Le savant Pédantin se distinguait de ses contemporains en ce qu'il prenait exactement le contre-pied de toutes les opinions dès qu'elles arrivaient à la notoriété. Par exemple, il pensait que rien, jamais plus, ne serait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, mais que tout l'avait, jadis, réellement été.
- Au temps de Voltaire, précisait-il, si - ce qu'il adorait car il aimait à être contredit - on le poussait dans ses derniers retranchements, et c'est Voltaire qui a tout faussé.
[106]
Suivait alors l'exposé d'un système d'ailleurs, très cohérent et en tous points fort remarquable, dans lequel l'Histoire du Monde dont la Franconie, terre d'élection, était le centre, se divisait en deux-grandes périodes: avant et après Voltaire. il disait cela comme d'autres auraient dit avant et après Jésus-Christ, et, fier de l'effet produit, se rengorgeant, doctoral, il enchaînait:
- Sui cette terre d'élection, jusqu'à Voltaire et depuis l'homme des Cavernes, les Franconiens, qui étaient à l'origine un peuple de pasteurs, doux, aimables et bons, accueillants, bucoliques et industrieux, ont vécu comme jadis les Chaldéens sur le cours inférieur du Tigre et de l'Euphrate. Et, de même que les Chaldéens ont, en leur temps, donné Ur et Gérimadeth pour modèle aux bâtisseurs de Babylone, de même, pendant des siècles, les Franconiens ont défriché le sol et en ont fait jaillir des châteaux dont les ruines font encore l'admiration du monde entier et des cathédrales qui défient toujours les injures du temps. A la fin, la Franconie était devenue une grande nation et on savait la défendre: il ne lui fallait pas comme aujourd'hui, quatre longues années pour venir à bout d'un ennemi fût-il le plus puissant. D'ailleurs, on ne l'attaquait pas: c'était elle qui disait le droit et, au besoin, l'imposait. Les peuples voisins enviaient sa force, ses institutions et son standing matériel et moral. En ces temps heureux, le souffle de Platon passait sur (sic) le corps d'Aphrodite et enrichissait sans cesse le patrimoine commun.
C'est précisément entre ce souffle et ce corps que, selon le savant Pédantin, s'était insinué Voltaire dont le hideux sourire avait discrédité toutes [107] les valeurs en les ridiculisant. Ainsi délivrées de leur contrepoids par ce sourire, les forces du mal avaient déclenché non seulement la grande, mais plusieurs révolutions en chaîne, qui avaient tout détruit et jusqu'à la moindre possibilité de replacer la Franconie dans les voies traditionnelles d'un destin jadis symbolisé par les casques aux grandes ailes des Gaulois nos fiers aïeux. Pour rendre sensible son raisonnement, il avait inventé une image: la pente savonnée qui était la loi historique de toutes les décadences. Sur cette pente savonnée, il y avait la Franconie qui glissait, glissait... Et comment l'empêcher de glisser puisque la pente était savonnée ? Et comment empêcher le monde de glisser avec elle puisqu'elle en était le centre ? Quant au phénomène russien, il n'était qu'un des aspects de ce glissement incoercible au terme duquel l'Humanité tout entière sombrerait dans le néant.
- C'est clair, s'échauffait-il, le sourire de Voltaire a livré les Franconiens aux forces du mal et les Russiens ne font que suivre l'exemple qui leur a été donné. Tout se tient. Et ce n'est pas fini, l'ère des révolutions dévastatrices est loin d'être close, d'autres peuples encore suivront cet exemple...
Puis, ménageant ses effets, invariablement, il concluait:
- L'homme est ainsi et on n'y peut rien homo homini lupus!
Et, après un temps
-- Depuis Voltaire, entendons-nous!
C'était la flèche du Parthe.
[108]
Si on lui faisait remarquer que, pour pertinente qu'elle soit, cette philosophie ne laissait que peu d'espoir, il devenait catégorique et même méprisant:
- Il n'est pas nécessaire, tranchait-il, d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. L'acte moral est essentiellement gratuit. Condamnées à l'échec, toutes nos entreprises seront gratuites, donc morales et l'honneur, du moins, sera sauf.
C'était inattaquable.
Par manière de reconnaître et de récompenser une si grande élévation de pensée les gens du gouvernement avaient confié au savant Pédantin l'éducation de la jeunesse dans toute la Burgondie. Les gens du gouvernement, il ne les aimait pas, loin de là; sans cesse, il leur reprochait en termes toujours véhéments et souvent incisifs, leur médiocrité intellectuelle et sa conséquence, leur manque d'autorité générateur d'un désordre qui accélérait encore la décadence. Mais il n'était pas peu fier de cette marque d'estime dont ils l'avaient honoré et, afin que nul n'en ignorât, distingué par eux pour son savoir et ses compétences, il avait décidé qu'il se devait de se distinguer lui-même par son maintien.
- L'habit ne fait pas le moine, convenait-il, mais le moine doit porter l'habit.
En vertu de quoi, en toutes circonstances, il portait jaquette et chapeau melon. Dans toute la Franconie, ces habitudes vestimentaires étaient, depuis longtemps tombées en désuétude et il n'y avait pas moyen de s'y tromper: comme il était par surcroît très grand (1 m. 92) et très maigre [109] (il s'enorgueillissait de ses 53 kgs, tout habillé, qui lui permettaient de brocarder sans indulgence le matérialisme sordide des rondouillards), dans les rues de la capitale de Burgondie, on le voyait venir de loin, et on savait que c'était lui. On se murmurait son nom sur son passage, il le lisait dans tous les yeux, le devinait sur toutes les lèvres, ce qui lui confirmait à lui-même qu'il était Lui. Et il passait, bombant le torse et portant haut la tête, comme indifférent à cette considération qui montait vers lui par vagues successives, ne se départant de sa raideur que pour donner, çà et là, quelques très rares coups de chapeau que, par amour du paradoxe, il avait à la fois larges et condescendants.
Le savoir infus, la pratique et l'expérience de la spéculation intellectuelle, l'urbanité et la dignité personnifiées, tel était le savant Pédantin. La leçon des exemples étant, ainsi qu'il aimait à le souligner, bien supérieure à celle des préceptes, il avait choisi d'être un exemple vivant de toutes les vertus de l'espèce et comme un reproche cinglant à une Nation et à une I'humanité qui les avaient irrémédiablement perdues.
Cette profession de foi quotidiennement affirmée et réaffirmée qui transformait le moindre geste de son existence en un rite solennel et qui faisait l'émerveillement de toute une ville incapable de se mettre à son diapason, prenait tout son sens de la cave aux combles, dans les couloirs, les innombrables salles, les coins et les recoins de l'Etablissement aux destinées duquel le savant Pédantin présidait de la même façon qu'il faisait tout, c'est-à-dire brillamment.
[110]
Là, il était Monsieur le Directeur et en toutes lettres.
L'établissement lui-même était une de ces nombreuses et merveilleuses créations de l'esprit franconien qui faisaient, dans leur ensemble, l'admiration du monde entier et le savant Pédantin en avait fait un modèle du genre. Le lecteur sera suffisamment informé si on lui dit que, reporté à l'échelle de sa situation géographique, de ses moyens qui étaient considérables, de son personnel plus nombreux, de ses méthodes plus étudiées et de son but, il était en grand ce qu'était en tout petit le sanctuaire de Mme Panglosse. Il appartenait au secteur des industries de transformation et la matière première sur laquelle on y travaillait, c'était ces émanations du corps humain pendant son adolescence, précisément impossibles à matérialiser et à isoler, qu'on appelle toujours, on ne sait trop pourquoi, les qualités de l'esprit. Le, savant Pédantin disait volontiers que sa mission était de façonner des âmes et, quand il le disait, il ne manquait jamais d'ajouter que cette mission était pleine d'embûches et des plus redoutables, les qualités de la matière qu'on lui livrait s'amoindrissant à vue d'oeil, à mesure qu'on s'enfonçait dans le futur.
- Signe des Temps, soupirait-il.
En fait, tous les ans à l'automne, l'Etablissement recevait, venant de tous les, villages de Burgondie, un contingent de lascars dans leur onzième on leur douzième année et, six ou sept années après, il les rendait à la liberté, bourrés de parchemins attestant qu'ils étaient aptes à remplir les nobles fonctions de Dr Plangloss. Etait prévu un séjour sup [111] plémentaire de deux, trois, quatre ou cinq années, pour les ambitieux oui se destinaient aux fonctions plus nobles encore de Dr Diafoirus, de Dr Pathelin ou de Superpangloss. Mais à l'inverse, les modestes dont la vocation visait beaucoup plus bas et savait pouvoir se satisfaire de postes, tout aussi considérés d'ailleurs, comme ceux de gendarme, de percepteur ou de soldat, pouvaient quitter l'Etablissement après une, deux ou trois années de présence seulement, selon le cas. Il y avait aussi ceux dont les parents étaient substantiellement rentés et ceux qui attendaient de prendre la suite des leurs dans le négoce ou dans une de ces sinécures héréditaires confortables et sans grandes exigences quant au niveau intellectuel, dont le régime foisonnait. Ceux-là étaient relativement rares, ils n'avaient d'autre souci que de lustrer des fonds de culottes sur les bancs de l'établissement, ils représentaient la décadence ainsi achevée, et, comme on jette un voile pudique sur une tare qu'on n'ose avouer, la ville entière et toute la Burgondie, faisaient semblant de les ignorer.
Au savant Pédantin, les gens du gouvernement avaient adjoint d'autres savants de moins tapageuse réputation mais qui étaient, eux aussi, des maîtres d'élite et qui travaillaient au façonnage des âmes sous sa haute direction. L'Histoire a retenu les noms de trois d'entre eux: Maître Ponocraton qui enseignait les sciences exactes, Maître Théobald Holophernet à qui incombaient les disciplines des lettres et Maître Jobelin Toucourt, plus spécialement chargé de la connaissance de l'homme et du monde, qui s'honoraient tous trois, d'une [112] noblesse pédagogique remontant jusqu'à Rabelais. En outre, vers leur seizième année, les âmes à façonner entraient en contact avec un quatrième personnage dont l'Histoire a aussi retenu le nom - le colonel Sabretache, gardien vigilant des traditions de la Patrie, qui enseignait les vertus militaires.
M. le Directeur s'était réservé l'essentiel, c'est-à-dire l'enseignement de la morale: chaque semaine pendant une heure, dans toutes les classes, il étirait tout au long de l'année un cours en trois têtes de chapitres dont les thèmes respectifs étaient l'ordre, la discipline et l'autorité. Le reste du temps, il était l'oeil du maître et il faisait passer la théorie dans la pratique, ce qui signifie que, de la première à la dernière heure de chaque jour, tiré à quatre épingles, jaquette et melon à l'alignement, un regard d'aigle jaillissant du plus haut de sa personne, il faisait la chasse à la poussière, au bruit et, d'une manière générale, à tout ce qui évoquait le désordre à partir du moindre laisser-aller.
M. le Directeur était partout à la fois: au dortoir pour s'assurer que les lits étaient au carré - au détour d'un escalier pour surprendre un frémissement de lèvres sur un visage ou deux bras décroisés dans les files d'âmes à l'occasion de leurs déplacements d'une salle ou d'un étage à l'autre; au réfectoire où il se tenait debout pendant tout le repas et veillait à la fois à ce que chacun tînt bien sa fourchette de la main gauche et ne prononçât pas un mot; dans les salles d'étude où il était interdit de lever la tête pendant le travail et dans les salles de classe où il était interdit de la baisser [113] pendant les cours. il fallait le voir, ici ou là, tomber en arrêt devant une toile d'araignée oubliée dans quelque recoin de plafond mal éclairé, se baisser comme en se démultipliant, passer le doigt sur une plinthe et en ramener un imperceptible grain de poussière, ou, prenant du recul, désigner d'un geste vengeur, un coin de parquet qui ne brillait pas comme un miroir! Un soulier mal lacé, une blouse mal boutonnée, un cheveu un tant soit peu récalcitrant sur une tête, le mettaient dans tous ses états.
En un seul endroit de l'établissement, un peu de relâche était permis: la cour de récréation. Ici, on pouvait parler, rire, marcher, jouer, s'ébattre, sans prendre trop de précautions, mais malheur à qui s'oubliait jusqu'à y laisser tomber un papier
qu'il ne ramassait pas aussitôt. Partout ailleurs, il fallait se taire, marcher à pas feutrés, éviter tout geste qui eût. déplacé trop d'air. La moindre infraction à ces règles entraînait automatiquement la privation de sortie le jeudi, ou le dimanche, ou les deux.
Les après-midi du jeudi et du dimanche étaient en effet réservés à des sorties, en groupe et sous la surveillance de M. le Directeur soi-même pour les moins de seize ans, individuelles et libres au-dessus de cet âge. Les premières consistaient en une marche de trois ou quatre heures à travers la campagne: au pas cadencé et en chantant La Franconienne, hymne national. Elles se passaient généralement sans incident et même elles faisaient l'admiration de la capitale burgondienne qui se-, déplaçait pour assister à ces défilés dont l'allure martiale lui mettait le coeur en émoi. Le savant [114] Pédantin prenait sa part de cette admiration: sa jaquette et son chapeau melon en frémissaient d'aise.
Il n'en allait pas de même des secondes: les yeux et les oreilles du monde rapportaient à Monsieur le Directeur les menus faits et gestes des bénéficiaires des sorties individuelles et libres si bien qu'avant même qu'ils fussent rentrés, il était fixé sur leur emploi du temps. Naturellement, dans cet emploi du temps, il y avait toujours une chose ou l'autre qui ne lui plaisait pas et cela se traduisait par une sanction qui était la mise au régime des sorties en groupe. Le système avait cet avantage qu'avant la fin du premier mois de chaque année scolaire, être libre et en jouir signifiait généralement pour tout le monde, marcher au pas cadencé en chantant La Franconienne, Monsieur le Directeur battant la mesure.
- Comme cela, disait le savant Pédantin, il n'y pas deux poids deux mesures, la loi est la même pour tous, ce qui prouve qu'elle est bien la loi et il n'y a pas de jaloux.
Et personne ne niait que la logique fût de son côté.
A le voir conduire son affaire avec cette maestria, les gens bien-pensants - à cette époque ils étaient encore nombreux - se confiaient entre eux que si ceux du gouvernement lui ressemblaient, pas de doute, nous serions gouvernés.
Et c'était la chose dont il doutait le moins.
Dans cette atmosphère, dirigé en seconde main par Maîtres Ponocraton, Jobelin Toucourt et Théobild Holophernet dont les procédés pédagogiques s'inséraient merveilleusement dans les principes généraux de Monsieur le Directeur, Candasse passa six années à recenser toutes les vieilleries du monde, en compagnie d'une trentaine de ses semblables.
Ces maîtres éminents avaient construit et mis au point un Univers filiforme qui commençait à Homère et, sans que la plus petite entorse aux règles de la logique en vînt troubler l'ordre, finissait à Déroulède. Bien entendu, cet étrange Univers ne pouvait être habité que par des morts et qui plus est, triés sur le volet: une sorte de Via Appia du sçavoir tracée dans le Temps, bordée de tombeaux plus ou moins importants et plus ou moins bien entretenus, chacun portant en épigraphe le pédigree détaillé et complet de son occupant.
Candasse, que ses origines et son genre de vie antérieure disposaient plutôt à la fréquentation des vivants, fut fort navré qu'on lui imposât de vivre quasi en permanence dans ce cimetière si visiblement sophistiqué, fût-ce sous le prétexte d'un inventaire personnel nécessaire dont il ne voyait, au surplus, guère l'utilité. Mais, puisqu'il fallait absolument être bachelier et faire cela pour l'être, il en prit son parti. Il le prit d'autant plus facilement qu'à tout prendre, si ce n'était pas plus intéressant que de tenir les mancherons de la charrue, c'était, de toute évidence, bien moins pénible.
Sur cette Via Appia du sçavoir, deux tombeaux, précisément érigés face à face, tranchaient sur tous les autres: leurs dimensions tenaient du pharaonisme; les lettres de leurs épigraphes étincelaient comme si elles avaient été burinées la veille dans la pierre; au pied, des monceaux de [116] fleurs fraîches, souvent et sans cesse renouvelées. On voyait bien que, de tous temps, leurs occupants avaient été l'objet d'une vénération particulière. De fait et probablement pour ne pas rompre avec la tradition, dans l'établissement du savant Pédantin, on ne jurait que par eux.
L'un de ces tombeaux était celui de ce Platon qui soufflait sur le corps d'Aphrodite ( De là vient, sans doute, l'expression: Amour platonique. (Note de l'auteur.) dont Candasse apprit, non sans quelque surprise, qu'il avait droit à tous les honneurs dans la République franconienne parce qu'il avait inventé un système social dans lequel tout le monde était esclave, sauf lui et quelques-uns de ses amis. Quant à l'autre, il abritait les restes d'un sous-officier de carrière, un certain Descartes qui avait fait les quatre cent dix-neuf coups sur différents champs de bataille du monde connu en son temps, s'était attiré l'amitié d'une Reine célèbre dont l'ambition était seulement de se trouver un jour, comme Aphrodite, sous un souffle du type Platon, puis, sur le tard, pour occuper sa vieillesse, s'était amusé à construire un système philosophique dans lequel tous les êtres vivants, à l'exception de l'homme, étaient des mécaniques animées mais insensibles, du type, horloge. Candasse ne fut pas davantage séduit par ce panégyrique. Comme il avait remarqué que le dénommé Descartes avait omis de dire qui remontait ces horloges, un jour, il ne put se retenir de poser la question à Maître Théobald Holofernet du ressort de qui elle était, mais il ne reçut qu'un [117] froncement courroucé du sourcil pour toute réponse.
Il se le tint pour dit et continua d'inventorier en faisant mine de s'extasier à l'unisson des autres. Mais, à partir de ce jour, chaque fois qu'il le put, il s'échappa vers les tombeaux les plus mal entretenus. Il en trouva même que personne ne s'était jamais soucié d'entretenir ou qui n'avaient pas été jugés dignes d'être érigés sur la Via Appia du sçavoir.
C'est au cours de ces investigations buissonnières qu'il découvrit, sur de vagues tumulus, cachés par la ronce ou complètement recouverts de terre, sur des morceaux de pierres disséminés à l'écart et qu'il fallait reconstituer comme des puzzles, des noms tels que ceux d'Aristophane, de Villon, de Verlaine ou de Baudelaire, d'Hésiode, Erasme, Apulée ou Boccace, de Michel Servet, Paracelse, Guillaume Budé, Thomas Morus ou Montesquieu, d'Anacréon, de La Boëtie, du Marquis de Sade ou de Restif de la Bretonne, de Spartacus, Diderot, Godvin, Gracchus Baboeuf, St-Simon, Fourier, Proudhon, Nietszche ou Wagner, etc. et de tant d'autres qui avaient appartenu à des gens auxquels on ne rendait que peu ou pas d'honneurs, ou dont la postérité avait fait des êtres conventionnels ou méconnaissables.
C'est aussi de cette façon que, pour son malheur, il entra en contact posthume avec un certain Karl Marx qui lui donna le goût à la mode de rechercher, lui aussi, ce qu'il faudrait faire pour que tout fût pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles et qui entrouvrit pour lui les portes du paradis de l'Espoir. Il se rendit compte [118] dans la suite, mais alors qu'il était déjà un homme, c'est-à-dire fort longtemps après, que si cette rencontre n'avait pas hypothéqué toute sa vie intellectuelle et constitué une catastrophe irrémédiable, c'était uniquement parce que, chemin faisant et tout à fait par hasard, il avait rencontré quelques vivants qui, comme lui, erraient librement en ce macabre Univers et surtout au dehors, à la recherche d'une vérité personnelle dont ils semblaient avoir un besoin d'autant plus pressant qu'elle était insaisissable et leur échappait sans cesse. Parmi eux, des hommes comme Elisée Reclus ou le Prince Kropotkine et, plus particulièrement, le Comte Tolstoï et le Mahatma Gand! lui furent d'un très grand secours: avant de consoler l'homme de sa rencontre avec Karl Marx, ils aidèrent l'adolescent à comprendre le savant Pédantin et ses adjoints, à leur trouver des mérites à leur mesure et à s'assimiler leurs théories sans trop d'ennui.
C'est sans doute à la fréquentation de ces vivants qu'il dut aussi de passer à travers ces six années sans le moindre incident et pas même à l'occasion de sa prise en charge par le Colonel Sabretache dans le courant de sa dix-septième année.
Le colonel Sabretache ne s'intéressait aux âmes en formation qu'à partir du moment où elles avaient atteint seize ans révolus: de nombreux chapitres d'universitaires et de hauts dignitaires de la République franconienne avaient en effet établi et souventes fois réaffirmé qu'avant cet âge, toute tentative de préparation au noble métier des armes était prématurée. Encore était-il convenu [119] qu'après seize ans, nul ne pouvait être astreint à cette préparation, s'il n'y consentait expressément, l'obligation n'intervenant qu'à partir de vingt ans, âge auquel elle était pratiquée en grand dans des établissements spéciaux et réputés pour leur urbanité: les casernes.
Candasse qui ne se sentait pas de vertus militaires bien caractérisées, essaya bien de profiter de cette latitude. Mais le Colonel Sabretache ne l'entendait pas ainsi:
-- Nom de Dieu, tonitrua-t-il. Qu'est-ce que c'est? De quoi? Mauvais esprit?
Et M. le Directeur vint à la rescousse
- D'accord, mon ami, d'accord, fil-il sèchement, nous sommes en Démocratie et vous êtes entièrement libre.
Puis comme si cela coulait de source
- Mais je crois utile de vous informer qu'il ne me sera pas possible d'accorder le bénéfice des sorties libres à un jeune homme qui a une si mince notion du Devoir.
Car, dans l'esprit du savant Pédantin, le goût des armes était la vertu cardinale. En cas de guerre toujours possible, une nation ne pouvait être forte que si son élite intellectuelle était à la tête des troupes. Et, s'il avait fallu près de cinq années à la Franconie pour venir à bout des Bulgares germaniens, c'était justement parce qu'il n'en était pas ainsi. Le colonel Sabretache ayant été attaché à son Etablissement pour renverser la situation et former des officiers à la mesure des besoins, le Devoir était implicite.
Et tout s'enchaînait: il ne se voyait en conséquence pas prendre la responsabilité de lâcher en [120] liberté dans les rues de la ville, un garçon assez dénué de jugement pour prétendre à entrer dans l'élite tout en se dérobant au Devoir. Car, à quelles. excentricités ne pourrait-il pas s'y livrer?
Or Candasse qui était décidément vicieux, avait une indigestion de pas cadencé sous la surveillance directe et jamais en défaut du savant Pédantin soi-même et, depuis le premier jour de son entrée à l'Etablissement, aspirait à cette liberté. Pour en bénéficier deux après-midi par semaine, fût-ce avec toutes les restrictions qui allaient de pair, il accepta de se laisser préparer au noble métier des armes.
Même il fit mine de s'y intéresser et il s'y distingua.
Ainsi s'évanouit le dernier prétexte à incident: à la fin de la sixième année, il était bachelier et admis à la dignité de Dr Pangloss.
Cunégonde? C'est Cunégondette qu'il rencontra, un jeudi ou un dimanche après-midi. En ces temps heureux, la mode était aux diminutifs: Cunégondette, Yvette, Odette, Ginette, Lopette...
Il lui envoya des vers. Elle attendait mieux ou plus, car elle avait de la branche. Il le prit assez mal. Elle aussi.
Fort heureusement, elle avait des soeurs et, à la longue, celles-ci le consolèrent de celle-là.
A vingt ans, Candasse était un Franconien accompli, à ceci près qu'à rencontre de la plupart de ses compatriotes, il avait une claire conscience les contradictions qui l'habitaient, en particulier de la contradiction mère: il ne voyait autour de lui rien qui ne fût Prétexte à la révolte, et il avait horreur de la violence. Il en résultait qu'en rien il ne réussissait à définir, pour son usage personnel, un comportement qui eût son entière approbation. Et il en était réduit à une recette que lui avait donnée le Tonkinois:
[122]
- Quand tu seras dans l'embarras, écoute d'abord le juge, le prêtre et le soldat, puis, sans plus te poser de questions, pense exactement le contraire et agis en conséquence.
Ce n'était pas si mal, mais ce n'était qu'une recette: les prises de position qui découlaient de son application, toujours pratiques, étaient, au surplus, de compromis et, d'autre part, Candasse avait un faible pour les principes.
Il avait donc assez mauvaise opinion de lui.
Sur cette toile de fond, il y avait en outre, dans son comportement, quelques petites choses qu'il considérait comme de véritables trahisons de soi-même et que, sans avoir le courage d'en renverser le cours, il ne se pardonnait cependant pas. Parmi ces petites choses, la plus petite de toutes, la façon qu'il avait choisie de gagner son pain n'était pas la moins lancinante.
Au terme des six années qu'il avait passées dans l'établissement du savant Pédantin, Candasse n'avait plus aucune envie d'être menuisier. Entre autres méfaits, malgré ses efforts pour maintenir sa personnalité hors d'atteinte, l'enseignement qu'il y avait reçu avait réussi progressivement à dépouiller dans son esprit le travail de toute la poésie qui en suscitait le goût, au profit d'une notion nouvelle: le niveau de vie qu'il conférait. Il avait donc sollicité et obtenu d'être envoyé dans un petit village tout semblable à celui de son enfance pour y tenir le rôle de Dr Pangloss. Mais, sans cesse, il se reprochait de s'être soustrait à un destin qui lui paraissait tracé depuis toujours en ce qui le concernait, comme [123] une concession à des impératifs étrangers au mouvement général de sa pensée.
- La concession initiale, pensait-il.
Et, chaque fois qu'il se trouvait en difficulté avec lui-même, il la rendait responsable de tout.
Qu'il n'aimât pas du tout le genre d'occupations auquel son choix le condamnait, ceci allait de soi: c'était mécanique, mesquin et parfois grossier, une évocation permanente de Mme Panglosse et de son sanctuaire dont il n'avait pas non plus gardé le meilleur souvenir et, surtout, il s'en trouvait placé entre Guelfes et Gibelins comme le doigt entre l'arbre et l'écorce. Son tempérament ne se prêtait guère à ces exercices. Aussi, persuadé qu'il était nécessaire et urgent de sortir de cette situation en porte-à-faux, avait-il imaginé d'occuper les loisirs de la profession à la préparation de nouveaux parchemins qui lui permettraient d'accéder à la dignité de Super-Pangloss et, par là même, de retourner à la ville dont tout contribuait à lui donner la nostalgie.
A la ville, grâce à la plus grande liberté dont il jouissait dans les dernières années de sa scolarité, Candasse avait pu nouer de solides amitiés intellectuelles dans de petits groupes passionnés de ce qui serait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
C'était le sujet d'un autre drame.
Comment les choses étaient arrivées tient en peu de mots: un jour, le Tonkinois l'avait envoyé faire une course aux bureaux de la Burgondie ouvrière et paysanne... On devine le reste. Les bureaux n'étaient pas des bureaux, les rédacteurs n'étaient [124] pas des rédacteurs et les employés pas des employés: au fond d'une cour populeuse et malsaine du vieux quartier, dans une mansarde d'un immeuble délabré et menaçant ruines, une demi-douzaine d'hommes se donnaient rendez, vous tous les soirs après le travail pour rédiger le journal. Le mobilier était ce qu'il y a de plus rudimentaire, les visages rudes, les mains calleuses: on portait le sarraut et la casquette. Chacun avait son rôle et le tenait le plus naturellement du monde. En bas, dans la cour, une imprimerie de fortune qui s'enorgueillissait d'avoir été "montée avec les gros sous des travailleurs" composait le journal au fur et à mesure qu'il se rédigeait en haut. Dans un coin, on faisait des comptes, dans un autre on répondait à des lettres, ailleurs on pliait des journaux et on les mettait sous bandes. Un petit rouquin, maigre et sec, qui parlait avec autorité et était partout à la fois, semblait diriger les opérations et recevait les visiteurs. On se disait camarade et on trouvait le moyen de rire en travaillant. Un parfum de conspiration, léger mais assez marqué pour qu'on le sentît démodé, flottait dans l'air. C'était cordial, sympathique et accueillant.
Le petit rouquin se déclara heureux de faire la connaissance de Candasse et demanda aimablement des nouvelles du Tonkinois. Puis, sans transition:
- Les étudiants, quels sentiments nourrissent-ils à l'endroit du phénomène russien?
C'était la grande question, il allait droit au but.
Candasse répondit qu'il ne lui semblait pas que les étudiants se souciassent fort de ce phénomène, [125] et que si, d'ailleurs, telle eût été leur préoccupation, le savant Pédantin y eût mis bon ordre et que s'il en avait personnellement quelqu'idée, c'était seulement pour ce qu'il en avait entendu dire par son père.
- Hélas, fit simplement le petit rouquin.
Six mois après, Candasse était un des plus fidèles habitués de la mansarde. Dès le jeudi suivant, il y était retourné et, cette fois, il avait été étonné que ces gens en casquette, apparemment sans culture, connussent l'Histoire de la Franconie dans ses moindres détails, les discours de Robespierre et de Danton, Camille Desmoulins, les théories de Marx, de Bakounine, James Guillaume et Kropotkine, Spartacus, Savonarole et Malatesta, Hegel, Tolstoï et Gandhi. Auprès d'eux, les Ponocraton, Jobelin Toucourt, Théobald Holophernet, Sabretache et même le savant Pédantin lui avaient paru n'être que de grotesques Pygmées. A sa troisième visite, il faisait partie de l'équipe.
Une chose pourtant l'avait heurté: tous ceux qui fréquentaient la mansarde ne juraient que par la Révolution et, quand ils prononçaient le mot, c'est-à-dire souvent, on sentait d'abord qu'ils lui mettaient la majuscule de droit, ensuite qu'ils en rêvaient dans le sens et dans les formes de tout ce qui s'était jusqu'alors fait dans le genre. A l'appui, ils invoquaient les Russiens qui, étant passés aux actes, construisaient une société où tout était réellement pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Or, Candasse avait déjà horreur de la violence et, s'il était persuadé de la nécessité de la Révolution, il ne l'entendait que non-violente.
[126]
Mais ces gens étaient de bonne foi. Ils représentaient à ses yeux l'effort de l'homme pour s'élever au-dessus de sa condition et donner une signification à sa vie. Il se sentait des leurs comme l'était son père, et, parmi eux, il se trouvait enfin à l'aise quelque part.
Le petit rouquin leva ses derniers scrupules et ses dernières hésitations:
- La Révolution moderne ne pose plus de problème à l'égard de la violence. Elle est universelle et n'a rien de commun avec celles du passé. Envisagée sur ce plan, les Russiens l'ont plus qu'à moitié faite et, pour en rester là comme pour défaire ce qu'ils ont fait, il faudrait autant de violence qu'il n'en faut pour achever la tâche. Le choix n'est donc pas entre la violence et la non-violence, mais seulement entre deux violences, D'autre alternative, il n'y a pas.
C'était astucieux.
Candasse pensait bien que ce n'était pas si simple, mais, unanimes, le juge, le prêtre et le soldat étaient d'un avis diamétralement opposé; l'aspect pratique de la question l'emporta sur son aspect spéculatif et, de ce jour, son parti fut pris: le soir même, l'Etablissement du savant Pédantin était inondé d'une littérature établissant péremptoirement que tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles si on achevait la Révolution commencée par les Russiens.
Le savant Pédantin entra en transes, jura, tempêta, menaça: il ne découvrit tout de même pas le coupable de ce méfait, et comme, à part lui, personne n'avait été ému par l'argument, Candasse n'avait pas renouvelé le geste.
C'est seulement à sa sortie de l'Etablissement et dûment parcheminé qu'il était entré ouvertement dans la lice: à partir de là, Guelfe parmi les Gibelins et Gibelin chez les Guelfes, il fut de toutes les controverses qui opposaient les Burgondiens entre eux; sa signature figurait régulièrement et en bonne place dans la Burgondie ouvrière et paysanne, et il ne se tenait aucune réunion publique sans qu'il y parût flanqué du petit rouquin et qu'il s'y fît remarquer. Son thème central était: la Révolution par la grève générale et l'extension au reste du monde de l'expérience que les Russiens étaient victorieusement en train de faire chez eux. Il ne réussissait généralement qu'à provoquer des mouvements divers et à se faire vilipender dans le Petit Burgondien et la Croix de Burgondie, qui plaignaient la jeunesse confiée à ce "triste éducateur" et réclamaient à grands cris des sanctions contre lui.
De ce résultat, il se souciait assez peu, mais, le soir, toujours très tard, quand il se retrouvait seul avec lui-même, il lui arrivait très souvent de penser que la Révolution était fort loin d'être "plus qu'à moitié faite", qu'elle était à peine commencée et que, dès lors, l~ premier et le plus important des problèmes qu'elle posait était celui de la violence.
Alors il s'effrayait de ses propos.
Un troisième drame, enfin, l'habitait.
D'avoir suivi les cours du Colonel Sabretache, lui avait valu d'être admis dans un établissement spécial où l'on formait "les officiers à la mesure des besoins", c'est-à-dire de réserve, chers au [128] savant Pédantin: au mois d'octobre de l'année en cours, il devait s'y présenter pour y accomplir ce qu'on appelait alors le service militaire obligatoire. On était en février et sa convocation qu'il avait déjà reçue stipulait: le 10 octobre.
Sur le moment, il n'avait pas accordé autrement d'importance à cette affaire, mais, au fur et à mesure que la date fatidique approchait, elle avait pris des proportions sur le plan du scrupule.
Quand il y pensait, voici comment elle se présentait dans son esprit: pour sauver sa liberté deux jours par semaine, il avait d'abord accepté de suivre les cours du Colonel Sabretache et, maintenant, il allait être obligé de donner l'exemple d'une vertu non seulement qu'il n'avait pas, mais encore qu'il avait en horreur.
- Faire le service militaire, passe encore, se disait-il, puisqu'on ne peut y échapper. Mais donner l'exemple!
Car il n'avait pas envisagé de se soustraire à cette obligation. Il savait, certes, que d'aucuns n'hésitaient pas à le faire: on les mettait en prison jusqu'à l'âge de cinquante ans. Or, Candasse, pas plus qu'il n'avait eu le courage de se priver de deux jours de liberté par semaine pour échapper au Colonel Sabretache, n'avait celui de passer toute une vie en prison pour échapper à dix-huit mois de caserne: entre deux maux, il choisissait le moindre, ce qui est la loi même de la concession.
- Mais, ne cessait-il de se reprocher, de concession en concession, c'est à quoi on arrive.
Et c'était intolérable parce qu'il avait, là encore, non seulement l'impression de sacrifier son confort intellectuel à son confort matériel, ce qui lui [129] semblait vulgaire et bas, mais aussi parce qu'il se voyait dans son rôle en cas de guerre.
Un jour qu'il s'était ouvert de ce drame au petit rouquin, celui-ci lui avait répondu:
- La Révolution aura besoin d'officiers, c'est aussi un problème qui ne se pose pas.
Mais ce raisonnement ne lui avait pas paru très convaincant.
Parfois, il songeait bien que rien n'était plus facile que d'envoyer au Directeur de l'Etablissement en question une lettre par laquelle il l'informait qu'il renonçait à devenir officier.
Mais comment ce geste serait-il interprété et quelles conséquences n'entraînerait-il pas ?
A y bien réfléchir, Candasse eût vu que cette solution représentait un minimum et qu'il ne risquait pas grand'chose à l'adopter.
Il ne le vit pas.
Vers ces temps-là, se produisit un événement qui relégua momentanément tous ces drames intérieurs à l'arrière-plan: un des députés de la Burgondie mourut et il fallut le remplacer.
Les Guelfes eurent leur candidat et les Gibelins le leur.
L'un des deux, peu importe lequel, était une sorte de forban du journalisme qui, ayant vendu sa plume à un puissant groupe financier, avait été plusieurs fois ministre. Son principal titre de gloire était de s'être engagé dans le sillage du Grand Lorrain, d'avoir brillamment contribué à rendre la guerre inévitable en jetant, pour le compte de ceux qui le payaient, tout ce qu'il pouvait d'huile sur le feu qui couvait entre les Franconiens et les Bulgares germaniens, puis, la guerre [130] finie, d'avoir réussi à se faire désigner pour dicter les conditions de la paix aux vaincus. Un des mieux endentés parmi les requins de la finance. Il était le candidat des hautes cheminées et ses idées politiques avaient la puissance d'attraction que confère l'argent. Il avait la possibilité de distribuer des prébendes et il le fit en grand seigneur qui ne lésine point.
Son concurrent était un de ces microcéphales petit-bourgeois, rose ventru et redondant, qui prônait la vertu des idées bien qu'il n'en eût point et qui avait exposé tout son programme quand il avait dit que la Franconie était la plus belle des Patries, la République le plus social, par conséquent le plus humain des systèmes, le russianisme - il disait le bolchevisme - une survivance des rites orientaux les plus barbares, le cléricalisme voilà l'ennemi et que tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles s'il était élu.
C'était à la fois sordide et pitoyable.
- Les Burgondiens, pensèrent le petit rouquin et son équipe, ne peuvent manquer de remarquer qu'ils n'ont le choix qu'entre la médiocrité et le banditisme politiques. Peut-être serait-il indiqué de leur proposer une troisième éventualité...
Ainsi fut fait.
Sur ce thème, ils invitèrent les ouvriers et les paysans à nettoyer les écuries d'Augias et à voter pour un brave ouvrier dont le passé était impeccable et qui passait pour avoir été la cheville des grandes grèves qui avaient marqué les toutes premières années après la fin de la guerre. Candasse et le petit rouquin firent une campagne étincelante: ils étaient partout à la fois, s'accrochant [131] aux basques du forban, ridiculisant le petit-bourgeois microcéphale, portant à l'un et à l'autre des coups qu'ils croyaient imparables.
Le brave ouvrier eut un chiffre ridicule de suffrages. Le petit-bourgeois microcéphale en eut un nombre respectable. Et le forban fut élu à une écrasante majorité: trois mois après, il était de nouveau ministre.
Et, dans les quinze jours qui suivirent, Candasse reçut notification d'un décret présidentiel le déclarant indigne de faire partie du corps des officiers de réserve, le rayant des effectifs de l'Etablissement y préparant, et le priant d'attendre une autre affectation.
- Ouf, fit-il, les circonstances sont venues à mon secours et, pour décevante qu'elle ait été quant à son issue, cette campagne électorale aura eu au moins un résultat positif!
Si cette indignité lui avait valu d'être totalement et définitivement rayé des effectifs de l'armée, Candasse pensait que le bénéfice eût été plus joli encore.
Mais, de cela, il ne pouvait - hélas - pas être question.
On le lui fit bien voir.
ENTRE temps, la Franconie avait eu de nouveaux ennuis.
Sur le front extérieur, les Bulgares germaniens se tenaient certes cois derrière leurs frontières. Le traité qui leur avait été imposé les avait écrasés: leur territoire national avait été très sensiblement amputé, ce qui les contraignait à nourrir une population presque double de celle de la Franconie sur une étendue plus petite et, d'autre part, au titre de la réparation des dommages causés par la guerre, ils devaient payer un lourd tribut à la Franconie, ce qui les avait accu [134] lés à la banqueroute. En Franconie, Guelfes et Gibelins s'étaient donc retrouvés face à face sur le caractère frauduleux ou non de cette banqueroute. Mais les choses n'allaient pas plus loin: une discussion après-coup qui occupait le temps. Il faut dire que, pour pallier ce manque à gagner, les gens du gouvernement avaient trouvé ailleurs de l'argent à emprunter, ce qui leur permettait de reconstruire les régions dévastées par la guerre et incitait les deux clans à ne se passionner point trop. On avait récupéré la Lorrainie, le Grand Lorrain n'avait plus de comptes à régler et on pensait généralement que, du côté des Bulgares germaniens, il n'y avait rien à redouter avant longtemps, pourvu qu'on se tînt sur ses gardes et que, surtout, on ne leur fît pas remise de leur dette.
Sur le front intérieur, le parti des Russiens ayant été mis à la raison et réduit à sa plus simple expression, aucune cause de troubles ne subsistait plus. Les paysans, sous le régime de la propriété individuelle de plus en plus minuscule, et les ouvriers des villes, sous celui de la propriété féodale de plus en plus prospère, travaillaient pour des marchands qui revendaient aux uns trois fois le prix qu'ils les avaient payées les marchandises qu'ils achetaient aux autres. Dans la bonne société, on estimait généralement qu'étant donné le caractère féodal de la propriété industrielle, les ouvriers des villes avaient sur les paysans cet avantage qu'ils étaient dispensés de livrer eux-mêmes aux marchands les richesses qu'ils créaient: leurs patrons s'en chargeaient, moyennant quoi, le système, il allait de soi, ne devait pas être remis en cause. Les paysans partageaient cette manière de [135] voir. Et les ouvriers, pour qui elle participait de traditions fort anciennes, se comportaient comme s'ils la partageaient eux aussi. De temps à autre et par ci par là, une petite grève éclatait que les amis des Russiens tentaient régulièrement d'exploiter et d'étendre, mais sans y parvenir jamais: ces incidents ne dépassaient pas les proportions d'un mouvement d'humeur et, en quelques jours, tout rentrait dans l'ordre. Ce n'est donc pas non plus de ce côté que pouvaient venir les ennuis.
Guelfes et Gibelins se regardaient en se demandant s'ils n'allaient pas être réduits aux anciens sujets de querelle, quand, tout à coup, un motif sérieux leur tomba du ciel: les colonies franconiennes étaient entrées en effervescence.
L'empire colonial franconien était un des plus beaux du monde: environ cent millions de gens plus ou moins colorés y étaient mis en coupe réglée selon les méthodes éprouvées des rois de l'Antique Assyrie, par les industriels et les marchands de la Métropole. Quant aux conditions dans lesquelles cet empire colonial s'était constitué au cours des âges, les gouvernements franconiens successifs n'avaient rien inventé: l'exemple leur avait été donné une fois pour toutes par un certain Guillaume le Conquérant et ils l'avaient toujours suivi. A ceci près, toutefois, que ce Guillaume le Conquérant s'était tourné vers le Nord et qu'ils avaient jugé plus prudent de se tourner vers le Sud.
Mais les choses se passaient aussi simplement - un jour, un marchand franconien se prenait de querelle avec un indigène d'un pays lointain, de [136] préférence en Afrique, et aussitôt les gens du gouvernement se déclaraient gravement offensés et réclamaient aux autorités de ce pays le droit d'assurer eux-mêmes la sécurité de leurs nationaux. Quelle que soit la réponse, l'armée franconienne se transportait sur les lieux: il y avait ou il n'y avait pas de bataille d'Hastings, on étripaillait plus ou moins ou pas du tout et, dans les deux cas, on imposait un traité qui créait un droit. Puis les industriels suivaient... Le reste se devine.
Après coup, on expliquait à l'opinion franconienne que ce pays n'était pas civilisé - c'était, en effet, l'être assez peu que d'oser résister aux prétentions d'un marchand franconien - et qu'il avait rapidement compris que son intérêt était de se placer sous la protection de la Franconie pour bénéficier des avantages de la civilisation. En moins de cent années de cette pratique, les marchands et les industriels franconiens avaient conquis une importante partie de l'Afrique, un peu de l'Asie, un peu de l'Océanie et, sur toutes ces possessions, le dernier des Nègres ou des Chinois connaissait sur le bout du doigt l'histoire héroïque de ses ancêtres les Gaulois.
Sans doute arrivait-il assez souvent que dans quelque coin de cet immense et magnifique empire, d'importantes fractions de la population n'appréciassent pas à leur juste valeur les beautés de la civilisation et se révoltassent contre les marchands et les industriels franconiens. Les gens du gouvernement déclaraient alors qu'il s'agissait de quelques tribus vivant habituellement de la rapine, qu'elles s'étaient mises en état de rébellion ouverte contre le roi, l'empereur, le sultan, le caïd ou le [137] pacha de l'endroit et que celui-ci avait sollicité l'aide de l'armée franconienne pour rétablir l'ordre. Dans la plupart des cas, quelques exécutions sommaires, un petit carnage tout au plus arrangeaient tout. Exceptionnellement, il fallait de grands déploiements de troupes et l'affaire s'élargissait aux dimensions d'une guerre qui pouvait durer des années. Les rebelles devenaient alors des Bulgares.
Cette année-là, les difficultés de la Franconie lui vinrent des Bulgares marocains: un important caïd avait soulevé près de la moitié du pays contre les marchands et les industriels franconiens. L'armée s'en était mêlée selon les rites, mais plus elle massacrait de Bulgares marocains, plus il en restait pour continuer la lutte. Les choses traînaient en longueur. Et Guelfes et Gibelins s'étaient mis en tête de s'affronter, non pas sur le bon droit de la Franconie, car l'opinion générale était que tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles si l'ordre était rétabli, mais sur la façon dont les opérations de rétablissement de l'ordre étaient conduites. A l'écart des deux clans, les journaux du type Burgondie ouvrière et paysanne avaient aussitôt pris acte de l'ampleur du soulèvement pour invoquer le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et réclamer le rappel des troupes franconiennes chargées de mettre les Bulgares marocains à la raison. Cet argument comme son corollaire avaient quelques chances d'être pris en considération par le canal d'un autre: le coût de l'opération.
Les gens du gouvernement étaient sur les dents car ils sentaient combien il leur était nécessaire [138] de pouvoir démontrer que l'opération rapportait plus qu'elle ne coûtait: un sou étant toujours un sou pour tous les Franconiens, il leur restait cette chance et elle n'était pas mince.
Ils avaient donc décidé une offensive éclair et un envoi massif de troupes contre les Bulgares marocains.
Cependant, pour Candasse, l'octobre fatidique était arrivé, au plein de la bagarre: pendant toutes les vacances il s'était démené comme un diable en faveur des Bulgares marocains, organisant avec le petit rouquin réunion sur réunion sur le thème du célèbre "Pas un homme pas un sou" et, le 1er du mois, comme si de rien n'était, il avait repris ses fonctions dans son petit village perdu. Il n'avait, du reste, pas reçu la nouvelle affectation annoncée dans le décret présidentiel et il s'en étonnait un peu. Le 10, il ne l'avait pas davantage reçue et tous ceux de son âge partirent sans lui, chacun en direction de la caserne qui lui était assignée.
Candasse soupçonna bien quelque sombre machination:
- La bureaucratie, mon ami, lui dit un vieux paysan madré. Un ordre et un contre-ordre, ce n'est pas une difficulté si aisément surmontable pour un bureaucrate, - militaire par dessus le marché! Un simple retard.
Le 10 novembre, toujours rien.
Et rien encore le 10 décembre. Candasse s'était fait à cette idée que si oubli il y avait, cet oubli équivalait à une dispense définitive. Et il se réjouissait déjà.
Las! Il fallut déchanter.
[139]
Le 17 décembre, il était en train d'expliquer les fantaisies du participe à deux douzaines de moutards quand, sans même prendre la précaution de frapper, deux magnifiques gendarmes en tenue de campagne, jugulaire et casque, s'encadrèrent dans le chambranle de la porte.
Candasse comprit tout de suite, mais il ne s'attendait pas à ce que ce fût si expéditif.
Ils lui expliquèrent que, n'ayant pas rejoint sa caserne le 10 octobre, il était considéré comme insoumis et qu'ils avaient ordre de le conduire sur le champ à la capitale de la Burgondie où il serait remis aux autorités militaires et d'où il serait acheminé, immédiatement et sans délai, sur le ...· Régiment de Tirailleurs marocains, en garnison à Fez (Bulgarie Marocaine).
Candasse essaya bien de leur faire comprendre que n'ayant pas été convoqué, il ne pouvait avoir rejoint la caserne et que, pour l'instant, il ne faisait qu'attendre, c'est-à-dire exécuter un ordre qui lui avait été intimé par écrit et par la plus haute personnalité de la République.
Et il leur montra son décret présidentiel.
Peine perdue.
- La consigne est la consigne. Notre rôle n'est pas de chercher à comprendre l'ordre que nous avons reçu, mais de l'exécuter, dit l'un.
- Servir, servir toujours, les yeux fermés, la bouche close, chacun à son poste, quel qu'il soit, c'est le verbe fondamental de notre catéchisme du gendarme, enchérit l'autre.
Une voiture dont le moteur n'avait pas même été arrêté attendait devant la porte.
[140]
A la capitale, on l'informa qu'il était mis en prévention de Conseil de guerre, on lui enleva ses lacets de souliers et ses bretelles, puis, sans autre forme de procès, on le jeta en prison.
L'affaire fit quelque bruit. La Burgondie ouvrière et paysanne s'en empara, tous les journaux de Franconie en parlèrent et la gêne créée dans l'opinion par la conduite de la guerre s'en accrut. C'est très probablement pour cette raison et les gens du gouvernement se rendant compte qu'ils risquaient d'aller à l'encontre du but poursuivi, qu'un beau jour on retrouva la convocation qui n'avait pas été envoyée.
La bonne foi de Candasse était établie.
Mais son indignité restait qui ne l'était pas moins.
- Ah! mon gaillard, lui dit un commandant, z'avez voulu jouer au c...! Z'avez d'la chance, cette fois, mais perdez rien pour attendre!... On vous f'ra les pieds!
Les militaires avaient alors une manière de parler qui était bien à eux et qui disait bien ce qu'elle voulait dire.
On lui rendit ses lacets de souliers et ses bretelles. On y ajouta deux musettes et un bidon de soldat, un quart, une gamelle, une cuillère, une fourchette et un calot. Deux boîtes de conserves, une demi-boule de pain et un demi-litre de vin pour justifier les musettes et le bidon...
Ainsi paré et dans cet accoutrement, on l'achemina sur le ...· Régiment de Tirailleurs.
On l'avait tout de même autorisé à prévenir ses parents: il les trouva sur le quai de la gare.
[141]
La Demoiselle pleura. Candasse sentit qu'elle était venue là comme poursuivant un Chemin de Croix auquel elle avait l'impression d'avoir été condamnée par une aveugle et inexorable fatalité. Et les larmes lui montaient au bord des yeux.
Le Tonkinois sauva la situation:
- C'est une tradition de famille, dit-il avec, sur sa figure, quelque chose qui s'efforçait de ressembler à un sourire. A vingt ans, ton grand'père est parti contre les Bulgares de Crimée et, à trente-quatre ans, contre ceux de Germanie. A vingt ans, on m'a envoyé contre les Bulgares chinois et, à trente-quatre, de nouveau contre ceux de Germanie. Voici qu'à ton tour tu as vingt ans et que tu pars contre les Bulgares marocains...
- Donc, dans quatorze ans, coupa Candasse...
Le vieux s'assombrit, puis il se reprit:
- Ce n'est pas cela que je voulais dire: il en est revenu, j'en suis revenu, jamais deux sans trois.
- C'est bien ce que je voulais dire, coupa de nouveau Candasse.
Ils éclatèrent tous deux d'un bon rire.
La Demoiselle pleurait toujours... Tout ce qu'elle avait pu apporter de gâteries. elle le bourrait dans les musettes et cela lui donnait une contenance.
- Fais quand même attention, lui cria encore le Tonkinois, alors que le train s'ébranlait doucement et qu'il était toujours sur le marche-pied. Avec les militaires... J'en sais quelque chose!
Il faisait un froid de canard.
Et le ciel était sombre.
BIEN qu'elle eût été conçue et créée pour la mise au point de divertissements beaucoup moins pacifiques, à l'époque, il n'était rien de mieux que l'Armée, pour l'organisation des voyages. Sous ses auspices, Candasse en fit un merveilleux.
Rien n'avait été laissé au hasard. Tout au long de ce long parcours, de nombreux relais étaient, depuis fort longtemps, prévus comme à dessein pour son hébergement et il passa de l'un à l'autre [144] sans la moindre anicroche: un peu à la façon d'un ballon de rugby d'un extrême à l'autre d'une ligne d'avants. Un peu moins vite, toutefois: l'Armée savait par expérience que pour aller vite il ne faut se hâter qu'avec lenteur, et chacun des relais ne l'envoyait au suivant qu'en prenant tout son temps et selon les règles d'un rituel savamment élaboré.
Lorsque Candasse se présentait à l'un d'eux, il commençait d'abord et régulièrement par provoquer les rires: son calot qui faisait, avec sa tenue civile, ses musettes, sa gamelle, son quart et son bidon, un ensemble du plus joyeux effet.
Alors, il exhibait un papier et un adjudant surgissait:
- Ah!... C'est vous l'Oiseau!... Ben, mon lascar... Allez, ouste... Suivez-moi!
L'adjudant lui faisait faire le tour d'un certain nombre de bureaux où il était accueilli avec la même aménité. On lui désignait une paillasse pour la nuit et, pour le jour, on lui indiquait les heures auxquelles et l'endroit où il pourrait aller faire remplir sa gamelle et son quart. Puis on lui disait d'attendre.
Et Candasse attendait.
Dans certains relais, il lui arriva d'attendre trois, quatre et même cinq jours. Dans ce cas, il occupait le temps. à traîner dans les cours, regardant d'un oeil amusé les privilégiés qui avaient eu la chance de recevoir leur convocation à temps pivoter à droite et à gauche, présenter les armes, s'exercer à saluer, à mettre le petit doigt sur la couture du pantalon, etc.. toutes opérations dont il était probablement le seul à ne pas saisir l'exceptionnel intérêt.
[145]
De temps à autre, un sadique chargé d'ans et de galons le faisait appeler à son bureau pour le voir de près, puis le renvoyait après l'avoir admonesté dans le vocabulaire d'usage.
Ou bien un adjudant l'interpellait
- E! l' civ'lot!
Puis, ayant réalisé
- Vous croyez sans doute à l'hôtel?... Prenez don' ç'balai, ça vous passera le temps... Vous en foutrai, moi!
Et Candasse prenait le balai.
Un matin, sans qu'il sût jamais à quelles graves raisons était subordonnée la durée de son séjour en un endroit, on l'appelait, on lui remettait des papiers et des vivres pour la route et on l'expédiait sur le relais suivant où les mêmes scènes recommençaient avec de légères variantes.
Enfin, après s'être fait traiter d'oiseau, de lascar, de gaillard et parfois d'individu, de salopard ou de corniaud dans une bonne douzaine de casernes, après avoir ramassé des papiers dans les cours par ci, balayé par là ou attrapé des poux ailleurs, il arriva au ...· régiment de Tirailleurs: d'une durée normale de quatre à cinq jours, traversée de la mer comprise, ce voyage en avait nécessité une quarantaine.
Ici, changement de décor: on l'attendait depuis quatre mois; aussi, dans la liste des amabilités qu'on lui avait faites sur tout le parcours, le "Vous en foutrai moi!" ponctué de significatifs "z'apprendrez à m'connaître mon gaillard!" revenait très souvent. Et tout se terminait toujours par un vigoureux "Et qu'ça saute!"
[146]
Candasse vit tout de suite qu'il avait à faire à des militaires plus distingués et que, pour eux, tout était réellement pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Moins de deux heures après son arrivée, il avait décliné ses nom, profession et autres qualités dans une demi-douzaine de bureaux, - Say lir, aicrire est conpté, avait écrit un caporal en face de son nom dans l'un d'eux, - essuyé le mépris ou la menace de toute la hiérarchie de la caserne, reçu une quarantaine de kilos de vêtements, lingerie et ustensiles divers, et il pivotait à droite et à gauche dans la cour en compagnie d'une vingtaine de garçons de son âge.
Et qu'ça saute!
Le lendemain, même jeu.
Et ainsi tous les jours: cela durait de sept heures du matin à cinq heures du soir. Après, on était libre jusqu'à neuf heures et on pouvait aller visiter la ville, mais on ne profitait pas de cette liberté: on avait été prévenu qu'il valait mieux ne s'aventurer dans la ville que par groupes de trois ou quatre et armé de la baïonnette à toutes fins utiles, les Bulgares marocains n'hésitant pas à y venir accomplir leurs méfaits à la barbe des autorités et s'attaquant de préférence aux militaires. Encore y avait-il des quartiers qu'il était absolument interdit de fréquenter même par groupes de trois ou quatre et en armes, ceux qui avaient enfreint l'ordre et s'y étaient aventurés y ayant régulièrement été retrouvés le lendemain matin à l'état de cadavres. En vertu de quoi, même si on avait d'indiscutables dispositions pour le noble métier des [147] armes, on préférait ne pas courir le risque. A plus forte raison quand on n'en avait pas.
On restait donc à la caserne et, en attendant l'heure à laquelle le clairon annoncerait que "Marie- Margot, est tombée dans un lit", ce qui était une invitation à se comporter comme si on l'y allait rejoindre, on jouait aux cartes en buvant du vin acheté à la cantine. Car l'Armée avait tout prévu et il y avait une cantine. Il y avait même une cantinière dont les exploits érotiques avaient été mis en chansons qu'on braillait quand le vin avait fait son effet.
C'était la bonne vie.
Candasse, cependant, n'avait pas plus de goût pour les divertissements du soir que pour les si distinguées et si instructives occupations collectives de la journée. Il lui arrivait de, réaliser, comme si cela ne faisait pas de doute, qu'il était pris dans l'engrenage d'une gigantesque et effroyable entreprise d'abrutissement.
Et il en concevait de sombres pensées.
Le hasard, une fois encore, vint à son secours le quatrième jour. Un colonel s'était souvenu que le ...· Régiment de Tirailleurs devait, quelques semaines après, participer à des opérations de rétablissement de l'ordre dans le Sud du pays.
- Les troupes en mouvement se déplacent, avait-il déclaré, chaque soldat ayant sur lui ses armes, ses munitions et la totalité de ses effets personnels.
Il avait donc décidé -que, ce jour-là et à titre d'entraînement, les exercices de petit doigt sur la couture du pantalon seraient assortis d'un peu de plat ventre et se feraient chacun ayant sur le dos [148] sa quarantaine de kilos de vêtements, lingerie et ustensiles divers. Dans un faux mouvement, les lunettes de Candasse tombèrent et par mégarde son, voisin mit le pied dessus.
- C' qui m'a f... un troupier pareil ? hurla un adjudant à ses oreilles.
Puis:
- Ah! c'est vous!... Encore vous!... Toujours vous! ...
Puis enfin
- Allez, ouste!. .. Allez en chercher une autre paire... Et qu' ça saute!
Candasse ne savait où aller chercher une autre paire de lunettes.
- R'gardez moi ça! A l'hôpital, andouille
C'est à l'hôpital que se produisit le miracle le médecin qui l'examina était un réserviste qui n'avait, lui non plus, pas beaucoup de vertus militaires, qui était en froid avec ses confrères de la carrière, qui avait entendu parler de Candasse comme tout le monde et qui eut soudain l'idée d'un bon tour:
- Tu sais jouer au bridge ?
Candasse était perplexe. De plus il ne savait pas jouer au bridge.
- Ça ne fait rien, il nous manque un quatrième, tu apprendras.
Et, avec un sourire
- Ils vont faire une de ces gueules... Allez: en observation!
Candasse fit le quatrième au bridge tous les après-midi pendant deux grands mois. Le reste du temps, il l'occupait à lire: il s'était fait envoyer quelques livres par le Tonkinois et son [149] protecteur lui avait procuré une documentation assez importante et très correcte sur le pays et ses habitants. Et il se réjouissait qu'ainsi, tout ce temps ne fût pas totalement perdu.
Il nourrissait bien quelques craintes au sujet de sa présence à l'hôpital: quelqu'un ne finirait-il pas par la trouver insolite?
- Dans l'Armée, lui avait répondu celui qui en avait eu l'idée, les services de santé jouissent d'une sorte de privilège d'exterritorialité. C'est d'ailleurs la seule chose qui soit bien. Sois tranquille: personne ne te demandera jamais de comptes et personne n'est qualifié pour m'en demander à moi.
C'était heureusement vrai.
Quand il remit les pieds à la caserne, les exercices de petit doigt sur la couture du pantalon étaient terminés et le ...· Régiment de Tirailleurs se préparait fiévreusement à prendre la route du Sud. Personne ne fit mine de s'apercevoir de son retour: tout au plus fut-il gratifié d'un peu plus de réflexions désobligeantes que les autres, sa réputation de tire au flanc étant maintenant solidement établie. Mais, de cela, il se moquait éperdument.
On en était au 1er Mai.
- Bah! se disait-il, jusqu'à présent les choses ne se sont encore pas trop mal passées: deux mois pendant lesquels j'ai été oublié, presque deux mois pour le voyage et presque trois à l'hôpital, total sept, restent onze sur lesquels il faut déduire les deux mois et demi de permission libérable et [150] la durée du voyage de rapatriement en Franconie. Dans six mois...
En attendant, il avait échappé à tout ce que lui paraissait comporter d'avilissant: l'assimilation des principes essentiels du noble métier des armes, et il en augurait bien pour l'avenir.
Pour accomplir sa mission, le ...· Régiment de Tirailleurs devait d'abord se transporter sur les lieux, c'est-à-dire parcourir environ sept cents kilomètres. A pied parce que les autres moyens de transports, au surplus rudimentaires et peu nombreux, n'étaient pas prévus pour les Tirailleurs. Et sac au dos parce que c'était dans la tradition. Quatre-vingt-huit cartouches dans la ceinture.
Il fallut traverser ainsi d'immenses étendues désertiques d'un sol aride parsemé de quelques touffes d'alfa. De loin en loin, une oasis avec quelques palmiers et quelques arpents de terre cultivable. Aux abords un monticule en pisé abritant quelques hommes dans un indicible état de dénuement: le village ou Ksar. On allait d'oasis en oasis vingt à trente kilomètres par jour, selon les fantaisies du fabricateur souverain. Deux jours de marche, un jour de repos. Pas de route: une piste en terrain vague, à peine marquée. On marchait de cinq heures du matin à onze heures. A l'arrivée, on se désaltérait puis on dressait la tente. Il faisait une chaleur torride. C'est à peine si on avait faim. De temps en temps, on rencontrait un groupe d'êtres humains en qui on reconnaissait des hommes, des femmes et des enfants qui poussaient devant eux d'immenses troupeaux d'un bétail minuscule et famélique: ils allaient eux aussi d'oasis en oasis et plantaient, le soir, [151] des choses qui ressemblaient à des tentes. Il était difficile de les observer de près car ils prenaient grand soin de s'écarter sur le passage...
Candasse ne mit pas longtemps pour s'apercevoir qu'il faisait partie d'un dispositif stratégique particulièrement étudié.
Le ....· Régiment de Tirailleurs était précédé de quatre ou cinq autos-mitrailleuses, toutes griffes dehors. En flancs-garde, des groupes de cavaliers, l'arme au poing. Suivaient: le train des équipages, une cantinière qui vendait surtout de l'anisette et du "gros rouge", la douzaine de femmes du B.M.C., encore des cavaliers, puis une formation d'artillerie prête à toutes éventualités. D'autres autos-mitrailleuses fermaient la marche. Dans les airs, des avions allaient et venaient. L'ensemble couvrait des kilomètres et s'appelait une colonne. On marchait, on marchait...
Candasse se demandait à quoi pouvait bien correspondre un si important et si coûteux déploiement de forces. La conquête ? Même pas, car il ne lui paraissait pas que fût d'un grand bénéfice la possession de ces immenses et stériles étendues.
- Bien sûr, lui dit un jour son voisin, mais c'est à cause de ces gens qui poussent devant eux leurs troupeaux... Y vont n'importe où, ceux-là, et y ne s'occupent pas s'y sont sur le champ du voisin. Des sauvages que j' te dis!... D'abord, c'est pas difficile: quand y s' rencontrent, tu sais c' qu'y font ? Non ? Eh ben, j' vais te l' dire, moi, c' qu'y font: leurs troupeaux s' mélangent et, pour les séparer, y s' battent. Oui mon vieux, y s' battent: on peut tout de même pas les laisser faire, ça finirait par être un véritable danger Pour [152] le monde civilisé. Et si tu veux leur apprendre quy a d'autres moyens d' s'entendre, y s, tirent. T'as vu qu'y tiennent pas à nous rencontrer: z'ont pas la conscience tranquille, parbleu! Tiens, essaie un peu pour voir de leur acheter un mouton ou une vache: y t' laisseraient plutôt crever de faim! T'as beau leur montrer ton argent: y croient qu' c'est du papier... Non, parle-moi pas d' ces gens là! Et puis, avec leurs manières d'aller où y veulent, mon vieux, si tu les laissais faire, y s'raient bientôt en Franconie: tu vois ça, toi, qu'un jour y s'amènent sur tes champs avec leurs bestioles?... Tu ris! Ça s'est déjà vu: en 732, si y avait pas eu Charles Martel...
Candasse n'insista pas.
La colonne s'enfonçait dans les solitudes. On atteignit les sables. Puis les montagnes qu'on franchit. Puis un fleuve qui descendait des montagnes. Enfin une palmeraie couvrant des centaines de km2 qu'il fertilisait. Le long de ce fleuve, à une quinzaine de kilomètres les uns des autres, les quatre bataillons du ...· Régiment de Tirailleurs dressèrent quatre campements protégés chacun par une batterie d'artillerie et une auto-mitrailleuse: il fallut d'abord faire une route pour leur permettre de communiquer entre eux et aussi pour amorcer un plan de plus grande envergure et de portée plus lointaine.
On se mit au travail, derechef.
Candasse apprit que le fleuve s'appelait l'Oued Ziz et qu'il arrosait Ie Tafilalet, région sur laquelle régnait un certain Belgacem, pacha rebelle à l'autorité du Sultan.
[153]
Cette rébellion se caractérisait essentiellement par le fait que, le Sultan ayant dû se mettre sous la protection des Franconiens dans les conditions habituelles, c'est-à-dire en cédant à la force, - ce que d'ailleurs il ne cachait qu'à peine, - lui Belgacem considérait que ce geste était sans valeur et ne l'engageait pas. C'était au surplus l'avis de toute la population qui, soumise ou pas, le considérait comme le seul libérateur possible et ne lui ménageait pas ses appuis, ouvertement ou en sous-main. Les Franconiens le chargeaient de tous les péchés du monde, lui attribuaient les pires actes de brigandage et disaient de lui qu'il n'était qu'un Chleuh - abréviation du mot Bulgare. Lui leur rendait la pareille et les appelait des Roumis.
Les choses en étaient là depuis des années et pour la première fois, les Franconiens, qui se sentaient bien plus visés que le Sultan lui-même par la doctrine de Belgacem, venaient camper à proximité de ses territoires avec des intentions dont le moins qu'on en pouvait dire est qu'elles lui pouvaient paraître peu rassurantes.
Il ne dit rien cependant.
La situation eût pu s'éterniser sur ce compromis implicite, n'eût été l'emplacement choisi par le bataillon le plus avancé du ...· Régiment de Tirailleurs pour y dresser son camp: entre l'Oued et un Ksar tout proche, ce qui équivalait à le priver d'eau.
Le Cheikh du Ksar protesta: on lui répondit que tels étaient les ordres du Sultan.
Il n'en crut rien et se plaignit à Belgacem, c'est-à-dire à son suzerain direct.
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Celui-ci envoya deux émissaires: on les fit prisonniers et le Ksar n'eut pas pour autant l'eau sur laquelle il croyait avoir un droit et qui lui était indispensable.
Quand il vit qu'il n'y avait plus d'autre solution, le Cheikh traita directement avec les Franconiens pour l'eau, niais prétendit rester dans la dépendance de Belgacem pour tout le reste - en échange du droit à l'eau, il s'engageait à vendre aux Franconiens tout le bétail nécessaire à leur alimentation. Mais la monnaie dans laquelle on le paya n'avait cours que dans la zone contrôlée par les Franconiens et les Franconiens n'avaient rien à lui vendre...
Ce fut la première raison de frictions.
Il y en eut d'autres: l'exigence, par les autorités franconiennes, d'un permis de circuler pour se rendre du Ksar à I'Oued, l'interdiction pour toute personne n'ayant pas ce permis de séjourner dans le Ksar, le droit de contrôle, un viol par ci, un vol par là, etc.
Et la plus importante: la personnalité du Commandant général des opérations dans les Territoires du Sud.
Ce Commandant en chef était ce qu'on appelait alors, d'un terme familier, une vieille culotte de peau. Il avait fait toute sa carrière aux colonies et il ne fallait pas lui en conter sur la manière de se comporter avec les Chleuhs: son inspiration en la matière, il la trouvait dans l'alcool. Il avait établi son quartier général à une centaine de kilomètres de là, - en arrière comme il se doit. Et il y menait joyeuse vie avec tout son Etat-Major. Aucune question sur le meilleur des mondes pos [155] sibles ne l'avait jamais effleuré: le meilleur des mondes, il y vivait.
Son rôle était de se tenir à l'affût de tous les incidents qui pouvaient surgir entre les populations du Tafilalet et les troupes franconiennes et de les exploiter au mieux. Quand il ne s'en produisait pas, il en fabriquait adroitement. C'est ainsi qu'il avait présenté l'affaire des deux émissaires de Belgacem à propos de l'eau comme une attaque des rebelles victorieusement repoussée par les troupes franconiennes et au cours de laquelle, en sus des lourdes pertes infligées à l'ennemi, plusieurs prisonniers avaient été faits. Cette version avait eu l'avantage de justifier un raid d'avions de bombardement sur le Tafilalet, par manière de représailles, et cela lui avait donné une idée: multiplier les raids de ce genre, si facilement justifiables.
A partir de ce jour, son plus grand plaisir, après une beuverie, fut de commander un raid et de monter lui-même dans l'un des avions. Au retour, il n'en finissait pas de raconter ce qui s'était passé, n'omettant jamais de souligner qu'il trouvait du plus haut comique l'effet des bombes sur les Chleuhs de Belgacem.
Tant et si bien que le dénommé Belgacem mit sa tête à prix: cinq cents douros hassanis.
Le nombre des malheureux qui s'efforcèrent de gagner ces cinq cents douros fut incalculable: tous furent, abattus avant d'arriver au Commandant en chef. On en abattit même qui n'avaient aucune intention malveillante, mais qui avaient le tort de se trouver à un endroit donné sans permis [156] de circuler ou sans alibi: pour faire bonne mesure et parce qu'il valait mieux abattre un innocent que laisser échapper un coupable.
Avec celui qui se présenta le 14 juillet, on décida de faire un exemple: parce que c'était le 14 juillet, que cette date était mémorable et l'occasion inespérée. Pendant une trentaine d'heures, le malheureux passa par les tortures les plus raffinées, du coup de pied bien placé au coup de crosse de revolver ou de fusil, à la langue coupée et aux yeux crevés, en passant par la baïonnette enfoncée dans les biceps et les mollets. Finalement, on lui trancha la tête avec un poignard et on la ficha au bout d'une longue perche à l'entrée du quartier général où elle resta exposée quarante-huit heures durant à l'intention des pasteurs de troupeaux qui. pourraient ainsi véhiculer la nouvelle jusqu'au Tafilalet. Le reste de son corps, on le jeta aux chacals qui infestaient la région.
Candasse, qui avait été désigné pour faire partie des services de protection armée d'un convoi venu se ravitailler au quartier général dans ce moment-là, assista à ces réjouissances. Il remarqua que toute la garnison y avait pris un très grand plaisir. Le soir, on distribua un quart de vin supplémentaire à tout le monde et une bouteille d'anisette pour dix.
Quinze jours après, la ligne téléphonique reliant les camps du Ziz au quartier général fut coupée, et une section du ...· Régiment de Tirailleurs envoyée pour la réparer ne revint pas: à quelque temps de là, tous ceux qui la composaient furent retrouvés, dans un coupe-gorge, le ventre ouvert et rempli de pierres, émasculés et les parties [157] dans la bouche. Belgacem les avait attirés dans une embuscade et personne n'avait subodoré le piège.
Un autre raid de représailles suivit qui motiva une autre incursion de rebelles en Territoire soumis, de représailles aussi, évidemment. Puis d'autres raids suivis d'autres incursions.
Dans cette atmosphère, le ...· Régiment de Tirailleurs poursuivit la construction de la route. Quelques habitants du pays avaient été réquisitionnés pour aider à ce travail: on leur donnait chaque jour 16 grammes de café, 30 grammes de sucre, 200 grammes de farine et deux francs. Quelques coups de bâton aussi quand ils ne travaillaient pas assez vite ou manifestaient un mécontentement que personne ne comprenait.
On piochait, on piochait. La dysenterie s'en mêlait, les poux, la soif. De temps à autre, une petite alerte. On piochait, on piochait toujours. Chacun ayant conscience de la grandeur de son rôle, personne ne se plaignait: ces Chleuhs, on les aurait!
L'anisette et, le gros rouge soutenaient les énergies.
Entre temps, d'autres Régiments de Tirailleurs étaient venus s'associer à la tâche et, en amont, prolongeaient les travaux le long du fleuve. Dans les mêmes conditions et avec le même zèle.
Au contact de ces réalités, la discipline s'était un peu assouplie: on avait fini par oublier Candasse.
En décembre, quand sonna pour lui l'heure de la permission libérable, les camps s'étaient en outre transformés en forteresse de pisé. Et c'est en [158] camions, sur une route un tantinet cahoteuse mais à double circulation, qu'en quatre jours il parcourut le chemin du retour à la caserne.
Tout était prêt pour la grande offensive contre les rebelles du Tafilalet: tout le long du parcours, des colonnes motorisées montaient en sens inverse se portant sur les positions qui leur avaient été assignées en vue de l'attaque.
Un mois après, Candasse était en Franconie, civil mais non démobilisé, un peu amer et fourbu, mais heureux de s'en être tiré à si bon compte.
Et s'en félicitant.
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Déclaration
internationale des droits de l'homme, adoptée par l'Assemblée
générale de l'ONU à Paris, le 10 décembre
1948.