AAARGH
Après un sujet douteux au brevet des collèges 1996, la suspension tardive pour négationnisme du jeune professeur Vincent Reynouard agite le ministère de l'Education nationale
L'académie de Caen est à nouveau hantée par le spectre du négationnisme. Un sujet du brevet des collèges, en juin 1996, portant sur le "génocide des juifs" prête à discussion. Plus grave, la suspension d'un professeur de Honfleur (Calvados), pour pratiques pédagogiques suspectes, met en cause la vigilance de l'administration.
Avec Lyon (affaires Faurisson et Notin) et Nantes (affaire Roques), Caen fait partie des académies "sensibles". L'ancien doyen Michel de Bouard, historien du Moyen Age et ancien déporté avait, il y a quelques années, fait scandale en soutenant la thèse négationniste d'Henri Roques. Dans la région, tracts et affiches négationnistes apparaissent régulièrement et il arrive aux élèves des classes lauréates du Concours de la Résistance de recevoir, à leur nom, de la "documentation" du même acabit. C'est aussi à Caen que Pierre Chaunu, historien de droite, mais violemment antinégationniste, a été à plusieurs reprises, depuis 1991, harcelé à son domicile privé.
Cet activisme local n'est-il pas à l'origine du curieux sujet de brevet des collèges de juin dernier? A titre de témoignage sur le camp d'extermination de Treblinka était en effet proposé un extrait d'Au nom de tous les miens, de Martin Gray, connu de tous les historiens de cette période pour être un texte frauduleux. Dès 1981, Pierre Vidal-Naquet, auteur des Assassins de la mémoire, dénonçait en Martin Gray un imposteur ayant "inventé de toutes pièces un séjour dans un camp d'extermination où il n'a jamais mis les pieds"[mais l'inénarrable Naquet a attendu que les révisionnistes aient dénoncé "ce faux splendide" et absolument impossible à défendre pour le faire à son tour, note de l'AAARGH]. Ajoutant que les négationnistes "se sont naturellement rués sur cette trop belle occasion". Leur tactique consiste en effet à mettre en doute tous les témoignages sur le génocide à partir de la réfutation de quelques-uns d'entre eux, inexacts ou inventés. Depuis longtemps, Martin Gray est l'un des exemples préférés de la littérature faurissonienne. Fait troublant, Rivarol, journal d'extrême droite et pro-négationniste, mystérieusement bien informé, consacrait au sujet, peu de jours après l'examen, un article ricaneur: "Une imposture au programme du brevet des collèges..."
Le contenu de cette épreuve, quelques mois après l'intense polémique Garaudy-abbé Pierre, est passé à travers tous les filtres de validation des sujets. Il n'aurait pourtant pas dû échapper à des pédagogues, à des historiens régulièrement sensibilisés à l'entretien de la mémoire auprès des élèves. De plus, l'extrait choisi ne mentionne-t-il pas la "chaleur de l'été polonais" alors que la scène est censée se dérouler "à la fin de 1942"? C'est un enseignant qui, à titre de parent d'élève, a alerté le rectorat à l'automne dernier. Lequel n'a pas estimé nécessaire de mener une enquête, tout en admettant aujourd'hui que le sujet est "critiquable".
La réaction du recteur, semble avoir été plus prompte concernant Vincent Reynouard, jeune professeur de mathématiques-physique du LEP de Honfleur, suspendu à titre provisoire le 18 décembre 1996, avec transmission du dossier au parquet. Le ministère de l'Education nationale la considère néanmoins comme tardive, tant le militantisme de ce négationniste normand est de notoriété publique dans la région. Courtois, intelligent, Vincent Reynouard a toujours opté pour la transparence et la provocation. Depuis six ans, ce membre actif (jusqu'en 1991) du Parti nationaliste français et européen (PNFE) milite à visage découvert signant ses tracts et ses articles. Au point d'accumuler au fil des ans procès sur procès -- relatés par la presse nationale dès 1991-- au cours desquels il est défendu par Me Delcroix, avocat du clan Faurisson. Cela lui valut en 1990 d'être exclu un temps de l'école d'ingénieurs de Caen, après diffusion de tracts et d'autocollants sur le campus. Diplômé ingénieur chimiste en 1991, il opte pour l'enseignement et passe en 1994 le concours de professeur de lycée professionnel (PLP 2), qu'il réussit sans difficulté. II est titularisé le 4 septembre 1995, bien qu'entre-temps la Cour de cassation ait rendu définitive une condamnation pour négation de la réalité du génocide et qu'il fasse l'objet de nouvelles poursuites pour distribution de tracts dans les rues de Caen. Le voici alors nommé au LEP de Honfleur, à sa grande surprise: "Je me suis dit: ils sont dingues, ils me titularisent, avec tout ce que je fais!" Les procès continuent de s'enchaîner; la presse en parle, mais rien ne se passe. En avril 1996, il est condamné à trois mois de prison avec sursis. Vincent Reynouard, qui ne répond pas aux convocations des juges, se fait cueillir par la police judiciaire. "Pour justifier mes absences, j'apportais les photocopies des mandats d'amener au proviseur, s'amuse-til à raconter aujourd'hui. Il ne m'a jamais posé une seule question!"
Cette impunité a donc pris subitement fin le 18 décembre 1996. Le recteur reproche trois faits au jeune enseignant suspendu: la réception de deux courriers privés sur le fax du lycée; le stockage dans son fichier de l'ordinateur de l'établissement de deux textes niant l'extermination des juifs et d'un troisième sur Oradour, et la distribution d'un exercice sur les statistiques de mortalité à Dachau, typique argumentation négationniste, à base de sophismes, tirée d'un article de Robert Faurisson publié en 1990 dans la Revue d'histoire révisionniste. Mais avec ce dernier élément-- le seul qui concerne ses rapports avec les élèves -- l'administration scolaire aggrave son propre cas, l'exercice en question, ancien, datant de... novembre 1995, soit deux mois après sa titularisation.
Le rectorat a justifié celle-ci en précisant à la presse: "Il était très jeune; il fallait lui donner une chance." Argument que l'intéressé s'empresse de ridiculiser dans un texte public adressé au recteur: "Mes opinions révisionnistes ne peuvent absolument pas être qualifiées d'erreur de jeunesse puisque je persévère depuis cinq ans. [...] J'ai été titularisé en septembre 1995. Or, à cette date personne n'ignorait que je restais un révisionniste convaincu et que, pour la justice, j'étais un multirécidiviste."
Le recteur, qui invoque son "obligation de réserve" se borne à préciser que l'administration dont il s'affirme "solidaire", a "fait son devoir". Ces deux affaires embarrassent beaucoup le ministère de l'Education nationale. Le sujet de brevet va faire l'objet d'une enquête du doyen de l'inspection générale pour déterminer s'il s'agit d'une intention perverse ou d'une "grosse bêtise regrettable", comme on dit au ministère. Quant à l'affaire Reynouard, elle ne fait que commencer. "La faute de l'administration est nette: ce type n'aurait jamais dû être titularisé", explique-t-on dans l'entourage de François Bayrou. Deux inspecteurs généraux, qui se sont rendus à Honfleur pour "comprendre ce qui s'est passé" viennent de remettre un rapport au service juridique du ministère. Vincent Reynouard devrait passer au début de mars devant la commission de discipline nationale, qui peut prononcer sa révocation. Rue de Grenelle on s'inquiète de la polémique que risque de provoquer une affaire dont toute la chronologie montre que l'administration a manqué de vigilance? Vincent Reynouard, procédurier opiniâtre, entend en tirer parti. Il a déposé un recours contre sa suspension devant le tribunal administratif.
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