Plusieurs affaires de bibliothèques défrayent la chronique. Les nouvelles municipalités d'extrême-droite qui ont choisi d'intervenir dans les choix d'achats de livres sont stigmatisée par la bonne presse de gauche comme démonstration qu'il est terrible, de vivre sous la botte fasciste. Même si cette botte, en l'occurrence, et après enquête des autorités compétentes semble une bottine assez souple. Car évidemment les municipalités de gauche n'ont jamais aidé à choisir les ouvrages achetés pour les bibliothèques municipales.Et puis on a le cas de Saint-Ouen-l'Aumône. Le Monde évoque ainsi ce drame :
A LA DEMANDE de quinze auteurs - dont Elisabeth Bourgois, Pierre-André Taguieff, Vladimir Volkoff, Thierry Wolton , l'historien André Castelot, le général d'armée Jean Delaunay, le professeur au Collège de France Marc Fumaroli et l'ancien ministre Alain Madelin, deux enseignants, Reine Chaikhaoui, documentaliste au lycée Edmond-Rostand de Saint-Ouen-l'Aumône, et Alain Charbonnier, professeur d'histoire-géographie au lycée Galilée de Cergy, et secrétaire académique du SGEN-CFDT, ont été assignés, mardi 29 avril, en audience civile devant le tribunal de grande instance de Pontoise (Val-d'Oise) pour diffamation et faute.
Nommée en septembre 1996 au lycée Edmond-Rostand, Mme Chaikhaoui découvrait, en faisant l'inventaire du centre de documentation et d'information (CDI) et de la bibliothèque des élèves, une série d'ouvrages qu'elle jugeait "soit dangereusement révisionnistes et xénophobes, soit défendant des thèses monarchiques, ultranationalistes et faisant l'apologie des crimes de guerre". Parmi ces auteurs, publiés par des éditeurs parfois proches de l'extrême droite, figuraient, notamment, Xavier Martin, Henri Servien, Raymond Delatouche.
Soutenue par un collectif d'enseignants, la documentaliste établit une liste de livres, les classant par catégories: des "plus marquants" à une rubrique intitulée "pour information". Au-delà d'écrits considérés comme véhiculant des idées dangereuses sont pointés des ouvrages "d'opinion qui ne représentent qu'une seule tendance". Au sein de l'établissement, l'affaire suscite une grande émotion. Alors qu'une cinquantaine de livres sont retirés du CDI, une enquête est menée par des inspecteurs de l'éducation nationale et une centaine de lycéens manifestent le 28 février (Le Monde daté du 2-3 mars).
"Peut-on commettre des autodafé ? ", s'est interrogé Alexandre Varaut, avocat des requérants. Faisant allusion aux récents conflits dans les bibliothèques de Toulon et d'Orange, l'avocat a fait valoir que "des deux côtés de la Loire, les livres doivent rester dans les bibliothèques pour ceux qui veulent les lire. Que l'on reste un écrivain libre, même si l'on est de droite ou que l'on écrit sur les guerres de Vendée".
Mais durant toute cette audience il aura d'abord été question de "listes". Car, hormis celle établie par les enseignants, a circulé une autre liste, réalisée par la direction de l'établissement cette fois, et reprenant par ordre alphabétique la totalité des ouvrages cités. Ainsi, par exemple, le livre de Pierre-André Taguieff, Les Fins de l'antiracisme, est cité dans cette seconde liste alors que les enseignants l'avaient mentionné en regrettant qu'il soit "le seul ouvrage contre le racisme mis à disposition des élèves".
"Le proviseur a procédé à une falsification qui dénature la démarche des enseignants", a accusé Pierre Mairat, avocat de la documentaliste. "Mme Chaikhaoui a été choquée par trois catégories de livres: ceux qui n'avaient pas leur place dans un CDI, ceux qui avaient peu d'intérêt pédagogique et ceux, acceptables, mais qui n'étaient pas contrebalancés par des ouvrages d'une autre tendance. Si l'on met Madelin, il faut mettre Fabius", a-t-il résumé. Me Mairat a considéré que "manifestement, la politique de l'établissement est de refuser le pluralisme. Jacquard, Badinter, Primo Levi... étaient rayés des projets de commandes faits par les enseignants".
Geneviève Alessandri, avocate d'Alain Charbonnier, a, de son côté, estimé que le reproche fait à son client d'avoir "participé à l'épuration du CDI" n'était "pas fondée". M. Charbonnier "a été alerté par le secrétaire départemental de son syndicat de l'absence de neutralité et d'objectivité qui prévalait dans le CDI d'Edmond-Rostand. Il s'est toujours attaché au point de vue pédagogique de l'affaire", a insisté l'avocate. Rappelant qu'"à aucun moment la hiérarchie n'a cherché à sanctionner la documentaliste" et que le recteur de l'académie de Versailles a dans une note en date du 27 février, confirmé que "le fonctionnement du CDI doit être complètement revu", Me Alessandri a demandé 20 000 francs de dommages et intérêts pour M. Charbonnier.
Le jugement a été mis en délibéré au 17 juin.
Sandrine Blanchard
Le Monde, 2 mai 1997.
Le compte rendu du Monde est extrêmement lénifiant, comme de bien entendu. Quoique, ne pas acheter Jacquard ou Badinter, c'est vrai, frôle le crime contre l'humanité... Le samedi 3 mai au matin, on pouvait entendre les protagonistes de cette affaire sur les ondes de France Culture, dans une émission d'Antoine Spire, un présentateur habituel de cette radio où il a accoutumé les auditeurs à parler de livres qu'il n'a manifestement pas lus. Cet ancien permanent du parti communiste l'a quitté quand il fallait mais en a gardé toutes les formes de pensée. C'est en outre un plagiaire convaincu qui a été ignominieusement chassé de l'université de Bordeaux où il avait compris que pour devenir docteur il suffisait de recopier la thèse d'un autre. Ce haut fait de gloire lui vaut une solide sinécure à France Culture.
Ce bel oiseau avait donc réuni quelques professeurs du lycée de Saint-Ouen-l'Aumône autour de la "documentaliste", Reine Chaikaoui. On a alors assisté, grandeur nature, à ce que le néo-kagébisme nous prépare. Cette hystérique a "découvert" que dans les livres qui étaient disponibles pour les élèves, il y en avaient qui venaient des éditions de Chiré, que c'étaient donc des livres royalistes, qu'en tant que tels ils "révisaient l'histoire de France" - crime de révisionnisme avéré -, qu'il y avait un roman de Saint Loup, un auteur incontestablement fasciste, mort récemment, et un "volume sur le SIDA" qui mettait en doute l'utilité du préservatif. Antoine Spire, le plagiaire avéré, approuvant évidemment cette mise à l'index, déclara, bon prince, qu'il fallait faire le partage entre les livres contre-révolutionnaires, qu'il semblait donc benoîtement admettre, et les livres qui nient les réalités, comme, sans doute, les immenses et universels bienfait de la Révoluition française qui font des livres contre-révolutionnaires des livres qui ipso facto "nient les réalités". Ce minable sophisme n'était qu'un début. Spire, le plagiaire avéré, allait ensuite dénoncer un livre de l'historien Jean-François Chiappe, qui était justement un sien collègue de l'émission Panorama, du temps où Spire chantait les louanges inconditionnelles du PCF, un peu avant qu'ils n'entonne ses couplets de "sioniste de gauche". Les enseignants (dont l'une de "philosophie", mazette!) considéraient que donner ces livres aux élèves revenait à donner une caution (la leur, peut-être???) à une "pensée univoque" (mais ils n'ont pas dit qu'ils préféraient des pensées équivoques). En effet, disait la prof de philo, les élèves sont seuls pour choisir des livres. Il peuvent prendre des thèses pour des faits. Ces livres, ajouta-t-elle, ne sont que des livres d'opinion, ce qui montrait bien à quel point cette prof de philo méprisait les opinions. "On peut mettre Mein Kampf, ajoutait une autre, mais dans un endroit où les élèves ne peuvent accéder que sous la conduite d'un professeur" (liberté à surveiller), ce qui semble être une opinion très classiquement kagébiste. "Nous ne voulons pas censurer" disait un prof, mais "grâce à nous, les élèves peuvent choisir entre les thèses inacceptables et celles qu'on peut accepter". (Ceci est verbatim). Spire, toujours plus hystérique et plagiaire avéré, s'insurge contre le fait que le CDI reçoit la "Lettre sur la Désinformation" où écrit un Bernard Lugan qui accepte "le nom de Faurisson de l'Afrique". Horribile dictu! Et que serait le Faurisson du Vexin ou de la Normandie? Et puis, il y a des bandes dessinées. Faites par des gens d'extrême droite, qui n'ont pas le mot "extrême-droite" écrit sur leur front, ce qui fait, malheureusement, que ces auteurs ne sont pas identifiables. "Les élèves, dit Reine Chairkhaoui, fatigués par leur travail (les pauvres!!) pourraient être amenés à avoir de l'indulgence pour ces idées " - idées qu'il ne pourraient pas identifier par eux-mêmes. "Toute cette idéologie n'est pas acceptable dans les mains des élèves", ajoute-t-elle. Pour aussitôt ajouter : "Nous demandons un rééquilibrage". Il n'y a pas de raison que les élèves soient privés des idées de gauche, surtout si c'est le petit fond de commerce des profs en question. Mais qu'on n'aille pas croire qu'il s'agirait d'un conflit gauche-droite. Une prof nommée Patricia Ouzi affirme que ce n'est pas une question politique. "Mais c'est une question de république. On ne peut pas tolérer des idées contraires à celles qui ont déterminé nos places dans cet établissement." Voilà l'ultime justification : puisque la République a été assez bonne fille pour nommer ces détritus intellectuels comme professeurs dans un établissement en les payant grassement, c'est donc qu'elle voulait, cette bonne fille de République, entériner les idées courtes de ces enseignants; par conséquent toute idée opposée à eux est par définition opposée à la République et doit donc être interdite. cqfd.
A la fin, les effroyables péronnelles se sont mises à gémir qu'il régnait dans cet établissement, pourtant républicain, une "ambiance détestable", qu'il circule des lettres anonymes qui les traitent de "fascistes" et même des "nazies", ce qui est bien la pire insulte, et qu'en plus elles se retrouvent devant un tribunal à cause d'une liste de livres qu'elles n'avaient établi que "pour examen". Elles sont bien à plaindre. Surtout, elle ne se rendent pas du tout compte qu'elles roulent à fond pour Le Pen.
Suite de l'affaire, 17 juin 1997
Aujourd'hui, 17 juin 1997, le tribunal de grande instance, saisi par les écrivains portés sur la liste-index de la documentaliste (ce n'est pas une bibliothécaire, mais une simple documentaliste) pour diffamation, a donné raison à la censeuse, qui triomphe à la radio, où on lui donne longuement la parole: elle a atrocement souffert --son but n'étant que l'ordre public, menacé par le Front national-- d'être traitée de nazie et de flic de la pensée. Heureusement que les tribunaux sont là pour défendre les bien-pensants. Le néokagébisme triomphe, on vous l'avait bien dit. D'ailleurs, la preuve, c'est que la "bibliothèque de l'établissement fonctionne beaucoup mieux depuis que la censeuse y est --c'est l'administration qui l'a dit. Au pays du toujours-plus-d'Etat et du tout-policier sinon on est libre et on en crève, la médiocrité grisâtre ne risque pas d'être obscurcie par le diamant de la vérité, qui comme chacun sait, continue de briller, tout seul dans le ciel. (L'AAARGH reproduit en outre l'article du Monde rapportant l'issue judiciaire de l'affaire).
On peut lire aussi les précisions et commentaires de R. Garaudy, dans Le procès du sionisme (1998).
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