AAARGH
La Thèse de Goldhagen
et la vérité historique. L'Allemagne en procès
(A Nation on Trial -- The Goldhagen
Thesis and Historical Truth) de Norman Finkelstein et Ruth
Bettina Birn. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par [le trotskiste]
Denis Berger, Albin Michel, 176 p., 120 F (18,29 E).
S'il arrive de plus en plus fréquemment que les polémiques entre spécialistes débordent le cadre de la recherche, la controverse provoquée, au milieu des années 90, par la thèse d'un jeune universitaire de Harvard, Daniel Goldhagen, occupe désormais une place à part par la violence des réfutations qu'elle suscite, près de quatre ans après la sortie de ses Bourreaux volontaires de Hifler (" Le Monde des livres " du 17 janvier 1997). Daniel Goldhagen prétendait expliquer les motivations des policiers, soldats et autres "Allemands ordinaires" qui participèrent à la mise à mort des juifs d'Europe pendant la deuxième guerre mondiale par un antisémitisme de type "éliminationniste". Une forme de haine antijuive qui aurait été, selon lui, propre à l'histoire de l'Allemagne et au système de croyance des Allemands de l'époque.
L'ouvrage cosigné par Norman Finkelstein, un professeur de Hunter College et de l'université de New York (NYU), et par une historienne employée par le ministère de la justice du Canada à l'investigation des crimes de guerre, Ruth Birn (leurs contributions d'abord publiées sous forme d'articles sont ici rassemblées en livre), se voulait l'estocade finale portée à l'encontre d'un travail que de nombreux spécialistes ont jugé "mauvais". En réalité, la véhémence de ce recueil n'en fait que le symptôme d'une exacerbation difficile à comprendre à propos d'une hypothèse qui consiste à penser que la judéophobie en Allemagne a bel et bien joué un grand rôle dans la perpétration de la solution finale...
Norman Finkelstein, qui signe la première partie de l'ouvrage n'appartient pas à la catégorie des historiens de la Shoah. L'essentiel de son oeuvre publiée est consacrée au conflit israélo-arabe sur lequel il adopte une position vigoureusement hostile au sionisme ainsi qu'à l'Etat juif. Même quand il réfute Daniel Goldhagen, on sent que l'essentiel se situe pour lui ailleurs, bien loin des massacres des juifs du district de Lublin par le 101e bataillon de la police d'ordre, rendus célèbres par l'étude de l'historien Christopher Browning dans ses Hommes ordinaires (Belles-Lettres, 1994) et contestée par Daniel Goldhagen. Norman Finkelstein demeure fixé sur l'agenda [Note de l'AAARGH : ce texte étant l'oeuvre d'un plumitif du Monde, il doit être retraduit en français; le mot agenda, ici, ne signifie pas « Carnet contenant un feuillet pour chaque jour, sur lequel on note ce qu'on a à faire (> Calendrier). Des agendas. Consulter son agenda. > Carnet, mémento. Agenda de poche. Par ext. Contenu d'un agenda : journal, prescriptions au jour le jour. Tenir un agenda. » (définition du Grand Robert), mais « programme ». ] idéologique d'un radicalisme américain qui a mal supporté la conversion d'une grande partie des intellectuels juifs new yorkais au soutien à Israël, à la fin des années 60.
Du coup, la véhémence de son réquisitoire noie quelques critiques justifiées dans un flot montant d'idéologie parfois fumeuse, le tout dans un style qui frôle souvent la rhétorique du complot. A cet égard, il n'est nullement indifférent que Finkelstein se place sous l'invocation de Noam Chomsky -- celui-là même qui n'hésita pas, il y a une quinzaine d'années, en compagnie d'intellectuels français, à offrir sa caution aux adeptes français du négationnisme. Pour Finkelstein en effet, la guerre de six jours est à l'origine d'un phénomène baptisé par lui "littérature de l'Holocauste", qui viserait en fait à conforter les "thèses sionistes" et à assurer impunité morale et innocence totale à l'état d'lsraël.
Autre effet de contexte: le débat en cours sur la "concurrence des victimes", illustré en France par quelques livres récents -- comme celui du Belge Jean-Michel Chaumont (Le Monde des livres du 10 octobre 1997). Mais cette Thèse de Goldhagen n'apporte guère d'élément à la polémique tant la confusion des épreuves est ici généralisée. Bien entendu toutes les victimes ont individuellement la même dignité et la même valeur. Mais faut-il pour autant, comme Norman Finkelstein, faire à ce point fi des contextes et des rapports de force dans lesquels celles-ci furent tuées ? Doit-on mettre en équivalence, comme lui, le système "Jim Crow" (nom de la politique de ségrégation raciale dans le sud des Etats-Unis), le déversement de napalm au Vietnam, la guerre d'Algérie, la bombe atomique sur Hiroshima et les atrocités nazies ?
Faut-il, dès lors qu'il s'agit de faire détester um peu plus le "Grand Satan" américain et ses alliés du Moyen-Orient, suggérer que les crimes qui parsèment l'histoire américaine sont du même ordre que ceux qui furent commis dans les premières années du IIIe Reich?
On peut parfaitement reprocher à Daniel Goldhagen, au regard de sa thèse, de ne pas entrer plus avant qu'il ne le fait dans la question de la diffusion sociale de cet antisémitisme de l'Allemagne d'avant la Shoah. Mais il est en revanche ridicule d'affirmer que l'historien Raul Hilberg [Note de l'AAARGH : Hilberg n'est pas historien, c'est un diplomé de sciences politiques qui n'a pas lu Montesquieu.], la philosophe Hannah Arendt ou l'historien Arno Mayer sont aujourd'hui confinés "dans l'index des textes interdits par la littérature de l'Holocauste " (ils sont au contraire abondamment lus et commentés). Il est laborieux dans le raisonnement -- et absurde dans la conclusion -- de s'appuyer sur le constat qu'il y a eu, entre 1867 et 1914, douze procès pour crime rituel en Allemagne et en Autriche pour en déduire que le niveau de l'antisémitisme populaire en pays germanique était bas (ne suffisait-il pas que ces procès aient pu être engagés en plein XlXe siècle ?).
Dans la foulée de l'historien Arno Mayer [Note de l'AAARGH : rappelons que Mayer a qualifié l'histoire de la décision de la solution finale à la conférence de Wannsee de « sotte » (silly story).], Norman Finkelstein soutient que "ce ne furent pas les juifs mais le marxisme et la social-démocratie qui tinrent lieu de bouc émissaire de la propagande nazie". Il prétend à cet effet que les juifs n'étaient pas soumis à des persécutions spéciales dans les camps de concentration nazis d'avant 1939 par rapports aux "politiques". Pourtant les souvenirs de Jan Valtin -- Sans patrie ni frontière (Babel) --, qui fut interné comme agent du Komintern par la Gestapo en 1933, contredisent cette assertion. Ce dernier décrit à plusieurs reprises dans les derniers chapitres de son récit autobiographique les raffinements de cruauté déjà meurtrière que les policiers nazis réservaient à ses codétenus juifs. [Note de l'AAARGH : qui a tort, qui a raison ? Pourquoi devrions-nous croire Valtin plutôt que Finkelstein ?]
La contribution de Ruth Birn semble plus sérieuse, dans la mesure où celle-ci, familière des archives de l'Offfice de recherches sur les crimes nazis de Ludwigsburg (Allemagne) [Note de l'AAARGH : fondé et dirigé par le procureur Rueckerl jusqu'à sa mort.] qui rassemble les dossiers de quelque sept mille procès mettant en cause d'anciens criminels nazis depuis la fin des armées 50, était à même de contrôler les sources que Daniel Goldhagen a utilisées. Mais, au terme de sa démonstration, elle n'en échoue pas moins à étayer la contre-thèse de la "brutalisation" qui expliquerait la parficipation des "Allemands ordinaires" au génocide par l'usure morale créée par les conditions de la guerre contre l'URSS, et non par la force du préjugé anfijuif. Ni à expliquer pourquoi, dans les premiers jours de l'été 1941, alors que l'offensive contre les Soviétiques n'avait que quelques heures, les synagogues remplies de juifs étaient déjà en flammes !
Nicolas Weill
*Daniel Goldhagen a répondu à ses détracteurs sur son site Internet. Norman Finkelstein dispose également d'un site. [Il a désormais sa page sur le site aaargh, où l'on trouve notamment la traduction française de son livre L'Industrie de lolocoste, New York et Londres, 2000.]
Commentaire de l'AAARGH
La parution du livre de Goldhagen a soulevé de vifs
remous aux États-Unis. Quand le tumulte s'est apaisé
un peu, on a vu que les lecteurs se regroupaient en deux camps:
la quasi-totalité des historiens et autres universitaires
embringués dans ces études bidon qu'on appelle là-bas
les "Holocaust studies" ont jugé que Goldhagen
était un maniaque qui expliquait tout par une seule cause,
et et que c'était le signe le plus sûr d'une incapacité
à comprendre la réalité.
Dans l'autre camp, beaucoup plus fourni, on trouvait les chefs
des associations juives, dont la fonction essentielle est de récolter
de l'argent en jouant sur les inquiétudes qu'elles suscitent
elles-mêmes, dans les communautés juives locales
des grandes villes américaines, les muséocrates
juifs, les rabbins et les journalistes pour qui le racisme et
surtout celui des "Allemands" donnent matière
à pisser de la copie sans fin et sans fatigue. [voir notre dossier Racket.]
N. Weill, qui se targue de ses accointances chez les universitaires
semi-éduqués qui règnent sur les universités
israéliennes, cherche parfois à se donner l'image
du type qui sait ce qu'est le métier d'historien. Avec
cette recension, il donne l'ultime preuve que lui-même,
et son journal, quand ils sont placés devant le choix:
se ranger du côté des historiens ou celui des histrions
voués au sionisme, penchent absolument du côté
des histrions. On ne peut pas sérieusement défendre
un type aussi nul et arrogant qure Goldhagen
et son livre grotesque. Et nous apprécions le coup de pied
de l'âne donné en passant à Chomsky: il ne se passe pas de jour sans
qu'il soit vilipendé, ici ou là, dans la presse,
par ceux qui revendiquant leur solidarité avec les assassins
qui règnent en Israël. Tout cela est très juste.
[cf notre dossier Chomsky]
Enfin, l'AAARGH rappelle qu'elle a affiché les textes
de Finkelstein et R. Birn en anglais, depuis plus d'un an.)
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Le Monde, 3 septembre 1999.
Ce texte a été affiché sur Internet à des fins purement éducatives, pour encourager la recherche, sur une base non-commerciale et pour une utilisation mesurée par le Secrétariat international de l'Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre et d'Holocauste (AAARGH). L'adresse électronique du Secrétariat est <[email protected]>. L'adresse postale est: PO Box 81475, Chicago, IL 60681-0475, USA.
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