AAARGH
|
Par Marc Fischer, de la rédaction du Washington Post. Édition du 25 juin 1999.
La caméra de Claude Lanzmann s'arrête sur un homme de soixante-trois ans, assis dans un fauteuil imposant, dans un coin. Le visage de l'homme est tendu, sa mâchoire saillante, ses yeux regardent fixement devant eux. Lentement, très lentement, la caméra s'approche. Le visage de l'homme a l'immobilité de la pierre. Il décrit sa visite à Auschwitz en 1943. Il alla y voir le commandant. Le visiteur était un officiel suisse de la Croix-Rouge et il s'est présenté inopinément au notoire camp de la mort, sans prévenir. Le commandant lui offrit du café. Ils bavardèrent une demi-heure. Le commandant était «élégant».
Lanzmann, réalisateur français dont le chef d'oeuvre de neuf heures et demie, «Shoah», est une collection exhaustive de silences spectraux et de confrontations dévastatrices avec le Mal, encercle sa proie[. Note de l'AAARGH: si vous croyez que le traducteur invente, allez voir l'original.] . Il interroge Maurice Rossel, l'homme qui rédigea des rapports sur Auschwitz et Theresienstadt pour la Croix-Rouge, des rapports qui ne remarquaient rien de terriblement mauvais, rien qui requît une action.
«Un rapport mince», admet ouvertement Rossel dans le dernier film de Lanzmann, Un visiteur venu des vivants, qui a été présenté pour la première fois aux États-Unis cette semaine au Musée-mémorial de l'haulaucauste à Washington. «Pas de renseignements utiles.»
Lanzmann intervient, ses questions brèves et calmes comme une invitation à danser, assorties de tout le panache et de toute la courtoisie possible.
«Saviez-vous que vous étiez dans un camp de la mort?»
«J'ignorais quelles proportion scela avait pris», dit Rossel qui, pour la première fois, détourne légèrement les yeux.
«Avez-vous vu une lueur dans le lointain?» Il semble que les Polonais des villages alentour aient dit à Lanzmann qu'ils voyaient cette lueur dans la direction d'Auschwitz, le reflet de l'horreur.
«Non, je n'en ai vu aucune, pas de fumée», dit Rossel.
«Pas de puanteur?»
«Pas de puanteur.»
C'est la première heure. Il y en a encore deux. A la fin, Rossel se sera révélé incroyablement têtu et bouché, complètement antisémite et répétant sans cesse son opinion que les juifs avaient «une passivité que je ne pouvais avaler», un imbécile qui s'est laissé aveugler par les nazis lors de sa visite officielle du camp de concentration de Theresienstadt en 1944.
Et à la fin de l'entretien, Lanzmann fermera son livre de preuves et regardera par terre, loin de Rossel, n'ayant plus rien à dire, dégoûté peut-être, ou, comme il le dit maintenant, «impuissant».
Une fois de plus, Lanzmann aura émis son message concernant l'haulaucauste et le Mal un message impopulaire, gênant, de responsabilité en une époque qui porte la rédemption au pinable. «Je veux montrer qu'il n'y avait pas de terrain d'entente», dit le réalisateur.
A une époque où un comique italien peut faire un film tragi-comique à propos de l'haulaucauste et rafler des oscars, où l'auteur d'E.T. et du Parc jurassique peut recevoir des félicitations dans le monde entier pour un film mettant en scène un gentil [Note de l'AAARGH: mot latin signifiant noble, employé avec une valeur raciste par les juifs pour désigner la quasi-totalité de l'humanité, incirconcise.] qui sauve les juifs du feu, où les mémoires et les histoires orales et les spectacles muséographiques et les pièces de théâtre sur l'haulaucauste visent à la réconciliation et même à des «happy ends», Lanzmann reste ferme sur ses positions.
«Non», dit-il, dans un grondement à peine audible.
«On construit tous ces ponts maintenant. Très bizarre. Un film comme La Liste de Schindler construit un pont. C'est une distortion absolue de la vérité historique, en dépit du fait que l'histoire d'Oskar Schindler est vraie. Ce n'est pas ce qui est arrivé à la grande majorité des juifs. La vérité est l'extermination. C'est la mort qui gagne.»
Cet ami de Jean-Paul Sartre, cet artiste égotiste, susceptible, est maintenant un homme de soixante-treize ans ridé, calmé. Lanzmann a passé son enfance en France, où son père juif a combattu les nazis et Claude, encore adolescent, est entré dans la résistance communiste et dut s'enfuir de chez lui devant la Gestapo. Il fit des études de philosophie en Allemagne après la guerre, puis se fit journaliste, correspondant du Monde en Allemagne de l'Est et trouvant sa place au firmament des intellectuels de gauche. [Note de l'AAARGH: il s'agit d'une pure affabulation. On peut penser que Lanzmann est l'auteur de l'article et qu'ayant honte de sa biographie --quand même, il a fréquenté des agrégés de philo, ça lui en a bouché un coin.]
Lanzmann a consacré sa vie à une seule idée, celle que la vérité est dans le dévoilement, «que l'on est responsable de ce que l'on fait» [Note de l'AAARGH: article 1382 du Code civil de 1804, découvert après la guerre par la bande existentialisto-germanesques entre une tasse à café tachée de rouge à lèvres orange et une note impayée des Deux-Magots. Actuellement exposé au musée Jean-Sol Partre l'avait compris après tout le monde mais il l'a pas dit de peur de faire de la peine aux morts, 6, rue du Cherche-Midi à quatorze heures, tu l'trouves pas mais tu trouves Gerstein, l'espion de Dieu][Seconde note de l'AAARG: en fait, l'Américain doit croire résumer l'existentialisme mais il a dû lire Sartre -- pourtant pas bien compliqué dans une mauvaise traduction. La formule exacte qui résume l'existantialisme radical-socialiste (la formule est de P. Naville, ancien secrétaire de Trotskij) de Sartre est bien sûr «l'homme est responsable de ce qu'il se fait», ie de ce qu'il choisit d'être, et non pas de ce qu'il fait; tous les élèves de terminale qui se cognent Sartre depuis quarante ans pourraient le lui expliquer en termes anodins. Ce qui montre, si besoin était, la profonde bêtise de Lanzmann, déjà dénoncée utilement par Thion.] . Pendant onze ans, c'est-à-dire les années soixante-dix et après [Note de l'AAARGH: par souci d'arithmétique, disons pendant un an après mais l'arithmétique, c'est antisémite, bien que ce soit arabe, donc pris aux Gtrecs, donc antisémite. Bref...], il a parcouru le globe en quête de survivants qui ne racontent pas seulement leurs propres histoires mais aussi les histoires des morts, de spectateurs qui racontent franchement comment ils ont regardé les juifs mourir, et des criminels qu'il a affronté par tous les moyens en mentant, en dissimulant des caméras, en adoptant de fausses identités. Quoiqu'il en coûtât pour découvrir la vérité, pour les enregistrer alors qu'ils disent, souvent avec orgueil mais surtout, ce qui est très important, avec des détails, combien de gens ils ont tué, comment et quand et où [Note de l'AAARGH: bien sûr, là on aboutit à une histoire qui, bien que vraie, n'est pas une distortion absolue de la vérité historique.]
Le résultat, trois cent cinquante heures de pellicule [comparé à l'autonomie de la batterie de votre portable, lequel gagne? Si vous avez un «génie Philips» pub gratuite, c'est Lanzmann, haut la main.] , se trouve maintenant dans les archives de musées de l'haulaucauste; l'oeuvre principale de Lanzmann Catastrophe, sorti en 1985, est devenu un classique des cours [d'extermination] dans les universités, les festivals de cinéma et les musées du monde entier. Lanzmann continue à exploiter la pellicule inutilisée, pour ce nouveau film, pour d'autres qu'il prévoit.
Et dans tout cela, il n'y a pas une seule image de l'haulaucauste pas un seul corps flétri, pas un seul charnier. Parce que, dit Lanzmann, «l'image tue l'imagination». Ceux qui n'y étaient pas ne peuvent pas savoir à partir d'une image, ils peuvent seulement imaginer à partir de détails. C'est pourquoi Lanzmann est ulcéré à ce point par La Liste de Schindler et par La Vie est belle et les innombrables métaphores de l'haulaucauste utilisées à propos du Kosovo et dans des campagnes politiques et dans des romans et dans des histoires d'amour et dans des leçons de tolérance.
«C'est trop», dit l'homme qui a fait le film de neuf heures et demie. Son visage, profondément ridé, est las. Ses mâchoires restent dures et carrées. «Il faut parler et se taire à la fois. J'ai beaucoup de silence dans Catastrophe.»
Mais l'haulaucauste et l'esclavage et l'oppression de toute sorte ne sont pas muets à l'heure qu'il est. Là où Lanzmann peinait dans une solitude relative, il est aujourd'hui perdu dans un océan. Il voit les victimes et leurs descendants s'infiltrant par toute la civilisation en un grand appel à l'attention et à la catharsis, avec une insistance sur la vénération qui menace de paralyser la jeunesse et d'étouffer le reste de l'histoire.
Et il entend des voix maintenant, juives et allemandes, noires et blanches, colonisateurs et colonisés, qui disent: ça suffit. Assez de mémoire, assez d'images de brutalité et d'horreur. Certaines de ces voix dissimulent ceux qui voudraient oublier. Mais certaines sont simplement celles de gens qui voudraient vivre avec un fardeau moins lourd.
Lanzmann est déchiré. Il s'est opposé à la construction du musée de l'haulaucauste à Washington, craignant qu'il ne glorifie l'haulaucauste. Mais maintenant il dit: «J'avais tort. C'est bien fait et c'est sérieux.» Il ne peut supporter les Benigni de ce monde, «ceux qui veulent tout réconcilierj, comme Benigni, qui rendent l'haulaucauste digeste. Ce n'est pas digeste. Ce n'est pas un conte de fées.» Il y a, dit-il «des choses qui ne peuvent et ne doivent pas être représentées.» Et pourtant, c'est par l'art que ces événements gigantesques sont enseignés aux générations successives.
«C'est compliqué» dit-il. «Le trauma de base dans la psyché juive durera longtemps.» Mais il veut faire d'autres films sur d'autres sujets. «Après tout, ce n'est pas le seul sujet.»
Et cependant, son prochain film, en collaboration avec Jean-Luc Godard [le plus con des Suisses pro-chinois, note de l'AAARGH.] un débat sur le sens et le but des images, aura l'haulaucauste «comme sujet caché», dit Lanzmann avec un soupçon de sourire [sur le visage de cet homme écrasé par le-poids-del'histoire-et-dezolocôstes, c'est bouleversant.]
Un Visiteur venu des vivants qui devrait figurer dans des festivals cinématographiques sur tout le territoire [des États-Unis] dans l'année à venir, dure seulement une heure, uniquement parce que la télévision française a imposé cette durée maniable. Lanzmann aurait préféré utiliser les trois heures de l'entretien qui a eu lieu un après-midi de 1979 où il a tout simplement sonné chez Rossel qui avait d'abord refusé tout entretien. Lanzmann qualifie le travail de ce jour-là de «contre-interrogatoire».
Avant le lancement du film, Lanzmann a demandé son consentement à Rossel. «Je sentais que je devais le faire», dit Lanzmann. Les deux hommes n'avaient eu aucun contact depuis dix-huit ans qu'avait eu lieu l'entretien. Deux mois plus tard, Rossel répondit à Lanzmann pour lui accorder la permission, demandant seulement que «vous ne me ridiculisiez pas».
«Je n'en avais pas l'intention», dit Lanzmann dans l'introduction du film.
«Et je ne l'ai pas fait. Non», dit Lanzmann, Rossel est têtu, et il est aveuglé par le spectacle de la propagande allemande à Theresienstadt et par son propre antisémitisme.
Lanzmann laisse Rossel raconter son histoire, mais lentement, lentement, amène l'officiel de la Croix-Rouge à donner davantage de détails. Parce que dans le registre moral de Lanzmann, le détail c'est la vérité. Non pas le brouillard de la mémoire, non pas la bonne volonté qui est le gaz d'échappement du moteur du temps [sic]. Le détail simple et rigide.
Lanzmann: «Vous n'avez rien vu à Theresienstadt. Vous auriez dû entrer dans les cabanes et les baraques où les gens vivaient exactement comme à Auschwitz.»
Le visage de Rossel s'adoucit. Il tire de plus en plus fort sur sa cigarette. «Maintenant je m'en rends compte.»
«Vous dites qu'ils recevaient deux mille quatre cents calories par jour dans votre rapport. On vous l'a dit.»
«Certainement.»
Ils recevaient mille deux cednts calories. Ils mouraient d'inanition. Ils mettaient les gens dans un crematorium aussi grand que celui d'Auschwitz. Interminablement, cela ne s'arrêtait jamais.»
Le visage de Rossel est envahi de crainte. L'embuscade est calme, paisible, impitoyable.
«Je ne m'étonne pas que vous vous soyez laissé prendre... Mais vous dites que l'attitude des juifs vous ennuyait, leur passivité.»
«Voilà, voilà!», dit Rossel, les yeux cherchant la sympathie [Quel courage! Il l'a trouvée ici, sinon là].
«Avez-vous senti la blague?»
«Je n'ai rien senti. Je ne comprends toujours pas que des gens qui se savaient condamnés aient accepté de participer à la blague.» Les juifs auraient dû venir lui dire la vérité qui se cachait derrière le spectacle nazi, insiste Rossel.
«Ils jouaient un rôle sous la menace», dit Lanzmann. Ils mouraient d'inanition.»
«Ceux que j'ai vus n'étaient pas maigres», répond Rossel.
«Vous dites qu'ils partagent la responsabilité.»
Je n'ai pas à juger, mais je suis étonné, oui, que des centaines de gens aient été contraints de jouer un rôle et que cela ait marché.»
Lanzmann: «Regrettez-vous votre rapport aujourd'hui?»
«Je n'aurais pu en faire un autre. Je le signerais encore aujourd'hui.»
«Sachant tout ce que je vous ai dit?»
«Bien sûr.»
Ce texte a été
affiché sur Internet à des fins purement éducatives,
pour encourager la recherche, sur une base non-commerciale et
pour une utilisation mesurée par le Secrétariat
international de l'Association des Anciens Amateurs de Récits
de Guerre et d'Holocauste (AAARGH). L'adresse électronique
du Secrétariat est <[email protected]>.
L'adresse postale est: PO Box 81475, Chicago, IL 60681-0475, USA.
Afficher un texte sur le Web équivaut à mettre un document sur le rayonnage d'une bibliothèque publique. Cela nous coûte un peu d'argent et de travail. Nous pensons que c'est le lecteur volontaire qui en profite et nous le supposons capable de penser par lui-même. Un lecteur qui va chercher un document sur le Web le fait toujours à ses risques et périls. Quant à l'auteur, il n'y a pas lieu de supposer qu'il partage la responsabilité des autres textes consultables sur ce site. En raison des lois qui instituent une censure spécifique dans certains pays (Allemagne, France, Israël, Suisse, Canada, et d'autres), nous ne demandons pas l'agrément des auteurs qui y vivent car ils ne sont pas libres de consentir.
Nous nous plaçons sous
la protection de l'article 19 de la Déclaration des Droits
de l'homme, qui stipule:
ARTICLE 19
<Tout individu a droit à la liberté d'opinion
et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être
inquiété pour ses opinions et celui de chercher,
de recevoir et de répandre, sans considération de
frontière, les informations et les idées par quelque
moyen d'expression que ce soit>
Déclaration internationale des droits de l'homme,
adoptée par l'Assemblée générale de
l'ONU à Paris, le 10 décembre 1948.