AAARGH

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New York Times: August 6, 2000



Le conte de deux holocaustes*

Omer Bartov**

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[Note de l'AAARGH: Finkelstein a un site web où l'on trouve le dossier de son livre: http://www.normanfinkelstein.com/index.html]

 

http://www.nytimes.com/books/yr/mo/day/reviews/000806.06bartovt.html

*[Note de l'AAARGH: ce titre constitue une référence incompréhensible en français, ce qui n'a d'ailleurs aucune importance parce qu'elle n'a aucun sens non plus pour un anglophone: il est décalqué de celui d'un roman de Dickens, A Tale of Two Cities, qui se passe à Londres et à Paris en 1793 et n'a aucun rapport, de près ou de loin, avec le propos de l'auteur ou celui de Finkelstein; il n'est que l'expression de ce que les Anglo-Saxons appelle "culture générale" et qui consiste à coller des citations littéraires à tout propos, comme si une intelligence développée n'était rien d'autre qu'une mémoire fourre-tout; ce livre n'a pas été souvent publié en français et il n'a pas de titre "reçu" sur lequel nous pourrions calquer notre traduction. Qu'on nous le pardonne!]

**[Note de l'AAARGH: écrivain israélien, professeur à l'université de Tel-Aviv. On peut lire de lui, en français, L'armée d'Hitler, la Wehrmacht, les nazis et la guerre; trad. de l'anglais par Jean-Pierre Ricard; préf. de Philippe Burrin, Paris, Hachette littératures, 1999; ce livre figure au catalogue de la Bibliothèque nationale avec la mention "histoire" et les mots-clés suivants: National-socialisme * Guerre mondiale (1939-1945) -- Atrocités * Allemagne (1871-1945 ). Wehrmacht * Sous le mot actualités, le catalogue de la BN recense près de trois cent titres depuis 1970. Bartov y côtoie ainsi le texte de Jean Genet, "Sabra et Chatila" dont nous saluons le retour sur le réseau...]



Norman Finkelstein s'est fait connaître aux Etats-Unis avec son essai Daniel Jonah Goldhagen's 'Crazy' Thesis qu'il a ensuite publié dans le livre qu'il a fait avec Ruth Birn, A Nation on Trial ((texte intégral sur ce site; trad.française, L'Allemagne en procès, Paris, Albin Michel, 1999). La plus grande partie de cet article consistait en une excellente dissection du livre de Goldhagen, Hitler's Willing Executioners (trad. française, Les Bourreaux volontaires de Hitler, Paris, Le Seuil, 1998). Malheureusement, sa dernière partie montrait un Finkelstein métamorphosé, utilisant la rhétorique douteuse et la logique erronée qu'il avait décelée dans le livre de Goldhagen pour prouver sa thèse encore plus "dingue", qui expliquait le succès de son adversaire par l'action de forces occultes.

Finkelstein est de retour, pour se venger, chevalier solitaire au service d'une mission sacrée: démasquer la maléfique conspiration judéo-sioniste. L'argument principal de L'Industrie de l'holocauste consiste en l'opposition simpliste entre deux phénomènes: l'holocauste nazi et "L'Holocauste", qu'il définit "comme une représentation idéologique de l'holocauste nazi". Il ne s'intéresse pas au premier, bien qu'il admette très volontiers qu'il a eu lieu, puisque ses parents ont tous deux échappé à ses horreurs et que quelques-uns des rares historiens qu'il respecte, particulièrement Raul Hilberg, s'y sont intéressés.

Mais par une de ces étranges inversions qui caractérisent son livre, Finkelstein parle de l'événement historique avec la même déférence et exige qu'onlui accorde l'incompréhension silencieuse qu'il reproche à son ennemi juré, Elie Wiesel. Pour "pour tirer un enseignement réel de l'holocauste nazi, sa dimension physique doit être réduite et sa dimension morale élargie." On ne comprend pas très bien ce qu'il veut dire par là mais on ne s'étonne pas que son opinion sur les origines, la nature et les implications du génocide se résument à une succession d'affirmations vagues, dépourvues de référence et contradictoires. Par exemple, il écrit quelque part que "Les preuves historiques de l'élan criminel des Gentils sont inexistantes." (p. 50) et rejette la thèse qu'il aurait pu y avoir "un abandon des juifs" par le gouvernement des Etats-Unis. Mais ailleurs, il accuse le Musée de l'holocauste des Etats-Unis "[d'avoir] étouffé l'arrière-plan chrétien de l'antisémitisme européen" et de "On a dissimulé les quotas d'immigration discriminatoires adoptés par les États-Unis avant la guerre" avant de parler élogieusement du livre de David Wyman, L'abandon des juifs.

Mais ce qui intéresse véritablement Finkelstein, c'est "L'Holocauste". Son argument central est simple: si les juifs et les sionistes n'avaient pas eu l'holocauste, il aurait fallu l'inventer. Et en fait, c'est exactement ce qu'ils ont fait à toutes fins utiles, en inventant "L'Holocauste" et ce, bien que ces événements aient réellement eu lieu, détail irritant. Et pourquoi a-t-on fabriqué "L'Holocauste"? Parce qu'il légitmise "l'une des puissances militaires les plus formidables du monde", Israël, en lui permettant de "se poser en pays victime" et parce qu'il fournit au "groupe ethnique le plus florissant des États-Unis" "l'immunité face à la critique" qui conduit " à la corruption morale qui l'accompagne" (p. 3).

Finkelstein prétend être totalement étranger au désir d'exploiter "L'Holocauste" à ses propres fins, contrairement à ses innombrables ennemis. Ce n'est pas sa faute si ses "révélations" sensationnelles et ses accusations outrageantes ont attiré l'attention du public. De même, son antisionisme virulent et sa vive haine de tous ceux qu'il considère comme les dirigeants juifs corrompus des Etats-Unis ne sont que le reflet d'une réalité que lui seul discerne à travers les nuées de la mystification et de la démagogie qui ont trompé des milliers de gens ordinaires, de spécialistes et d'intellectuels [Note de l'AAARGH: cela peut-être être aussi bien la preuve que tous ces gens-là sont des imbéciles ou des naïfs. Beaucoup d'autres en effet, ne se sont pas laissé abuser !]. Du haut de son propre Sinaï, tout est clair et évident. Le seul ennui, c'est que sa voix est trop faible pour qu'on l'entende dans la vallée.

Le principal coupable, dans le monde d'après Finkelstein, est "l'industrie de l'holocauste", faite de personnalités israéliennes et d'avocats engraissés, d'agents juifs bien placés dans les cercles politiques américains et de sionistes sans foi ni loi bien décidés à soumettre les Palestiniens. Il mélange la vision éculée d'un état d'Israël avant-poste de l'impérialisme américain et une nouvelle version du faux antisémitique, Les Protocoles des sages de Sion qui révélait qu'une conspiration juive voulait s'emparer du monde. La conspiration juive actuelle a cette fois pour but de "faire chanter" (son expression favorite) des innocents comme les banques suisses, les grandes entreprises allemandes et les propriétaires de biens volés aux juifs en Europe de l'Est, tout cela afin de renforcer la puissance et l'influence juive en ne donnant aux véritables rescapés du génocide que des discours creux [Note de l'AAARGH: c'est faux, Finkelstein ne plaint pas du tout les banques suisses, il dit que si la pilule est passée facilement lorsqu'il s'agissait de traire ces gros capitalistes, elle est beaucoup plus dure à avaler quand on veut affamer les paysans polonais. Quant à nous, qui n'avons aucune symathie pour quelque banque ou entreprise capitaliste que ce soit, nous voudrions savoir comment on justifie que, dans des sociétés gouvernées par des lois protégeant le grand capital, on pourrait commettre les violer impunément: le seul point de vue qui le justifie nous semble être celui des révolutionnaires, or ce Bartov n'en est pas un, que nous sachions. Et ça s'appelle de la logique interne.].

Finkelstein ne mentionne nulle part que les principaux bénéficiaires des indemnités pour le travail forcé seront des non-juifs âgés qui finissent leur vie dans la pauvreté en Europe de l'Est ou que ce sont des spécialistes allemands comme Ulrich Herbert, qu'on ne peut guère accusé d'être à la solde des "intérêts juifs", qui ont mené la bataille pour l'indemhnisation par les grandes entrerpises, qui, ont refusé pendant des dizaines d'années de reconnaître qu'elles avaient tiré d'énormes profits du travail forcé et esclave. Du point de vue de l'auteur, l'affaire se réduit à une entreprise juive américaine "qui l'impose à ceux qui sont le moins capables de se défendre", sans doute comme les banques suisses "dont on complotait" le blocus et aux "États-Unis et à leurs alliés" auxquelles elle "a extorqué encore soixante-dix millions de dollars" (p. 103, note)

D'après Finkelstein, les grandes puissances mondiales ont ainsi capitulé devant ce que The Times appelle la campagne de "l'holocash" aux Etats-Unis. Il éprouve un mépris particulier pour la "Conférence des réclamations matérielles juives", un regroupement d'associations juives qui distribuent les indemnités aux rescapés et cite un député israélien de droite, Michael Kleiner, qui a qualifié la Conférence de "Judenrat, continuant l'oeuvre nazie de maintes façons." (p. 124) Comme le dit Finkelstein ailleurs, "les extrêmes se touchent" (en français dans le texte): en dénonçant le "chantage" exercé sur les entreprises allemandes, cet antisioniste d'extrême-gauche se sert exactement de la rhétorique qu'employait Menahem Begin pour dénoncer le principe "du prix du sang" pendant les émeutes d'extrême-droite contre l'accord de Luxembourg avec l'Allemagne en 1952, qui ont failli renverser le gouvernement israélien.

Cette perversion de l'indignation morale et ce dévoiement de l'intelligence sont à la fois un peu tristes et indécents; tout cela est à la fois puéril, justicier, arrogant et stupide. Comme le montrait le livre beaucoup plus modéré (bien qu'il ne soit pas non plus entièrement satisfaisant [Note de l'AAARGH: en effet, il critique certains juifs.]) de Peter Novick, The holocaust in Américan life, la façon diverse dont l'holocauste nazi des juifs est considéré a permis toutes sortes d'exploitations et un opportunisme à la petite semaine. Mais en faire une conspiration internationale juive confine à la paranoïa et donne des armes aux antisémites du monde entier, beaucoup plus certainement que la dénonciation des honoraires exorbitants des avocats employés à "faire chanter" les industriels allemands.

Finkelstein dit que l"industrie de l'holocauste" "se drap[e] du manteau hypocrite des "victimes nécessiteuses de l'Holocauste" (p. 130) Mais lui-même se drape de ce manteau en méprisant les sentiments des rescapés et en déployant un zèle impressionnant pour révéler "l'abandon impitoyable et imprudent" de "l'industrie de l'holocauste" qu'il traite de "principale cause du développement de l'antisémitisme en Europe" (p. 130). "En faisant chanter les banquiers suisses et les industriels allemands" et en même temps "en affamant les paysans polonais" (p. 131), "l'industerie de l'holocauste" cherche à augmenter sans fin le tas d'or, "le butin de l'holocauste" sur lequel les dirigeants juifs et sionistes sont désormais prétendument assis. "L'Holocauste" est peut-être "le plus grand vol de l'histoire de l'humanité", conclut Finkelstein (p. 139).

Ce qui me frappe surtout dans L'industrie de l'holocauste, c'est que ce livre est la copie presque conforme des procédés qu'il cherche à dénoncer. Il regorge de ces hyperboles endiablées que Finkelstein dénonce, à juste titre, dans le discours que tient la presse contemporaine sur l'holocauste; il est sous-tendu de la même indifférence envers les faits historiques, des mêmes contradictions internes, des mêmes mises en contexte douteuses et de buts politiques stridents. Enfin, il émane de tout cela la même certitude de supériorité morale et intellectuelle.

En bref, ce livre est la description idéologique et fanatique de l'opportunisme d'autrui, écrite par un auteur si imprudent et impitoyable dans ses attaques qu'il est prêt à défendre ses propres ennemis, les bastions du capitalisme occidental et de redouter qu'advienne, du fait de "L'Holocauste", un antisémitisme dont il nie l'importance par ailleurs. Comme dans toute théorie de la conspiration, on y trouve quelques parcelles de vérité mais c'est à la fois insidieux et irrationnel. On peut désormais dire que Finkelstein a créé sa propre industrie de l'holocauste.

 


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