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L'avocat d'Eichmann à Jérusalem, Me Servatius, l'a affirmé : "Le témoignage de Hoess est caractérisé par le fait dde sa complète soumission[58]", mais je ne crois pas qu'aucun autre lecteur de l'autobiographie puisse avoir cette impression. Hoess multiplie les détails autobiographiques, les petits faits vrais, les remarques personnelles, les commentaires politiques les plus variés (y compris une dénonciation des camps soviétiques), les accusations antisémites et antitsiganes. Il n'y a rien là qui sente le fabriqué et le dicté[59]. Hoess arrêté par les Anglais a été, nous dit-il- et pourquoi ne le croirait-on pas?-, battu par eux a plusieurs reprises; il désavoue (p. 244) le premier procès-verbal qu'il a signé; il fut également maltraité par ses gardiens polonais au début de son incarcération à Cracovie (p. 247). A Nuremberg, le 15 Avril 1946, il est cité tout d'abord comme témoin de la défense par Me Kauffmann, avaocat de Kaltenbrunner, fait que Faurisson si disert au sujet de Hoess se garde bien de mentionner[60]. "Est-il exact, lui demande l'avocat, que vous ne pouvez donner le nombre exact des victimes, car on vous avait interdit de les compter?" La réponse est positive et rend inutiles toutes les spéculations au sujet des chiffres donnés par Hoess. Les plus absurdes concernent d'ailleurs non le chiffre de ses victimes, mais le nombre de Juifs sont il prétend qu'ils devaient arriver à Auschwitz si le règne d'Hitler s'était prolongé (par exemple 4 millions de Juifs roumains, 2 millions et demi de Juifs de Bulgaire- p. 287). Le témoignage de Hoess n'a évidement d'intérêt que pour ce qu'il a avu. Il mérite naturellement aussi d'être critiqué[61]. Faurisson fait grand bruit au sujet d'une erruer, recopiée à plusieurs reprises, qui dans les témoignages recueillis par les Anglais lui fait parler du camp imaginaire de "Wolzek près de Lublin" (confusion et redoublement avec Belzec et maïdanek, probablement). Je ne vois pas ce qu'on peut tirer de ce genre d'arguments. Les erreurs, les confusions, voire les absurdités existent dans tous les types de témoignages, et même chez beaucoup d'écrivains notiores qui n'ont pas été forcés de passer aux aveux. Voici un exemple de confusion au moins aussi grave que l'erreur sur "Wolzek". Un auteur qui a parlé précisément de Hoess, nous dit p. 43, qu'il est incarcéré à la prison de Krakau et à la page suivante qu'il se trouve à Cracovie. Or Krakau est le nom Allemand de Cracovie. Cet auteur est P. Rassinier dans son livre Le Drame des Juifs européens[62].
Quant au procès de Nuremberg, cible principale des révisionnistes, on peut lui trouver tous les défauts du monde . c'est un procès des vainqueurs, les vainqueurs avaient eu aussi des crimes de guerre à se reprocher. Les statuts adoptés par l'accord interallié de 1945 présentent des équivoques, dans la mesure où ce tribunal souverain est placé en partie sous la dépendance du Conseil de contrôle des quatre puissances occupantes. L'article 21 lui fait obligation de considérer "comme preuve authentique les documents et rapports officiels des gouvernements des Nations unies". L'article 19 n'affirme pas seulement comme on se plaît à le dire (Vérité..., p. 29, 71, 180): "LeTribunal ne sera pas lié par les règles tehcniques relatives à l'administration des preuves[63]", mais explique: "Il adoptera et appliquera autant que possible une procédure rapide et non formaliste et admettra tout moyen qu'il estimera avoir une valeur probante", ce qui revient à dire qu'il est maître de décider de ce qui est preuve et ce qui ne l'est pas.
Mais les statuts eurent en réalité peu d'importance[64]. La seule question qui compte, historiquement, est celle-ci: selon lequel des deux modèles en concurrence le Tribunal fonctionnera-t-il, le modèle libéral, principalement anglo-saxon, ou le modèle soviétique? La réponse n'est pas douteuse. Les Soviétiques, qui avaient détenu le grand-amiral Raeder et H. Fritzche (un collaborateur de Goebbels), lequel fut soumis à un interrogatoire de type moscovite, ne firent pas la loi. Ils ne purent ni imposer la mise au compte des hitlériens de leur crime de Katyn, ni empêcher un avocat allemand (malgré une censure infligée à sa plaidoirie) de faire un peu de lumière sur leur pacte de 1939 avec l'Allemagne, ni empêcher les trois acquittements (dont celui de Fritzche). L'accusation fut loin de l'emporter toujours sur la défense, et le principe du Tu quoque, officiellement interdit, l'emporta parfois dans les faits, par exemple lorsque les amiraux allemands purent démontrer que la flotte américaine de l'amiral Nimitz avait fait très exactement ce qu'on leur reprochait. Le principe de la culpabilité collective, officiellement en vigueur, ne fut pas retenu en fait , et le tribunal ne fit pas usage en fait du concept de "crime contre l'humanité"- ces crimes furent traitrés comme les crimes de guerre- et abandonna la notion de complot[65]. Que le matériel engrangé à Nuremberg ne soit pas toujours de très bonne qualité est certain. Qu'il y ait un tri à faire est évident, mais ce n'est pas tirer que de rejeter en bloc, et de parler de procès de sorcellerie là où figurèrent des accusés qui, dans leur immense majorité, discutèrent pied à pied les chrages qui les concernaient, plaisèrent souvent l'ignorance ou l'innocence, mais ne nièrent jamais ce qui n'était pas niable.
Quant au procès de Jérusalem, il a mérité lui aussi de sévères critiques[66], mais aucune de ces critiques ne me paraît mettre en cause l'administration de la preuve. Eichmann se présenta comme un fonctionnaire de seconde zone, une sorte de chef de gare faisant circuler les trains, il tenta surtout de se libérer du poids écrasant des accusations dont l'avaient chargé ses camarades de la SS pour se disculper eux-mêmes; interrogé selon la procédure anglo-saxonne par le capitaine Less, il précisa qu'il avait eu une connaissance directe et personnelle des camions de la mort de Chelmno, des exécutions de Minsk, des chambres à gaz d'Auschwitz (Eichmann par Eichmann, p. 111, 115, 139). Quelle force au monde- puisqu'il ne fut pas torturé-, quel "savoir partagé" avec le Juif allemand qui l'interrogeait aurait pu le contraindre à prononcer cette phrase: "L'été 1941 était déjà bien avancé quand Heydrich me demanda de venir le voir. "Le führer a donné l'ordre de supprimer les Juifs". Ce sont exactement les mots qu'il prononca en me recevant; et pour vérifier l'effet produit, contrairement à son habitude, il s'arrêta un long moment. Je m'en souviens encore très bien[67]." Quant aux ouvrages écrits sur le génocide hitlérien. Eichmann, mieux placé peut-être pour juger de leur valeur historique que les "révisionnistes", "se référait souvent aux oeuvres de Léon Poliakov en tant qu'autorité et meilleure source des événements" (A. Less, Eichmann par Eichmann, p. 12). Aussi bien la véritable question que se posent ceux qui sont troublés par les arguments des "révisionnistes"- et il en est qui sont de bonne foi- n'est-elle pas de savoir ce qu'a valu tel ou tel procès. A la limite, ils les récuseraient tous. Ce qui est pour eux difficile à admettre est qu'une vérité officielle sanctionnée par les arrêts des cours les plus solennelles, par les dicsours des chefs d'Etats de l'Ouest et de l'Est, soit aussi, par exception, la vérité tout court. Là est la véritable difficulté qui nous oblige à nous intéresser d'un peu plus près à l'oeuvre de celui qui est le véritable héros culturel du révisionnisme, un héros mort, de surcroît, en 1967: Paul Rassinier.
Je ne suis pas ici pour " juger " Paul Rassinier. Lucien Febvre rassembla un jour deux études " contre les juges suppléants de la vallée de Josaphat[68]." S. Thion parle des " incroyables calomnies dont il a été la victime " (p.60). Il accorde " qu'on trouve dans ses écrits des outrances de langage et, parfois, des affirmations discutables ", mais il conclut : " Il faudra bien,un jour, réhabiliter Rassinier " (p. 165). Quant à Faurisson : " Révolutionnaire authentique, résistant authentique, déporté authentique, [Rassinier] aimait la vérité comme il faut l'aimer : très fort et par-dessus tout " (Vérité..., p. 195). On comprendra que cet éloge, avec cette insistance sur l'amour de la vérité qui caractérise tous les faussaires, ne soit pas exactement de nature à attirer ma propre sympathie[69].
Il y a, en vérité, quelque chose de tragique dans le destin de Paul Rassinier, non pas une coupure selon l'ordre du temps, comme il en est beaucoup : Mussolini, Doriot..., mais une coupure à l'intérieur même de l'être. Ce qui se passe lors de sa mort (28 juillet 1967) symbolise assez bien son destin. A Paris, son éloge funèbre fut prononcé par Maurice Bardèche ; à Bermont, près de Belfort où il fut enterré, c'est un représentant du groupe pacifiste " La Voie de la paix " qui prit la parole [70]. Instituteur, professeur d'histoire et géographie dans un CEG, Rassinier fut communiste, puis socialiste, d'abord de la tendance Marceau Pivert, puis de la tendance Paul Faure. Nombre de militants de cette tendance glissèrent après 1940 au vichysme et à l'antisémitisme (le Juif étant volontiers symbolisé par Léon Blum). Ce ne fut pas le cas de Rassinier. Munichois, il fut pourtant résistant, arrêté par la Gestapo en octobre1943 et déporté à Buchenwald puis à Dora. Son expérience de déporté fut moins celle d'un militant politique que d'un petit, d'un bagnard de la base. C'est cette expérience qui donne son prix à Passage de la ligne (1948), première partie du Mensonge d'Ulysse (1950), et à sa critique de la bureaucratie et de la littérature concentrationnaires. Le Mensonge d'Ulysse dénonce aussi l'arbitraire français et colonial. Dès 1950 il est préfacé par un anarchiste d'extrême droite, Albert Paraz, antisémite et ami de Céline. L'avant-propos de la seconde édition du Mensonge d'Ulysse (1954) rend un hommage remarquable à Maurice Bardèche (Mensonge, p. 235, n.6) qui avait commencé en 1948 sa campagne politique avec Nuremberg ou la Terre promise. Il est bon de lire cet " admirable livre " (Rassinier, Véritable procès Eichmann, p. 43). Maurice Bardèche n'avait pas alors découvert que le génocide hitlérien n'avait pas existé : " Il y avait une volonté d'extermination des Juifs sur laquelle les preuves sont nombreuses " (p. 187). Mais cette extermination ne nous concerne pas : " Ce qui s'est passé à Auschwitz, à Maïdanek et autres lieux regarde les Slaves ; nous, nous avons à nous occuper de l'Occident " (p. 115). Aussi la vraie question est-elle : " Combien de Français ont été à Auschwitz et à Treblinka ? " (p. 162). " Il n'y eut pas de déportation de Français, il y eut une déportation de Juifs ; et, si certains Français furent déportés en même temps qu'eux, c'est qu'ils avaient accepté ou qu'ils avaient paru accepter la défense de la cause juive. " Le livre se terminait par une formule lapidaire : " Il nous faut choisir d'avoir les SS avec nous ou chez nous. ". A partir de 1955, Rassinier se fit éditer par des éditeurs d'extrême droite, Les Sept Couleurs et La Librairie française de l'antisémite professionnel H. Coston. La Vieille Taupe déclare aujourd'hui : " Ceux qui reprochent à Paul Rassinier de s'être fait éditer par un éditeur d'extrême droite sont ceux qui eussent souhaité qu'il ne fût pas publié du tout[71]. "
Ces publications, la collaboration à Rivarol, sont-elles donc le fait d'un " compromis " héroïque, tel celui, prisé par certains, de Lénine regagnant la Russie à travers l'Allemagne impériale en guerre ? Pas tout à fait. On trouve dans les publications de Rassinier de quoi rassembler tout un florilège des formes les plus stupides et les plus éculées de l'antisémitisme. Dans cette tâche, il se fait du reste aider par des citations d'un extrémiste sioniste délirant : Me Kadmi Cohen. La puissance juive comme centre du commerce et de la banque mondiale remonte très haut dans le temps. Saül, David et Salomon ont fait en leur saison ce que fait Israël aujourd'hui, cet " État-comptoir " qui se trouve " sur les plus importantes artères commerciales du monde moderne " ; Saül, David et Salomon, donc, " tentèrent de l'installer [le peuple juif] au point d'intersection des deux grandes artères commerciales de leur temps ". Le résultat, au bout de dix siècles, fut que " tout l'or " du monde romain fut placé " par des chargements périodiques sur des galères à destination de la Judée ". Rassinier ne précise cependant pas si ces chargements étaient organisés par la banque à l'enseigne du rubrum scutum, en français de l'écu rouge (en allemand, Rothschild). " Si, à deux reprises, Rome mandata Titus (70 ans apr. J.-C.) puis Hadrien (135 apr. J.-C.) pour détruire le royaume de Judée et en disperser tous les habitants dans l'Empire, entre autres raisons,elle avait au moins celle-ci : récupérer ce qu'elle considérait comme son or. Jusqu'à Titus, elle avait été très bienveillante pour les Juifs, l'affaire Bérénice en est la preuve " (Drame, p. 128-129). Un historien de l'Antiquité est-il obligé de préciser que tout cela est intégralement grotesque ? Quant à l'idylle entre Titus et Bérénice, elle est, dans son moment essentiel, postérieure à la prise de Jérusalem. Mais il s'agit bien de l'Antiquité : dans le monde moderne également, l'accaparement juif menace. Que demain le mouvement sioniste international mette " la main sur Wall Street " et " le port d'attache israélien de la Diaspora deviendrait non seulement le toit commercial du monde atlantique, mais [grâce au pétrole] le poste de commande aussi de toute son industrie ". Ainsi se réalisera la prophétie biblique, imparfaitement : " Les femmes d'Israël continueront, bien sûr, à enfanter dans la douleur, mais leurs hommes, c'est à la sueur du front des autres qu'ils leur gagneront leur pain et celui de leurs enfants " (Drame, p. 129). Simples " outrances de langage " comme dirait S. Thion. Faut-il préciser que les prises de position jugées bellicistes de Léon Blum en 1938 (Rassinier était alors socialiste) " étaient alors inspirées par les prises de position maintes fois réitérées du judaïsme mondial[72] " ? En fait, Rassinier est littéralement obsédé par le thème du complot juif international. Le Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), lieu fort pacifique d'une bibliothèque et d'archives où Faurisson put travailler jusqu'en 1978, devient le " Centre mondial de documentation juive " et une " entreprise de fabrication et de falsification de documents historiques " (Drame, p.8 et passim), et cette erreur doublée d'une calomnie franchit l'Atlantique et se retrouve chez Butz (The Hoax, p. 248). L'alliance des Juifs et des communistes est une donnée permanente de la politique mondiale. En 1950, Moscou, Tel-Aviv et Varsovie se coalisent contre l'Europe naissante et il en résulte des publications comme le Bréviaire de la haine de Poliakov (1951) [73]. " Depuis, dit Rassinier, ça n'a plus arrêté " (Drame, p. 9).
La gloire de Rassinier est d'avoir, le premier, exposé de façon systématique qu'il n'y avait pas eu de génocide et exonéré les nazis de " l'horrible et infamante accusation " (Drame, p. 107). Car " le drame des Juifs européens [...] est non pas que six millions d'entre eux ont été exterminés comme ils le prétendent mais seulement dans le fait qu'ils l'ont prétendu " (Drame, p. 12). Les amis de Rassinier sont, certes, fondés à soutenir qu'en droit ce ne sont pas les sentiments d'un auteur qui comptent, mais la valeur scientifique de ses affirmations. J'en demeure d'accord en principe, encore qu'une paranoïa antisémite ne soit peut-être pas tout à fait la préparation la meilleure à une étude de la politique hitlérienne à l'égard des Juifs. Comme le dit S. Thion, " il importe que ces affaires restent entre honnêtes gens et gens honnêtes " (p.45). Mais, de la valeur scientifique des travaux de Rassinier, nous avons un garant, Serge Thion, sociologue, membre du CNRS, titulaire d'un doctorat, et qui doit donc savoir lire. Il nous dit que, dans Le Drame des Juifs européens, Rassinier " pulvérise l'étude la plus solide des statistiques concernant le nombre des disparus dans les communautés juives d'Europe, celles de l'Américain Hilberg " (Vérité..., p, 164). Voyons un peu.
Je ne suis pas un spécialiste de la démographie historique, mais je suis tout de même capable de suivre un raisonnement élémentaire. Je n'affirmerai ici rien sur le nombre des disparus, notant simplement que, selon le rapport déjà mentionné de Richard Korherr, inspecteur SS pour les questions de statistiques (que l'ouvrage de Thion ne mentionne pas une seule fois), à la fin de mars 1943, plus de deux millions et demi de Juifs avaient déjà été " évacués ", ce qui signifie sans le moindre doute dans l'immense majorité des cas : tués, et que ce chiffre ne comprenait pas " les décès survenus [...] dans la zone du front ", ce qui, peut-être, en exclut les victimes des actions des Einsatzgruppen (Wellers, Mythomanie, p. 43) [74]. Rassinier, lui, estime que le chiffre total des pertes juives se situe autour d'un million, un peu plus ou un peu moins (Drame, p. 212). Mais comment raisonne-t-il ?
Je dois ici marquer un peu d'étonnement : Rassinier ne raisonne pas ou, plus exactement, il tient le raisonnement suivant : je prends un pâté d'encre, j'y ajoute un pâté d'alouette (avec la proportion usuelle de cheval) et enfin un pâté de maisons et j'obtiens très exactement... 3 268 471 Juifs prétendument exterminés par Hitler mais ayant survécu à la guerre. Comment Rassinier parvient-il à ce chiffre [75] ? En ajoutant les unes aux autres des données de nature entièrement différente. Le noeud du problème est évidemment la masse considérable des Juifs qui vivaient en Pologne, pays partagé en 1939, dans les États Baltes, en Ukraine, en Russie blanche, en Bessarabie : plus de cinq millions d'êtres humains.
Pour sauver, sur le papier, la majorité de ces Juifs de l'extermination, Rassinier dispose d'une source unique : un article du journaliste juif soviétique David Bergelson, qui dans un journal yiddish de Moscou, Die Einheit du 5 décembre 1942, article cité, selon Rassinier, dans un journal allemand de Buenos Aires, Der Weg, de janvier 1953 [76], a affirmé que " la majorité (80%) des Juifs d'Ukraine, de Lituanie et de Lettonie a été sauvée ", grâce à l'Armée rouge, s'entend (Drame, p. 125). Mais l'aire géographique du salut s'accroît un peu plus dans le livre, puisque, p. 218, il s'agit des " Juifs polonais, baltes et roumains qui, dans les années 1941-1942, ont été évacués sur l'Asie centrale et qui, si on en croit le joumaliste juif David Bergelson, auraient été au nombre d'environ 2 à 2,2 millions en 1942 " (Drame, p. 218). Comme le dit Thion (p. 33), " il y a les bonnes sources et les mauvaises, l'astuce étant de les bien jauger ". Il se trouve que cette source-là ne vaut rien du tout, et des hommes qui parlent à tout bout de champ de propagande de guerre auraient pu s'apercevoir que nous en avons là un exemple typique (cf. G.Wellers, Mythomanie, p. 38). D. Bergelson était un écrivain faisant partie d'un comité juif créé par les autorités soviétiques, à fin de propagande précisément, notamment auprès des Juifs américains. Après la guerre, en 1952, mission accomplie, il fut fusillé. Cela, Rassinier ne le dit pas, et pas un instant il ne se demande comment il pouvait être informé et comment l'Armée rouge, surprise et piégée, aurait pu sauver tant de Juifs. Elle en sauva, certes, quelques-uns. Combien ? Nous ne le savons pas.
Cela étant établi, il est inutile de poursuivre l'analyse et de montrer comment Rassinier " sauve " encore un million et demi de Juifs russes. Comme il l'écrit (Drame, p. 221), " une étude démographique ne peut être que de caractère technique ". Mais, un peu inquiet devant le résultat de ses propres calculs, Rassinier a ce mot désarmant : " Il faut pourtant bien que, s'ils ne sont plus en Europe et pas en Israël, ces 3 268 471 Juifs [pas un de plus, pas un de moins !] qui étaient bien vivants en 1945 soient quelque part ailleurs - avec le nombre de ceux dont ils se sont naturellement accrus depuis ! " (Drame, p. 217). Car, comme le disait un chansonnier après la libération de la France, " les fours crématoires étaient donc des couveuses ". Que faire de ces Juifs en trop ? On peut, bien sûr, provisoirement, les installer en Asie centrale, mais ils ne peuvent y rester indéfiniment. Alors Rassinier a trouvé une solution. Une filière d'évasion clandestine a permis, entre 1945 et 1961 [77], à plus d'un million d'entre eux, " au prix de difficultés sans nombre... [de] quitter l'Asie centrale pour le continent américain " (Drame, p. 218), c'est-à-dire en traversant la Chine et le Pacifique. En conclusion, " ils sont forcément aux États-Unis " (ibid.).
Mais d'autres surprises sont possibles, la brouille entre Khrouchtchev et Mao Tsé-toung aidant (Rassinier écrit en 1963), il va sans dire que Mao aidera les Juifs à quitter le territoire soviétique. " Dans ce cas, il se pourrait aussi que la présence d'un nombre très important de Juifs se révélât soudain, un jour, dans tous les pays du continent américain, peut-être également en Israël " (Drame, p. 214). Au XVIIème siècle, il arrivait que les gazettes annoncent soudain la réapparition des dix tribus perdues d'Israël. Rassinier a réussi un exploit de ce type. Mais, comme il l'a dit, " ce ne sont là que conjectures et non certitudes : l'hypothèse de travail dont tous les chercheurs ont besoin comme base de départ de leurs recherches " (Drame, p. 219). Et c'est sur la base de raisonnements de ce type - il en est beaucoup d'autres - que Rassinier se croit fondé à écrire du génocide hitlérien qu'il est, en vérité, " la plus tragique et la plus macabre imposture de tous les temps[78] ".
Serge Thion reconnaît à Robert Faurisson, dans le portrait nuancé qu'il en fait (p. 14), " une certaine propension [qu'il partage] à se ranger du côté des vaincus, de ceux qui se trouvent du mauvais côté du manche ". Mais qui sont les vaincus ? Les Allemands, et plus précisément les nazis ? Certes, ils ont été vaincus, et le peuple allemand a souffert, épouvantablement, comme ont souffert épouvantablement d'autres peuples qui n'ont pas été vaincus, les Russes, les Polonais, les Yougoslaves, les Tchécoslovaques et les Grecs. Les Juifs, en Europe orientale et dans quelques autres régions (en Hollande, en Grèce), n'ont pas été vaincus, ils ont été anéantis. Il n'est pas toujours facile de comprendre ce que cela signifie. On peut le réaliser, presque physiquement, dans l'immense cimetière juif de Varsovie, près du ghetto où vint un jour s'agenouiller " le marxiste Brandt ", comme dit A. Butz (The Hoax, p. 244) : les pierres tombales disparaissent tout d'un coup autour de 1942 pour ne reparaître que sur une échelle infinitésimale en 1945. Richard Marienstras a tenté de dire cela : " Ceux dont la civilisation - dont la respiration - était tout entière définie par la yiddishkeit, ceux dont toutes les relations vitales dépendaient du domaine yiddish, ceux-là, après la disparition de leur culture, ne peuvent modifier ni déplacer leur allégeance fondamentale à ce qui n'est plus et qui ne peut plus exister que dans un souvenir obsédant et terrifié. Pour eux, il n'y a ni projet ni délivrance, ils n'oublient pas quand ils affirment avoir oublié, ils n'espèrent pas, même si le substitut qu'ils donnent à l'espoir est strident - sa stridence révèle le désespoir ou le malheur dont il est fait[79]. " Il fallait essayer de dire cela qui est peu dicible, et, s'il en est qui se sentent " rachetés " par les victoires militaires d'Israël, je ne puis, pour ma part, que les plaindre et même les mépriser.
Ce ne fut pas une guerre et, je l'ai déjà dit, le Conseil d'État de la République polonaise qui, en avril 1967, a conféré aux victimes d'Auschwitz une décoration militaire pour être morts " en luttant contre le génocide hitlérien " a montré qu'il n'avait pas compris ou pas voulu comprendre ce qui s'était passé[80]. Mais, nous dit-on, ce fut précisément une guerre. L'Anglais Richard Harwood (pseudonyme du néo-nazi Verrall) nous l'explique dans cette fameuse brochure qui déclencha la juste fureur de P. Viansson-Ponté et relança dans la bataille Faurisson (Le Monde, 17 juillet 1977 et Vérité..., p. 65-92) : " Le 5 septembre 1939, Chaïm Weizmann, président de l'Organisation sioniste (1920) et de l'Agence juive (1929), qui devint plus tard le premier président de la République d'Israël, avait déclaré la guerre à l'Allemagne au nom des Juifs du monde entier, en spécifiant que ''les Juifs font cause commune avec la Grande-Bretagne et combattront dans le camp des démocraties [...] L'Agence juive est prêteà prendre des mesures immédiates pour utiliser la main d'oeuvre juive, la compétence technique et les ressources juives, etc." (Jewish Chronicle, 8 septembre 1939). " Peu importe, bien sûr, que Weizmann n'ait eu ni qualité pour parler au nom des Juifs du monde entier, ni d'ailleurs l'intention de le faire [81]. Dirigeant sioniste, étroitement lié avec l'Angleterre, malgré le conflit provoqué par la politique anglaise d'arrêt de l'immigration en Palestine, il a parlé, comme à la même époque Ben Gourion, au nom des siens et d'une idéologie minoritaire. Les sentiments des Juifs américains, par exemple, n'étaient pas douteux, mais personne ne pouvait déclarer la guerre en leur nom. Non content de répéter " Harwood ", Faurisson y ajoute une erreur fort significative : " En la personne de Chaïm Weizmann, président du Congrès juif mondial [...], la communauté juive internationale a déclaré la guerre à l'Allemagne le 5 septembre 1939 " (Vérité..., p, 187, même indication p. 91, n.). Le président du Congrès juif mondial était alors le rabbin américain Stephen Wise. Mais, à défaut de pouvoir disposer d'un porte-parole du judaïsme international, le mieux est encore de l'inventer. Cette " déclaration de guerre " est, précise Faurisson, la suite des mesures de boycottage économique de l'Allemagne nazie décidées par " la communauté juive internationale en rétorsion des mesures antisémites prises par Hitler ". C'est tout simple: " Cet engrenage fatal allait conduire, de part et d'autre, à une guerre mondiale " (Vérité..., p. 187) [82]. Une fois le vin tiré, il faut le boire, la guerre a eu lieu, " le soldat allemand mène un féroce combat contre les partisans [...] y compris, s'il le fallait, contre les femmes et les enfants mêlés aux partisans ", mais, Faurisson nous le précise : " L'armée donne les ordres les plus draconiens pour qu'aucun soldat allemand ne participe à des excès sur la population civile, Juifs y compris. " Mieux : on peut dire de la Wehrmacht, SS compris, " qu'elle a été, d'une certaine façon, moins redoutable pour les civils non combattants que beaucoup d'autres armées " (Vérité..., p. 187 et 211, n. 45). Les Einsatzgruppen n'ont apparemment pas existé.
A partir de là, il devient possible de tout expliquer, de tout justifier. L'étoile juive ? Une mesure militaire. " Hitler se préoccupait peut-être moins de la question juive que d'assurer la sécurité du soldat allemand " (Vérité..., p. 190) [83]. Beaucoup de Juifs parlaient allemand et on les soupçonnait de pratiquer " l'espionnage, le trafic d'armes, le terrorisme, le marché noir ". Les enfants qui portaient l'étoile à partir de six ans ? Faurisson a réponse à tout : " Si l'on reste dans le cadre de cette logique militaire, il existe aujourd'hui suffisamment de récits et de mémoires où des Juifs nous racontent que dès leur enfance ils se livraient à toutes sortes d'activités illicites ou de résistance aux Allemands " (Vérité..., p, 190).
Et, dans cette même page que l'on devrait faire figurer dans une anthologie de l'immonde, Faurisson nous montre, par un exemple précis, que les Allemands avaient bien raison de se méfier : " Ils redoutaient ce qui allait d'ailleurs se passer dans le ghetto de Varsovie où, soudain, juste à l'arrière du front, en avril 1943, une insurrection s'est produite. Avec stupéfaction, les Allemands avaient alors découvert que les Juifs avaient fabriqué 700 blockhaus. Ils ont réprimé cette insurrection et ils ont transféré les survivants dans des camps de transit, de travail, de concentration. Les Juifs ont vécu là une tragédie. " Il n'est pas inutile de lire cette page d'un peu plus près. Tout appel de note a charitablement disparu, mais la note 48 de la page 211 nous permet d'apprendre la source de Faurisson et de le surprendre au travail. Son " informateur ", comme disent les ethnologues, est le Reichsführer SS Heinrich Himmler en personne, et plus précisément son discours de Posen (Poznan) le 6 octobre 1943 : " J'ai nettoyé de grands ghettos juifs dans les territoires de l'arrière. Dans un ghetto de Varsovie, nous avons eu des combats de rue pendant quatre semaines. Quatre semaines ! Nous y avons démoli environ sept cents bunkers [84]. "
Faurisson intervient sur ce texte et sur cet événement à de multiples niveaux, d'abord en ajoutant à l'indication de Himmler : " dans les territoires de l'arrière " (in den Etappengebieten), les petits mots " juste " et " front " qui le rendent cohérent avec sa logique militaire. Le lecteur peut ainsi oublier que le " front " était alors très loin, à plus de 1000 kilomètres, modifications étonnantes de la part de ce maniaque de la note et de la précision [85], mais le " front ", n'est-ce pas ?, est une notion ambiguë. De l'événement lui-même, qui intervient alors que le ghetto est aux trois quarts vidé de sa population par des déportations massives, le lecteur ne saura rien. Ici encore, le maître de Faurisson s'appelle Himmler qui, le 21 juin 1944 à Sonthofen, essaya de faire croire aux généraux allemands qu'il avait dû affronter, au ghetto de Varsovie, non une poignée de combattants, mais " plus de cinq cent mille Juifs " qu'il a fallu liquider " en cinq semaines de combats de rue " (Discours secrets, p. 207). Silence également sur le contexte immédiat du discours du 6 octobre 1943 qui voit Himmler protester contre la tyrannie de l'économie, si souvent invoquée par les révisionnistes : " Ce ghetto fabriquait des manteaux de fourrure, des vêtements, etc. Avant, quand on voulait y entrer, on vous disait : "Halte ! Vous entravez l'économie de guerre ! Halte ! Fabrique d'armement !" " (Discours secrets, p. 169). Silence sur tout cela, mais un avertissement, dans cette même note 48, p. 211, à propos des Discours secrets : " Cet ouvrage est à utiliser avec précaution et surtout sa traduction en français. " Pourquoi cette précaution ? Nous le savons déjà, en lisant le discours de Posen, le lecteur risquerait d'apprendre, à la page précédente, que Himmler avait donné l'ordre de tuer (umbringen) les hommes, les femmes et les enfants du peuple juif. Assurément, dans cette guerre-là, Himmler n'a pas été vaincu.
S'il n'y a pas, au sens scientifique du terme, de " débat " sur l'existence des chambres à gaz, c'est un fait que MM. les " révisionnistes " prétendent que ce débat existe, ou plutôt qu'il n'existe pas, puisqu'ils sont convaincus que - toute réserve étant faite sur l'activité d'un ou deux SS fous - rien de tel n'a existé. Mais la chambre à gaz n'existe pas en elle-même et pour elle- même, elle existe comme terme d'un processus de sélection qui, à l'entrée du camp ou dans le camp, séparait sommairement hommes et femmes que les médecins SS estimaient aptes au travail et les autres.
On connaît ce processus à la fois par les documents administratifs nazis et par le récit des déportés. Voici, par exemple, un télégramme adressé d'Auschwitz à l'administration économique centrale des camps à Oranienburg, le 8 mars 1943. Le document énumère divers convois ; ainsi celui-ci : " Transport de Breslau, arrivé le 5.3.43. Total : 1 405 Juifs. Mis au travail 406 hommes (usines Buna) et 190 femmes. Ont été soumis au traitement spécial (sonderbehandelt wurden) 125 hommes et 684 femmes et enfants [86]. " L'addition est exacte. Osera-t-on dire que ces personnes ont été conduites dans un camp de repos ?
Côtés déportés, le récit a été mille fois fait et il est pratiquement identique chez tous les témoins [87], ce qui, hélas, ne signifie pas qu'ils se soient recopiés les uns les autres. Le témoignage de celui qui était alors un jeune chimiste italien, Primo Levi, est particulièrement nu. Il partit le 22 février 1944 dans un train contenant 650 déportés. A l'arrivée à Auschwitz, une dizaine de SS, " l'air indifférent, interrogeaient les débarqués. "Quel âge ? En bonne santé? Malade?" et indiquaient deux directions. En moins de dix minutes nous, les hommes valides, nous fûmes regroupés. Ce qui arriva aux autres, aux femmes, aux enfants, aux vieillards, nous ne pûmes alors l'établir ni dans l'immédiat ni après : la nuit les engloutit purement et simplement. " Parfois, ajoute Primo Levi qui devait vite apprendre, les choses étaient encore plus simples : ceux qui descendaient d'un côté de la voie étaient enregistrés, " les autres allaient à la chambre à gaz [88]. " Ainsi fonctionnait la rationalité SS. Auschwitz était, on nous le répète sur tous les tons (Butz, Faurisson, Thion), un grand centre industriel, spécialisé dans la production de caoutchouc synthétique. Mais personne ne nous a jamais expliqué pourquoi des bébés devaient parvenir jusque-là, et personne ne nous a jamais dit ce que devenaient ces bébés. L'incapacité absolue où se trouvent les " révisionnistes " de nous dire où allaient ceux qui n'étaient pas enregistrés dans le camp et dont le nom figure cependant sur les listes des convois est la preuve du caractère mensonger de leurs affirmations [89]. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé. Th. Christophersen, le témoin des révisionnistes, écrit tout uniment : " Lors de l'appel on demandait aux détenus s'ils étaient disposés à accomplir ce travail [en l'espèce, les plantations d'un pissenlit à caoutchouc] et s'ils avaient déjà fait quelque chose de semblable ; presque toujours les volontaires étaient trop nombreux. Alors on les sélectionnait ; cette sélection a été, plus tard, complètement déformée. Il était naturel de vouloir occuper les détenus et ceux-ci ne demandaient pas mieux. La sélection n'avait d'autre but que de les utiliser selon leurs goûts, leurs capacités et leur état de santé " (Mensonge d'Auschwitz, p. 22). A. R. Butz, si habile pourtant, glisse et se contente à peu près de noter que " les activités industrielles et autres demandaient que l'on procédât à des sélections pour des buts variés " (The Hoax, p. 111). Son argument à peu près unique contre l'interprétation usuelle est qu'il y avait de grands malades juifs à l'hôpital. C'est une fois de plus chercher une rationalité largement imaginaire.
Toute la question est de savoir ce qui se passait lors de la " sélection " à l'entrée du camp ou, plus tard, lors des opérations qui visaient, selon l'interprétation courante, à séparer ceux dont la force de travail pouvait boucher des trous dans tel ou tel domaine, à Auschwitz, et les autres, qui étaient parfois tous les autres. Pouvait on lors d'une telle " sélection " être l'objet du mauvais choix, et reparaître par la suite ? Rassinier a eu, à Dora, un camarade qui fut sélectionné et qui reparut. Mais il n'y avait pas de chambre à gaz à Dora et cet homme avait été envoyé à Bergen-Belsen, " camp hôpital ", en réalité mouroir, d'où il eut la chance de revenir (Mensonge, p, 170). Faurisson publie triomphalement la photo de Simone Veil censée être gazée et bien vivante. Le mécanisme de cette erreur est extrêmement simple et les indications que donne Faurisson (Vérité..., p. 328) permettent aisément de le reconstituer. Selon l'historienne polonaise Danuta Czech qui s'est attachée à reconstituer pour la série Hefte von Auschwitz le calendrier du camp, le convoi no 71 venu de Drancy (16 avril 1944) fut traité ainsi : 165 hommes furent enregistrés, le reste du convoi fut gazé (Hefte von Auschwitz, 7, 1964, p. 88). Les archives, incomplètes, du camp ne comprenaient plus le nom des femmes ayant été enregistrées. L'erreur a été rectifiée par S.Klarsfeld dans le Mémorial : " Le calendrier d'Auschwitz ne mentionne aucune femme sélectionnée mais cela est inexact, car en 1945 on comptait 70 femmes survivantes de ce convoi. Il y avait également 35 hommes survivants. " On peut aussi, pourtant, faire " bon usage " de la notion de sélection, par exemple à des fins de plaidoirie. On le sait : l'optimiste dit d'un verre qu'il est à moitié plein et le pessimiste qu'il est à moitié vide. On peut aussi choisir de ne voir que l'aspect " positif ", si j'ose dire, de la sélection. C'est le parti auquel se rallia Me Hans Latemser qui fut, à Nuremberg, l'avocat du grand état-major allemand et défendit, à Francfort en 1963-1965, plusieurs inculpés du procès d'Auschwitz. Étant bien entendu, expliqua-t-il, que le but d'Himmler et Hitler était d'anéantir les Juifs, ceux qui " sélectionnaient " des Juifs pour les faire entrer dans le camp faisaient ainsi obstacle à la solution finale " [90].
Telle n'est pas, on s'en doute, l'interprétation de Robert Faurisson. Il a été cependant conduit, spontanément d'abord, puis contraint par les objections dirimantes de G. Wellers, à aborder un autre aspect de la sélection, celui de la séparation entre malades du typhus et bien portants, puisque c'est ainsi qu'il interprète, en définitive, les " actions spéciales " et les sélections [91]. Le texte décisif, en la matière, est un document dont personne n'a contesté l'authenticité (même si Butz, courageux mais pas téméraire, garde à son sujet le silence le plus complet). Du 30 août au 18 novembre 1942, le professeur Dr Johann Paul Kremera servit au camp d'Auschwitz en qualité de médecin SS. Les Anglais l'arrêtèrent en août 1945 et saisirent un journal intime dans lequel il notait les différents événements de sa vie, y compris les " actions spéciales " auxquelles il participait à Auschwitz. Ce journal a été en partie publié [92].
Pour l'interpréter [93], je vais faire appel, par exception, à une règle exégétique posée par R. Faurisson. Celui-ci l'a formulée, à propos de textes littéraires, de plusieurs façons. Voici une des plus anciennes : " Pour ne pas chercher un sens et un seul à ce qu'on dit, qu'il s'agisse de prose ou de poésie, de haute ou de basse littérature, il faudrait de graves raisons qu'on n'a pas encore découvertes [94] " ; et, plus lapidairement : " Il faut chercher la lettre avant de chercher l'esprit. Les textes n'ont qu'un sens ou bien il n'y a pas de sens du tout " (Nouvelles littéraires, 10-17 février 1977 ; Vérité..., p. 54). S'agissant de la poésie, dont Faurisson est, par profession, interprète, ce principe est d'une absurdité palpable : la poésie joue toujours sur la polysémie ; mais cette règle a sa valeur s'il s'agit d'un langage direct du genre : je vais acheter une baguette de pain.
Le Journal de Kremer appartient incontestablement à cette dernière catégorie. Les notations nous renseignent sur la vie personnelle et professionnelle du médecin. Par exemple, le 9 octobre 1942 : " J'ai envoyé à Munster un premier colis contenant 9 livres de savon mou d'une valeur de 200 RM. Temps pluvieux " ; le 21 septembre : " J'ai écrit aujourd'hui à cause d'Otto à la Direction de la Police de Cologne (service de la police judiciaire). Dans la soirée, abats de canard. Le docteur Meyer me fait part de la transmission héréditaire d'un traumatisme (nez) dans la famille de son beau-père. " Beaucoup de ces remarques portent sur la vie du camp, les maladies qui y sévissent, les précautions prises. Par exemple, le 1er septembre, c'est- à-dire le surlendemain de l'arrivée du médecin : " J'ai commandé par écrit, à Berlin, une casquette d'officier SS, un ceinturon et des bretelles. Dans l'après-midi, j'ai assisté à la désinfection d'un bloc pour le débarrasser des poux ou moyen d'un gaz, le Zyklon B. " Dès le jour de son arrivée, Kremer est frappé par l'importance du typhus exanthématique ; il est vacciné dès le lendemain, revacciné le 7 septembre et le 14 du même mois. Le ton ne change pas quand il s'agit de procéder au prélèvement de matériel d'expérience sur des prisonniers ; par exemple, le 3 octobre : " J'ai procédé aujourd'hui à la conservation de matériel vivant provenant de foies et de rates d'hommes ainsi que de pancréas. " Il ne change pas non plus quand Kremer assiste à des peines physiques ou à des exécutions. Ainsi le 9 septembre : " Plus tard, dans la matinée, j'ai assisté en qualité de médecin à l'administration de coups de bâton à 8 détenus et à une exécution par arme de petit calibre. " Même calme les 13 et 17 octobre alors pourtant que les exécutions sont beaucoup plus nombreuses : 7 civils polonais dans le premier cas, 11 victimes dans le second : " J'ai assisté à l'administration d'une peine et à 11 exécutions : bei einem Straffvollzug und 11 Exekutionen zugegen. "
Le ton ne change que dans une seule série de circonstances, pour prendre alors parfois (pas toujours) une allure émotive tout à fait remarquable. Il s'agit de ce que le texte appelle des actions spéciales, Sonderaktionen. Kremer assiste à onze de ces opérations, qu'il numérote et qui ont lieu, parfois, deux fois par jour. Dans sept cas, le 5 septembre (2e action), le 6 et 10 septembre, le 23 septembre (deux actions), le 30 septembre, le 7 octobre, le ton reste banal. Dans les quatre autres cas, qui comprennent la première et la dernière " actions " de la série, ce qui montre que Kremer ne parvient pas tout à fait à s'habituer, Kremer donne des signes d'émotion violente et même d'une certaine épouvante. Le 2 septembre : " J'ai assisté pour la première fois à une action spéciale, à l'extérieur, à 3 heures du matin. En comparaison, l'Enfer de Dante m'apparaît presque comme une comédie. Ce n'est pas pour rien qu'Auschwitz est appelé le camp de l'anéantissement " (Umsonst wird Auschwitz nicht das Lager der Vernichtung genannt) [95]. 5 septembre (1ère action) : " Aujourd'hui, à midi, j'étais présent à une action spéciale à partir du FKL [96] (musulmans) : le comble de l'horreur. Le Hauptscharführer Thilo avait raison de me dire aujourd'hui que nous nous trouvions ici à l'anus mundi. " Le 12 octobre, après avoir noté que, du fait d'une vaccination contre le typhus, il a la fièvre, Kremer ajoute : " Malgré cela, j'ai assisté dans la nuit, encore à une action spéciale sur des gens en provenance de Hollande (1600 personnes). Scènes épouvantables devant le dernier bunker ! C'était la dixième action spéciale. " 18 octobre : " Ce dimanche matin, par temps pluvieux froid, j'ai assisté à la onzième action spéciale (Hollandais). Scènes horribles avec trois femmes qui suppliaient de leur laisser la vie sauve. "
Cette coïncidence entre le langage codé (action spéciale) et le langage émotionnel est tout de même remarquable. Une deuxième remarque doit être faite : Kremer, dans cinq cas sur onze, donne quelques précisions sur les personnes concernées par les " actions spéciales ". Il s'agit dans trois cas, les nos 2, 10 et 11 de Hollandais, dans les deux autres (1 et 9) respectivement de " musulmans ", de " musulmanes " et de personnes venant de l'extérieur (Auswärtige). On ne sortira pas beaucoup du ras du texte en rappelant que, dans l'argot des camps, les " musulmans " étaient des détenus parvenus au dernier degré de la cachexie. Mais peut-être est-ce là contredire trop gravement le " témoin " Th. Christophersen ?
L'interprétation usuelle de ces textes consiste à dire qu'une " action spéciale " correspond précisément à la sélection, sélection pour les arrivants de l'extérieur, sélection aussi pour les détenus épuisés. Les uns comme les autres, quand ils avaient été orientés dans la " mauvaise " direction, prenaient le chemin de la chambre à gaz.
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Fin de la deuxième partie. Les notes, indiquées ici entre crochets, forment la quatrième partie.
première partie I deuxième partie I troisième partie I quatrième partie
EXTRAIT DE Les Assassins de la mémoire Points Seuil, 1995 © La Découverte 1987 , de PierreVidal-Naquet, chevalier de la Légion d'Honneur pour services anti-révisionnistes. Ce texte a été numérisé et affiché sur Internet par des anti-révisionnistes qui bénéficient du serveur de l'IRCAM, financé par les fonds publics. Que ne dirait-on si les révisionnistes s'affichaient sur fonds publics ?? Les journaux seraient pleins de dénonciations. Voir:
Le responsable de ce site est un certain Michel Fingerhut, qui est un ancien officier de l'armée israélienne, et par conséquent, un probable correspondant du Mossad. Comment expliquer que les anti-révisionnistes n'aient pas pu trouver d'autres "sponsors"?
NOTE: Nous avons corrigé au début une trentaine de fautes diverses; ces anti-révisionnistes travaillent comme des cochons. Mais trop c'est trop. A partir de ce moment, nous cessons de corriger; nous n'avons pas non plus verifiéla conformité de ce texte électronique avec le texte imprimé. On sait qu'après sa première version dans Esprit en 1980, ce texte a subi des variations dont nous n'avons pas fait le recensement.
Ce texte a entraîné plusieurs réponses chez les révisionnistes. Voyez Faurisson, passim, Thion, Saletta, Mattogno, pour l'essentiel. Voyez les documents rassemblés dans "Le Tiroir du pauvre Vidal-Naquet".
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