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Le Retour de Paul Rassinier

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Droits de l'homme et histoire

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3. LA SITUATION DES SOCIALISTES

A L'EGARD DES DROITS DE L'HOMME

 

 

M.Lionel Jospin, dont le bon vouloir ne saurait être suspecté, déclarait le 6 mai [1983] en l'hôtel de Lassay:

Notre parti ne poursuivra son développement qu'en préservant ce patrimoine [d'être un parti de synthèse et non d'exclusion]. Dans ce sens, toute offensive anti-marxiste -- par exemple sur les droits de l'homme que les marxistes authentiques défendent autant que d'autres -- doit être récusée.

 

Le 6 août, notre ministre des affaires étrangères disait à La Havane:

Nous n'avons pas les mêmes conceptions des droits de l'homme que vous, marxistes cubains.

L'heure n'est certes pas de conduire une offensive contre les marxistes authentiques; non plus contre ceux qui seraient inauthentiques; ni d'ailleurs contre qui que ce soit; l'heure est de retirer son soutien à des droits de l'homme dont l'inefficacité est un outrage à la justice.

Ces déclarations contradictoires signalent la question que pose aux socialistes le problème des droits de l'homme.

Que la réponse ne soit pas du genre de celle que donne M.Joxe! Il ne regimbe pas devant l'aiguillon, le brave homme! Après avoir vu la source des "droits de l'homme" dans la Bible -- ce qui aurait pu passer pour de la lucidité -- il y a vu aussi la source du droit civil; ce n'est qu'un manque de lettres. N'est-ce point encore cet élu qui, recommandant par son silence des amendements malencontreux relatifs aux vérifications d'identité, s'est laissé porter à la tête d'une nouvelle commission d'"immigrés" créée en avril dernier par la Ligue des droits de l'homme, et cela sous les applaudissements du congrès de cette ligue qui venait de lui reprocher sa conduite!

Ce doit être là du réalisme socialiste. C'est en tout cas une parabole qui répond à la question de savoir: à quoi sert la Fédération des droits de l'homme? Réponse: à ravauder les inconséquences de ses conceptions indigentes.

Cette ligue, dite "de pensée et d'action", a soixante-quinze ans. L'âge est honorable pour une retraite. L'agitation d'un ramas d'idées éparpillées qui s'y entend n'appelle de ses voeux que le diable qui en rassemblerait la ribambelle.


 

4. DES DROITS DES HOMMES ET DES CITOYENS

 

Davantage que des droits, les "droits de l'homme" sont une idéologie.

Les pages qui suivent se proposent de montrer pourquoi le droit international actuel ne répond pas aux exigences éthiques par lesquelles un droit se démontre droit.

Après une remarque de méthode, un exposé des faits sera donné avec leur relation à la vie intellectuelle de ces dernières décennies, ainsi que rappelée la formulation philosophique de la question du mal, avant que celle-ci n'ait été perdue de vue.

Des considérations sur les organisations liées aux droits de l'homme concluront.

 

Grandeur et misère d'un point de départ

 

Le droit consiste en une partition déterminée du bien et du mal qui donne sa marque à l'action. Par quoi le droit devient réalité.

Un système juridique limite les fins de la volonté humaine pour ne pas avoir à limiter la liberté politique. Cette limitation se réalise selon deux facons qui s'excluent.

Ces partitions et ces déterminations sont l'identité d'un peuple, dans laquelle tous peuvent se reconnaître en vue de l'action. Pour cela, le droit est sacré, et peut être dit le dieu du peuple. Ce dieu n'en exclut aucun autre, non plus qu'aucun des modes de gouvernement qui, en son sein, peuvent s'y faire concurrence.

Ou bien la détermination du mal préexiste au crime, comme dans le droit romain et européen classique. Ou bien cette détermination est postérieure au crime, comme dans le droit international moderne où le jugement est suspendu à la seule conviction du criminel et des juges.

Le droit international peut donc être concu de deux facons: empirique, dans le respect et le prolongement de cette multiplicité éthique; idéale et abstraite, comme un système de normes qui soumettrait la nature éthique des droits particuliers.

Par le passé, s'interroger sur les droits de l'homme se faisait à partir d'une liberté civile localisée dans une citoyenneté normale. Cela se ferait aujourd'hui à partir de définitions nouvelles contresignées par la plupart des Etats. Ces définitions sont essentiellement relatives à trois concepts: ceux de bellum justum, de responsabilité collective et, en gestation, de crime imprescriptible contre l'humanité. Ces concepts émargeraient à un ordre de normes juridiques dites supérieures.

Accepter de commencer l'exposé du droit à partir des droits de l'homme d'aujourd'hui impose de s'interroger sur l'obsédante question du mal considéré comme volontaire et absolu.

Cette facon de procéder met l'accent sur le problème constitutif dans la hiérarchie d'un droit, des faits, des lois et de la volonté criminelle dans le mal.

Ce point de départ met à l'écart le droit interne des pays, dont la question ouvrière qui commande la modernité du droit à venir.

 

Comparaison des droits internationaux anciens et modernes

 

Les droits internationaux antérieurs à la première guerre mondiale avaient, et ont conservé une autorité d'usage.

Ce droit international est composé de Traités et de Pactes, plus ou moins illustres, qui marquaient tous un équilibre de force et de droits locaux. La somme de ces conventions compose les strates de normes spécifiques d'un droit coutumier.

Toutefois, en 1918, on assiste à l'avènement d'un principe nouveau, d'une nature toute morale, qui vient se superposer à ces droits comme un étage supérieur dont la contrainte irrépressible devait faire se lever le soleil. Le Traité de Versailles, qui contenait le Pacte de la Société des nations, a posé le principe inédit de la guerre injuste par nature.

Jusque-là, les hommes s'étaient sentis assez civilisés pour présupposer entre eux que, mon Dieu, la guerre était une chose qui n'allait pas tout à fait de soi, et que celui qui l'entreprenait le faisait au risque d'embarras souvent imprévisibles. Les choses auraient pu en rester là, si la bêtise n'avait conquis ce terrain, et que l'on se fût piqué d'écrire ce qui allait sans dire. Le Pacte de Briand-Kellog et la Charte des Nations-Unies consacrèrent le principe du bellum justum: ne sont justes que les guerres de représailles.

Depuis que la lumière idéale de ce concept s'est abattue sur le monde, les juristes s'épuisent à codifier cette morale laborieuse indépendamment des conditions historiques des rapports de force entre Etats. Une organisation sans aucune souveraineté pétitionne les signature molle d'Etats qui, imperturbables, vont à leurs affaires courantes.

Le principe émouvant du législateur n'a pas rendu les guerres plus rares ni moins acharnées. Il les a simplement rendues interdites à déclarer. Voire, à ce qu'il paraît, il serait prudent de dire que l'on ne fait pas la guerre après l'avoir depuis longtemps commencée, et cela, en dépit du fait que toute la population est informée du contraire.

Ainsi des chefs d'Etat proclament-ils tout haut des contre-vérités sachant que leurs auditeurs les connaissent pour ce qu'elles sont. Les citoyens sont subrepticement engagés à partager cette dialectique: "Je sais que vous savez que je dis le faux; et vous savez que je sais que vous le savez aussi; eh bien, je le dis quand même!"

A l'occasion d'un événement important comme une guerre, cette:.hé torique vaut pour exemple et le mensonge accède à la pédagogie. Et la diplomatie s'empèse de cette obligation bizarre qui pervertit la parole politique et développe l'insécurité.

Il fallut attendre la seconde guerre mondiale pour que l'assomption des droits en morale s'assortisse d'un nouveau prodige: le concept de responsabilité collective. Il est défini pour la première fois dans la Charte du Tribunal International qui constitue une partie intégrante de l'Accord de Londres: sur la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre dans l'Axe européen. L'article 9 de la Charte énonce:

Dans le jugement des membres individuels d'un groupe ou organisation quelconques, le Tribunal pourra déclarer, relativement à tout acte que l'individu pourrait être convaincu d'avoir commis, que le groupe ou l'organisation dont l'individu faisait partie était une organisation criminelle.

 

La responsabilité collective est une notion judiciaire que l'on observe dans les sociétés dites archaiques où l'individuation des personnes n'est pas en droit réalisée. Ce qui explique le juriste Hans Kelsen:

La responsabilité collective est une donnée caractéristique des ordres juridiques primitifs; elle est en connexion étroite avec ce trait que la pensée et la sensibilité des primitifs sont portés à l'identification. A défaut d'une conscience de son moi, d'un sentiment de son individualité suffisamment affirmés, le primitif se sent tellement un avec les membres de son groupe qu'il interprète toute action d'un membre du groupe qui est remarquable sous quelque rapport comme action du groupe -- comme quelque chose que "nous" avons fait --; et qu'il réclame en conséquence la récompense pour le groupe, de même qu'il accepte que la peine incombe au groupe tout entier. Par contre, il y a responsabilité individuelle lorsque la sanction est dirigée uniquement contre le délinquant lui-même, c'est-à-dire contre celui qui a commis personnellement le délit."[(1)]

Cette régression du droit a donc suscité, surtout dans des populations qui n'étaient pas familières de ces moeurs très anciennes, des craintes et des troubles identitaires. En particulier pour les personnes qui appartiennent de coeur à une communauté politique, religieuse ou ethnique. Il n'est en effet que raisonnable de penser qu'une de ces personnes envisage que l'une ou l'autre de ces appartenances lui soit un jour reprochée, puisque aussi bien des sanctions pénales sont déjà suspendues à cette possibilité. Ces peines n'affirment-elles pas, par leur seule existence, que l'allégeance précède la personne?

A l'humanisme affectueux de la bonne intention qui commande cette régression du droit répondent aujourd'hui les accusations arbitraires et les supplices d'accusés qui n'ont pas le droit de plaider non coupable, finissent par s'accabler de crimes qu'ils n'ont point commis et ne pourront jamais rétracter. Appliqué aux sociétés modernes, le principe de la responsabilité collective aboutit à ces résultats dont on ne distingue pas bien les vertus politiques ni pédagogiques.

Les principaux législateurs de ces textes imprudents sont M. Morgenthau pour les Etats-Unis, et M. René Cassin pour la France. Tous deux participèrent à la rédaction de l'article 5 du Tribunal International. L'activité de M. Morgenthau dans cette entreprise internationale sans exemple dont il fut un partisan zélé est précisée dans l'article: "Pour une clinique de la rumeur".

L'oeuvre de René Cassin est mieux connue depuis 1980 où est parue la thèse de M. Marc Agi intitulée: De l'idée d'universalité comme fondatrice du concept des Droits de l'homme, d'après la vie et l'oeuvre de René Cassin. Un colloque récent du Centre National de la Recherche Scientifique a été consacré au thème de cette thèse peu après sa publication. M. Poulas, au titre de directeur de Recherches du C.N.R.S., rendant compte de ce colloque, employait, pour qualifier les "droits de l'homme", les adjectifs de "idéalistes, ambigus, hypocrites et dérisoires".[(2)]

L'efficacité de l'application de ces droits devait être, selon l'expression de René Cassin, le "Saint des Saints" de son oeuvre. Les droits de l'homme n'étaient certes pas encore exécutoires mais devaient le devenir. Comment René Cassin concevait-il donc son concept d'universalité auquel la réalité est restée si rétive?

Avant de présenter le concept, présentons la personne puisque son biographe nous le dit: "René Cassin est un praticien plutôt qu'un théoricien".

René Cassin était Secrétaire Général de l'Union Fédérale des Anciens Combattants de la guerre de 14-18. Il fut le représentant de l'Union à la Société des Nations où il voulait voir triompher un strict contrôle international des guerres à partir du principe du bellum justum. Rejoignant à Londres le Général de Gaulle en 1940, celui-ci, le nomme responsable juridique du gouvernement provisoire. En 1941, il rédige les accords de Gaulle-Churchill.

En 1942, le chef du gouvernement provisoire nomme René Cassin secrétaire général de l'Alliance Israélite Universelle, association judaique francaise dont les établissements d'enseignement parsemèrent le bassin méditerranéen et qui prône le retour des Juifs en terre de Palestine. René Cassin prend part à des émissions radiophoniques de la radio libre de Londres. Il y exhorte les Francais à la résistance. Dans des prosopopées poignantes, il prête sa voix au Soldat Inconnu qui parle ainsi aux Francais du fond de son tombeau. Il participe à la juridiction du Tribunal de Nuremberg. En 1945, le Général de Gaulle nomme René Cassin à la tête du Conseil d'Etat. Il participe à la rédaction de la Charte des Nations-Unies qui prévoit une commission des droits de l'homme.

René Cassin reconnaît son destin dans les principes de l'A.I.U. qui affirment que le peuple juif a une mission universelle et se dit persuadé que l'Etat d'Israel, la diaspora et les droits de l'homme ne sont qu'une seule et même chose. Israel, étant l'"Autre intégral", rien ne saurait lui être contraire qui ne soit du même coup un affront aux droits de l'homme. Ainsi, quand le général de Gaulle décide de ne plus livrer d'armes à l'Etat d'Israel, René Cassin ne veut voir dans cet acte que de la pure haine à l'égard d'Israel et conclut: "La France se déshumanise et s'identifie à l'injustice".

Venons-en au concept d'universalité.

René Cassin l'identifie à la loi du talion. En 1970, au cours d'un colloque de la Decalogue Layers Society de Chicago, il affirme que les droits de l'homme sont une laicisation des principes du judaisme. Commentant le Pentateuque. Il avance que la loi du talion est loi d'amour puisqu'elle permet la réversibilité de la souffrance par identification à son prochain. Chaque individu, selon René Cassin, serait dépositaire d'un "coefficient d'humanité" qu'il s'agirait de développer. Le biographe résume: "oeil pour oeil, dent pour dent" constitue le fondement même de l'idée d'universalité".

La loi du talion a l'inconvénient de passer pour une justice personnelle. Si l'on excepte le cas de peine de mort pour meurtre, la sanction étant attachée au crime, ne peut être distributive et la reversibilité de la souffrance n'est pas garantie. Elle n'introduit donc pas à la compréhension du criminel et apparaît, au contraire, comme un mode dérivé d'une guerre religieuse qui vise à la destruction de l'ennemi.

Marc Agi le précise sans ambiguité: "René Cassin était des personnes qui estiment indispensable que la Commission des droits de l'homme équivaille à une manière de tribunal de Nuremberg permanent [...] pour exorciser le mal qui failli la [l'humanité] détruire.[(3)] Il ajoute: "Le Juif est l'ennemi privilégié du totalitarisme", et encore: "la lutte contre le totalitarisme fonde celle même de la démocratie", d'où le lecteur conclut: le Juif est un atome éternel de démocratie incorruptible plongé dans un monde qui deviendrait vite totalitaire, s'il n'était surveillé par la bienveillance policière qu'inspirent les écrits paléotestamentaires[(4)].

La lumière se répand sur le monde.

C'est l'Aufklaerung à l'envers.

Le tribunal d'une police omniprésente protégerait les "coefficients d'humanité" disséminés sur toute la terre,

Il serait injuste de moquer trop René Cassin et de s'attarder sur son mystérieux coefficient d'humanité. Il n'a fait que suivre les idées défendues par les meilleurs juristes et professeurs de philosophie de son temps.

Prenons l'exemple du juriste Hans Kelsen; célèbre pour avoir rédigé la constitution de l'Etat autrichien, aujourd'hui remise en usage, et qui a enseigné aux Etats-Unis d'Amérique pendant une vingtaine d'années. En 1921, Hans Kelsen, dans un article paru dans la revue psychanalytique Imago, portait à Freud et à Durkheim une critique inspirée de Montesquieu. Vous ne tenez aucun compte, leur disait-il, dans vos théories sur le lien social, du retentissement sur celui-ci de l'ordre juridique à partir duquel existent les associations civiles telles que nous pouvons les observer, décrire et expliquer. Vous privilégiez dans vos théories la situation de la constitution d'une nouvelle socialité, d'un lien social in statu nascendi, tel qu'il provient d'une foule animée par un chef provisoire. Rien ne prouve que ce lien social particulier soit le modèle de toutes les socialités.

En faisant la théorie de la psychologie des foules, Freud, selon Jacques Lacan, faisait la théorie du nazisme avant que celui-ci n'ait eu lieu. Comme Hegel avait vu venir Napoléon, Freud a vu venir la prééminence des foules sur les Etats. Et c'est bien là de fait une des sources de la socialité moderne qui se termine plus ou moins bien, plus ou moins mal ailleurs.

... Et cependant! Que fait Kelsen, quand il envisage le droit international? Il exprime sa conviction que celui-ci ne peut être qu'une construction monothéiste. Il évoque le sermon sur la montagne [(5)] Il concoit, en somme comme René Cassin l'universel comme l'universel abstrait de normes juridiques supérieures.

Pourquoi ne tient-il plus compte, pour le cas du droit international, de la critique qu'il fait Freud et à Durkheim? Les conglomérats humains que l'on peut observer, décrire, et expliquer, ne sont-ils pas souvent réunis par les constructions constitutionnelles des Etats?

Ne serait-il pas plus efficace et raisonnable d'établir la logique qui règle les relations effectives d'Etats concrets et multiples plutôt que de suspendre à rien des normes "supérieures", inadéquates à la description des faits incriminables?

En France, ce débat, où les mêmes idées prirent un cours irrésistible, eut lieu au séminaire d'Alexandre Kojève donné à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. Avant la guerre, les hommes les plus éminents s'y retrouvaient, tels Raymond Queneau, Georges Bataille, André Breton, Jacques Lacan, Claude Lévi-Strauss, Maurice Merleau-Ponty, le R.P. Fessard, Raymond Aron, et bien d'autres. Bien sûr, toutes ces personnes n'étaient pas "kojéviennes". Toutefois, la problématique du séminaire a fourni le point de départ commun aux enjeux spéculatifs et politiques du temps.

Pour Kojève, l'interprétation de Hegel détient la clef de l'avenir du monde et donc le sens présent de la signification du passé. Il disait:

"Il se peut qu'effectivement l'avenir du monde, et donc le sens du présent et la signification du passé, dépendent en dernière analyse de la facon dont on interprète aujourd'hui les écrits hégéliens." [(6)]

 

Quelle interprétation en donnait-il?

Servons-nous, pour en prendre connaissance, de la description que donne Kojève des différentes parties du droit en 1943 dans son Esquisse d'une phénoménologie du droit.

Le professeur de philosophie commence à dire que l'ordre d'exposition n'a pour lui aucune importance. Il débute son exposé par le droit international concu, souvenons-nous, comme une puissance "réalisée dans le concept", comme il se disait alors. Il commence donc sa description là où Hegel terminait la sienne. L'ordre d'exposition é\ait pour Hegel de la plus haute importance. D'abord parce que le droit privé et le droit civil sont articulés à la propriété de fait, et qu'il faudrait donc d'abord expliquer pourquoi ce ne serait plus le cas. Ensuite, parce que le fondement de la civilité consiste pour Hegel dans le risque de mort comme citoyen guerrier. N'est-ce point dans cette circonstance extrême que la justice civile (dikè) prend le pas sur toute justice privée toujours familiale (thémis)? Il est exigible et décisif, en ces questions capitales, de partir du plus difficile, de ce qui fonde le reste, car ce qui fonde permet de penser la suite et non le contraire.

Hegel partait donc de la constitution éthique des peuples pour fonder l'existence de la multiplicité des Etats. Kojève part du succès d'un Etat mondial "déjà réalisé dans le concept" dont le règne n'est pas encore tout à fait là, mais dont la marche inexorable a commencé et qui ne devrait pas se faire trop attendre.

De ce point de vue panoramique imprenable, Kojève arrivait à distinguer ce qui n'existe pas encore mais existera demain, et a donné une "description phénoménologique" du droit où s'annonce la venue de cet Etat mondial sans limite, vide de toute éthique constitutive, que personne n'a encore vu passer sous ses fenêtres.

La multiplicité des Etats trouve sa limite dans une histoire mondiale et non en un autre Etat:

L'esprit d'un peuple particulier étant un esprit limité, son indépendance est quelque chose de subordonné. Il entre dans l'histoire mondiale et celle-ci, dans son déroulement, constitue la dialectique des esprits particuliers des peuples: le tribunal mondial." [(7)]

Kojève n'était pas hégélien sur trois autres points qui montrent l'incidence de la pensée internationaliste du professeur francais sur la pensée relative à la question ouvrière, aux relations de l'homme à la nature et au langage. Kojève maniait la dialectique du maître et de l'esclave avec un grand à-propos, à ceci près que, ne trouvant pas sa sphère de réception dans un Etat particulier, cette dialectique n'était envisagée que dans son aspect indéfiniment militaire; pour ne convenir, au bout du compte, qu'à un état de guerre total et permanent. Faudrait-il se résigner a ce que les relations des hommes dans leur activité laborieuse soient constitutives d'une lutte sociale à mort? Et va-t-il de soi que le travail soit à son tour une lutte à mort avec la nature, facile à gagner, à ce que l'on voit, et non pas la technique industrieuse capable d'en recevoir les possibilités essentielles?

Pour couronner la puissante idéalité de l'Etat mondial déjà "réalisée dans le concept", Kojève en vint à développer une idée originale de la facon suivante:

- du réel, nous n'en savons que ce que nous en disons;

- comme le sens de ce que nous en disons, et donc la signification des actions, recevront plus tard leur contenu (Plus tard, c'est-à-dire quand l'Etat mondial sera vraiment là et non plus seulement "réalisé dans le concept");

-il est clair dans ces conditions que les hommes n'ont affaire qu'à de la réalité-dont-on-parle et que l'homme crée par la parole.

En parlant, on ferait exister les objets!

C'est séduisant. Néanmoins! Est-il possible de se persuader qu'avant de parler le monde soit un néant? Qui peut prétendre que jamais le réel n'a excédé ce qu'une exploration hâtive lui avait fait tout d'abord prendre pour tel? Devons-nous, au nom de cet Etat mondial, dire non à tout ce qui nous a précédé? C'est ce que recommandait Kojève, qui ne propose donc pas une interprétation de Hegel mais l'abandon des principes essentiels de l'hégélianisme. Kojève manifeste l'avatar d'une idée que Hegel avait déjà identifiée et réfutée chez son prédécesseur, le philosophe idéaliste Johann Fichte. Mais, comme Hegel ni Fichte n'étaient traduits en francais avant guerre, on prit cette résurgence fichtéenne pour du neuf.

C'est ainsi que l'intelligentzia francaise, croyant agir directement par la parole, s'est précipitée dans des prises de position politiques dont les contradictions font se dresser les cheveux sur la tête.

... Et pourquoi l'on peut dire qu'Alexandre Kojève et René Cassin ont oeuvré communément pour que les expressions "les droits de l'homme" et "les droits de Dieu" soient équivalentes.

Ces élucubrations méningées, qui ne sont pas celles de fripons, sont plus à redouter que les mufleries des analphabètes qui se fatiguent à réformer le vocabulaire de l'inimitié.

L'inefficacité des "droits de l'homme" demeure.

Cette inefficacité pose une question: ces droits sont-ils rationnels? Ce qui revient à se demander si l'idée d'un système de normes préfigurant un Etat mondial peut être dite, en droit, universelle.

Ces droits sont inefficaces; si leurs principes s'avéraient déraisonnables, trouvera-t-on encore utile, après les concepts de bellum justum et de responsabilité collective, d'aller encore écrire dans la pierre le concept de crime imprescriptible contre l'humanité?

Mais qu'est-ce donc, au juste, un crime imprescriptible?

 

Le mal commis par l'ignorant doit-il être involontaire ou mauvais?

 

La question sur la nature de la volonté dans le mal comme étant ce qui détermine ou non la faute imputable est un débat philosophique créé par l'éthique chrétienne. Il trouve sa formulation la plus achevée chez deux philosophes chrétiens: Pascal et Hegel.

Ces deux philosophes étaient en accord sur une affirmation principale: ce qui est reconnu comme mal ne peut dépendre de soi, de la seule subjectivité d'un particulier. Si une action est mauvaise, elle est mauvaise en soi et donc pour tous, c'est-à-dire pour moi aussi, quelles qu'en aient été la date et les circonstances. Il n'appartient ni au criminel ni à ses juges de déterminer le crime indépendamment du fait que le contenu de ce crime a été prévu par la loi. Le crime et la loi qui le condamne valent donc en soi (en toutes circonstances) et pour soi (pour tous, dont moi). Une fois posées, les définitions sont invariables et constituent l'éthique d'un peuple.

Contre la subversion jésuite de ce fait de civilisation part en guerre le janséniste, car l'hypocrisie jésuite consiste à respecter la nécessité du crime en soi, mais à ne le tenir valable que pour les autres. En mon intime conviction résiderait la discrimination du bien et du mal et le sol de toute pensée. Ce sont là les conséquences religieuses et juridiques de la phrase: "Je pense, donc je suis". Si je dis cette phrase, c'est que je ne suis pas très sûr de la pensée des autres et que mon existence ne saurait se fonder dans une réciprocité initiale douteuse. Descartes interprète l'être comme subjectivité purement intime. La conséquence religieuse de ce parti pris, qui met le pronom personnel au centre des représentations humaines du monde, est l'irruption de la figure historique de l'hypocrite. L'hypocrisie est la conséquence que porte l'éventuelle facticité d'autrui dont il devient alors important de savoir s'il a voulu ou non le mal qu'il a pu faire.

Depuis cet événement de pensée cartésien, depuis que la volonté personnelle domine tout, la question initiale dont la réponse commande la possibilité d'un système rationnel du droit est donc: le caractère volontaire de l'action mauvaise est-il décisif pour la justice?

A cette question, notre tradition religieuse offre deux réponses:

La réponse chrétienne est contenue dans l'intercession du Christ, sur la croix en faveur de ses ennemis:

"Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font",

et dans la conséquence tirée par Pascal:

"Ils seront tous condamnés, ces demi-pécheurs qui ont quelque amour pour la vertu. Mais pour ces francs pécheurs, pécheurs endurcis, pécheurs sans mélange, pleins et achevés, l'enfer ne les tient pas; ils ont trompé le diable à force de s'y abandonner."

En d'autres termes, pour le Christ:

Certains hommes qui agissent mal l

e font parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font

ils doivent donc être pardonnés.

Ce qui entraîne le scholie pascalien:

Certains hommes agissent mal

tout en sachant ce qu'ils font

et doivent donc être condamnés.

Au fils de Dieu, Hegel objecte que si le fait d'ignorer le mal rend l'action non mauvaise, il devient superflu de la pardonner.

A Pascal, Hegel répond qu'il est contradictoire de faire résider le mal réel dans le seul savoir qu'en aurait le fauteur, car si le seul savoir du criminel déterminait le contenu moral de la faute, cela voudrait dire que le jugement du criminel l'emporte sur celui de la communauté, et donc sur l'éthique de celle-ci. L'individu qui ne serait pas fou serait tout de même étranger à l'éthique commune et la compréhension du bien serait pour lui en un conflit originel et permanent avec la liberté.

Cette pénible conjecture a été réalisée comme nous l'avons vu var la déclaration universelle des droits de l'homme dont l'oeuvre de René Cassin témoigne. Elle a été sérieusement envisagée comme idée par le Philosophe idéaliste allemand Johann Fichte.

Fichte est le premier à donner de la position chrétienne à l'égard du mal une dimension laique. Que se passe-t-il si en moi réside le fondement de toute chose et si le privilège des jésuites est à la disposition de chacun? Que se passe-t-il si le crime ne vaut plus en soi? et que seule ma morale personnelle doit me dire si c'en est un ou pas? Il faut donc que cette morale soit très solide, très claire et se pose de facon ostentatoire hors de moi, dans un "non-moi" dit Fichte, qui est l'idéal devenu son dieu. Mais n'est-ce point là s'imaginer atteindre le bien en admirant la facon dont on se le représente et adorer ainsi à son insu une partie de sa chère personne?

Toujours est-il qu'avec cette toute-puissance, le sujet humain fomente un idéal présumé extérieur à lui-même, si beau, si plein, qu'il ne peut être que différent du devoir que posent les autres sujets. Tous ces devoirs entrent donc en rivalité conflictuelle avec le mien, si bien qu'en définitive tous ces devoirs particuliers me sont hostiles, et, à moins naturellement que je ne commande à tous et à toutes choses, mon propre idéal, qui est lourd à porter dans ces circonstances, me devient vite ennemi. La fin ultime de l'illusion est la méfiance généralisée.

Le problème politique que pose cette démocratisation massive de la toute-puissance divine qui ne s'en douterait? -- est sa limitation civile. Le philosophe idéaliste Fichte a donné la solution logique de cette difficulté: si rien ne limite la puissance de l'individu à l'intérieur de son moi, alors sa limite ne peut lui venir que est celle-ci:

"dans un Etat d'une constitution établie d'après ce principe, la police sait assez bien où chaque citoyen se trouve à chaque heure du jour et ce qu'il fait."

Fiat justicia, pereat mundus! La lumière de la justice se répand sur le monde, ironise Hegel devant ce point d'arrivée qui est tout pareil à celui de René Cassin: le tribunal suprême d'une police omniprésente. Les points de départ ne sont que le négatif l'un de l'autre: à l'idéal personnel de Fichte (impossible à réaliser) répond la noirceur d'un ennemi absolu (impossible à définir). Prévoyant que d'un Fichte pouvait naître un Cassin, Hegel tournait ses pas vers un penseur moins vertigineux. Il retrouve Aristote. Le Grec, à la différence du Christ et de Pascal, donne en effet une définition de l'action mauvaise; non plus valable pour quelques-uns, mais cette fois pour tous (dont moi) et en soi c'est-à-dire indépendamment de la subjectivité de chacun (dont la mienne):

"Tout homme qui agit mal ne sait pas ce qui doit être fait et ce qu'on doit s'abstenir de faire; c'est ce manque là (hamartia) qui rend les hommes injustes et, d'une manière générale, méchants. L'ignorance dans le choix du bon et du mauvais ne fait pas qu'une action soit involontaire et donc ne devrait pas être imputée; elle fait seulement que cette action est mauvaise."

La définition d'Aristote écarte cette pseudo partition du bien et du mal qui s'enracinait dans l'estime affectueuse et bien intentionnée que chacun se porte. Elle s'appuie au contraire sur les conséquences des actions. Celles, passées, du criminel, et celles, possibles, de la collectivité et du criminel. Les conséquences spécifiées par le droit assignent un contenu raisonné au crime dont l'intention n'est que la forme.

Au début du XIXe siècle, Fichte a triomphé. L'hypocrisie qui n'était qu'un prétendu privilège de droit divin est maintenant à portée de main de la plupart. Elle disparaît donc dans son triomphe et change la nature du crime.

Celui-ci se définissait dans un premier temps en soi et pour, toutes les personnes.

Il valut ensuite toujours en soi, mais seulement pour ceux qui n'étaient pas jésuites ou ne les choisissaient pas comme directeurs de conscience.

Enfin, ne valant plus pour personne, le crime ne pouvait plus valoir en soi et devint relatif à un "je ne sais quoi". Le crime se mit à dé: vendre de l'interprétation subjective qui donnerait plus tard leur statut à des circonstances malléables.

De poser comme Pascal dans le criminel, c'est-à-dire dans la subjectivité, le principe de la faute a fini par consacrer le règne de l'idée jésuite du mal et a ouvert l'ère du probabilisme où la preuve vient du futur.

Et pourtant, si chacun pose dans le criminel comme en soi le principe essentiel de la connaissance du bien, il en résultera autant de systèmes du mal qu'il y a de chacun et de chacune. Qui ne se sentirait étranger à la loi dans ces conditions abstraites et ne trouverait vaine la connaissance du bien?

Il ne serait donc plus possible de dire pour les choses importantes que l'action est mauvaise parce qu'elle est considérée comme telle, mais seulement parce qu'elle passe ou passera probablement pour mauvaise aux yeux d'autrui.

Le crime est dans ce cas un être de langage toujours à venir. Sera peut-être criminel ce qui, plus tard, pourrait être dit et reconnu comme tel. Le caractère criminel d'une action n'est plus connu et couru d'avance, et le mal devient une affaire de conviction si intime que le contenu du dommage, laissé à l'opinion, est tenu pour inessentiel.

C'est dans cette sphère probabiliste triomphante que s'est dissoute la religion chrétienne qui recelait une autre surprise embêtante. Cette religion avait fait sa charge d'une contradiction comme pour l'épargner au pouvoir temporel. Cette contradiction ultime libérée dans la sphère de la justice subjective allait donner toute sa mesure.

Cette contradiction est le propre de la doctrine de la conviction sacrée. Pauvre doctrine, que celle de la conviction sacrée! Elle s'effondre d'un coup si l'on songe un instant à l'unique et simple fait que l'on peut se tromper. Se tromper -- s'entend -- sur les choses importantes et non pas seulement, comme le dit Hegel, sur le fait de "savoir si c'est du chou ou de la choucroute que j'ai mangé hier à midi". Il est inutile d'illustrer ce phénomène courant dont l'expérience accable chacun, et par suite, de prendre davantage au sérieux pour fonder une justice civile la conviction des convaincus. Car si je me trompe, qu'importe ma conviction sacrée sur laquelle il y a un instant encore tout reposait tranquille! Que vaut-elle si, égaré dans les détails, me trompant, je n'ai pu reconnaître avec certitude ce qui est vrai? [(8)]

C'est bien là pourtant ce que la société moderne a réalisé dans ses droits de l'homme en subsumant l'hypocrisie antérieure sous l'espèce plus générale de l'imbécillité probabiliste. Depuis, rien n'est plus mauvais en soi qui serait interdit à tous. Cela pourrait dépendre de la conviction future d'individus qui pourraient avoir tout loisir de décider, après coup, si l'action est bonne ou mauvaise. Curieuse cité qui place la conviction sacrée à tous les carrefours quand ce n'est pas dans tous les pâtés de maisons, et dont les citoyens, après avoir posé leur certitude personnelle comme savoir décisif, trouvent dans l'incertitude la justification a jamais ambigue de leur être et de leur action.

Mais comme l'imagination, à défaut d'être sagace, se promène volontiers, la théorie probabiliste, arrivée à cette altitude, devait s'enrichir de deux perfectionnements laics: de deux ultimes inconséquences. Le mal à son tour, ne se mit-on pas à dire, pourrait n'être qu'une erreur, et, suprême raffinement, cette erreur pourrait être celle de la conviction mauvaise!

Le criminel tout à l'heure n'était fautif qu'en raison de circonstances fâcheuses sur le compte desquelles il s'était malencontreusement mépris. Voici maintenant qu'il nous faut lui accorder en outre la possibilité de se disculper en plaidant la mauvaise foi! Sa conviction n'était-elle donc pas sacrée pour que la mauvaise foi la déloge de sa place de juge? Le droit à l'erreur est-il autre chose en cette circonstance que celui à l'imbécillité?

Comme jadis l'hypocrite -- et à sa suite --, l'imbécile est devenu la figure de la crise de la civilisation. Comment expliquer autrement que notre civilité ait pu perdre à ce point la compréhension de sa vertu constitutive pour céder au charme aberrant qu'exemplifie la morale internationale quand celle-ci interprète les délits de guerre et les assassinats politiques ethniques et religieux?

 

Il reste à dire à quel titre la possibilité de dire le vrai sur le mal peut être universelle. Si ce n'est pas l'Etat mondial ni moi, qui est habilité à dire le vrai sur le mal?

L'universalité qui se présente sous la forme d'un idéal abstrait indépendant de la vie telle une vie future peut être laissé à la religion. Dans la vie de tous les jours, en effet, si je suis outragé, c'est le peuple par ses instances qui entre en scène à ma place, et s'interpose pour une justice qui n'est plus celle de la vengeance de l'honneur. Hegel recommande de distinguer la simple pluralité de la foule à qui tout est étranger, de la multiplicité qui rassemble un peuple capable de poser son éthique dans les relations explicites de ses membres. Ces relations, dans lesquelles tous sont nommés et tous sont un, sont dans l'indifférence des éléments et des parties. Cette indifférence du lien social aux foules partielles et passionnées accueille les institutions, syndicats, associations, corporations, familles, etc. C'est cette indifférence et cette indifférence seule qu'il convient d'appeler, selon Hegel, universelle[(9)]

S'il en est ainsi, l'universel ne peut être qu'ici ou là, en des points géographiques particuliers, localisés en des peuples multiples. Il ne saurait être comme une chose universellement bonne accrochée aux étoiles depuis toujours et dont on pourrait s'approcher par imitation respectueuse. Le droit n'échappe pas à la logique. Le pluriversum y précède l'unum: la pluralité concrète des peuples est donnée avant leur unité. Sur ce point, le monothéisme, dès qu'il veut être une politique, rencontre une difficulté insurpassable pour lui.

L'universel est la qualité des civilisations vivantes, et surgit partout où subsistent des peuples civilisés. Quand bien même une ânerie se répandrait sur toute la terre, elle n'atteindrait ce faisant aucun degré d'universalité. Elle ne serait qu'une ânerie devenue générale.

Un particulier ne Peut comprendre la lésion qui lui est faite que par la vengeance. Il n'est pas sage et recevable de suspendre l'universalité au décret d'une conscience individuelle faillible ou d'une seule éthique si haute et si pure qu'elle soit s'il s'agit de problèmes internationaux. Serait-ce prudent quand l'outrage nous traverse de part en part et divise nos sentiments? Tandis que le peuple, qui n'a pas été touché, n'a pas été lésé; et, n'ayant pas été lésé, n'a pas à se venger. Non plus que l'universel qu'il peut représenter.

Il n'y a donc d'universalité concrète que celle de l'indifférence vivante des peuples multiples dont le site géopolitique particulier, avec le risque de sa mort, est condition de la liberté de chacun. Le problème, que n'a pas résolu le droit international d'aujourd'hui, est celui de faire croître et transiter la force paisible que contient l'élément d'indifférence du droit romain.

Un droit international qui ne se soumettrait pas aux contraintes du droit civil en matière de crime ne mérite aucun respect. Lui aussi doit se souvenir que la lésion est à définir pour remédier à la particularité de l'offense et non pour satisfaire au particulier outragé.

Plus important est de savoir jusqu'où un crime a eu lieu et a été mauvais que de savoir s'il est le fait d'une volonté bonne ou mauvaise.

 

Les organisations humanitaires et les crimes de lèse-majesté

 

Des contre-vérités élevées à la dignité de politiques, des tortures, des assassinats en tous genres, la violence froide des mots et celle, avide, des armes, sont à décrire et à révéler pour que soit porté secours à des victimes difficiles à compter. Des organisations humanitaires s'emploient, soit en paroles,~. soit eu actes, à y pourvoir avec la générosité sans fond d'une naiveté angoissée.

Elles n'y suffisent pas. Parce que l'abjection est profuse. Parce que les lois, dont ces associations auraient besoin, n'existent pas. Parce qu'il n'est pas assez de défendre les victimes si la loi n'est pas prophylactique et ne permet pas le châtiment des coupables. Enfin, ces associations ne semblent pas toujours bien percevoir la logique judiciaire pernicieuse qui abreuve leusr dossiers.

Dire que l'esprit du droit international qu'expriment les droits de l'homme aujourd'hui concourt au crime, fût-ce à son insu est un diagnostic grave qui, s'il est fondé, implique des décisions politiques déterminées.

La source juridique de ces associations est dans le Traité de Genève de 1894 qui donne naissance à la Croix Rouge, pour venir en aide aux blessés et leur faire parvenir les dons. Diverses sociétés dans divers pays la représentent sous forme d'Associations.

En 1922 est fondée la Fédération Internationale des droits de l'homme, dont le siège est à Paris, et qui regroupe vingt-neuf ligues nationales. Ses dirigeants s'occupent principalement de "rompre le silence" qui entoure les victimes de la répression des libertés, et "souhaitent depuis longtemps la création d'une cour pénale internationale. S'inspirant du précédent de Nuremberg, cette cour jugerait les responsables de crimes contre l'humanité et aurait un effet dissuasif" [(10)].

Fondée en 1961, Amnesty International vient en aide aux victimes et élabore des codes de conduite à tenir pour les professions de médecin, d'avocat, de policier qui sont mis en situation d'intolérable complicité. Dans les motifs moraux qui ont poussé M. Sean McBride à fonder Amnesty, celui-ci rapporte que l'idée lui en est venue essentiellement pour réagir contre l'extermination à laquelle aurait procédé le IIIe Reich allemand, extermination à laquelle il n'avait pas voulu croire tout d'abord quand le département d'Etat (qui avait fait de cette extermination un article de propagande) avait cherché à le convaincre. [(11)]

En 1974 est fondée l'Association des Chrétiens contre la torture. L'ACAT met l'accent sur la nécessité d'obtenir la suppression de la torture de même qu'il a pu être fait pour l'esclavage. Ces organisations sont très diverses dans leurs tâches. Certaines se consacrent à de stricts secours de guerre. D'autres s'affrontent aux difficultés concrètes de victimes nommées. Soit par impuissance, soit par cécité, toutes ces organisations soutiennent, quelquefois activement comme la Fédérations Internationale des droits de l'homme, les illusions juridiques qui fondent un droit qui ne viendra jamais, en tant que droit tout au moins, au secours des victimes.

La preuve en est que l'organisation Amnesty International rencontre une bien étrange difficulté pour obtenir, de la majorité des Etats qui composent l'Organisation des Nations-Unies, les lois élémentaires relatives aux assassinats politiques. Ces Etats ne parviennent pas a les envisager. Comment peut-on l'expliquer? En 1946, l'O.N.U., au lieu de procéder à une telle législation, s'obséda tant et tant sur le concept de génocide que l'on oublia dans la définition des victimes possibles celles qui pourraient l'être pour appartenir à un groupe politique! [(12)]

Si tant est que le concept de saisine universelle ait une signification, il le prouverait en s'élargissant aux raisons spécifiques les assassinats concrets. C'est ainsi que la Sous-Commission des droits de l'homme des Nations-Unies a prié le Conseil Economique et Social de demander l'abolition de la peine de mort pour délit politique. [(13)]

L'Assemblée Générale s'est contentée de "condamner la pratique des exécutions sommaires et des exécutions arbitraires", et de "déplorer leur augmentation", pour conclure que "cet état de choses est considéré généralement comme répondant à des motifs politiques" [(14)]

Cette irrésolution serait facétieuse si elle n'était une insulte aux faibles. Passons sur la nécessité d'aller contresigner ces déclarations ahuries de l'esprit en déroute. Quelles explications donne-t-on? Les Etats ne disent rien. Mais les organisations humanitaires? Les organisations humanitaires espèrent. Elles espèrent quoi? Elles espèrent que cette loi sur les assassinats politiques pourra provenir de l'élargissement de la législation relative au génocide. Car au seul génocide serait lié une vertu d'imprescriptibilité qui serait toute la force du nouveau droit.

On attend du génocide canonique qu'il fournisse l'autorité à un droit qu'il a empêché d'élaborer.

 

CONCLUSION

 

Dieu tient le droit de régner de sa toute-puissance. "Il est manifeste, observe Hobbes à ce sujet, que les hommes sont obligés de lui obéir à cause de leur imbécillité", car, ajoute le philosophe à l'adresse de ceux qui trouveraient le propos un peu rude: "S'il y avait deux tout-puissants [...] ni l'un ni l'autre ne le devrait céder à l'autre." [(15)]

Pour ne pas avoir à entrer dans des considérations si chargées d'épines, le discours politique doit se tenir devant les temples. Ce qui est la définition du mot profane. A cette seule condition peuvent coexister dans l'indifférence de l'éthique civile églises, temples, mosquées et synagogues.

Cette indifférence est en danger au dedans comme au dehors.

Les conflits internes du pays sont surinterprétés en termes de communauté religieuse ou ethnique, c'est-à-dire, en termes vulgaires: de haine et de race. La plupart des problèmes dont celui de la coexistence des communautés ne peuvent être abordés et réglés par ces propos qui expliquent tout et à tout moment se répandent partout.

L'influence de la démocratie américaine aggrave cet état de choses. Aux Etats-Unis, les communautés puissantes sont multiples. Ce n'est pas le cas en France où la seule communauté qui pèse sur la vie politique est la communauté juive. Un abus d'interprétation des conflits Politiques en termes de communauté équivaudrait à placer cette communauté comme foyer détenteur supposé du savoir politique et en ferait un responsable imaginaire de tout ce qui pourrait survenir.

N'est pas meilleure l'influence de l'idée d'une Vérité aux commandes d'un Etat révolutionnaire. Surtout quand elle se conjugue l'insouciance des hommes politiques et des gens de Lettres qui ont différé l'examen de la nature imaginaire des droits de l'homme et des conditions de liberté politique des travailleurs. Ceux-ci, en dehors des buts privés de la personne et de protections manifestes, n'ont plus la capacité propre de participer à une activité professionnelle universelle dont la délibération serait en leur pouvoir. Qu'en est-il de la continuité d'une prise effective du travailleur sur son destin et sur les choses dont dépend l'existence commune?

Les crises identitaires d'un peuple apparaissent lorsqu'une partie de sa totalité, pour une raison politique ou religieuse, ne se reconnaît plus dans l'unité. En quelques décennies d'aboiements à la lune, de propos incertains et taris, de telles coupures se sont peut-être accomplies.

L'adhésion à un langage international pseudo-juridique et la survivance d'Associations faillies rend impossible l'expression d'une volonté propre et accentue l'illusion d'une fausse alternative qui 'fait paraître deux Etats très puissants pour deux Etats tout-puissants auprès desquels tout tiers est à jamais exclu.

Quand le pas des siècle s'étouffe ainsi, souvent les hommes, par nostalgie de l'objectivité dont leur liberté pervertie garde le souvenir, et pour sentir la solidité de quelque chose, se précipitent vers l'autorité pure et ses destins imprévus.

Rien ne dissimulerait mieux l'imbécillité que le divin si l'usage abusif des novices n'en déchirait les voiles.

Notes

[(1)] La théorie pure du droit, Dalloz, 1962, p. 166

[2)] Journal Le Monde. "Les droits de l'homme et la réalité juridique", 12 août 1983.

[(3)] De l'idée d'universalité, p. VI, p. III, p. IV

[(4)] ib.

[(5)]Kelsen, La théorie pure du droit, p. 443.

[(6)]Alexandre Kojève, Critique, 1946, no 2-3, p. 366.

[(7)]Hegel, L'Encyclopédie, 6, 548.

[(8)]Hegel, Principes de la Philosophie du droit, Vrin, p.185.

[(9)]Hegel, Système de la vie éthique, Payot, p. 161 .

[(10)] M.B. de la Grange, Journal Le Monde, 26 mars 1983

[(11)] Sean McBride, L'Expérience de la liberté, Stock, 1981.

[(12)] Résolution 96, Article II, 17 décembre 1946.

[(13)] Document ONU, E/CN, 4 Sub 2/1 749, 1981 .

[(14) ] Résolution no 36/22, 9 novembre 1981 .

[(15)] Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, Garnier- Flammarion, p. 264.

 

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