AAARGH
Ministère Public
c/. GUILLAUME
GARAUDY
République française
Au nom du Peuple français
Tribunal de Grande Instance de Paris
l7ème chambre
N· d'affaire : 9605325012
NATURE DES INFRACTIONS : CONTESTATION
DE L'EXISTENCE DE CRIME CONTRE L'HUMANITE PAR PAROLE, ECRIT, IMAGE
OU MOYEN AUDIOVISUEL,
TRIBUNAL SAISI PAR : Ordonnance de renvoi du juge d'instruction
en date du 07 mars 1997 suivie d'une citation.
PERSONNE POURSUIVIE:
Nom : GUILLAUME
Prénoms : Pierre, Noel, Charles
Né le : 22 décembre 1940
A : RAMBERVILLERS (88)
Fils de : Pierre-Paul GUILLAUME
Et de : Victoire ROCHOTTE
Nationalité : française
Domicile : 16 rue des Fossés St Jacques, 75005 PARIS
Profession : sans
Situation familiale : marié Nombre d'enfants : 2
Situation pénale : libre
Comparution : comparant assisté
de Me DELCROIX, et Me BALAN avocats du barreau de Paris, lesquels
ont déposé des conclusions visées par le
Président et le Greffier et jointes au dossier.
NATURE DES INFRACTIONS : complicité de CONTESTATION
DE L'EXISTENCE DE CRIME CONTRE L'HUMANITE PAR PAROLE, ECRIT, IMAGE
OU MOYEN AUDIOVISUEL,
[Fin de la page
1]
TRIBUNAL SAISI PAR: Ordonnance de renvoi
du juge d'instruction en date du 07 mars 1997 suivie d'une citation.
PERSONNE POURSUIVIE:
Nom : GARAUDY
Prénoms : Roger, Jean, Charles
Né le : 17 juillet 1913
A : MARSEILLE (13)
Fils de : Charles GARAUDY
Et de : Marie MAURIN
Nationalité : française
Domicile : 69 rue de Sucy, 94430 CHENNEVIERES SUR MARNE
Profession : universitaire en retraite
Situation pénale : libre
Comparution :comparant assisté par Me VERGES, et Me PETILLAULT
avocats du barreau de Paris, lesquels ont déposé
des conclusions visées par le Président et le Greffier
et jointes au dossier.
PARTIES CIVILES:
Union Nationale des Associations de Déportés et
Internes et Famille des Disparus. UNADIF
8 rue des Bauches
75016 Paris
Union Nationale des Déportés, Internés, et
Victimes de Guerre. UNDIVG
5 place des Ternes
75017 Paris
Fédération Nationale des Déportés
et Internes de la Résistance. FNDIR
8 rue des Bauches
75016 Paris
[Fin de la page 2]
[Fin de la page 3]
A la suite d'une plainte avec constitution
de partie civile déposée le 22 février 1996
par l'Union Nationale des Associations des Déportés
et Internés de la Résistance (UNADIF) et par la
" Fédération Nationale des Déportés
et Internés de la Résistance ( FNDIR) et par ordonnance
rendue le 7 mars 1997 par l'un des juges d'instruction de ce siège,
Pierre GUILLAUME et Roger GARAUDY ont été renvoyés
devant ce tribunal pour y répondre, respectivement comme
auteur et comme complice du délit de contestation de crimes
contre l'humanité, à raison de la publication, dans
le courant du mois de décembre 1995, aux éditions
"La Vieille Taupe" d'un ouvrage intitulé
: "Les mythes fondateurs de la politique israélienne",
retenu au titre des chapitres 2 et 3, respectivement intitulés
: "Le mythe de la justice de Nuremberg"et "le
mythe de l'holocauste", figurant pages 72 à
147.
Ce délit est puni et réprimé par les articles
23, 24 al.6, 24 bis, 42, 43 et suivants de la loi du 29 juillet
1881.
Appelée à l'audience du 29 mai 1997, aprês
citation régulière des prévenus l'affaire
a été renvoyée aux audiences des 3 juillet.
2 octobre ; 11 décembre 1997et 8 janvier 1998.
A l'audience du 8 janvier 1998, les deux prévenus ont comparu
assistés de leurs conseils respectifs.
[Fin de la page 4]
Se sont constituées parties civiles,
par la voix de leurs avocats
l'UNADIF
la FNDIR
l'Amicale des Anciens Déportés de BUNA-MONOVITZ
l'Amicale des Anciens Déportés Juifs de France
l'Amicale des Déportés d'AUSCHWITZ et des camps
de Haute Silésie
l'Association indépendante nationale des anciens déportés
internés juifs et leurs familles
l'Union nationale des déportés, internés
et victimes de guerre ( UNDIVG)
la Fondation pour la mémoire de la déportation
l'association sportive et culturelle MACCABI, dite MACCABI INTER
l'association Avocats sans frontières.
Le conseil du prévenu GUILLAUME a contesté la recevabilité
des constitutions de partie civile des associations "MACCABI
INTER" et "Avocats sans frontières", faute
pour celles-ci de démontrer que leur objet s'inscrit dans
le cadre des dispositions de l'article 48-2 de la loi du 29 juillet
1881.
De même, avant toute défense au fond, les conseils
du prévenu GARAUDY ont déposé des conclusions
aux fins d'exception préjudicielle, visant l'article 386
du Code de Procédure Pénale, demandant au tribunal
de dire que le prévenu saisira la Cour Européenne
des Droits de l'Homme pour faire juger la compatibilité
des dispositions de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881
avec celles de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme
et des libertés fondamentales, et notamment son article
10 proclamant la liberté d'expression.
Après avoir entendu le représentant du Ministère
Public et les avocats des parties civiles, le Tribunal a joint
ces incidents au fond. la défense ayant eu la parole en
dernier.
Le Président a procédé au rappel des faits
et de la procédure, à l'interrogatoire des prévenus
et à l'audition des témoins et des représentants
des associations parties civiles.
Les débats ne pouvant être terminés au cours
de la même audience se sont continués lors des audiences
des 9, 15, et 16 janvier 1998, conformément à l'article
461 du Code de Procédure Pénale.
Les conseils des parties ont développé les termes
de leurs demandes. Le représentant du Ministère
Public a présenté ses réquisitions.
Les conseils des prévenus ont été entendus
en leurs moyens de défense et plaidoiries.
Les prévenus ont eu la parole en dernier.
[Fin de la page 5]
L'affaire a été mise en
délibéré: Le Président a conformément
à l'article 462b al. 2 du Code de Procédure Pénale,
informé les parties que le jugement serait prononcé
à l'audience du 27 février 1998.
SUR LA RECEVABILITE DES ASSOCIATIONS "MACCABI-INTER"
ET "AVOCATS SANS FRONTIÈRES":
Aux termes de l'article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881,
les associations pouvant exercer les droits reconnus aux parties
civiles en ce qui concerne l'infraction prévue par l'article
24bis sont celles qui, régulièrement déclarées
depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposent
par leurs statuts, "de défendre les intérêts
moraux et l'honneur de la Résistance et des Déportés".
Tel n'est pas le cas des associations "Maccabi-Inter"
et "Avocats sans frontières".
La première a pour objet de "favoriser par le moyen
des activités culturelles et artistiques, les échanges
et les rencontres interculturelles dans le respect de chaque culture
et de chaque individu, de fa ire connaître la culture juive
et son histoire dans ses relations avec les autres cultures, de
lutter contre tout racisme, tout antisémitisme et toute
forme d'intolérance par tous moyens médiatiques,
culturels, et éventuellement légaux en se référent
à la loi de 1972 sur la discrimination)".
La seconde a pour but "la défense des droits de l'homme
et la lutte contre toutes les discriminations, en particuliers
contre le racisme et l'antisémitisme".
Ces objets sociaux ne correspondant pas aux prévisions
de l'article 48-2, ces associations sont donc irrecevables à
agir sur le fondement de l'article 24bis.
L'association "Avocats sans frontière" s'est,
au demeurant, désistée de sa constitution lors des
débats; il lui en sera donné acte.
SUR L'EXCEPTION PREJUDICIELLE
Les conseils du prévenu Garaudy entendent faire saisir
par la voie de l'exception préjudicielle de l'article 386
du Code de Procédure Pénale, la Cour Européenne
des Droits de l'Homme, afin que celle-ci se prononce sur la compatibilité
des dispositions de l'article 24bis de la loi du 29 juillet 1881,
incriminant la contestation de crimes contre l'Humanité,
avec la convention européenne de sauvegarde des droits
de l'Homme et notamment son article 10.
[Fin de la page 6]
Cependant, il est de principe, aux termes
de l'article 384 du Code de Procédure Pénale, que
"le Tribunal saisi de l'action publique est compétent
pour statuer sur toutes exceptions proposées par le prévenu
pour sa défense, à moins que la loi n'en dispose
autrement ou que le prévenu n'excipe d'un droit réel
immobilier".
Ainsi, le juge répressif doit statuer lui-même sur
toute question dont dépend l'application de la loi pénale,
et il n'y a lieu à exception préjudicielle que lorsque
la solution du procès dépend d'un point de droit
qui échappe légalement à sa compétence.
Tel n'est pas le cas de l'application, en droit interne, des dispositions
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'Homme : celle-ci est d'application directe en France, et se
trouve revêtue de l'autorité qui s'attache aux traités
internationaux, par application de l'article 55 de la Constitution.
il appartient au juge répressif de l'interpréter,
le cas échéant, et de vérifier la compatibilité
du droit interne avec les principes qu'elle proclame.
La Convention prévoit, au demeurant, que la Cour qu'elle
institue ne peut être saisie par un requérant qu'après
épuisement des voies de recours internes.
L'exception préjudicielle présentée par la
défense de M. GARAUDY n'est donc pas recevable.
AU FOND:
Il est reproché à
M. Pierre GUILLAUME, directeur de publication de la revue "La
Vieille Taupe", et à M. Roger GARAUDY, auteur
de l'ouvrage "Les mythes fondateurs de la politique israélienne"
d'avoir mis celui-ci à disposition du public, courant
décembre 1995, et d'avoir, ce faisant, commis le
délit prévu par l'article 24 bis de la loi sur la
presse.
Le conseil de M. GUILLAUME dépose des conclusions demandant
au Tribunal de :
"Constater que les conditions de publicité telles
qu'énoncées par l'article 23 de la loi du 29 juillet
1881 ne sont pas réunies, quant à I'édition
privée faite par La Vieille Taupe de l'ouvrage de Roger
GARAUDY intitulé les Mythes fondateurs de la politique
israélienne, en pré-publication à publication
du samizdat de Roger GARAUDY;
Constater subsidiairement, sur l'exception de tyrannie, qu'en
disposant du fait causal du délit qu'elle institue, la
"loi" du 13 juillet 1990 se disqualifie en tant que
telle, ce qui impose au juge de constater qu'il ne s'agit que
d'une
[Fin de la page 7]
"voie de fait" extra
constitutionnelle qu'il doit s'interdire de réitérer
par un jugement de condamnation".
Dire que le Tribunal, ni aucun juge, ne saurait sans déroger,
au nom de la loi d'Etat se faire le négateur des lois de
la physique ou de la chimie;
Dire subsidiairement, sur I'exception de publicité, qu'il
convient de constater que I'interprétation stricte de la
loi pénale interdit d'induire des insuffisances de l'article
24 bis rajouté par ladite "loi" du 13 juillet
1990 à la loi du 29 juillet 1881 une dérogation
au régime de la publicité des lois pénales;
Constater l'absence d'une telle publicité au Journal Officiel
de la République Française concernant telle ou telle
décision de la justice internationale ou française
qui pourrait ainsi être opposée au prévenu
dans le cadre de l'article 24bis;
Constater plus précisément en ce qui concerne cette
dernière que les décisions de la justice militaire
française sont inaccessibles au public pour une durée
de cent ans (loi 79-18 de janvier 1979), ce qui est une atteinte
aux droits de la défense interdisant à celle-ci
d'opposer tel jugement occulté à tel autre invoqué;
Prononcer la relaxe de Pierre GUILLAUME;
Condamner solidairement I'UNADIF et la FNDIR, à payer à
Monsieur GUILLAUME une somme de 10.000 francs chacune en application
de l'article 472 du Code de Procédure Pénale."
Sur la publicité de l'ouvrage
:
Lors de l'instruction comme à
l'audience, M. Pierre GUILLAUME a soutenu que le texte litigieux
n'avait pas été livré au public mais remis
exclusivement aux Amis de la Vieille Taupe"( D.39) il
a affirmé qu'en aucun cas cet ouvrage n'avait été
disponible en librairie et répété ( D. 112)
"qu'il avait circulé exclusivement entre abonnés"
et "de la main à la main entre amis".
M. GARAUDY a confirmé ce point ( D.120).
Pour démontrer le caractère public de l'ouvrage,
le conseil des parties civiles poursuivantes a versé au
dossier et aux débats :
une facture d'achat de trois exemplaires de l'ouvrage à
la librairie L'AENCRE", 12 rue de la Sourdière, Paris
1er, en date du 21 février 1996 (D.117) ;
une lettre circulaire datée du 15 décembre 1995
aux "Amis de la Vieille Taupe" émanant de M.
Pierre GUILLAUME évoquant "sa décision de
publier le livre" afin qu'il
[Fin de la page 8]
soit "dispersé dans la
nature avant de pouvoir faire l'objet d'une mesure de saisie"
Il n'y a pas de délit de presse sans publicité
: la loi n'atteint pas la pensée solitaire ou l'opinion
formulée dans un groupe restreint, partageant une communauté
d'intérêts, mais seulement l'expression publique,
orale ou écrite d'un discours qui trouble l'ordre social,
ou blesse l'individu.
L'article 24 bis renvoie, sur ce point, expressément aux
moyens de publicité énoncés à l'article
23 ( "[ ceux qui auront contesté, par un des moyens
énoncés à l'article 23 [...]" )
: la publicité est donc l'un des éléments
constitutifs du délit.
L'ouvrage litigieux (D. 1) mentionne en page de couverture, "numéro
spécial, hors commerce"; en première
page il est précisé de nouveau : "hors commerce,
bulletin confidentiel réservé aux amis de la Vieille
Taupe", et : "La diffusion publique de
cette revue[...] est interrompue jusqu'à l'abolition
de la loi scélérate" ; en page 3,
un éditorial indique encore que "cette édition
n'est pas publique", et en explique les raisons
(l'existence de la loi du 13 juillet 1990), annonçant "la
réalisation d'une deuxième édition publique,
dès que possible, en 1996".
Le Tribunal constate qu'au regard des affirmations du prévenu
GUILLAUME, et de celles de l'ouvrage lui-même, les parties
poursuivantes ne rapportent pas une preuve suffisante de la publicité
que celui-ci aurait reçue :
1 - Comme le soutient, à juste titre, la défense
(qui produit une attestation à cet effet du gérant
de la librairie l'Aencre), la facture d'achat de trois exemplaires
dans cette librairie produite par les parties civiles, est dépourvue
de caractère probant: pour partie illisible, mentionnant
un taux de TVA fantaisiste, omettant d'indiquer le titre même
du livre, elle n'établit pas que c'est l'éditeur
de la revue, ou l'auteur de l'ouvrage, qui auraient confié
ces trois exemplaires au libraire en vue de leur vente publique.
2 - La lettre circulaire du 15 décembre 1995 de Pierre
GUILLAUME aux "Amis de la Vieille Taupe" se présente
comme un bulletin d'information à des abonnés :
Si elle annonce une stratégie de "dispersion dans
la nature " du numéro 2 de la revue, celle-ci
passe par le canal des abonnés, et précède
"la réalisation d'une deuxième édition
publique".
Si ce mode de distribution par abonnements n'entraîne
pas nécessairement l'absenoe de l'élément
de publicité, encore faudrait-il établir que, contrairement
à ce qu'affirme Pierre GUILLAUME, la faculté de
s'abonner est totalement libre et n'est soumise à aucune
condition d'agrément particulière : or cette preuve
n est pas rapportée par les parties poursuivantes .
[Fin de la page 9]
3 - Il convient enfin de constater qu'aucun
des services de police spécialisés en la matière
ne s'est trouvé en mesure d'appréhender un exemplaire
de l'ouvrage litigieux lors de cette première édition,
notamment auprès de la "Librairie roumaine" qui,
d'après la lettre circulaire du 15 décembre "acceptait
de recueillir les abonnements" et "remettait
les suppléments disponibles à tout nouvel abonné".
La publicité doit être matériellement
constatée et imputable au prévenu.
Faute de cet élément de publicité le délit
ne peut être caractérisé, et la relaxe s'impose,
sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens
de défense proposés par le prévenu GUILLAUME.
Par suite les parties civiles seront déboutées.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, en
matière correctionnelle, en premier ressort, et par jugement
contradictoire à l'encontre de M Pierre GUILLAUME,
de M Roger GARAUDY, prévenus et par jugement contradictoire
à l'encontre de: Union Nationale des Associations de Déportés
et Internés et Famille des Disparus UNADIF, de I' Union
Nationale des Déportés, Internés, et Victimes
de Guerre UNDIVG, de la Fédération Nationale des
Déportés et Internes de la Résistance FNDIR,
de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation,
de l'Amicale des Anciens Déportés de Buna Monowitz-Auschwitz
III et ses Kommandos, de I'Amicale des Anciens Déportés
Juifs de France Internés et Famille de Disparus, de l'Association
indépendante nationale des Anciens Déportés
internés juifs et leurs familles, de l'Amicale des Déportés
d'Auschwitz et des Camps de Haute Silésie, de l'Association
sportive et culturelle MACCABI (dite MACCABI INTER, de l'Association
"Avocats sans frontières" parties civiles, et
après en avoir délibéré conformément
à la loi,
DECLARE l'exception préjudicielle proposée
par le prévenu Roger GARAUDY, irrecevable.
RELAXE les prévenus des fins de la poursuite.
DECLARE irrecevable la constitution de partie civile de
l'association MACCABI INTER.
DONNE ACTE à l'association AVOCATS SANS FRONTIÈRES
de son désistement de constitution de partie civile.
DECLARE recevables, les constitutions de partie civile
des autres associations.
[Fin de la page 10]
Les DEBOUTE,
au fond, de leurs demandes.
REJETTE la demande formée par le prévenu
Pierre GUILLAUME sur le fondement de l'article 472 du Code de
Procédure Pénale.
Aux audiences des 8 janvier, 9 janvier, 15 janvier, 16 janvier
et 27 février 1998, l7ème chambre, le tribunal était
composé de :
Président : M. Jean-Yves MONFORT vice-président
Assesseurs: MME. Anne DEPARDON juge, MME. Marie Françoise
SOULIE juge
Ministère Public : M. François REYGROBELLET substitut
Greffier : MME. Martine VAIL greffier
[Fin de la page 11]
Ministère Public
c/. GARAUDY
République française
Au nom du Peuple français
Tribunal de Grande Instance
de Paris
l7eme chambre
N· d'affaire : 9612725013
Jugement du : 27 février 1998 n· 2
NATURE DES INFRACTIONS : CONTESTATION DE L'EXISTENCE DE CRIME CONTRE
L'HUMANITE PAR PAROLE, ECRIT, IMAGE OU MOYEN AUDIOVISUEL,
TRIBUNAL SAISI PAR: Ordornanoe de renvoi du juge d'instruction
en date du 07 mars 1997 suivie d'une citation.
PERSONNE POURSUIVIE:
Nom : GARAUDY
Prénoms : Roger, Jean, Charles
Né le : 17juillet1913
A : MARSEILLE (13)
Fils de : Charles GARAUDY
Et de : Marie MAURIN
Nationalité : française
Domicile : 69 Rue Sucy
94430 CHENNEVIERES SUR MARNE
Profession : universitaire en retraite
Situation familiale : marié
Situation pénale : libre
Comparution : comparant assisté de Me VERGES et Maître
PETILLAULT avocats au barreau de Paris, lesquels ont déposé
des conclusions visées par le Président et le Greffier
et jointes au dossier.
PARTIES CIVILES:
[Fin de la page 1]
Suite à une plainte avec constitution
de partie civile, datée du 6 mai 1996, de l'Association
des fils et filles des déportés juifs de France,
et par ordonnance rendue le 7 mars 1997 par l'un des juges d'instruction
de ce siège, Roger GARAUDY a été renvoyé
devant ce tribunal pour y répondre du délit de contestation
de crimes contre l'humanité, prévu et réprimé
par les articles 23, 24 al.6, 24 bis,42, 43 et suivants de la
loi du 29 juillet 1881, à raison de la publication, dans
le courant des mois d'avril et de mai 1996, de l'ouvrage intitulé
"Les mythes fondateurs de la politique israélienne",
dont il est l'auteur et l'éditeur, sous le nom de "
SAMISZDAT Roger GARAUDY", retenu à raison de douze
passages, précisés dans l'ordonnance, et ci-dessous
analysés .
Appelée à l'audience du 29 mai 1997, après
citation régulière du prévenu, l'affaire
a été renvoyée contradictoirement aux audiences
des 3 juillet, 2 octobre, il décembre 1997 et 8 janvier
1998.
A l'audience du 8 janvier 1998, le prévenu a comparu assisté
de ses conseils.
[Fin de la page 2]
Se sont constituées parties civiles, par la voix de leurs conseils :
Avant toute défense au fond, les
conseils du prévenu ont contesté la recevabilité
des constitutions de partie civile des associations" MACCABI-INTER"
et "AVOCATS SANS FRONTIERES", faute par celles-ci de
démontrer que leur objet s'inscrit dans le cadre des dispositions
de l'article 48-2 de la loi du 29juillet 1881 : ils ont également
déposé des conclusions aux fins d'exception préjudicielle,
visant l'article 386 du Code de Procédure Pénale,
demandant au Tribunal de dire que le prévenu saisira la
Cour européenne des Droits de l'Homme pour faire juger
la compatibilité des dispositions de l'article 24 bis de
la loi du 29 juillet 1881 avec celles de la Convention européenne
de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales,
et notamment son article 10 proclamant la liberté d'expression.
Après avoir entendu le représentant du Ministère
Public et les avocats des parties civiles, le Tribunal a joint
ces incidents au fond, la défense ayant eu la parole en
dernier.
Le Président a procédé au rappel des faits
et de la procédure, à l'interrogatoire du prévenu,
à l'audition des témoins et des représentants
des associations parties civiles.
Les débats ne pouvant être terminés au cours
de la même audience se sont continués lors des audiences
des 9, 15 et 16janvier 1998, conformément à l'article
461 du Code de Procédure Pénale.
Les conseils des parties civiles ont développé les
ternies de leurs demandes.
Le représentant du Ministère Public a présenté
ses réquisitions.
Les conseils du prévenu ont été entendus
en leurs moyens de défense et plaidoiries.
Le prévenu a eu la parole en dernier.
L'affaire a été mise en délibéré;
le Président a, conformément à l'article
462 al.2 du Code de Procédure Pénale, informé
les parties que le jugement serait prononcé à l'audience
du 27 février 1998.
SUR LA RECEVABILITE DES ASSOCIATIONS "MACCABI-INTER"
et "AVOCATS SANS FRONTIÈRES":
Aux termes de l'article 48-2 de la loi du 29juillet 1881, les
associations pouvant exercer les droits reconnus aux parties civiles
en ce qui concerne I'infraction prévue par l'article 24
bis sont celles qui, régulièrement déclarées
depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposent,
par leurs statuts, "de défendre les intérêts
moraux et l'honneur de la Résistance ou des Déportés".
Tel n'est pas le cas des associations " MACCABI-INTER"
et " Avocats sans frontières" :
La première a pour objet de " favoriser, par le moyen
des activités culturelles et artistiques, les échanges
et les rencontres inter culturels dans le respect de chaque culture
et de chaque individu ; de faire connaître la culture juive
et son histoire dans ses relations avec les autres cultures ;
de lutter contre tout racisme, tout antisémitisme et toute
forme d'intolérance par tous moyens médiatiques,
culturels et éventuellement légaux (en se référant
à la loi de 1972 sur la discrimination)".
La seconde a pour but "la défense des droits de l'Homme
et la lutte contre toutes les discriminations, en particulier,
contre le racisme et l'antisémitisme":
Ces objets sociaux ne correspondent pas aux prévisions
de l'article 48-2.
Ces associations sont donc irrecevables à agir sur le fondement
de l'article 24 bis.
L'association " Avocats sans frontières" s' est,
au demeurant, désistée de sa constitution lors des
débats ; il lui en sera donné acte:
SUR L'EXCEPTION PREJUDICIELLE:
Les conseils du prévenu GARAUDY
entendent faire saisir, par la voie de l'exception préjudicielle
de l'article 386 du Code de Procédure Pénale, la
Cour Européenne des Droits de l'Homme, afin que celle-ci
se prononce sur la compatibilité des dispositions de l'article
24 bis de la loi du 29 juillet 1881, incriminant la contestation
de crimes contre l'humanité, avec la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'Homme et notamment son article 10.
Cependant, il est de principe, aux termes de l'article 384 du
Code de Procédure Pénale, que" le Tribunal
saisi de l'action publique est compétent pour statuer sur
toutes exceptions proposées par le prévenu pour
sa défense, à moins que la loi n'en dispose autrement
ou que le prévenu n'excipe d'un droit réel immobilier".
Ainsi, le juge répressif doit statuer lui-même sur
toute question dont dépend
l'application de la loi pénale,
et il n'y a lieu à exception préjudicielle que lorsque
la solution du procès dépend d'un point de droit
qui échappe légalement à sa compétence.
Tel n'est pas le cas de l'application, en droit interne, des dispositions
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'Homme : celle-ci est d'application directe en France, et se
trouve revêtue de l'autorité qui s'attache aux traités
internationaux, par application de l'article 55 de la Constitution.
Il appartient au juge répressif de l'interpréter,
le cas échéant, et de vérifier la compatibilité
du droit interne avec les principes qu'elle proclame.
La Convention prévoit, au demeurant, que la Cour qu'elle
institue ne peut être saisie par un requérant qu'après
épuisement des voies de recours internes.
L'exception préjudicielle présentée par la
défense de M. GARAUDY n'est donc pas recevable.
Dans le courant du mois d'avril 1996,
M. Roger GARAUDY a édité et mis en vente un ouvrage
écrit par lui-même , intitulé : " Les
mythes fondateurs de la politique israélienne".
Il n'est pas contesté que cette 2e édition, à
la différence de la première, a fait l'objet d'une
diffusion publique.
Les parties poursuivantes considèrent que de nombreux passages
de ce livre caractérisent le délit de contestation
de crimes contre l'humanité, prévu et puni par l'article
24 bis de la loi du 29 juillet 1881.
M. GARAUDY s'oppose à cette interprétation de l'ouvrage
: il explique que celui-ci s 'inscrit dans une série de
travaux consacrés à la lutte contre l'intégrisme
(qu'il soit romain, musulman ou sioniste), et qu'il s'y est employé
à "dénoncer l 'hérésie sioniste,
comme trahison de la foi des prophétes, sans toucher à
la religion judaïque, et sans mettre en question l'existence
de l'Etat d'Israël".
Il a voulu, poursuit-il, montrer que le sionisme politique ne
se sert du judaisme que comme instrument et qu'il se traduit par
une politique agressive visant à la désintégration
de tous les états voisins ; que cette politique prétend
se situer au dessus de toutes les lois internationales; et qu'elle
est aujourd'hui l'une des sources de l'antisémitisme.
M. GARAUDY affirme que "le judaïsme est une religion
qu'il respecte, et /e sionisme une politique qu'il combat",
sa lutte contre la politique sioniste " faisant partie intégrante
de sa lutte contre l'antisémitisme justement puni par la
loi" ( D.82, notes d'audience).
SUR QUOI LE TRIBUNAL:
L'article 24 bis de la loi du 29juillet 1881 introduit dans la
loi sur la presse par la loi du 13juillet1990, dispose , en son
premier alinéa:
"Seront punis des peines prévues par le sixième
alinéa de l'article 24 [1an d'emprisonnement, 300.000 francs
d'amende] ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés
à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre
l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article
6 du statut du Tribunal militaire international annexé
à l'accord de Londres du 8 août 1945, et qui ont
été commis soit par les membres d'une organisation
déclarée criminelle en application de l'article
9 du dit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels
crimes par une juridiction française ou internationale".
Le jugement du tribunal militaire international de Nuremberg,
auquel renvoie notamment ce texte, indique, sous l'intitulé:
"Persécution des juifs":
Ce jugement, du 1er octobre 1946, comporte
des condamnations pour crimes contre l'humanité, tels que
définis par le statut du tribunal international, incluant
les méthodes d'extermination des juifs.
La contestation de l'existence des chambres à gaz comme
moyen d'extermination entre donc dans les prévisions de
l'article 24 bis de la loi du 29juillet 1881.
Au sens de ce texte, la contestation incriminée, c'est la mise en discussion, la mise en doute , la négation du fait lui-même.
Il convient d'examiner les passages poursuivis
au regard de ces seuls principes juridiques , en dehors de toute
autre considération, d'ordre historique notamment, qui
échappe à la compétence du juge:
1 - Page 151 : titre du troisième chapitre :
11 - page 105
2 - page 100 :
3 - page 152 :
4 - page 134 :
5 - page 137 :
6 - page 122:
7 - page 123 :
8 - page 156:
Le prévenu dénonce dans
ce passage le "caractère sacral de l'holocauste",
et l'utilisation à cette fin du concept d'extermination,
réduit à un instrument d'une manipulation idéologique,
sans aucun caractère réel.
9 - page 15 :
10 et l2 - page 158.
Selon le prévenu, la "solution
finale" de la question juive n'a pas été, pour
les nazis, l'extermination systématique de ce peuple, mais
l'expulsion de celui-ci d'Europe, en différentes étapes.
S'il consent que cette idée a été monstrueuse,
et a conduit à de terribles souffrances, il n'estime pas
nécessaire de "recourir à d'autres méthodes"
c'est-à-dire aux chambres à gaz- pour expliquer
la mortalité dans les camps.
Dans les passages considérés,
le prévenu nie donc la réalité du génocide
des juifs, et soutient qu'il n'y a pas eu de volonté délibérée
d'extermination de ceux-ci par les nazis ; il s'attache à
minorer le nombre des victimes juives de la deuxième guerre
mondiale, et met en doute l'existence des chambres à gaz
comme moyen de mise à mort des juifs dans certains camps.
Il apparait ainsi, que, loin de se borner à une critique
de nature politique ou idéologique du sionisme et des agissements
de l'Etat d'Israel critique parfaitement licite au regard des
textes qui régissent la liberté d'expression ou
même, de procéder à un exposé objectif
des thèses négationnistes et de réclamer
seulement, comme il le prétend, un "débat public
et scientifique" sur l'événement historique
des chambres à gaz, Roger GARAUDY a fait siennes lesdites
thèses, et s'est livré à une contestation
virulente et systématique de l'existence des crimes contre
l'humanité commis contre la communauté juive, tels
qu'ils ont été jugés par le Tribunal militaire
international de Nuremberg.
Le délit de l'article 24 bis est donc caractérisé.
*
SUR LES INTERETS CIVILS:
L'association des Fils et Filles des déportés, qui
a, dans ses statuts, pour objet d'entretenir le souvenir et de
défendre la mémoire des déportés,
est recevable en sa constitution de partie civile.
Cette association demande la condamnation du prévenu au
paiement de la somme de 50.000 francs à titre de dommages-intérêts,
et d'une indemnité de 10.000 francs sur le fondement de
l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale, outre
des mesures de publication.
Il sera fait droit à ses demandes, étant observé que le préjudice dont la partie civile entend obtenir réparation est de nature purement morale.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle,
en premier ressort, et par jugement contradictoire à l'encontre
de M Roger GARAUDY, â l'égard de l'association des
fils et filles de déportés Juifs de France, de l'association
MACCABI INTER, de l'association Avocats sans frontières,
parties civîlés, et après en avoir délibéré
conformément à la loi.
SUR L'ACTION PUBLIQUE:
REJETTE l'exception préjudicielle présentée
par le prévenu.
DECLARE le prévenu Roger GARAUDY COUPABLE du délit
de CONTESTATION DE CRIMES CONTRE L'HUMANITE, prévu et puni
par les articles 23, 24 al.6, 24 bis, 42, 43 et suivants de la
loi du 29juillet 1881.
Le CONDAMNE à la peine de TRENTE MILLE FRANCS (30.000 francs)
d'amende.
SUR LES INTERETS CIVILS
DONNE ACTE à l'association "AVOCATS SANS FRONTIERES"
de son désistement.
DECLARE IRRECEVABLE la constitution de partie civile de l'association
MACCABI-INTER"
REÇOIT la constitution de partie civile de l'Association
des fils et filles des déportés juifs de France
CONDAMNE M. Roger GARAUDY à lui payer la somme de 1 franc
à titre de dommages-intérêts, et une indemnité
de 10,000 francs sur le fondement de l'article 475-1 du Code de
Procédure Pénale.
REJETTE le surplus de la demande.
La présente procédure est assujettie à un
droit fixe de procédure d'un montant de 600 francs dont
est redevable M. Roger GARAUDY.
la page 12 étant consacrée à la composition du tribunal (identique)
Ministère Public C /.GARAUDY
N · d'affaire : 9614425016
TRIBUNAL SAISI PAR: Ordonnance de renvoi du juge d'instruction en date du 07 mars 1997 suivie d'une citation.
PERSONNE POURSUIVIE:
Nom : GARAUDY
Prênoms : Roger, Jean, Charles
Né le : 17 juillet 1913
A : MARSEILLE (13)
Fils de : Charles GARAUDY
Et de : Marie MAURIN
Nationalité : française
Domicile : 69 rue de Sucy
94430 CHENNEVIERES SUR MARNE
Profession : universitaire en retraite
Situation familiale : marié
Situation pénale : libre
PARTIES CIVILES:
La Ligue Internationale contre le Racisme et l'Antisémitisme. LICRA
[Fin de la page 1]
40 rue de Paradis
75010 PARIS
Comparution: comparante en la personne de M. Pierre AIDENBAUM , son Président assisté par Me KORMAN avocat du barreau de Paris, lequel a déposé des conclusions visées par le Président et le Greffier et jointes au dossier.
Association sportive et culturelle
MACCABI, dite MACCABI INTER
Maison des Associations
Avenue François Mauriac
94000 CRETEIL
Comparution: comparante en la personne de son président, Monsieur Richard SABBAN,assisté de Maître Jean CHEVAIS, Avocat au Barreau de Paris, lequel a déposé des conclusions visées par le Président et le Greffier et jointes au dossier.
Association" Avocats sans frontières"
55 avenue Marceau
75116 Paris
Suite à une plainte avec constitution de partie civile déposée le 23 mai 1996 ,par la "Ligue Internationale contre le Racisme et l'Antisemitisme" (LICRA), et par ordonnance rendue le 7 mars 1997 par l'un des juges d'instruction de ce siège, Roger GARAUDY a été renvoyé devant ce Tribunal pour y répondre du délit de diffamation publique envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, ou une race ou une religion, prévu et puni par les articles 23, 29 ai. 1, 32 al.2, 42, 43, 47, 48 et suivants de la loi du 29 juillet 1881, pour avoir publié, courant avril et mai 1996, l'ouvrage intitulé : "Les mythes fondateurs de la politique israélienne", dont il est l'auteur et l'éditeur sous le nom de "SAMISZDAT Roger GARAUDY" , retenu à raison de plusieurs
[Fin de la page 2]
passages ,précisés dans la plainte et l'ordonnance et ci-dessous analysés.
Appelée à l'audience du 29 mai 1997, après citation régulière du prévenu, l'affairea été renvoyée contradictoirement aux audiences des 3 juillet, 2 octobre , 11 décembre 1997, et 8 janvier 1998.
A l'audience du 8 janvier 1998, le prévenu a comparu assisté de ses conseils. Se sont constituées parties civiles, par la voix de leurs conseils:
Le Président a procédé au rappel des faits et de la procédure, à l'interrogatoire du prévenu, à l'audition des témoins et des représentants des parties civiles.
Les débats ne pouvant être terrninés au cours de la même audience se sont continués lors des audiences des 9, 15 et 16janvier 1998, conformément à l'article 461 du Code de Procédure Pénale.
Les conseils des parties civiles ont développé les termes de leurs demandes.
Le représentant du Ministère Public a présenté ses réquisitions.
Les conseils du prévenu ont été entendus en leurs plaidoiries.
Le prévenu a eu la parole en dernier.
L'affaire a été mise en délibéré; le Président a, conformément à l'article 462 al.2 du Code de Procédure Pénale, informé les parties que le jugement serait prononcé le 27 février 1998.
Dans le courant du mois d'avril 1996, M. Roger GARAUDY a édité et mis en vente un ouvrage , dont il est l'auteur, intitulé : "Les mythes fondateurs de la politique israélienne".
Il n'est pas contesté que cette deuxième édition, à la différence de la première, a fait l'objet d'une diffusion publique.
Les parties poursuivantes considèrent que plusieurs passages de ce livre constituent le délit de diffamation publique raciale.
[Fin de la page 3]
M. GARAUDY explique que son ouvrage s'inscrit dans une série de travaux consacrés à la lutte contre l'intégrisme, et qu'il s'est employé ici, a "dénoncer l'hérésie sioniste, comme trahison de la foi des prophètes sans toucher à la religion judaïque et sans mettre en question l'existence de i 'État d 'Israël".
Il a voulu, poursuit-il, montrer que le sionisme politique ne se sert du judaïsme que comme instrument et qu'il se traduit par une politique agressive visant à la désintégration de tous les états voisins que cette politique prétend se situer au-dessus de toutes les lois internationales : et qu'elle est aujourd'hui l'une des sources de l'antisémitisme.
M. GARAUDY affirme "que le judaïsme est une religion qu'il respecte, et le sionisme une politique qu 'il combat", sa lutte contre la politique sioniste "faisant partie intégrante de sa lutte contre l'antisémitisme justement puni par la loi".
SUR QUOI LE TRIBUNAL:
L'article 32 al.2 de la loi du 29 juillet 1881 sanctionne la diffaniation commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie , une nation, une race ou une religion déterminée.
Il convient d'examiner successivement les passages poursuivis, à ce titre, par la plainte de la LICRA, et ainsi articulés:
En alléguant que "les sionistes" sont les " béneficiaires" de l'exploitation politique du "mythe déguisé en histoire" (titre qui précède page 246 - qui renvoie lui-même à l'ensemble des autres mythes, tels qu 'ils sont un à un [Fin de la page 4] énumérés et désignés par lui dans les pages 27 à 62 : les mythes théologiques, et les pages 63 à 190, les mythes du vingtième siècle...) exploitation dont infine il expose qu 'elle autorise ceux-ci ("les sionistes") de placer l 'État d'Israël au dessus de toute loi pour légaliser toutes ses exactions extérieures ou intérieures, après avoir permis sa création et en les dénonçant ainsi comme usant de moyens mensongers à des fins politiques , en annonçant au surplus dans l'introduction de son livre (page 24) qu'il s 'agit pour lui de tracer : "(une) anthologie du crime sioniste" servi par le "dévoiement des mythologies" (page 12) et "le terrorisme intellectuel..." (page 12), Roger GARAUDY se rend coupable du délit de diffamation publique envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une race ou une religion déterminée.
Il importe de relever que, comme le soutient à juste titre la LICRA. dans sa plainte, les "sionistes" "béneficiaires" du "mythe de holocauste"( p.247) sont, en réalité, pour l'auteur, l'ensemble des juifs , comme le démontre l'analyse des pages précédentes , qui distinguent, par exemple, "les juifs qui ont tenté de défendre un judaïsme prophétique", des juifs tenants d'un "sionisme tribal" (page 24), ou évoquent "le lobby aux Etats-Unis" (assimilé au "vote juif"', ou aux "personnalités juives", ou bien encore au "lobby juif" (page 198) et le "lobby en France" (constitué notamment par la LICRA, dont l'objet est précisément la lutte contre le racisme et l'antisémitisme) ,dont l'importance est comparée à celle de la "population juive en France" (page 214), l'auteur faisant également référence au "grand rabbin de France: SITRUK" (page 221) ou au CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France ) (page 222).
Bien qu'il s'en défende , et qu'il ait posé dès l'introduction de son livre des définitions précises du sionisme et du judaïsme, l'auteur procède très fréquemment, au fil de son propos, à un amalgame des deux termes de manière à présenter sous forme d'une critique politique ou idéologique , parfaitement recevable, de l'État d'Israël, ce qui n'est qu'une mise en cause de comportements attribués à l'ensemble des juifs.
Ainsi, dans le passage incriminé , qui figure dans la conclusion de l'ouvrage (pages 247 et 248) le prévenu impute aux juifs d'avoir exagéré l'importance des crimes commis à leur encontre par le rÉgime nazi, de les avoir "sacralisés" en se donnant comme victimes exclusives de l'hitlérisme, pour en tirer une exploitation politique , leur permettant de se placer au-dessus des lois et de légitimer toutes leurs "exactions".
Cette imputation d'une exagération du génocide à des fins politiques et cyniques porte à l'évidence, atteinte à l'honneur et à la considération de l'ensemble de la communauté juive.
[Fin de la page 5]
Le délit de diffamation de l'article 32 al.2 est constitué.
SUR LES INTÉRÊTS CIVILS
La LICRA a notamment pour objet de "promouvoir la fraternité entre les hommes et combattre par tous les moyens en son pouvoir le racisme et l'antisémitisme ainsi que promouvoir les droits de l'homme et prévenir toute atteinte qui pourrait leur être portée".
L'association MACCABI INTER a pour objet de "favoriser, par le moyen des activités culturelles et artistiques, les échanges et les rencontres inter culturels dans le respect de chaque culture et de chaque individu ; de faire connaître la culture juive et son histoire dans ses relations avec les autres cultures ; de lutter contre tout racisme, tout antisémitisme et toutes forme d'intolérance par tous moyens médiatiques, culturels et éventuellement légaux (en se référant à la loi de 1972 sur la discrimination)".
L'association "Avocats sans frontières" a pour but "la défense des droits de l'Homme et la lutte contre toutes les discriminations en particulier, contre le racisme et l'antisémitisme".
Ces trois associations peuvent donc exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'infraction de diffamation raciale, par application de 1'article 48-1 de la loi sur la presse.
La LICRA demande la condamnation du prév enu au paiement de la somme de 1franc à titre de dommages-intérêts et d'une indemnité de 50.000 francs au titre de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale, outre diverses mesures de publication du jugement.
L'association MACCABI-INTER demande la condamnation du prévenu au paiement des sommes de 30.000 francs à titre de dommages-intérêts et de 5.000 francs sur le fondement de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale.
L'association "Avocats sans frontières" sollicite 50.000 francs à titre de dommages-intérêts et 1 franc au titre de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale, ainsi que diverses mesures de publication du jugement.
Il sera fait droit à ces demandes dans les limites indiquées au dispositif, étant observé:
[Fin de la page 6]
Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l'encontre de Roger GARAUDY, prévenu, à l'égard de la Ligue Internationale contre le Racisme et l'Antisémitisme (LICRA) , de l'association MACCABI-INTER et de l'association" AVOCATS SANS FRONTIERES " parties civiles, et après en avoir délibéré conformément à la loi,
SUR L'ACTION PUBLIQUE:
DÉCLARE le prévenu Roger GARAUDY COUPABLE du délit de diffamation publique envers un groupe de personnes, en l'espèce la communauté juive, à raison de leur appartenance à une race ou une religion déterminée , prévu et puni par les articles 23,29 al.l, 32 al.2 de la loi du 29juillet 1881.
Le CONDAMNE à la peine de VINGT MILLE (20.000 ) francs d'amende.
SUR LES INTÉRÊTS CIVILS:
REÇOIT les constitutions de partie civile des associations LICRA, MACCABI-INTER, et AVOCATS SANS FRONTIERES.
CONDAMNE M. Roger GARAUDY à payer:
REJETTE le surplus des demandes.
La présente procédure est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 600 francs dont est redevable le condamné.
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Nous nous plaçons sous
la protection de l'article 19 de la Déclaration des Droits
de l'homme, qui stipule:
ARTICLE 19
<Tout individu a droit à la liberté d'opinion
et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être
inquiété pour ses opinions et celui de chercher,
de recevoir et de répandre, sans considération de
frontière, les informations et les idées par quelque
moyen d'expression que ce soit>
Déclaration internationale des droits de l'homme,
adoptée par l'Assemblée générale de
l'ONU à Paris, le 10 décembre 1948.