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Nuremberg II ou les Faux Monnayeurs

Maurice Bardèche

 

CHAPITRE PREMIER

LA PRESSE



Nous ne savons jamais rien. Les nations qui vieillissent vivent comme les vieillards. Le mobilier ne change pas autour d'elles, ni les tentures, et elles croient que le bruit qu'on entend vaguement monter de la rue est encore le roulement des fiacres. Des nations vivent ainsi pendant des années dans l'illusion de leurs splendeurs. Nous, nous avons arrêté le cours du temps en 1945. Nous soupçonnons bien que les saisons ont un peu changé, mais nous refusons d'en tenir compte. Nous vivons obstinément dans un paysage moral qui est déjà un paysage moral du passé. Il y a des arrière-pensées dans tout cela. Nous nous enfermons à dessein dans le château de la Belle-au-Bois-Dormant: c'est le seul moyen de maintenir les condamnations qu'on a besoin de maintenir et de garder les places qu'on a envie de garder. Quel beau rêve pour un majordome d'endormir les autres dans le rôle de marmiton! Il faut pourtant ouvrir les fenêtres. Voici ce qui se passe pendant que nous dormons.
Notre presse actuelle, si injustement enveloppée d'un mépris universel, obtient pourtant un résultat: grâce à elle, un lecteur français cultivé est à peu près aussi renseigné sur ce qui se passe à l'étranger qu'un lecteur de la Pravda ou des Isvetzia. Des esprits indulgents pensent que nos journalistes sont paresseux et ignorants. Je ne les contredirai pas. Il est d'autant plus nécessaire qu'on me donne la permission d'exposer les opinions de quelques personnalités éminentes appartenant à tous les pays et à tous les partis sur la question, si importante pour nous, de la «culpabilité allemande».
Commençons par les journalistes: car, dans quelques pays, les opinions sont encore libres, phénomène surprenant.
Naturellement, au commencement, le verdict de Nuremberg fut approuvé par un certain nombre de journaux: par les journaux communistes, qui trouvaient qu'on aurait pu pendre davantage, par les journaux crypto-communistes, par les journaux socialistes qui aiment beaucoup qu'on mette en prison, et enfin par cette intéressante partie de la presse qui a pour tâche, dans tous les pays du monde, de persuader les lecteurs que les institutions dont ils jouissent sont les meilleures institutions possibles et les hommes en place les hommes les plus intègres, les plus perspicaces et les plus généreux de la population. Toutefois, dès l'origine, quelques citoyens moins résolument optimistes firent entendre une voix discordante.
Je passe sur les précurseurs, bien qu'avec regrets: car on désespérerait sans doute moins de l'espèce humaine si l'on avait la preuve qu'il y eut quelques sages pour garder encore, au milieu du combat, le souci de la justice et de l'objectivité. Il y en eut. Mais je ne fais pas ici une enquête sur les titres de noblesse de l'esprit humain. Je laisse aux historiens le plaisir de cette découverte. Je n'ai pas d'autre ambition ici que de montrer que le verdict de Nuremberg, aussitôt qu'il fut connu, fut dénoncé dans toutes les langues du monde par des hommes que leur nom et leurs fonctions rendaient inattaquables, et souvent dans des termes fort violents.
La documentation que j'ai pu réunir est lacunaire, et je m'en excuse: elle est la documentation qu'on peut rassembler à titre personnel, quand on n'a à sa disposition ni secrétariat, ni organisation, ni moyens financiers. Telle qu'elle est, et précisément parce qu'elle est due au hasard, pour ainsi dire, elle n'en est que plus troublante. Je l'ai élaguée, en outre, pour ne pas alourdir inutilement ce livre. Je veux prouver seulement que, dans tous les pays du monde, des hommes fort estimables disent depuis quatre ans sur le procès de Nuremberg ce qu'on n'avait pas le droit de dire l'an dernier dans notre pays.
Voici d'abord quelques lettres publiques envoyées au Times pendant le déroulement du procès. Elles émanent de personnalités universitaires, littéraires et politiques. On en trouve deux du professeur Gilbert Murray, de l'Université d'Oxford, le plus connu des hellénistes anglais; une autre du Dr. C.K.Allen, doyen de Rhodes House, de l'Université d'Oxford également; une autre du critique militaire Liddell Hart; une de l'éditeur Victor Gollancz; une d'un député aux Communes, R.R. Stokes.
La première lettre du professeur Gilbert Murray, datée du 26 avril 1946, s'exprime ainsi:

Avec tout le respect dû au professeur Goodhart (c'était un des interlocuteurs précédents de cette correspondance), il reste à savoir si l'on peut dire que les accusés de Nuremberg ont un loyal et honnête procès (a fair trial) parce qu'ils ont eu la permission de faire des proclamations nazies ou de se lancer sur ce même sujet dans des disputes bruyantes avec quelques-uns de leurs adversaires. La plus grave question et qui va le plus loin est de se demander si un procès devant un tribunal militaire improvisé quant à sa formation, sa procédure et sa juridiction sur des accusations dont, pour quelques-unes, on n'a jamais entendu parler jusqu'à maintenant dans aucune loi nationale ou internationale est un véritable procès, dans tous les sens que les Anglais ont toujours donné à ce mot, excepté dans les époques de procès pour trahison politique. Nuremberg est seulement un des nombreux «honnêtes» procès (fair trials ) qui sont actuellement menés à travers toute l'Europe, en se basant sur les principes de la «justice naturelle». Il y en aura d'autres par exemple «l'honnête procès» du général Mihaïlovitch sera bientôt ajouté à la liste. En vérité, on ne risque rien de prédire que chaque guerre de l'avenir aura une longue et sanglante séquelle d'«honnêtes procès» des ennemis vaincus.

Huit jours plus tard, le 2 mai 1946, revenant sur le même sujet, le professeur Gilbert Murray, écrit:

Comment peut-il être juste, ou pour les générations futures seulement sembler juste, qu'après une guerre les vainqueurs, parce qu'ils sont vainqueurs, s'arrogent le droit de juger les crimes des vaincus, et simplement parce qu'ils sont victorieux échappent eux-mêmes à tout jugement? Avons-nous le droit d'affirmer qu'aucun crime de guerre n'a été commis par aucun membre des armées anglaise, américaine ou russe?

De très nombreuses réponses furent envoyées au professeur Murray et pendant plusieurs semaines la rubrique si importante des correspondances du Times fut consacrée presque uniquement à ce débat. Le professeur C.K.Allen, déjà cité, constatait de son côté:

J'ai reçu un grand nombre de lettres de toutes sortes de gens, qui me convainquent qu'il y a un grand malaise dans l'esprit public au sujet de toute cette procédure et un profond instinct que c'est un très dangereux précédent.

A la même époque, et sur le même débat, une revue religieuse dirigée par le pasteur Ferrie, The Monthly Paper of the Presbyterian Church, qui avait déjà pris position en 1944 contre la pratique de l'area bombing, résumait ainsi la position qui paraît avoir été celle de nombreux Anglais:

Nous avons dit dans ce journal il y a déjà bien longtemps qu'il nous paraissait impossible de concevoir que la légalité fût respectée à moins que: 1·le tribunal chargé de juger les hommes accusés d'être responsables de la guerre fût composé de neutres, et que 2·ce tribunal fût habilité à accueillir les accusations dirigées contre les Américains, les Anglais et les Russes au même titre que les accusations dirigées contre les Allemands. Aucune de ces conditions n'a été remplie A supposer que le complot en vue de provoquer la guerre et la déclaration même de la guerre soient des crimes pour lesquels il n'y ait pas d'autres accusés que les Allemands, il est encore plus difficile d'admettre que les Allemands seuls se soient rendus coupables de violations des lois et des coutumes de la guerre et de crimes contre l'humanité.

Cette discussion se prolongea, nous l'avons dit, pendant plusieurs mois. Parfois, à mesure que les débats se développaient, un incident, un grief, provoquaient des protestations particulières. Voici en quels termes le pasteur Ferrie, déjà nommé, opposait Keitel et Churchill:

A moins que nous ne pensions que la justice n'existe que pour un seul camp, prenons la peine de rapprocher les deux citations de notre presse qui suivent: 1·«Le maréchal Keitel a été mis sur la sellette pour avoir promulgué un ordre disant que tous les membres des commandos alliés, même en uniformes, et avec ou sans armes, devaient être tués jusqu'au dernier, même en cas de reddition»; et 2·«M.Churchill (aux Communes): Cette action a constitué la rencontre la plus importante sur terre avec les forces japonaises et elle s'est terminée par le massacre de 50.000 à 60.000 Japonais auquel il faut ajouter la capture de quelques centaines de prisonniers». (Rires de 1'assemblée).

Quelques mois plus tard, de même, une protestation collective accueillait dans le Times le grief articulé contre von Rundstedt d'avoir remis au plus proche bureau de la Gestapo les parachutistes capturés autrement qu'en combat régulier.

Imaginez la situation renversée, imaginez que la guerre ait eu lieu dans cette île. Imaginez de plus que des saboteurs allemands aient été lâchés en parachute sur des villages anglais. La tâche de notre propre police de la sécurité était de s'occuper des tentatives ennemies de sabotage, espionnage et propagande. Si le commandant en chef anglais avait donné l'ordre que de tels parachutistes, si l'on en découvrait, fussent livrés au service spécial, c'est-à-dire au M.I.5 ou à n'importe quel autre corps spécial qui aurait pu être créé pour la sécurité du territoire, cet ordre en lui-même aurait-il pu être considéré comme un crime?

Cette lettre est signée par Liddell Hart, Victor Gollancz, Gilbert Murray et R.R. Stokes. Elle n'est pas unique, il y en a un certain nombre d'autres. Mais ce n'est pas le type de lettre le plus fréquent. En général, c'est le principe même du Tribunal de Nuremberg qui est discuté et presque toujours dans les mêmes termes. Je me bornerai sur ce point à deux citations, car toutes se ressemblent. A deux ans de distance, deux pasteurs se prononcent presque identiquement. En 1944, un an et demi avant la fin des hostilités, alors qu'on se bornait à proposer l'idée du Tribunal de Nuremberg, notre pasteur Ferrie écrivait déjà:

Nous n'avons pas de tribunal revêtu de pouvoirs légaux pour faire passer en justice les hommes coupables de crimes contre l'humanité en temps de guerre, excepté nos cours martiales Or, dans nos propres tribunaux, un juré est exclu si l'on considère qu'il peut avoir quelque grief personnel contre l'accusé. Par conséquent, il semble nécessaire que ce tribunal spécial soit composé de juges pris parmi les neutres Une autre considération, non moins facile à émettre, est qu'un tel tribunal devrait avoir le droit de retenir toute charge qui pourrait être dirigée contre des Russes, des Américains ou des Anglais

Et plus tard, un de ses collègues, mettant un point final aux discussions du Times, remerciait ainsi la direction du journal:

Monsieur, puis-je vous exprimer mes remerciements et ma satisfaction pour la publication ce matin de la lettre signée par le professeur Gilbert Murray et autres? La lettre exprime ce que beaucoup d'entre nous sentent. «Il est indécent pour des vainqueurs de traduire en justice les vaincus, quoi qu'ils aient pu avoir fait, plusieurs années après la cessation des hostilités et après des années d'emprisonnement sans procès.» Il semble à ceux qui sentent ces choses ainsi que moi, que c'est, en plein XX e siècle, un brusque retour en arrière aux vieux âges barbares. Les règles de conduite que dictent la morale et l'humanité sont outragées par tous ceux qui participent à une guerre. Il n'est aucune des Puissances belligérantes qui puisse plaider «non coupable» mais chaque dimanche matin, à l'église, répétons dans nos prières: «Pardonnez-nous nos péchés comme nous pardonnons à ceux qui ont péché contre nous».

Telles sont les réactions des lecteurs, des réactions d'hommes cultivés en Angleterre, réactions non sans importance, le nom des signataires en fait foi, réactions non isolées, car un journal comme le Times n'ouvre pas une discussion dans sa correspondance des lecteurs s'il n'a pas le sentiment que cette discussion correspond à une préoccupation du public.
Aux Etats-Unis, la réaction n'est pas moins prompte. Elle est même plus officielle, plus considérable, plus orchestrée qu'en Angleterre. C'est un non moindre personnage que le sénateur Taft qui en donna le signal. Le sénateur Taft est le fils d'un ancien président des Etats-Unis qui fut ensuite juge à la Cour Suprême. Il a été lui-même récemment l'un des candidats du parti républicain pour la présidence. Son influence est importante et ses interventions sont mesurées comme celles de tout membre influent de l'opposition. Se conformant à ce qui semble être depuis quelques années une tradition des Etats-Unis, c'est à l'occasion d'une cérémonie organisée par une Université de l'Ohio qu'il fit les déclarations suivantes, dont le retentissement fut considérable:

Je crois que la plupart des Américains se montrent inquiets en présence des procès de guerre qui viennent de se terminer en Allemagne et qui continuent au Japon. Ils violent le principe fondamental de la loi américaine qui veut qu'un individu ne puisse être jugé selon un statut mis en vigueur après les faits incriminés. Le procès des vaincus par les vainqueurs ne saurait être impartial, quelle que soit la manière dont les formes de la justice sont camouflées. Sur ces jugements plane l'esprit de vengeance et vengeance est rarement justice. La pendaison de ces onze condamnés allemands sera dans les annales américaines une tache que nous regretterons longtemps. Dans ces procès nous avons fait nôtre l'idée russe de l'objet de ces procès intérêt politique et non justice ayant peu de rapport avec notre héritage anglo-saxon. En revêtant cet intérêt politique du manteau de la procédure légale, nous courons le risque de discréditer, pour bien des années, toute idée de justice en Europe. En dernière analyse, même à la fin d'une guerre terrible, nous serions en droit d'envisager l'avenir avec plus de confiance, si nos ennemis pensaient que nous les avons traités selon le concept de la justice propre aux peuples de langue anglaise, avec leurs méthodes d'entr'aide et d'après leur manière de fixer définitivement les limites territoriales. Je demande instamment que l'on ne répète pas cette procédure au Japon; sur le terrain de la vengeance elle serait moins justifiée qu'elle ne le fût en Allemagne.
Notre attitude dans le monde entier, pendant toute une année, après le jour de la victoire, y compris l'usage de la bombe atomique à Hiroshima et Nagasaki, m'apparaît comme un abandon des principes de justice et d'humanité qui ont toujours fait respecter l'Amérique sur terre et sur mer avant cette seconde guerre mondiale. Mais au-delà des mers, comme chez nous, nous avons un long chemin à parcourir avant de rendre en entier au peuple américain son héritage de croyance innée dans l'équité, l'impartialité et la justice Selon moi, les peuples de langue anglaise ont une grande responsabilité; ils devront notamment ramener dans la conscience humaine le culte d'une justice basée sur la loi et égale pour tous.

Bien entendu, un homme comme le sénateur Taft n'est pas un isolé. De nombreux journaux républicains firent écho au discours de Kenyon College. L'un d'entre eux, tout au moins, est connu du public français, c'est la Chicago Tribune du sénateur Mac Carthy. Les appréciations du sénateur Mac Carthy, lors d'un récent voyage en Europe, sur notre pays et sur la mentalité de notre personnel politique, ont tellement surpris Le Monde que ce journal n'a pas hésité à le faire passer pour un hurluberlu et un original sans consistance. Pourtant, le sénateur Mac Carthy s'adresse chaque jour à plusieurs millions d'Américains. Et les nombreux éditoriaux qu'il a consacrés au procès de Nuremberg nous permettent d'entrevoir que l'initiative des gouvernements victorieux a troublé profondément une partie du public américain. Pour bien des raisons, il n'est pas possible de donner une analyse ou des extraits étendus de tous ces articles. On y retrouverait d'ailleurs la plupart des raisons que nous allons voir présenter par la suite dans des ouvrages plus complets et plus ordonnés. Mais quelques citations permettront de juger du ton avec lequel ces matières sont traitées dans la presse républicaine. Ce ne sont pas les principes seulement qui sont en cause, c'est la légitimité même du Tribunal, c'est son président, c'est la conduite des débats.
Pour la Chicago Tribune:

Le statut au nom duquel les accusés sont jugés est une invention propre à Jackson et contraire au droit international tel qu'il est défini dans la seconde Convention de La Haye. En inventant un tel statut, Jackson, par là-même, instaure une légalisation du lynchage. (Editorial du 10 juin 1946.)

Quelques mois plus tard, même affirmation, toujours aussi nette:

La loi internationale sur laquelle le Tribunal s'appuyait n'est pas autre chose qu'une création du juge Jackson au moment où il jouait son rôle de chef du Ministère public au premier procès de Nuremberg. Pendre des hommes pour avoir violé cette prétendue «loi» est, en réalité, un acte qu'il est impossible de distinguer de l'assassinat. (Editorial de 1947.)

Au fond, c'est le juge Jackson la Chicago Tribune lui donne même une autre qualification que celle de juge qui est responsable de tout, aussi bien de la malhonnêteté du statut que de la malhonnêteté des débats:

Jackson, dit la Chicago Tribune, a déclaré qu'autant que possible toutes les pièces se rapportant aux faits seraient lues en séance. Le Ministère public, malheureusement, n'a pas tenu sa promesse, mais il a fondé son action sur une documentation soigneusement sélectionnée au préalable. Si la documentation prouvait la culpabilité allemande, elle était recevable. Si elle prouvait la culpabilité russe ou anglaise, ou l'activité assez louche de Roosevelt pour engager son pays dans une guerre dont il ne voulait pas, elle était rejetée. (14 juin 1946.)

On pourrait citer ainsi à l'infini. Le ton est toujours aussi vif, la polémique toujours implacable. Pour une partie de l'opinion américaine, Roosevelt est un criminel de guerre et on ne se gêne pas pour l'affirmer bien haut. Retenons-en surtout que la terreur avec laquelle de tels sujets sont abordés dans notre pays illustre surtout la servilité et la timidité de notre presse politique.
Au Canada, le plus grand quotidien de langue française, Le Devoir, de Montréal, condamne le procès de Nuremberg, en termes peut-être moins violents que la Chicago Tribune mais aussi sévères au fond. Voici les affirmations catégoriques qu'on trouve dans les éditoriaux de son rédacteur en chef, M.Paul Sauriol, en octobre 1946:

Les historiens considéreront avec étonnement ce grand procès qui posait des précédents si redoutables en matière de droit international. En vertu du jugement de Nuremberg, il est entendu que les vainqueurs ont le droit de juger et de condamner les vaincus; de les juger et condamner en vertu de «lois» rétroactives promulguées après leur défaite; les vainqueurs peuvent se constituer à la fois les accusateurs et les juges; ils peuvent aussi juger les seuls actes des vaincus, sans tenir compte du tout des actes analogues commis par les vainqueurs; enfin, le fait d'avoir préparé une guerre d'agression sera un crime pour les vaincus, car ce sont les vainqueurs qui diront de quel côté aura été l'agression. (Editorial du 12 avril 1948, au moment de la publication du procès de Nuremberg.)

Le jugement dit que la preuve est accablante quant aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité, qu'elle révèle un règne systématique de violence, de brutalité et de terreur. Mais cela aurait dû relever d'accusations individuelles pour des crimes de droit commun. Il aurait subsisté pourtant une grande difficulté, c'est que ces accusés auraient été jugés par les vainqueurs, et que seuls les vaincus auraient été ainsi traduits devant des tribunaux pour leurs crimes, alors que des crimes du même genre ont aussi été commis par les Alliés. Il semble bien que les troupes soviétiques ont encore dépassé les Allemands en atrocités. Agir ainsi, même dans le seul domaine des crimes de droit commun, c'est faire de la justice une servante de la victoire et lui donner un rôle unilatéral.
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La quadruple accusation soutenue à Nuremberg mêle des choses fort disparates au point de vue culpabilité. Ainsi le premier chef d'accusation comprend l'établissement du parti et de la dictature nazistes, ce qui comportait des actes répréhensibles, mais pas plus que le parti et la dictature communistes des Soviets et de leurs satellites
Ce chef d'accusation soulève tout le problème des causes de la guerre, et ce n'est pas un tribunal militaire formé des seuls vainqueurs qui peut trancher le débat
Tandis que les vingt-deux accusés étaient tous accusés sous le premier chef, seize d'entre eux étaient accusés sous le deuxième chef, les crimes contre la paix. Il s'agit là de la préparation de la guerre d'agression et de la violation de traités et accords internationaux. Douze de ces accusés ont été trouvés coupables. La guerre moderne totale exige des préparatifs poussés, et, avec le précédent posé à Nuremberg, il sera facile aux vainqueurs de l'avenir de condamner les chefs vaincus, en invoquant par exemple les programmes d'armement, les plans que préparent d'office tous les états-majors du monde, les recherches ou expériences sur les armes atomiques et autres armes secrètes.
Les troisième et quatrième chefs d'accusation visent les atrocités de toutes sortes, commises soit sous prétexte de nécessité militaire, ou en fonction de programmes d'extermination comme dans le cas des Juifs, ou comme représailles Là encore, des actes fort divers sont groupés. A côté d'atrocités claires et indéfendables, on reproche à ces accusés des exécutions sommaires qui ne violaient probablement pas toutes les coutumes de la guerre, et, avec des cas d'indiscutable torture, des faits qui pouvaient être inévitables comme l'emprisonnement de civils sans procès. Ces distinctions peuvent avoir leur importance, car le Tribunal dit à propos de Keitel et de Jodl que leur défense repose sur la doctrine des "ordres supérieurs", interdite par l'article 8 de la charte du Tribunal comme moyen de défense.
La Cour ajoute que cette excuse ne peut pas atténuer «des crimes aussi révoltants et étendus que ceux qui ont été commis consciemment, brutalement et sans excuse ou justification militaire». Mais, l'acte d'accusation aurait eu plus de force s'il n'avait porté que sur des actes indiscutablement condamnables.
Mais il faudrait encore que le tribunal fût compétent. Or comment peut-il l'être? La même difficulté surgit que pour l'interdiction de la guerre. De même que, sans un arbitrage international réel, il est impossible d'interdire validement la guerre, de même sans l'existence d'une autorité judiciaire internationale reconnue, il est impossible de juger des crimes commis sur le plan international.
Des juristes neutres se récuseraient probablement, pour ne pas risquer d'attirer des représailles futures à leurs pays. Ou, au moins, ils devraient exiger que la justice atteigne tout le monde, tous les criminels, chez les vainqueurs comme chez les vaincus, ce qui serait évidemment impossible, en l'absence d'une véritable autorité supra-nationale.
Mais un tribunal constitué par les vainqueurs est radicalement inadmissible. Car il faut bien admettre que ces juges représentent des chefs et des peuples auxquels on peut reprocher quelques-uns des mêmes crimes.
Le problème grandit pour les deux premiers chefs d'accusation, car les vainqueurs se font juges des vaincus, et prétendent condamner jusqu'à la politique nationale allemande qui a préparé la guerre; or les vaincus ont affirmé qu'ils entendaient se défendre contre un encerclement politique et économique qu'ils considéraient comme une autre forme d'agression. Les vainqueurs se trouvent ainsi amenés à rendre jugement dans leur propre cause, et ont intérêt à condamner les vaincus pour disculper leurs propres pays.
Le chapitre des crimes contre la paix présente autant de difficultés que celui de la conspiration pour livrer la guerre d'agression. Sur la violation des traités et sur les méthodes de la guerre totale, des juristes allemands ou japonais pourraient préparer un dossier accablant contre les chefs alliés.
Quant aux méthodes de guerre, la blitzkrieg et les bombes volantes restent bien loin en arrière des bombardements alliés de Dresde, de Berlin, de Hambourg. A Dresde, en une nuit, les bombardements alliés ont fait périr 300.000 personnes, des civils, dont un grand nombre étaient des fugitifs fuyant devant l'armée rouge. Ce bombardement systématique d'une population civile s'est produit alors que les Alliés étaient assurés de gagner la guerre, que l'armée allemande se repliait presque en déroute, et que le Reich ne résistait plus que parce qu'on lui refusait l'armistice. Et, toujours, sous le deuxième chef d'accusation, que peut-on reprocher aux chefs de l'Axe de plus criminel, de plus clairement contraire aux traités et au droit de la guerre que les bombardements atomiques de Hiroshima et de Nagasaki?
Les condamnés de Nuremberg sont peu sympathiques, et leur sort a bien peu d'importance auprès des principes en jeu dans ce procès. Car le jugement prononcé aujourd'hui pose un précédent grave. Sous prétexte de justice, les Alliés ont reporté les m_urs internationales à ce qu'elles étaient avant la civilisation chrétienne. S'il survient une troisième guerre mondiale, les chefs des belligérants pourront s'attendre, en cas de défaite, à subir le sort des vaincus de l'Antiquité. (Editorial du l er octobre 1946, au moment de la publication de l'acte d'accusation.)

Quelques jours plus tard, le même éditorialiste fait écho au discours du sénateur Taft, mais c'est pour se montrer plus précis et plus frappant:

Le sénateur Robert-A. Taft, de l'Ohio, aspirant à la candidature républicaine présidentielle pour 1948, a dénoncé samedi les verdicts prononcés à Nuremberg, disant que ces condamnations «violent le principe fondamental du droit américain», qu'un homme ne peut pas être jugé en vertu d'une loi adoptée après que l'acte incriminé a été commis. M.Taft s'est borné à invoquer le plus flagrant grief que l'on puisse formuler à l'adresse du Tribunal de Nuremberg: la rétroactivité de la «loi» promulguée par les vainqueurs que la guerre est un crime.
Il aurait pu invoquer plusieurs autres principes de droit aussi formels: que l'accusateur ne doit pas cumuler les fonctions de juge, que les chefs politiques jouissent d'une immunité personnelle pour leurs actes politiques officiels, que les chefs militaires jouissent d'une immunité personnelle analogue pour l'exécution des ordres militaires de leur gouvernement. Ces principes respectés, il ne resterait que les crimes de droit commun, et la plus élémentaire décence exigerait encore que les accusateurs et les juges ne soient pas solidaires eux-mêmes de crimes semblables. M.Taft a affaibli sa courageuse protestation en admettant de façon assez illogique que le tribunal allié aurait dû se contenter de condamner les «coupables» à l'emprisonnement à perpétuité
D'autres voix discutent le jugement de Nuremberg, mais en sens contraire. Aux Etats-Unis, des journaux commentent de façon approbative les paroles du sénateur Taft. La Chicago Tribune écrit que ce procès a été une farce depuis le début et qu'il est absurde de voir des juges représentant Staline juger des Allemands accusés d'avoir livré une guerre d'agression, alors que Staline lui-même a conspiré avec Hitler pour livrer une guerre d'agression contre la Pologne. Le journal conclut que le monde «ne peut pas respecter le verdict du Tribunal de Nuremberg, parce que ce tribunal n'est pas mieux qu'une cour hitlérienne; sa loi n'est pas meilleure que la loi d'Hitler, et ses méthodes sont celles d'Hitler, Staline et Tito (Editorial du 8 octobre 1946.)

Et il conclut par ces lignes qui peuvent aujourd'hui nous paraître un avertissement prophétique:

M. Dewey Short, républicain du Missouri, membre du Comité des Affaires militaires, a exprimé l'opinion que les procès pour crimes de guerre devraient être limités aux personnes qui ont commis ou ordonné des atrocités; il craint que le procès de Nuremberg n'établisse un précédent dangereux. Il a ajouté que si les Etats-Unis perdent jamais une guerre, le pays ennemi pourrait se servir de ce précédent pour faire un procès au président, à son cabinet et à tous les principaux officiers de l'armée, de la marine et de l'aviation. Ces hommes, a-t-il dit, seraient de grands héros aux yeux de leurs concitoyens, mais ils pourraient être accusés comme criminels de guerre par un pays conquérant.

Tous les hommes dont nous venons de citer l'opinion ont été des ennemis de l'Allemagne. Leurs pays venaient de participer à une guerre impitoyable. Cette guerre leur a coûté plus de pertes, plus d'efforts qu'elle n'en a coûté à notre pays. Or, il est remarquable de constater que, au contraire de nous, qui montrons, tout au moins dans notre presse, une haine inextinguible et hystérique, ceux qui ont conduit cette guerre n'hésitent pas à censurer énergiquement les mesures qu'on a prétendu prendre en leur nom.
Ces protestations qu'a soulevées le procès de Nuremberg, elles sont bien plus violentes encore, elles expriment beaucoup plus exactement l'indignation ou le dégoût d'une âme impartiale et généreuse, quand elles sont exprimées dans des pays qui se sont tenus à l'écart de cette guerre. Pour ceux-là, nous avons un moyen très simple de nous en débarrasser: nous les déclarons pays fascistes, et, à partir de ce moment, leur voix ne compte plus. Nous ne nous sommes pas encore aperçus qu'en acceptant de faire cette discrimination dans le front anticommuniste, nous faisons le jeu de la propagande communiste. C'est, pour ma part, une discrimination que je n'accepte pas: mais les protestations contre le verdict de Nuremberg sont si nombreuses, elles sont si variées que je peux me dispenser de faire paraître ces témoins qu'on a injustement frappés de suspicion. Je me bornerai à deux citations, qui sont présentées ici surtout comme des échantillons, comme des spécimens du ton employé dans certains pays sur la question qui nous occupe.
L'une est signée d'un nom portugais très connu, celui du DrAlfredo Pimenta, membre de l'Académie portugaise, conservateur des Archives nationales, en date du 26 octobre 1946. Je m'excuse de ne donner que des extraits de cette publication. Elle pouvait être lue intégralement à un tribunal, mais si je la reproduisais en entier pour le public, on ne manquerait pas de m'accuser de donner à ce livre un ton provocant que je veux éviter. Je pense que les extraits qu'on va lire donneront cependant au lecteur une idée assez nette de ce qu'un homme libre a le droit d'écrire dans d'autres pays.

Les sentiments les plus divers se débattent en moi: l'indignation, la colère, la révolte, le désespoir, le dégoût, la pitié, la stupéfaction, la tendresse, l'admiration, la haine!
La page la plus noire de l'Histoire du Monde vient d'être tournée. Jusqu'au dernier moment, j'ai eu l'espoir qu'une lueur de conscience jaillirait dans le désert aride qu'est l'âme des bourreaux. Jusqu'au dernier moment, j'espérais que la voix auguste de l'unique Pouvoir spirituel dans le monde s'élèverait, dans la magnifique grandeur de sa nature transcendante, pour prononcer la parole juste, logique, nécessaire.
Rien! Les bourreaux ont retroussé leurs manches, ont fait jouer leurs muscles, ont expérimenté la fidélité diabolique des cordes, et les dix victimes ont monté les degrés de la potence et ont été immolées à la ranc_ur impitoyable de la Victoire des Démocraties.
Et, dans le monde entier, se sont tus ceux qui devaient parler; sont devenus complices tous ceux qui devaient écarter de leur personne tout soupçon de complicité; se sont résignés tous ceux qui, par devoir moral, se devaient de protester. Dans le monde entier on n'entendit que le gémissement des cordes qui se tendaient et l'agonie rapide des martyrs
Et c'est ainsi que fut tournée la page la plus noire parmi les plus noires de l'Histoire de l'humanité
Tous les auteurs ou les complices des actions ténébreuses pratiquées depuis les cirques romains jusqu'aux liquidations purgatives de France et d'Italie, au cours des années terribles de 1945-1946, sont des anges nimbés de diaphanéité céleste si on les compare aux responsables des horreurs de Nuremberg.
Tous ceux-là, les organisateurs des supplices romains, les plèbes fanatiques et révoltées, les tribunaux terroristes, les persécuteurs et les chasseurs d'hommes, en France, en Italie, tous ceux qui dans l'Histoire ont sinistrement marqué leur place et leur nom, d'où sans cesse le sang, comme des mains de Macbeth, dégouttera, tous ont agi sous l'influence de la passion exacerbée, en proie à la fascination qui aveugle et, beaucoup d'entre eux, au péril de leur propre vie.
Mais les fameux juges de Nuremberg, implacablement froids, n'ont pas l'ombre d'une excuse. Ils ont été, pendant des mois et des mois, toujours les mêmes. Chaque jour, pendant des heures, ils ont eu devant eux, inertes, abandonnés, vaincus, vingt hommes qui pouvaient à peine parler, parce qu'on leur fermait la bouche, qui pouvaient à peine se défendre, parce qu'on limitait leur défense, et qui se sentaient, de minute en minute, menacés de succomber sous les calomnies et les infamies dont les vainqueurs les accablaient.
Et ces juges de Nuremberg, qui, avant même de juger, donnaient à ces malheureux le nom de «criminels»; ces juges de Nuremberg qui parlèrent au nom d'un Droit qu'eux-mêmes avaient formulé, ces juges de Nuremberg, stupeur du Monde, de l'Histoire, de la Morale, de la Foi chrétienne, de l'honneur, de la pitié même des bêtes féroces, ont fait hisser, un jour, aux cordes de leurs potences, dix parmi ces vingt hommes, choisis au petit bonheur, au nom d'un Droit qui n'existait pas, au nom de principes que tout le monde ignore, érigés en Droit et en principes seulement parce qu'il plut au vainqueur qu'il en fût ainsi
La mort est toujours la mort; mais il y a toutefois différentes sortes de mort. Suivant les conventions humaines, il y a la mort infamante, qui dégrade, et il y a la mort qui, malgré tout, ennoblit. C'est ainsi que l'on tient pour infamante la mort par pendaison et pour une mort qui n'avilit point, ceux qui ont revêtu un uniforme de soldat, la mort par fusillement. Les juges de Nuremberg ont choisi la mort infamante Croient-ils, parce que le sang n'a pas été versé, que les onze morts, qui sont l'_uvre de leurs mains, seront muettes et stériles?
Pauvres créatures, aussi mesquines d'esprit que pauvres de sentiment! Incapables de comprendre que, au-delà de la Ranc_ur qui anime les sectes dont ils ont été les instruments passifs, mais responsables, il y a un Jugement qui la dépasse, en nature et en projection, les juges de Nuremberg ne se sont pas aperçus que le martyre qu'ils ont fait subir à leurs victimes les a purifiées
Parmi les sentiments variés dans lesquels je me débats en contemplant l'horrible page qui vient d'être écrite, et qui représente la négation la plus foudroyante de l'esprit chrétien, il en est un qui domine tous les autres: le dégoût que je ressens pour mon époque, et en même temps la honte indélébile d'être de cette époque.

La seconde est tout aussi éloquente, bien qu'elle soit plus brève. C'est une simple liste, celle des hommes qui ont été condamnés et exécutés ce jour-là, qui est imprimée tous les ans, in memoriam, en tête du journal d'Afrique du Sud Die Nuwe Orde, à la date anniversaire de l'exécution du jugement de Nuremberg: sur sa première page encadrée de deuil, le journal fait simplement figurer en grosses lettres la liste des suppliciés, avec un hommage à leur mémoire.
Je pourrais citer des dizaines d'exemples analogues. Et le lecteur français apprendrait sans doute avec étonnement qu'il existe dans tous les pays du monde des hommes qui ont protesté avec la même violence contre une voie de fait judiciaire que nous regardons bonnement comme acceptée par une espèce d'unanimité. Mais je ne veux pas faire un étalage de documentation. Et je limiterai ces citations à l'essentiel, c'est-à-dire à ce qu'il est impossible d'ignorer si l'on veut avoir une idée suffisante de ce qui se dit et s'imprime dans tous les pays du monde sur le procès de Nuremberg.

 

CHAPITRE II

LES OFFICIELS



Il ne faut pas s'étonner, dès lors, si des hommes mêlés par leurs fonctions à l'ensemble des procès de Nuremberg ou jouissant dans leurs pays respectifs d'une certaine autorité morale ont cherché peu à peu à se désolidariser de l'esprit de Nuremberg. Naturellement ces mouvements de retraite ont été effectués avec discrétion, et souvent à une époque assez tardive. Mais ils ont été effectués, et c'est là l'essentiel. Nous ne retiendrons que pour mémoire le plus célèbre de tous, celui de Winston Churchill: celui-ci d'ailleurs nous paraît un peu trop inspiré par des préoccupations utilitaires et nous n'aurons pas la naïveté de le ranger parmi les crises de conscience; ce n'est rien d'autre, en réalité, que la prudence d'un personnage qui cherche à nouveau une infanterie. Mais d'autres gestes analogues, plus désintéressés, méritent d'être cités.
Voici d'abord celui d'un haut magistrat américain, le juge Wennerstrum, de la Cour Suprême de l'Etat d'Iowa, qui, nommé au siège du Tribunal international de Nuremberg, quitte son poste au bout de quelques mois en déclarant:

Si j'avais su, il y a sept mois, ce que je sais aujourd'hui, je ne me serais jamais rendu ici. Il est évident que dans aucune guerre le vainqueur ne peut être le meilleur juge des crimes de guerre. Malgré tous vos efforts, il est impossible de persuader les accusés, leurs avocats et leurs concitoyens que le tribunal cherche à incarner l'humanité plutôt que le pays qui a nommé ses membres.

Voici une autre déclaration du même genre, mais enccre plus vive, celle d'un haut magistrat indien, le juge Radhabinode Pal, de la Haute Cour de Calcutta, représentant de l'Inde au Tribunal de Tokio, qui renonça lui aussi à ses fonctions en accompagnant sa lettre de démission d'un véritable réquisitoire contre les procès des «criminels de guerre». Il écrit:

Un soi-disant procès fondé sur des griefs définis actuellement par les vainqueurs efface les siècles de civilisation qui nous séparent de l'exécution sommaire des vaincus. Un procès fondé sur une telle définition de la loi n'est rien d'autre que l'usage déshonorant des formes légales pour la satisfaction d'une soif de vengeance. Il ne correspond à aucun idéal de justice Affirmer qu'il appartient au vainqueur de dire ce qui fut un crime et de le punir à son gré, c'est revenir aux âges où il lui était permis de mettre à feu et à sang le pays qu'il avait conquis, de se saisir de tout ce qu'il contenait et d'en tuer tous les habitants ou de les emmener en esclavage.

Voici maintenant la protestation du Lord-Evêque de Chichester dans une intervention qui eut lieu à la Chambre des Lords le 23 juin 1948, et qui est ainsi rapportée dans le Hansard, vol.156, n·91, contenant la sténographie des débats:

Deux principes fondamentaux de la loi internationale, telle qu'on la comprenait jusqu'à ces dernières années, ont été violés par la structure légale improvisée pour les procès des criminels de guerre à Nuremberg.
En premier lieu, il n'est pas discuté que la loi qui inculpe les accusés est une loi mise en vigueur longtemps après que beaucoup des actes spécifiés dans l'acte d'accusation avaient été commis. Nulla poena sine lege est la base de la loi à cet égard. La Charte entière est une liste détaillée de crimes commis, mais les crimes, tels qu'ils sont exposés dans la Charte quelques-uns d'entre eux pour la première fois sont des crimes exposés et publiés après la fin de la seconde guerre mondiale. Il y eut un exemple frappant de législation rétroactive dans la dénonciation en avril 1942 de l'article 443 du chapitre XIV du Manuel anglais de Législation militaire dont l'effet était que les ordres des supérieurs constituent une bonne défense à une accusation de crimes de guerre
Il y a des principes fondamentaux de la loi internationale qui ont été jusqu'à présent couramment admis et il y a un autre principe de la loi internationale sur lequel je ne pense pas que nous serons en désaccord, à savoir le principe d'impartialité. Je suis sûr que le noble et savant vicomte qui siège sur le Sac de Laine (le chancelier) ne sera pas cette fois d'une opinion contraire. On n'a pas cherché à atteindre les crimes de guerre commis par certaines Puissances totalitaires et, parmi les juges de Nuremberg, il n'y en avait pas qui appartinssent à des pays neutres.

L'Evêque de Chichester concluait en demandant l'arrêt immédiat des procès, une amnistie générale et la revision des sentences prononcées.
J'aurais pu citer d'autres interpellations, plus violentes, choisies parmi celles de R.R. Stokes aux Communes, par exemple, mais j'ai préféré ne mentionner que des témoignages de personnalités officielles. Voici encore une lettre du Dr. Dibelius, évêque de Berlin et du Brandebourg, telle qu'elle est citée par le journal suisse Das Dund, de Berne, dans son numéro du 16 mai 1949:

Comme chrétien, nous refusons absolument de reconnaître comme justes les sentences de Nuremberg. Ces jugements ne sont autre chose qu'une action de représailles qu'un peuple vaincu doit subir contre sa volonté et le droit international y est foulé aux pieds par l'égoïsme brutal des Etats modernes; une nouvelle période des âges barbares a commencé. Il est possible que beaucoup des condamnations de Nuremberg aient été des représailles méritées. Mais, d'autres, par contre, ne peuvent être regardées que comme des actes inhumains qui prouvent un manque d'intelligence. A ce nombre je place en première ligne le jugement prononcé contre votre mari (la lettre est adressée à la Comtesse Schwerin von Krosikg) et ensuite le jugement prononcé contre Weiszacker.

Enfin, voici le plus formel, le plus grave peut-être de ces témoignages: c'est celui de Lord Hankey, qu'on trouve dans son livre Politics, Trials and Errors. Lord Hankey est un des hommes politiques britanniques les plus importants, bien que son nom ne soit pas très connu en France, et surtout l'un des plus mêlés aux secrets des cabinets anglais. De 1912 à 1938, Lord Hankey a été Secrétaire du fameux Comité de Défense de l'Empire, et, en outre, de 1920 à 1941 il a été constamment le Secrétaire du Cabinet. Cette fonction sans équivalent en France en a fait un des hommes les mieux informés de la politique européenne. Ajoutons que, pendant les deux premières années de la guerre, Lord Hankey fut ministre de la Couronne dans le cabinet Churchill, poste qu'il abandonna au moment où il se trouva en désaccord avec la politique de «reddition inconditionnelle» de l'Allemagne, dans laquelle il voit une erreur capitale et d'immense conséquence. Son livre Politics, Trials and Errors, paru en 1949, reprend et développe un certain nombre de ses interventions à la Chambre des Lords à partir de 1926. Voici les appréciations exprimées à la tribune de cette assemblée par ce collaborateur de Churchill et de l'Amirauté sur le verdict de Nuremberg:

A Nuremberg aussi bien qu'à Tokio, ce sont les vainqueurs qui ont fait comparaître et jugé les vaincus. Les deux tribunaux ont été établis par les Puissances victorieuses et ne tenaient leurs pouvoirs que d'elles seules, et la procédure s'appliquait aux vaincus et ne s'appliquait qu'à eux seuls. C'est par les vainqueurs uniquement que furent imaginés la Charte et le Code de la Loi Internationale. Il y avait quelque chose de cynique dans le spectacle de ces juges anglais, français et américains, qui avaient auprès d'eux sur le même banc des collègues qui, quelque irréprochables qu'ils fussent individuellement, n'en représentaient pas moins une nation qui, avant le procès, pendant le procès et après le procès, s'était rendue coupable des mêmes crimes que ceux qu'on prétendait juger. En dépit des arguments spécieux qu'on fait entendre en faveur du verdict de Nuremberg, je ne vois pas comment on peut encore se dissimuler que, sous un frêle simulacre de justice, c'est toujours le même éternel vieux drame qu'on nous a joué, celui qui distingue entre la loi des vainqueurs et la loi des vaincus, l'antique Væ victis Non seulement la Charte ne parle que des crimes commis par les vaincus; mais, en outre, comment voulez-vous que l'ennemi battu ait l'impression qu'on a puni justement des crimes tels que la déportation des civils, le pillage, l'assassinat des prisonniers de guerre, les dévastations sans nécessité militaire, alors qu'il sait très bien que des accusations analogues pourraient être portées contre un ou plusieurs des Alliés, mais ne sont jamais articulées?
Pour comprendre le danger politique d'un tel précédent, imaginez un instant que les pays de l'Est de l'Europe occupent la plus grande partie des pays occidentaux. Voyez-vous comment ils suivraient scrupuleusement le précédent créé à Nuremberg, rédigeant leur propre Charte, définissant et instituant leur propre loi internationale et installant leurs propres tribunaux? L'emploi de la bombe atomique serait déclaré une violation du droit des gens proposition fort soutenable et tous ceux sur lesquels on pourrait mettre la main et qui auraient été mêlés à quelque titre à l'emploi de la bombe atomique seraient jugés et pendus. De même, le Pacte Atlantique a déjà été dénoncé par la Russie et ses satellites comme une violation de la loi internationale: ainsi ceux qui l'ont établi et appuyé, qui ont été mêlés aux plans stratégiques qui découlent de son application, feront aussi bien de ne pas tomber entre les mains des Russes Un autre dangereux précédent est celui qui concerne notre organisation défensive C'est sur la discipline et le loyalisme des exécutants militaires et civils à l'égard des ordres de leurs gouvernements respectifs que repose la sécurité de notre nation ou de tout groupe de nations combattant à ses côtés. Mais ces vertus primitives de loyalisme et de discipline ont été totalement oubliées par les cuistres qui ont rédigé l'article 8 du statut. Ils ont posé en principe que «le fait qu'un accusé a agi conformément à un ordre de son gouvernement ou de ses chefs ne l'empêche pas d'être responsable». Ceci pose pour tout exécutant un dilemme insoluble entre sa conscience et son devoir. Faut-il obéir aux ordres ou faut-il se réfugier à l'abri d'on ne sait quelle loi internationale, celle qui sera instituée finalement non pas par ses compatriotes, non pas forcément non plus d'après la Charte de Nuremberg, mais par le vainqueur qui peut être éventuellement l'ennemi, et un ennemi obéissant à une morale entièrement étrangère à la nôtre? Cet article n'est rien d'autre qu'une prime offerte à la lâcheté et à la dérobade lorsqu'il s'agit d'une exécution correcte des ordres.

Mais Lord Hankey va plus loin encore. Non seulement il attaque le principe du Tribunal de Nuremberg, mais, ce que nous n'avions pas vu faire jusqu'ici, il en discute la documentation et l'honnêteté historique. Ce reproche est d'autant plus grave qu'il se trouve exprimé par un homme qui a parfaitement connu tous les actes de la politique de son propre pays et tous les aspects de la politique internationale. Voici ce qu'il dit à ce propos, toujours dans ses interventions à la Chambre des Lords:

Contrairement à ce qu'on croit généralement, la version historique des faits sur laquelle sont fondés le verdict et les attendus du Tribunal de Nuremberg n'est pas conforme à la vérité (is not accurate).
On nous a sorti tout ce qui accablait Hitler, D_nitz, Keitel, Jodl, R_der, Rosenberg, etc., mais pas une lueur n'a filtré sur ce que mijotait en même temps le Cabinet de Guerre britannique, M.Churchill et l'Amirauté.

Et, ici, Lord Hankey, prenant pour exemple le débarquement allemand en Norvège, défini par le tribunal comme une «agression», pose une question écrite. Il demande au Gouvernement de Sa Majesté si les documents suivants, contenus dans l'ouvrage de Winston Churchill, La Seconde Guerre mondiale, tomeI, ont été communiqués au Tribunal de Nuremberg: 1·La lettre écrite le 19 septembre 1939 par le Premier Lord de l'Amirauté au Premier Lord de la Mer, citée par Churchlll p.421; 2·Le Mémorandum du 29 septembre 1939, adressé par le Premier Lord de l'Amirauté au Cabinet de Guerre, sur la Norvège et la Suède, cité par Churchill p.422; 3·La lettre du même jour écrite par le Premier Lord de l'Amirauté au Chef-Adjoint de l'Etat-Major de la Marine, citée par Churchill p.423 et suiv.; 4·La note du 16 décembre 1939 du Premier Lord de l'Amirauté, sur la route du fer, citée par Churchill, p.430 et suiv. A cette question écrite, le Sous-Secrétariat d'Etat aux Affaires étrangères fit l'éloquente réponse ci-après: Rien n'indique que les quatre documents susdits aient été communiqués au Tribunal de Nuremberg.
Là-dessus, après avoir démontré que le Tribunal de Nuremberg était surpris sur ce point particulier en flagrant délit de falsification, Lord Hankey reprend:

L'affaire de Norvège n'est qu'une des innombrables questions capitales que M.Churchill traite dans son ouvrage Si les attendus du tribunal concernant la campagne de Norvège constituent une falsification historique (is wrong history), la même remarque est malheureusement vraie lorsqu'il s'agit du résumé beaucoup plus important consacré par le tribunal à l'accession au pouvoir d'Hitler et de son parti par lequel commence le verdict en vue d'exposer les préliminaires de la guerre d'agression et des crimes de guerre exposés dans l'acte d'accusation C'est une constatation d'une certaine gravité.
On m'a toujours répondu que cela n'avait aucune importance, puisque tous les accusés avaient été convaincus de crimes de guerre aussi bien que de crimes politiques et que, par conséquent, de toute façon la sentence aurait été la même, quand bien même ils n'auraient pas été déclarés coupables de crimes contre la paix. Cette réponse ne me satisfait nullement, car selon moi il est clair qu'à l'égard de l'Histoire une erreur monumentale a été commise en accusant une nation entière de crimes politiques, sans mentionner aucune des circonstances atténuantes que j'ai indiquées En conclusion, je me range à l'opinion du très éminent évêque. (Il s'agit de l'évêque de Chichester, dont l'intervention a été mentionnée plus haut.) La décision la plus urgente à prendre est de mettre un terme à tous ces procès, et, si nous sommes en désaccord sur ce point avec d'autres nations, de refuser tout au moins d'apporter plus longtemps la coopération britannique à cette opération. Comme je l'ai demandé dès le 18 février 1948 à cette tribune, notre premier acte doit être d'interrompre les procès et les poursuites concernant les crimes de guerre et le second de proclamer une amnistie générale.

[L'ouvrage original de Maurice Bardècle ne comporte pas de chapitre 111.]

 

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