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Extrait de La Banquise, n°2, 1983

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le roman de nos origines

3/6

Ainsi, l' IS, à la suite de la gauche allemande, reconnut la spontanéité révolutionnaire, mais sans indiquer la nature de cette activité spontanée. Elle glorifia les assemblées générales, les conseils ouvriers, au lieu d'indiquer le contenu de ce que ces formes devraient accomplir. Finalement, elle donna dans le même formalisme que cette ultra-gauche dont elle moquait le côté trop poussiéreux à ses yeux.

L'IS a montré les aspects religieux du militantisme, pratique séparée où l'individu agit pour une cause, en faisant abstraction de sa vie personnelle, en réprimant ses désirs et en se sacrifiant pour un objectif extérieur à lui - même. Sans même parler de la participation à des organisations politiques classiques (PC, extrême-gauche...}, l 'action révolutionnaire permanente tourne en effet parfois au militantisme: tout dévoué à un groupe, obnubilé par une certaine vision du monde, l'individu perd toute disponibilité pour des actes révolutionnaires le jour où ils deviennent possibles.

Mais ce refus du militantisme au lieu de s'ancrer dans une pratique et une compréhension des rapports réels qui peuvent empêcher le développement du comportement de militant, participait plutôt chez l'IS de l'exigence d'une attitude radicale en tout. A la morale militante, elle en substituait une autre, la radicalité, aussi impraticable et aussi intenable.

Non contente de dénoncer le spectacle, l 'IS e ntreprit de le retourner contre la société qui en vit. Le scandale universitaire de Strasbourg, annonçant ma i 68, fut une réussite. Mais l'I S érigea le procédé en système et en abusa au point qu'il se retourna contre elle - même. La reprise des techniques publicitaires et scandaleuses vira bientôt à la contre-manipulation systématique. Il n'y a pas de publicité anti-publicitaire. Il n'y a pas de bon usage des médias pour faire passer des idées révolutionnaires.

Contre la fausse modestie militante, elle se mit elle-même en scène et grossit démesurément son impact sur la situation mondiale. Ses références répétées à Machiavel, Clausewitz et autres stratèges étaient plus qu'une coquetterie. L'IS était persuadée qu'une stratégie adéquate pouvait permettre à un groupe assez habile de manipuler les médias et d'influencer l'opinion publique dans un sens révolutionnaire. C'est bien la preuve de son enfermement dans la notion de spectacle et, en définitive, de son incompréhension, par idéalisme, du phénomène spectaculaire. Quand elle se présenta comme le centre du monde, comme l'agent de la maturation révolutionnaire, etc. on pensa d'abord qu'elle ironisait à son sujet. Quand elle en fit un leitmotiv, on finit par se demander si elle ne croyait pas elle-même les énormités qu'elle propageait sur son propre compte .

L'IS a fourni la meilleure approximation du communisme parmi les théories ayant eu une réelle diffusion sociale avant 1968. Mais elle est restée prisonnière des vieilles illusions conseillistes, auxquelles elle a ajouté ses propres illusions sur l'instauration d'un "savoir-vivre" révolutionnaire. Elle a créé une éthique où la jouissance tenait lieu d'activité humaine. En cela elle n'est pas sortie du cadre capitaliste de l'abondance permise par l'automation, se contentant de décrire la fin du travail comme un immense loisir passionnant .

La gauche italienne avait posé le communisme comme abolition du marché et rompu avec le culte des forces productives mais elle avait ignoré la formidable puissance subversive de mesures communistes concrètes. Bordiga repoussait la communisation aux lendemains de la prise du pouvoir. L'IS a montré dans la révolution une démarchandisation immédiate et progressive. Elle a vu le processus révolutionnaire dans les relations humaines.

L'Etat, en effet, ne peut pas être détruit sur le plan militaire seulement. Médiation de la société, il doit aussi être anéanti par la sape des relations capitalistes qui le soutiennent.

L'IS a fini dans l'erreur symétrique de celle de Bordiga. Ce dernier avait réduit la révolution à l'application d'un programme. L'IS la limitera à un bouleversement des relations immédiates. Ni Bordiga ni l'IS n'ont perçu la totalité. Le premier conçut un tout, abstrait des relations réelles et des mesures pratiques, la seconde un tout sans unité ni détermination, une addition de points partiels s'étendant peu à peu. Incapables de dominer théoriquement la totalité du processus révolutionnaire, ils durent recourir tous les deux à un palliatif organisationnel: le parti chez l'un, les conseils chez l'autre.

Dans sa pratique, Bordiga dépersonnalisa le mouvement à l'excès, allant jusqu'à se nier lui-même et à s'effacer derrière un anonymat auto-mutilant qui permit toutes les manipulations du PCI (bordiguisteJ. Au contraire, l 'IS affirma l'individu jusqu'à l'élitisme, allant jusqu'à se prendre pour le centre du monde.

Bien qu'elle eût à peu près totalement ignoré Bordiga, l 'IS avait contribué comme lui à la synthèse révolutionnaire qui s'ébauchait vers 1968.

 

La Vieille Taupe

Quand Socialisme ou Barbarie eut rejeté pour de bon la théorie révolutionnaire "classique", une minorité en sortit et se regroupa en 1963 autour du journal Pouvoir Ouvrier. PO voulait reprendre les bons aspects de S. ou B., en ignorant le fil conducteur qui reliait les origines de S. ou B. à sa déviation ultérieure. PO était en-deçà de la gauche allemande sur bien des points: les syndicats, le parti, l 'impérialisme et la question nationale, etc. En fait, y coexistaient des tendances ultragauche, unies seulement sur les ques tions du caractère capitaliste de la Russie et de la gestion ouvrière. A sa tête se trouvait Véga, un des anciens de la gauche italienne qui avaient rejoint S. ou B peu après sa fondation. Mais ces ex-"bordiguistes" n'avaient rien apporté de bordiguiste à S. ou B., n'ayant trouvé dans la gauche italienne qu'un léninisme plus pur que celui des trotskyst es, complété par les thèses sur le capitalisme d'Etat et la gestion ouvrière.

Mensuel polycopié au millier de lecteurs, PO était fait comme s'il avait été lu par 100.000 prolétaires chaque semaine. Rares étaient les articles de fond. Souvent ces derniers étaient l'_uvre de Pierre Souyri, sous le pseudonyme de Brune, qui était l'auteur de deux textes essentiels sur la Chine parus dans S. ou B.

En 1965, Pierre Guillaume, membre de S. ou B. puis de PO, fonde la librairie la Vieille Taupe, rue des Fossés-Saint Jacques à Paris. Autour d'elle s'agrège un pôle de réflexion et d'activité où l'on s'intéresse autant à l'IS, qui entretint quelque temps des rapports avec la V.T., qu'à la gauche italienne, connue alors presque uniquement à travers le filtre du Parti Communiste International (PCI). P. Guillaume prend part, par exemple, à l'édition en anglais du texte de l'IS sur les émeutes de Watts. PO, se sentant sans doute vulnérable au point de craindre que ce (second) pôle pût menacer l'unité et la vie du groupe, organise un procès délirant, en septembre 1967, à la suite duquel Pierre Guillaume et Jacques Baynac sont exclus pour "travail fractionnel"... Une bonne demi-douzaine d'autres membres démissionnent. Il se forme ainsi un groupe informel que tout le monde appelle "La Vieille Taupe".

Dès ses origines, la librairie refuse une étiquette doctrinale. Ce n'est ni le local de PO (tant que P. Guillaume en est membre), ni sa librairie. A une époque où il est difficile de se procurer les textes révolutionnaires essentiels, peu nombreux sur "le marché", épuisés, etc., elle veut d'abord y faciliter l'accès. Le simple fait de sélectionner des textes de Marx, Bakounine, l'IS, Programme Communiste (organe du PCI), les textes de l'ultra-gauche, prend en 1965 un sens théorique et politique. A sa façon, la Vieille Taupe participe à la synthèse théorique indispensable à toutes les époques. Elle dépasse les sectes sans rassembler tout ce qui est "à gauche du PC", comme Maspero (à qui il arriva de refuser de vendre Voix Ouvrière, ancêtre de l'actuel L.O., parce que ce journal se montrait trop hostile aux partis et syndicats de gauche !).

En 1967, la librairie racheta les restes considérables du fonds Costes, seul vrai éditeur de Marx en France avant-guerre, quand le PCF se préoccupait plus de publier Thorez et Staline. Début 1968, Le Capital étant épuisé aux Editions Sociales, le seul lieu où l'on peut s'en procurer les trois Livres est la VT. La librairie diffuse les invendus de S. ou B, mais aussi les Cahiers Spartacus, qui avaient publié beaucoup de titres après la guerre, sur l'ensemble du mouvement ouvrier de l'extrême-gauche à l'extrême-droite. Des milliers d'exemplaires de Luxembourg, Prudhommeaux..., qui dormaient depuis des années dans une cave de la mairie du Ve arrondissement sont ainsi de nouveau offerts au public.

La VT ne niait pas le besoin de cohérence. Elle estimait seulement qu'on ne pouvait l'atteindre ni à partir d'un seul des courants radicaux (tous unilatéraux) d'alors, ni en se mettant à l'écoute des ouvriers (comme ICO), ni en étudiant les formes qu'avait prises le capitalisme moderne (comme l'aurait souhaité Souyri, qui se tint à l'écart des remous provoqués par la scission de PO). Mais par une appropriation théorique de l'ensemble des courants de la gauche communiste (et donc aussi du sol historique sur lequel ils avaient vu le jour), de l'IS, et par une réflexion sur le communisme et en particulier sur l'apport de Marx.

Le petit groupe hétérogène sorti de PO eut peu ou n'eut pas d'activités "publiques" dans les mois qui précédèrent mai 68. Pour l'essentiel, il lut collectivement Le Capital et commença à assimiler les composantes de la gauche communiste, ainsi que l'IS. La VT n'était pas un groupe; c'était plutôt le lieu de passage de divers fils, avec une dominante anti-léniniste où la venue d'Invariance créait une perplexité nouvelle.

Il serait absurde de prétendre que l'existence de ce petit regroupement ait joué un rôle décisif en mai 68 ou après. Ce qui s'est passé là, dans des conditions privilégiées parce qu'on y profitait des expériences transmises par divers groupes ayant déjà passé au crible une foule d'idées et de faits, s'est bien sûr produit aussi ailleurs -- souvent dans la confusion, parfois peut-être avec plus de clarté. L'important c'est que le processus de maturation théorique sans lequel la secousse de 1968 serait allée moins loin, ait concerné ces points-là: le communisme, la fonction de la démocratie, la spontanéité prolétarienne, et non pas la kyrielle de faux problèmes véhiculés même par une partie de l'ultra-gauche (conscience, direction, gestion, autorité, etc.). Mai 68 n'était pas une révolution (!), mais ce que fut ce mouvement n'aurait pas existé sans cette maturation-là .


histoire et petite histoire des quinze dernières années

Mil neuf cent soixante-huit

Dans cette dernière partie, notre angle de vision se rétrécit encore puisque nous y parlons en particulier de ce que nous avons fait dans un mouvement qui n'a pas réussi à s'étendre, donc à s'internationaliser. Prétendre ici au point de vue de Sirius serait men songer .

Au terme de ce bilan très provisoire, les seules perspectives claires sont celles du capital, encore qu'on ne sache guère où elles aboutiront. La parole actuelle est celle du capital car l'initiative sociale lui appartient.

Il n'y a pas de déterminisme technologique; la solution (capitaliste ou communiste) à toute crise est sociale. L'activité humaine, et en particulier l'organisation du travail, exprimée et modelée par le capital, entre de nouveau en crise. La période actuelle est bien contre-révolutionnaire -- restructuration par la crise -- mais amorce aussi un nouveau cycle de luttes intégrant l'expérience prolétarienne de la "reprise" entamée dans les années 60. La période 1968-72 fut le début d'une phase -- aujourd'hui en voie de dépassement -- marquée par une crise de l'OST. La recherche de productivité, accroissant l'exploitation, entraîna un grand nombre de grèves dures dans des entreprises petites ou moyennes, et parmi les salariés les plus exploités des grandes, jusque vers 1975. Mais la lutte pour le salaire et les reclassements catégoriels perpétua au sein des prolétaires la division, entretenue par le capital et gérée par les patrons et les syndicats .

La difficulté de comprendre la période présente et d'agir découle de l'émergence d'une nouvelle organisation du travail, qui n'arrive pas à s'instaurer, à la fois effet et cause d'autres luttes dont les contours se dessinent mal.

Les prolétaires ont souvent débordé et parfois combattu l'encadrement syndical. Mais la défense de sa condition par le prolétariat ne pouvait lui permettre de réorganiser la société. Le dépassement de cette posture défensive n'existe aujourd'hui que négativement. On a rêvé d'autogestion: qui la prend maintenant au sérieux? On a tant parlé d'écologie: qui croit pouvoir empêcher le développement de l'industrie nucléaire en France depuis que la gauche au pouvoir l'a acceptée?

"Tous les problèmes actuels de l'appréhension de la révolution, et que l'on retrouve peu ou prou dans toutes les théorisations qui en sont faites, proviennent du fait que le prolétariat ne peut plus opposer au capital ce qu'il est dans le mode de production capitaliste, ou plutôt, ne peut plus faire de la révolution le triomphe de ce qu'il est..." (Théorie communiste, n·4, 1981, p. 371

A notre avis, mai 68 en France fut le sommet d'un ébranlement mondial commencé quelques années plus tôt et qui se calma après 1972-74. L'année 1968 même fut riche en événements positifs et négatifs pour le communisme. Aux Etats-Unis, le mouvement anti-guerre se radicalise avec l'intensification des combats (offensive du Têt) mais ne fait pas sa jonction avec le mouvement ouvrier, tandis que les émeutes des ghettos noirs dévient vers le nationalisme violent et (ou) réformiste. Au Mexique, une violente révolte étudiante se termine par un carnage (300 morts) qui renforce la démocratie. En Tchécoslovaquie, l'invasion des troupes du Pacte de Varsovie soude encore mieux "le peuple" autour des solutions nationales et libérales. Le fait mondial dominant est donc l'endiguement démocratique d'un phénomène qui potentiellement (seulement potentiellement) allait au delà de la démocratie.

L'explosion n'a pas eu lieu au point le plus moderne, le plus en difficulté du monde industrialisé, mais là où l'accélération des vingt années précédentes était la plus inadaptée aux conditions du pays. Entre 1954 et 1974, la proportion de salariés dans la population française passe de 62 % à 81 % (l'accroissement touchant surtout les employés, techniciens et cadres salariés qui constituent les nouvelles classes moyennes). On assiste à la fusion d'une revendication ouvrière violente et d'une aspiration anti-autoritaire, anti-répressive estudiantine bientôt élargie à une bonne partie des nouvelles classes moyennes. Le mouvement est aussi anti-culturel en ce que la culture est le dépôt et le contraire de la créativité. Il renoue ainsi avec le refus de l'art et de la culture apparu vers 1914-18.

Mai 1968 est plus que la cassure entre syndicats et partis d'une part et un grand nombre d'ouvriers de l'autre. C'est aussi la revendication d'être qui, en l'absence d'une rupture sociale pratique, s'est manifestée plus comme expression que comme action. On veut communiquer, prendre la parole, dire ce que l'on ne peut faire. Le rejet du passé ne parvient pas à se donner un contenu et donc un présent. Les slogans: "Je crois à la réalité de mes désirs", "Sous les pavés, la plage", désignent un autre possible, mais qui suppose... une révolution pour être possible. En son absence, cette exigence ne peut devenir qu'aménagement ou folie. Les thèmes de mai prennent la forme de l'exhortation, remplaçant la culpabilité du XIXe siècle par l'impératif de jouissance.

En effet, à l'exception d'une faible minorité, les ouvriers, la bourgeoisie, la plupart des "contestataires", I'Etat, bref tout le monde, agit comme s'il existait un pacte implicite interdisant à chacun d'aller trop loin. Signe de limite: on n'ose pas, on ne veut pas faire une révolution ni même la commencer. Signe de force: on refuse le jeu politique d'une révolution fausse, la vraie ne pouvant qu'être totale. Même rue Gay-Lussac la violence reste bien en decà de la violence ouvrière d'avant 14, ou de celle qu'on connaît aux Etats-Unis dans les années 30. Les affrontements ouvriers-syndicats sont bien moins brutaux que dans le passé, comme chez Renault en 1947.

On ne retrouve guère en 1968 l'atmosphère de fête à l'usine de 1936. On sent qu'il se passe quelque chose qui pourrait aller plus loin mais on se garde de le faire. L'atmosphère de gravité qui règne se double d'un ressentiment contre les syndicats, bouc émissaire commode, alors que ces derniers ne tiennent que par le comportement de la base. La gaîté est ailleurs, dans la rue. C'est pourquoi mai 68 ne peut ni se reproduire ni entraîner une reprise révolutionnaire dans les années suivantes. Le mouvement engendre un réformisme nourri de la neutralisation de ses aspects les plus virulents. L'histoire ne repasse pas le plat.

Le problème de l'Etat n'est pas posé: 1968 n'est pas le début d'une phase révolutionnaire. Un mouvement révolutionnaire ne naîtra pas d'un approfondissement de mai mais d'une rupture avec la période inaugurée par mai. Dans la volonté de faire la grève en masse, il y avait un refus; dans la façon de mener cette grève et en particulier de l'abandonner aux syndicats, pour se rebiffer contre eux à la fin quand ils la sabordèrent, il y eut une acceptation .

On a critiqué le pouvoir tout en voulant le prendre partout. On a ridiculisé partis et groupuscules pour vanter le Mouvement du 22 mars, pont entre le gauchisme et les radicaux (par exemple les Enragés). On a dénoncé la politique pour s'enthousiasmer d'une fraternité style février 1948 (en attendant avril 1974 au Portugal). La conjonction réalisée entre la lutte ouvrière et les cadres ruant dans les brancards chercha une autre voie que la droite et la gauche classiques: revendication d'un "cadre de vie" moderne, les avantages du capitalisme sans les inconvénients.

Un texte (alors inédit) de François Martin, écrit quelques mois plus tard à la VT, énonça cette idée simple: en mai-juin 68, tout le monde, y compris les radicaux, avait agi et pensé dans le cadre de la démocratie. Le Comité pour le Maintien des Occupations (CMDO1, animé par l'IS, appela à former des conseils ouvriers. Exhorter à créer une forme en supposant qu'elle donnera à son action un contenu révolutionnaire, voilà l'illusion démocratique et politique. Mai 68 réalisa le programme de l'IS comme 1956 en Hongrie avait réalisé celui de S. ou B.: dans les deux cas, les conseils. S. ou B. et l'IS furent des moments de la vie du prolétariat, ils n'exprimèrent jamais l 'ensemble de son cycle de vie. Là où les ouvriers tentèrent de faire vivre des formes démocratiques ( comités de bases de Rhône-Poulenc à Vitry), ils s'épuisèrent à la tâche, dépensant l'énergie qui leur fit ensuite défaut pour mener des actions nécessaires.

Les élections de juin ne mobilisèrent pas les ouvriers (ni personne, sauf les partis} pour ou contre. Elles ne noyèrent pas le mouvement qui s'était étiolé de lui-même de n'avoir pas pris l'initiative à la mi-mai, et s'enlisait à la fois dans la violence (quasi-émeute du 24 mai}, la revendication et la construction de structures démocratiques parallèles à la hiérarchie sur le lieu de travail. Aujourd'hui, la démocratie politique est là, on ne se remue plus pour elle. Mais la démocratie sociale, elle, peut encore mobiliser des énergies, dans le but de compléter la démocratie politique, d'instaurer enfin une démocratie réelle et non formelle, en introduisant la délibération dans l'entreprise, l 'école, le quartier, etc.

Mais 68 fut une grande prise de parole, partout, par "les intéressés", mais ces derniers ne cessèrent de se conduire en usagers toujours préoccupés de réorganiser l'endroit -- métro, terrain de camping, entreprise -- où le capital les a parqués.

Il serait toutefois facile et trompeur de réduire mai 68 à peu de chose. Le mouvement s'en prend à tout, et ne fait que réordonner chaque élément de ce tout, lui-même inattaqué. Cette amorce de reprise révolutionnaire témoigne d'une lucidité, mais négative. Il n'y a pas eu "double pouvoir" mais, du point culminant de la grève au discours de De Gaulle le 30 mai, une double absence de pouvoir. Ni le gouvernement ni les grévistes ne maîtrisent la situation, ni ne sont sûrs de se maîtriser eux-mêmes (De Gaulle a besoin d'aller v érifier le loyalisme de I'armée) . Bizarrement, alors qu'on parle tant de gestion, on constate que les ouvriers se désintéressent de toute grève gestionnaire. Abandonner aux syndicats la maîtrise des usines est un signe de faiblesse mais aussi du fait qu'ils ont conscience que le problème est ailleurs. Cinq ans plus tard, en 1973, dans une grande grève à Laval, les ouvriers quitteront purement et simplement l'usine pour trois semaines. Comme la "dépolitisation" dont on a tant parlé, cette perte d'intérêt pour l'entreprise, le travail et sa réorganisation, sont ambivalents, et ne peuvent être interprétés qu'en fonction du reste. Le communisme était bien présent en 1968, mais en creux, en négatif. A Nantes en 1968, et plus tard à la SEAT de Barcelone ( 1971), au Québec ( 1972), les grévistes prendront en main des quartiers ou des villes, iront jusqu'à s'emparer de stations d e radio, mais n'en feront rien: l 'auto - organisation des prolétaires "est possible, mais, simultanément, elle n'a rien à organiser" (Théorie communiste, n· 4, 1981, p. 21).

En tout cas, les prolétaires ne créent pas de nouvelles organisations syndicales, politiques ou "unitaires", comme lors de la révolution allemande. Ils ont seulement tenté parfois d'édifier des structures démocratiques, qui heureusement ne survivront pas à la grève. Mais ils n'éprouvent pas le besoin de donner à leur grève une forme "soviétique". Pourquoi ? La véhémence de leur réaction anti-syndicale atteste qu'ils avaient la force, dans bien des usines, d'imposer des organes démocratiques pour gérer la grève, sinon davantage. Ils pouvaient mais ils n'essayent pas. Leur problème est ailleurs. Là réside l'ambiguité de 68, dans ce refus qui n'est que refus. On ne peut exister par défaut.

La minorité radicale, elle, quitte l'entreprise et se retrouve avec d'autres éléments minoritaires, en compagnie d'étudiants, de gauchistes, de révolutionnaires. Le CMDO est l'un de ces lieux où le gauchisme est tenu en lisière. Censier en est un autre. Le n· 1 du Mouvement Communiste (1972) fera l'analyse de son action. (On trouvera aussi de nombreux renseignements dans J. Baynac, Mai retrouvé, Laffont, 1978, qui démentent l'interprétat ion démocratique de son auteur.) La relative cohérence de Censier tint avant tout à celle du groupe informel de la VT, dont nous avons parlé, rapidement renforcé par le GLAT (contrairement à ce que dit et ne dit pas Baynac, qui pourtant joua un rôle important aussi bien dans ce groupe qu'à Censier) .

Un peu avant 1968, l 'IS, dans le n· 11 de la revue, répondait aux ultra - gauches que les situationnistes ne se souciaient pas de regrouper autour d'eux des ouvriers pour mener une action "ouvrière" permanente. Le jour où il y aurait quelque chose à faire, disait l'IS, les révolutionnaires seraient avec les ouvriers révolutionnaires. C'est ce qui se passa.

Censier stimula et coordonna l'activité de minorités radicales, sinon révolutionnaires, dans de nombreuses entreprises. La critique des syndicats, timide au début, devint plus virulente à la fin des grèves. Les fractions extrémistes, isolées sur le lieu de travail, trouvèrent là un point de rencontre. Dans l'ensemble, le débat qui s'instaure à Censier échappe au déluge de phrases creuses qui déferle souvent ailleurs et manifeste une grande lucidité, dont témoigne le Rapport d'ori entation du 21 mai, rédigé par trois personnes, dont au moins deux du GLAT, et peut - être une quatrième (Khayati, membre de l'IS) (Baynac, pp. 161-63).

Là où beaucoup verront dans l'expérience de Censier une leçon de démocratie, nous avons vu, à l'époque, une leçon sur la démocratie: une démonstration du caractère superficiel de l'opposition entre démocratie bourgeoise-individuelle et démocratie ouvrière-collective. Le problème minorité-majorité ne se posa qu'aux membres d'lCO, présents eux aussi à Censier, mais qui refuseront de s'associer aux activités d'une minorité qui risquait de s'imposer à la masse. Stérilité de la logique conseilliste!

Mai 68 ne posa pas la question communiste. Les dons de ravitaillement té m oignèrent d ' une solidarité, non d'un début de dépérissement de l'échange marchand. La perspective communiste exista dans l'indéniable assouplissement des rapports immédiats, la rupture de barrières sociologiques, la vie sans argent pendant plusieurs semaines, dans le plaisir d'agir ensemble, en un mot dans cette esquisse communautaire qu'on observe à chaque grand mouvement social, même non révolutionnair e (Orwell en Catalogne, en 1936) . L es divers comités qui siégeaient à Censier débattaient naturellement de ce qu' il fallait faire, et de ce qu'il faudrait fair e pour aller plus loin. Il n'est pas si fr é quent que de grandes assemblé es comptant de nombreux ouvriers discutent du communisme.

Le tract Que faire?, réédité et diffus é à une centaine de milliers d'exempla i res, indique ce que le mouvement do it faire pour aller plus loin, ou simpl e ment continuer: prendre un nombre de mesures simples mais qui rompent avec la logique capitaliste, afin que la grève démontre sa capacité de faire fonctionner autrement la société; répondre aux besoins sociaux ( ce qui rallierait les hésitants, la classe moyenne, que la violence -- produit d'un blocage, réaction impuissante devant l'impasse -- inquiète) par la gratuité des transports, des soins, de la nourriture, par la gestion collective des centres de distribution, la grève des paiements (loyers, impôts, traites}; et montrer ainsi que la bourgeoisie et l'Etat sont inutiles.

Le communisme ne fut présent en 1968 que comme vision. Même les ouvriers hostiles aux syndicats ne franchirent pas le pas, les éléments révolutionnaires parmi eux étant l'exception. Preuve supplémentaire de faiblesse, la confusion qui entoura le meeting de Charléty, fin mai. Charléty, tentative de dépassement politique, de prolongement du mouvement social sur le plan de pouvoir d'Etat, Charléty où se retrouvèrent une bonne partie des gauchistes mais aussi de la gauche des syndicats (notamment CFDT ) , où l'on vit aussi un personnage dont on a récemment voulu faire un héros national, un De Gaulle de gauche: Mendès - France. Charléty fut le maximum de conscience et de réalisme politiques dont fit preuve le "mouvement de Mai". D'un côté le rêve: les conseils. De l'autre la réalité: un vrai gouvernement réformateur, où beaucoup se voient jouer les Lénine de ce Mendès - Kérensky. On peut aujourd'hui en sourire mais si la solution Mendès l'avait emporté, beaucoup de contestataires l'auraient soutenue. Un an plus tard, deux jeunes ouvriers, qui tiraient à la VT un tract rappelant l'ampleur révolutionnaire de mai 68, précisaient: "Nous n'oublions pas Charléty"... En 1981, Mitterrand réalisera enfin les espoirs de Charléty.

 

L'après-mai

Après la fin de la grève, nous avons tous commis l'erreur d'escompter une clarification. C'était méconnaître la nature du mouvement, et oublier qu'en péri o de révolutionnaire -- ou de secousse comme 1968 -- toutes les organisations et idéologies prospèrent, y compris les contre-révolutionnaires.

Le gauchisme, en particulier, est venu donner de faux buts révolutionnaires à une "répétition générale" qui n'avait pas existé. Or, l 'après-mai ne pouvait être que contre - révolutionnaire, revendication d'une liberté en tous sens, y compris par rapport au mouvement révolutionnaire. L'explosion n'ayant pas modifié les structures fondamentales, son énergie se dispersa contre les institutions périmées, dans les moeurs, etc.

Prenant le relais du stalinisme, le gauchisme poussa à un terme extrême la dépossession capitaliste tout en présentant cela comme le remède à cette dépossession. L'homme capitalisé est privé de racines. Le gauchiste en remit dans la désidentification. Vivant dans un autre monde, le militant se projeta dans un autre lui-même, "aux côtés du prolétariat", "avec les pays socialistes" ou "avec le tiers-monde". La crise du gauchisme, quelques années plus tard, déclencha le phénomène inverse: la quête d'identité. Chacun fut désormais à la "recherche" du groupe particulier où il trouverait ses racines "naturelles" (féminisme, régionalisme, identité homosexuelle, etc .) .

Toutes les idéologies furent revitalisées, le léninisme comme l'anarchisme. On ne doit pas regretter leur déclin actuel. Cette foire aux illusions déboucha naturellement sur son autocritique: on passa du militantisme à la vie quotidienne. Si " l 'individu est la forme d'existence bourgeoise par excellence, et l'égoisme [ ... ] l 'essence [...] de la société actuelle [ ...] décomposée en atome" (Marx) , la société bourgeoise a toujours aussi réuni ces atomes en groupes. La privatisation de la vie et la difficulté croissante d'avoir une activité collective non marchande entraînent une polarisation où l'on tend soit à se nier comme personne pour ne plus exister que dans un groupe, soit à refuser toute organisation pour ne plus vivre que comme individu. On pose la fausse alternative: l 'homme est-il d'abord "lui - même" ou "social"? L'activité est - elle menacée davantage par l'individualisme ou par le rackett de groupe? L'idée que seule compte la vie intérieure, quotidienne, renverse sans la critiquer l'idée du militant qui doit intervenir sur l'extérieur, non sur soi.

Quotidiennisme et militantisme s'entretiennent comme un couple déchiré qui jamais ne se séparera. La critique morale du militant rate son but. Le militant n'est pas un "pauvre type", frustré d'affection. Le militantisme est l'illusion inévitable d'une activité possible dans un monde qui la rend presque impossible, un moyen mystifié d'échapper à la passivité dominante. On cherche pour agir un autre motif que sa propre condition, on sort de soi, on trouve un dynamisme dans des réalités ou des idées extérieures à sa vie propre: "le prolétariat", "la révolution" ou, plus moderne: "la radicalité", "le désir".

On a tout critiqué après mai, sauf le ciment de ce tout, le tout lui-même. L'absence d'offensive au centre de gravité social obligeait les critiques tous azimuts à respecter chacune les bornes de sa propre production. Dans un cadre général différent, elles auraient produit tout autre chose; rien ne conduisant vers une révolution, elles ont reflué. Ces néo-réformismes sont différents de l'ancien: ce dernier avait un projet à l'échelle de la société (la réorganiser autour du tra vail constitué en force unifiée) , les premiers renoncent à changer la société pour s'y aménager seulement un espace libre.

La "libération" de la femme, de la sexualité, des moeurs, etc. est une fragmentation. On sépare en soi une fonction des autres. Au lieu d'aller vers l'être total, multiple, on se découpe, on se comprend et on se défend tour à tour comme femme, comme consommateur, c omme producteur, comme b reton, etc., alors que les intérêts de ces catégories s'opposent les uns aux autres. On réussit ainsi le tour de force de créer en soi la division que le capital s'efforce d'entretenir au sein du prolétariat.

L'auto-organisation dans l'entreprise, en France, s'écroule après juin 1968, là où elle s'était instaurée. Le "mai rampant" italien fait surgir en 1969-70 des "conseils" dont le chef de la CGIL reconnaît qu'ils se sont transformés en institutions para-syndicales. Les conseils ne parviennent pas à se constituer en organisations de masse embrassant toute la vie sociale, et rassemblant, plus que les producteurs, toute la population laborieuse. Il n'y a plus de place pour un mouvement ouvrier à l'ancienne. L'espoir moderniste style CFDT d'une nouvelle classe ouvrière recomposant l'unité de travail et capable de le gérer se brise sur la réalité du besoin d'une couche peu qualifiée, nombreuse, malléable, toujours nécessaire au capital. L'autogestion ne sert qu'à faire croire qu'elle serait possible.

"... plus se développe l'importance des secteurs de recherche, de création et de surveillance, plus le travail humain se concentre dans la préparation et l'organisation de la production, plus s'accroît le sens de l'initiative et des responsabilités, en un mot, plus l'ouvrier moderne reconquiert, au niveau collectif, l 'autonomie professionnelle qu'il avait perdue dans la phase de mécanisation du travail, plus les tendances aux revendications gestionnaires se développent." (S. Mallet, La nouvelle classe ouvrière, 1963}

(Vingt ans après les thèses de Mallet, on constate que syndicalistes réformateurs et experts continuent de nous annoncer un nouveau travail industriel où l'ouvrier échapperait à son aliénation, cette fois grâce aux robots. Nous essayerons de consacre r un article à cette évolution.)

Avant même la reprise de Censier par la police ( juillet 1968), les comités qui y siégeaient avaient fondé une Inter-Entreprises, qui continua à se réunir pendant plusieurs mois, rassemblant des délégués informels (non mandatés explicitement par leurs camarades) de minorités ouvrières extrémistes Inter-Entreprises fut plus un lieu d'échange et de discussion qu'une coordination agissante. La VT, le GLAT et ICO participaient. Parallèlement, une tentative de collaboration entre la VT et le GLAT se solda par un échec complet. Les réunions et les débats réguliers d'lnter-Entreprises, s'ils débouchaient rarement sur une action collective des entreprises concernées, déb layaient le terrain dans les esprits, prolongeant les discussions entamées en mai et juin. Les gauchistes, eux, proposaient du "concret": organiser des luttes... En même temps, le nom d'lnter-Entreprises en indiquait les limites (c'est-à-dire celles de mai 68}: ce n'était pas une organisation communiste, seulement la voie d'un passage à autre chose, qui ne s 'annonçait pas pour l'immédiat.

La disparition d'lnter-Entreprises ne signifia bien sûr pas la fin de l'auto - organisation d'une minorité ouvrière, de ses heurts avec les appareils. Des Comités d'Action continuèrent d'associer des salariés contestataires et des éléments radicaux ou gauchistes. Une partie des travailleurs cessa peu à peu de participer à ces activités. Plusieurs dizaines de membres ou sympathisants du Comité Hachette d'Action Révolutionnaire, encore adhérents de la CGT, vinrent l'un après l'autre, lors d'une réunion syndicale, déposer leur carte sur la tribune. Quelques semaines après, la plupart adhéraient à la CFDT.

Un petit nombre d'éléments actifs dans les C.A. voulaient, eux, agir sur d'autres bases, révolutionnaires , et cherchaient lesquelles. La VT fut l'un des pôles autour duquel ils se retrouvèrent. Elle mit aussi en contact des gens d'un même pays (l 'ltalie) qui ne se connaissaient pas avant.

L'IS disparut progressivement. Avant 1968, elle avait été l'affirmation publique d'une révolution future. Après, elle affirma la venue de la révolution en 1968. La démocratie des conseils avait été le rêve de Mai. Au lieu d'y déceler les limites de Mai, l 'IS y lut la preuve de la justesse du conseillisme. La théorie des conseils était adéquate aux grèves françaises et italiennes, inadéquate à un mouvement révolutionnaire qui dépasserait les limites de ces grèves. Pour accélérer les choses, l 'IS appela à imaginer des scandales, des "Strasbourg" ouvriers. Elle se figea sur l'autogestion, devint le hérault de ce qui existait en le travestissant en révolution: Italie, Portugal. Incapable de dresser son propre bilan, elle y substitua la manie de juger les manquements à sa morale affichée et imposée: la radicalité. "Je tuerai tout le monde et puis je m'en irai", disait Ubu. Quand il eut jugé et condamné presque tout le monde, il ne resta plus à Debord qu'à éterniser La Société du spectacle en la mettant en images, puis à exalter dans son dernier film "In girum nocte..." une nostalgie que l'on trouvera touchante ou agaçante, et à cultiver une fois de plus sa différence. Pendant ce temps, le mouvement révolutionnaire est en train d'assimiler ce qu'il y a d'essentiel dans l'IS, tandis que les simples disciples y puisent la justification d'un art de vivre qui se confond avec les autres formes de vie dites "alternatives". "C'est pourquoi nous allâmes à la tendance extrême (à ce moment ) , celle par qui une dialectique rigoureuse en arrivait, à force de révolutionnarisme, à n'avoir plus besoin de révolution." (Victor Serge, Mémoires d'un révolutionnaire , Le Seuil, 1978, p. 25)

L'approfondissement théorique, chez une minorité faible mais liée à une fraction radicale ouvrière, elle - même peu capable d'action positive sur son lieu de travail, s'étendit non seulement à l'Italie et à l'Espagne mais à des pays capitalistes mo dernes (Scandinavie, Etats-Unis) . On prenait conscience du franchissement d'une étape qualitativement nouvelle. La réévaluation de l'héritage de la gauche allemande et l'assimilation de ce qu'il y avait eu de meilleur dans la gauche italienne fut abordé publiquement en 1969 par la Vieille Taupe dans un texte sur l'idéologie ultra-gauche, rédigé pour les réunions nationale et internationale d'lCO. Ce texte charnière fut important pour ceux qui s'y retrouvèrent, mais la tentative de débat avec les "conseillistes" (ICO, Mattick...] tourna court. Au même moment, le Parti Communiste International, carcan qui emprisonnait la gauche ita lienne, entra dans une crise qui aboutit deux ans plus tard à la scission des Scandinaves, sur la vision par la gauche allemande de la question syndicale.

Quoiqu'il n'ait pas été clairement indiqué, le point de convergence était la conviction que le prolétariat n'a pas à se poser d'abord en force sociale avant de changer le monde. Il n'y a donc pas d'organisation ouvrière à créer, à susciter, à espérer. Il n'y a pas de mode de production transitoire entre capitalisme et communisme. Il n'y a pas d'organisation prolétarienne autonome en dehors de ce que fait le prolétariat pour communiser le monde et lui avec. Il n'y a donc pas de problème d'extériorité ou d'intériorité des révolutionnaires par rapport au prolétariat.

Cette conviction suffisait à nous éloigner de groupes comme Révolut i on Internationale ( fondé en 19681 qui, après une phase conseilliste, reprit une partie de l'héritage de la gauche italienne, de Bilan et d'Internationalisme (après 19451. Exemple de synthèse ratée, alliant le parti-pris conseilliste au fétichisme de l'organisation, le groupe sombra rapidement, sous le nom de Courant Communiste International, dans une vie de secte comparable à celle du PCI, toujours en concurrence avec les autres groupes.

Entre 1968 et 1972, la Vieille Taupe fut sans doute le point de contact et Invariance (animé par Camatte ) le catalyseur théorique de cette convergence entre la France, l ' Italie et la Scandinavie. C'est ainsi qu'en 1969, les numéros 6 et 7 d' Invariance ( 1 re série ) réinterprétaient un siècle de mouvement révolutionnaire en y intégrant la gauche allemande. Le rôle stimulateur d' Invariance n'éliminait toutefois pas son idéalisme originel, le prolétariat y étant conçu plus comme une entité historique que comme le produit de situations et rapports réels. Cette réappropriation du passé n'était pas oeuvre d'archivistes; des prolétaires y prenaient part au même titre que les autres. Pierre Guillaume put illustrer ainsi le fonctionnement de notre communauté d'alors: quand celui qui a sur d'autres l'avantage d'avoir lu un texte révolutionnaire du passé fait un exposé historique, s'il a été clair, ses auditeurs en savent autant que lui: il n'est plus que "le dépositaire des détails".

 

Mil neuf cent soixante-douze

Le refus de former un groupe délimitant un intérieur et un extérieur permit à ceux qui se retrouvaient à la Vieille Taupe d'aller vers une cohérence commune que d'autres possédaient surtout sur le papier. Dans cette collectivité théorique et pratique, une certaine dynamique était à l'oeuvre, qui mettait chacun sur un pied d'égalité tout en intégrant des capacités et des nuances d'opinion diverses. Cette collectivité, que nous appellerons par commodité la Vieille Taupe, avançait au coup par coup, associant chaque fois ceux qui approuvaient l'action engagée, sans qu'ils eussent à être d'accord sur un "programme" ou une "plate-forme". Mais bien entendu, si l'on proposait telle action à tel ou tel, c'était parce qu'on pensait avoir en commun avec lui plus qu'un désir d'action. La VT n'essayait pas de se faire un nom: nos actes étaient notre signature. L'activité commune reposait sur un consensus souvent vécu comme exaltant: il y avait des choses à faire et à dire et on se comprenait souvent très vite. L'absence de vote, de juridisme, donnait la sensation d'une activité proche de ce qu'on peut considérer comme communiste. La psychologie, la discussion sur les états d'âme et l'influence des caractères et des "problèmes" affectifs, étaient rejetés.

Cette forme d'organisation encourageait l'irresponsabilité. Un texte criticable pouvait être diffusé, une initiative néfaste prise, sans qu'on fasse les réserves ou les rectifications nécessaires, puisque ce on n'avait pas d'existence définie. L'individu le plus actif, Pierre Guillaume, était donc le moins contrôlé par l'activité commune. Quant à l'absence de psychologie, si nous y songeons parfois avec mélancolie en voyant dans quelle soupe baignent tant d'entre nous, en voyant combien les comportements caractériels ont pris de l'importance dans l'évolution ultérieure et dans les ruptures qui l'ont ponctuée, nous ne devons p as oublier que ce refus était en partie un aveuglement qui nous conduisait parfois à tolérer des comportements que nous ne supporterions plus aujourd'hui.

Si l' absence de formalisme nous e mpêchait de sombrer dans les maladies de sectes: sclérose doctrinale et organisation de l'organisation, le défaut des perspectives clairement définies, sur lesquelles on se serait mis d'accord après une discussion plus formelle, avait l'inconvénient d'entraver la critique des activités, puisqu'on ne pouvait s'appuyer sur un accord formulé. Il est vrai que cet effort de formulation nous aurait inévitablement privés du concours d'une partie des éléments gravitant autour de la VT. Il n'est pas sûr que c'eût été un bien: nous y aurions peut-être gagné en précision, mais un foisonnement aurait été perdu, qui n'a porté ses fruits que plus tard, dans nos têtes et dans d'autres.

Néanmoins, ce flou facilita une manie stalinophobe aboutissant à faire de l'antistalinisme un critère comme pour d'autres l'antifascisme (du moment que c'est contre le PC et l'URSS, ça ne peut pas faire de mal...) . Il faut redire que l'hostilité au PC comme à l'OTAN peut être antirévolutionnaire. Pour le mouvement communiste, il n'y a pas d'"ennemi n·1 des peuples du monde".

Il arriva à la VT de consacrer beaucoup d'énergie à poser sous les pas des staliniens des "peaux de banane" censées les déséquilibrer, actes scandaleux, attaques sur un terrain: celui de l'idéologie, que l'adversaire maîtrisait depuis trop longtemps pour être sérieusement menacé. Une action violente qui n'inclut pas en elle-même son sens (compréhensible par ceux avec qui l'on a quelque chose en commun et auxquels on s'adresse) fait le jeu de l'ennemi. Ecrire sur le mur des Fédérés: "Trop de massacreurs fleurissent ce mur", est un acte qui contient en lui-même sa portée, et dont la signification ne peut être détournée, sauf par mauvaise foi ou manque d'intérêt évident pour la question. Mais un coup de force qui ne s'inscrit pas lui-même dans un clarification possible reçoit son sens des forces politiques, des médias, de l'extérieur.

Si le coup porté aux représentations visées ( par exemple, tel mythe e ntretenu par le PC sur lui-même) s'adresse aux radicaux, il peut garder son sens, et encourage la minorité silencieuse. Mais s' il ambitionne de s' adresser à tout le monde, de changer l'image du PC dans l'opinion, il rate à la fois l'ensemble des consciences et la minorité. Or la VT pratiqua le scandale sans qu'on puisse, sauf en de rares occasions peu suivies d'effet, en débattre.

L'année 1972 est, en France, un tournant. Cette année-là voit l'apogée du gauchisme et le dernier surgissement important de la contestation anti - étatique, anti-politique, anti - répressive, apparue en 1968. L'enterrement d'Overney fut le point culminant au-delà duquel tout bascula. C'était un grand rassemblement anti-PC: Overney, militant maoiste, ayant été abattu à la porte de Renault par la police privée patronale, Marchais n'avait pu retenir ce cri du coeur: "On ne va pas recommencer comme en 68..." Les services d'ordre gauchistes contenaient à peine cette énorme manifestation, parcourue d'une ambiance d'émeute qui n'arrivait pas à se donner des buts. On vit l'un d'entre nous, dont l'organe rivalisait avec les mégaphones, faire reprendre au service d'ordre trotskiste le slogan de la manifestation: "Marchais, salaud, le peuple aura ta peau", avant que les petits chefs n'interviennent au cri de "pas d'anticommunisme". Ce slogan, dans sa violence, montrait néanmoins les limites de cette manifestation. Dans le gauchisme, une partie du maoisme développait une ligne anti-syndicale et anti-PC, mais dans une logique antifasciste, populiste et démocratique.

Venant après une percée théorique chez les révolutionnaires, cette manifestation fut interprétée com me signe de l'apparition (enfin) d'un courant radical au-delà du gauchisme. Une série de groupes naquirent à l'époque: Négation à Paris, Intervention communiste (devenu Théorie communiste ) à Aix, notamment. La VT se préparait à publier plusieurs textes, dont celui de François Martin En quoi la perspective communiste réapparaît, né de plusieurs textes sur 1968 et après. A la suite de discussions qui avaient suivi l'enterrement d'Overney, où un tract de la VT avait été apprécié, plusieurs ouvriers qui participaient depuis longtemps à nos activités critiquèrent l'absence de suivi de notre action, et demandèrent la création d'un groupe plus cohérent. Les tracts, les textes théoriques comme ceux de D. Authier (préface à Trotsky, Rapport de la délégation sibérienne, Spartacus ) , G. Dauvé sous le nom de J. Barrot, et P. Guillaume, les contacts informels, tout cela ne suffisait plus, disaient-ils. Ainsi vit le jour le Mouvement Communiste, avec le bulletin du même nom, dont le texte de François Martin fut le n·1, et Capitalisme et communisme , le n· 2. Tirés chacun à cinq cents exemplaires (le n· 2 à 1000 exemplaires aussitôt après), ils se diffusèrent en quelques jours, la plus grande partie par contact direct, notamment sur des lieux de travail (Renault). On avait l'impression d' avancer.

La clarification théorique et la confluence entre groupes de plusieurs pays avaient fait croire à la naissance d'un mouvement peu nombreux, mais cohérent, capable de se faire connaître et d'entretenir un minimum de relations agissantes avec l'expérience prolétarienne. Nous avions peut-être raison sur la décantation en train de se faire, certainement tort sur la formation de pôles capables de réflexion et même d'action. L'enterrement d'Overnay était celui des illusions de mai, dont c'était le dernier sursaut, nullement l'annonce d'un renouveau. Ceux - là même qui avaient poussé à la fondation du Mouvement Communiste s'en désintéressèrent presque aussitôt. Le rapprochement avec Négation ne dura pas. Avec les pays les plus modernes nos liens se distendirent et nous ne gardâmes plus de contacts étroits qu'en Italie et en Espagne. L'action prolétarienne mondiale avait permis la rencontre et l'addition de points de vue souvent justes, mais elle ne fut pas assez forte pour imposer une synthèse qui aurait fourni une meilleure prise sur le présent: on ne dépassait pas la compréhension du passé.

Dans ces conditions, le livre Le Mouvemen t Communiste (Champ Libre, 1972) , sorti au même moment, ne pouvait être satisfaisant. C'était un texte de G. Dauvé, non de la VT ou du groupe MC, qui l'avait très peu discuté et amélioré. Comme le dit déjà un peu la p réface à l'édition portugaise ( 1975 ) , l 'ouvrage était une théorisation inadéquate, aussi partielle, à sa façon, que la plupart des textes d'alors. Relecture de Marx à la suite d'Invariance et de Bordiga, ce livre négligeait d'inclure Marx dans la critique du monde. Le souci de décrire des "lois" objectives faisait oublier les relations réelles. La "valeur" n'apparaissait pas plus comme expression de relations sociales, elle avait tendance à se personnifier, à devenir comme le "mouvement communiste" un sujet de l'histoire, alors que valeur et mouvement communiste ne sont que des constructions théoriques approchant la réalité. Le livre édifiait un modèle intégrant des contradictions au lieu de les éclairer à partir de la pratique. En refermant I' ouvrage, on pouvait croire à l' existence d'un mouvement prolétaire automatiquement entraîné par la "caducité" de la valeur. Il nous semble aujourd'hui que le lien entre capitalisme et communisme, entre capital et prolétariat, est loin d'être aussi clair que nous le disions. La transformation communiste était présentée comme une série de mesures à prendre. Tout en disant qu'il s'agissait d'un mouvement, on ne montrait pas dans les faits les effets subversifs de telle mesure immédiate. Analyse abstraite des conditions réelles, et idéalisme.

La scission scandinave du PCI en 1971 déclencha le départ d'une partie des adhérents de la section française. La crise du militantisme, endémique dans tous les groupes politiques, n'orienta pas les ex-militants vers une action révolutionnaire (qu'il aurait fallu d'abord définir ) . Elle les propulsa vers une quête de "vie" où ils se perdirent. Leur évolution se conforma à un processus que nous avons souvent vu à l'oeuvre dans nos rangs: une sorte de "cycle du révolutionnaire". Sur la base d'un rejet instinctif de la société établie, on passe d'une révolte existentielle à une activité organisée en vue d'une révolution, à travers une série de ruptures de plus en plus à gauche. On fait la critique de tout, de toutes les formes d'existence et d'intervention prolétarienne, de tout le passé révolutionnaire ou pseudo-révolutionnaire glorifié et déformé, jusqu'à atteindre le point limite où la critique de tout englobe aussi la révolution et le prolétariat qu'on finit par rejeter comme des mythes, à moins qu'on ne les théorise de sorte qu'ils ne soient plus que des identités abstraites, des concepts philosophiques hors de portée de l'action humaine.

Invariance avait évidemment joué un rôle dans la crise du PCI, mais sa propre évolution, reflétant le désarroi quasi-général, ne fit que contribuer au piétinement des uns, à l'envol dans l'hyperespace des autres. Camatte, e n reprenant la phrase de Marx, a bien résumé la contradiction du prolétariat: "une classe de la société capitaliste qui n'est pas de la société capitaliste" (Troisième série, 1979, p. 55-56). Mais cette contradiction, il la résout d'une étrange manière: la classe, c'est le parti-communauté, puis le parti, c'est la cla sse-communauté, donc une classe universelle, et finalement l'humanité. Camatte avait d ' abord transféré la classe défaillante dans le "parti". Au lieu d'en revenir à ce qui fait le prolétariat, son expérience, ses contradictions, Invariance a transféré ensuite le parti dans l'humanité entière. La métaphysique de l'humanité remplace celle du parti. Mais il s'agit toujours de médiation entre la révolution et l'activité des hommes, parce qu'on aperçoit mal dans leur pratique ce qui pourrait engendrer une révolution.

Invariance traduit en son langage l'omniprésence capitaliste. Camatte a tellement compris l'absorption du monde par le monstre impersonnel qu'il a succombé à sa fascination au point de le voir partout. Si le capital avale tout, les prolétaires à leur tour se font cannibales, leur lutte nourrit le capital de leur chair. Invariance a montré comment le structuralisme exprimait la force d'un système qui en s'éternisant niait l'histoire. A son tour, incapable de voir dans la barbarie autre chose que la bar barie, il ne distingue plus qu' une totalité au sein de laquelle s'effacent les distinctions antérieures (classes, production/circ ul ation, etc .)

Les deuxième et troisième séries d' Invariance théorisent une réalité visible à laquelle nous nous heurtons douloureusement: l 'omniprésence du capital. Selon Invariance, à un être totalitaire occupant tout le terrain s'opposerait une autre réalité souterraine mais également omniprésente: le soulèvement de la vie.

La pensée révolutionnaire classique a évité de s'interroger sur la survie du capital en l'attribuant à des causes extérieures (la social-démocratie, l 'impérialisme, etc. ) . Invariance recourt à une intériorisation: le capital survit parce qu'il est entré en nous. La "crise mortelle" économique est remplacée par une révolte de notre nature bafouée par le capital.

Pour Invariance, hormis cette nature humaine, ce quelque chose en nous qui refuse de se soumettre, le capital absorbe tout. C'est oublier que l'absorption doit bien passer par les relations réelles entre humains. L'opposition n'est pas entre une activité de part en part capitalisée et la nature humaine: s'il y a une opposition, elle se trouve nécessairement au sein de l'activité capitaliste elle-même, justement parce qu'elle est mise en oeuvre par les prolétaires. C'est cette activité même qui est contradictoire, et offre peut-être une issue. La solution est dans le rapport social, pas ailleurs.

"L'ouvrier lui-même est un capital, une marchandise..." ( Marx), mais il ne l'est pas passivement. Invariance a compris que le capital ne marche pas tout seul, mais par notre propre action. Mais Camatte en conclut qu'ainsi le capital a triomphé pour de bon: il s'est fait nous, il nous a incorporés. Or c'est justement par cette activité qu'il nous impose que le capital est contradictoire. Comme disait Lefort dans l'article déjà cité, les prolétaires sont en situation d'universalité.

Face à Camatte qui croit mort le mouvement révolutionnaire au sens que nous donnons à ces mots, qui croit que la réalité nouvelle du capital aurait enlevé leur validité aux notions de prolétariat et de révolution, nous ne devons pas nous réfugier dans une attitude de mépris bétonné. Les révolutionnaires de la fin du XlXe siècle affirmaient avec raison, contre le "révisionnisme", que rien d'essentiel n'avait changé depuis 1848. Ils se sont toutefois aperçus en 1914, c'est-à-dire trop tard que quelque chose avait tout de même bel et bien changé: le mouvement ouvrier était devenu un instrument du capital. Les révolutionnaires ont dû alors reconnaître que le révisionnisme traduisait des problèmes réels que leur seule réfutation avait négligés. Camatte a autrefois fourni de nombreux éléments pour la théorie révolutionnaire de notre époque. Aujourd'hui, il pose mal une vraie question. Son errance illustre l'ambiguité de l'époque.

Castoriadis et Camatte ont vu dans le capital ce qui dévore tout, et ont conclu à l'invalidation des concepts différenciant les parties du capital, pour laisser la place, chez l' un, à la pyramide bureaucratique, chez l'autre, à une totalité indéfinissable qui à la fois intègre l'humain et n'y parvient pas. Ce sont les penseurs du nouveau visage du capital, de la fin du mouvement ouvrier et de l'absence du mouvement révolutionnaire: parce que ce dernier ne se montre pas sous les traits qu'on avait pu imaginer dans les années 60, ils ont largué les amarres.

Un groupe comme l'Organisa ti on des Jeunes Travailleurs révolutionnaires, qui publia notamment en 1972 le Militantisme, stade suprême de l'aliénation, allait contre ce "sauve qui peut". Marqué initialement par l'IS, il connut le communisme de gauche et opéra une convergence avec la VT.

Pas plus que la VT, le MC n'avait accédé à un fonctionnement collectif satisfaisant. Il devint l'organe de publication des textes de G. Dauvé, amendés par quelques personnes. Après de laborieuses discussions avec Négation et d'autres sur ce qu'il convenait de faire, et une polémique au sujet d'un meeting à la mémoire de Léon Blum que nous avions perturbé, on se rendit compte d'une crise dans nos rangs. Le n·4 du MC, "Révolutionnaire?" (1973) contenait des remarques justes et d'autres fausses sur l'action subversive et la communauté. Mais il témoignait surtout d'un déplacement révélateur du centre d'intérêt: on ne se penchait plus sur les prolétaires, mais sur les révolutionnaires. Il n'est pas étonnant que ce texte n'ait proposé aucun remède réel à ce qui n'était pas une maladie mais l'état du mouvement.

Un "milieu" tendait à se constituer autour d'une idéologie communiste avec ses slogans à lui ("abolition du travail salarié", "crise de la valeur" ) à la place de ceux des gauchistes. Constatant qu'elle ne tenait plus le rôle de lieu de contact, et recevait plutôt comme les autres librairies une clientèle, la librairie la Vieille Taupe ferma fin 1972.

"Tous les éléments de la théorie révolutionnaire existent sur le marché, pas leur mode d'emploi.

Ce n'est pas du ressort d'une librairie.

Il ne peut pas exister de théorie révolutionnaire séparée de liens pratiques pour agir, et cette action ne peut plus être principalement l'affirmation et la diffusion de la théorie révolutionnaire.

[...] La Vieille Taupe doit disparaître."

( Bail à céder, affiche de la VT, 15 décembre 1972.)


Fin partie 3


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Ce texte, et sa suite, constituent l'essentiel du numéro 2 de La Banquise, paru lors du "deuxième trimestre 1983", à Paris. Après quelques numéros, la revue a disparu. Elle était rédigée par un collectif et le responsable de publication était Gilles Dauvé. Comme il se trouve que ce texte sert de base à toutes sortes de discours accusatoires et défensifs, dans l'affreuse mêlée oui se trouvent les Voraces, en grande parties auteurs de ce "roman de nos origines" et les Coriaces qui veulent les pendre à Montfaucon pour "révisionnisme", nous, les révisionnistes, les vrais, les poilus, blanchis sous le harnais, nous publions ce texte qui est, en partie, il est vrai, mais pour une petite partie seulement, à ranger dans nos origines aussi. Les auteurs sont traités de "branleurs vaneighemistes" par un autre "originaire". C'est une bonne qualification.Elle nous paraît juste. Ils pleurnichent aujourd'hui en disant que leur texte avait des "faiblesses". C'est le moins qu'on puisse dire.

Ce texte est long et ennuyeux. Ceux qui veulent aller tout de suite au croustillant devraient commencer avec la partie 3 où apparaît laVieille Taupe.Inutile de dire que ce texte expose un point de vue qui n'est pas le nôtre. Nos rarissimes commentaires sont en lettres capitales. Le texte est reproduit intégralement, mais nous avons omis les illustrations. On lisait, en dernière page: "Les textes publiés dans la BANQUISE peuvent être librement reproduits, sans indication d'origine."

Ami lecteur, n'oublie pas qu'avec un texte électronique on peut tout faire, sauf se torcher.


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