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Le procès Garaudy-Guillaume:

les cinq jugements de première instance (février 1998)

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Jugement n·1 | Jugement n·2 | Jugement n·3 | Jugement n° 4 | Jugement n° 5 |

Ministère Public
c/. GUILLAUME
GARAUDY
République française
Au nom du Peuple français
Tribunal de Grande Instance de Paris
l7ème chambre
N· d'affaire : 9605325012

Jugement du : 27 février 1998 n·1


NATURE DES INFRACTIONS :
CONTESTATION DE L'EXISTENCE DE CRIME CONTRE L'HUMANITE PAR PAROLE, ECRIT, IMAGE OU MOYEN AUDIOVISUEL,
TRIBUNAL SAISI PAR : Ordonnance de renvoi du juge d'instruction en date du 07 mars 1997 suivie d'une citation.
PERSONNE POURSUIVIE:
Nom : GUILLAUME
Prénoms : Pierre, Noel, Charles
Né le : 22 décembre 1940
A : RAMBERVILLERS (88)
Fils de : Pierre-Paul GUILLAUME
Et de : Victoire ROCHOTTE
Nationalité : française
Domicile : 16 rue des Fossés St Jacques, 75005 PARIS
Profession : sans
Situation familiale : marié Nombre d'enfants : 2
Situation pénale : libre

Comparution : comparant assisté de Me DELCROIX, et Me BALAN avocats du barreau de Paris, lesquels ont déposé des conclusions visées par le Président et le Greffier et jointes au dossier.
NATURE DES INFRACTIONS : complicité de CONTESTATION DE L'EXISTENCE DE CRIME CONTRE L'HUMANITE PAR PAROLE, ECRIT, IMAGE OU MOYEN AUDIOVISUEL,


[Fin de la page 1]

TRIBUNAL SAISI PAR: Ordonnance de renvoi du juge d'instruction en date du 07 mars 1997 suivie d'une citation.
PERSONNE POURSUIVIE:
Nom : GARAUDY
Prénoms : Roger, Jean, Charles
Né le : 17 juillet 1913
A : MARSEILLE (13)
Fils de : Charles GARAUDY
Et de : Marie MAURIN
Nationalité : française
Domicile : 69 rue de Sucy, 94430 CHENNEVIERES SUR MARNE
Profession : universitaire en retraite
Situation pénale : libre
Comparution :comparant assisté par Me VERGES, et Me PETILLAULT avocats du barreau de Paris, lesquels ont déposé des conclusions visées par le Président et le Greffier et jointes au dossier.
PARTIES CIVILES:
Union Nationale des Associations de Déportés et Internes et Famille des Disparus. UNADIF
8 rue des Bauches
75016 Paris
Union Nationale des Déportés, Internés, et Victimes de Guerre. UNDIVG
5 place des Ternes
75017 Paris
Fédération Nationale des Déportés et Internes de la Résistance. FNDIR
8 rue des Bauches
75016 Paris

[Fin de la page 2]

[Fin de la page 3]

PROCEDURE D'AUDIENCE

A la suite d'une plainte avec constitution de partie civile déposée le 22 février 1996 par l'Union Nationale des Associations des Déportés et Internés de la Résistance (UNADIF) et par la " Fédération Nationale des Déportés et Internés de la Résistance ( FNDIR) et par ordonnance rendue le 7 mars 1997 par l'un des juges d'instruction de ce siège, Pierre GUILLAUME et Roger GARAUDY ont été renvoyés devant ce tribunal pour y répondre, respectivement comme auteur et comme complice du délit de contestation de crimes contre l'humanité, à raison de la publication, dans le courant du mois de décembre 1995, aux éditions "La Vieille Taupe" d'un ouvrage intitulé : "Les mythes fondateurs de la politique israélienne", retenu au titre des chapitres 2 et 3, respectivement intitulés : "Le mythe de la justice de Nuremberg"et "le mythe de l'holocauste", figurant pages 72 à 147.
Ce délit est puni et réprimé par les articles 23, 24 al.6, 24 bis, 42, 43 et suivants de la loi du 29 juillet 1881.
Appelée à l'audience du 29 mai 1997, aprês citation régulière des prévenus l'affaire a été renvoyée aux audiences des 3 juillet. 2 octobre ; 11 décembre 1997et 8 janvier 1998.
A l'audience du 8 janvier 1998, les deux prévenus ont comparu assistés de leurs conseils respectifs.

[Fin de la page 4]

Se sont constituées parties civiles, par la voix de leurs avocats
l'UNADIF
la FNDIR
l'Amicale des Anciens Déportés de BUNA-MONOVITZ
l'Amicale des Anciens Déportés Juifs de France
l'Amicale des Déportés d'AUSCHWITZ et des camps de Haute Silésie
l'Association indépendante nationale des anciens déportés internés juifs et leurs familles
l'Union nationale des déportés, internés et victimes de guerre ( UNDIVG)
la Fondation pour la mémoire de la déportation
l'association sportive et culturelle MACCABI, dite MACCABI INTER
l'association Avocats sans frontières.


Le conseil du prévenu GUILLAUME a contesté la recevabilité des constitutions de partie civile des associations "MACCABI INTER" et "Avocats sans frontières", faute pour celles-ci de démontrer que leur objet s'inscrit dans le cadre des dispositions de l'article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881.
De même, avant toute défense au fond, les conseils du prévenu GARAUDY ont déposé des conclusions aux fins d'exception préjudicielle, visant l'article 386 du Code de Procédure Pénale, demandant au tribunal de dire que le prévenu saisira la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour faire juger la compatibilité des dispositions de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 avec celles de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, et notamment son article 10 proclamant la liberté d'expression.
Après avoir entendu le représentant du Ministère Public et les avocats des parties civiles, le Tribunal a joint ces incidents au fond. la défense ayant eu la parole en dernier.
Le Président a procédé au rappel des faits et de la procédure, à l'interrogatoire des prévenus et à l'audition des témoins et des représentants des associations parties civiles.
Les débats ne pouvant être terminés au cours de la même audience se sont continués lors des audiences des 9, 15, et 16 janvier 1998, conformément à l'article 461 du Code de Procédure Pénale.
Les conseils des parties ont développé les termes de leurs demandes. Le représentant du Ministère Public a présenté ses réquisitions.
Les conseils des prévenus ont été entendus en leurs moyens de défense et plaidoiries.
Les prévenus ont eu la parole en dernier.

[Fin de la page 5]

L'affaire a été mise en délibéré: Le Président a conformément à l'article 462b al. 2 du Code de Procédure Pénale, informé les parties que le jugement serait prononcé à l'audience du 27 février 1998.
SUR LA RECEVABILITE DES ASSOCIATIONS "MACCABI-INTER" ET "AVOCATS SANS FRONTIÈRES":
Aux termes de l'article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881, les associations pouvant exercer les droits reconnus aux parties civiles en ce qui concerne l'infraction prévue par l'article 24bis sont celles qui, régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposent par leurs statuts, "de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance et des Déportés".
Tel n'est pas le cas des associations "Maccabi-Inter" et "Avocats sans frontières".
La première a pour objet de "favoriser par le moyen des activités culturelles et artistiques, les échanges et les rencontres interculturelles dans le respect de chaque culture et de chaque individu, de fa ire connaître la culture juive et son histoire dans ses relations avec les autres cultures, de lutter contre tout racisme, tout antisémitisme et toute forme d'intolérance par tous moyens médiatiques, culturels, et éventuellement légaux en se référent à la loi de 1972 sur la discrimination)".
La seconde a pour but "la défense des droits de l'homme et la lutte contre toutes les discriminations, en particuliers contre le racisme et l'antisémitisme".
Ces objets sociaux ne correspondant pas aux prévisions de l'article 48-2, ces associations sont donc irrecevables à agir sur le fondement de l'article 24bis.
L'association "Avocats sans frontière" s'est, au demeurant, désistée de sa constitution lors des débats; il lui en sera donné acte.
SUR L'EXCEPTION PREJUDICIELLE
Les conseils du prévenu Garaudy entendent faire saisir par la voie de l'exception préjudicielle de l'article 386 du Code de Procédure Pénale, la Cour Européenne des Droits de l'Homme, afin que celle-ci se prononce sur la compatibilité des dispositions de l'article 24bis de la loi du 29 juillet 1881, incriminant la contestation de crimes contre l'Humanité, avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et notamment son article 10.

[Fin de la page 6]

Cependant, il est de principe, aux termes de l'article 384 du Code de Procédure Pénale, que "le Tribunal saisi de l'action publique est compétent pour statuer sur toutes exceptions proposées par le prévenu pour sa défense, à moins que la loi n'en dispose autrement ou que le prévenu n'excipe d'un droit réel immobilier".
Ainsi, le juge répressif doit statuer lui-même sur toute question dont dépend l'application de la loi pénale, et il n'y a lieu à exception préjudicielle que lorsque la solution du procès dépend d'un point de droit qui échappe légalement à sa compétence.
Tel n'est pas le cas de l'application, en droit interne, des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme : celle-ci est d'application directe en France, et se trouve revêtue de l'autorité qui s'attache aux traités internationaux, par application de l'article 55 de la Constitution.
il appartient au juge répressif de l'interpréter, le cas échéant, et de vérifier la compatibilité du droit interne avec les principes qu'elle proclame.
La Convention prévoit, au demeurant, que la Cour qu'elle institue ne peut être saisie par un requérant qu'après épuisement des voies de recours internes.
L'exception préjudicielle présentée par la défense de M. GARAUDY n'est donc pas recevable.

* *
*

AU FOND:
Il est reproché à M. Pierre GUILLAUME, directeur de publication de la revue "La Vieille Taupe", et à M. Roger GARAUDY, auteur de l'ouvrage "Les mythes fondateurs de la politique israélienne" d'avoir mis celui-ci à disposition du public, courant décembre 1995, et d'avoir, ce faisant, commis le délit prévu par l'article 24 bis de la loi sur la presse.
Le conseil de M. GUILLAUME dépose des conclusions demandant au Tribunal de :
"Constater que les conditions de publicité telles qu'énoncées par l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 ne sont pas réunies, quant à I'édition privée faite par La Vieille Taupe de l'ouvrage de Roger GARAUDY intitulé les Mythes fondateurs de la politique israélienne, en pré-publication à publication du samizdat de Roger GARAUDY;
Constater subsidiairement, sur l'exception de tyrannie, qu'en disposant du fait causal du délit qu'elle institue, la "loi" du 13 juillet 1990 se disqualifie en tant que telle, ce qui impose au juge de constater qu'il ne s'agit que d'une

[Fin de la page 7]

"voie de fait" extra constitutionnelle qu'il doit s'interdire de réitérer par un jugement de condamnation".
Dire que le Tribunal, ni aucun juge, ne saurait sans déroger, au nom de la loi d'Etat se faire le négateur des lois de la physique ou de la chimie;
Dire subsidiairement, sur I'exception de publicité, qu'il convient de constater que I'interprétation stricte de la loi pénale interdit d'induire des insuffisances de l'article 24 bis rajouté par ladite "loi" du 13 juillet 1990 à la loi du 29 juillet 1881 une dérogation au régime de la publicité des lois pénales;
Constater l'absence d'une telle publicité au Journal Officiel de la République Française concernant telle ou telle décision de la justice internationale ou française qui pourrait ainsi être opposée au prévenu dans le cadre de l'article 24bis;
Constater plus précisément en ce qui concerne cette dernière que les décisions de la justice militaire française sont inaccessibles au public pour une durée de cent ans (loi 79-18 de janvier 1979), ce qui est une atteinte aux droits de la défense interdisant à celle-ci d'opposer tel jugement occulté à tel autre invoqué;
Prononcer la relaxe de Pierre GUILLAUME;
Condamner solidairement I'UNADIF et la FNDIR, à payer à Monsieur GUILLAUME une somme de 10.000 francs chacune en application de l'article 472 du Code de Procédure Pénale.
"

Sur la publicité de l'ouvrage :
Lors de l'instruction comme à l'audience, M. Pierre GUILLAUME a soutenu que le texte litigieux n'avait pas été livré au public mais remis exclusivement aux Amis de la Vieille Taupe"( D.39) il a affirmé qu'en aucun cas cet ouvrage n'avait été disponible en librairie et répété ( D. 112) "qu'il avait circulé exclusivement entre abonnés" et "de la main à la main entre amis".
M. GARAUDY a confirmé ce point ( D.120).
Pour démontrer le caractère public de l'ouvrage, le conseil des parties civiles poursuivantes a versé au dossier et aux débats :
une facture d'achat de trois exemplaires de l'ouvrage à la librairie L'AENCRE", 12 rue de la Sourdière, Paris 1er, en date du 21 février 1996 (D.117) ;
une lettre circulaire datée du 15 décembre 1995 aux "Amis de la Vieille Taupe" émanant de M. Pierre GUILLAUME évoquant "sa décision de publier le livre" afin qu'il

[Fin de la page 8]

soit "dispersé dans la nature avant de pouvoir faire l'objet d'une mesure de saisie"
Il n'y a pas de délit de presse sans publicité : la loi n'atteint pas la pensée solitaire ou l'opinion formulée dans un groupe restreint, partageant une communauté d'intérêts, mais seulement l'expression publique, orale ou écrite d'un discours qui trouble l'ordre social, ou blesse l'individu.
L'article 24 bis renvoie, sur ce point, expressément aux moyens de publicité énoncés à l'article 23 ( "[ ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23 [...]" ) : la publicité est donc l'un des éléments constitutifs du délit.
L'ouvrage litigieux (D. 1) mentionne en page de couverture, "numéro spécial, hors commerce"; en première page il est précisé de nouveau : "hors commerce, bulletin confidentiel réservé aux amis de la Vieille Taupe", et : "La diffusion publique de cette revue[...] est interrompue jusqu'à l'abolition de la loi scélérate" ; en page 3, un éditorial indique encore que "cette édition n'est pas publique", et en explique les raisons (l'existence de la loi du 13 juillet 1990), annonçant "la réalisation d'une deuxième édition publique, dès que possible, en 1996".
Le Tribunal constate qu'au regard des affirmations du prévenu GUILLAUME, et de celles de l'ouvrage lui-même, les parties poursuivantes ne rapportent pas une preuve suffisante de la publicité que celui-ci aurait reçue :
1 - Comme le soutient, à juste titre, la défense (qui produit une attestation à cet effet du gérant de la librairie l'Aencre), la facture d'achat de trois exemplaires dans cette librairie produite par les parties civiles, est dépourvue de caractère probant: pour partie illisible, mentionnant un taux de TVA fantaisiste, omettant d'indiquer le titre même du livre, elle n'établit pas que c'est l'éditeur de la revue, ou l'auteur de l'ouvrage, qui auraient confié ces trois exemplaires au libraire en vue de leur vente publique.
2 - La lettre circulaire du 15 décembre 1995 de Pierre GUILLAUME aux "Amis de la Vieille Taupe" se présente comme un bulletin d'information à des abonnés : Si elle annonce une stratégie de "dispersion dans la nature " du numéro 2 de la revue, celle-ci passe par le canal des abonnés, et précède "la réalisation d'une deuxième édition publique".
Si ce mode de distribution par abonnements n'entraîne pas nécessairement l'absenoe de l'élément de publicité, encore faudrait-il établir que, contrairement à ce qu'affirme Pierre GUILLAUME, la faculté de s'abonner est totalement libre et n'est soumise à aucune condition d'agrément particulière : or cette preuve n est pas rapportée par les parties poursuivantes .

[Fin de la page 9]

3 - Il convient enfin de constater qu'aucun des services de police spécialisés en la matière ne s'est trouvé en mesure d'appréhender un exemplaire de l'ouvrage litigieux lors de cette première édition, notamment auprès de la "Librairie roumaine" qui, d'après la lettre circulaire du 15 décembre "acceptait de recueillir les abonnements" et "remettait les suppléments disponibles à tout nouvel abonné".
La publicité doit être matériellement constatée et imputable au prévenu.
Faute de cet élément de publicité le délit ne peut être caractérisé, et la relaxe s'impose, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens de défense proposés par le prévenu GUILLAUME.
Par suite les parties civiles seront déboutées.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort, et par jugement contradictoire à l'encontre de M Pierre GUILLAUME, de M Roger GARAUDY, prévenus et par jugement contradictoire à l'encontre de: Union Nationale des Associations de Déportés et Internés et Famille des Disparus UNADIF, de I' Union Nationale des Déportés, Internés, et Victimes de Guerre UNDIVG, de la Fédération Nationale des Déportés et Internes de la Résistance FNDIR, de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, de l'Amicale des Anciens Déportés de Buna Monowitz-Auschwitz III et ses Kommandos, de I'Amicale des Anciens Déportés Juifs de France Internés et Famille de Disparus, de l'Association indépendante nationale des Anciens Déportés internés juifs et leurs familles, de l'Amicale des Déportés d'Auschwitz et des Camps de Haute Silésie, de l'Association sportive et culturelle MACCABI (dite MACCABI INTER, de l'Association "Avocats sans frontières" parties civiles, et après en avoir délibéré conformément à la loi,
DECLARE l'exception préjudicielle proposée par le prévenu Roger GARAUDY, irrecevable.
RELAXE les prévenus des fins de la poursuite.
DECLARE irrecevable la constitution de partie civile de l'association MACCABI INTER.
DONNE ACTE à l'association AVOCATS SANS FRONTIÈRES de son désistement de constitution de partie civile.
DECLARE recevables, les constitutions de partie civile des autres associations.

[Fin de la page 10]

Les DEBOUTE, au fond, de leurs demandes.
REJETTE la demande formée par le prévenu Pierre GUILLAUME sur le fondement de l'article 472 du Code de Procédure Pénale.
Aux audiences des 8 janvier, 9 janvier, 15 janvier, 16 janvier et 27 février 1998, l7ème chambre, le tribunal était composé de :
Président : M. Jean-Yves MONFORT vice-président
Assesseurs: MME. Anne DEPARDON juge, MME. Marie Françoise SOULIE juge
Ministère Public : M. François REYGROBELLET substitut
Greffier : MME. Martine VAIL greffier

LE GREFFIER - LE PRESIDENT
[signatures]

[Fin de la page 11]


JUGEMENT N·2

Ministère Public
c/. GARAUDY
République française
Au nom du Peuple français
Tribunal de Grande Instance de Paris
l7eme chambre
N· d'affaire : 9612725013

Jugement du : 27 février 1998 n· 2

NATURE DES INFRACTIONS : CONTESTATION DE L'EXISTENCE DE CRIME CONTRE L'HUMANITE PAR PAROLE, ECRIT, IMAGE OU MOYEN AUDIOVISUEL,
TRIBUNAL SAISI PAR: Ordornanoe de renvoi du juge d'instruction en date du 07 mars 1997 suivie d'une citation.

PERSONNE POURSUIVIE:
Nom : GARAUDY
Prénoms : Roger, Jean, Charles
Né le : 17juillet1913
A : MARSEILLE (13)
Fils de : Charles GARAUDY
Et de : Marie MAURIN
Nationalité : française
Domicile : 69 Rue Sucy
94430 CHENNEVIERES SUR MARNE
Profession : universitaire en retraite
Situation familiale : marié
Situation pénale : libre
Comparution : comparant assisté de Me VERGES et Maître PETILLAULT avocats au barreau de Paris, lesquels ont déposé des conclusions visées par le Président et le Greffier et jointes au dossier.

PARTIES CIVILES:

[Fin de la page 1]

32 rue de la Boétie
75008 Paris
Comparution : représentée par Maître LORACH, Avocat au Barreau de Paris, lequel a déposé des conclusions visées par le président et le Greffier et jointes au dossier.

PROCEDURE D'AUDIENCE

Suite à une plainte avec constitution de partie civile, datée du 6 mai 1996, de l'Association des fils et filles des déportés juifs de France, et par ordonnance rendue le 7 mars 1997 par l'un des juges d'instruction de ce siège, Roger GARAUDY a été renvoyé devant ce tribunal pour y répondre du délit de contestation de crimes contre l'humanité, prévu et réprimé par les articles 23, 24 al.6, 24 bis,42, 43 et suivants de la loi du 29 juillet 1881, à raison de la publication, dans le courant des mois d'avril et de mai 1996, de l'ouvrage intitulé "Les mythes fondateurs de la politique israélienne", dont il est l'auteur et l'éditeur, sous le nom de " SAMISZDAT Roger GARAUDY", retenu à raison de douze passages, précisés dans l'ordonnance, et ci-dessous analysés .
Appelée à l'audience du 29 mai 1997, après citation régulière du prévenu, l'affaire a été renvoyée contradictoirement aux audiences des 3 juillet, 2 octobre, il décembre 1997 et 8 janvier 1998.
A l'audience du 8 janvier 1998, le prévenu a comparu assisté de ses conseils.

[Fin de la page 2]

Se sont constituées parties civiles, par la voix de leurs conseils :

Avant toute défense au fond, les conseils du prévenu ont contesté la recevabilité des constitutions de partie civile des associations" MACCABI-INTER" et "AVOCATS SANS FRONTIERES", faute par celles-ci de démontrer que leur objet s'inscrit dans le cadre des dispositions de l'article 48-2 de la loi du 29juillet 1881 : ils ont également déposé des conclusions aux fins d'exception préjudicielle, visant l'article 386 du Code de Procédure Pénale, demandant au Tribunal de dire que le prévenu saisira la Cour européenne des Droits de l'Homme pour faire juger la compatibilité des dispositions de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 avec celles de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, et notamment son article 10 proclamant la liberté d'expression.
Après avoir entendu le représentant du Ministère Public et les avocats des parties civiles, le Tribunal a joint ces incidents au fond, la défense ayant eu la parole en dernier.
Le Président a procédé au rappel des faits et de la procédure, à l'interrogatoire du prévenu, à l'audition des témoins et des représentants des associations parties civiles.
Les débats ne pouvant être terminés au cours de la même audience se sont continués lors des audiences des 9, 15 et 16janvier 1998, conformément à l'article 461 du Code de Procédure Pénale.
Les conseils des parties civiles ont développé les ternies de leurs demandes.
Le représentant du Ministère Public a présenté ses réquisitions.
Les conseils du prévenu ont été entendus en leurs moyens de défense et plaidoiries.
Le prévenu a eu la parole en dernier.
L'affaire a été mise en délibéré; le Président a, conformément à l'article 462 al.2 du Code de Procédure Pénale, informé les parties que le jugement serait prononcé à l'audience du 27 février 1998.

* *
*

[Fin de la page 3]


SUR LA RECEVABILITE DES ASSOCIATIONS "MACCABI-INTER" et "AVOCATS SANS FRONTIÈRES":
Aux termes de l'article 48-2 de la loi du 29juillet 1881, les associations pouvant exercer les droits reconnus aux parties civiles en ce qui concerne I'infraction prévue par l'article 24 bis sont celles qui, régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposent, par leurs statuts, "de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance ou des Déportés".
Tel n'est pas le cas des associations " MACCABI-INTER" et " Avocats sans frontières" :
La première a pour objet de " favoriser, par le moyen des activités culturelles et artistiques, les échanges et les rencontres inter culturels dans le respect de chaque culture et de chaque individu ; de faire connaître la culture juive et son histoire dans ses relations avec les autres cultures ; de lutter contre tout racisme, tout antisémitisme et toute forme d'intolérance par tous moyens médiatiques, culturels et éventuellement légaux (en se référant à la loi de 1972 sur la discrimination)".
La seconde a pour but "la défense des droits de l'Homme et la lutte contre toutes les discriminations, en particulier, contre le racisme et l'antisémitisme":
Ces objets sociaux ne correspondent pas aux prévisions de l'article 48-2.
Ces associations sont donc irrecevables à agir sur le fondement de l'article 24 bis.
L'association " Avocats sans frontières" s' est, au demeurant, désistée de sa constitution lors des débats ; il lui en sera donné acte:

SUR L'EXCEPTION PREJUDICIELLE:

Les conseils du prévenu GARAUDY entendent faire saisir, par la voie de l'exception préjudicielle de l'article 386 du Code de Procédure Pénale, la Cour Européenne des Droits de l'Homme, afin que celle-ci se prononce sur la compatibilité des dispositions de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, incriminant la contestation de crimes contre l'humanité, avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et notamment son article 10.
Cependant, il est de principe, aux termes de l'article 384 du Code de Procédure Pénale, que" le Tribunal saisi de l'action publique est compétent pour statuer sur toutes exceptions proposées par le prévenu pour sa défense, à moins que la loi n'en dispose autrement ou que le prévenu n'excipe d'un droit réel immobilier".
Ainsi, le juge répressif doit statuer lui-même sur toute question dont dépend

[Fin de la page 4]

l'application de la loi pénale, et il n'y a lieu à exception préjudicielle que lorsque la solution du procès dépend d'un point de droit qui échappe légalement à sa compétence.
Tel n'est pas le cas de l'application, en droit interne, des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme : celle-ci est d'application directe en France, et se trouve revêtue de l'autorité qui s'attache aux traités internationaux, par application de l'article 55 de la Constitution.
Il appartient au juge répressif de l'interpréter, le cas échéant, et de vérifier la compatibilité du droit interne avec les principes qu'elle proclame.
La Convention prévoit, au demeurant, que la Cour qu'elle institue ne peut être saisie par un requérant qu'après épuisement des voies de recours internes.
L'exception préjudicielle présentée par la défense de M. GARAUDY n'est donc pas recevable.

AU FOND

Dans le courant du mois d'avril 1996, M. Roger GARAUDY a édité et mis en vente un ouvrage écrit par lui-même , intitulé : " Les mythes fondateurs de la politique israélienne".
Il n'est pas contesté que cette 2e édition, à la différence de la première, a fait l'objet d'une diffusion publique.
Les parties poursuivantes considèrent que de nombreux passages de ce livre caractérisent le délit de contestation de crimes contre l'humanité, prévu et puni par l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881.
M. GARAUDY s'oppose à cette interprétation de l'ouvrage : il explique que celui-ci s 'inscrit dans une série de travaux consacrés à la lutte contre l'intégrisme (qu'il soit romain, musulman ou sioniste), et qu'il s'y est employé à "dénoncer l 'hérésie sioniste, comme trahison de la foi des prophétes, sans toucher à la religion judaïque, et sans mettre en question l'existence de l'Etat d'Israël".
Il a voulu, poursuit-il, montrer que le sionisme politique ne se sert du judaisme que comme instrument et qu'il se traduit par une politique agressive visant à la désintégration de tous les états voisins ; que cette politique prétend se situer au dessus de toutes les lois internationales; et qu'elle est aujourd'hui l'une des sources de l'antisémitisme.
M. GARAUDY affirme que "le judaïsme est une religion qu'il respecte, et /e sionisme une politique qu'il combat", sa lutte contre la politique sioniste " faisant partie intégrante de sa lutte contre l'antisémitisme justement puni par la

[Fin de la page 5]

loi" ( D.82, notes d'audience).


* *
*

SUR QUOI LE TRIBUNAL:
L'article 24 bis de la loi du 29juillet 1881 introduit dans la loi sur la presse par la loi du 13juillet1990, dispose , en son premier alinéa:
"Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l'article 24 [1an d'emprisonnement, 300.000 francs d'amende] ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du Tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945, et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 du dit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale".
Le jugement du tribunal militaire international de Nuremberg, auquel renvoie notamment ce texte, indique, sous l'intitulé: "Persécution des juifs":

"[...] Au cours de l'été 1941, des plans furent établis pour la "solution finale" de la question juive en Europe. Cette "solution finale" signifiait l'extermination des juifs, dont HITLER avait prédit, au début de 1939, qu 'elle serait une des conséquences de la guerre, une section spéciale de la GESTAPO, sous les ordres d 'Adolf EICHMANN, chef de la section B4 de cette police, fut créée pour atteindre ce résultat [...]".
"Comme moyen d'aboutir à la "solution finale", les juifs furent réunis dans des camps où l 'on décidait de leur vie ou de leur mort selon leur condition physique. Toux ceux qui le pouvaient encore devaient travailler ; ceux qui étaient hors d 'état de le faire étaient exterminés dans des chambres à gaz, après quoi l'on brûlait leurs cadavres".
" Certains camps de concentration, tels que TREBLINKA et AUSCHWITZ furent principalement choisis à cette fin [...]"

Ce jugement, du 1er octobre 1946, comporte des condamnations pour crimes contre l'humanité, tels que définis par le statut du tribunal international, incluant les méthodes d'extermination des juifs.
La contestation de l'existence des chambres à gaz comme moyen d'extermination entre donc dans les prévisions de l'article 24 bis de la loi du 29juillet 1881.

* *
*

[Fin de la page 6]

Au sens de ce texte, la contestation incriminée, c'est la mise en discussion, la mise en doute , la négation du fait lui-même.

* *
*

Il convient d'examiner les passages poursuivis au regard de ces seuls principes juridiques , en dehors de toute autre considération, d'ordre historique notamment, qui échappe à la compétence du juge:
1 - Page 151 : titre du troisième chapitre :

"Le mythe des 6 millions"

11 - page 105

"Nous nous attacherons à examiner l'une des contrevérités qui exercent encore après un demi siècle, le plus de ravages dans le monde actuel et pas seulement au Proche Orient : le mythe des 6 millions exterminés devenuu un dogme justifiant toutes les exactions de l'Etat d'Israel en Palestine, dans tout le Proche Orient, aux Etats-Unis et à travers les Etats-Unis dans toute la politique mondiale en les plaçant au-dessus de toute loi internationale".
Le mot "mythe" est ici synonyme de fable, de légende, de pure construction de l'esprit; il vise à contester le rêalité même de la politique systématique d'extermination des juifs pendant la seconde guerre mondiale , telle qu'elle a été décrite dans le jugement du tribunal de NUREMBERG:
De même, les mots "contrevérité" (qui signifie "assertion visiblement contraire à la vérité") et "dogme" (article de foi, croyance) visent à renvoyer le génocide juif dans l'ordre de l'imaginaire, de la fiction, du mensonge.

2 - page 100 :

"Pas plus d'ailleurs que ne jurent mis en cause les auteurs des plus ignobles appels au crime. Pour n'en citer que deux exemples parmi les plus délirants:"l'appel à un génocide, ceae fois ci au vrai sens du mot, lancé en 1942 par le juif américain Théodor KAUFMAN".
L'auteur développe ici l'idée que les crimes de guerre ou les crimes contre l'humanité n'ont pas été seulement le fait des nazis, mais également celui des alliés, et que, le Tribunal de Nuremberg, a, par son principe, exclu toute recherche des responsabilités des vainqueurs.
En évoquant un "génocide, au vrai sens du mot ", il met en doute

[Fin de la page 7]

l'application admise lors du procès de Nuremberg, de ce terme à la politique d'extermination de la communauté juive.

3 - page 152 :

Cette définition [génocide] ne peut s 'appliquer à la lettre que dans le cas de la con quéte de Canaan par Josué ." [...]
"Le mot génocide a été employé à Nuremberg de manière tout à fait erronée puisqu'il ne s 'agit pas de I 'anéantissement de tout un peuple comme ce Jut le cas pour les exterminations sacrées des Amalécites, des Cananéens [..]. Au contraire le Judaïsme a connu un essor considérable dans le monde depuis 1945".
Après avoir rappelé la définition du mot " génocide " dans le dictionnaire ( " destruction méthodique d'un groupe ethnique par l'extermination de ses individus "), l'auteur affirme qu'il n'est pas applicable â la politique suivie àl'égard des juifs, puisqu'il n'y a pas eu anéantissement total de ce peuple, qui a, au contraire, connu "un essor conside'rable " depuis la fin de la guerre.
Cette proposition constitue une mise en doute de l'existence d'une politique d'extermination des juifs, telle que décrite dans le jugement du Tribunal de Nuremberg.

4 - page 134 :

"Aux historiens critiques, ne fut opposée aucune réfutation critique, aucune discussion scientifique contradictoire: seuls leur furent opposés, au mieux le silence, au pire la répression".
Ce passage conclut un examen critique des témoignages (ceux de HoeSS, de SAUCKEL, d'OHLENDORF, de NYISZLI) retenus par l'accusation comme établissant la réalité de l'extermination par les chambres à gaz.
Il met en évidence leur faiblesse, au regard des études des "historiens critiques" (ceux qualifiés en général de "négationnistes"), auxquels aucune réfutation sérieuse n'est opposée.
Cette attitude traduit une reconnaissance implicite de la supériorité de leurs thèses.

5 - page 137 :

"Combien de fois nous-a-t-on repassé "Exodus", "Holocauste", "Shoah", et tant d'autres bandes romancées dont chaque semaine les visions larmoyantes inondent nos écrans".
Regrettant la rareté de la diffision des films illustrant les "exploits de ceux qui ont le plus efficacement lutté contre les nazis" (p. 136), l'auteur tourne en

[Fin de la page 8]

dérision ces "bandes romancées " et ces " visions larmoyantes " qui racontent le martyr des juifs, jetant ainsi un doute sur l'existence même des souffrances endurées par ceux-ci.

6 - page 122:

"Hitler est acculé à mobiliser des effectifs nouveaux en dégarnissant ses usines, et il n 'aurait eu que cette obsession fatale pour son effort de guerre, d'exterminer ses prisonniers et ses juifs, au lieu de les employer, fût-ce dans des conditions inhumaines à travailler dans ses chantiers... ?"

7 - page 123 :

"Ce qui est encore plus étrange, c 'est que ... Poliakov et Hannah Arendt aient été à ce point obnubilés par leurs à-priori qu 'ils n 'aient pas mis en cause leurs hypothèses surréalistes..."
L'auteur souligne ici "l'absurdité" (p. 123) d'une politique systématique d'extermination qui aurait conduit les nazis à affaiblir leur effort de guerre, en les obligeant à employer leurs moyens à l'élimination de leurs prisonniers et s étonne que les " esprits subtils " n'aient pas tiré la conséquence logique du caractère extravagant de cette hypothèse : son impossibilité absolue.

8 - page 156:

"Extermination totale. Il fallait pour cela que jut envisagée une solution finale du problème juif qui jut l'extermination ".

Le prévenu dénonce dans ce passage le "caractère sacral de l'holocauste", et l'utilisation à cette fin du concept d'extermination, réduit à un instrument d'une manipulation idéologique, sans aucun caractère réel.
9 - page 15 :

"Slaves, Juifs, Tsiganes jurent décimés d'abord par un travail forcé au service de la production de guerre, puis par des terribles épidémies de typhus dont la multiplication des fours crématoires témoigne de l'ampleur".

10 et l2 - page 158.

"Cest en Europe de l'Est que les Juifs subirent les pires souffrances, non seulement celles de toutes les populations civiles en temps de guerre, telles que les bombardements aériens, la famine et les privations de toutes sortes, les marches forcées, mortelles pour les plus faibles, pour évacuer les centres, mais aussi le travail forcé dans les conditions les plus inhumaines pour servir l'effort de guerre allemand... Enfin les épidémies, notamment le typhus firent d'épouvantables ravages dans une population concentrationnaire sous-alimentée et réduite à l'épuisement".

[Fin de la page 9]

"Est-il donc nécessaire de recourir à d'autres méthodes pour expliquer la terrible mortalité qui frappa les victimes de tels traitements et ensuite d'exagérer démesurément les nombres..."

Selon le prévenu, la "solution finale" de la question juive n'a pas été, pour les nazis, l'extermination systématique de ce peuple, mais l'expulsion de celui-ci d'Europe, en différentes étapes.
S'il consent que cette idée a été monstrueuse, et a conduit à de terribles souffrances, il n'estime pas nécessaire de "recourir à d'autres méthodes" c'est-à-dire aux chambres à gaz- pour expliquer la mortalité dans les camps.

*
* *

Dans les passages considérés, le prévenu nie donc la réalité du génocide des juifs, et soutient qu'il n'y a pas eu de volonté délibérée d'extermination de ceux-ci par les nazis ; il s'attache à minorer le nombre des victimes juives de la deuxième guerre mondiale, et met en doute l'existence des chambres à gaz comme moyen de mise à mort des juifs dans certains camps.
Il apparait ainsi, que, loin de se borner à une critique de nature politique ou idéologique du sionisme et des agissements de l'Etat d'Israel critique parfaitement licite au regard des textes qui régissent la liberté d'expression ou même, de procéder à un exposé objectif des thèses négationnistes et de réclamer seulement, comme il le prétend, un "débat public et scientifique" sur l'événement historique des chambres à gaz, Roger GARAUDY a fait siennes lesdites thèses, et s'est livré à une contestation virulente et systématique de l'existence des crimes contre l'humanité commis contre la communauté juive, tels qu'ils ont été jugés par le Tribunal militaire international de Nuremberg.
Le délit de l'article 24 bis est donc caractérisé.


*
SUR LES INTERETS CIVILS:
L'association des Fils et Filles des déportés, qui a, dans ses statuts, pour objet d'entretenir le souvenir et de défendre la mémoire des déportés, est recevable en sa constitution de partie civile.
Cette association demande la condamnation du prévenu au paiement de la somme de 50.000 francs à titre de dommages-intérêts, et d'une indemnité de 10.000 francs sur le fondement de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale, outre des mesures de publication.

[Fin de la page 10]

Il sera fait droit à ses demandes, étant observé que le préjudice dont la partie civile entend obtenir réparation est de nature purement morale.

PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort, et par jugement contradictoire à l'encontre de M Roger GARAUDY, â l'égard de l'association des fils et filles de déportés Juifs de France, de l'association MACCABI INTER, de l'association Avocats sans frontières, parties civîlés, et après en avoir délibéré conformément à la loi.
SUR L'ACTION PUBLIQUE:
REJETTE l'exception préjudicielle présentée par le prévenu.
DECLARE le prévenu Roger GARAUDY COUPABLE du délit de CONTESTATION DE CRIMES CONTRE L'HUMANITE, prévu et puni par les articles 23, 24 al.6, 24 bis, 42, 43 et suivants de la loi du 29juillet 1881.
Le CONDAMNE à la peine de TRENTE
MILLE FRANCS (30.000 francs) d'amende.
SUR LES INTERETS CIVILS
DONNE ACTE à l'association "AVOCATS SANS FRONTIERES" de son désistement.
DECLARE IRRECEVABLE la constitution de partie civile de l'association MACCABI-INTER"
REÇOIT la constitution de partie civile de l'Association des fils et filles des déportés juifs de France
CONDAMNE M. Roger GARAUDY à lui payer la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts, et une indemnité de 10,000 francs sur le fondement de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale.
REJETTE le surplus de la demande.
La présente procédure est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 600 francs dont est redevable M. Roger GARAUDY.

[Fin de la page 11]

la page 12 étant consacrée à la composition du tribunal (identique)

***

Ministère Public C /.GARAUDY

Jugement du : 27 février 1998 N·3

NATURE DES INFRACTIONS: DIFFAMATION ENVERS PARTICULIER(S) EN RAISON DE SA RACE, DE SA RELIGION OU DE SON ORIGINE, PAR PAROLE, IMAGE, ECRIT OU MOYEN DE COMMUNICATION AUDIOVISUELLE,

TRIBUNAL SAISI PAR: Ordonnance de renvoi du juge d'instruction en date du 07 mars 1997 suivie d'une citation.

PERSONNE POURSUIVIE:

Nom : GARAUDY
Prênoms : Roger, Jean, Charles
Né le : 17 juillet 1913
A : MARSEILLE (13)
Fils de : Charles GARAUDY
Et de : Marie MAURIN
Nationalité : française
Domicile : 69 rue de Sucy
94430 CHENNEVIERES SUR MARNE

Profession : universitaire en retraite
Situation familiale : marié
Situation pénale : libre

PARTIES CIVILES:

La Ligue Internationale contre le Racisme et l'Antisémitisme. LICRA

[Fin de la page 1]

40 rue de Paradis
75010 PARIS

Comparution: comparante en la personne de M. Pierre AIDENBAUM , son Président assisté par Me KORMAN avocat du barreau de Paris, lequel a déposé des conclusions visées par le Président et le Greffier et jointes au dossier.

Association sportive et culturelle MACCABI, dite MACCABI INTER
Maison des Associations
Avenue François Mauriac
94000 CRETEIL

Comparution: comparante en la personne de son président, Monsieur Richard SABBAN,assisté de Maître Jean CHEVAIS, Avocat au Barreau de Paris, lequel a déposé des conclusions visées par le Président et le Greffier et jointes au dossier.

Association" Avocats sans frontières"
55 avenue Marceau
75116 Paris

Comparution: représentée par Maître Aude WEILL-RAYNAL, et Maître Gilles-William GOLDNADEL, Avocats au Barreau de Paris, lesquels ont déposé des conclusions visées par le Président et le Greffier et jointes au dossier.
 

PROCEDURE D'AUDIENCE

Suite à une plainte avec constitution de partie civile déposée le 23 mai 1996 ,par la "Ligue Internationale contre le Racisme et l'Antisemitisme" (LICRA), et par ordonnance rendue le 7 mars 1997 par l'un des juges d'instruction de ce siège, Roger GARAUDY a été renvoyé devant ce Tribunal pour y répondre du délit de diffamation publique envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, ou une race ou une religion, prévu et puni par les articles 23, 29 ai. 1, 32 al.2, 42, 43, 47, 48 et suivants de la loi du 29 juillet 1881, pour avoir publié, courant avril et mai 1996, l'ouvrage intitulé : "Les mythes fondateurs de la politique israélienne", dont il est l'auteur et l'éditeur sous le nom de "SAMISZDAT Roger GARAUDY" , retenu à raison de plusieurs

[Fin de la page 2]

passages ,précisés dans la plainte et l'ordonnance et ci-dessous analysés.

Appelée à l'audience du 29 mai 1997, après citation régulière du prévenu, l'affairea été renvoyée contradictoirement aux audiences des 3 juillet, 2 octobre , 11 décembre 1997, et 8 janvier 1998.

A l'audience du 8 janvier 1998, le prévenu a comparu assisté de ses conseils. Se sont constituées parties civiles, par la voix de leurs conseils:

LICRA
l'association MACCABI-INTER
l'association " AVOCATS SANS FRONTIERES".

Le Président a procédé au rappel des faits et de la procédure, à l'interrogatoire du prévenu, à l'audition des témoins et des représentants des parties civiles.

Les débats ne pouvant être terrninés au cours de la même audience se sont continués lors des audiences des 9, 15 et 16janvier 1998, conformément à l'article 461 du Code de Procédure Pénale.

Les conseils des parties civiles ont développé les termes de leurs demandes.

Le représentant du Ministère Public a présenté ses réquisitions.

Les conseils du prévenu ont été entendus en leurs plaidoiries.

Le prévenu a eu la parole en dernier.

L'affaire a été mise en délibéré; le Président a, conformément à l'article 462 al.2 du Code de Procédure Pénale, informé les parties que le jugement serait prononcé le 27 février 1998.

AU FOND :

Dans le courant du mois d'avril 1996, M. Roger GARAUDY a édité et mis en vente un ouvrage , dont il est l'auteur, intitulé : "Les mythes fondateurs de la politique israélienne".

Il n'est pas contesté que cette deuxième édition, à la différence de la première, a fait l'objet d'une diffusion publique.

Les parties poursuivantes considèrent que plusieurs passages de ce livre constituent le délit de diffamation publique raciale.

M. GARAUDY explique que son ouvrage s'inscrit dans une série de travaux consacrés à la lutte contre l'intégrisme, et qu'il s'est employé ici, a "dénoncer l'hérésie sioniste, comme trahison de la foi des prophètes sans toucher à la religion judaïque et sans mettre en question l'existence de i 'État d 'Israël".

Il a voulu, poursuit-il, montrer que le sionisme politique ne se sert du judaïsme que comme instrument et qu'il se traduit par une politique agressive visant à la désintégration de tous les états voisins  que cette politique prétend se situer au-dessus de toutes les lois internationales : et qu'elle est aujourd'hui l'une des sources de l'antisémitisme.

M. GARAUDY affirme "que le judaïsme est une religion qu'il respecte, et le sionisme une politique qu 'il combat", sa lutte contre la politique sioniste "faisant partie intégrante de sa lutte contre l'antisémitisme justement puni par la loi".

SUR QUOI LE TRIBUNAL:

L'article 32 al.2 de la loi du 29 juillet 1881 sanctionne la diffaniation commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie , une nation, une race ou une religion déterminée.

Il convient d'examiner successivement les passages poursuivis, à ce titre, par la plainte de la LICRA, et ainsi articulés:

"La diffamation garaudienne s'articule dans les titres successifs du livre:
Les "mythes" ("... théologiques et du vingtième siècle") servent à "l'utilisation politique"("III: l'utilisation politique du mythe" p. 191 à 241).
au bénefice d 'Israël et des "sionistes" propos qui s 'exprime en particulier (pages 247 et 248) dans la "conclusion" du livre:
"Mais l'exploitation politique, par une nation qui n'existait pas lorsque furent commis les crimes, de chiffres arbitrairement exagérés pour tenter de prouver que la soujfrance des uns était sans commune mesure avec celle de tous les autres, et la sacralisation (par le vocabulaire religieux lui-même, celui "d'holocauste") tend à faire oublier des génocides plus féroces.
Les plus grands béneficiaires en étaient les sionistes, se donnant pour les victimes exclusives, créant dans la foulée, un Etat d'Israël, et malgré les 50 millions de morts de cette guerr , en faisant la victime quasi unique de l'hitlérisme, et le plaçant, à partir de là, au-dessus de toute loi pour légaliser toutes ses exactions extérieures ou intérieures ".

En alléguant que "les sionistes" sont les " béneficiaires" de l'exploitation politique du "mythe déguisé en histoire" (titre qui précède page 246 - qui renvoie lui-même à l'ensemble des autres mythes, tels qu 'ils sont un à un [Fin de la page 4] énumérés et désignés par lui dans les pages 27 à 62 : les mythes théologiques, et les pages 63 à 190, les mythes du vingtième siècle...) exploitation dont infine il expose qu 'elle autorise ceux-ci ("les sionistes") de placer l 'État d'Israël au dessus de toute loi pour légaliser toutes ses exactions extérieures ou intérieures, après avoir permis sa création et en les dénonçant ainsi comme usant de moyens mensongers à des fins politiques , en annonçant au surplus dans l'introduction de son livre (page 24) qu'il s 'agit pour lui de tracer : "(une) anthologie du crime sioniste" servi par le "dévoiement des mythologies" (page 12) et "le terrorisme intellectuel..." (page 12), Roger GARAUDY se rend coupable du délit de diffamation publique envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une race ou une religion déterminée.

***

Il importe de relever que, comme le soutient à juste titre la LICRA. dans sa plainte, les "sionistes" "béneficiaires" du "mythe de holocauste"( p.247) sont, en réalité, pour l'auteur, l'ensemble des juifs , comme le démontre l'analyse des pages précédentes , qui distinguent, par exemple, "les juifs qui ont tenté de défendre un judaïsme prophétique", des juifs tenants d'un "sionisme tribal" (page 24), ou évoquent "le lobby aux Etats-Unis" (assimilé au "vote juif"', ou aux "personnalités juives", ou bien encore au "lobby juif" (page 198) et le "lobby en France" (constitué notamment par la LICRA, dont l'objet est précisément la lutte contre le racisme et l'antisémitisme) ,dont l'importance est comparée à celle de la "population juive en France" (page 214), l'auteur faisant également référence au "grand rabbin de France: SITRUK" (page 221) ou au CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France ) (page 222).

Bien qu'il s'en défende , et qu'il ait posé dès l'introduction de son livre des définitions précises du sionisme et du judaïsme, l'auteur procède très fréquemment, au fil de son propos, à un amalgame des deux termes de manière à présenter sous forme d'une critique politique ou idéologique , parfaitement recevable, de l'État d'Israël, ce qui n'est qu'une mise en cause de comportements attribués à l'ensemble des juifs.

Ainsi, dans le passage incriminé , qui figure dans la conclusion de l'ouvrage (pages 247 et 248) le prévenu impute aux juifs d'avoir exagéré l'importance des crimes commis à leur encontre par le rÉgime nazi, de les avoir "sacralisés" en se donnant comme victimes exclusives de l'hitlérisme, pour en tirer une exploitation politique , leur permettant de se placer au-dessus des lois et de légitimer toutes leurs "exactions".

Cette imputation d'une exagération du génocide à des fins politiques et cyniques porte à l'évidence, atteinte à l'honneur et à la considération de l'ensemble de la communauté juive.

Le délit de diffamation de l'article 32 al.2 est constitué.

SUR LES INTÉRÊTS CIVILS

La LICRA a notamment pour objet de "promouvoir la fraternité entre les hommes et combattre par tous les moyens en son pouvoir le racisme et l'antisémitisme ainsi que promouvoir les droits de l'homme et prévenir toute atteinte qui pourrait leur être portée".

L'association MACCABI INTER a pour objet de "favoriser, par le moyen des activités culturelles et artistiques, les échanges et les rencontres inter culturels dans le respect de chaque culture et de chaque individu ; de faire connaître la culture juive et son histoire dans ses relations avec les autres cultures ; de lutter contre tout racisme, tout antisémitisme et toutes forme d'intolérance par tous moyens médiatiques, culturels et éventuellement légaux (en se référant à la loi de 1972 sur la discrimination)".

L'association "Avocats sans frontières" a pour but "la défense des droits de l'Homme et la lutte contre toutes les discriminations en particulier, contre le racisme et l'antisémitisme".

Ces trois associations peuvent donc exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'infraction de diffamation raciale, par application de 1'article 48-1 de la loi sur la presse.

La LICRA demande la condamnation du prév enu au paiement de la somme de 1franc à titre de dommages-intérêts et d'une indemnité de 50.000 francs au titre de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale, outre diverses mesures de publication du jugement.

L'association MACCABI-INTER demande la condamnation du prévenu au paiement des sommes de 30.000 francs à titre de dommages-intérêts et de 5.000 francs sur le fondement de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale.

L'association "Avocats sans frontières" sollicite 50.000 francs à titre de dommages-intérêts et 1 franc au titre de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale, ainsi que diverses mesures de publication du jugement.

Il sera fait droit à ces demandes dans les limites indiquées au dispositif, étant observé:

Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l'encontre de Roger GARAUDY, prévenu, à l'égard de la Ligue Internationale contre le Racisme et l'Antisémitisme (LICRA) , de l'association MACCABI-INTER et de l'association" AVOCATS SANS FRONTIERES " parties civiles, et après en avoir délibéré conformément à la loi,

SUR L'ACTION PUBLIQUE:

DÉCLARE le prévenu Roger GARAUDY COUPABLE du délit de diffamation publique envers un groupe de personnes, en l'espèce la communauté juive, à raison de leur appartenance à une race ou une religion déterminée , prévu et puni par les articles 23,29 al.l, 32 al.2 de la loi du 29juillet 1881.

 

SUR LES INTÉRÊTS CIVILS:

REÇOIT les constitutions de partie civile des associations LICRA, MACCABI-INTER, et AVOCATS SANS FRONTIERES.

La présente procédure est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 600 francs dont est redevable le condamné.


Ce texte a été affiché sur Internet à des fins purement éducatives, pour encourager la recherche, sur une base non-commerciale et pour une utilisation mesurée par le Secrétariat international de l'Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre et d'Holocauste (AAARGH). L'adresse électronique du Secrétariat est <[email protected]>. L'adresse postale est: PO Box 81475, Chicago, IL 60681-0475, USA.

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