancien militant de Socialisme ou Barbarie, Pierre Guillaume, vient de rééditer deux livres de Rassinier: Le Mensonge d'Ulysse en 1979 et Ulysse trahi par les siens dans les premiers jours de 1980. Quatre mois plus tard, le même éditeur publiait un volume de 350 pages sous le titre Vérité historique ou vérité politique? Le dossier de l'affaire Faurisson. La question des chambres à gaz. Au dos de la on peut lire que l'auteur de ce livre, Serge Thion, est "entré dans l'action politique pendant la guerre d'Algérie et a participé, de façon concrète et critique, à de nombreuses entreprises anticoloniales". J'ajouterai simplement que je connais Serge Thion depuis plusieurs années et que je n'aurais pas pris la peine de m'intéresser de près à la littérature révisionniste sans Ie choc qu'a constitué pour moi la découverte que des personnes que j'aimais et que je croyais connaître se trouvaient des affinités électives avec les thèses défendues par Rassinier et par Faurisson.
La page 7 du livre de Thion précise: "Ouvrage édité avec la participation et sous la responsabilité de...". Suit une liste de sept noms. Rivarol qui, décidément, n'en rate pas une, cite deux personnes de cette liste: Jacob Assous et Jean-Gabriel Cohn-Bendit, dont les noms sont probablement censées ne pas manquer de résonances sémitiques aux oreilles exercées des familiers de ce journal. L'article en question, qui s'intitule finement "Les chambres à gaz, un dossier explosif" (28) est le seul, à ma connaissance, qu'on ait à ce jour publié à propos du livre de Thion. On a vu où ses thèses ont conduit Rassinier. L'avenir dira si la voie qu'emprunte Serge Thion est, elle aussi, à sens unique. On verra où le mène la relève qu'il parait aujourd'hui revendiquer. Quant à J.G. Cohn- Bendit, qui se définit comme "juif d'extrême-gauche, libertaire pour tout dire" (29), la "question de principe" qu'il proclame serait tout à son honneur et ne conduirait pas à s'interroger sur ce qui l'anime réellement si elle ne lui bouchait la vue au point de lui faire affirmer avec force que ni Rassinier, ni Faurisson ne nient Ie génocide perpétré par les nazis contre les juifs.
Face à la littérature révisionniste, plusieurs réactions. Certains refusent absolument de prêter la moindre attention à ce qui leur paraît n'être qu'une tentative pure et simple de réhabilitation du nazisme et leur semble en conséquence ne devoir être traité que par le mépris ou le silence. Parmi ceux-là, nombreux sont ceux qui ajoutent que moins on parlera de cette question, mieux ça vaudra, que l'antisémitisme est trop dangereusement latent et les esprits trop prompts à l'amnésie pour qu'on ait Ie droit de faire la moindre publicité à de telles thèses -- quand bien même ce serait pour les réfuter et les combattre. D'autres prennent la peine d'aller -- ou de retourner -- au charbon, parce qu'ils estiment dangereux, pour la nouvelle génération en particulier, qu'il n'y ait personne en face des révisionnistes qui réponde à leur argumentation. Ils reprennent les documents suspectés par ces derniers et d'autres que ceux-ci ont "oublié" de mentionner, et s'emploient à montrer une fois de plus l'évidence et l'étendue du génocide.
Si j'ai, en pastichant Paul Veyne (30), sous-titré mon article d'un "Comment on révise l'histoire", c'est parce qu'il me semble nécessaire de montrer de quelle façon travaillent ceux qui se proclament révisionnistes et quel crédit on peut accorder à leurs protestations réitérées d'honnêteté et de bonne foi.
Les révisionnistes réclament à grands cris "un débat de technique historique". Ils demandent qu'on se donne "les moyens d'élargir les sources" et qu'on fasse "largement connaître les résultats des recherches en évitant de leur donner un caractère de vérité officielle" (31). Qu'en termes respectables ces choses-là sont dites... Serge Thion qui s'exprime ainsi conclut d'ailleurs fort judicieusement son livre en reproduisant un article de Georges Wellers, directeur du Centre de documentation juive contemporaine, qui avait paru dans le Monde du 21 février 1979 à propos de Faurisson sous le titre "Un roman inspiré". Thion qualifie généreusement ce texte de "document d'une importance capitale" (32). Qu'on ne se méprenne pas sur une telle générosité. Ce qui vaut à G. Wellers les honneurs de la critique, ce n'est pas ce qu'il dit dans son article, mais le fait qu' "il ouvre enfin un débat de caractère scientifique entre les deux écoles historiques". On voit ainsi Ie révisionnisme s'auto-promouvoir au rang d'école historique. "Pour la première fois, poursuit Thion, un spécialiste de l'école officielle -- (entendez les exterminationnistes) -- affronte publiquement les arguments de l'école dite révisionniste. Voici donc une réponse qui contient des arguments discutables, c'est-à-dire des arguments qui peuvent faire l'objet d'une discussion. Pour la première fois, un historien ne se contente plus de l'argument téléologique ("où cela mène-t-il?"), politique ("apologie du nazisme") ou même sentimental ("atteinte à la mémoire des morts"). Le débat s'élève au niveau de la discussion historique".
On respire donc enfin l'air libre et tonifiant des batailles rangées, loin des complots souterrains et des subjectivités encombrées d'affect. On s'affronte en un combat loyal dont les armes sont dignes des hautes exigences d'une déontologie sans faille. Pas une ligne de Serge Thion, dans son livre, qui ne dise sobrement mais avec force cette impérieuse nécessité d'une morale douloureuse parfois, mais toujours lucide.
Eh bien, je prétends, moi, que ce qui souffle sur ces fiers sommets, c'est du vent. Et je gage que Georges Wellers a dû être un rien estomaqué en voyant ce que Thion avait fait de son texte. Ce texte était en effet explicitement, et exclusivement, l'analyse des procédés employés par Faurisson et la dénonciation de la malhonnêteté flagrante dont celui-ci faisait preuve. Or, comme on vient de le voir, cette réfutation catégorique d'une méthode s'est miraculeusement transformée, sous la plume rigoureusement déontologique de Thion, en la discussion d'une thèse qui permet l'ouverture très attendue d'un débat scientifique. Ayant réalisé ce tour de passe-passe et espérant sans doute avoir fait du même coup la preuve de la reconnaissance officielle de l'école révisionniste, Thion ajoute, prophétique et un tantinet menaçant peut-être: "Rien ni personne ne pourra bien longtemps encore éluder un débat dont nous souhaitons qu'il se déroule avec le plus de sérénité possible". Alors, naïvement, en désespoir de cause, on se dit qu'eux au moins ne vont pas éluder un débat qu'ils appellent ainsi de leurs vÏ ux. Et on attend que Faurisson réponde à la "discussion" de Wellers. Bien naïvement en effet, puisqu'en fait le livre se termine là en expliquant qu'à la demande de l'intéressé, certains éléments du débat, et-- comme c'est étrange et quelle coïncidence --précisément ce sur quoi portait la réfutation de Wellers, sont écartés de la discussion, afin que la primeur en soit laissée au procès intenté à Faurisson par la LICA. Quand on a, comme moi, peu de goût pour l'air pur et rare des sommets et qu'on fait son ordinaire d'une morale au ras des pâquerettes, on reste confondu devant tant de grandeur --et tant de talent.
La LICA, le MRAP et cinq organisations de déportés et de résistants ont en effet intenté à Faurisson un procès pour "falsification de l'histoire". Je ne vois pas, pour ma part, qu'il y ait grand sens à recourir à la justice dans cette affaire et je préférerais qu'on laisse à M. Faurisson l'exclusivité d'une activité procédurière qu'il semble affectionner tout particulièrement, à en croire la liste impressionnante des actions qu'il a déjà ici et là intentées pour défendre son honneur et sa vertu.
On nous dit donc qu'il existe une école révisionniste et qu'elle brûle d'entamer un débat de caractère scientifique auquel le monde a droit et pour lequel "les temps sont mûrs" (33). Là encore, c'est du vent. L'expression même d'école révisionniste n'a aucun sens. On ne peut pas se dire animé des seules exigences de la déontologie scientifique et se donner en même temps explicitement pour tâche la dénonciation. On ne peut pas prétendre fonder une science et lui donner pour base une éthique du soupçon. On ne peut pas inaugurer une recherche dans laquelle la seule méfiance tienne lieu de certitude et le doute de conviction. On ne peut pas faire croire à l'objectivité de sa démarche et à la pureté de ses intentions en accusant sans cesse les autres des mensonges les plus graves et des manipulations les plus scandaleuses.
Puisqu'il s'agit ici d'histoire, imagine-t-on, par exemple, les historiens de l'Ecole des Annales fondant leur démarche sur la délation des travaux de leurs prédécesseurs? Connaît-on beaucoup de chercheurs qui introduiraient les résultats de leurs analyses par des déclarations tonitruantes sur leur besoin, leur souci, leur exigence, leur garantie de vérité? Voit on souvent des travaux de mise au point scientifique s'inaugurer par des dédicaces du type de celle de Thies Christophersen pour son Mensonge d'Auschwitz: "Ce récit est écrit pour tous les hommes qui aspirent à la vérité et à la justice, avant tout pour les jeunes qui sentent obscurément qu'on leur cache et qu'on leur déforme les vraies données de la Seconde Guerre mondiale" ou par des phrases du genre de celle que l'éditeur de La Vieille Taupe met en exergue au livre de Thion: "Ce qu'il y a de terrible quand on cherche la vérité, c'est qu'on la trouve"?
Puisque je parlais des Annales, imagine-t-on Lucien Febvre, par exemple, annonçant la Vérité sur Philippe II et la Franche-Comté, ou Marc Bloch dénonçant bruyamment les Impostures de l'histoire rurale française, ou encore Georges Duby révélant au monde Ce qui s'est réellement passé à Bouvines. Non, n'est-ce pas. Eh bien, si on parcourt la liste des livres et articles commis par la brillante école révisionniste, on ne peut manquer d'y déceler comme une douloureuse hantise du vrai et du faux: le Mensonge d'Auschwitz -- l'Imposture du XXe siècle -- l'Escroquerie des six millions-- le Véritable Procès Eichmann -- le Mythe d'Auschwitz -- le Mensonge d'Ulysse -- l'Imposture des chambres à gaz -- la Vérité pour l'Allemagne -- Six millions reconsidérés: rapport spécial du comité pour la vérité en histoire -- Six millions de morts le sont-ils réellement? et enfin, le dernier en date, celui de Serge Thion, Vérité historique ou vérité politique? qui reprend explicitement le titre que Rassinier avait donné, en 1961, à une tournée de conférences qu'il avait faite en Allemagne et en Autriche sur ce thème.
Si ce n'est sans doute pas être au plus clair de son rapport à la vérité que de s'en prétendre inlassablement le défenseur, ce n'est décidément pas être très sûr de ses compétences scientifiques que d'y faire perpétuellement allusion. M. Faurisson a un péché mignon: il adore le papier à en-tête. Et si, du haut de ses exigences scientifiques, il dénonce avec vigueur les pratiques ignominieuses de l'université française qui censure en sa personne la voix libre et courageuse d'un chercheur non-conformiste, il ne dédaigne pas pour autant les nominations dont celle-ci l'a gratifié. Pas un texte, pas une lettre de lui qui ne rappelle tout d'abord qu'il est maître de conférences. Et comme la science ne saurait demeurer prisonnière des frontières des états, un certain Deutscher Arbeitskreis (Cercle allemand du travail) a eu l'heureuse idée de publier en 1978 la traduction allemande du texte de Faurisson d'abord paru dans Défense de l'Occident. Prudemment -- une prudence exclusivement inspirée, n'en doutons pas, par des scrupules d'ordre scientifique --, l'article français s'intitulait "Le problème des chambres à gaz". En traversant le Rhin, les scrupules se changent miraculeusement en une belle assurance: le titre de l'article de Faurisson devient alors "Es gab keine Gaskammern" ("Il n'y a pas eu de chambres à gaz") (34). En guise d'introduction, le cercle en question rappelle à ses lecteurs que cet éminent professeur d'université compte au nombre des révisionnistes qui se consacrent avec dévouement et désintéressement à la vérité historique, tandis que les sionistes allemands et juifs (sic), pris de panique devant la marche inexorable de cette vérité, tentent en vain de perpétuer les abominables légendes des crimes imputés aux nazis, en récitant leurs litanies sur la haine raciale et autres prétendues horreurs. Pour information: tout comme la Bürger- und Bauerinitiative de Christophersen, ou la Bürgerinitiative de Manfred Roeder, le Cercle allemand du travail distribue gracieusement et copieusement en Allemagne et à l'étranger toute une littérature du même acabit, qui cache (mal) une Weltanschauung que seule une paranoïa juive aussi banale que mal venue pourrait qualifier de néo-nazie.
M. Faurisson lui, protégé par l'armure de sa morale scientifique, ne s'embarrasse évidemment pas de considérations aussi bassement partisanes. Mais, très noblement, il fait précéder son article d'un petit texte sur papier à en-tête de l'université de Lyon 2, dans lequel il précise, tout comme il l'avait fait dans Défense de l'Occident, qu'il ne cautionne pas les vues politiques de ceux qui le publient. Autrement dit, grâce à sa protection tous terrains ce distingué chercheur peut publier sa prose dans n'importe quel torchon néo-nazi sans crainte de voir suspectés ses auto-témoignages de moralité. Mais sans doute en Allemagne aussi n'y a-t-il eu personne sinon l'extrême-droite pour ouvrir ses colonnes au porteur de bonne nouvelle. Ah, certes, les temps sont mûrs, mais les temps sont durs. Pensez donc, avec tous ces escrocs qui s'accrochent à leur mensonge comme la misère au pauvre monde...
Pour que tout soit encore plus clair, M. Faurisson termine son préambule allemand en déclarant qu'il prend la responsabilité de son texte en son nom et en sa qualité de Privatdozent -- maître de conférences -- de l'université de Lyon 2. Puis il conclut d'une main ferme en écrivant: "J'affirme ici qu'il n'a pas existé, sous Hitler, une seule chambre à gaz. Je persiste et je signe. Robert Faurisson".
M. Faurisson a, comme on l'a vu, de la suite dans les idées. Mais il manque parfois curieusement de cohérence. Pour publier sa prose dans une feuille de chou néo-nazi, il se couvre lourdement de la garantie scientifique et morale que lui confère --à ses yeux du moins-- son appartenance à l'université Mais il proteste avec la dernière énergie, et ses défenseurs avec lui, lorsque ladite université lui conteste le droit d'utiliser cette caution et lui manifeste sa réprobation. M. Faurisson contraint implicitement l'université à répondre de lui, mais lui ne saurait en rien être contraint à répondre devant la même université. M. Faurisson se reconnaît le droit le plus absolu d'utiliser le papier à en-tête de son université pour abreuver le monde de ses révélations. Mais il ne supporte pas qu'un autre en fasse autant pour lui dire cc qu'il pense de telles révélations. Recevant une lettre d'injure signée, sur une feuille à en-tête de l'université Paris VI, il adresse au directeur de ce laboratoire une missive recommandée avec accusé de réception où il demande à celui-ci de bien vouloir lui faire connaître dans les meilleurs délais s'il compte parmi son personnel l'auteur de la lettre en question. Il ajoute: "Afin d'être en possession de tous les éléments qui permettront à l'affaire en cours de faire préciser les responsabilités de chacun, je vous demande également de me dire si ce maître-assistant avait sollicité votre autorisation pour l'emploi de ce papier à en-tête. Au cas où il n'en serait rien, quelle mesure entendez-vous prendre pour dégager la responsabilité, ici gravement engagée, de votre Laboratoire?" Il termine sa lettre aux accents d'un refrain avec lequel on est maintenant, je pense, familier: "Il va de soi que mes demandes n'ont rien de comminatoire et qu'elles me sont, au contraire, dictées par le souci de rechercher la vérité et, en la circonstance, de vous permettre, s'il y a lieu, de vous désolidariser des insinuations et des menaces particulièrement graves que contient cette lettre". Les menaces en question consistaient en une "rossée" que le maître-assistant s'offrait, épistolairement, à donner au maître de conférences qui ne l'a, je VOUS rassure tout de suite, jamais reçue. Mais comme il ne recevait pas non plus de réponse du directeur -- absent, négligent, prudent, allez savoir --, il lui fit parvenir une deuxième lettre qui l'informait qu'il avait déposé une "requête introductive d'instance auprès du Tribunal administratif".
Les démangeaisons administratives de M. Faurisson ne paraissent donc l'affecter que sur le corps des autres. Attitude banale, certes, mais je ne peux me défendre d'une sorte de déception en constatant ainsi quelques failles dans la noble figure du grand Récureur.
Nombre d'auteurs révisionnistes inaugurent leurs écrits par une remarque autobiographique, d'ailleurs étrangement semblable d'un ouvrage à l'autre. Une certitude: on ne naît pas révisionniste. On le devient. Cette éclosion à la vérité au sortir de la gangue boueuse qui retient encore les dupes, Faurisson avait eu le bonheur de la vivre une première fois déjà, au sujet de Lautréamont. Parlant élégamment de lui- même à la troisième personne, et alors qu'il évoque le nombre impressionnant des victimes du canular, il note: "L'auteur du présent ouvrage doit reconnaître qu'il n'a pas failli à la règle générale; il se souvient d'avoir, pour sa part, gravement médité, à l'exemple de tant d'autres, sur le goût du sarcasme chez le comte de Lautréamont, sur son humour et sur le caractère, somme toute, pathétique des Chants de Maldoror. Et cela jusqu'au jour où il lui fallut se rendre à l'évidence: les Chants de Maldoror et les Poésies étaient l'Ïuvre d'un joyeux farceur" (35).
Rapporté à la question des chambres à gaz, l'itinéraire est remarquablement identique qui dessine l'émouvante ascension d'un esprit humain à la révélation de la vérité par une totale reddition devant l'évidence. Arthur Butz raconte, lui aussi, dans les toutes premières pages de son Imposture du XXe siècle, comment "de même que tous les Américains dont l'opinion a été formée depuis la Deuxième Guerre mondiale, (il) pensait jusqu'à récemment que l'Allemagne avait fait subir au monde pendant la Deuxième Guerre mondiale une explosion particulièrement meurtrière. Cc point de vue avait régné sur l'opinion occidentale à partir de 1945 et même plus tôt et, comme tout le monde, (il) en avait accepté l'essentiel" (36). Dans sa préface au Mensonge d'Auschwitz de Christophersen, Manfred Roeder avoue que lui-même a cru à ces fables et il précise dans une lettre qui accompagne ce texte que "pendant des années, même, (il) a cru pratiquement tout ce que les journaux ont écrit sur ce sujet" (37). Quant à Christophersen, qui sait mieux que personne à quel point tout cela n'est qu'un mensonge, il reconnaît avec une émouvante franchise qu'il était "tourmenté par des doutes. Lorsqu'on entend répéter de toutes parts les mêmes histoires, il est compréhensible qu'on finisse par les croire" (38).
Serge Thion entame à son tour son ascension loin du troupeau des dupes en écrivant: "Le commun des mortels croit sans doute comme je l'ai cru pendant longtemps que nous avons sur le sujet de la politique d'extermination nazie une vaste quantité de documents et d'informations véritables" (39). Bien évidemment, il n'en est rien. On se pose alors des questions Et "tout cela converge vers un ensemble de doutes lancinants qui incluent mais qui dépassent la seule question des chambres à gaz". Dépassement qui n'empêche pas Thion de dénoncer un amalgame selon lequel "on suppose aux auteurs qui mettent en doute l'existence des chambres à gaz l'intention de mettre en doute toutes les autres horreurs beaucoup mieux connues et attestées". Décidément toujours un tantinet menaçant, Thion poursuit: "Si l'on veut bien me reconnaître le droit de savoir, à moi comme aux autres, on ferait bien de ne pas mettre d'obstacle, de ne pas imposer de préalable à des enquêtes (...)". Commentant un deuxième article de Viansson-Ponté dans le Monde du 3 septembre 1979 à propos des révisionnistes, intitulé "Le mensonge (suite)" et qui disait qu' "on peut s'étonner que les responsables de ces infamies ne soient pas identifiés et poursuivis: ils tombent sous le coup de la loi qui punit l'encouragement à la haine raciale", Serge Thion proférait avec mansuétude et sagesse: "La passion qu'il révèle en cette affaire est à mes yeux parfaitement compréhensible. Je l'ai longtemps partagée et je la crois honorable. On peut néanmoins tenter de voir au-delà des limites, souvent étroites de l'irrationnel et de la passion" (40). En marchant d'un si bon pas, on ne devrait pas tarder à apercevoir l'Everest...
J'ai rapporté plus haut le bouleversant récit de l'odyssée autodémystificatrice de Faurisson. Il a cru, puis il a commencé à avoir des doutes. Alors il a cherché, avec acharnement Et, n'est-ce pas, "ce qu'il y a de terrible quand on cherche la vérité, c'est qu'on la trouve". Par un très providentiel hasard, le début de sa conversion, qui date de 1960 et de sa lecture de Rassinier, coïncide exactement avec ce qu'il appelle dans son article du Monde "la révision déchirante" de l'école exterminationniste. Je vois ça d'ici, tout en couleurs et cinémascope: on projetterait sur deux écrans panoramiques, en simultané, la conversion du héros et la conversion de la science à la bonne nouvelle enfin entendue.
On a déjà compris que les révisionnistes ne s'embarrassaient pas -- c'est le moins qu'on puisse dire -- d'un langage rigoureux et mesuré. La révision déchirante dont il est ici question consiste en quelques lignes envoyées en 1960 au journal Die Zeit par Martin Broszat, collaborateur de l'Institut d'Histoire Contemporaine de Munich, à la suite d'un article précédemment paru dans le même journal qui mentionnait à tort des chambres à gaz au camp de Dachau. La lettre de Broszat rappelait que l'extermination massive des juifs par les gaz n'avait eu lieu qu'en certains endroits destinés à cet effet et particulièrement à Auschwitz, Treblinka et les autres camps situés en Pologne. La même lettre se terminait par une mise en garde contre ceux qui se servent d'informations exactes en les sortant de leur contexte pour les utiliser de manière polémique. Martin Broszat ne croyait pas si bien dire puisque, des années plus tard, ces quelques lignes de mise au point dans un journal devenaient, sous la plume rigoureuse et mesurée de M. Faurisson, une nouvelle surprenante, une révision déchirante annoncée par Broszat à ses compatriotes ébahis (41).
J'ai dit plus haut que je reviendrai sur le titre de l'article de Faurisson qui fut publié par le Monde en décembre 78: "Le problème des chambres à gaz" ou "la rumeur d'Auschwitz". Trois remarques. La première: les deux expressions sont mises entre guillemets. Un bon révisionniste se doit en effet de savoir manier habilement ces petits crochets, souvent fort utiles. S'il vous arrive quelque jour d'avoir sous les yeux un texte de Faurisson, vous constaterez que pas une seule fois les mots de génocide ou de chambre à gaz ne sont écrits sans guillemets. M. Faurisson qui, s'il a des lettres, a aussi des sciences, gage sans doute qu'il en va du lecteur du Monde comme du chien de Pavlov et, qu'après avoir eu un certain nombre de fois sous les yeux ces mots ainsi enrobés, celui-ci, docilement conditionné, opérera de lui-même la distance un rien soupçonneuse imprimée par des guillemets somme toute plus discrètes que l'emploi trop fréquent, par exemple, du mot "soi-disant".
Deuxième remarque: les deux expressions sont donc mises entre guillemets, mais seule la première ("Le problème des chambres à gaz") renvoie à une référence bibliographique au bas de l'article. La deuxième expression ("la rumeur d'Auschwitz") ne renvoie, elle, à aucune note, à aucune référence. Mais, également mise entre guillemets, elle bénéficie en quelque sorte par glissement du crédit théoriquement conféré à la première expression par sa référence en bas de page. Jouer avec les guillemets est pratique courante lorsqu'on est lycéen. On invente des citations bidons, on prête à de grands auteurs des phrases qu'on vient d'inventer. Pour ma part, j'avais plutôt le penchant inverse: j'accommodais volontiers mes citations de phrases empruntées à tel ou tel, en "oubliant" d'indiquer par des guillemets que la citation n'était pas de moi. Ce qui me valut un jour, écrit au stylo à bille rouge dans la marge de ma copie, juste en face d'une phrase dont mon professeur ne pouvait pas nécessairement deviner qu'elle était de Malraux, ce commentaire délicieusement pédagogique: "Intéressant mais mal exprimé". Je crois avoir abandonné ce procédé à la fin de la classe de seconde. Mais jouer avec les guillemets lorsqu'on est maître de conférences est peut-être un peu moins innocent.
Edgar Morin écrivit, il y a quelques années, un livre intitulé La rumeur d'Orléans (42) qui analysait comment, dans cette ville, des commerçants juifs avaient été récemment accusés par la rumeur publique d'attirer dans leur arrière-boutique des jeunes filles qui disparaissaient de là dans le néant de lubricités lointaines. Rumeur condamnable certainement aux yeux de M. Faurisson. Comme l'est toute rumeur, non foncée, démasquée. Comme l'est... CQFD... la rumeur d'Auschwitz. Deuxième glissement, de 180 degrés cette fois. Je gage en effet -- soupçonneusement, est-ce que la pensée -- Faurisson serait en train de déteindre sur moi -- que celui-ci avait présent à l'esprit le mensonge d'Orléans lorsqu'il concoctait son titre sur le mensonge d'Auschwitz. Mais quel raffinement dans ce passage invisible d'une rumeur portée contre les juifs à une rumeur portée par les juifs... Outil de base de la méthode révisionniste le glissement est certes un procédé usé jusqu'à la corde, mais quand il s'agit d'ouvrir les yeux du monde à l'indispensable vérité, la fin, n'est-ce pas, justifie les moyens.
Troisième remarque à propos du titre de l'article de Faurisson: la première partie de ce titre ("le problème des chambres à gaz") dit exactement ceci: "L'expression est d'Olga Wormser-Migot (Le Système concentrationnaire nazi, thèse, PUF, 1968)". Le toutou de Pavlov est alors censé se dire: "Diable, si l'auteur d'une thèse de doctorat sur le système concentrationnaire nazi parle des chambres à gaz en terme de problème, c'est bien qu'il doit y avoir là-dessus de sérieux doutes". Esprit libre et non-conformiste, M. Faurisson ne dédaigne pas, lorsque les circonstances l'exigent, de se ranger courageusement sous la haute autorité de l'université française dispensatrice de doctorats d'État.
Le Monde n'ayant pas eu la générosité de Défense de l'Occident, Faurisson a dû proposer au quotidien une version abrégée de son texte. N'y figure pas, entre autres, la phrase suivante: "Il faut attendre la page 541 de la thèse d'Olga Wormser-Migot sur Le système concentrationnaire nazi, 1933-1945, pour voir apparaître un développement sur les ''chambres à gaz''" (43). Le zèle démystificateur avec lequel M. Faurisson s'est précipité à la page 541 lui a malencontreusement fait oublier de lire l'introduction de la thèse d'Olga Wormser- Migot où, dès la page 9, celle-ci précise clairement que son étude porte très exactement sur "l'élaboration et l'application des normes de la vie concentrationnaire par ceux-là mêmes qui l'ont conçue". Elle ajoute en toutes lettres: "Aussi ne sera- t-il pas traité de la Solution finale en elle-même". Le problème des chambres à gaz qu'elle évoque en effet très brièvement à la page 541 concerne exclusivement les camps de Ravensbruck et de Mauthausen pour lesquels elle met en doute qu'une chambre à gaz y ait existé. Tout le monde ne partage pas ce doute. Et Olga Wormser- Migot précise elle-même dans une lettre au Monde parue le 6 décembre 1978 qu'il ne faut surtout pas "pratiquer l'amalgame d'une contestation vieille de neuf ans (contestation qui porte non sur les objectifs et les résultats de l'extermination dans certains camps de l'Ouest, mais sur les modalités de cette extermination), et les élucubrations malfaisantes des écrivains révisionnistes". Je gage que, tout comme Georges Wellers, Olga Wormser-Migot n'a pas dû savoir apprécier à sa juste valeur la rigueur intellectuelle avec laquelle Faurisson s'est servi de ce qu'elle avait écrit sur "le problème des chambres à gaz".
Continuons un instant d'étudier quelques aspects techniques de la méthode rigoureusement scientifique et foncièrement éthique employée par M. Faurisson. Certains noms reviennent très souvent sous sa plume, en particulier ceux de "témoins" dont les "confessions", les "témoignages" ou les "documents" sont à accueillir bien évidemment avec la plus grande réserve. Trois d'entre eux ont droit à un examen qui se prétend détaillé. Il s'agit de Höss, commandant d'Auschwitz, de Gerstein, ingénieur et membre de la SS, et de J.P. Kremer, médecin SS à Auschwitz. Nous en reparlerons.
Mais tout le monde n'a pas droit à un tel honneur. Ainsi, par exemple, l'index des noms propres qui figure à la fin du livre de Thion indique six mentions du nom de Miklos Nyiszli. Juif hongrois déporté à Auschwitz en mai 1944, Nyiszli fut -- en raison de sa spécialité: il était médecin-légiste -- sélectionné pour les travaux de dissection que nécessitaient les études anatomo-pathologiques auxquelles se livrait le SS Mengele, médecin-chef du camp, en particulier sur les jumeaux. L'indiscutable avantage d'Auschwitz sur le plan scientifique résidait en ce qu'il permettait, lorsqu'on avait sous la main deux jumeaux vivants, de les mettre à mort en même temps et de procéder aussitôt à des autopsies pleines d'enseignement. Sa fonction permit à Nyiszli d'assister à différents épisodes de la vie du camp et, notamment, aux opérations successives qui menaient les juifs, vivants, de la rampe où arrivaient les convois jusqu'à la chambre à gaz, puis, morts, de la chambre à gaz au four crématoire. Il raconte tout cela en détail dans un témoignage écrit en 1946 et publié en français depuis, en 1951, par les Temps Modernes (44).
Dans Vérité historique ou vérité politique?, Nyiszli est donc nommé six fois -- une fois par Thion, cinq fois par Faurisson. Or, pas une seule fois, il n'est dit de lui quoi que ce soit. Les six fois, seul son nom est mentionné -- et toujours dans une énumération, toujours en compagnie de Höss, de Gerstein, de Kremer, ou d'autres. Ainsi, à la page 76, Faurisson parle de ce qu'il savait "de précis sur les ''documents'' de Höss ou de Gerstein, sur les ''témoignages'' de Nyiszli et consorts". Lorsqu'il referme le livre de Thion et Faurisson, le lecteur ne sait absolument rien de Nyiszli. Mais il a six fois lu son nom dans une liste d'auteurs de "documents" ou de "témoignages" on ne peut plus suspects. Six fois, ce n'est peut- être pas tout à fait assez pour le convaincre de ce qu'il faut penser de ce "témoin" Mais c'est probablement suffisant, selon les canons de la déontologie faurissonnienne, pour que le brave toutou, qui fait encore partie du commun des mortels et croit donc, à la différence de Thion désormais, qu'on dispose sur la question du génocide de documents vérifiables, commence à se dire que, tout compte fait, ce n'est peut-être effectivement pas le cas et que n'est-cc pas, si ce M. Faurisson qui a l'air bien honnête, ma foi avec son papier à en-tête et ses dix-huit ans de travail assidu, explique en passant qu'on sait bien ce qu'il faut penser des "témoignage de Nyiszli et consorts", alors peut-être, après tout vu que ce M. Faurisson, il a l'air de connaître à fond son sujet de savoir de quoi il parle, etc.
Solliciter, manipuler, glisser, amalgamer, c'est bien. Mais tronquer, parfois, c'est encore mieux, surtout si on a l'intelligence d'accompagner la manoeuvre d'une référence bibliographique en bas de page destinée à servir de caution morale et scientifique. Faurisson, qui veut donc prouver à tout prix qu'il n'y a pas eu de chambre à gaz dans les camps nazis, cite dans sa lettre au Monde du 16 janvier 1979 le journal tenu par Johann-Paul Kremer médecin SS, lors de son séjour à Auschwitz. Celui-ci rapporte, à la date du 18 octobre 1942 qu'il a, pour la onzième fois, assisté à une action spéciale. Faurisson, à qui on ne la fait pas et qui s'y entend comme personne quand il s'agit de décrypter un texte, décide cette "action spéciale", que les exterminationnistes s'obstinent à prendre pour un gazage massif, désigne en fait tout bonnement des exécutions de condamnés à mort. Condamnés par qui, quand, pourquoi? Ça n'a pas d'importance. Il écrit: "Parmi les condamnés se trouvent trois femmes arrivées dans un convoi de Hollande: elles sont fusillées". Cette phrase est accompagnée d'une note, très impressionnante, qui montre le sérieux du travail de M. Faurisson. La note consiste en une référence bibliographique qui dit exactement ceci: "Auschwitz vu par les SS, édit. du musée d'Oswiecim 1974, p.238, n.85." Peut-on imaginer souci plus scrupuleux de la référence, de la précision, de la garantie scientifique? Et puis peut-être M. Faurisson se dit-il en passant qu'il serait quand même plutôt étonnant qu'il se trouve, parmi les lecteurs du Monde, des gens qui possèdent un tel livre, publié si loin de l'hexagone, derrière le rideau de fer. Malheureusement pour M. Faurisson et son admirable honnêteté, ce livre je l'ai sous les yeux. Et la note 85 de la page 238, qui rapporte le procès-verbal de l'interrogatoire de Kremer en 1947, dit bien en effet que trois Hollandaises ont été fusillées ce jour-là. Mais le texte de la note à laquelle renvoie M. Faurisson est très exactement celui-ci: "Lors de l'action spéciale que j'ai décrite dans mon journal à la date du 18-10-1942, trois Hollandaises ne voulaient pas entrer dans la chambre à gaz et suppliaient de leur laisser la vie sauve. C'étaient des femmes jeunes, en bonne santé, malgré cela leur prière n'a pas été exaucée et les SS qui participaient à l'action les ont fusillées sur place". Les temps sont décidément bien difficiles et c'est la mort dans l'âme, à n'en pas douter, que les Evangélistes se trouvent acculés à recourir à des tripatouillages de ce genre pour mener à bien leur entreprise de conversion mondiale.
On a contemplé les hauteurs sur lesquelles se mouvaient les nobles exigences de la déontologie révisionniste. On a pu ensuite admirer au passage quelques-uns des procédés utilisés en rigoureuse application de cette déontologie. Tâchons maintenant de pénétrer plus avant au coeur même de la doctrine. Dans le "complément" cité plus haut, M. Faurisson énumérait les sept conclusions de trente ans de recherches qui forment les sept piliers de la sagesse révisionniste Il en donne la substance dans son article de Défense de l'Occident en affirmant à propos du génocide et des chambres à gaz qu'"il suffit d'appliquer à ces deux problèmes les méthodes de routine de la critique pour s'apercevoir qu'on se trouve devant deux mythes qui, d'ailleurs, forment un ensemble indissociable. L'intention criminelle qu'on prête à Hitler n'a jamais pu être prouvée. Quant à l'arme du crime, personne, en fait, ne l'a jamais vue" (45). Déjà lorsqu'il parlait de Lautréamont, M. Faurisson révélait d'évidentes dispositions pour les enquêtes policières difficiles, dans lesquelles seul un oeil de lynx rompu aux exercices de la démystification pouvait déceler la vérité là où, aveuglée par une tradition fumeuse, la crédulité publique ne voyait que du feu. Avec une clairvoyance non dépourvue d'amertume, il notait dans sa thèse que "notre époque est au moins aussi crédule que celles qui l'ont précédée" et que "certains mythes sont sacrés. Même en littérature et en histoire on court quelque risque à vouloir démystifier". Il indiquait alors en passant que "la Seconde Guerre mondiale a suscité des mythes (...) extravagants, mais il ne fait pas bon s'y attaquer" (46), Mais Robert Faurisson, on le sait, n'est pas homme a se laisser arrêter dans son entreprise d'évangélisation. Et puis, quoi, on n'échappe pas à son destin. Le spécialiste français du décapage de textes devait bien, un jour ou l'autre, s'attaquer à la plus vaste entreprise de mystification de tous les temps. Serge Thion décrit très bien la force irrésistible de cet appel du destin, lorsqu'il commente: "Ce qui est certain, c'est que ce souci de prendre les textes au ras des mots ne pouvait manquer d'amener Faurisson à travailler sur des textes, littéraires ou non, liés à certains événements cruels de notre époque et à proposer de les récurer à l'aide de sa méthode Ajax. Que l'on accepte ou non d'y voir une manière propre à jauger et à juger entièrement d'un texte, le simple bon sens suffit à y voir en tout cas un préalable dont l'intérêt est évident: il faut commencer par lire les textes pour ce qu'ils se donnent avant de les interpréter" (47). On verra sans tarder à quelles éblouissantes démonstrations conduit le "simple bon sens" dont Faurisson et Thion se déclarent les adeptes convaincus, lorsqu'il s'applique aux documents nazis lus "pour ce qu'ils se donnent".
Quittant Lautréamont pour le prétendu génocide, on abandonne le commissariat de quartier pour le Quai des Orfèvres. On y reconnaît la silhouette familière du commissaire Maigret, armé de sa bonne vieille pipe et de son simple bon sens. "L'intention criminelle", pas de preuve. "L'arme du crime", on ne l'a pas retrouvée. La règle fondamentale de la démonstration révisionniste est fort simple: toute preuve de l'extermination massive des juifs dans les chambres à gaz est irrecevable.
Du côté des nazis d'abord. Faurisson a énoncé il y a un certain temps déjà ce qui fait le credo de sa doctrine: "Jamais Hitler n'a ordonné (ni admis) que quiconque fût tué en raison de sa race ou de sa religion". Si cette affirmation incontestablement audacieuse semble ne pas gêner outre mesure les révisionnistes américains, anglais ou allemands, elle n'a pas été sans provoquer quelques remous en France parmi les défenseurs de Faurisson. Pierre Guillaume, par exemple, dans une lettre envoyée au journal Libération jamais publiée, mais Dieu merci intégralement reproduite dans le livre de Thion -- je frémis rétrospectivement à la pensée qu'un tel chef-d'oeuvre aurait pu tomber dans l'oubli -- raconte les affres que lui-même et ses amis connurent à cause de cette fameuse phrase: "J'avais rencontré le professeur Faurisson fin novembre. J'ai trouve un homme désespéré et sur le point de s'enfermer définitivement dans un délire paranoïaque caractérisé, bien que très explicable. J'ai aussi trouvé un homme possédant à fond son sujet (200 kg de documents de travail, représentant le dépouillement de plusieurs tonnes de textes) et dont les travaux allaient très au-delà, mais dans le même sens que les thèses de La Vieille Taupe (...). Mes forces ne suffisant plus à la tâche, et notamment mes forces caractérielles (j'étais moi-même sur le point de craquer), il devenait vital pour le développement de la situation d'obtenir de l'appui et donc d'obtenir l'accord de tous sur un même texte, sans concession ni double pensée. Ce texte devait donc intégrer la fameuse phrase qui semblait rendre Faurisson indéfendable: "Hitler n'a jamais ordonné l'exécution d'un seul Juif par le seul fait qu'il fût juif" (je fais respectueusement remarquer aux futurs archivistes du révisionnisme que la formulation reprise ici par Pierre Guillaume est sensiblement différente du credo originel: il y manque en particulier le mot "admis", auquel Faurisson semblait tenir) en montrant que cette phrase était strictement vraie, même si Hitler se foutait pas mal de ce que devenaient les Juifs en pratique. Ce faisant, je prouvais en pratique que j'étais prêt à suivre Faurisson jusqu'au bout (...). Se sentant soutenu, Faurisson recommença à s'alimenter normalement, et ses symptômes paranoïaques disparurent complètement" (48) Avouez qu'il eût quand même été dommage qu'un tel texte se perdit.
Quant a Serge Thion il semble, l'espace d'un paragraphe, perdre un peu de la noble assurance qui l'anime tout au long de son livre, lorsqu'il écrit: "Cette phrase me parait au moins maladroite puisqu'elle est ambiguë. Même si l'on peut démontrer qu'elle recouvre une certaine vérité formelle, il n'en reste pas moins plus que probable qu'Hitler, comme d'ailleurs d'autres responsables politiques et militaires, devait fort bien admettre que les Juifs, et les autres minorités non hostiles, non belligérantes, comme les Tziganes ou les homosexuels, meurent en grand nombre du fait des persécutions qu'ils subissaient" (49). La construction alambiquée de ces "au moins, puisque, même si, il n'en reste pas moins plus que, comme d'ailleurs" tient peut-être au fait que la conversion de Thion à la bonne nouvelle est en cours et n'a donc pas encore acquis la mâle assurance des accents faurissonniens.
Fin de la première partie (1/2) -- SUITE --LES NOTES SONT À LA FIN DE LA SECONDE PARTIE
Extrait de: Les Temps Modernes n° 407, juin 1980, p. 2150-2211.
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